Voici la dernière suite avant mercredi ! Regalez-vous, ca bouge !
Chapitre XVIII
Après une nouvelle semaine de marche, ils arrivèrent en vue des montagnes. Il n’y avait eu aucun accident pour l’instant. Les amis s’en sortaient donc bien.
-Où va-t-on ensuite ? Demanda Neldirage au lieutenant.
-On va là-haut ! Dit-il avec un mouvement de tête en direction des plus hautes cimes.
Neldirage, qui était déjà bien impressionné par la hauteur des montagnes, se demandait bien comment ils allaient pouvoir faire. Il chercha une réponse sur le visage des soldats qui gardaient les prisonniers mais il ne vit toujours rien car ils gardaient constamment leur casque. Neldirage ralentit donc la marche pour revenir se placer aux côtés de ses amis.
-Et si on se barrait ? Proposa Van.
-Ca ne sert à rien, dit Rob, je n’ai pas envie de devoir me retourner toute ma vie.
-Si on les tuait ? Proposa Ylanay.
-Quoi ? Dirent les autres en cœur.
-Mais oui ! Regardez, ça fait déjà quelques jours que j’y pense … Si les gardes et le lieutenant venaient à mourir, qui pourrait dire que nous nous sommes enfuis ?
-Et que fais-tu des prisonniers ? Demanda Van.
-Ils se joindraient à nous… Leur liberté contre leur silence… C’est à ça que tu pensais ? Demanda Neldirage.
Ylanay hocha la tête.
-Je pourrais pas… dit à contre cœur Rob, ça se trouve, ces hommes n’ont pas demandé à être ici !
-On s’en fout ! Dit Van, qui s’était rangé aux côtés de Ylanay. On ne les connaît pas ! On n’a pas parlé une seule fois en une semaine de voyage ! Ils causent qu’entre eux ! Même toi, Neldirage, tu t’es fait refoulé quand tu as essayé de parler avec eux. C’est des gros cons ! C’est ce qu’il faut se dire.
-Je sais pas si c’est une raison suffisante… Dit Neldirage en pensant tout de même qu’il n’avait pas tout à fait tort.
-Je n’irai pas à l’abattoir sans rien faire ! Lança Pierre en se rangeant au côté de ses amis.
-Nous non plus ! Dirent les quatre soldats qui avaient compris de quoi il se tramait.
-A la majorité, nous agirons donc ainsi ! Dit Ylanay. Je m’occupe de prévenir les prisonniers…
Neldirage, un peu surpris de la tournure des évènements, réfléchissait à toute vitesse. Soudain, une idée lui vint.
-J’ai une meilleure idée ! Dit notre ami avec un grand sourire.
-Je n’aime pas quand tu fais cette tête, dit Rob.
-Ma solution est meilleure parce qu’il n’y aura pas de morts. En plus, le lieutenant à l’air de bien nous aimer… J’ai pas envie de lui faire du mal. Il m’a dit pourquoi il était là… Comme nous : Embarqué de force.
-Bah vas-y, dit la ta solution alors … Dit Ylanay. Je maintiens quand même que ma solution nous facilitera la tâche.
-Si on se débrouillait pour que les esclaves prennent les choses en mains ?
-Ce n’est pas possible, dit Pierre en secouant la tête, ils sont désarmés et enchaînés…
-Les armes ne sont pas un problème, il y a vingt lames ici, pour autant de prisonniers. Il suffit de voler celle des soldats !
-Il suffit ? Dit avec un rire jaune Ylanay. On dirait que leur épée est leur vie ! Ils ne la lâchent jamais !
-Ce sont des hommes, dit Neldirage, il faut bien qu’ils dorment… Nous avons juste à proposer au lieutenant de les remplacer juste une nuit.
-Pour les clés ? Demanda Rob.
-Pierre pourra les voler au lieutenant !
-Et les esclaves ? Demanda Ylanay qui commençait à aimer ce plan.
-On a qu’à leur passer un message !
-Moi ça me va ! Dit Van avec enthousiasme. Mais les prisonniers risquent d’exécuter les autres gardes, non ?
-Oui, répondit Neldirage, c’est un risque à courir… De toute, nous ne sommes pas concernés alors tant pis pour les dommages collatéraux…
-On commence quand ? Demanda Ylanay.
-Commençons à tout préparer dès demain et nous agirons dès que nous nous serons enfoncés dans les montagnes. Il faudrait que les soldats passent de très mauvaises nuits aussi, dit Neldirage avec un clin d’œil.
-Si jamais on y arrive pas, on les tue ! Répéta Ylanay.
Tous acquiescèrent, même Neldirage.
La semaine suivante fut donc assez éprouvante pour la petite troupe. Les nuits furent agitées de bruits bizarres : des cris, des bruits d’animaux, des chutes de pierres. Les soldats étaient constamment sur le pied de guerre. En attendant, Neldirage et ses amis avaient discrètement réussi à glisser un message aux prisonniers. Pendant la nuit, ils se mirent donc en cercle, et comme il en avait convenu, ils toussèrent ensemble pour signifier leur accord.
Le lendemain était donc le jour où ils devaient passer à l’action. Ils marchaient depuis plusieurs jours dans les chemins étroits et sinueux de la montagne. Les gardes traînaient les pieds et nos amis tentaient tant bien que mal de cacher leur excitation. Neldirage longea la colonne d’hommes, en évitant de tomber dans le précipice, et se mit à marcher aux côtés du lieutenant.
-Vos hommes ont l’air épuisé… Nota notre ami.
-Ils le sont, il se passe des choses étranges la nuit… J’espère que vous y êtes pour rien…! Se permit de dire le lieutenant.
-Je peux vous assurer que non ! Dit Neldirage. Pour vous prouver ma bonne foi, je vous propose que mes amis et moi montions la garde cette nuit.
-Vous êtes des braves gars ! Dit le vieux type avec un clin d’oeil. Je sais bien qu’on vous a envoyés ici pour guider ces prisonniers vers la mort ! Pour vous faire une confidence…. Le général m’a dit que s’il vous arrivait un accident, ça serait pas grave.
-Pourquoi m’avez-vous avoué ça ? Demanda Neldirage, surpris.
-A vrai dire, je lui en veux de m’avoir confié le commandement de cette mission… Ce n’est qu’une revanche.
-Vous n’avez pas peur que je le répète ?
-Non, parce que les autres en feraient rien ! Etre soldat s’est s’exposer à ce genre de risques. Mais dis-moi au juste, pourquoi vous feriez cette corvée ?
-Pour vous prouver qu’on n’est pas si terrible que ça !
-Alors ça marche ! Accepta l’homme directement, trop content de se débarrasser d’une partie de ses hommes de cette tare. En effet, il laissa quand même deux hommes en surveillance.
Neldirage, fier de son quasi-succès, alla prévenir ses amis de la bonne nouvelle. Il fut décidé de neutraliser les deux gardes ou de les tuer s’ils devaient en arriver là. Ils venaient de passer une partie déterminante mais pas la plus dure… Ils continuèrent donc à marcher jusqu’à ce que la nuit vienne les recouvrir de son voile. Comme d’habitude, tout le monde mangea en silence puis Neldirage et ses hommes se mirent en position pendant que les prisonniers faisaient semblant de se mettre à dormir. Comme convenu, lorsque la lune commença sa phase descendante, les amis revinrent au campement.
Celui-ci était situé dans une grotte dont on pouvait facilement tenir la position. Les soldats dormaient à poings fermés sauf les deux en surveillance. Après tant de nuit agitée, ils avaient besoin de se reposer. Les gardes discutaient de dos et ils ne virent pas fondre sur eux les cinq amis. L’un d’eux mourut du coup qu’il reçut dernière la nuque. Personne ne savait qui avait fait ça et ils jetèrent le corps dans le vide. Neldirage apporta donc son épée ainsi que celle de ses compagnons aux prisonniers qui s’étaient mis debout. Pierre quant à lui, s’était occupé de voler la clé quelques heures auparavant et maintenant, il récupérait les épées des soldats. Une fois que tout fut mis en place, les cinq compagnons ainsi que les quatre bannis se mirent à genoux les mains sur la tête, face contre le mur.
Les prisonniers allèrent réveiller les soldats qui dormaient. Ils se réveillèrent en sursaut mais se calmèrent bien vite lorsqu’ils virent la situation.
-Qu’attendez-vous de nous ? Demanda le lieutenant, peu rassuré.
-Que vous partiez contre la promesse que jamais vous nous pourchassiez.
Le gradé, heureux de voir qu’il allait vivre, hocha la tête.
-Et ceux-là ? Demanda l’homme en montrant Neldirage et ses amis.
-Ils restent avec nous… Ils ont résisté et seront donc punis ! Vous direz aux fous qui viendront nous affronter ce qui les attend ! Dit le chef des prisonniers.
-Maintenant partez ! Ordonna l’ancien enchaîné.
Les geôliers ne se firent pas prier et détalèrent après avoir laissé leur équipement au grand complet mais ramassèrent leur ami qui gisait à l’entrée. Malgré les menaces du prisonnier, ils comptaient bien revenir.
-Bien joué, dit Van en se relevant, vous… Il arrêta de bouger quand il sentit la pointe d’une épée caresser le bas de son dos.
-Restez donc un peu en place ! Dit le chef de la rébellion.
-C’est comme ça qu’on remercie ses sauveurs ? Demanda Neldirage.
L’homme se pencha de façon que sa tête vienne se caler contre celle de Neldirage.
-Oui…
Des coups d’épée envoyèrent le groupe de soldats dans l’inconscience.
Neldirage se réveilla avec un sacré mal au crâne. Il prit appui sur ses deux mains pour se relever. Il essuya la terre qui barbouillait son visage et se retourna pour évaluer la situation. Des prisonniers réveillaient un par un tous ceux qui étaient assommés.
-Que s’est-il passé ? Demanda Neldirage.
-Rotry, l’homme qui vous a mis dans cet état, est parti, ne vous inquiétez pas.
-Que… Que faîtes-vous encore là ? Demanda Rob en se touchant l’arrière crâne.
-Tous n’étaient pas d’accord avec le traitement qu’il vous avait fait subir. En fait, si vous nous connaissiez bien, vous auriez vu que les gens qui restent ici sont les condamnés innocents.
-Que voulez-vous dire ? Demanda Neldirage qui ne comprenait pas trop.
-Nous quatre, nous ne sommes pas coupables de ce que nous avons été accusé. Il y en a deux autres aussi mais ils ont préféré tenter leur chance avec Rotry.
Neldirage n’avait aucun moyen de savoir si ce que disait l’homme était juste mais il avait au moins le mérité d’être resté après le départ des vrais condamnés.
-Comment allez-vous tous là-dedans ? Dit Ylanay quand il eut repris conscience.
-Pourquoi même dans un piteux état, tu continues à dire n’importe quoi Ylanay, demanda Van en rigolant.
Neldirage vit avec plaisir que ses amis allaient bien.
-Comment on va faire sans nos armes ? Demanda Rob.
Le prisonnier à qui Neldirage avait parlé, prit la peine d’intervenir.
-Ils ont laissé deux épées mais ont gardé tout le reste. Il m’a dit de te dire que vous étiez quittes maintenant. Et qu’il ne fallait pas que vous tentiez de les suivre ! Il a conseillé que vous traversiez les montagnes par l’est et fuir le plus loin possible. Si vous vous lanciez quand même à leur poursuite, il m’a dit de vous dire que vous étiez en infériorité numérique et que les prouesses martiales se valaient dans les deux camps.
Neldirage ne vit pas la chose de cette manière mais pour l’instant, il n’était guère en état de réfléchir. Les neuf soldats se mirent debout et Neldirage et Rob récupérèrent les deux épées.
-Que faisons-nous maintenant ? Demanda un des quatre soldats bannis.
-Le lieutenant parlait d’un fortin non loin, dit l’un des prisonniers.
Devant le regard accusateur de Pierre, il crut bon d’ajouter :
-Je l’ai surpris en train de parler avec un garde… Il doit se trouver à quelques heures de marche d’ici car nous devions nous y arrêter demain midi.
-Merde ! S’exclama Neldirage, si c’est vrai, cela veut dire que les autres soldats s’y sont forcement réfugiés et qu’ils vont revenir avec des renforts.
-Exact … Dit Ylanay. On devra donc éviter le sentier principal et plus longer les crêtes, non ?
-Bonne idée, dit Van ! Tant pis pour les menaces des prisonniers !
-Oui, si les autorités remarquent qu’on est pas mort… Dit Neldirage avant de sortir de la grotte.
Chapitre XIX
La petite troupe sortit de la caverne et commença une escalade périlleuse. Par sécurité, tout le monde était enchaîné avec ce qui retenait précédemment les condamnés. Une fois qu’ils eurent pris plus de hauteur, ils suivirent une minuscule corniche. La troupe avança ainsi, en risquant à tout instant sa vie. Heureusement pour eux, il n’y eut qu’une chute mais l’homme fut retenu par les chaînes qui le reliaient aux autres.
Deux heures seulement après, Pierre, tout juste promu archer du groupe avec Ylanay depuis que le sergent n’était plus avec eux et disposant de la meilleure vue, fit s’arrêter la colonne. Il leva le poing puis fit un signe à ses compagnons. Ce langage des signes, Neldirage l’avait appris dès qu’il était entré dans l’armée. Pierre avait ordonné l’arrêt pendant qu’il allait voir quelque chose. Il revint deux minutes plus tard, essoufflé de son escalade.
-Les gars, ça s’est battu en bas ! Il y a du sang plein la chaussée et j’ai récupéré deux épées.
-Donne-les aux autres, on ne doit plus être loin du fortin, ajouta Neldirage négligement.
-Bravo le plan sans mort… Ironisa Van.
-Ta gueule un peu… Lui rétorqua Pierre en lui lançant un caillou.
-Qu’avait prévu de faire Rotry après ? Demanda Neldirage au chef des prisonniers restants.
-Il voulait tuer les soldats à qui vous aviez donné la liberté… Il a dit que s’il avait fait ça plus tôt, vous auriez agi et contrecarré le plan…
Neldirage déduisit qu’il était fort possible que les condamnés aient rattrapé leurs gardiens. En étudiant la place, notre ami vit qu’il était probable que les gardes se soient mis en embuscade à la place même où Neldirage et ses compagnons se trouvaient et qu’ils aient abattu, avec l’aide de rochers, leurs poursuivants. Ensuite, les hommes, sûrement touchés à la tête, étaient tombés dans le vide. La situation avait vite évoluer et les prisonniers avaient dû monter à l’assaut, comme le prouvaient toutes ces empreintes de pas que Neldirage vit enfin. Maintenant, les gardiens étaient soit morts, soit prisonniers mais si Rotry savait qu’il y avait un fortin non loin, il allait sûrement échanger la vie des otages contre de l’or, de la nourriture voire même des armes.
-Remettons-nous en route sans plus tarder… Décréta Neldirage.
La quinzaine d’hommes continua le long de l’étroite corniche… par précaution. Après une vingtaine de minutes à avancer aux aguets, ils tombèrent sur le fortin. Le fort se trouvait dans un col. Ce dernier se logeait entre les parois des montagnes qui l’entouraient, tel un grand barrage. Pour passer par ce col, il fallait passer par ce fortin. Neldirage et ses amis s’en trouvaient à une centaine de mètres, s’ils voulaient continuer, ils devraient redescendre sur le sentier et traverser la place forte. A une dizaine de mètres des portes, le groupe de prisonniers avait fait s’agenouiller les soldats et hurlait aux remparts :
-Si vous nous donnez pas ce qu’on veut, on les tue !
Le silence lui répondit.
-Trois, deux…
-Nous ne traitons pas avec les tueurs ! Dit une voix sortie des fortifications.
-Comme vous le voulez…
Rotry hocha la tête lentement. Ses hommes abattirent leurs lames. Les corps tombèrent au sol et les têtes roulèrent.
-A qui le tour maintenant ? Venez nous …
Il ne put finir sa phrase… Une violente détonation fit vibrer la vallée. Il ouvrit de grands yeux lorsqu’il sentit son corps s’envoler pour retomber inerte quelques mètres en arrière. Il y eut d’autres détonations, toujours plus violentes : de la fumée commençait à monter des remparts et les prisonniers ne fuirent pas assez loin pour éviter la mort de plomb qui vint les toucher en plein dos.
Une fois qu’il n’y eut plus âme qui vive sur le champ de bataille, les portes s’ouvrirent lentement. Un groupe de soldats en sortit et ils vinrent vérifier si les hommes étaient tous mort. Une fois chose faite, ils tirèrent les cadavres à l’intérieur avant qu’ils n’attirent des prédateurs. Neldirage et ses amis sortirent de leur cachette et avancèrent à la rencontre de ces soldats. Ces derniers lâchèrent les corps et dégainèrent. L’un d’eux cria et une dizaine d’arquebusiers vint se placer en position sur les remparts. Neldirage, peu désireux de finir comme les précédents prisonniers, décida d’agir avec tact.
-Rangez vos armes… dit-il à l’adresse des autres. Nous sommes ici en amis ! Dit Neldirage en espérant paraître le moins menaçant possible.
-C’est ça ouais….Je crois qu’après cette scène, vous comprenez que nous restons sur nos gardes, dit un homme en sortant de la forteresse… Qui êtes-vous ? Demanda-t-il avec inquiétude.
-Nous sommes le reste de la troupe ! Dit Van en venant se mettre à côté de Neldirage.
-Comment ça ? Demanda l’homme d’un air songeur.
Neldirage expliqua donc la vérité : les prisonniers avaient pris le commandement et avaient confié certains otages à des condamnés récalcitrants pendant que l’autre partie se lançait dans une chasse à l’homme. Par chance, les prisonniers qui les retenaient les avaient libérés et Neldirage et ses compagnons s’étaient lancés à la poursuite des autres en compagnie de leurs geôliers.
Le lieutenant de la garnison regarda chacun des hommes pour avoir une confirmation puis dit :
-Vous arrivez un peu tard… Rentrons à l’intérieur avant que la nuit tombe avec son lot de créatures.
La petite troupe passa les deux portes métalliques qui se refermèrent. Ils furent étroitement surveillés. Ils passèrent ensuite deux herses ainsi qu’une douve surmontée d’un pont-levis.
-Et bien… Vous êtes bien protégés… Dit Van.
-Il faut bien, nous sommes dans une des régions les plus dangereuses du monde, vous savez ! Dit l’homme en lançant sa main pour signifier que ce n’était rien.
Dans la cour principale, Neldirage put voir une population hétérogène. Il y avait là des femmes, des enfants, des animaux et des soldats. Une véritable petite ville au sommet de la montagne. Il devait y avoir deux cents âmes pour le quart de combattants.
-Et bien, on ne s’imagine pas ce spectacle vu de l’extérieur ! Dit Pierrre. De quoi vivez-vous ?
-Principalement de fer que nous exportons vers la ville en échange de matières premières.
Neldirage ne pouvait qu’admirer ces hommes et femmes. Ceux-ci vivaient dans l’un des coins les plus reclus du monde pour apporter du fer à leur patrie et en protégeant par la même occasion l’un des points d’accès des montagnes.
-Pourquoi ne pas avoir sauvé ces soldats tout à l’heure ?
Neldirage crut déceler de la peine sur le visage du lieutenant.
-Nous ne sommes pas autorisés à traiter avec ce genre d’individus… Mieux vaut une dizaine de soldats tués qu’un nombre indéterminé de personnes mortes s’ils avaient été en liberté.
-Quel dilemme, dit Van…
-J’aimerais franchement pas être à votre place ! Dit Rob avec sincérité.
L’homme se contenta d’un pauvre sourire. Il se tourna vers une solide bâtisse de pierre et héla un homme à l’intérieur.
-Sergent !
-Oui, lieutenant ? Dit-il en émergeant du bâtiment étonné.
-Conduisez ces hommes dans le salon pour qu’ils puissent manger un peu.
-Bien, lieutenant ! Si vous voulez bien me suivre…
Les soldats et anciens prisonniers suivirent l’homme. Ils montèrent une première volée de marches qui se situait à même la roche. Ils grimpèrent et bifurquèrent plusieurs fois avant de suivre une petite corniche qui aboutissait sur une massive porte en pierres blanches. Il y avait une sorte de femme serpent encastrée dessus. La porte continuait sur un escalier de bois qui descendait sur une grande salle remplie de tables. Cela devait être le réfectoire du village, déduisit Neldirage.
Les compagnons s’installèrent sur une table où des couverts avaient été posés et un gros cuisinier arriva, transportant une marmite fumante. Dedans, il y avait une sorte de soupe à la viande qui avait l’air très savoureuse. En tout cas, rien qu’à l’odeur, Neldirage en eut l’eau à la bouche. Deux semaines sans dormir dans un vrai lit et à manger froid lui avaient fait presque oublier toute notion de civilisation. Après ce bon repas, le lieutenant réapparut :
-Bien, parlons de vous maintenant ! Si vous êtes ici, c’est normalement pour mourir comme des héros… Pour citer ce qu’il y avait de marqué dans la lettre… Mais je pense que vous avez eu votre dose d’épreuves et je trouve que des hommes vivants nous sont bien plus utiles que des hommes morts. Pour cela, je vous laisse deux choix : venez dans ma garde - ou dans ma population – ou repartez. Je vous laisse une heure pour y réfléchir.
Pour les amis, le choix fut vite fait : ils décidèrent de rester en tant que soldat. Quant aux autres, ceux qui avaient accompagné Neldirage et ses amis, ils ne pouvaient s’en retourner, ils décidèrent de travailler à la ville. D'un commun accord, ils voulurent rester dans ce fort où solidarité était le mot d’ordre. Quand le lieutenant revint, il vit avec plaisir que tous avaient choisi de rester et qu’il ne serait pas obligé de chasser des personnes de sa ville.
-Vous pouvez partir… sauf mes cinq nouveaux soldats.
Les amis se jetèrent un coup d’œil mais restèrent assis.
-Vous savez, nous ne sommes pas une population très jeune… Et chaque mâle qui disparaît est un véritable drame…
Quand il vit qu’il tenait son auditoire en haleine, il continua sur un ton plus peiné :
-Un groupe de mes éclaireurs a disparu, j’aimerais que vous partiez à leur recherche…
Il soupira
-Cette mission n'est pas celle dans laquelle vous auriez pu disparaître mais cela revient au même… Mais vous êtes au courant maintenant. Ils ont disparu depuis près de trois jours, nous n’avons plus le temps d’attendre. Vous devrez faire vite…
Son visage se décomposa sous une sorte de panique et stress grandissant.
-Cela ne me semble pas impossible pour une première mission ! Commenta Van. Pourquoi nous faire confiance ? Dit-il, étonné.
-Bien, je vois que vous avez la motivation… Pourquoi ? Parce que je n’ai pas le choix et que vous ne sortirez pas de ces mines sans les corps… Ajouta l’homme sur le ton de la menace.
-Où chercher ? Demanda Neldirage après avoir analyser les conséquences de ce qu’il venait de dire.
-Demandez à mon dernier sergent, il vous mettra sur la bonne voie.
-Pourquoi risquer la vie de cinq hommes pour en retrouver d’autres sûrement morts ? Demanda Ylanay.
-Parce qu’il y a un de mes sergents parmi eux… Il est important à mes yeux. Je n’ai pas le temps de discuter des détails ou d’autre chose ! Dit le lieutenant en se levant. Pressez-vous !
Sur ce dernier mot, les amis s’écartèrent de la table et partirent à la recherche de ce sergent.
Chapitre XX
Les cinq soldats redescendirent vers le dernier endroit où ils avaient rencontré le sergent. Ce dernier discutait avec deux gardes sur les remparts. Après que les amis eurent trouvé les escaliers qui permettaient de monter sur lesdits remparts, le sergent vint à leur rencontre.
-Je peux me rendre utile ? Demanda ce dernier.
-En effet, commença Ylanay, on doit aller chercher tes potes et on ne sait pas par où partir…
L’homme haussa le sourcil, ne sachant sur quel ton prendre cette déclaration. Il leur répondit :
-Vous partez rechercher mes amis ! J’espère que c’est humour n’est pas déplacé !
Il lorgna son interlocuteur. Van resta silencieux, ne préférant pas envenimer la conversation. Le sergent continua :
-Ils ont disparu alors qu’ils effectuaient une simple mission de routine… Ils se trouvaient dans le secteur des mines, on ne sait pas où, on peut juste vous dire la ronde qu’ils devaient faire mais vous devrez vous débrouiller par vous-même.
-Par où peut-on accéder à ces mines ? Demanda Neldirage.
-Vous voyez ce bâtiment-ci ? Dit le sergent en montrant un édifice à niveau unique au milieu de la ville. Dites que vous venez de ma part et utilisez la plate-forme pour descendre dans les mines.
-Et bien en route ! Décréta Pierre.
-Allons jouer les bergers pour ces brebis égarées… Dit avec un sourire Van en se mettant en route et voyant avec plaisir qu’il s’était attiré un regard noir du sergent.
-Pourquoi être si méchant ? Demanda Rob. Imagine que tu sois à sa place…
-On va plutôt faire les nains… Dit Pierre en suivant la marche de Van et en ignorant la remarque du doyen du groupe.
-Nains ? Parle pour toi, gamin ! Dit Neldirage en réponse et évitez qu’ils partent du mauvais pied.
-Ne commencez pas les jeunes ! Dit Rob en retrouvant sa bonne humeur tout en prenant également leur suite.
Ylanay quant à lui, regarda une dernière fois le soleil en se demandant s’il le reverrait rapidement. Il se rendit à l’évidence : leur destin était la chose la plus incertaine qui soit. Il attrapa son sac qui traînait au sol puis s’élança à la suite de ses amis.
La bâtisse dans laquelle ils arrivèrent était large mais dépourvue de tout meuble. Au milieu de la salle, il y avait une grande cage faite de barreaux de fer qui renfermait une grande plaque en bois surmontée d’un levier. Autour de cette cage, une demi-douzaine d’hommes montait la garde. Neldirage déclina leur identité. Les soldats les remercièrent pour leur travail et leur confièrent des torches ainsi que quelques rations supplémentaires. Les cinq compagnons se placèrent sur la plate-forme et après quelques inspirations assez éloquentes, ils donnèrent leur accord pour la descente.
La plate-forme vacilla puis descendit lentement. Les chaînes grinçaient peu ce qui permit à Neldirage de voir que ce chemin était souvent utilisé. Les parois de pierre commencèrent à défiler, doucement d’abord puis, de plus en plus vite. Les amis se cramponnèrent aux balustrades. La plate-forme de bois perça une voûte et arriva dans une caverne assez imposante.
Cette dernière devait être le lieu principal du coin car toutes les lignes de wagons que pouvait voir Neldirage semblaient converger dans cette pièce. Au sol, des équipes de mineurs poussaient de lourds chariots ou traversaient simplement la caverne pour aller piocher toujours plus profond. La plate-forme commença à freiner et s’arrêta sur le sol dans un bruit sec. Il n’y eut aucune chute mais les amis convinrent que cela était dû à la chance…
Les soldats descendirent de la nacelle puis arrêtèrent un mineur.
-Bonjour mon brave, dit Pierre, pourrais-tu nous indiquer par où est passée la dernière patrouille, s’il te plait ?
L’homme fut autant surpris que les quatre autres soldats devant le langage soutenu qu’avait adopté Pierre. Il avait réussi à faire une demande sans menacer violement l’homme…
-Bin oué ! Je peux bien vous dire ! Répondit ce dernier. Allez au fond là-bas et prenez la première à droite et suivez l’éclairage !
-Merci ! Dit Neldirage avant que Pierre ne se remette à parler n’importe comment.
-Tu te sens bien, demanda Rob, t’as pas dit une seule injure !
-Rho ça va, se défendit ce dernier, tout le monde à le droit de rire un peu, non ?
Les amis continuèrent la conversation en prenant la direction indiquée.
-Van… Je voulais te demander, l’interrogea Pierre, qui est le seigneur de La Garde ? Le général a dit que tu as travaillé pour lui quand on était en prison…
-Quelqu’un a qui il ne faut pas se frotter… Répondit-il. Je vous ai dit que je n’avais pas travaillé du bon côté… Moins vous en savez, mieux ça sera…
Les soldats ne cherchèrent pas à en savoir plus.
-A votre avis, qu’est-ce qui aurait pu arriver à des gardes de métier ? Demanda Van en changeant de conversation.
-Ils n’ont pas pu se perdre déjà… Répondit Ylanay.
-Une mauvaise rencontre ? Demanda l’autre.
-Ca serait probable, dit Rob.
-Qu’est-ce qui peut grouiller dans ces tunnels, demanda Pierre.
-Des gobelins, dit Neldirage, ça serait le plus fréquent.
Ils tournèrent dans un couloir et passèrent une porte qu’ils refermèrent derrière eux.
-Une embuscade peut-être… Ajouta notre ami.
-Je regarderai s’il y a des marques, dit Pierre pour rassurer tout le monde.
-Vous savez quoi ? Dit Van. On aurait sûrement dû mener une enquête avant de partir.
-Sûrement… Répondit évasivement Ylanay. On aurait perdu trop de temps… Et puis que vaut une aventure sans risques ?
-Je préfèrerai qu’on sache où l’on met les pieds quand même ! Dit Pierre.
-Arrête donc voir de faire ton froussard et avançons, plus tôt on les aura retrouvés, plus tôt on rentrera.
Ils suivirent une corniche descendante. Elle était formée de terre et éclairée par des torches accrochées le long des parois. De l’autre côté de la bande de terre, c’était un gouffre sans fin et insondable.
-En parlant de ça… Dit Neldirage, que va-t-il se passer pour nous à votre avis ensuite ?
-Je suppose qu’on sera libre après cette mission, dit Rob.
-Rêve pas trop, dit Ylanay, je nous vois bien rester ici encore quelques temps… Le lieutenant a l’air de bien nous aimer… En plus, il y a plein de boulot et puis ça serait l’occasion de se faire oublier un peu, non ?
-On verra ce qu’en pense le principal intéressé, dit Van, pour ma part, j’aimerais bien quitter ces montagnes ! Elles me fichent la chair de poule, y a quelque chose de louche.
-Moi aussi je ressens ça… On dirait que le mal vit ici, qu’on nous observe, c’est… c’est… De la paranoïa ! Dit Neldirage pour se moquer de son ami avec une expression dramatique.
Van lui claqua le derrière de la nuque avec un grand sourire.
-Voilà ce qu’elle te dit ma paranoïa ! Répondit ce dernier avant d’esquiver la riposte de notre héros.
-Regardez ! Dit Pierre qui faisait l’éclaireur à quelques mètres devant eux.
-Quoi ? Demanda Rob dont le noir, et sa myopie, n’arrangeaient rien.
-Là, la multitude d’empreintes au sol, là ! Dit-il en montrant des traces qui empruntaient une brèche dans la roche.
-Je pense que les autres gardes les ont vues aussi et qu’ils les ont suivies ! Dit Van.
-Ils auraient donc quitté volontairement l’itinéraire de patrouille ? Demanda Ylanay.
-Peut-être qu’au départ, ils voulaient juste vérifier si tout allait bien avant d’alerter les renforts ! Dit Neldirage.
-Ca se tient, dit Pierre, allons donc nous aussi jeter un coup d’œil.
-Soyons sur nos gardes, on sait pas ce sur quoi on va tomber ! Dit Van en prenant la tête de la colonne.
Les cinq amis dégainèrent et rentèrent à la queue leu leu dans la fissure. Neldirage voyait les parois à quelques centimètres de son visage. Leurs armures grinçaient sur la pierre. Cela enlevait de gros morceaux de roches ce qui, il faut le reconnaître, n’était pas très discret. Rob et notre ami, qui étaient les plus volumineux, durent parfois passer de profil tellement l’espace était insuffisant. Après cinq minutes de péripéties, ils sortirent par une autre brèche.
Van se baissa et avança accroupi. Dès qu’il eut franchi la fissure, un violent coup de massue lui tomba derrière la nuque. Il fut projeté au sol tandis qu’une petite chose verte se jeta sur lui en poussant des cris qui ressemblaient à un rire. Rob, qui le suivait, embrocha le gobelin qui mourut dans un râle.
-Putain le con ! Jura Van en se touchant l’arrière crâne…
Les autres soldats avaient un sourire jusqu’aux oreilles.
-Arrêtez de rire vous autres ! Il aurait pu me faire mal !
Ils faillirent éclater de rire.
-Mais taisez-vous, bon sang ! On n’a même pas vérifié s’il y en avait d’autres !
Cette constatation les ramena à la réalité et au calme… Après une minute d’examen, ils virent qu’il n’y avait pas d’autres créatures. La fissure avait débouché sur une petite arène naturelle. Le sol était fait dans une poussière très volatile et devant eux se trouvaient de gros rochers.
Les cinq soldats traversèrent la dizaine de mètres qui les séparait de ces blocs et se penchèrent par-dessus. La scène qui apparut devant eux confirma leur soupçon. Pour commencer, un escalier creusé à même la roche descendait jusqu’à une nouvelle caverne. Dans celle-ci, il y avait un grand brasier entouré d’une vingtaine de formes. Sur la droite, on pouvait voir des cages dans lesquelles les soldats étaient allongés et sur la gauche, un tas d’objets divers.
-On fait quoi ? Demanda Van.
-On fonce ! Dit Rob.
-T’es fou, ils sont quatre fois plus nombreux ! Dit Pierre.
-C’est que des gobelins les gars ! Rétorqua Rob.
-Ca ne change rien, dit Ylanay, d’autres se sont fait avoir avant nous… Restons sur nos gardes…
-Et les gars, regardez ! Dit Pierre.
-Aa ! C’est quoi cette chose là ? Demanda Van.
-C’est moche ! Dit Ylanay.
-On dirait un danseur du Bal des Vingt Nuits!
Cette remarque ne tira qu’un sourire à la bande malgré ce qui se jouait sous leurs yeux. Ce bal était réputé pour être un repaire de personnes hautes en couleurs et d’être plus excentriques les unes que les autres.
-Concentrez-vous ! Dirent Rob et Neldirage en cœur.
En tout cas, on pouvait se demander si le shaman gobelin qui avait fait son apparition n’avait pas volé ses habits à l’un d’eux. Aucun des amis ne pouvaient dire qui était cette créature.
-Aaa ! S’exclama Van. Ca pue ! C’est quoi cette odeur.
-Je crois que ça vient du feu, dit Rob.
-On dirait… commença Pierre. C’est… Oh non… De la chair humaine ! Ca sent l’homme grillé ! Ils sont en train de bouffer les soldats ! Je me range au côté de Rob, ajouta-t-il, fonçons !
-Neldirage ? Demanda Rob.
-Je vous suis, mais avant, je vais voir s’il n’y a pas moyen de libérer les soldats…
-Tout seul ? Demanda Ylanay.
-Oui…
-Tu es conscient que si ça dégénère, on ne pourra pas grand-chose pour toi !
-Oui, ne t’inquiète donc pas, je sais ce que je fais.
-On peut se le demander parfois, dit Rob.
Neldirage décida d’intervenir quand même.
Chapitre XXI
Neldirage resta en majorité dans l’ombre de la caverne. Il longea les murs et seul le reflet de son armure trahissait sa présence. Il réussit à approcher au plus près des cages d’osier. En face de lui, les gobelins dévoraient la chair encore chaude. Le corps était en train de tourner sur une sorte de broche. Il avait même commencé à noircir sous la dense chaleur. Neldirage se détourna du sinistre festin et réveilla les gardes qui étaient étendus.
-Qui…Qui êtes-vous ? Demanda le premier que Neldirage avait réveillé.
L’homme avait le regard hagard et semblait véritablement épuisé… Neldirage se cacha un peu plus de la lumière et faillit trébucher sur les marcottes de l’osier qui prenaient en terre. Notre ami commença même à s’enfoncer à cause de la terre qui s’était lénifiée sous l’eau qui coulait non loin de là.
-Je suis les renforts, je suis censé vous sortir de là ! Même si je sais pas encore comment…
-Vous êtes tout seul ? Demanda l’homme avec de gros yeux.
-Non, non, rassurez-vous, quatre amis sont cachés là-bas, dit Neldirage en montrant les blocs.
-Que comptez-vous faire ?
-Je sais pas trop… Vous pouvez vous battre ?
-Pour moi, ça sera bon ! Répondit l’autre en se redressant avec de la peine.
-Vous êtes ?
-Soldat Lionel Karter.
-Où est le sergent ? Demanda Neldirage.
L’homme baissa la tête et fit un mouvement vers l’arrière. C’était sûrement lui dont les gobelins se repaîtraient. Ces crapuleuses bêtes le paieraient, se jura notre soldat intérieurement. Maintenant, les gobelins se gobergeaient et Neldirage allait en profiter pour essayer de libérer les quatre autres soldats. Il mit son épée de façon à faire un levier et casser un des deux barreaux dans lesquels elle était enchevêtrée.
Neldirage mit tout son poids dans le balancier et la cage craqua bruyamment… trop au goût de notre soldat. Même ses amis avaient perçu le bruit. Ils faisaient de grands signes pour essayer de glaner des informations. Neldirage expliqua en retour avec des signes du mieux qu’il put, la richesse de ce moyen de parler était assez limitée… En tout cas, il fit passer l’information principale : A l’attaque !
Une première flèche suivit immédiatement l’ordre. Un premier gobelin s’écroula. Les autres relevèrent la tête ne comprenant pas ce qui se passait. Une seconde flèche eut raison d’une deuxième créature. Les gobelins finirent par se ressaisir et à foncer en braillant vers la source des projectiles. Neldirage profita de la diversion pour briser les barreaux des cages. Heureusement que la première prison était plus fragile car deux hommes ne furent pas de trop pour casser les tiges qui formaient les autres cages d’osiers...
En attendant, Rob, Van, Pierre et Ylanay s’étaient repliés vers la faille d’où ils purent contenir plus facilement la horde verte. Pendant ce temps, Neldirage et les autres soldats trouvèrent des armes de fortune et se joignirent à la mêlée. Les petites créatures furent vite achevées. Prises en étaux, elles n’avaient guère opposé de résistance. Après avoir vérifié que personne n’avait été blessé, ils se rassemblèrent.
-Je pense qu’on peut rentrer maintenant ? Demanda un des soldats visiblement épuisés.
-Les gars, mauvaises nouvelles ! Il manque le truc de toutes les couleurs ! Dit Van essoufflé.
-Vous devez parler du shaman ? Dit le garde à qui avait parlé Neldirage.
-On fait quoi alors pour lui ? Il est dangereux ?
-Il connaît quelques trucs mais il n’a pas l’air d’être adroit…
-Bon, on le tue et on rentre ! Dit Pierre qui était en train de récupérer ses flèches sur les cadavres.
Le couac de la voix du shaman se fit entendre dans un tunnel de l’autre côté.
-J’en ai marre ! Dit Ylanay. Ca vaut rien ! C’est plus fatiguant que dangereux…
-Méfions-nous quand même, dit Neldirage, ne prenons la grosse tête.
-C’est bon, c’est qu’un gobelin, allons-y !
Van et Ylanay s’élancèrent à la rencontre de la créature qui était apparue au centre de l’arène. Le gobelin portait des chamarrures et une sorte de grand châle jaune. Il leva une main et un éclair en sortit. La langue électrique vint frapper le sergentond. Neldirage et Rob se jetèrent au sol tandis que Pierre décocha une flèche au hasard. Celle-ci tomba dans un coin sombre de la caverne sans toucher âme qui vive. Van et Ylanay purent continuer leur course.
-Regarde ! Il sait pas viser ! Le premier dessus ! Hurla Van.
Le gobelin fit une moue horrible et releva la main. Un nouvel éclair jaillit et frappa Van à l’épaule qui s’écrasa au sol.
-Mon cul, il sait pas viser… murmura Ylanay en dépassant son ami.
Le gobelin paniqua quand il vit qu’il ne pourrait pas venir à bout du dernier guerrier. Il se mit à courir. Ylanay marcha sur le châle ce qui le fit tomber lorsque le gobelin courut. Ce dernier, quand il vit que personne ne le poursuivait, détacha ses apparats et prit ses jambes à son cou. Ylanay reprit son épée et la lança sur le gobelin. Elle se planta dans son dos. Ylanay soupira un grand coup et s’allongea.
-On est vraiment nul sur ce coup, hein ? Dit-il en regardant le sol, honteux.
-Oui ! Dit Neldirage. J’avais dit de rester prudent pourtant…
-On pouvait pas prévoir ! Dit Van en se relevant avec difficulté.
-Bon tout le monde est en vie ? Demanda Pierre. Parce qu’il serait temps de rentrer… Les soldats ont déjà pris de l’avance.
-On a bien mérité d’aller se reposer, dit Rob en venant soutenir Van…
-Alors en route ! Dit Ylanay.
La remontée fut lente et silencieuse. Tous se rappelaient l’affrontement. Ils en tirèrent deux leçons, la première fut que relâchement est souvent synonyme de mort et la seconde qu’il ne fallait jamais sous estimer son ennemi. Au moins, les conséquences n’étaient pas trop dramatiques malgré que l’un d’eux fut blessé.
Les gardes survivants les attendaient à la sortie de la brèche.
-Alors ?
-On l’a eu…
-Merci les gars ! Vous avez fait du bon boulot…
Les cinq soldats ne dirent rien mais ne purent s’empêcher de sourire. Voilà une récompense dont les amis ne se lasseraient jamais : la gratitude pour avoir fait leur métier. Comme quoi Neldirage ne regrettait pas de s’être engagé à la place de son père.
Ces pensées l’accaparèrent jusqu’à ce qu’ils finissent tous par rejoindre la plate-forme puis la maison qu’elle desservait. Ayant perdu de vue les autres soldats et ne sachant où aller, les compagnons allèrent dans la salle où ils avaient mangé. Ils jetèrent leur paquetage ainsi que leur équipement dans un coin de la pièce puis ils vinrent s’affaler dans des positions variées sur les bancs et tables. Sur un coin de celles-ci, ils restaient du pain avec du lard. Neldirage en mangea une partie puis donna le reste à qui en voulait.
Après deux minutes de repas improvisé, le lieutenant rentra dans la pièce, visiblement content. Notre ami prit le temps de le décrire. L’homme était âgé mais d’une constitution assez robuste. Il portait une veste en soie rouge et un pantalon en cuir brun. Une belle épée ornait également ses flancs.
-Content de vous revoir sain et sauf ! Dit ce dernier.
-Ou presque ! Dit Van en le dépassant.
-C’est rien, champion ! Tu t’en remettras ! Ajouta-t-il en assénant une grande claque dans le dos du soldat qui vacilla.
-Regarde, Van, comparé au sergent, tu n’as rien eu ! Fit remarquer Neldirage en s’étirant.
Cette remarque fit apparaître des traits plus tristes sur le visage du lieutenant.
-C’était un bon ami… Dit le lieutenant.
-On est désolé, dit Pierre, on n’est pas arrivé à temps…
-Je sais, je sais ! Dit le vieil homme en reprenant plus de voix. Ce soldat a vécu comme un brave ! L’heure n’est pas à la tristesse mais bien aux réjouissances !
S’ensuivit une fête mouvementée bien qu’honorable dans cette même salle. Neldirage et ses amis furent officiellement incorporés dans l’armée et se virent attribuer un petit logis pour eux cinq. La vie dans ce fortin ne faisait que commencer.
Chapitre XXII
La vie de nos cinq compagnons devint vite une routine : Ils ne faisaient que patrouiller. Ils assuraient la sécurité de ce fort malgré le peu d’assaillants qu’ils avaient rencontrés. Seulement trois escarmouches en un mois. Rob en vint même à regretter de ne pas avoir tenté sa chance sur les routes. Il se faisait vieux et n’avait pas envie de terminer sa vie dans ce lieu perdu.
Tous furent d’accord avec lui… Tous sauf un : Neldirage. En effet, ce dernier s’était lié d’amitié avec la majorité des soldats et se sentait à sa place. Contrairement à ses amis, Neldirage était bien plus sociable et passait plus facilement d’un groupe de personnes à un autre, à la différence de ses quatre compagnons. Notre soldat en vint même à changer de groupe de patrouille par moment. Bien évidement, les autres finirent par le lui faire remarquer.
-Mais non, je ne vous oublie pas ! Protesta Neldirage.
-Neldirage, dit Van en s’avançant, on a demandé la permission au lieutenant, il nous accorde le droit de partir et de retourner dans l’armée du capitaine Van Hoff.
-Le capitaine a manifesté son souhait de nous revoir, la lettre est arrivée il y a quelques jours. Le général ne fait pas parti de l’armée, nous n’avons donc pas de raison de ne pas y retourner.
Cette nouvelle retourna l’esprit de Neldirage. Ses amis avaient pris une décision sans même demander son avis. Que cachait cet ultimatum ?
-Qu’est-ce que c’est que toutes ces magouilles dans mon dos ? Demanda le concerné.
- Mais ne le prends pas comme ça ! Dit Ylanay. Notre avis ne t’était pas inconnu, on ne voulait pas rester !
-Et qui oublie les autres, là ? Demanda ironiquement Neldirage.
-Mais arrête un peu ! Continua Pierre, si on t’en parle maintenant, c’est bien pour te tenir au courant.
-C’est ça … Dit Neldirage loin d’être convaincu. Et combien de temps de réflexion me laissez-vous, je parie que vous partez dans quelques jours…
Personne ne prit la parole et tous restèrent silencieux. Neldirage les fixa tous mais aucun ne soutint son regard. Notre ami fit une moue de résignation.
-Je vais prendre l’air… Dit-il.
Neldirage attrapa une vieille couverture qui traînait près de la cheminée puis monta sur les remparts dans la nuit glaciale. Des cônes de vapeur se formaient à chaque fois qu’il expirait, preuve des basses températures ambiantes. Il se frictionna les mains pour que son sang continue à circuler.
-Douce nuit, hein ? Dit une voix sortie de l’ombre.
Neldirage se contenta de grogner à l’adresse du lieutenant.
-Ca n’a pas l’air d’aller gamin… C’est à cause de la décision qu’on tes amis de partir ?
-Ouais… Répondit simplement Neldirage en fixant la nuit profonde.
-Ils ont pris leur décision… Tu sais personne ne t’oblige à partir.. . Ici, tous les soldats te respectent et te font confiance. C’est d’ailleurs pour ça que je compte te nommer sergent… enfin si tu décidais de rester. Je pense que depuis la mort de ton prédécesseur, personne n’est plus digne que toi de prendre sa place.
-J’accepte sans hésiter ! Dit Neldirage à la fois pour punir ses amis de leur décision et pour cette promotion qui était une aubaine.
-J’en suis heureux ! Passe prendre ta tenue demain ! Dit le lieutenant avant de s’en aller d’un pas tranquille.
Neldirage s’adossa aux remparts et laissa son regard se perdre dans le lointain. Devant lui s’étendait une infinité montagneuse. A certains endroits, la pierre marbreuse réfléchissait la lumière de la lune. Cette dernière était pleine, nota Neldirage. Elle dispensait une pâle lumière à perte de vue.
-Quelle soirée ! Pensa notre ami.
Si on lui avait dit la veille qu’il se disputerait avec ses amis et qu’ils se sépareraient pour avoir chacun un nouvel avenir, Neldirage aurait pris la personne pour un fou. Mais il fallait bien se rendre à l’évidence, le destin les séparait. Neldirage n’avait même pas envie de le changer.
Ils l’avaient profondément déçu et puis… Il les connaissait pas tant que ça… Sauf Ylanay… S’ils préféraient se la couler douce dans les pâturages, ça les regardait ! Pensa-t-il pour se rassurer. Lui, il était un vrai soldat, avec de l’avenir ! Il aurait la gloire et le pouvoir ! Ajouta-t-il mentalement en gonflant le torse.
Mais il serait désespérément seul… Ses amis l’abandonnaient, ils le laissaient tout seul ici…
Neldirage eut du mal à contenir la petite larme qui menaçait de glisser le long de sa joue. Comme quoi, devenir trop proche des gens s’était destiné à être trahi. C’est une leçon que Neldirage n’oublierait pas de sitôt.
L’aube se leva quelques pensées plus tard. Neldirage fut étonné de cette vive lueur qui lui égratigna les yeux. Il pensait n’être là que depuis une heure maximum. A priori, ses méditations l’avaient plus troublé qu’il ne l’admettait et il avait passé une nuit blanche, adossé aux remparts, à ruminer ses pensées. De l’autre coté de la cour, la herse se leva doucement et le pont-levis s’abaissa. Quatre cavaliers sortirent de l’écurie. Neldirage n’eut aucun mal à reconnaître ses amis. Ils étaient équipés chaudement et on pouvait voir des rations de nourriture dépasser de leurs sacs. Ils étaient voûtés… Enfin c’est l’impression que crût avoir Neldirage. Si cela était vrai, cela voulait dire qu’ils étaient aussi heureux que lui de se départ. Ils partaient sans même attendre sa décision…
Ils formèrent une colonne équestre et sortirent un par un par la herse. Neldirage eut un pincement au cœur. C’était vraiment trop bête de se séparer comme ça. Notre ami eut une montée d’adrénaline et se précipita dans l’escalier. Il descendit les marches quatre à quatre et faillit chuter à plusieurs reprises. Arrivé dans la cour, il vit son rêve brisé. Il ne pourrait se réconcilier avec ses amis car la herse avait été redescendue ! Neldirage jeta un coup d’œil à gauche, un coup d’œil à droite et entreprit de soulever la herse avec son épée. Espoir futile… Il abandonna rapidement puis monta sur les remparts pour assister au départ de ses amis.
Alors qu’ils allaient disparaître derrière le premier virage, Ylanay se retourna et vit Neldirage. D’un mouvement de mains, il rassura Neldirage. Il lui avait dit « À bientôt »
Notre soldat se permit un sourire et resta là, le regard perdu, quelques minutes après qu’ils aient totalement disparu. Quand il reprit ses esprits, il descendit dans la salle de garde pour aller chercher son nouvel équipement. Le lieutenant l’attendait là, assis sur la table, les pieds sur le banc. A ses côtés, il y avait plein d’affaires.
-Ah ! Te voilà ! Bon, tu vas m’enfiler ça ! Dit-il en lui tendant une veste rouge, frappée d’un bouclier noir, emblème de la cité.
Une fois qu’il eut enfilé son nouveau vêtement, le lieutenant approcha et lui accrocha des petites barres de fer qui allait représenter son statut. Une épée argentée sur chaque épaule, il était officiellement sergent.
-Bon, je te laisse quartier libre aujourd’hui, tes fonctions rentrent en vigueur dès demain !
-Oui, lieutenant ! Dit Neldirage excité. Que devrai-je faire ?
-Trouve l’autre sergent du fort, il te le dira.
-D’accord !
Neldirage ne perdit pas de temps et se mit tout de suite en quête de trouver l’homme. Il le trouva à la cantine. Neldirage s’installa à côté de lui et dit :
-Salut Phil ! J’ai besoin de toi !
-Ouais, Neldirage, je suis au courant ! Faut que je t’apprenne les bases du métier, c’est ça ?
-Exact !
-Bon ça ne va pas prendre des heures ! Dit l’homme en chevauchant le banc. En fait, tu vois les sergents, c’est les hommes qu’on choisit parmi les hommes pour leur taper dessus quand quelque chose ne va pas ! Les boucs émissaires quoi… Bon mis à part cet aspect philosophique…
-Félicitation, sergent ! Dit un soldat en passant en assénant une petite tape sur l’épaule de notre ami.
-…Donc je disais ! Le matin, tu as juste à vérifier les effectifs. Pour l’instant, je continuerai à m’occuper d’assigner les tours de garde. Quant au reste, tu seras le chef lors des expéditions, rien de plus.
-C’est tout ? Demanda Neldirage. Pas d’autres trucs à faire ?
-Et ben non ! Tu te verras assigner une maison personnelle aussi, j’allais oublier.
-Mais c’est trop bien !
-Si on veut… Bon arrête de gesticuler un peu, prends-toi à manger et rejoins tes hommes !
Neldirage adorait la situation. Il se leva et partit faire la queue dans la file qui menait vers le cuisinier. Aujourd’hui, il y avait du poulet avec des pommes de terre. Une fois servi, le nouveau sergent alla se rasseoir.
-Bon parlons un peu, dit Phil. Quelle expérience as-tu dans le commandement des hommes ?
-Et bien, étant plus jeune, je dirigeais des équipes d’agriculteurs.
-Bon, ce n’est déjà pas si mal. Dit-il après avoir évalué cette déclaration. Et tu viens d’où exactement ?
Neldirage avait un problème avec cette question. Depuis le temps qu’il était parti, il commençait à avoir sur des doutes sur où se trouvait son village natal.
-Dans le sud… Dit-il évasivement avant de mordre dans son poulet.
-D’accord… Et tu as quel âge en fait ?
-J’ai un peu plus de vingt-deux ans... Et toi ?
-Je vais en avoir quarante ! Et oui, je suis pratiquement deux fois plus vieux que toi ! Dit-il avec un grand sourire.
-Et bien ! Dit Neldirage avec un petit geste de la tête. T’es ici depuis longtemps ?
A force de ce jeu de question-réponse, les deux hommes parlèrent longtemps et devinrent vite des amis.
Chapitre XXIII
Neldirage, qui avait fait une nuit blanche, alla se coucher après sa discussion avec Phil. Il devait être une heure de l’après-midi et il faisait trop chaud de toute façon pour sortir. Neldirage rejoint donc la caserne où il comptait dormir pour la dernière fois.
Il se réveilla alors que la chaleur était décroissante. Il avait beau faire encore chaud, le vent commençait à tout refroidir. Ici, c’était la preuve qu’il était plus de dix-sept heures. Notre ami roula en boule sur le lit et se propulsa hors de celui-ci pour éviter de se rendormir.
Neldirage rassembla toutes ses affaires. Il ne savait pas quand on lui assignerait son nouveau logis alors mieux valait être prêt. Il poussa la porte des chambres collectives et sortit sur la place centrale. Les gens circulaient encore très peu à ce moment de l’après-midi. Notre ami avait opté pour une veste sans manche et un pantalon blanc assez léger. Comme il n’avait rien à faire, il alla prendre des nouvelles des gardes sur les hauteurs.
En cette fin de journée, il ne se passait pas grand-chose : La patrouille était rentrée sans avoir rencontrée de problèmes, les chariots de métaux étaient partis avec une bonne escorte. Il y avait vingt soldats, dont Phil. Cela avait paru excessif à Neldirage, mais en y réfléchissant, ces métaux étaient la seule ressource de la ville alors s’ils venaient à être volés… Notre ami espérait que tout se passerait bien. Neldirage resta quelques minutes encore à discuter avec les deux soldats puis alla à la salle d’entraînement.
Neldirage s’entraîna particulièrement avec une machine qu’il n’avait jamais vue ailleurs : Les gardes devaient soulever, par un système de poulies, un tas de roches. Notre ami enfila donc une paire de gants et se mit donc à tirer de toutes ses forces pour faire descendre et monter des pierres. Après seulement cinq minutes avec cette machine, il avait poussé les épaules à la limite de leurs forces. Il se rabattit donc sur quelque chose de plus classique comme le maniement de l’arc et de l’épée.
Il y avait tellement de monde dans la salle que Neldirage organisa une petite bataille. Il y avait deux camps de cinq guerriers. La seule arme qu’ils avaient le droit d’utiliser était une épée et un bouclier de bois. L’épée était enduite d’une peinture qui permettait à la personne touchée de voir si elle était toujours dans le jeu ou pas. Malgré les blessés légers qu’il y avait à chaque fois, ce jeu sortait les soldats de leurs mannequins habituels.
Le soir, après une bonne baignade dans une source d’eau chaude que dispensait la montagne, les soldats allèrent manger. La horde d’estomacs sur pattes se présenta dans un brouhaha pas possible. Ils se mirent tous à leur table respective et Neldirage, qui allait faire de même, fut convié à venir s’installer avec le lieutenant.
-Allons Neldirage ! Tu ne vas quand même pas manger avec de simples soldats !? Dit-il en oubliant que son sergent avait été un soldat.
C’est la première fois que le lieutenant disait une chose pareille. Neldirage pensait qu’il était plus humain que ça et qu’il ne laissait pas un titre gâcher les relations entre hommes. Notre ami opina quand même.
-Ce n’est pas grave ! Dit le lieutenant. Alors, prêt à prendre tes fonctions ?
-Oui ! Dit Neldirage impatient.
-Donc, comme le sergent Phil n’est pas là, tu devras tout faire…
Là se posait un problème vu que Phil ne lui avait pas dit comment assigner les tours de rôle.
-… Mais te connaissant, il n’y aura pas de soucis !
Neldirage eut un petit rire gêné.
-Oui, oui, tout devrait bien se passer !
A ce moment, la porte s’ouvrit. Neldirage compta dix gardes qui venaient se faire remplacer. Il savait au moins combien d’hommes il allait désigner demain.
-Ah les voilà… Dit le lieutenant. Je vais pouvoir faire mon annonce. Lève-toi s’il te plait Neldirage.
Le sergent s’exécuta. Le lieutenant quant à lui, attrapa son verre et une petite cuillère et frappa cette dernière contre le verre. Une fois que le silence se fut installé, il commença :
-Messieurs, ce soir nous fêtons une promotion ! Neldirage, ici présent, sera votre nouveau sergent ! Ce sera donc lui qui va avoir l’honneur de vous bichonner pendant cette semaine ! Vous le connaissez bien donc j’espère qu’il n’y aura pas de problèmes… Ayez autant de respect que s’il s’agissait de moi ! Mes amis, trinquons !
Les soldats se levèrent dans un grand bruit de raclement de bois contre le sol. Ils levèrent leur verre et mirent une main sur le bouclier qui ornait leurs habits.
-Pour Neldirage ! Cria le lieutenant.
-Pour Neldirage ! Reprirent les soldats en cœur.
Notre ami était gêné de toute cette attention qu’on lui portait. Neldirage affichait un grand sourire niais et une fois, que les cris eurent cessés, il leva son verre et dit :
-A la vôtre, mes amis !
Il avala le contenu du récipient d’une seule traite tandis que les musiciens se remirent à jouer. Voir un régiment manger était vraiment quelque chose d’unique. En effet, tandis que les dix soldats suivants allaient prendre leur tour de garde, les autres s’adonnaient avec joie à la débauche alimentaire. Certains se racontaient les événements du jour, d’autres jouaient leur solde ou nourriture sur une partie de dés, d’autres mangeaient en silence et les derniers dansaient sur la piste en compagnie de leurs femmes ou enfants.
Les couverts martelaient le fond de l’assiette, les voix graves bravaient le tumulte tandis que les enfants jouaient dans la salle. Les armes s’entrechoquaient quand on les posait sur le râtelier, les femmes hurlaient aux gamins de s’écarter du passage. En clair, il y avait beaucoup de bruit et on peinait pour se faire entendre. A sa table, le lieutenant parlait économie avec ses conseillers. Neldirage, n’y connaissant rien, n’écoutait que d’une oreille discrète.
A ce moment précis, Neldirage ressentait comme un grand vide. En effet, dans cette ambiance de fête, il manquait quand même ses amis… C’était son premier repas sans eux ! Neldirage regrettait vraiment qu’ils n’aient pas pu faire de vrais adieux… Notre ami chassa ces sombres pensées et alla faire quelques pas de danse sur la piste.
Vers vingt et une heures, les enfants et femmes partaient en majorité vers leurs demeures pendant que la cantine se transformait en taverne. Les ouvriers prenaient quelques forts remontants et les soldats se détendaient. L’avantage c’est qu’en cas d’échauffement des esprits, la garde pouvait rapidement calmer les hommes. Dans le pire des cas, le fortin disposait de geôles qui n’attendait que d’être réchauffées…
Le cuisinier, qui prenait exceptionnellement le rôle de tavernier, alla allumer un foyer dans l’épaisse cheminée. Il eut une petite flammèche puis un véritable brasier s’éleva des bûches. La chaleur réchauffa le bout des doigts de notre ami qui commençait à les avoir gourds. Neldirage fixa les braises, bizarrement, à cet instant, ces petits bouts de charbon étaient passionnants. C’était fou comment l’esprit humain pouvait se fixer sur des choses simples ! Songea justement Neldirage.
Alors que ses yeux se fermaient doucement et que notre sergent allait s’endormir, le lieutenant le tapa dans le dos et dit :
-Allez, mon gars, c’est l’heure d’y aller ! Je vais te montrer ta maison…
Neldirage s’empressa d’aller chercher ses affaires dans la caserne et de rejoindre le lieutenant sur la place centrale. Les deux gradés montèrent à travers la ville pour arriver sur la corniche sud ouest. C’était le point le plus haut de la ville sur la paroi ouest. De là, Neldirage avait une belle vue sur toute la ville.
-Bien, c’est ici que je te laisse et te souhaite une bonne nuit !
-D’accord.. Répondit Neldirage. Et bien bonne nuit, lieutenant !
L’homme se fondit dans les ombres et Neldirage en profita pour rentrer dans l’humble bâtisse. Ses yeux commençaient à se fermer de plus en plus régulièrement et tout ce qu’il chercha à voir dans la maison, ce fut le lit. Il souffla les bougies qui étaient sur son passage et se jeta littéralement sur le matelas. Après quelques secondes, il s’endormit profondément.
LA SUITE
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-= Inxi =-