Bon voila la suite ! T'inquiete Illiaron, je lis ton texte en revenant ( vers 18h30 )
Chapitre XXXI
Après avoir dégagé la voie, les soldats décidèrent de remettre en état tout ce qu’ils pouvaient. Ils allèrent donc dans chaque maison et rassemblèrent tout ce qui était en état et tout ce qui ne l’était pas. Au final, il ne restait plus beaucoup de choses dans la majeure partie des habitations. Tout avait été soit caché, soit détruit. Un grand tas de bois avait été rassemblé dans la cour principale et Neldirage décida de s’en servir cette nuit. Même si celles-ci, en ce début de printemps, étaient plus chaudes qu’avant, on était jamais trop prudent…
Notre ami posta les gardes de façon qu’en cas de retour des envahisseurs, il soit prévenu. Les autres vinrent avec lui chercher les vivres dans la grotte. Neldirage désigna deux sacs de grain, un tonneau de viande conservée dans du sel et un tonneau d’alcool. Notre sergent fit rapidement le tour de la salle pour voir s’ils n’avaient pas été pillés puis sortit, torche à la main, à la suite de ses compagnons.
Mick, qu’il avait envoyé à la suite des orcs, revint avec les nouvelles. Il semblait plutôt incrédule, ce qui n’était sûrement pas une bonne nouvelle.
-Alors ?
-Je ne sais pas, sergent… D’après les traces…. Ils iraient à l’ouest, peut-être pour rejoindre le reste de l’armée !
-Phil est parti à l’opposé, vois si tu peux les rattraper et les faire revenir ici !
-Bien, sergent !
L’homme tourna les talons et alla préparer son départ. Neldirage, du haut des remparts, tourna la tête vers la cité. Elle était calme et sombre, aucune lumière ne filtrait à travers ces bâtisses vides. Notre sergent laissa son regard se poser sur la maison du lieutenant : Où était-il maintenant ? A l’intérieur de son logis, le bureau avait été renversé, il y avait eu des traces de combat mais pas de sang. Soit le lieutenant avait été exécuté, soit il était encore en vie et prisonnier des créatures. Quoi qu’il en soit, et malgré son envie de partir à sa rescousse, Neldirage décida de rester là et de s’occuper du fort.
Malgré cette décision, il avait un léger poids sur son cœur. Cet homme avait été comme un père pour lui… Et tout ce qu’il trouvait à faire, c’était de l’abandonner… Mais la raison revint bien vite et l’argument qu’il ne pourrait rien faire face à cette bande de monstres eut raison de ce regret. Neldirage et ses hommes remirent donc tant bien que mal le fort en état. Il y avait beaucoup de travail mais les compagnons ne chaumèrent pas.
Ils commencèrent par réparer toutes les fenêtres et les portes fracturées. Ils reconstruirent aussi l’entrée de la taverne… Ce qui n’était pas trop mal avec une quinzaine d’hommes restants. Les créatures avaient aussi fracassé l’escalator qui menait aux mines mais ça, les soldats ne réussirent pas à le remettre en état…Leurs tentatives s’étant soldées par la chute, et la destruction, de la cabine dans le vide. Neldirage, alors qu’il sondait une nouvelle fois la ville à la recherche de tout indice qui lui aurait échappé, entendit la cloche d’alarme.
Neldirage fit aussitôt demi-tour et courut à perdre haleine vers le bâtiment. Arrivé dans la cour principale, il jeta un œil à la sentinelle. Cette dernière lui dit :
-Cavaliers au sud !
C'est-à-dire dans la direction de l’Empire… Déduisit notre ami.
-Faites baisser la herse ! Tous les hommes sur le rempart.
Neldirage passa dans l’armurerie où il attrapa une bonne dizaine d’arcs qu’il lança au milieu de la cour puis retourna chercher des carquois. En attendant, les soldats s’emparèrent chacun d’un arc, puis montèrent au pas de course sur les remparts. Neldirage monta les marches aussi vite qu’il put et tendit les carquois à un soldat qui se chargea de les distribuer. Après seulement une minute, le groupe de cavaliers émergea du virage. Il se composait d’une trentaine de chevaliers. Ils portaient tous de lourdes armures de plates et tenaient leurs épées dégainées… des épées tachées de sang put voir Neldirage lorsqu’ils se rapprochèrent.
Un étendard flottait au-dessus du groupe, il était aux couleurs d’un général que Neldirage avait voulu depuis longtemps oublié. La couleur noire de celui-ci lui rappelait le capitaine Van Hoff mais la traînée verte montrait assez bien qu’il s’agissait là du général Karlinter, celui-là même qui l’avait fouetté il n’y a pas si longtemps… Ce dernier s’extirpa de la masse et se présenta aux remparts.
-Qui commande ce bastion ? Demanda le fier général.
Neldirage se montra aux créneaux.
-Il me semble reconnaître là Neldirage ! Que fais-tu ici vaurien ? Et où sont tes canailles de compagnons ?
-Je suis sergent et responsable de ce fort ! Mes compagnons sont partis !
-Oh bien, je vois ! Fit celui-ci. Une bonne chose… Tu ne méritais pas d’être avec cette engeance de paysans… Laisse-moi entrer maintenant. Tu as un rapport à me faire…
Neldirage donna la permission à ses hommes de manœuvrer le lourd mécanisme qui ouvrait les herses. Le général s’avança alors. Le sergent descendit dans la cour à sa rencontre. Voyant que l’homme restait sur son cheval, Neldirage lui proposa de descendre.
-Non, c’est bien aimable mais, moi et mes hommes, nous repartons sous peu ! Mes hommes m’attendent dans la vallée. Nous avons vaincu une partie de l’armée et le reste nous attend ! Par contre, … j’ai oublié le nom de votre lieutenant ! Bref tout ça pour dire qu’il est mort ! Nous avons retrouvé son cadavre au milieu du campement orc. Es-tu le seul gradé ?
-Oui... Acquiesça Neldirage encore sous le choc de la révélation augmenté par le fait que le général semblait s’en moquer éperdument.
-Et bien laisse-moi t’annoncer que tu es promu lieutenant ! Vu que tu t’es débarrassé de tes incompétents camarades, et que j’ai eu de bons échos de toi, tu mérites cette promotion.
Neldirage ne répondit pas. Il était heureux de cette promotion mais il avait toujours une dent contre le général et il ne s’était en aucun cas débarrassé de ses amis ! Notre lieutenant prononça un remerciement forcé mais n’en dit pas plus. Le général, quant à lui, posa nombre de questions sur ce qui s’était passé. Neldirage donna des réponses précises mais sans trop en dire. Il n’avait pas envie que l’homme s’éternise. Un homme qui préférait rester sur son cheval pour dominer son interlocuteur plutôt que de descendre et d’avoir une discussion plus humaine. Cela faisait à peine cinq minutes qu’il parlait que le général dit :
-Bon, je ne puis plus m’attarder… Je t’enverrai un ingénieur pour qu’il t’aide à remettre ce lieu délabré en état ! Prend soin de ce fort comme l’a fait ton prédécesseur. Les habitants seront de retour dans moins d’une semaine !
Il fit tourner sa monture avant que Neldirage ne pût dire un mot. Après son départ, les herses se rabattirent lourdement et les soldats vinrent féliciter notre ami qui venait de prendre du galon. Notre ami, quant à lui, fixait toujours le vide. La mort de son « deuxième papa » l’attristait énormément. Après avoir envoyé quelques sourires à ses soldats, Neldirage se retira dans sa maison qui avait été relativement épargnée.
Chapitre XXXII
Le lieutenant fraîchement nommé décida d’aller faire un tour dans ce qui serait désormais son bureau pour voir en quoi consistait son nouveau travail. Neldirage s’approcha d’une armoire et se figea en y revoyant son prédécesseur. Alors que notre ami n’avait jamais mesuré l’importance que l’homme avait à ses yeux, voilà que celui-ci lui manquait … Neldirage secoua la tête pour chasser ses mauvaises pensées. Il tira un vieux parchemin du meuble. Il se retourna, le dépoussiéra, puis le déroula sur la table.
Etat des vivres : Il y reste quarante kilos de blé et treize de viandes. Il faudra penser à racheter du lait, des légumes et des fruits… Il ne reste qu’un tonneau de chaque.
Ce rapport datait de l’année dernière et notre lieutenant ne prit pas en compte les notes d’achats à faire. Il attrapa un autre parchemin qu’il déplia comme le précédent.
Rapport de l’incident du treize : J’avais ordonné une mission sur un post-avancé de gobelins… Les force ennemies étaient plus nombreuses… il y a eu un mort.
Neldirage releva la tête une seconde du papier. L’ancien lieutenant notait tout par écrit, c’était incroyable ! Il se replongea dans la lecture.
Comme je le pensais, une armée est en train de se créer au nord. Neldirage et d’autres hommes ont abattu un gobelin qui avait pour emblème un bouclier noir… Les prédictions sont exactes mais personne ne se doute de rien ici, il va falloir faire quelque chose.
Le parchemin était fini et le lieutenant avait dû écrire sur autre chose. Neldirage envoya le papier au loin et se jeta sur l’armoire à la recherche de la suite… Avant de mettre la main dessus, il tomba sur un acte de commerce et de vente de leur minerai ainsi qu’une fiche où était répertorié chacun des hommes de la garnison. Après les avoir regardé brièvement, Neldirage lut la suite du papier. Il chercha la date de la veille de son départ pour la guérilla.
… Les hommes viennent de partir pour un harcèlement… Qu’ai-je fait ? Pourquoi je n’ai pas prévenu le général avant ? Pourquoi ne m’a-t-il pas cru quand je lui parlais de cette menace ? Ces questions semblent bien inutiles maintenant…
Le nom du général en question n’avait pas été indiqué. Neldirage se demandait si cela pouvait être Karlinter. Le lieutenant secoua la tête : il ne pouvait pas tout lui mettre sur le dos même si ça l’arrangeait. Neldirage se replongea dans la lecture du parchemin. La suite n’était pas importante mais il trouva rapidement un passage intéressant.
Phil, Tom, Neldirage, Franck et les autres ne sont pas revenus, je crains pour leur vie. La vallée gronde sous les pas des orcs et ils seront bientôt là. J’ai ordonné aux hommes de se barricader dans la taverne. Il est trop tard pour moi, de toute manière, tout ce que j’ai fait a échoué… Je vais aller ouvrir les herses, moins de choses seront cassées, mieux cela vaudra… Après qu’il advienne de moi ce que le destin aura choisi.
A la surprise de Neldirage, le lieutenant ne s’était pas arrêté d’écrire. Il semblait même avoir continué après avoir ouvert les herses.
Maintenant, je sais que les hommes sont à l’abri… J’ai placé de la poudre explosive dans une faille près de la porte. A la première secousse il y aura une explosion et la porte devrait être condamnée… Quand j’ai ouvert les grilles, je les ai vu. Ils étaient un demi millier… Comme je l’avais prévu l’armée se sépare. Les petits groupes détruisent les places fortes pendant que le gros des forces va chercher à s’introduire dans l’Empire. Les orcs semblent énervés, je ne pense pas qu’avoir laissé les portes ouvertes les avancera beaucoup… J’espère surtout qu’ils vont traverser la ville le plus rapidement possible. J’entend les grognements qui monte du bas de la cité : ils sont là… Bonne chance au prochain lieutenant…
Notre lieutenant trouva beaucoup de réponses dans ces parchemins. Notamment pourquoi le lieutenant n’avait pas voulu se mettre à l’abri et pourquoi les portes avaient été ouvertes devant l’avancée orc. Neldirage commença donc un tri : Dans un gros coffre de bois, il rangea le journal de son ami, dans le bureau les contrats qui étaient encore d’actualité et dans l’armoire tout ce qui avait à trait à l’organisation de la ville. Notre lieutenant put voir que la ville n’était pas bien riche et que cette période où ils ne produisaient rien risquerait de rendre la suite plus compliquée. Neldirage n’avait pas la moindre idée de comment ils allaient faire pour rattraper ce retard.
Trois jours plus tard, les soldats s’occupaient toujours de la ville déserte et Neldirage n’avait pas trouvé de solution. La situation se compliqua quand une sentinelle annonça le retour de la population. Le lieutenant vint à la rencontre des réfugiés. Il se souvint d’un coup qu’il n’avait pas pensé à l’endroit où il pourrait accueillir la population de l’autre village. Neldirage se promit de régler ce problème dès qu’il aurait vu Phil.
Justement, voici ce dernier qui venait de passer la herse. Il regardait droit devant lui et arrêta sa monture juste devant le commandant du fort : Neldirage.
-Content de te revoir ! Dit notre lieutenant.
Phil ne répondit pas et descendit de son cheval en se mordant les lèvres. Neldirage regarda l’homme venir près de lui, lui attraper violemment l’épaule et l’emmener à l’écart.
-Qu’est-ce qui se passe ? Demanda notre lieutenant en s’arrachant violement à l’étreinte de l’homme.
-Qu’est-ce qu’il se passe ? Tu me demandes ça à moi ? S’écria Phil en refermant la porte de la maison où ils s’étaient isolés. Tu ne trouves pas ça injuste ta promotion ? Alors que moi, qui suis ici depuis quinze longues années de plus que toi, n’ai rien !?
-Je n’y suis pour rien ! Lui jeta Neldirage à la figure.
-Si ! J’aurais dû avoir cette promotion ! C’est moi qui gérais ce fort, c’est moi qui ai entraîné les hommes !
-Je suis pas d’accord ! S’exclama Neldirage. Mon système d’entraînement est bien plus efficace que le tien ! Tous les hommes le disent !
-Ca ne change rien ! Dit-il, une fureur indescriptible sur le visage. Ce vieux croûton t’aimait trop ! Il te préférait à moi, il parlait sans cesse de toi ! J’aurais dû m’en débarrasser avant ! Il n’était plus bon à rien !
Neldirage resta dos à Phil. Il fixa le mur, immobile mais bouillant d’une haine terrible. Comment osait-il se comporter ainsi envers un homme qui avait pris soin d’eux ? Notre lieutenant serra les poings. Il pouvait sentir l’écho de son cœur au bout de ses doigts. Il serrait si fort que le sang n’arrivait plus à passer. Il desserra les poings et les resserra, machinalement. Sa mâchoire se crispa et il tourna un regard noir vers l’homme qui avait proféré ces insultes.
Phil ne trouva rien de mieux que de sourire, sourire de plaisir en voyant que ses provocations avaient marché. Neldirage perdit le contrôle de son corps. Son poing fusa à travers la maigre distance qui les séparait. Phil ne put même pas esquiver le coup, c’était même à se demander s’il le vit venir… L’homme s’effondra au sol puis gesticula au sol en se tenant le nez. Malgré le choc, il ne dit rien : Pas un cri, pas une remarque. Neldirage resta debout, le temps que sa rage s’évacue. Ensuite, il se dirigea vers la porte avant qu’il ne sorte, il jeta un regard en arrière. Il vit Phil qui s’était assis, il comprenait qu’il était allé trop loin.
-Neldirage… Je ne voulais…
Trop tard, notre homme avait déjà claqué la porte.
XXXIII
Le lendemain de cette altercation, Neldirage reçut l’architecte dans son nouveau bureau. L’homme rentra prudemment puis s’installa sur la chaise tout en gardant contre lui sa sacoche. Il semblait assez nerveux et stressé. Notre lieutenant chercha ses mots puis commença :
-Bon, votre premier projet sera d’aménager les grottes du versant ouest… Vous voyez où elles sont ?
L’homme enleva son monocle, le nettoya d’une main tremblante puis répondit :
-Oui… oui… J’en viens justement…
-Très bien, alors le projet consisterait à détruire le mur qui conduit sur notre fort pour dégager un accès. Faire une demi-grotte en quelque sorte.
-Je vois… fit l’architecte. Il faudra beaucoup de bois pour consolider la voûte et un endroit pour stocker la pierre !
-Je pensais que nous pourrions utiliser la pierre en trop pour faire de nouvelles demeures… Vous pensez que cela serait possible ?
-Ca dépend de quel aspect aurons les pierres que nous aurons détachées de la paroi ! Mais cela sera coûteux et nécessitera un temps élevé ainsi que de la main d’œuvre !
-Ne vous inquiétez pas, nous avons ce qu’il faut ! … Enfin j’espère, ajouta Neldirage pour lui.
-Bon et bien ce n’est pas insurmontable ! Je pense qu’en travaillant bien, nous pouvons finir ça d’ici un an !
Neldirage fit de gros yeux, il ne penserait pas que ça serait si long !
-Bon et bien, signons donc ce contrat ! Dit le lieutenant en tendant un papier à l’architecte.
L’homme ajouta sa signature au document puis se leva, salua Neldirage puis sortit. Quand il ouvrit la porte, le lieutenant put voir qu’un de ses hommes attendait sur le pas de la porte que l’entrevue soit terminée. Notre ami fronça les sourcils et invita le soldat à entrer. Après de brèves salutations, le militaire tendit une lettre qui venait d’arriver à Neldirage.
Si notre héros n’était pas assis, il se serait effondré au sol. Il regardait la lettre, le regard vide, comme si les mots qui étaient écrit n’étaient pas les bons. La lettre commençait bien et avait fait plaisir à Neldirage mais la suite s’était rapidement gâtée… Pourquoi ? Pourquoi maintenant ? Une larme commença à se former au coin de l’œil de notre lieutenant. Le soldat, voyant qu’il était en trop et qu’il ne pouvait rien faire, sortit discrètement de la pièce. Neldirage ferma les yeux, libérant ainsi la goutte qui eut pour loisir de dégringoler le long de sa joue et d’aller s’écraser au sol. Notre ami se replongea dans la lecture en espérant avoir mal lu.
Neldirage,
J’espère que tout va bien, nous, on a connu des jours meilleurs… En effet, Rob nous a quitté, emporté par le temps disent certains… Quoiqu’il en soit, nous l’enterons dans deux semaines, essaye d’être là. Ses funérailles auront lieu près de la capitale, nous comptons sur toi,
Ylanay
Neldirage sut exactement ce qu’il allait faire, il allait partir d’ici. D’ailleurs, son altercation avait vite été apprise et les gardes étaient désormais partagés entre le lieutenant et le sergent. La situation n’était donc plus possible et l’un d’eux était en trop. Notre lieutenant se décida à aller aux funérailles puis demander sa mutation en ville. Phil pourrait ainsi devenir commandant du fort et tout rentrerait dans l’ordre. Oui… Il sut que c’est ça qu’il avait à faire. Il était temps de revoir du pays et de ne plus rester dans ce trou perdu !
Neldirage cria le nom de Tom à travers la fenêtre. Celui-ci apparut moins d’une minute après. Notre lieutenant lui annonça son départ. Le soldat parut sincèrement touché… Notre ami espérait que ce sentiment ne se généraliserait pas, des hommes ayant perdu leur moral ne sont pas utiles pour un régiment. Neldirage lui promit qu’ils se reverraient et ce dernier sembla aller mieux.
-Va me faire seller une monture, je te laisse ma maison, prends-en soin !
-C’est trop d’honneur, lieutenant !
-Mais non, il faut bien que quelqu’un s’en occupe, non ?
L’homme eut un sourire gêné puis fit une accolade à Neldirage. Notre ami se permit un sourire, se détacha de l’homme puis sortit. Le lieutenant monta chez lui chercher ses affaires les plus importantes. Après un dernier regard vers une demeure qu’il n’avait jamais réellement apprécié, Neldirage descendit jusqu’à la cour principale. En chemin, il rencontra Phil.
-Alors comme ça, tu t’en vas ? Demanda le sergent.
-Tu as eu ce que tu voulais, non ? Maintenant, c’est toi qui dirigeras le fort…
Le sergent eut un regarde véritablement peiné. Neldirage l’ignora. C’était trop facile d’agir en ignorant les conséquences. Que cela lui serve de leçon. Le lieutenant continua son chemin en lançant à voix haute que les instructions se trouvaient dans le bureau.
Dans la cour, un magnifique étalon l’attendait ainsi que la moitié de la garnison. Emu, Neldirage eut du mal à retenir son émotion. Il monta sur l’animal et lui caressa l’encolure.
-C’est vraiment une belle bête, dit notre ami, vous êtes sûr que je peux la garder ?
-Allez-y, lieutenant, cette bête n’est pas faite pour la montagne ! Dit Franck.
-Merci… Merci beaucoup… Je ne vous oublierai pas ! On se reverra tous, je vous le promets ! En avant !
Neldirage croisa le regard d’un soldat. On voyait qu’il retenait ses sentiments. Notre lieutenant se mordit la lèvre et fit un mouvement de tête en se demandant, tout compte fait, si son départ n’était pas un peu précipité. Une sorte de retour en arrière frappa alors Neldirage. Il se revit, hésitant, le jour de son arrivée dans la salle commune. Il se remémora les moments partagés avec ces hommes, et amis. Leurs batailles, leurs rires, leur vie. Une sorte de désespoir au moins aussi fort que la joie de revoir ses quatre amis s’abattit soudain sur le lieutenant. Après un sourire vers ses soldats, il mit en route son cheval.
Le cheval traversa le fort puis passa sous les herses que les hommes venaient d’ouvrir. Neldirage ne put s’empêcher de ressentir une certaine peine en quittant ce lieu où il avait appris à grandir… Il serra plus fort les rênes de son animal et le força à accélérer l’allure. Notre lieutenant savait qu’il y avait une auberge sur le chemin et il aurait voulu y être avant la tombée de la nuit. On ne savait pas ce qui rôdait en forêt…
Ce n’est pas qu’il n’aurait pas su se défendre face à une bande de brigands mais… tout compte fait, il ne tenait pas à le vérifier. Il regarda quand même que son arc était à portée et que rien n’entraverait ses mouvements. Ensuite, Neldirage laissa sa monture suivre le sentier montagneux. Il finit par repenser à ses moments passés avec Rob. Ce vieux soldat toujours en train de râler… Il allait lui manquer. Personne pour leur dire de ralentir ! Cette pensée arracha un sourire à notre lieutenant.
Il se laissa donc porter par le calme de la journée. A chaque fois qu’il se mettait à penser à Rob ou à la garnison, c'est-à-dire toutes les deux minutes, Neldirage secouait la tête et se forçait à penser à autre chose. Le lieutenant se demanda quand même si toute sa vie, il chercherait à savoir s’il avait fait les bons choix. D’abord laisser ses amis partir seuls pour ensuite abandonner à leur tour les soldats pour qui il était resté. Il secoua la tête de nouveau, geste qu’il répétait inlassablement depuis le début du voyage, puis scruta la forêt à la recherche d’un quelconque divertissement.
Il finit par arriver sans encombre à la taverne qui bordait le seul chemin du coin. Cette dernière mesurait une quinzaine de mètres de long et comportait deux étages. Les murs étaient formés de pierre grise et coupés régulièrement par des poutres de bois. Une barrière encadrait également la propriété. Au niveau de l’entrée, un panneau de bienvenue flottait tristement dans le vent. Derrière cette bâtisse, on pouvait voir qu’une écurie avait été ajoutée. Le sol paraissait boueux et des pierres avaient été disposées de façon à le stabiliser. Neldirage passa devant l’entrée puis tourna quand la barrière le lui permit. Dans la cour de derrière, il y avait un garçon aux cheveux roux ébouriffés qui était assis sur le palier de la porte. Il avait l’air vraiment de s’ennuyer.
Le cheval de Neldirage renâcla ce qui attira l’attention du garçon. Il leva la tête et s’approcha en trottinant de notre lieutenant.
-C’est une belle bête que vous avez là ! Y s’appelle comment ?
Neldirage remarqua alors qu’il n’avait même pas pensé à donner un nom à sa monture…
-Je ne lui en ai pas donné… Avoua-t-il.
-C’est dommage ! Tu veux que j’lui en trouve un ?
-Pourquoi pas, dit Neldirage ! Il serait possible d’avoir le gîte et le couvert ce soir, gamin ?
-Je pense oui ! Il faudra voir avec papa et maman…
-Bien, alors j’y vais de ce pas ! Tu pourras nourrir mon cheval ?
-C’est compris dans le service, dit le gamin, enfin c’est comme ça que dit papa !
Neldirage rit de bon cœur et entra dans l’auberge. Il retira ses gants de cuir puis s’approcha du comptoir. En attendant que l’aubergiste s’occupe de lui, notre lieutenant jeta un regard sur la salle. A l’opposé du comptoir, il se trouvait une cheminée où mouraient lentement quelques bûches. Sur la gauche, Neldirage put voir l’escalier qui desservait le deuxième étage. Au milieu de la salle, il devait y avoir sept, voire huit tables. Pour l’instant, elles étaient inoccupées mais Neldirage ne doutait pas que cela viendrait en temps et en heure. Le sol venait d’être astiqué ce qui reflétait assez bien les quelques rayons qui parvenaient des ouvertures et des bougies. Les murs n’étaient guère décorés ce qui n’étonna point Neldirage. De la suie avait même commencé à se déposer sur les murs jouxtant la cheminée.
-Qu’est-ce que je peux bien faire pour votre service… Dit une voix derrière notre ami qui le força à se retourner. Hum… Lieutenant !
-Oui, en effet, acquiesça Neldirage. Le gamin dehors m’a dit que vous aviez de la place…
Neldirage regarda un instant l’aubergiste. Il avait les mêmes yeux et les mêmes cheveux que son fils. Un tablier qui sentait le poisson reposait sur son ventre et un petit couteau était pendu à sa ceinture. Une bouche pincée complétait le tout.
-Karl ? J’espère qu’il vous a pas trop embêté ! Une vraie tête de mule ce gamin !
-Non, non, ne vous inquiétez pas ! Le rassura Neldirage.
-Bon, ben sinon, on a de la place ! Avec cette invasion, toute la clientèle a déserté ! Toutes les chambres sont libres, vous pourrez choisir celle que vous voulez !
-Donnez-moi la première que vous avez… Dit notre lieutenant qui ne voulait pas faire de manière.
-Tenez, voici les clés… C’est celle au bout du couloir ! Vous pourrez pas vous tromper !
-D’accord, je vais y monter de ce pas ! Dit Neldirage qui slalomait déjà entre les tables.
-Descendez pas trop tard quand même ! Il y a beau avoir peu de monde dans la région, c’est vite complet !
-C’est noté ! Répondit Neldirage avant de disparaître à l’étage.
Chapitre XXXIV
Notre lieutenant dormait déjà depuis une bonne heure quand des voix, venues d’on ne sait où, le firent se réveiller en sursaut. Neldirage dégainat mais, quand il entendit que ces cris n’étaient rien d’autre que des rires, il se détendit et rangea son arme au fourreau. Ce devait être l’heure de manger… Ce lui fut confirmé par son ventre qui émit des gargouillis plaintifs. Notre lieutenant rejoignit alors les hommes attablés.
La salle était majoritairement remplie de paysans. Il y avait deux soldats, qui le saluèrent en reconnaissant son insigne, ainsi qu’un homme tout de noir vêtu. Nedlirage s’installa au comptoir, n’ayant pas de place assise dans la pièce. Le lieutenant commanda un repas après avoir eu la promesse de l’aubergiste que dès qu’une place se libérerait, il pourrait s’y installer. Au final, Neldirage finit son repas sans qu’un siège ne se dégage… Il décida de se commander une nouvelle bière alors que la fête allait de bon train.
Deux paysans particulièrement éméchés se mirent à danser sur une table et à chanter. Neldirage se demandait bien comment ils n’étaient pas encore tombés… Bien qu’ils aient une voix assez rauque, cela ne rendait pas trop mal. Si bien qu’au final, notre lieutenant et les hommes de la taverne tapèrent des mains pour rythmer la chanson. Cela se termina par un salut audacieux qui rata complètement. Après que la salle eut bien ri, ils rejoignirent leurs places.
La soirée se passa rapidement et malgré la bonne ambiance, Neldirage décida d’aller se coucher. L’euphorie et l’alcool commençant à prendre le dessus. Il devait partir tôt le lendemain et il voulait être en forme. Après avoir réglé sa note à l’aubergiste et lui avoir demandé de le réveiller, il partit dormir. Ses yeux se refermèrent rapidement et il s’endormit pour une douce nuit sans rêve.
Le soleil frappa à sa fenêtre en même temps que l’aubergiste à sa porte. Neldirage bailla puis s’étira un bon coup en bénissant la ponctualité du maître des lieux. Il enfila ses affaires puis rassembla le reste en vérifiant qu’il ne manquait rien. Il passa dans la pièce d’eau où le propriétaire avait laissé une bassine d’eau chaude. Le lieutenant se fit une toilette, qu’il trouva assez agréable, puis décida de partir sans plus tarder.
Neldirage descendit dans la salle principale où l’aubergiste était en train de nettoyer quelques verres. L’homme lui proposa bien un petit repas mais Neldirage n’était pas vraiment du matin… Il préféra donc partir du même mouvement. Il remercia l’homme pansu et prit la direction de l’écurie après avoir fermé la porte derrière lui. Neldirage disposa ses affaires sur la selle puis monta son étalon. Le petit garçon émergea d’une botte de paille.
-Et bien, gamin ! Que fais-tu là ? Tu lui as trouvé un nom ?
-Oui ! Eclair ! Parce que hier soir, il y a eu un orage !
-Ah bon ? Dit Neldirage. Je l’ai pas entendu !
-Tu d’vais être trop fatigué !
-Sûrement…
Notre lieutenant sortit une petite pièce de sa bourse et la tendit à l’enfant.
-Pour ton service, dit-il avec un clin d’œil, allez ! En avant Eclair !
Le cheval se mit au trot d’un pas léger, apparemment heureux de ce nouveau pseudonyme. En cette période, le soleil commençait à se faire de plus en plus présent. Aujourd’hui, un magnifique bleu emplissait le ciel et un soleil chaleureux réchauffait l’atmosphère. La journée s’annonçait chaude et Neldirage enleva sa pesante armure pour ne garder qu’une fine tunique.
Notre lieutenant traversa champs et forêts, plaines et rivières, monts et sentiers avant d’arriver enfin en vue de la Capitale. Joyau parmi les joyaux, perle de l’Empire, siège de toutes les institutions les plus puissantes et forteresse protégeant l’Empereur. Toutes les populations se mélangeaient, tous les individus : voleurs, marchands, paysans, soldats et bien d’autres. On pouvait tout y trouver : des armes, des hommes, des prostituées, des marchands et surtout la mort si on n’y prenait pas garde. La ville semblait imprenable avec ses épais remparts et sa population qui fourmillait à chaque coin de rue.
L’agitation qui régnait était comparable à celle qu’il avait connue lorsqu’ils, ses amis et lui, étaient de retour de leur permission. Neldirage se demandait comment passer lorsqu’une patrouille fit son apparition. Notre lieutenant décida de mettre sa monture au galop et de suivre le sillage de ces hommes. Le cheval partit dans une course folle qui força notre lieutenant à se baisser pour ne pas tomber. Il rejoint le groupe de soldats qui, eux, s’étaient mis au pas. Après quelques saluts, Neldirage se rangea à leurs côtés et franchit les remparts sans trop de problèmes.
Notre lieutenant les remercia puis se dirigea vers la garnison… Enfin c’est ce qu’il aurait fait s’il s’était rappelé où elle se trouvait. Après s’être renseigné, il prit la direction du fort. L’endroit n’avait guère changé, il semblait toujours aussi triste. Neldirage se présenta à la porte et ordonna qu’on le laisse passer. Quand les hommes, qui avaient commencé par rire en le reconnaissant virent son grade, ils le laissèrent passer au garde-à-vous. Un écuyer vint chercher son cheval mais Neldirage lui dit de seulement le surveiller car il allait vite revenir.
Son dos le brûla, la place où il se trouvait lui rappelait les coups de fouet qu’il avait dû supporter. Après s’être secoué et chassé ces mauvais souvenirs, il passa l’arche de pierre et entra dans la caserne. De mémoire, le bureau du commandant se trouvait après les escaliers, tout au fond du couloir. Il monta les marches pour voir que son esprit ne lui avait pas joué des tours et il se trouva devant la porte où l’on pouvait lire : Général Karstof. Neldirage toqua trois coups puis attendit une réponse… Qui ne vint pas. Il retoqua. A sa surprise la voix qui se fit entendre ne vint pas de derrière la porte mais de derrière lui.
-Vous cherchez quelqu’un, soldat ?
Neldirage fit face à son interlocuteur.
-Lieutenant Neldirage… Je souhaiterais parler au général Karstof.
-Je suis l’homme en question ! En quoi puis-je t’aider ?
Neldirage en fut étonné. Ses habits le faisaient passer pour un civil… Il venait peut-être d’un endroit où on ne devait pas le reconnaître, pensa le sergent.
-J’aimerais être muté en ville et que le fort, que je protégeais, se voie octroyer un remplaçant.
L’homme plissa des yeux et dit :
-Rentrons dans mon bureau et parlons-en. Ce n’est pas une mince affaire.
Le général le dépassa puis sortit de sa veste un trousseau de clés. Son regard était dur mais souligné de sagesse. Même de dos, on devinait la masse de muscles qui se cachait sous les replis de ses vêtements. Une longue épée traînait pratiquement jusqu’au sol. C’étaient les seules protections que l’homme portait dans le fort. Neldirage, à sa place, n’aurait jamais eu sa confiance et porterait toujours une armure, même légère.
Le général Karstof poussa la porte et invita Neldirage à entrer. La pièce était vraiment grande. Notre lieutenant n’en croyait pas ses yeux. Elle aurait pu servir de salle de réception tellement elle était vaste. Il vit une table massive qui remplissait le milieu de la pièce. Elle devait mesurer dix pieds de long sur deux fois moins de large. Dessus, il y avait un véritablement enchevêtrement de cartes, de pions et de bouts de bois qui semblaient pouvoir déplacer ces pièces. Neldirage put voir une carte où était inscrit le nom d’un autre royaume humain. En fait, Neldirage comprit qu’elle servait plutôt de salle de réunion.
-Bien… Donc vous voulez être muté ? Pourquoi ça ?
-Et bien… Dit Neldirage en cherchant ses mots. En fait, les hommes étaient partagés entre moi et un collègue. La situation ne pouvant plus durer, j’ai préféré partir.
-Comment ça ?
Notre ami soupira et décida de lui raconter toute l’histoire. Le général lui répondit après avoir écouté attentivement son récit.
-D’accord… Quel est ton nom déjà ?
-Neldirage.
-D’accord, Neldirage, je trouve que c’est une bonne décision. Quel grade occupe déjà ce deuxième homme ?
-Il est sergent.
-Ah oui… Je ne pense pas le promouvoir. Nous avons assez de lieutenants comme ça. Où se situe le fort que tu commandais ?
Neldirage était sûr que le nom de Long-Col ne lui dirait rien et il préféra plutôt le décrire.
-C’est celui par lequel un groupe d’orcs à réussi à passer…
-Ah ! Je vois ! Les derniers combats ont été rudes… Je crois que l’armée du capitaine Van Hoff se bat toujours là-bas.
Neldirage tiqua. Cela voulait dire que ses amis étaient peut-être repartis au front.
-Comment ont-ils pu réussir à passer un fort avec cinq cent individus, Neldirage ?
-Nos informations se sont révélées fausses. Nous pensions que nous allions devoir affronter l’armée. Quand nous avons su que non, il était trop tard pour aller chercher le reste des hommes.
-Pensiez-vous que vous auriez pu triompher ?
-Gagner, je ne sais pas ! Mais nous aurions pu tenir la place !
-Bien alors vous m’encouragez dans ma décision… Je ne nominerai pas de lieutenant. J’enverrai un de mes sergents compléter l’effectif.
-Pour ce qui est de ton sort, Neldirage, tu as de la chance… Un de mes lieutenants, en charge du quartier nord-ouest, vient de prendre sa retraite. Tu prendras donc sa place et seras sous mes ordres. Tu seras aussi assisté par un sergent assez compétent.
-Bien, général…
-Vous pouvez disposer… Vous commencez votre travail dans une semaine. Soyez présent au quartier général du secteur pour avoir vos affectations.
Neldirage se leva puis, après une poignée de main avec le général, sortit. Notre lieutenant se demanda comment retrouver ses amis dans cette population si jamais ils n’étaient pas repartis. Ce qui était possible car il y avait quand même l’enterrement… Il réfléchit quelques instants avant d’aller au seul lieu où le cadavre de Rob pouvait être conservé. C’était une salle plus froide que la normale qui se trouvait sous terre. D’après les renseignements qu’il avait, cette salle serait près du cimetière. Neldirage traversa la ville sur son cheval. A certains moments, la tâche devenait ardue mais il réussissait à se dégager des gens et à reprendre sa route. Notre lieutenant fut gêné par la foule et dut finalement mettre pied à terre. Il s’étonna à aimer autre chose qu’une ville paisible. Il finit rapidement par arriver au cimetière. Il était facilement reconnaissable aux hauts murs qui l’entouraient ainsi qu’aux grilles en fer les plus résistantes qui furent jamais créées.
En interrogant un garde, Neldirage apprit que l’endroit s’animait la nuit et qu’il devait prendre toutes ces mesures de protections pour éviter que quelque chose de maléfique ne s’échappe de là… Notre lieutenant eut un frisson en imaginant ce que pouvait abriter ce lieu… Il se détourna et entra dans le bâtiment qui jouxtait le cimetière.
Chapitre XXXV
Neldirage poussa une porte vitrée et arriva dans un petit vestibule où il y avait un seul bureau. Sur ce dernier, un scribe chétif grattait un morceau de papier.
-Le Doc est pas là ! Repassez plus tard.
-Lieutenant Neldirage, je viens pour un corps.
L’homme releva la tête devant cette voix autoritaire.
-Je vois, comment s’appelle cette personne ?
-Rob…
-Ah oui, je vois ! Il va être inhumé demain m’ont dit ses camarades tout à l’heure !
-Vous savez où ils sont ?
-Euh, oui, il me semble… Ils n’ont rien fait de mal ?
-Non, non ! Je suis un ami !
-Bien, ils sont dans une auberge du centre ville L’échoppe du bras cassé. Juste à côté de l’école de magie. Suivez la grande tour !
-Merci beaucoup ! Il serait possible de voir le défunt ?
-Tant que le Doc est pas là, non… Mais comme vous m’êtes sympathique, faisons-le en vitesse !
L’homme se leva et Neldirage le suivit. Ils descendirent une volée de marches et l’homme ouvrit une porte métallique. Après quelques pas, le lieutenant put sentir que l’air se faisait plus froid et plus mordant. Devant sa mine surprise et voyant qu’il avait des frissons, le croque-mort lui annonça qu’ils étaient en dessous du cimetière. Neldirage jeta un regard circonspect vers la voûte comme s’il s’attendait à en voir émerger quelque chose.
-Le voici ! Dit-il en montrant un brancard recouvert d’un drap blanc.
Notre lieutenant s’en approcha et souleva le voile. Il resta un instant immobile. Il semblait si paisible… Malgré son âge, il n’avait pas changé. Toujours ces rides qui barraient son front, toujours ces mains calleuses qu’on avait rabattues sur son épée. Il était habillé d’un rouge sang. Cela contrastait avec la pâleur, presque bleue, de son visage. Neldirage ne put empêcher une larme de couler le long de sa joue. Ses yeux étaient fermés et sa bouche formait une moue inexpressive mais on pouvait voir qu’il était mort serein. Cette dernière ne l’avait pas surpris et il l’avait accueillie avec courage. Neldirage espéra que quand ça serait son tour, il pourrait en faire autant.
Notre lieutenant chassa ses mauvaises pensées et rabattit le drap par-dessus le corps. Les deux hommes sortirent de la salle en laissant les cadavres reposer en paix. Neldirage ne perdit pas son temps et alla, en ce milieu d’après-midi, directement à l’auberge revoir ses amis. Notre lieutenant était un peu stressé car il ne savait pas comment cela se passerait entre eux. Il fallait aussi, pour commencer, qu’il trouve un endroit pour son cheval, Eclair.
Après avoir fait plusieurs fois le tour du bloc de maisons, Neldirage trouva un maréchal-ferrant qui accepta de garder son animal contre une certaine somme chaque mois. Celle-ci n’était pas exorbitante et en plus, l’homme proposait de s’occuper d’Eclair. Neldirage laissa donc sa monture entre de bonnes mains et prit la direction de l’auberge qui se trouvait non loin de là. Après avoir remis son baluchon correctement sur son épaule, avoir enlevé la poussière qui traînait sur ses habits et adopté une allure à peu près acceptable, notre lieutenant traversa la rue et gagna la porte de la taverne.
Il prit sa respiration et poussa la porte. A son entrée, personne ne se retourna. Un brouhaha général emplissait la salle et les conversations semblaient plus passionnantes que l’arrivée d’un lieutenant dans la salle. Van leva des yeux vers Neldirage mais ne sembla pas le reconnaître. Ils ne s’étaient pas quittés si longtemps mais le temps qu’il avait passé là-bas l’avait fait mûrir… Aussi bien physiquement que moralement. Neldirage s’approcha de la table et s’arrêta juste derrière Ylanay et Pierre qui semblaient déjà bien éméchés.
-Soldats ! Garde-à-vous ! Dit Neldirage d’un ton sec mais sourire aux lèvres.
Les hommes semblèrent dessoûlés et ils se retournèrent, debout, face au lieutenant.
-Oui, monsieur ! Dirent-ils à l’unisson sans chercher à reconnaître le visage qui leur faisait face.
-Neldirage ? Dit Ylanay en plissant les yeux.
Notre ami se contenta de répondre par un grand sourire.
-Neldirage ! Continua Ylanay en le prenant dans ses bras tandis que les autres remarquaient de plus en plus les traits qui le caractérisaient autrefois.
-Que deviens-tu, fripouille ? Dit Pierre.
-On dirait que Monsieur a pris du grade pendant notre absence !
-Le lieutenant va nous raconter tout ça autour d’une chopine ! Patron, quatre bières par ici ! Hurla-t-il à l’adresse de l’homme.
S’ensuivit une longue discussion durant laquelle Neldirage leur raconta tout depuis leur départ. La bataille avec les gobelins, ses entraînements, l’invasion des orcs et enfin, sa promotion. Ensuite, les trois hommes se relayèrent et complétèrent leur histoire. Ils avaient visité beaucoup du pays, ils avaient purgé des forêts puis patrouillèrent au nord. Rien de bien important… On ne semblait pas les vouloir dans le coin. Des soldats précédemment exilés ne prouvaient pas leur valeur facilement. Ensuite, ils avaient été recrutés pour aller se battre pour contrer l’invasion des orcs qui menaçaient l’Empire. Ils avaient été réintroduits dans l’armée et après une bataille qui vit de nombreux morts, ils avaient été renvoyés en ville. Rob disparut pendant une nuit, ils convoyèrent son corps jusque dans la capitale où ils décidèrent de l’enterrer.
Pendant le reste de la soirée, les amis discutèrent avenir et du nouveau poste de Neldirage. Celui-ci décida même de recruter ses amis pour qu’ils puissent rester ensemble. Cela provoqua une euphorie et ils servirent une tournée générale. Ils s’arrêtèrent avant d’être trop ivres et de faire les mêmes erreurs que la dernière fois. Ils allèrent tous se coucher, Neldirage dormant avec eux, il restait une place…
Les trois soldats firent une visite complète de la ville au lieutenant. Cela leur prit la semaine entière mais Neldirage assimila bien vite. En passant devant le maréchal-ferrant, notre ami décida de montrer sa monture à ses camarades…
-Messieurs, je vous présente Eclair ! Dit-il en montrant le cheval dans son box.
-Whao, c’est une très belle bête ! Avoua Van.
-Tu l’as payé combien ? Dit Pierre qui vint caresser l’encolure de l’animal qui avait compris qu’on parlait de lui.
-On me l’a donné ! Annonça fièrement Neldirage.
-Sacré cadeau ! Dit Ylanay.
-Bon allons-y, rentrons à l’auberge, notre service commence demain ! Dit Neldirage qui ne voulait pas trop s’attarder.
-Tu veux pas qu’on sorte ce soir ? Demanda Pierre.
-Non, soldat… Dit-il avec un clin d’œil. La rigueur sera notre raison d’être. Alors au lit tout le monde !
-Et bien… Ca commence bien ! Dit Van en pouffant.
Les quatre amis discutèrent de leur future tâche en rentrant.
-On devra s’occuper de quel secteur déjà ? Demanda Ylanay.
-Le nord-ouest, répondit Pierre à la place de Neldirage qui hocha la tête.
-Oh non, maugréa Van, on devra surveiller ce cimetière maudit !
Neldirage se remémora cette grille d’un acier froid, ces statues qui jonchaient les piliers, cette brume omniprésente qui tapissait le sol du lieu… Non, notre ami n’était pas content d’avoir cet endroit sous sa protection.
-On raconte que les morts se relèvent la nuit… Dit Pierre, peu rassuré.
-Allons, ce ne sont que des fabulations de grand-mère ! Dit Ylanay.
-En tout cas, les disparitions, elles, sont réelles. Ajouta Van.
-Les disparitions ? Demanda Neldirage.
-Oui, dit Ylanay, soi-disant que des gardes auraient disparu pour subir des expériences d’hommes ténébreux… Déserteurs plutôt !
Le débat continua jusqu’à leur chambre et même après qu’ils eurent soufflé les bougies. Au final, les deux avis se valurent…C’est seulement en jugeant par eux-mêmes que les quatre compagnons se décidèrent à se faire un avis définitif. Le sommeil fut plein de cauchemars et c’est d’une humeur massacrante que les compagnons se levèrent et prirent la direction du quartier général du secteur nord-ouest.
Chapitre XXXVI
Le bâtiment du quartier général formait le coin d’une rue. Il était orienté face à la rue du palais royal bien qu’il en était considérablement éloigné. Neldirage observa un moment les drapeaux blancs et bleus qui flottaient au-dessus de la bâtisse en se demandant si cela serait ses prochaines couleurs. Pierre entra en premier dans l’édifice, immédiatement rejoint par ses autres amis.
Il avait beau être très tôt dans la matinée, Neldirage fut impressionné par le nombre de personnes qui grouillait dans le lieu. Des déclarations de vol, des arrestations, des plaintes… Toutes ces personnes venaient ici dans le but que les soldats puissent faire quelque chose pour eux.
-Vous devez être le lieutenant Neldirage ? Dit un homme moustachu en venant à sa rencontre.
-C’est exact… Répondit Neldirage en se demandant si on l’avait précédemment décrit.
-Qui sont ces hommes ?
-De nouveaux soldats en qui j’ai toute confiance, sergent… ?
-Fertan, à votre service ! Il était temps que vous arriviez, nous sommes débordés !
-Mais je ne sais pas grand-chose sur mon travail…
-Je sais, dit le sergent Fertan, je vais vous aider.
Un homme fit irruption dans la salle.
-Une bagarre… Il reprit sa respiration.
En un regard, les trois amis comprirent que Neldirage leur confiait une mission.
-Sergent, complétez leur effectif avec des hommes habitués.
Pendant ce temps, les trois amis partaient déjà sur la trace du témoin pour qu’il les conduise jusqu’à la taverne. Neldirage quant à lui, fut installé dans son bureau en compagnie du sergent qui lui expliqua les recours qu’il pouvait utiliser dans les différentes situations. Ils avaient à peine réglé deux cas que notre lieutenant entendit un véritable raffut provenir de l’entrée. Fertan et Neldirage se levèrent et laissèrent le paysan et son problème de maison pour aller voir ce que ça signifiait.
Notre lieutenant put voir que la milice était de retour avec les fauteurs de trouble. Ses trois amis étaient salement amochés et étaient couverts d’hématomes.
-Que s’est-il passé ? Demanda Neldirage. Avec ce nombre de soldats vous n’avez pas réussi à les arrêter ?
-On a pas attendu les renforts ! Dit Van en essuyant le sang qui coulait de sa lèvre.
-Quelle bande de malades vous faites donc ! Dit Neldirage.
-En fait, y en avait surtout un balèze ! Annonça Ylanay qui avait un œil poché.
-Et on l’a bien latté le rustre ! Dit fièrement Pierre.
-Mettez-moi ça au trou ! Dit Neldirage aux autres soldats. Et vous, allez-vous faire examiner… C’est un ordre ! Dit-il pour évitez toute contestation.
Fertan rappela à Neldirage qu’ils avaient des affaires à régler et ils remontèrent dans le bureau pour régler cette histoire de maison. Les affaires lui prirent toute la journée. Notre lieutenant était vraiment fatigué et il reporta les requêtes restantes au lendemain. La nuit avait déjà posé son voile depuis une heure et ses amis étaient retournés à l’auberge. Neldirage rentra donc dans le froid et la solitude jusqu’à la bâtisse.
Quelle vie ! Se dit-il. En acceptant ce boulot, notre ami avait pensé à un métier de terrain… Mais à priori, ils allaient passer plus de temps dans son bureau qu’autre part. Demain, il devrait signer des papiers d’arrestations et recevoir un marchand oriental pour une vente d’armes. Rien de bien palpitant… Neldirage rentra dans la taverne et s’attabla à la table de ses compagnons avec un grand soupir.
-Chiant, hein ? Demanda Pierre.
-Tu m’étonnes ! Répondit Neldirage. Le temps passe vite mais j’ai l’impression de ne rien faire. Ca va vous en fait ?
-On guérit ! Dit Ylanay. On va faire quoi demain ?
-Rien de particulier, je pense que vous irez patrouiller…
-D’accord, dit Van. Tant qu’on ne s’approche pas du cimetière !
-En parlant de ça, dès que les affaires en retard auront été réglées, nous irons ensemble voir de quoi il retourne.
-Il ne faut pas te sentir obligé… Dit Pierre. J’ai parlé avec des soldats et tous prétendent avoir vu du monde la nuit.
-Je m’occuperai aussi de cette affaire le plus vite possible ! Bon sinon, que racontez-vous, demanda Neldirage à ses amis.
-Ben rien de spécial, dit Van, je me ferai bien la petite serveuse là-bas.
Les compagnons se retournèrent à l’unisson.
-Mais quelle discrétion, dit Van en baissant la tête, elle nous a repéré maintenant ! C’est fichu !
Les autres rirent.
-Demain, on l’enterre à quelle heure ? Demanda Neldirage.
Cette déclaration effaça les derniers sourires qui s’étaient affichés sur leur visage.
-A dix heures, dit Ylanay, au cimetière militaire, au-dehors de la ville.
-Bien, continua Neldirage, j’ai des affaires à régler à la caserne avant, je vous rejoindrai là-bas.
-Fais gaffe à pas trop devenir un gratte-papier ! Dit Pierre avec un clin d’œil.
Neldirage rit à cette remarque mais espéra sincèrement de ne jamais en devenir un. Il avait assez d’exemples d’hommes à qui il ne voulait pas ressembler. Van se leva de table, ce qui ramena notre lieutenant à la réalité. Il se dirigea vers la serveuse et lui glissa un petit mot à l’oreille. Elle rougit jusqu’à la racine des cheveux et Van vint se rasseoir.
-Alors ? Alors ? Demanda Pierre.
-C’est bon, rit-il distraitement, je crois que j’ai assuré…
-Quel homme ! Dit Neldirage en voyant la demoiselle qui jetait désormais plein de regards en direction de leur table.
-Tout parait si facile quand tu le fais… Dit Ylanay avec une pointe de jalousie.
-Ah.. Les gars ! Je vous expliquerai ! Mais il vous manque un peu de beauté pour ça ! Se moqua-t-il avec un clin d’œil.
-Les gars, on le défigure maintenant ou on attend un peu ? Demanda Pierre à l’adresse de ses amis.
Les quatre compagnons partirent dans un fou rire. C’est ça qu’il avait manqué à Neldirage ces dernières années. La présence de ses amis. Maintenant, il pouvait profiter enfin de sa situation. En fin de soirée, Van finit par rejoindre la serveuse tandis que les trois autres amis filèrent se coucher. Alors qu’ils étaient tous couchés depuis une demi-heure, Pierre dit :
-J’aimerais bien être à la place de Van…
-Oh, on se calme ! Dit Neldirage en rigolant.
Notre lieutenant se retourna dans sa couche et rabattit le drap par-dessus son corps. Lui aussi il se demandait si l’amour frapperait un jour à sa porte. Neldirage n’était pas pressé, il n’avait jamais été amoureux… Tant mieux se dit-il pour se rassurer, c’était des ennuis en moins. De plus, avoir une famille s’était s’exposer à des menaces. Non, pour l’instant, Neldirage ne voulait rien de sérieux… mais profiter comme le faisait Van ce moment.
Il était encore jeune, il avait temps de voir venir. Ses pensées firent vite remplacées par le programme du lendemain. Ensuite, il pensa à ce mystérieux cimetière avant de s’endormir, paradoxalement, paisiblement.
SUITE
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