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Le secret de Tor Yldrin.


Lev

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Bonjour à tous, pour ma première contribution au forum, j'ai choisi ce récit que je suis en train d'écrire depuis quelques mois. Les deux premiers chapitres sont terminés et, étant donnée leur longueur, je les posterai en 3 parties chacun. Avec des intervalles aussi, ça me permettra d'écrire le troisième chapitre, histoire qu'il y ait continuité. Dites-moi ce que vous en pensez :unsure:

Chapitre 1 (1ère partie)

Un après-midi d'automne, une mouette survolait le Grand Océan, brassant sans enthousiasme l'air froid et humide de ses ailes fatiguées. La chasse fut mauvaise ce jour-là. Les petits poissons et les crustacés composant d'habitude ses repas se montraient rarement et fuyaient aussitôt que la mouette s'approchait, comme s'ils sentaient sur eux le regard envieux du prédateur affamé. Mais malgré les échecs à répétition, l'instinct poussait le volatile à explorer des territoires de plus en plus éloignés de son nid où l'attendaient quatre oisillons piaillant d'impatience. Alors l'oiseau poussait toujours plus loin vers l'ouest, guettant quelque îlot ou promontoire rocheux où il pourrait enfin se repaître de la chair tendre d'un crabe, puis regagner son nid pour y régurgiter le précieux repas dans les becs minuscules de sa progéniture.

Soudain, alors qu'elle émergeait d'un nuage opaque, la mouette aperçut quelque chose non loin et un espoir primitif renaquit en elle. Cet espoir ne prenait pas la forme d'un roc émergeant de l'océan, dont la surface limoneuse grouillait de crustacés ; ni d'un banc de poissons traçant son sillage argenté tout près de la surface de l'eau ; mais d'un navire de bois et de fer sur le pont duquel s'affairaient quelques douzaines de petites silhouettes. Et, abandonnait toute prudence, normalement de mise en présence d'humanoïdes, la mouette fonça vers le bateau. Elle connaissait la propension qu'avaient les deux-pattes à jeter négligemment des restes de nourriture et elle comptait bien tirer profit de l'aubaine.

Le bateau avait l'allure d'une bête mutilée. Des voiles trouées ça et là et rapiécées tant bien que mal ; le moignon d'un mat brisé ; le bastingage arraché en maints endroits... Mais l'oiseau n'avait cure de pareils détails, tout ce qui lui importait était de satisfaire son besoin le plus urgent.

Le volatile se posa sur le bastingage et commença jeter des coups d'oeil furtifs autour de lui. Des cordages, des sacs de toile, quelques caisses, un peu plus loin des humanoïdes en sueur, un peu plus près un autre représentant de leur espèce faisant un fluide mouvement de la main en direction de la mouette...

L'oiseau n'eut pas le temps de terminer son examen des environs car un carreau noir fendit l'air dans un sifflement étouffé et cloua fermement le petit corps emplumé au parapet.

***

"Plus facile de planter votre carreau dans une mouette, que dans ce prêtre avec son gros marteau, n'est-ce pas Yzhral ?"

Une grimace de dégoût déforma les traits du corsaire. Cette catin de Sheira avait le don de le surprendre en se rapprochant sans bruit dans son dos. D'ailleurs, elle semblait de plus en plus y prendre goût, ce qui mettait l'Elfe Noir hors de lui. Il se recomposa toutefois un visage impassible avant de se retourner.

"Capitaine Yzhral" corrigea-t-il d'une voix égale. "Et vous faites encore une fois ça, et ce sera dans votre corps que je planterai mon carreau."

Un sourire satisfait sur les lèvres, la sorcière vint s'appuyer au bastingage sans accorder un regard à son interlocuteur. Son profil était d'une perfection quasi irréelle, nota le corsaire bien malgré lui, une fois de plus. Un front haut, un nez fin et régulier, des lèvres pulpeuses surmontant un petit menton délicat, des yeux en amande, aux pupilles d'un riche brun noisette s'accordant à merveille avec le léger hale de sa peau, le tout encadré par une chevelure dorée qui coulait sur ses épaules et le long de son dos. Mais cette beauté parmi les beautés, Yzhral le savait, n'était qu'un joli vernis dont la brillance masquait les cruelles ténèbres qui étaient la matière dont était faite l'âme de Sheira.

Consciente que le regard du capitaine s'attardait sur elle (mais quel regard ne le faisait-il pas ?), la jeune femme se tourna légèrement vers lui, le fixant effrontément dans les yeux. Encore quelque chose qu'il détestait.

"Capitaine Yzhral..." convint-elle avec un nouveau sourire. "...Si vous préférez vous affubler de ce titre tellement creux désormais. Mais peut-être avez-vous raison de vouloir en profiter encore quelque temps... car après tout, qui sait, un de vos brillants subalternes prépare peut-être déjà votre succession à votre insu ? Et m'est avis, si tel est le cas, il ne devra plus attendre très longtemps. Généralement, des échecs comme le vôtre passent très mal auprès des prêteurs sur gage à Clar Karond."

C'était la première fois que Sheira venait lui parler depuis que le navire avait quitté les rivages du Nordland, fuyant la mort incandescente qui pleuvait du ciel. Et c'était pour lui dire ça. Rappeler aux autres leurs défaillances est décidément le passe-temps favori de cette maudite femme, pensa l'Elfe Noir avec amertume. Surtout quand elle sait que son interlocuteur ne pourrait la contredire sans perdre de sa dignité. Or, la dignité était le dernier rempart qu'il restait à Yzhral, même s'il détestait se l'avouer.

Dernier né d'une famille noble aussi nombreuse que pauvre, sa jeunesse, aussi longtemps qu'il pouvait s'en souvenir, avait été un enfer. Il grandit, dans le plus parfait abandon, entre un père dont la seule compétence utile avait été de faire des enfants à la chaîne, le fantôme d'une mère qui avait rendu son dernier soupir fatigué en le mettant au monde, ses aînés qui s'étaient battus bec et ongles pour grappiller les maigres possessions familiales pour soi tout en laissant le moins possible aux autres... Et en tant que benjamin, Yzhral eut rarement l'occasion de voir l'or familial briller entre ses mains. A chaque heure de chaque jour, il avait été obligé de lutter pour survivre. Et son sort ne s'était guère amélioré lorsque ses frères et soeurs avaient commencé à quitter le vétuste manoir pour chercher la fortune ailleurs. Ceux qui avaient eu le plus de jugeote s'étaient enrôlés dans la garnison de Clar Karond ; d'autres, plus stupides et paresseux, avaient fini à la rue comme mendiants ou putains ; d'autres encore on n'avait plus jamais eu aucune nouvelle. Et quant au jeune Yzhral, il était resté aux côtés de son géniteur qui plongeait chaque jour plus profondément dans la folie, provoquée par ses excès qui devenaient de plus en plus bon marché à mesure que finissaient de s'épuiser les coffres familiaux.

Alors, le jour de ses trente ans, âge négligeable pour un Elfe, il trancha la gorge de son père alors que celui-ci était plongé dans un sommeil éthylique. Ensuite, il s'empara des dernières pièces qui traînaient dans la trésorerie et de s'en alla vers les docks. Là, il s'acheta une paire d'épées ébréchées ainsi qu'un casque cabossé, et s'enrôla comme simple matelot sur le premier navire corsaire qui accepta ses services. Cette nef élégante avait pour nom "Trident de Khaine".

Yzhral prit rapidement goût à la vie sur un bateau. Pour la première fois de sa courte existence, il découvrait un endroit où il était possible de s'élever dans la hiérarchie à force d'abnégation au travail et de courage au combat. Bien loin des pitoyables coups fourrés et de la médiocrité crasse qu'il avait connus au sein de sa triste famille, il gagna rapidement le respect de ses nouveaux compagnons et les louanges de son capitaine Kaïl. Au bout de trois années, on lui attribua même le commandement d'une vingtaine d'hommes, tous bien plus âgés que lui, mais chez qui le jeune corsaire s'appliqua à cultiver une véritable déférence mêlée de crainte dès le début.

Toutefois Yzhral se rendit vite compte que l'abnégation seule n'aurait pas pu l'élever au-delà de son statut de simple sergent. Arrivant à la conclusion que le chemin le plus rapide vers le sommet de la chaîne de commandement était jonché de corps sans vie, il se mit au travail. Et en trois ans, trois malheureux lieutenants eurent la malchance de tomber sur leur propre épée en plein combat, un autre se rompit accidentellement le cou en montant dans les cordages, encore un disparut mystérieusement après une nuit fort arrosée, et le jeune Elfe fut admis dans le cercle il n'y a pas si longtemps fermé des conseillers personnels de Kaïl.

Le lieutenant tout fraîchement nommé n'eut pas vraiment l'occasion de savoir si son capitaine l'eût jamais soupçonné de quoi que ce fût, car le hasard fit que le vieux Kaïl tombât avec une flèche en travers de la gorge pendant un raid sur les côtes d'Ulthuan. Yzhral se fraya lui-même un chemin jusqu'au corps du capitaine, le porta jusqu'au navire et s'y autoproclama nouveau maître à bord tout en invitant quiconque n'était pas d'accord de venir le lui annoncer l'épée à la main. Personne ne se porta volontaire et le "Trident" s'en fut dans les brumes, distançant facilement ses poursuivants.

Dans les années qui suivirent, le "Trident de Khaine" vola de réussite en réussite. Attirés par la notoriété grandissante de son nouveau capitaine, de nombreux aspirants se présentaient devant le navire à chaque fois qu'il appareillait à Clar Karond après un nouveau triomphe. Son équipage s'étoffant en même temps que sa célébrité, Yzhral se prit même à rêver d'une flotte entière de vaisseaux qu'il commanderait, d'une flotte qui sèmerait la terreur sur les rivages d'Ulthuan et du Vieux Monde, d'une flotte dont la réputation irait jusqu'aux oreilles du Roi Sorcier lui-même... Le jeune corsaire se voyait déjà debout devant le puissant Malekith qui lui annonçait qu'il était désormais le capitaine d'une Arche Noire qui devait être le fer de lance de l'ultime invasion d'Ulthuan. Il se voyait portant la tête ensanglantée de Finubar ou de Tyrion à son souverain. Il se voyait auréolé d'une gloire éternelle, lui, le petit dernier d'une famille miséreuse, dont le nom serait pourtant inscrit dans la légende en lettres de sang.

A grands projets, grands moyens. Moyens qu'Yzhral ne possédait pas, mais qu'il décida, avec cette impatience propre à la jeunesse, d'obtenir le plus rapidement possible. Il fit le tour des prêteurs sur gage, les appâtant avec avec son nouveau projet : la mise à sac de la ville côtière de Hargendorf dans le Nordland afin d'en ramener, en même temps que richesses et esclaves, des prisonniers très particuliers : les mages d'un petit collège installé dans ce bourg. Il les ferait ensuite parvenir à Malekith en personne et le maître de Naggaroth leur trouverait probablement un bon usage comme ingrédients nécessaires à l'accomplissement de quelque rituel occulte. Ainsi, le corsaire comptait faire d'une pierre trois coups : se faire remarquer par le Roi Sorcier grâce à son présent, gagner les faveurs de ses créanciers en leur offrant la quasi intégralité du profit réalisé par la vente d'esclaves et finalement, donner un sérieux coup de pouce à sa propre réputation de capitaine osant tout et ne connaissant pourtant pas l'échec.

De nombreux prêteurs furent impressionnés par l'ambition du pirate et lui accordèrent les prêts qu'il désirait. En additionnant les deniers ainsi obtenus avec ses propres économies, Yzhral put faire équiper quatre navires supplémentaires d'une fort belle taille et les garnir en membres d'équipage motivés par les sommes qu'il recevraient une fois revenus de l'expédition. Finalement, pour l'aider à mieux faire face à la magie primitive des membres du collège de Hargendorf, le jeune capitaine s'offrit les services de l'une des plus talentueuses sorcières du couvent de Clar Karond : Sheira, aussi jeune et ambitieuse que lui, et réputée pour son exceptionnelle capacité à tisser des enchantements extrêmement destructeurs à l'aide des capricieux Vents de Magie. Ces préparatifs terminés, le "Trident de Khaine" leva l'ancre et s'en fut en direction du Vieux Monde sous les clameurs de la populace.

Si la chance sourit à Yzhral durant le voyage qui se passa presque sans encombres (un navire impérial qui s'enfuit dès qu'il les eût aperçus et le caractère exécrable de Sheira en constituaient la majeure partie), aussitôt que la flotte se fût approchée de sa cible, le sourire de la fortune s'évanouit de son beau visage et la dame capricieuse préféra montrer aux pirates son vilain postérieur. La ville était prête à repousser ses assaillants. De nombreuses sentinelles garnissaient son enceinte avec une batterie de canons à chaque endroit stratégique. Le plan d'assaut, qui consistait à attaquer, à la faveur de la nuit, depuis à la fois la mer et la terre ferme, s'effondra avec une rapidité déconcertante sous le feu de l'artillerie impériale. Alors que la flotte ne faisait qu'entamer sa manoeuvre d'approche, le ciel nocturne s'illumina soudain d'un rayonnement irréel (le fait des mages, décida plus tard Yzhral) et les canons crachèrent une volée de leurs projectiles mortels depuis la côte en direction des navires désormais parfaitement visibles et sans défense. Un boulet chanceusement tiré fit un énorme trou dans la coque de l'un des vaisseaux et ressortit par l'autre côté, coulant le bâtiment avec sa cargaison et la plupart de ses membres d'équipage. Un peu plus tard, deux autres bateaux sombrèrent, alors que les pirates se préparaient à commencer l'assaut du port. Seuls les équipages du "Trident de Khaine" et d'un autre navire purent rejoindre la terre ferme, mais le résultat de la bataille était couru d'avance. Pris sous un impitoyable feu croisé, puis encerclés par les troupes ennemies, les corsaires mouraient par régiments entiers. Une centaine de fanatiques presque nus, mais qui semblaient néanmoins ignorer les pires blessures qui leur étaient infligées, furent le dernier clou dans le cercueil ou fut violemment fourré le plan d'attaque de l'ambitieux capitaine Yzhral. Lui-même perdit connaissance, assommé par le marteau démesuré d'un prêtre qui semblait être le chef spirituel de cette horde de tueurs extatiques. Le jeune corsaire y aurait perdu sa vie par la même occasion si son dévoué Nemeth n'était pas intervenu. Le second porta son capitaine sur le "Trident", qui prit immédiatement la fuite, s'en sortant par Khaine sait quel miracle sous les volées de boulets et de mitraille que les humains leur envoyaient en signe d'adieu.

Jamais auparavant un échec n'avait affecté Yzhral autant que le désastre de Hargendorf. Les quatre jours qui suivirent ce revers, le jeune homme les passa dans sa cabine, fixant le plafond d'un regard vide. Nemeth expliqua de sa propre initiative aux autres marins que leur meneur devait récupérer de sa blessure et le mensonge fut accepté de mauvaise grâce.

Yzhral était mentalement brisé. Que faire, se demandait-il, mais que faire quand le monde s'écroule autour de vous ? A quoi penser quand votre rêve se trouve annihilé sous vos yeux ? Comment tirer un trait sur vingt années d'acharnement ininterrompu, comment oublier que votre fol espoir était en passe de devenir réalité ? Le jeune Elfe n'essaya même pas d'analyser son insuccès, d'en tirer des leçons qui auraient pu lui servir dans le futur. La profonde dépression qu'il était en train de vivre peignait le tableau de son avenir dans des gris délavés d'outre-tombe, sans laisser la moindre place aux teintes vives de l'espérance. Il lui semblait parfaitement inutile de se plonger dans les raisons de son fiasco : elles étaient là, à la vue de tous, fanaux de sa stupidité et de son arrogance. Il aurait dû poursuivre le navire impérial qui s'était échappé. Il aurait dû s'assurer que Sheira ne l'abandonnât pas au plus mauvais moment. Il aurait dû lancer une mission de reconnaissance avant d'attaquer le ville. Il aurait dû réfléchir comme l'aurait fait un véritable meneur d'hommes, au lieu de foncer la tête la première, avec la subtilité d'un buffle enragé. Maudite hardiesse de la jeunesse ! Construite sur les fondations de mille succès, en apparence si solides, elle fut démantelée par le poids d'un seul échec.

Au matin du cinquième jour, Yzhral commença néanmoins à revenir à lui. La première pensée sensée qui traversa alors l'esprit du capitaine fut que l'illusion de sa prétendue convalescence ne tarderait pas à se dissiper et qu'à ce moment, ses subordonnés commenceraient à se poser de sérieuses questions. Il sortit donc sur le pont, un air de fausse détermination plaqué sur le visage. Le jeune Elfe fut accueilli par les mines sombres des marins à qui il dispensa un court discours d'encouragement d'un ton qui se voulait enjoué. Aucun des mots qu'il prononça alors n'était sincère, aucun ne fit vraiment illusion, mais des têtes acquiescèrent, plus par habitude que par réelle conviction.

Et à présent que la vie sur le navire commençait à reprendre son cours normal, Sheira, avec son sens aigu de la perversité, venait en remettre une couche.

"Vous me semblez nerveux, capitaine" reprit la jeune femme sur un ton faussement concerné. "Soupçonnez-vous quelqu'un de félonie ? Nemeth ? Trop fidèle, celui-là, mais je peux bien sûr me tromper. Ou peut-être le vieux Urzel ? Il avait tout de même été l'un des hommes de confiance du précédent capitaine... Avez-vous remarqué comment il vous regarde ? Avec quel mépris non dissimulé dans ses yeux ? Si vous voulez mon humble avis, vous devriez vous méfier de celui-là. Ou peut-être devriez-vous vous garder de tout votre courageux équipage... Après tout, ils n'ont plus aucune raison de vous porter dans leurs coeurs."

Plus Sheira parlait, mieux Yzhral se rendait compte à quel point elle l'enrageait. Au début maigre flammèche au milieu d'un champ de désespoir à perte de vue, sa colère devint vite un feu dévorant, attisée et nourrie par le poison suintant de chaque parole de la sorcière. Elle pensait achever un homme mort avec ses insinuations. La fureur du pirate monta encore d'un cran lorsqu'il réalisa que la femme le considérait ainsi parce que la vue qu'il lui offrait était sans doute du dernier pitoyable. Alors il se redressa, carra les épaules, serra les dents et continua à fixer Sheira dans les yeux d'un regard qu'il espérait assez chargé de menace pour la faire taire. Elle n'en parut toutefois guère impressionnée.

"Savez vous quel est le bon côté de tout ça ?" demanda-t-elle avec sa voix mielleuse aux relents de moquerie.

"Non, mais je sens que vous n'allez pas tarder à me l'apprendre" rétorqua doucement le capitaine.

"Le bon côté, c'est que si l'entreprise de l'un de vos ambitieux subordonnés réussit, cela vous évitera les bien plus douloureuses explications avec vos créanciers, à Clar Karond."

Visiblement contente d'elle-même, Sheira se tut pour observer la réaction de son interlocuteur. Ce dernier se détourna d'elle et se mit à jouer distraitement avec le carreau d'arbalète planté dans le corps de la mouette toujours cloué au parapet. Soudain, il arracha d'un coup sec le sinistre ensemble et le brandit au visage de la sorcière qui, surprise, recula d'un pas.

"Vous feriez mieux d'apprendre de cet oiseau" murmura-t-il entre les dents. "Car voilà ce qui arrive quand on vient sur mon navire juste pour le conchier."

"Vos menaces ne..."

"Oui, c'est une menace, fillette. Et elle se changera en macabre réalité si je ne commence pas tout de suite à vous entendre m'abreuver de propos un tant soit peu constructifs."

"Je vous rappelle..."

Mais le capitaine interrompit de nouveau les glapissements outrés de la jeune femme.

"Je vous rappelle que depuis que vous êtes montée sur ma nef, je n'ai fait qu'écouter des propos désobligeants de votre part. Pas une seule fois je ne vous ai vu faire quelque chose pour justifier la somme que j'ai payé à votre couvent pour vos services. Vous n'avez pas su déjouer les sortilèges d'une bande de vieux imbéciles et nous avons dû attaquer la ville comme en plein jour sous le feu de ces pétoires puantes. Jusqu'au dernier moment, j'ai refusé de battre en retraite, croyant que vous vous bougeriez enfin, mais non, vous vous êtes juste contentée de nous regarder nous faire hacher menu. J'imagine que vous nous auriez été plus utile si j'avais laissé mes hommes profiter de votre présence d'une toute autre manière."

Yzhral remarqua avec satisfaction qu'il n'éleva pas une seule fois la voix en jetant sa tirade au visage de le sorcière. Il était persuadé que les gueulantes étaient l'apanage de ceux qui ne connaissent que cette manière d'imposer leur volonté aux autres. Lui, savait d'expérience que les bons mots prononcés au bon moment à voix basse pouvaient résonner dans les têtes bien plus fort qu'un hurlement colérique. Le corsaire nota une fois de plus que ses convictions n'étaient pas erronées. L'étonnement, puis même l'ombre fugitive de la peur, se peignirent sur les traits de Sheira. Yzhral regretta juste de ne pas lui avoir tenu le même discours des semaines plus tôt, quand rien n'était encore perdu. Et alors, avec l'implication (forcée certes) de l'ensorceleuse, les choses auraient peut-être été différentes. Mais qu'importe, au moins il retrouvait en soi le capitaine calmement autoritaire d'avant Hargendorf.

Les jeunes gens se tinrent ainsi l'un face à l'autre d'interminables secondes durant, se fixant mutuellement dans les yeux, aucun des deux ne voulant être le premier à détourner le regard. A mesure que la tension montait, une flamme violette s'alluma dans le regard de la sorcière, alors qu'un halo de la même couleur émanait de plus en plus distinctement de sa silhouette. De petits éclairs crépitèrent autour de ses petits poings serrés et la jeune femme fit un pas en avant, puis un autre, jusqu'à se retrouver quasiment nez à nez avec Yzhral. Ce dernier ne recula pas, même s'il sentit des gouttes de sueur froide lui couler le long de l'échine. A chaque instant qui passait, il avait plus de chance d'encaisser de plein fouet l'expression physique de la colère de Sheira. Et quelle que fût la forme qu'elle eût pris, il pouvait être sûr de ne pas en sortir vivant. Il se demanda d'ailleurs s'il aurait le temps d'enfoncer son épée dans le ventre de cette catin arrogante avant d'être réduit en cendres.

Mais alors que la main du capitaine se tendait déjà imperceptiblement vers la poignée de sa lame, le rayonnement magique disparut en même temps que les arcs électriques qui parcouraient les avant-bras de la sorcière. La jeune femme eut un petit rire sec et lacha dédaigneusement avant de s'en aller :

"Le terrible Yzhral a retrouvé sa virilité perdue, je vois. Tant mieux parce que vous me donniez envie de vomir depuis que nous avons quitté le Nordland."

Le corsaire la regarda s'éloigner d'un pas tranquille vers ses quartiers. Il poussa un soupir de soulagement quand Sheira disparut derrière la porte de sa cabine.

"Encore un peu et cette chienne me faisait griller sur place" murmura-t-il.

Malgré tout, Yzhral ne regrettait pas de lui avoir parlé de la sorte. Il était largement temps qu'il réponde aux provocations incessantes, dont la sorcière semblait avoir une réserve inépuisable dans son esprit pourri par le mensonge et la méchanceté gratuite. Il fallait cependant se tenir sur ses gardes, car tant que Sheira l'avait cru totalement brisé, elle ne s'était pas donnée la peine de comploter véritablement contre lui. Elle aurait laissé ce travail aux hypothétiques traîtres au sein de l'équipage ou aurait tout simplement attendu le retour à Clar Karond. Alors qu'à présent, et surtout après avoir été menacée, le jeune Elfe était certain qu'elle chercherait à avoir sa petite vengeance rien qu'à elle, avant que le vaisseau n'eût rejoint les rivages de Naggaroth.

Perdu comme il l'était dans ses pensées, Yzhral ne remarqua pas l'arrivée de son second, Nemeth.

"Je suis heureux de vous avoir de nouveau parmi nous, mon capitaine" dit-il de sa voix sifflante, séquelle d'une vieille blessure à la gorge. "Vous revenez au bon moment."

"Parce que ça fera taire les deux roquets de Kaïl ?"

"Oui. Les lieutenants Elerin et Urzel font en effet travailler leurs bouches pas seulement pour mâcher leurs rations."

Elerin et Urzel "faisaient travailler leurs bouches" tout le temps, pensa le capitaine avec dédain. Tous deux avaient été des officiers proches du précédent maître du "Trident de Khaine", mais Yzhral n'avait pas jugé utile de les éliminer en même temps que les autres. Urzel était un vieillard à demi gâteux. Et personne ne prenait au sérieux l'efféminé Elerin qu'on disait avoir été le giton de Kaïl.

"Ces deux-là ne sont guère dangereux" dit Yzhral à son second. "Si Urzel a peut-être un peu d'influence sur ceux qui ont navigué du temps du vieux Kaïl, les autres se foutent pas mal de ce qu'il pense. Et ce sont eux les plus nombreux."

"Les choses ont changé depuis Hargendorf" fit remarquer Nemeth. "Les nouveaux prêtent volontiers l'oreille aux contes relatant les menues rapines de Kaïl. Ils apprécient visiblement sa prudence, la faible quantité d'hommes perdus à chaque opération. Il faut dire qu'ils ont été plutôt secoués la dernière fois, alors maintenant le risque leur paraît être un luxe dont ils voudraient se passer."

"C'est moi qui paie leur solde. Pour le moment, ils aiment peut-être écouter radoter Urzel, mais ils ne sont pas stupides au point de ne pas se rendre compte que si je ne les avais pas engagés, ils auraient encore des poches vides et des filets de pêche dans les mains au lieu d'épées et d'arbalètes. Ton avis m'intéresse infiniment plus que le leur."

Yzhral savait que son second avait l'habitude de parler avec une honnêteté rare pour un Elfe Noir. Au sein de la société de Naggaroth, pervertie par le vice de l'hypocrisie, cette qualité avait valu à Nemeth de nombreux problèmes. Sur le "Trident de Khaine" par contre, elle n'avait pas de prix.

Le second ne se fit en effet pas prier.

"Au point où en sont les choses, vous savez qu'un retour à Clar Karond signifierait votre mort. Ceux qui vous ont prêté de l'argent sont des hommes ambitieux et qui n'ont pas peur d'investir dans des entreprises risquées. Mais ils tolèrent mal les échecs. Il y a quelques dizaines d'années, un noble avait eu comme projet de nettoyer les Bois Noirs d'une bande d'hommes-bêtes un peu trop entreprenants. Il voulait même ramener leur chef vivant et le faire combattre dans les arènes. Quand le noble en question est rentré bredouille, ses soldats et les deniers investis par les prêteurs irrémédiablement décimés, il a lui-même été envoyé sur les sables avec sa reconnaissance de dette drapée autour des reins comme seul vêtement. Là, il a été lentement mis en pièces par une volée de harpies, le tout sous les acclamations de la foule.

"Je ne vois donc qu'une seule manière de vous en sortir. Ramener un trophée dont la vente servira à payer au moins une partie de votre redevance. Là, vous pourriez négocier bien plus facilement que si vous étiez revenu les mains vides."

"Et tu penses certainement qu'il me suffit de fouiller au fond de mes poches pour y pêcher une saloperie d'artéfact qui me rapportera une fortune ?" dit Yzhral avec amertume. "Je ne suis pas un prestidigitateur, Nemeth. Si tu veux voir quelqu'un faire sortir une corneille d'un chapeau, tu n'as qu'à demander à Sheira. Ca au moins, elle devrait savoir le faire."

"Personne n'aura besoin de sortir quoi que ce soit de son chapeau" rétorqua calmement le second, un sourire malicieux étirant ses lèvres fines. "Pardonnez-moi de ne pas vous l'avoir dit plus tôt, mais un navire a été aperçu par le vigie il y a peu de temps. Plus grand que le "Trident", mais je pense bien moins manoeuvrable. Probablement des pirates de Norsca. Si nous les prenons par surprise, avec l'appui éventuel de la sorcière, nous pourrons remporter une victoire facile et peut-être même très profitable."

Abasourdi quelques instants par cette chance incroyable que le destin lui offrait sur un plateau, le jeune capitaine reprit rapidement ses esprits.

"Dis aux hommes de se préparer pour l'assaut" ordonna-t-il à voix haute. "Que tout le monde soit sur le pont et prêt à en découdre. Quand le soleil se couchera, je veux voir ce navire entre nos mains et les Norscans solidement enchaînés dans nos cales. Exécution."

"Ravi de vous retrouver, capitaine Yzhral" siffla Nemeth.

Modifié par DarkReaper
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Yo!

Pas grand chose à dire: c'est très fluide, maîtrisé, fautes quasi inexistantes (même si je n'y ai pas particulièrement prêté attention).

Novateur, aussi: sur mer, avec des corsaires, c'est tout bon.

Maintenant, les quelques petits points dommages:

-concernant l'avant Hargendorf, quand ils voient un navire qui s'enfuit directement: pour un capitaine d'expérience comme il a l'air d'être, c'est obligatoirement mauvais signe, car ce navire a le temps de faire tous les ports de la côte pour prévenir d'un raid d'Elfes Noirs; mais là, rien, sa flotte ne tente pas même de le poursuivre. Je trouve cela peu crédible, même au regard de son arrogance d'elfe. Et qu'il soit surpris en découvrant que la ville l'attendait, c'est du même ressort.

- "Et quelle que fût la forme que ça aurait pris"

Je trouve ce passage maladroit. "Et quelle que fut [parce que fût c'est pour un canon] la forme qu'elle [la colère] prit" me semble plus juste. Mais me semble, seulement.

- Après, c'est personnel, mais la société elfe noir m'apparaît tellement viciée et fourbe que je trouve ton personnage candide, parfois. Ce n'est pas désagréable, mais te sera peut être reproché par quelques fanatiques du "fluff".

En tout cas, c'est très bien, et on lit le passage sans s'en rendre compte.

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Au contraire moi, joueur druchii, je trouve bien qu'il y ai un druchii qui soit un peu humain, opiniâtre etc la sorcière elle aussi fait plaisir à voir. En effet les erreurs stratégiques lors de l'assaut semblent assez improbable pour un capitaine ayant déjà bourlingué et combattu pendant de nombreuses années. Il est assez surprenant que des druchii attaquent sans même avoir fait de repérage préalable. Et qu'ils continuent l'assaut alors que trois bateaux étaient déjà par le fond semble impensable.

Modifié par Newlight
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Un grand merci à vous d'avoir lu et apporté vos encouragements en critiques. :)

Novateur, aussi: sur mer, avec des corsaires, c'est tout bon.

Cette idée m'a été donnée par l'excellent cycle des "Aventuriers de la Mer" de Robin Hobb, auteur de fantasy que je place au même niveau qu'un Tolkien, un Leiber ou un George R. R. Martin.

- Après, c'est personnel, mais la société elfe noir m'apparaît tellement viciée et fourbe que je trouve ton personnage candide, parfois. Ce n'est pas désagréable, mais te sera peut être reproché par quelques fanatiques du "fluff".

C'est totalement voulu. A mon avis, les Elfes Noirs, tout comme la plupart des races non humaines du monde de Battle, ont été décrites par GW comme étant trop uni-dimensionnelles, avec un caractère prédominant pour chacune (arrogance pour les Hauts Elfes, stupidité et violence pour les Orques etc.). Je n'arrive pas à concevoir que la psychologie de ces races se résume à ce seul caractère. Pour prendre l'exemple d'un Elfe Noir, celui-ci est très certainement aigri et en colère contre ses voisins d'Ulthuan, vit de la piraterie et n'hésite pas à utiliser les méthodes les plus extrêmes pour parvenir à ses fins. Mais je suppose qu'au-delà de ces traits universels pour tous les Druchii, chacun d'entre eux peut avoir toutes sortes d'autres défauts et qualités, comme n'importe quel être conscient. Il peut donc y avoir parmi eux des personnes plus bonnes et plus mauvaises que d'autres.

-concernant l'avant Hargendorf, quand ils voient un navire qui s'enfuit directement: pour un capitaine d'expérience comme il a l'air d'être, c'est obligatoirement mauvais signe, car ce navire a le temps de faire tous les ports de la côte pour prévenir d'un raid d'Elfes Noirs; mais là, rien, sa flotte ne tente pas même de le poursuivre. Je trouve cela peu crédible, même au regard de son arrogance d'elfe.

Je suis d'accord avec toi sur le fait que ce manque de préparation est peu crédible (Newlight l'a aussi mentionné). Je viens d'ailleurs de modifier un passage qui s'y rapporte, afin d'expliquer pourquoi mes corsaires y foncé tête baissée. Et la raison que j'ai choisi est tout simplement la suffisance d'un capitaine très jeune (selon des critères elfiques) et inexpérimenté, à qui ses nombreux succès ont fait tourner la tête. Ca peut être vu comme étant un peu artificiel, mais c'était ça ou réécrire la moitié du chapitre. :D

Et qu'il soit surpris en découvrant que la ville l'attendait, c'est du même ressort.

J'ai viré le passage concernant la surprise. Merci. :)

- "Et quelle que fût la forme que ça aurait pris"

Je trouve ce passage maladroit. "Et quelle que fut [parce que fût c'est pour un canon] la forme qu'elle [la colère] prit" me semble plus juste. Mais me semble, seulement.

J'ai viré le "ça aurait". Je laisse le "fût", qui est le subjonctif imparfait du verbe être (vérifié dans le Bescherelle), qui a, à mon avis, sa place vu qu'on est dans une subordonnée. Si j'ai tort, n'hésite pas à me lapider :)

Et qu'ils continuent l'assaut alors que trois bateaux étaient déjà par le fond semble impensable.

J'ai considéré que ça pouvait encore être expliqué par le fait qu'ils ne voulaient pas abandonner malgré les difficultés, qu'ils avaient encore l'espoir de remporter la victoire au corps-à-corps, où les canons ne peuvent plus tirer. C'est la meilleure explication que je puisse donner. :)

En tout cas, un nouveau grand merci, votre feed-back me fait chaud au coeur.

Je posterai la deuxième partie du chapitre dans quelques jours.

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Il y a un point auquel je viens de penser, dans ces conditions un bon chef druchii aurait fait exécuter la sorcière en lui faisant porter devant l'équipage la totale responsabilité de l'échec (et en quelque sorte ce n'est pas totalement faux), sauvant ainsi sa position, au moins aux yeux de ses matelots.

Par contre au lieu de 's'en sortant par Khaine sait quel miracle sous les volées de boulets et de mitraille que les humains leur envoyaient en signe d'adieu.',

si le miracle dont khaine a le secret devient un miracle de la sorcière qui aurait sauvé le bateau des tirs de canon de manière bien visible (elle non plus ne veut pas finir par le fond) elle devient la femme providentielle et le chef ne peut plus la faire exécuter avec la reconnaissance que les marins lui témoigneront.

Modifié par Newlight
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si le miracle dont khaine a le secret devient un miracle de la sorcière qui aurait sauvé le bateau des tirs de canon de manière bien visible (elle non plus ne veut pas finir par le fond) elle devient la femme providentielle et le chef ne peut plus la faire exécuter avec la reconnaissance que les marins lui témoigneront.

La non-intervention de la sorcière est expliquée de façon assez simple dans la deuxième partie du premier chapitre que je posterai dans quelques jours.

Mais j'avoue ne pas avoir pensé à ce que tu viens de suggérer pour la simple raison que cela aurait mené le récit dans une direction différente de celle dans laquelle je voulais le mener. Je garderai néanmoins ton idée à l'esprit, ne fût-ce que pour me rappeler d'explorer absolument toutes les possibilités avant de commencer l'écriture proprement dite.

Cette histoire du siège manqué, même si elle conduit directement à la suite des évènements, n'est qu'un prologue, une façon d'expliquer la présence des Elfes Noirs sur les eaux du Grand Océan. Au début, je voulais à peine mentionner cet épisode, puis je me suis malgré tout décidé à le décrire plus en profondeur. Malheureusement, ça a mené à ces quelques incohérences que vous m'avez fait remarquer. :) Ce genre d'erreur me servira à l'avenir. Heureusement que ce petit bout de "pré-histoire" n'a pas énormément de conséquences sur la suite des évènements.

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Voilà la suite du 1er chapitre du "Secret de Tor Yldrin". En espérant que vous y preniez plaisir... :whistling:

Chapitre 1 (2ème partie)

Une fois seule dans sa cabine, Sheira s'allongea sur son matelas de plumes et essaya de se détendre. L'effronterie d'Yzhral lui avait toujours mis les nerfs à rude épreuve, mais ses menaces de tout à l'heure faillirent lui faire perdre son sang-froid. Or, à chaque fois qu'elle perdait le contrôle de ses émotions, la jeune femme faisait inconsciemment appel aux vents magiques, délice au relents purulents du Chaos, aussi dangereux qu'incontrôlable. Mais Sheira savait d'expérience que dans ces cas, il valait mieux faire un effort suprême pour se contrôler plutôt que de laisser simplement la magie couler en elle. Elle se souvenait parfaitement de cet épisode de son enfance, de la première et seule fois où elle y avait complètement succombé, furieuse qu'elle était contre une esclave maladroite qui avait taché sa robe préférée. Elle se souvenait de sa maison qui brûlait dans les flammes au milieu desquelles apparaissaient des visages caquetants. Elle se souvenait des paroles de la Matriarche Gedhel quand le couvent de Clar Karond l'avait recueillie, elle que son propre talent avait rendue orpheline. "La magie est comme un féroce destrier sauvage. Dompte-le et il piétinera tes ennemis. Lâche-lui la bride et il te mettra à terre, et te tuera à ton tour." Et Sheira avait dompté le destrier si vite que cela avait provoqué l'émerveillement et la crainte même chez les soeurs les plus expérimentées.

Le capitaine, lui, fut sur le point de lui faire oublier son sacro-saint contrôle. Ce petit parvenu avec son comportement et ses propos insolents, la sorcière l'avait pris en grippe dès les premiers instants de leur collaboration. La jeune femme n'avait jamais supporté l'arrogance chez son prochain, alors le fait de passer des semaines entières sur le même navire qu'un véritable parangon d'orgueil la rendait folle de rage. Son hostilité s'était muée en une véritable aversion, en un désir brûlant de voir son employeur échouer. Cette obsession l'avait poursuivie jusqu'au jour où la flotte druchii fut réduite à l'état de débris flottants. Elle s'était alors bien gardée d'intervenir dans la bataille, préférant laisser mourir des centaines de ses semblables plutôt que de voir s'alléger le poids du fiasco du capitaine. Et bien sûr, sa joie n'eut pas de limite lorsqu'elle le vit par la suite s'enfermer, désespéré, dans ses quartiers. Pendant les quelques jours que son partenaire avait passés dans son exil volontaire, elle ressentit l'ivresse qu'on éprouve quand le destin rend enfin une sentence qu'on estime dûe et méritée ; une intense satisfaction, qu'on sait mauvaise au fond de nous, car elle nous fait nous réjouir de la défaite de notre ennemi plus que de notre propre victoire.

Mais les beaux jours ne durèrent guère. Yzhral finit par émerger de sa retraite encore plus cassant qu'avant et Sheira en sentit sa haine monter à un tel point que la bride du destrier faillit lui échapper.

La jeune femme prit une profonde inspiration et ferma les yeux, relâchant tous ses muscles, sentant la chamade que battait son coeur diminuer, exactement comme le lui avait appris la vieille Gedhel des années auparavant. De toute façon, le navire rentrerait dans quelques semaines à Clar Karond, où un sort peu enviable attendait son capitaine. Sheira, elle, prendrait soin que sa chute soit la plus douloureuse possible, puis reprendrait sa vie de prodige choyée par tout le monde dans son couvent. Dans le futur, elle ferait juste en sorte de s'assurer d'un certain degré de déférence de la part de ses employeurs. A ces pensées d'un avenir confortable et tout tracé, elle sentit le ressentiment la quitter définitivement, pour être remplacé par la douce chaleur du bien-être.

Elle se laissa emporter par une douce rêverie, frontière incertaine entre le sommeil et l'éveil...

... quand tout à coup elle fut prise d'une violente convulsion et sentit son estomac se nouer douloureusement. Elle se retourna avec un râle de souffrance et, sentant la bile lui monter aux lèvres, se leva péniblement de son lit pour vomir sur le plancher. Jamais elle n'avait senti pareille douleur. C'était comme si toutes ses entrailles se mettaient en boule et lui remontaient jusqu'à la bouche, brûlant et déchirant sa gorge dans une explosion de tourments insupportables. Un gémissement lui échappa, aussitôt étouffé par une nouvelle gerbe de liquide douceâtre qui remonta son oesophage avant de venir s'ajouter à la flaque fétide déjà d'une taille considérable dans laquelle était assise la sorcière.

Des coups de poing à sa porte. Une voix tant haïe parvint à ses oreilles depuis un lieu qui lui sembla très lointain.

"... pour ça que j'ai décidé de vous donner une ultime chance !" criait Yzhral de l'autre côté. "Vous pouvez enfin me prouver que votre foutu couvent ne m'a pas escroqué."

La sorcière se mit debout avec difficulté et, surmontant la souffrance qui lui écorchait les sens, se changea le plus rapidement qu'elle pût et laissa choir ses vêtements souillés sur la mare de vomi afin de la masquer. Ce salaud ne découvrirait rien sur son état de faiblesse, se promit-elle en ouvrant la porte. Elle la ferma ensuite soigneusement derrière elle et se planta devant le capitaine en le regardant fermement dans les yeux.

"Je commençais déjà à m'inquiéter que vous ne préfériez bouder seule dans votre chambre en me laissant sur le pas de la porte" dit ce dernier avec un large sourire. "Mais vous me semblez bien pâle, la mer vous rendrait-elle malade à ce point ?"

"C'est n'est pas la mer, c'est vous qui me faites cet effet-là" répartit Sheira. "Venez-en au fait, je vous prie."

"Charmante, comme d'habitude. Bien, j'ai le plaisir de vous annoncer que notre cause n'est peut-être pas aussi désespérée qu'elle vous le semblait. En ce moment même, nous nous apprêtons à aborder un navire humain dont la capture serait fort salutaire à notre entreprise. Et j'espérais que vous consentiriez à nous faire enfin l'étalage de vos talents sur l'ennemi plutôt que sur celui qui vous paie. Comme je l'avais déjà mentionné, le récit de vous, qui vous tourniez les pouces pendant que coulait le sang de mes hommes, n'y changerait sans doute rien aux éventuelles représailles de mes créanciers... Mais avouez que ça ne fait tout de même pas très sérieux de la part de la meilleure élève de Gedhel, la Grande Matriarche de Clar Karond. Il se peut que vous en subissiez également des conséquences. Par contre, si vous nous aidez à mettre hors d'état de nuire ces sauvages, je mentionnerai le moins possible votre défection passée quand viendra le moment de m'expliquer avec mes créanciers."

Pour la première fois depuis longtemps, Sheira douta. Même si le pire qui pouvait lui arriver pour ne pas avoir justifié la foi de son employeur était un sévère blâme de la part de la Matriarche, cela ferait malgré tout une tache malvenue sur sa réputation pour le moment immaculée. Peut-être même que Gedhel savait pertinemment avec quel genre de partenaire elle aurait à travailler, mais ne lui en avait rien dit : il s'agissait à ses yeux d'une leçon de vie que sa jeune protégée avait à assimiler. Apprendre à demeurer de marbre devant la provocation. Gagner davantage en contrôle de soi, le contrôle étant la pierre angulaire du vrai pouvoir. Oui, ça se tenait parfaitement, réalisa Sheira en se félicitant mentalement d'avoir pu comprendre le dessein de son mentor.

"Vous êtes vraiment on ne peut plus généreux". Elle se força à esquisser une expression de froide suffisance malgré la douleur qui, quoique atténuée, lui vrillait toujours l'estomac. "D'accord, puisque c'est un spectacle de sang que vous voulez, je vais vous en offrir un tel que vous n'en verrez probablement plus jamais de semblable. Considérez ces humains comme étant déjà morts."

"Patience, je ne vous demande pas de tous les tuer. C'est aux arènes que je destine ces barbares, pas aux poissons des profondeurs."

La conversation fut interrompue par l'arrivée du second, Nemeth, qui, après avoir adressé un salut courtois mais sec à la sorcière, se tourna vers son capitaine et lui fit un bref rapport.

"Nous nous apprêtons à sortir du banc de brume" annonça-t-il de sa voix qui tenait davantage du sifflement de serpent que d'un langage articulé. "L'ennemi ne semble pas nous avoir encore repéré."

"Alors rendons grâce à Khaine que ce brouillard rende les humains aussi aveugles que des chauve-souris en plein jour. Dis aux servants des balistes d'utiliser des projectiles incendiaires et de viser tout spécialement leurs voiles. Le "Trident" a subi des dégâts et n'est donc plus aussi vif qu'avant, alors je veux que leur bateau soit le moins manoeuvrable possible. Nos arbalètes viseront les hommes sur le pont pour y semer le désordre. Nous les aborderons sans les éperonner, leur navire pourra nous servir après le combat. L'équipe d'Altaryn restera pour garder le navire, je ne veux pas de marins inexpérimentés pour ce combat. Passe le mot."

Le second acquiesça et s'en fut.

"Et quel rôle me réservez-vous dans votre plan brillantissime ?" demanda Sheira.

Yzhral ne se départit pas de sa mine réjouie en avalant le sarcasme.

"Je vous remercie d'autant plus du compliment que mon plan est en effet assez bon. Votre rôle à vous sera de tuer leur chef, et de préférence de la manière la plus horrible que vous puissiez imaginer. Il seront ainsi démoralisés avant même que le vrai combat ne débute. Ah oui, et tâchez de ne pas le rater, il se peut que vous n'ayez pas de seconde tentative."

"A vos ordres... capitaine."

"Bien, dans ce cas, veuillez m'accompagner. Vers le gaillard arrière, je vous prie."

La sorcière tenta de calquer son allure sur celle d'Yzhral. Mais la souffrance qui habitait son corps se rappelait à elle à chaque pas qu'elle faisait. Serrant les dents, Sheira essaya de se distraire en jetant un oeil aux marins qui s'activaient sur le pont dans ce qui lui semblait être un chaos total. Cependant, Nemeth, qui allait d'un chef d'équipe à l'autre pour les mettre au courant du plan d'action, semblait plutôt satisfait de l'avancée des préparatifs. Si elle persistait à croire que le capitaine n'était qu'un imbécile chanceux, la jeune femme devait reconnaître les superbes capacités d'organisateur de son second. A vrai dire, Nemeth avait à ses yeux bien plus l'étoffe d'un chef que son supérieur : énergique mais pas agité, sévère mais juste, d'une franchise à toute épreuve mais loin d'être naïf.

"Vous feriez mieux de regarder devant vous si vous ne voulez pas rater une marche."

Yzhral se tenait déjà en haut de l'escalier qui menait au gaillard arrière et toisait la sorcière d'un regard amusé. Cette dernière détourna les yeux de l'activité régnant sur le pont et se hâta de rejoindre son haïssable partenaire. Pendant qu'elle montait péniblement, deux corsaires se détachèrent de la masse industrieuse de leurs semblables et vinrent la flanquer tout en lui offrant chacun une main qui se voulait secourable. Sheira considéra la possibilité d'accepter leur aide à vrai dire bienvenue, mais décida finalement de ne rien laisser paraître du mal qui la rongeait. Elle ignora donc ses escortes et se fit violence pour effectuer le reste de la montée seule sans trop chanceler.

"Votre poste pour la durée du combat sera ici" annonça Yzhral lorsque la jeune femme fut à ses côtés. "Pour votre propre sécurité, vous ne devrez le quitter sous aucun prétexte. Ces jeunes gens" il fit un signe en direction des deux escogriffes qui venaient de monter en même temps que la sorcière "seront là pour s'assurer qu'il ne vous arrive rien... mais aussi que vous ne tentiez pas quelque chose de trop peu conventionnel. Votre seule préoccupation sera de chercher parmi nos ennemis celui qui les commande et de le réduire en un tas de cendres fumantes. Rajoutez si possible quelques effets pyrotechniques à sa mort, je suis persuadé que les humains en apprécieront le spectacle. Votre ultime consigne, c'est de le faire avant que le corps-à-corps ne commence. Je ne veux pas que vous foudroyiez par pure inadvertance un de nos propres hommes. Tâchez de ne pas me décevoir."

Sans lui accorder un regard de plus, Yzhral descendit l'escalier d'un pas nonchalant et s'en alla vers la proue.

Une fois le capitaine parti, Sheira tituba avec difficulté vers un banc et s'y effondra, le souffle court. La douleur empirait de nouveau. Elle essaya de respirer lentement, mais son corps entier n'était que souffrance et refusait de lui obéir. L'un de ses geôliers lui demanda si elle désirait boire un peu d'eau, mais la sorcière le congédia d'un geste énervé. Ne pas s'évanouir, elle ne devait pas s'évanouir, pas devant eux. Elle devait être forte, faire son travail pour fermer le clapet à ceux qui osaient douter d'elle. Et quand tout serait terminé, elle s'occuperait du cas d'Yzhral. Mais pour le moment, tenir...

Soudain, une question essentielle lui vint à l'esprit : pourquoi cette douleur subite ? Certes, le bateau qui tanguait et l'air marin lui avaient toujours souverainement déplu, mais les maux de mer dont elle avait eu à souffrir jusqu'à maintenant n'avaient jamais pris une forme aussi violente et soudaine... Le mot vint flotter dans sa tête, signal d'avertissement naturel dont elle eut du mal à admettre la pertinence sur le moment. Néanmoins, ce cri d'alarme de son instinct avait le mérite de tout expliquer. Poison.

***

Quand le "Trident de Khaine" émergea des brumes, son équipage découvrit le navire ennemi dans toute sa sombre splendeur. Quatre mats aux voiles d'un noir profond ; une coque en bois d'ébène hérissée de pointes ; un immense et grotesque taureau anthropomorphe à la gueule grande ouverte et aux bras musculeux brandis vers les cieux en guise de figure de proue ; et juste en dessous, un éperon prêt à surgir des eaux grises et déchiqueter bois, métal et chair : le moindre contour, le plus infime détail du bateau norscan alliait une élégance épurée à une dérangeante brutalité.

Yzhral connaissait bien la façon de combattre des pirates norscans qui dédaignaient souvent le combat à distance au profit d'un assaut rapide et meurtrier. Frapper les premiers était pour eux la clé de la victoire. Malheur à l'équipage qui se laissait surprendre par eux, car une fois au corps-à-corps, les hommes du Nord étaient d'une férocité qui ne pouvait être refroidie que par des tirs nourris, par la mort de leur chef ou par un avantage numérique en leur défaveur. Or, la première de ces options était la seule dont l'équipage du "Trident de Khaine" était certain de disposer. Quant aux deux autres, il fallait faire confiance à Sheira ou prier pour que la coque du drakkar dissimule en son sein ridiculement peu de guerriers par rapport à sa taille, nota distraitement le jeune capitaine. Mais si elle était loin d'être offerte sur un plateau, l'opportunité de se refaire que les dieux lui présentaient devait être saisie à deux mains, dussé-t-il y perdre tous ses doigts. Une mort l'épée à la main était bien plus douce qu'un lent supplice aux mains de ses créanciers dans quelque froid donjon à Clar Karond. Aussi Yzhral se prépara-t-il à rencontrer son destin le coeur léger.

Le chant des carreaux de baliste signala le début de l'affrontement. Huit épieux enflammés s'envolèrent vers le navire ennemi : si cinq d'entre eux ratèrent leur cible, deux autres se fichèrent dans la coque et un dernier perfora une voile. Et déjà les corsaires rechargeaient, les chefs artilleurs donnaient des ordres pour corriger la trajectoire des projectiles et Yzhral se permettait un sourire glacé : avec quelques volées de plus, les voiles du drakkar seraient en lambeaux et le capitaine adverse n'aurait alors plus que les rames et le gouvernail pour manoeuvrer sa pesante caraque. Encore une volée, et de nouveau trois carreaux firent mouche, un d'entre eux enflammant la voile qu'il avait touchée. Pendant ce temps, le "Trident" approchait inexorablement à portée d'arbalète.

Sur le pont ennemi, des cris retentissaient et l'équipage se mettait dans un état d'activité forcenée. Une silhouette massive se déplaçait parmi les marins norscans, distribuant ordres et coups de pied. Lentement, le drakkar pivota pour faire face au "Trident de Khaine", mais la nef agile vira à tribord et entreprit un mouvement latéral à l'ennemi. Les arbalétriers tirèrent une volée d'essai qui atteignit le pont du vaisseau norscan ; elle fut directement suivie de plusieurs autres, le mécanisme de rechargement rapide des arbalètes de Naggaroth permettant de noyer l'adversaire sous un flot continu de carreaux sans perdre beaucoup en puissance ou en précision. Les humains criaient leur douleur et leurs imprécations, mais c'était là tout ce qu'ils pouvaient faire face au pilonnage incessant que leur faisaient subir les corsaires.

Yzhral contemplait ce spectacle offert par ses ennemis désorganisés avec une expression de délectation intense sur le visage. Comme c'était étrange : lui qui, il y a quelques heures à peine, débitait de creuses platitudes sur la solidarité et le sens du devoir à un équipage démoralisé, ressentait à présent de nouveau cet enivrant sentiment de puissance, drogue sans laquelle il ne pouvait imaginer son existence avant l'épisode de Hargendorf. Le moindre de ses gestes était d'une légèreté aérienne, la moindre de ses paroles transmettait son enthousiasme à tout son navire et le doute était expulsé de son esprit comme le serait une maladie inconséquente d'un corps en pleine santé. Sa main droite se tendait toute seule vers sa lame, elle voulait trancher et tuer, laver tous les échecs passés de son propriétaire dans un torrent de sang. Yzhral rit quand, sous une grèle de carreaux, les humains se mirent à préparer tant bien que mal leurs catapultes tout en jetant quelques pitoyables javelots vers le pont du "Trident". Puis il hurla d'une voix goguenarde quand les premières pierres, tirées par les grossières machines de guerre ennemies, éclaboussèrent l'eau autour de sa nef de guerre.

"Voyez ! Ces pleutres primitifs nous jettent des pierres et des bouts de bois, comme ils le font quand ils veulent se taper leurs femmes, qui les battraient à mort s'ils ne les assommaient pas d'abord ! Donnons-leur les seuls baisers qu'ils méritent : ceux de nos lames !"

Un rugissement sanguinaire s'échappa d'une centaine de gorges alors que des grappins étaient lancés vers l'ennemi. Les crochets de fer noir se fichèrent profondément dans le bastingage du drakkar. Des poulies furent actionnées, tirant sur les cordes auxquelles les crocs métalliques étaient attachés, rapprochant les deux vaisseaux coque contre coque. Des instants avant que la boucherie commence, Yzhral nota avec détachement que Sheira ne s'était manifestée d'aucune manière. Et à présent il était trop tard pour elle d'intervenir de quelque façon que ce fût. Pas grave, pensa Yzhral, quand ils en auraient terminé avec les humains, il la lâcherait dans la cale avec les prisonniers, mains et pieds liés. Une pareille expérience serait sûrement instructive pour cette traînée paresseuse. Puis, en entendant le doux chuintement des épées sorties de leurs fourreaux tout autour de lui, le capitaine oublia jusqu'à l'existence de la sorcière et se jeta en avant, joignant sa voix au choeur des hurlements assoiffés de carnage de ses hommes.

Yzhral enjamba adroitement le bastingage et sauta sur le pont du drakkar. Un javelot fendit l'air tout près de sa tête, mais le jeune Elfe ne le remarqua même pas et s'élança vers son premier adversaire, un marin humain habillé d'un gilet de cuir clouté et portant à la main une épée ébréchée. Le Norscan frappa le premier, mais Yzhral plongea sous la lame et, d'un coup sec, ouvrit le ventre de son opposant. Le corps de ce dernier n'avait pas encore touché le sol que l'Elfe était déjà passé à l'homme qui se tenait derrière, parait un coup de taille avec son épée de la main gauche, évitait le lourd bouclier lancé dans sa figure et, profitant de l'élan de l'adversaire, lui passait son épée de la main droite au travers du corps. Il acheva ensuite promptement le travail en plaçant ses deux lames croisées sur le cou du barbare tombé à genoux et en lui tranchant la tête d'un rapide mouvement de cisailles.

N'ayant plus d'adversaires dans ses environs immédiats, Yzhral reprit son souffle et lança un regard circulaire autour de lui. Ses hommes ne perdaient pas de temps et faisaient reculer l'ennemi sous leur assaut furieux, libérant de l'espace à leurs camarades de derrière, afin que ces derniers puissent poser le pied sur le pont du drakkar et se joindre au combat. Le capitaine chargea en même temps que les corsaires de la vague suivante et percuta avec elle les rangs désordonnés des Norscans qui reculèrent encore davantage. Les épées du jeune capitaine reprirent leur danse mortelle.

Yzhral tuait avec un total abandon. Les cris de rage et de douleur, les crissements lancinants du fer frappant le fer, les odeurs du massacre, la sensation grisante de sa lame plongeant dans les entrailles de ses adversaires : tout cela le mettait dans un profond état de transe que même ses compagnons d'armes les plus aguerris avaient toujours considéré avec respect et effroi. A chaque fois qu'il faisait verser le sang, son visage prenait une expression rêveuse, un vague rictus de plaisir lui soulevait les coins de la bouche alors qu'il taillait de droite et de gauche, tout son être concentré dans ses épées, tout son univers réduit à leur valse virevoltante. Personne ne lui avait jamais appris à se battre, car le combat était devenu pour lui une seconde nature dès qu'il eût pourfendu son premier adversaire encore du temps du capitaine Kaïl. Au coeur de la mêlée, toute pensée ne relevant pas de l'instinct pur n'avait plus sa place dans l'esprit du jeune commandant du "Trident de Khaine". Et dans une situation aussi désespérée que la sienne, cela n'avait pas de prix.

Modifié par DarkReaper
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Très bon récit, tellement bon qu'au bout de deux paragraphes je regarde la longueur totale du texte pour m'assurer qu'il en reste encore beaucoup. Sauvez la sorcière elle est gentille, quel est le monstre qui a osé l'empoisonner!!!!!!!!!!! A mort, il mérite de crever!!!!!!!!!!

Modifié par Newlight
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Non, faut la sauver uniquement pour qu'Yzhral lui fasse un enfant.

Pas vraiment mieux que le camarade Newlight: c'est cool. J'éviterais les suppositions quant au suspect, qui seraient dignes d'un épisode de NCIS, mais c'est pas mal amené, ton histoire de poison.

Vu qu'il n'y a pas de remarques de fond, et très peu de forme, on va relever les micro-imperfections:

- "prodige choyée par tous ": c'est sensé sortir beaucoup, une sorcière? Parce que si non, j'aurais mis 'toutes': un couvent, par définition, n'accueille que des demoiselles.

- "mais ne lui en avait rien dit parce qu'il s'agissait à ses yeux d'une leçon de vie que sa jeune protégée aurait à assimiler": un peu longuet, peut être. Et concernant les temps, il me semble (mais ne fait que me sembler, encore une fois) que 'd'une leçon que sa jeune protégée avait à assimiler' va plus dans le sens de ce que tu veux dire: avec aurait, on croirait presque qu'elle ne la reçoit pas sur le navire, alors que ta phrase laisse comprendre que l'intention de la matriarche était qu'elle la reçoive, justement.

- "Alors rendons grâce à Khaine que ce brouillard rend les humains aussi aveugles que des chauve-souris en plein jour": 2 remarques: tout d'abord la phrase n'est pas très évocatrices, puisque les chauves souris se repèrent via des ultrasons, et ne sortent que la nuit pour d'autres raisons que Batman (nourriture, prédateurs, entre autres); ensuite, si on conserve cette tournure, ton 'que' implique du subjonctif (enfin je crois), et donc ça donne: 'que ce brouillard rende les humains...'

- "inorthodoxe": euh... Bon, déjà c'est du néologisme, et puis c'est pas très élégant. En plus tu insères un élément de notre monde (l'orthodoxie, même si elle signifie 'penser droit' d'après son origine grecque, reste [en tout cas chez moi] très lié à la religion orthodoxe; et là c'est ce que j'ai vu en premier). Non, vraiment, tu peux trouver mieux.

- "sera de chercher parmi nos ennemis celui qui les commande et le réduire en un tas de cendres fumantes": 'et de le réduire en cendres', non?

- "c'est de le faire avant que le corps-à-corps commence": 'ne commence', non?

- "Des instants avant que la boucherie ne commence": là, c'est le 'des instants' qui me laisse perplexe: on dit 'des instants avant que je ne prenne ma douche, je remarquai que la salle de bain était sale', par exemple?

Allez, la suite sans tarder! Ceux qui arrivent pas à lire ça en moins de quinze minutes n'auront qu'à prendre leur temps!

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Orthodoxe est un mot employé dans bien d'autres contextes que la religion orthodoxe, on parle de méthodes pas très orthodoxes, de communistes orthodoxes etc et inorthodoxe n'est pas un néologisme ou alors un néologisme couramment employé. Par contre j'aurais dit que 'vous ne vous tentiez pas quelque chose...par trop inorthodoxe'

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- "prodige choyée par tous ": c'est sensé sortir beaucoup, une sorcière? Parce que si non, j'aurais mis 'toutes': un couvent, par définition, n'accueille que des demoiselles.

Non, en effet, je ne pense pas que dans les premières années de leur apprentissage, elles sortent beaucoup. Mais dans le texte, j'ai précisé "par tous dans son couvent". Ici, "tous" (employé dans un sens général) peut à mon avis désigner aussi les femmes, mais je ne suis pas sûr. De toute façon, pour éviter toute erreur, je le modifie dans le texte par "tout le monde".

- "mais ne lui en avait rien dit parce qu'il s'agissait à ses yeux d'une leçon de vie que sa jeune protégée aurait à assimiler": un peu longuet, peut être. Et concernant les temps, il me semble (mais ne fait que me sembler, encore une fois) que 'd'une leçon que sa jeune protégée avait à assimiler' va plus dans le sens de ce que tu veux dire: avec aurait, on croirait presque qu'elle ne la reçoit pas sur le navire, alors que ta phrase laisse comprendre que l'intention de la matriarche était qu'elle la reçoive, justement.

Tu as tout à fait raison ! De un, je scinde la phrase en deux. De deux, je remplace "aurait" par "avait".

- "Alors rendons grâce à Khaine que ce brouillard rend les humains aussi aveugles que des chauve-souris en plein jour": 2 remarques: tout d'abord la phrase n'est pas très évocatrices, puisque les chauves souris se repèrent via des ultrasons, et ne sortent que la nuit pour d'autres raisons que Batman (nourriture, prédateurs, entre autres); ensuite, si on conserve cette tournure, ton 'que' implique du subjonctif (enfin je crois), et donc ça donne: 'que ce brouillard rende les humains...'

A mon sens, elle reste évocatrice, car à cette époque, on ne sait rien des ultrasons, on sait juste qu'une chauve-souris en pleine journée, ça ne voit pas bien. Pour ce qui est du subjonctif, je corrige bien sûr, ça m'avait complètement échappé.

Pour le reste, j'avais refléchi de la même façon que Newlight pour le terme orthodoxe. Mais je suis ton conseil et je change "inorthodoxe" par "peu conventionnel". Ensuite, j'ai corrigé les autres erreurs de grammaire que tu m'as signalées.

Sauvez la sorcière elle est gentille, quel est le monstre qui a osé l'empoisonner!!!!!!!!!!!

"Rien au monde après l'espérance n'est plus trompeur que l'apparence." (Charles Perrault) Vous verrez. :D

Un tout grand merci à ceux qui me lisent, vous m'encouragez à continuer ! :) La suite demain.

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Chapitre 1 (3ème partie, fin du chapitre)

Passée la violence initiale de l'assaut des corsaires, la mêlée générale se dispersa en plusieurs petits affrontements. Une certaine prudence prit le pas sur la fougue et la brutalité de la charge. Les combattants se jaugeaient, préférant des feintes plus ou moins subtiles à l'assaut frontal. La mélopée grinçante des épées entrechoquées s'étant quelque peu assourdie, le pont du drakkar commença à ressembler à une macabre salle de bal où les danseurs se tournaient autour en ahanant au milieu de corps sans vie. Et c'était au premier qui ferait un faux pas de rejoindre le parterre de cadavres.

L'adversaire de Nemeth était un solide gaillard dont les nombreuses cicatrices indiquaient que c'était loin d'être son premier corps-à-corps. Bien à l'abri derrière son bouclier, il se mouvait au même rythme que l'Elfe Noir, ne lui laissant pas d'ouverture à exploiter. Il parait les lourds coups de hache du second à l'aide de sa rondache et contrattaquait aussitôt, avant de faire un nouveau pas en arrière.

Remarquant que tous les Norscans adoptaient la même attitude face à leurs adversaires, Nemeth fut saisi d'une évidence : ce comportement n'était pas de l'indécision, mais de l'attente. Et cette conduite passive ressemblait si peu à la frénésie sanguinaire dont faisaient d'habitude preuve les guerriers du Nord, que le second commença à se demander si les humains n'agissaient pas à dessein en attendant une arrivée de renforts qui feraient pencher la balance en leur faveur. La suite des évènements confirma ses craintes.

La porte qui menait apparemment à la cale s'ouvrit avec fracas. Du rectangle ténébreux jaillit un géant en armure noire, une immense hache couverte de runes incandescentes dans les mains. A sa suite apparurent plusieurs créatures de taille et d'équipement similaires et vinrent se ranger calmement aux côtés du premier. Un silence pesant tomba sur le drakkar. Chaque combattant sembla avoir oublié jusqu'à la présence de ses adversaires, pour observer ces incarnations de la violence fouler le pont empoissé par le sang, leurs mouvements nullement entravés par le poids de leurs armures lourdes.

A leur vue, l'expérimenté Nemeth se mit à trembler. Il se rappelait de la pénombre des tavernes de Clar Karond, où des soldats aguerris évoquaient parfois à mi-voix ces hommes qui vouaient leurs vies à guerre à un tel point que leurs corps en mutation finissaient par ne faire qu'un avec leurs armures. Ces êtres contrefaits étaient l'élite suprême des légions du Nord, les avatars du massacre, les élus des dieux du Chaos. Et les cuirasses hérissées de pointes de ceux qui venaient de faire leur apparition portaient la marque anguleuse de la plus sanguinaire des divinités : Khorne, le Seigneur des Crânes. Nemeth sentit ses jambes vaciller sous lui. Sa hache de guerre devint lourde dans ses mains tremblantes, alors qu'un linceul de terreur lui occultait la conscience et que son instinct de conservation lui hurlait de prendre aussitôt la fuite.

Soudain, le géant cuirassé de noir qui était apparu en premier leva ses bras au ciel et beugla dans son langage guttural. Son cri de guerre fut aussitôt repris par tous les marins norscans qui se jetèrent dans le combat avec une férocité renouvelée.

Nemeth eut du mal à contenir l'assaut de son adversaire direct et c'est par chance qu'il survécut à la pluie de coups que l'humain lui portait : après un moulinet rageur, la lame nordique se ficha profondément dans le bois d'un mat et, le temps de l'en retirer, son propriétaire avait le visage fendu en deux par la hache de l'Elfe Noir.

Mais à peine eût-il relevé son arme que le second était déjà assailli par deux nouveaux adversaires. Le lourd maillet de l'un d'entre eux lui atterrit lourdement sur le sommet du casque et Nemeth s'affaissa, le monde autour de lui se voilant d'une obscurité striée d'éclairs blancs. Il se mordit la langue afin que la douleur aigüe l'empêche de s'évanouir, tout en réalisant la futilité de cette vieille astuce de soldat. Dans un instant, les armes des humains voleraient vers son corps recroquevillé pour l'achever comme un vieux chien aveugle.

Toutefois, ce ne furent pas les instruments de mort des Norscans, mais une main qui se posa sur sa nuque, accompagnée d'une voix familière.

"Ne meurs pas tout de suite, mon bon Nemeth, car nos lames ne sont pas encore abreuvées."

Yzhral et ses formules grandiloquentes. Le second rouvrit les yeux à grand' peine et découvrit devant lui les bottes de son supérieur, dont les semelles pataugeaient dans une épaisse flaque de liquide rouge. Un pas plus loin gisaient deux corps sans vie.

La douleur sourde lui martelait si fort le crâne que Nemeth se demanda encore s'il pourrait se remettre sur ses pieds. Mais il y fut bien obligé, car la main du capitaine empoigna le col de sa broigne de cuir et le remit fermement debout. Yzhral souriait de l'étrange sourire sans joie que ceux qui avaient combattu à ses côtés connaissaient si bien.

"Nous devons battre en retraite" parvint à articuler le second, sa langue encore toute gonflée et endolorie par la morsure qu'il venait de lui faire subir.

"Non. Tu m'as dit toi-même que j'étais dos au mur et je suis d'accord avec toi. Tous les choix à ma disposition semblent me mener à une fin atroce. Mais je préfère mourir d'un coup d'épée plutôt que..."

Une silhouette imposante se dessina dans le dos d'Yzhral. Celui-ci se tut en remarquant les yeux écarquillés de son ami et fit volte-face, tout en se mettant en posture de combat, les genoux légèrement pliés et ses épées à mi-hauteur.

C'était le chef des monstrueux guerriers en armure noire. Il se tenait immobile, ne faisant pas mine d'attaquer, comme pour laisser au capitaine et à son second le temps d'admirer sa taille gigantesque, son casque orné d'une paire de cornes dorées surmontant ses épaules de titan, sa hache entièrement fabriquée en quelque sombre métal dans une main et le cadavre décapité d'un corsaire dans l'autre. Tout à coup, la créature souleva le corps de l'Elfe mort à la seule force de son bras gauche et le jeta nonchallamment par dessus bord, aussi facilement que s'il s'était agi d'une poupée de chiffons. Nemeth tressaillit, surpris par cette subite démonstration de puissance. Il en avait vu des horreurs dans sa longue vie de pirate : des serpents de mer aux dents effilées comme des rasoirs ; des barbares nordiques aux trophées macabres accrochées à leurs boucliers ; des mages hauts elfes aux pouvoirs dépassant l'entendement... Mais le temps avait effiloché le souvenir de ces abominations, alors que le monstrueux Khornite se trouvait à quelques pas de lui, ici et maintenant.

"Viens donc, l'ami, ne laisse pas la peur te clouer sur place." La voix provocatrice d'Yzhral tira Nemeth de sa paralysie. Mais ce n'était pas à lui que le capitaine s'adressait, c'était à l'incarnation cuirassée de la destruction devant eux. "Ne t'inquiète pas, tu n'auras pas mal, car j'ai l'habitude de tuer mes adversaires rapidement."

Même s'il ne comprit probablement pas les paroles de défi qui venaient d'être proférées, le guerrier du Chaos en saisit apparemment le sens général, car il se mit à marcher vers les deux Druchii sans se précipiter ni même lever son arme. Nemeth trouva son allure détendue encore plus menaçante que sa terrible hache ensanglantée ou que les pointes aux nombreux trophées à divers états de décomposition dont étaient hérissées ses épaulières. Une fois de plus, le second faillit écouter la voix affolée de la raison qui l'enjoignait à prendre ses jambes à son cou, en laissant son capitaine combattre la mort faite chair s'il en avait tellement envie. Mais une autre voix, ferme et ne souffrant aucune contestation, l'obligeait à faire face à l'ennemi, si terrible fût-il et si faibles fussent ses propres chances de survie. Cette deuxième voix relevait aussi de la peur, mais d'une peur différente : celle de voir tous les moments de sa vie où il s'était montré brave devenir caducs en un seul instant de faiblesse. "Si tu as été pleutre une fois, tu seras pleutre à tout jamais" disait l'antique proverbe de Naggaroth. L'inaction avait cette particularité de tuer le courage, Nemeth le savait d'expérience. Alors il serra plus fermement le manche de son arme dans ses mains et chargea.

Dans le monde entier, les Elfes sont réputés et craints pour leur vitesse et leur agilité, mais le guerrier de Khorne se révéla plus rapide et plus agile encore. En un éclair, sa hache de guerre vola parer celle de son adversaire, puis, en un même mouvement fluide, le frappa durement au menton avec l'extrémité opposée du manche. Nemeth tomba à la renverse et, malgré la douleur qui lui cuisait la mâchoire, parvint à se relever rapidement pour faire de nouveau face à l'ennemi. Il cracha quelques dents mêlées à un jet de salive rouge, et, tout en hurlant de douleur et de rage, attaqua de nouveau. Cette fois-ci, son capitaine l'imita.

Mais l'immense Norscan, malgré sa force et sa rapidité plus que considérables, ne tenait visiblement pas à affronter deux adversaires à la fois. Il se fendit d'une feinte en direction d'Yzhral, puis contrattaqua subitement le second, faisant pleuvoir une avalanche de coups vicieux que ce dernier eut bien du mal à dévier. D'ailleurs, il ne les dévia pas tous. La lame de son opposant s'enfonça profondément dans son genou, le faisant choir à nouveau, sa jambe ensanglantée tordue selon un angle impossible. Une souffrance indicible lui écorchant le système nerveux, Nemeth cria comme il n'avait encore jamais crié. Son être conscient se réduisit en une seule pensée, en un seul espoir insensé, mais tellement logique à cet instant précis : que le guerrier du Chaos l'achève le plus rapidement possible.

Son voeu ne fut guère exaucé.

***

Quand Yzhral vit son second tomber, une pointe de honte perça l'enveloppe d'insensibilité dont son esprit se drapait à chaque combat. Le sentiment était nouveau pour lui, mais il n'en était pas moins dérangeant. L'espace d'un instant, il s'en voulut terriblement de s'être laissé abuser par la feinte peu subtile du géant nordique, en résultat de quoi le seul être sur terre qu'il pouvait appeler ami gisait sur le sol, se tordant de douleur et pissant le sang. Ensuite, la honte s'évanouit aussi rapidement qu'elle était apparue et une rage froide en prit la place.

Alors que la créature levait sa hache démesurée, nonchalamment tenue dans sa seule main droite, pour achever le blessé, Yzhral s'élançait en lâchant une de ses épées, empoignait la deuxième à deux mains et tranchait le bras prêt à donner la mort juste à la jointure du gantelet et de la cubitière. La lame druchii, plus acérée qu'un rasoir, pénétra chairs et os avec facilité. L'avant-bras proprement sectionné tomba, l'arme encore serrée dans une poigne d'acier. Le guerrier du Chaos émit juste un grognement étouffé par son casque et, tout en se retournant, frappa à la volée l'Elfe Noir au visage, avec le dos de sa main gauche. Un craquement déchirant, et le capitaine s'envola pendant quelques instants, le nez brisé, avant de heurter douloureusement le bastingage du dos lors de l'atterrissage. D'innombrables lumières occultèrent durant un bref moment son champ visuel, mais il revint rapidement à lui. Sentant toujours dans son poing le poids rassurant de son épée, qu'il n'avait miraculeusement pas lâchée dans son vol plané, Yzhral se prépara à accueillir le nouvel assaut du Norscan.

Cependant, la vivacité du géant le surprit une fois de plus. A peine l'Elfe Noir eut-il le temps de se relever que le Khornite était déjà sur lui, lui assénant un nouveau coup foudroyant. Le jeune capitaine l'évita de justesse, mais le corps du guerrier du chaos, dans son élan, le heurta de plein fouet. Yzhral sentit l'air chassé violemment de ses poumons alors qu'il s'envolait une nouvelle fois, mais cette fois-ci le parapet ne put l'arrêter. Sentant le vide derrière lui, il battit des bras dans une tentative désespérée de s'accrocher à quelque chose, mais ses doigts ne rencontrèrent que l'armure lisse du Norscan... Jusqu'à ce qu'une de ses mains se referme sur une aspérité salvatrice. Avec un étonnement détaché, Yzhral s'aperçut qu'il s'agissait d'un simple pendentif rond d'apparence peu remarquable. Le temps lui sembla s'être arrêté sur cette scène surréaliste : lui, pendu au-dessus du vide, séparé d'une chute dans les eaux glacées par la négligeable épaisseur d'une chaînette attachée au plastron d'un mastodonte sanguinaire. Durant un bref instant, le Khornite parut confus à la vue de son adversaire s'accrochant à lui, tel une tique sur les flancs d'un chien aspergé d'eau. Puis le massif gantelet vola pour la troisième fois vers le visage de l'Elfe.

Soudain, retentit un bruit de métal déchiré dans le dos du guerrier du Chaos qui lui arracha un rugissement où se mêlaient souffrance et dépit. Son coup de poing dévia de sa trajectoire, frappant le vide. Yzhral réagit en un quart de seconde. Il tira de sa main libre une dague pendue à sa ceinture et l'enfonça de toutes ses forces dans une fente sous l'épaulière de son ennemi, juste au-dessus de l'endroit où était sensé se trouver son coeur. Le Norscan eut un spasme de douleur, puis un second, provoqué par une hache se levant et s'abattant de nouveau sur son dos. Il s'effondra de toute son énorme masse sur le bastingage. Le jeune capitaine, toujours accroché à lui, eut la vision fugitive d'un Nemeth pâle comme la mort, le visage tordu par la souffrance, en train d'essayer de dégager son arme des épaisses couches de plaques dorsales de l'armure du Khornite. Yzhral voulut remercier son fidèle second, mais tout d'un coup, la chaînette qui le maintenait suspendu au-dessus des flots se rompit et il tomba.

Alors qu'il se préparait déjà à accueillir sur sa peau la morsure glacée des eaux du Grand Océan, le jeune Elfe fut brutalement arrêté dans sa chute. Il leva les yeux, mais au lieu de découvrir le visage du courageux Nemeth, ce fut le casque cornu de son ennemi qu'il vit au-dessus de lui. Pendant un instant, le capitaine se crut atteint d'une hallucination, futile mécanisme de défense du cerveau contre l'inconcevable imminence de la fin. Il n'arrivait pas à croire qu'il venait d'être sauvé par un monstre assoiffé de sang, un dément qui, il y a peu, faisait tout ce qui était en son pouvoir pour le tuer. Mais c'était bel et bien le géant en armure noire qui, avec sa seule main restante, le tirait par le poignet vers le salut.

Yzhral retomba lourdement sur le pont du drakkar, abasourdi, n'arrivant pas à se faire à une évidence qui défiait même les explications les plus folles. Il regarda le guerrier du Chaos, affalé sur le bastingage, respirant difficilement, la hache de Nemeth toujours plantée dans le dos. Quant au second, il gisait à ses pieds, inconcient, finalement vaincu par la douleur. Le Nordique se retourna lentement, les yeux dissimulés sous son casque braqués sur celui qu'il venait de secourir. Non, pas vraiment sur lui, s'aperçut le capitaine, mais sur sa main, qui tenait toujours le pendentif. Et tout d'un coup, le geste salvateur insensé retrouva toute sa logique : ce n'était pas l'Elfe Noir que le Norscan venait de préserver de la noyade, mais sa foutue breloque ! Cette dernière devait avoir une importance capitale pour le Khornite. Un pouvoir ! Yzhral se remémora les récits sur les serviteurs des dieux de la ruine, les pantins humains auxquels leurs maîtres immortels octroyaient toutes sortes de récompenses pour leurs faits d'armes. Et ces dons allaient de l'honneur douteux d'être changé en une masse de chair informe en constante mutation, jusqu'aux artéfacts à la puissance phénoménale. Et d'après l'empressement évident du Norscan à récupérer son amulette, celle-ci devait certainement contenir quelque magie destructrice.

Les pensées défilaient à une vitesse folle dans la tête d'Yzhral. Il était sauvé ! Il détenait là à coup sûr un artéfact millénaire, qui suffirait largement à payer sa dette. Un artéfact qu'il convenait de mettre en sûreté au plus vite.

- RETRAITE ! s'époumona-t-il. TOUT LE MONDE BAT EN RETRAITE !

Sous l'effet de ces paroles, les dernières velléités de résistance des corsaires se désagrégèrent comme des châteaux de poussière face à une rafale de vent. Les Elfes se mirent à fuir précipitamment vers leur propre navire, abandonnant sans honte leurs blessés. Yzhral lui-même, après avoir jeté un regard au corps de Nemeth gisant toujours aux pieds du guerrier du Chaos, jugea qu'il était impossible de secourir le second, et s'en fut à toute vitesse vers le "Trident". Le Khornite manchot mugit quelque chose dans son dos, et les Norscans cessèrent de poursuivre les Druchii en fuite pour se retourner contre leur meneur. Il était cependant déjà trop tard : l'Elfe esquiva un coup de massue qui visait à réduire son crâne en une pulpe sanguinolente, monta sur le bastingage du drakkar et sauta vers sa nef qui s'éloignait, les cordes aux grappins qui la reliaient au bateau ennemi déjà consciencieusement coupées. Pendant qu'il était en l'air, Yzhral se dit qu'il ne pourrait pas atteindre son navire, qu'il s'écraserait sur sa coque lisse avant de tomber à l'océan. Une fin aussi ridicule ferait mourir de rire ses détracteurs. Toutefois sa sombre prédiction ne se réalisa pas, car il retomba le ventre sur le garde-corps et s'y accrocha de toutes ses forces malgré sa respiration coupée par le choc de la chute. Le capitaine fit dernier effort pour se hisser sur le pont, où il roula sur le dos et fixa quelques instants le ciel de plomb d'un regard vide, luttant pour reprendre son souffle. Puis, il s'obligea à se relever et à aller accomplir son devoir.

Les matelots druchii travaillaient frénétiquement, ne prêtant aucune attention aux quelques javelots qur les Norscans jetaient sur eux. Pendant un temps, il sembla que le navire nordique arriverait à accrocher sa proie, surtout quand son éperon s'enfonça dans le flanc momentanément exposé de la nef de Naggaroth. Mais le "Trident", aidé par sa voilure intacte, prit de la vitesse et commença à distancer tout doucement son ennemi.

Quand la fuite devint un jeu au chat et à la souris monotone, que ses subordonnés, rompus à ce genre de pratique, pouvaient gérer sans son intervention, Yzhral s'esseula sur le gaillard arrière et tenta de remettre de l'ordre dans ses idées. Malgré la mort plus que probable de Nemeth, malgré son propre corps endolori, on pouvait dire que cette journée avait été une franche réussite. Il avait récupéré un artéfact puissant. Il avait sauvé sa peau.

Un seul souci le rongeait : l'insubordination de Sheira. Cette maudite catin avait une fois de plus manqué à son devoir. Bien qu'elle n'aurait de toute façon pas pu apercevoir le véritable chef des pirates norscans, qui se terrait dans la cale avant le début du corps-à-corps, elle aurait tout de même dû faire quelque chose. Comme tuer quelques uns d'entre eux. Ou aider les balistes à brûler les voiles ennemies. Ou...

Le capitaine se dirigea d'un pas décidé vers la cabine de la sorcière, qui avait délaissé son poste à l'arrière du navire. Mais elle n'était pas la seule : les deux matelots qu'il avait laissés la garder s'étaient volatilisés avec elle. Quelle faveur obscène leur avait-elle promis en échange d'un retour vers ses quartiers ? Ou les avait-elle tout simplement tués et jetés à la mer ?

Mais la vérité se révéla être toute autre. Quand Yzhral pénétra dans la cabine luxueuse de Sheira, il la découvrit étendue sur son lit. Le léger hâle avait disparu de son visage pour laisser la place à une pâleur d'albâtre. Ses deux cerbères se tenaient près du lit de la jeune femme, lui épongeant le front à l'aide de linges humides. Ils se mirent toutefois au garde à vous comme un seul homme lorsque leur commandant entra.

"Que Khaine me préserve d'avoir à emmener des femmes sur mon navire dans le futur" lança Yzhral avant d'ajouter, en humant ostensiblement l'air de la pièce empestant le vomi. "Un peu de sang et de bon air marin, et les voilà qui se souillent pire qu'un ivrogne après une nuit trop arrosée"

La pique porta ses fruits, car l'ensorceleuse malade ouvrit les yeux et darda sur le capitaine un regard que la haine disputait à la fatigue. Ses lèvres s'entrouvrirent, sûrement pour laisser le passage à quelque obscénité, mais tout ce qui en sortit fut un hoquet de douleur et un fin filet de bave bileuse. Yzhral ne se laissa pas attendrir par ce spectacle pitoyable.

"Peut-être qu'une heureuse nouvelle pourrait-elle vous remettre d'aplomb" continua-t-il sur un ton moqueur. "Comme je vous l'avais naguère prédit, notre voyage n'aura pas été vain. J'avoue cependant en toute humilité que mon plan de départ n'a pas fonctionné vu que nous n'avons pris aucun prisonnier à vendre sur le marché aux esclaves. Ceci dit, j'ai quelque chose de mieux. D'infiniment mieux. Jugez par vous-même."

Et, tout content de son effet, il sortit le petit pendentif de sa bourse avant de le brandir sous le nez de la sorcière. Il s'attendait à lire dans les traits de Sheira une frustration impuissante quand elle aurait l'artéfact sous les yeux et qu'elle sentirait le pouvoir qui devait en émaner.

Le résultat dépassa toutes ses espérances. Dès qu'Yzhral eût approché sa main ouverte sur le talisman du visage de la jeune femme, cette dernière émit un cri de souffrance si strident que lui-même sursauta. Du sang se mit à couler de ses narines, un flot de bile écarlate lui coula de la bouche en aspergeant les couvertures immaculées et un spasme de suffocation lui souleva la poitrine. La sorcière se tortilla, se collant au mur et détournant la tête, comme dans une tentative désespérée de mettre le plus de distance possible entre elle et le pendentif. De sa bouche tordue par la douleur et secouée de tremblements, Sheira parvint à articuler tant bien que mal :

"Eloigne... ça... S'il te plaît..."

Le sarcasme qu'il lui avait préparé resta coincé dans la gorge d'Yzhral, son souffle coupé par une intense exultation intérieure. Comme dans le plus agréable des rêves, il referma la main sur l'artéfact et le remit dans sa bourse. Dès qu'il eut fait cela, la crise de la jeune femme se calma quelque peu. Elle retomba sur ses oreillers, pantelante et ruisselant de sueur. Elle rouvrit les yeux pendant un bref instant et le capitaine n'y lut ni haine ni frustration, juste une peur panique. Ce qui eut le don de provoquer l'épanouissement d'un sourire béat sur le visage tuméfié du jeune Druchii.

"J'en ai fini ici. Faites tout le nécessaire pour la soulager."

Tels furent ses commandements aux deux jeunes matelots avant qu'il ne sortît de la cabine.

Une allégresse aérienne s'était emparée d'Yzhral. L'artéfact avait apparemment la capacité de réduire tout utilisateur de magie à un état d'épave. Et cet effet ne se produisait pas seulement au contact avec la cible, car Sheira avait déjà l'air bien indisposée alors que le "Trident de Khaine" était encore relativement éloigné du drakkar. Bref, une portée étendue, un pouvoir immense et peut-être aussi d'autres effets du même acabit, mais encore inconnus, résuma mentalement le jeune Elfe. Un tel objet, couplé à sa propre intelligence et son audace naturelles pouvait le faire s'élever haut, TRES haut. Bien plus haut que son statut rêvé de conquérant d'Ulthuan. Il pourrait même imposer sa volonté au Roi Sorcier Malekith lui-même s'il le désirait.

"Mon capitaine ?"

Le corsaire qui se tenait devant lui en l'apostrophant (depuis combien de temps était-il là ?) tira Yzhral de son songe mégalomaniaque.

"Mon capitaine, nous ne parvenons pas à boucher le trou fait par leur éperon dans notre coque. Le "Trident" est en train de couler."

***

Nemeth vivait.

Non, ce n'était pas une vie, plutôt une vague existence aux frontières de l'évanouissement. Seule l'immonde décoction, que ces barbares du Nord l'avaient obligé à avaler, le maintenait conscient. Ô combien il eût préféré être mort, afin de ne plus sentir la brûlure insupportable de son genou broyé.

Mais son corps vivait, traîtreusement.

Il vivait pendant que les Norscans le traînaient rudement vers le gaillard avant, sans aucune considération pour sa jambe qui le torturait au moindre petit choc.

Il vivait alors qu'ils l'attachaient au bastingage, juste en dessous de l'immense taureau de bois noir, alors que l'eau salée de l'océan aspergeait ses blessures, rendant les tourments qu'elles lui infligeaient encore plus insoutenables.

Il vivait quand on lui enfonçait de gros clous rouillés dans les paumes, l'épinglant au navire comme une seconde figure de proue étriquée et gémissante.

Il vivait, et au vu des quantités de liquide douceâtre, mais atrocement revigorant qu'on le faisait ingurgiter, il vivrait encore longtemps.

Bonne matinée à tous. :wink:

Modifié par DarkReaper
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Mais qu'est ce qui t'as pris de faire souffrir autant le seul personnage que j'apprécie, hein?

Ralala, ils ne savent plus ménager leur public, ces jeunes...

Bon, les quelques petites remarques, comme d'habitude:

- "la restante": c'est vraiment dissonant, comme une fausse note au milieu d'un concerto de piano. 'Et saisit la deuxième' aurait été plus harmonieux.

- "de sa main libre une dague pendant à sa ceinture": 'pendue'. J'en mets aussi beaucoup, des participes présents, mais au finla c'est parfois lourd; ici, préfère un participe passé.

Allez, en route pour le chapitre 2, mon gars.

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Hahaha dès la citation de perrault j'avais deviné qu'il s'agissait d'un artéfact sur le vaisseau norse qui lui faisait cet effet là à la sorcière (du coup j'ai le droit en bonus et en prime time au 2ème chapitre aujourd'hui, que je monneyerai aux autres lecteurs avides de savoir la suite)). Yzrhal doit le jeter ou être tué!!!!!!!!!!!!! Car du coup elle va souffrir tout le trajet du retour.

Pour nemeth il faut aller le sauver car c'est un brave druchii.

Modifié par Newlight
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:D

Bravo ! Une bonne histoire qui commence ! Pour l'instant c'était assez différent pour être intéressant et les personnages sont assez attachants au final ! On a de l'action et de l'intrigue, tout pour faire un bon cocktail ! Un petit duel réaliste (ça gonfle les héros surpuissants et invulnérables, ça fait du bien des perdants de temps en temps !)

Bref, la forme est aussi agréable, j'ai pas trouvé de fautes et malgré la taille de mon retard je me suis jamais ennuyé !

Après "conseil'' de modo : bien lire les épinglés où tu verras qu'il ne faut pas répondre à chaque message SAUF dans certains cas particuliers : fin d'un texte, quand tu as beaucoup de choses à dire (c'est le cas pour l'instant) indispensables (c'est pas le cas !) sinon tu gardes tes réponses pour les mettre avant le passage suivant (c'est ce qu'on conseille :clap:) Exemple de ce que j'ai failli supprimer ou au moins déplacer dans un autre de tes passages :

Tu as tout à fait raison ! De un, je scinde la phrase en deux. De deux, je remplace "aurait" par "avait".
Pour le reste, j'avais refléchi de la même façon que Newlight pour le terme orthodoxe. Mais je suis ton conseil et je change "inorthodoxe" par "peu conventionnel". Ensuite, j'ai corrigé les autres erreurs de grammaire que tu m'as signalées.

Donc ça c'est des exemples que je peux supprimer par exemple parce qu'on s'intéresse pas vraiment au fait que tu vas prendre en compte nos modifications. Si on te dit les problèmes, c'est pour que tu les corriges (ou pas) mais on veut pas de confirmations :clap: Au final, on verrait qu'il reste que deux phrases intéressantes et ces réponses peuvent bien attendre une suite de ton texte :clap:

a non-intervention de la sorcière est expliquée de façon assez simple dans la deuxième partie du premier chapitre que je posterai dans quelques jours.

Mais j'avoue ne pas avoir pensé à ce que tu viens de suggérer pour la simple raison que cela aurait mené le récit dans une direction différente de celle dans laquelle je voulais le mener. Je garderai néanmoins ton idée à l'esprit, ne fût-ce que pour me rappeler d'explorer absolument toutes les possibilités avant de commencer l'écriture proprement dite.

Cette histoire du siège manqué, même si elle conduit directement à la suite des évènements, n'est qu'un prologue, une façon d'expliquer la présence des Elfes Noirs sur les eaux du Grand Océan. Au début, je voulais à peine mentionner cet épisode, puis je me suis malgré tout décidé à le décrire plus en profondeur. Malheureusement, ça a mené à ces quelques incohérences que vous m'avez fait remarquer. blushing.gif Ce genre d'erreur me servira à l'avenir. Heureusement que ce petit bout de "pré-histoire" n'a pas énormément de conséquences sur la suite des évènements.

Ca, j'ai failli le supprimer entièrement pour la simple et bonne raison que tu es obligé d'expliquer ton texte. Là, on touche quelque chose de particulier : si tu es obligé d'expliquer, c'est que ton texte est mal fait. Donc à partir de là, soit tu édites le passages, soit tu le prends en considération pour le passage suivant et tu mets les éléments de réponse dans ceux-ci et pas dans un paragraphe qui a rien à voir avec l'histoire.

Pour conclure, ces remarques sur les réponses aux critiques sont destinées à tous les auteurs puisque je le répète à tout va mais pour une fois que j'ai pas mal d'exemples, ça montre mieux ce qu'on attend de vous.

@+

-= Inxi =-

Modifié par Inxi-Huinzi
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Donc ça c'est des exemples que je peux supprimer par exemple parce qu'on s'intéresse pas vraiment au fait que tu vas prendre en compte nos modifications. Si on te dit les problèmes, c'est pour que tu les corriges (ou pas) mais on veut pas de confirmations tongue.gif Au final, on verrait qu'il reste que deux phrases intéressantes et ces réponses peuvent bien attendre une suite de ton texte wink3.gif

Moui... Je ne voudrais pas jouer mon chieur, mais c'est justement là tout l'intérêt de la chose. Si quelqu'un soumet son texte aux critiques d'un forum, ce n'est pas pour rien: appréciations d'ordres divers, critiques constructives et reprises de certains passages. Ceci implique bien sûr de la part de la communauté qui lit le texte un travail de réflexion, de recherche, et un certain temps. Et personnellement, lorsque je soulève des points de grammaire/conjugaison/syntaxe/autres, lorsque je lis et relis certains passages, lorsqu'enfin je les couche par écrit, c'est bien pour ensuite avoir un retour.

Mes commentaires sont loin d'être infaillibles; l'auteur peut justifier tel choix plutôt qu'un autre; je peux avoir mis le doigt sur un défaut récurrent, ou bien sur une chose qui allait être révélé plus tard; je peux apprendre de ses réponses. Et tu voudrais que tout cela disparaisse?

Parler, tout simplement, d'un texte que l'on a lu et apprécié, ou que l'on a trouvé en dessous de nos attentes, comprendre pourquoi cela et pas ceci, est-ce vraiment dérangeant? Pour une section qui n'accueille pas des foules délirantes et stupides dans leur façon de poster, je trouve au contraire que c'est un plus.

Où serait l'intérêt de critiquer un texte, de faire des suppositions et de conseiller son auteur si c'est pour ne voir aucune trace de résultat? Ou bien devoir aller les chercher six messages plus haut, au milieu de lignes déjà lues?

Non, décidément, je ne suis pas d'accord.

Peut être que je suis le seul.

c'est que ton texte est mal fait

Ou trop bien fait. Perdre son lecteur n'est il pas le but de tout thriller? Voire même d'un simple roman qui se réclame d'un certain niveau d'intrigue?

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Je vais me contenter de répondre à une remarque puisque la nature de mon message est complètement passé à la trappe.

Je rappelle que j'ai dit de mettre les réponses aux critiques avant le nouveau passage publié et pas à chaque nouvelle critique.

Perdre son lecteur n'est il pas le but de tout thriller?

Oui sauf que l'auteur donne pas d'explication entre chaque chapitre. Donc ma remarque est : si l'auteur remarque avoir oublié quelque chose : il le met dans le passage qui suit ou dans un edit, pas en réponse détachée du texte.

@+

-= Inxi, suite du débat par MP s'il doit avoir lieu, on gâche le texte là ^^ =-

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Salut ^^

Les messages sont bien trop longs (tout de même sept pages le dernier extrait O_O !) et il me faut te rapeller que tu traîne sur Internet et sur l'ordi et qu'il est beaucoup plus fatiguant de lire du multimédia que du papier. Cela m'étonne d'ailleurs que personne n'ait fait la remarque. Mais bon, après, je comprends, mon premier message ici faisait douze pages ( :nuke: ), autant dire un calvaire. Je te conseillerai plutôt par paquets de deux pages

Bon, maintenant, pour le texte en lui-même.

Bon, j'ai surtout un gros problème avec le fait que tu changes peu les fonctions de tes persos : Nemeth est soit "Nemeth" soit "le second". Quand tu vois marqué cela quatre fois d'affilé, ça gonfle vite.

Après, fais attention à ton vocabulaire :

Il avait sauvé sa peau. Et surtout, il avait maté Sheira...
Je trouve que cela n'est pas génial à froid, juste comme ça, un peu trop "vulgaire" pour le style. Dans des conditions particulières, je dis aps mais là, ça m'a pas vraiment laissé une bonne impression.

Et puis, en continuant sur le vocabulaire, fais attentionà tes champs lexicaux. Dans le dernier passage toujours, entre la baston et le peu de définition que tu fais beaucoup de mots sont réutilisés assez fréquemment ou trop proches d'autres (A éviter du genre : "le sanguinaire individu" et deux lignes après "le sanguinaire" [exemples détournés ne prends pas peur ^^"]).

Voilà, dans l'ensemble ça reste sympa.

Bonne chnace !

Modifié par Inxi-Huinzi
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Je n'ai critiqué personne, tu me confonds avec Silverthorns (qui, je suis sûr, a déjà résolu son problème avec Inxi-Huinzi). Voilà, ça c'est fait.

Bon, j'ai surtout un gros problème avec le fait que tu changes peu les fonctions de tes persos : Nemeth est soit "Nemeth" soit "le second". Quand tu vois marqué cela quatre fois d'affilé, ça gonfle vite.

C'est bizarre mais on ne peut pas l'appeler de mille façons différentes. :nuke:

Après, fais attention à ton vocabulaire :

CITATION

Il avait sauvé sa peau. Et surtout, il avait maté Sheira...

Je trouve que cela n'est pas génial à froid, juste comme ça, un peu trop "vulgaire" pour le style. Dans des conditions particulières, je dis aps mais là, ça m'a pas vraiment laissé une bonne impression.

En quoi c'est vulgaire ?

t puis, en continuant sur le vocabulaire, fais attentionà tes champs lexicaux. Dans le dernier passage toujours, entre la baston et le peu de définition que tu fais beaucoup de mots sont réutilisés assez fréquemment ou trop proches d'autres (A éviter du genre : "le sanguinaire individu" et deux lignes après "le sanguinaire" [exemples détournés ne prends pas peur ^^"]).

Je n'ai pas compris.

Modifié par Inxi-Huinzi
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Les messages sont bien trop longs

Pas selon moi c'est tant mieux que j'ai assez à lire à chaque fois.

Il avait sauvé sa peau. Et surtout, il avait maté Sheira...

C'est pas vulgaire mais pour ma part cela m'énerve. D'un autre côté c'est le récit.

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Chapitre 2 (1ère partie)

Quelque part au milieu des brumes du Grand Océan, un petit plateau de roche grise émerge des flots. Ses versants nord, est et ouest sont abrupts, plongeant directement dans la mer, dont les vagues moussent contre les brisants disséminés tout autour. La partie sud de l'îlot est moins élevée et pourvue d'une petite plage de galets qui permet éventuellement que l'on y débarque, si l'on fait suffisamment attention aux écueils à peine dissimulés par la surface de l'eau. Un sentier naturel de quelques pas de large serpente depuis la grève jusqu'au sommet plat du massif. Là, une tour d'une cinquantaine de pieds de haut se dresse, beffroi ancestral dont l'âge se devine par les craquelures qui strient ses parois de grès blanc. Un mur d'enceinte à moitié plus petit l'encercle.

De la petite cour délimitée par le muret s'échappent des chuchotements grinçants de l'acier, couverts parfois par une voix rauque jappant des ordres laconiques : "En garde !", "Formation serrée !", "Rompez !", "Aux mannequins !", "En garde !", "Estoc !"...

***

"Estoc !" aboya le sergent.

Suant à grosses gouttes, Serendil lança son bras droit vers son partenaire d'entraînement, une grosse et rudimentaire poupée de bois, mutilée par les innombrables coups qu'elle avait reçus lors des séances précédentes. La pointe de sa lance râcla contre la surface du mannequin, y laissant une entaille de plus.

"Gardez la position !"

Le jeune Elfe s'immobilisa dans une pose inconfortable, son arme d'hast pesant douloureusement sur son bras, ses épaules et son dos, tellement tendus qu'il en tremblait. Tous ses muscles étaient bandés à l'extrême, à un point tel qu'il se surprit à sangloter doucement, son système nerveux cédant sous le poids de l'effort physique.

Le sergent s'arrêta devant Serendil en le regardant fixement, examinant avec une cruauté méticuleuse les moindres défauts de sa posture.

"L'angle du coude vers le haut, le Poète. Tu n'es pas une vieille putain qui fait la manche parce que plus personne ne veut d'elle."

Des gloussements étouffés crépitèrent dans le dos du jeune Elfe, qui puisa dans ses dernières réserves de volonté pour redresser son bras selon la façon voulue par l'officier. Serendil sentit affluer un ressentiment puissant envers lui et ses tendances chicanières. Pendant une seconde, il lui sembla même que la bouche de son tourmenteur se tordit en un rictus sadique, savourant la souffrance qu'il infligeait. Mais l'illusion, née sous le coup d'une colère subite induite par la fatigue, s'effaça et laissa la place à l'expression mi-figue mi-raisin qu'affichait habituellement le sergent. Ce dernier resta encore quelques longs et douloureux moments à observer sa recrue, puis s'en alla chercher une autre victime.

Merian, Sergent-Chef du Premier (et seul) Régiment des Gardes Lanciers de Tor Yldrin, en plus d'être un supérieur très vétilleux à l'égard de ses subalternes, était un ivrogne. Lorsque l'ennui le gagnait (c'est-à-dire très souvent), il était capable d'avaler des quantités inimaginables de vin, restant dans ses quartiers privés durant la moitié d'une journée à s'adonner à son vice. Ensuite, complètement ivre, il se présentait à l'entrainement du soir passablement énervé, comme s'il rejetait la faute de son devoir d'officier sur ses recrues. Il s'évertuait alors à leur imposer les activités les plus épuisantes qu'il pût imaginer, faisant de l'excès de zèle désapprouvé même par son commandant. Les soldats du régiment se souvenaient d'un incident particulier : le sergent les avait crevés à la tâche durant tout l'après-midi et, devant leur incapacité à exécuter un exercice particulièrement ardu, il avait décidé de leur faire une petite démonstration pour qu'ils en prennent de la graine. Démonstration qui avait tourné court : Merian s'était tout simplement évanoui, terrassé par l'alcool conjugué à l'effort physique et à la chaleur qui régnait ce jour-là. Lorsqu'il était enfin revenu à lui et que le commandeur Eldreth lui avait demandé des explications sur son état second, comme réponse, le poivrot n'avait trouvé rien de mieux que "J'ai un p'tit verre dans l'nez, m'seigneur". La phrase se changea dès lors en un surnom humiliant.

"Repos ! Quartier libre pour tout le monde" annonça enfin P'tit-Verre-dans-l'Nez d'une voix avinée avant de s'en aller vers la tour. Probablement pour cuver sa cuite de ce matin, se dit Serendil.

Dès que retentit l'ordre de Merian, la préoccupation première du jeune Asur fut de ne pas s'effondrer de fatigue. Il s'agrippa à sa lance comme si cette dernière était une branche salvatrice au-dessus d'un précipice mortel. Ses jambes endolories flageolaient sous le poids de la lassitude et de son armure de plates et d'écailles. Mais la crainte qu'un de ses camarades ne découvrît son état de faiblesse et ne se moquât cruellement de lui prit le pas sur son extrême épuisement. Serendil fit un effort de volonté suprême pour sangler le lourd bouclier triangulaire dans son dos, mettre sa longue lance, qui semblait peser des tonnes, sur son épaule et se diriger d'un pas incertain vers ses quartiers. Autour de lui, les autres gardes étiraient leurs membres endoloris ; se lançaient divers traits d'esprits pas très fins sur leurs performances à l'entraînement ; maudissaient à mi-voix leur poivrot de sergent qui devait, selon eux, prendre un malin plaisir à leur imposer des exercices aussi éreintants ; bref, faisaient retomber la tension en prévision du souper.

Serendil ne se mêlait pas à eux. D'un naturel taciturne, il partait toujours en premier, que ce fût du terrain d'entraînement ou de la salle commune à la fin des repas. Il n'arrivait pas à comprendre ses pairs, qui pouvaient mettre leurs soucis et leurs douleurs de côté lorsqu'ils étaient ensemble, comme si la compagnie des autres était une sorte de baume apaisant pour le corps et l'âme. Pour lui-même, la société avait toujours plus tenu du calvaire que de la potion miracle. Seul le silence de la solitude pouvait alléger ses peines ; seule une douce fuite dans les méandres de ses pensées pouvait lui faire quelque peu oublier ses doutes et ses peines. Depuis qu'il était tout petit, le jeune Asur avait pris l'habitude de ruminer ses idées noires dans le privé, loin du brouhaha des esprits immodérément extériorisés des autres. Et c'était cette perspective apaisante qui le poussait à mettre un pied devant l'autre malgré le poids excessif de son équipement.

"Tiens tiens, voilà le Poète qui s'en va chercher l'inspiration en comptant les araignées au plafond de sa cellule !"

Nilweïr. Serendil détestait ce type, avec sa voix toujours trop forte, ses facéties toujours trop blessantes et son regard toujours trop attentif aux autres et pas assez à lui-même.

"Je te proposerais volontiers une partie de dés, le Poète, mais je crains de trop te distraire de tes introspections hermétiques pour nous autres simples mortels" ajouta l'autre, encouragé par les rires gras que provoquait son monologue badin.

Serendil accéléra le pas afin d'échapper à l'hilarité de ses camarades. Il imaginait leurs regards emplis d'une joie mauvaise lui lacérer le dos comme autant de couteaux invisibles. Nilweïr continua à s'épancher davantage sur lui jusqu'à ce que la porte du couloir poussiéreux, qui menait à sa cellule privée, se referme dans son dos.

"Le Poète". Il détestait ce surnom. C'était pourtant bien ce qu'il se considérait être, un doux et talentueux rêveur aux élans lyriques. Mais dans la bouche de Nilweïr et de ses semblables, le mot devenait un fiel immonde qui lui collait à la peau tout en pénétrant jusqu'au coeur. Le jeune garde aurait tellement voulu leur dire d'arrêter, de l'accepter tel qu'il était et de le respecter dans sa (supériorité ?) différence. Mais à chaque fois, au fond de sa gorge, les mots demeuraient bloqués par le pressentiment défaitiste qu'aucun discours, si inspiré fût-il, n'aurait rien pu y changer. Alors c'était avec un regard de chien battu pour toute réaction que, jour après jour, il tournait le dos à ses tourmenteurs pour s'esseuler dans quelque endroit isolé.

Et ce fut exactement ce qu'il fit une fois son pesant équipement retiré. La seule vue de sa chambre le dégoûtait. Bien sûr il aurait dû être content de l'avoir, cette cellule exigüe, privilège de son statut de frère du commandant en chef des Gardes de Tor Yldrin. Mais il s'en serait débarassé avec plaisir, car le fait de posséder une pièce rien qu'à lui, alors qu'il n'était qu'un simple lancier, lui valait de nombreuses insultes jalouses de la part de ses pairs qui devaient se contenter de simples lits dans un dortoir commun. Il en avait d'ailleurs parlé avec son jeune frère Eldreth, mais le commandant lui avait opposé que Serendil, rejeton de l'une des plus anciennes familles nobles de Chrace, fils du Seigneur Elantir le Lion Noir, devait bien se distinguer du commun d'une façon ou d'une autre. Cependant, connaissant Eldreth et sa perversité de manipulateur, cette explication n'était qu'un habile artifice. Le commandant avait su depuis le début que les autres gardes auraient fait subir de cruelles moqueries à son grand frère, mais ç'avait certainement été le but qu'il avait recherché en allouant un espace privé à Serendil. Ce dernier était détesté par presque tout le monde sur le minuscule îlot pour quelque chose qui n'était pas de son fait et qu'il n'aurait pas pu changer même avec la meilleure volonté du monde. Et Eldreth devait prendre un plaisir fou en regardant son aîné se debattre désespérément dans les filets de la rude société de Tor Yldrin.

D'humeur maussade, le jeune Elfe quitta sa maudite cellule. Il alla tout au bout du couloir, ouvrit une porte en bois, craquelée par l'humidité, et s'enfonça dans les fraîches ténèbres de la cave située sous la tour de guet. L'escalier était glissant, usé par des générations de gardes qui l'avaient descendu, mais l'Asur en connaissait la moindre aspérité et ne fit aucun faux pas. Une fois sa descente terminée, il ne s'arrêta pas au milieu des caisses et barils entassés pèle-mêle, mais se dirigea droit vers un mur d'apparence tout à fait ordinaire. Là, il appuya sur une des pierres qui composaient la paroi et cette dernière se mit à pivoter quasiment sans faire de bruit.

Serendil se glissa dans l'ouverture et marcha quelques instants dans le noir le plus complet. Puis, au bout d'une trentaine de pas, il parvint à une pièce circulaire. Au milieu de celle-ci trônait une statue révélée par de faibles rais de lumière naturelle, qui pénétrait par de petites ouvertures que le temps et l'absence d'entretien avaient pratiqué dans le plafond. La sculpture représentait un être humanoïde de race indéfinie, drapé dans une longue cape dont la capuche rabattue dissimulait en partie un visage sans traits, ovale lisse à l'aspect vaguement inquiétant. La figure de pierre était taillée de façon bien plus grossière que la plupart des oeuvres sculptées que le jeune Elfe avait pu admirer dans sa Chrace natale. Comme si l'artisan, peu soucieux du résultat, avait bâclé son travail avant de passer à un projet autrement plus stimulant pour lui. C'était d'ailleurs parce que la statue avait été si mal taillée, s'était dit le jeune garde la première fois qu'il l'eût vue, qu'elle avait été installée sur une île perdue en plein milieu du Grand Océan. Une île oubliée de tous, mais où les autorités militaires d'Ulthuan s'évertuaient à envoyer des hommes, des criminels pour la plupart, garnir une tour de guet vétuste. Être une sentinelle en poste à Tor Yldrin, cela voulait dire passer son temps à s'entraîner, à scruter un océan brumeux où passait (dans le meilleur des cas) un navire par semaine. Qui plus est, les gardes n'avaient aucun contact avec l'extérieur, à part par le biais d'un faible mage qui possédait quelques notions de télépathie. Mais le thaumaturge était aussi un ivrogne fini, qu'on avait expulsé de la Tour Blanche de Hoeth pour incompétence dangereuse.

Serendil s'assit sur le dallage froid en s'adossant au socle de la statue sans visage. Un épuisement total l'envahit. Ce n'était pas seulement une fatigue physique, mais aussi morale, peut-être même morale avant tout. Il était tourmenté par ses difficultés à vivre dans la société des réprouvés d'Ulthuan ; par les intrigues et fourberies incessantes de son frère ; par le besoin douloureux de revoir les deux seules personnes au monde dont il était sûr qu'elles l'aimaient vraiment : sa mère et Emrael. Emrael... Avec sa chevelure couleur miel qui dégageait toujours une subtile odeur de lavande, son visage souriant, sa petite bouche en forme de coeur qui ne proférait que des paroles empreintes d'une gentillesse sincère. Emrael, tellement belle. Tellement inaccessible.

Se glissant sous son col, les doigts de Serendil rencontrèrent les contours délicats d'un petit pendentif ovale, souvenir innocent qu'Emrael lui avait glissé dans la main avant son départ pour Tor Yldrin. Ce petit morceau d'ambre jaune, avec un insecte minuscule incrusté dedans, ils l'avaient trouvé encore du temps où, enfants insouciants, ils passaient leurs journées à jouer dans les forêts ensoleillées de Chrace. Alors, dans des moments de solitude tels que celui-ci, le jeune garde ne pouvait s'empêcher de caresser doucement la petite forme ovoïde en se rappelant avec mélancolie de cette époque irrémédiablement révolue, de ces instants imprégnés par la magie de l'enfance, de ces heures partagées avec celle qu'il aimait de tout son être.

Mais ce présent, si précieux fût-il, était loin d'égaler celui qu'Emrael avait donné à Eldreth. En effet, le plus jeune des deux frères avait reçu de la belle un cadeau infiniment plus inestimable, car une femme ne pouvait en offrir un tel qu'une seule fois dans sa vie. Au passage de ces pensées, une larme amère s'en alla tracer un sillon blafard sur le visage couvert de poussière de Serendil. Sa douce Emrael ne pourrait jamais être sienne, car elle avait choisi l'exubérance plutôt que la timidité, la séduction manipulatrice plutôt que l'amour inconditionnel. Pour Eldreth, la relation amoureuse n'était qu'un jeu immature, qu'une façon de plus de démontrer sa supériorité devant son aîné.

Serendil émit un soupir douloureux. Il savait pertinemment qu'il ne pouvait rien y faire. Emrael avait été trompée par un maître du mensonge ; par quelqu'un qui avait même su détourner sur lui toute l'affection paternelle sans en laisser une miette à son aîné qui en avait autant, si pas plus, besoin que lui.

Il se replongea dans des souvenirs d'il y a cinquante ans, quand il n'était qu'à l'aube de sa vie. Cette période, où la personnalité se construit suivant la façon dont on découvre le monde, le premier fils d'Elantir dut la traverser sans être aiguillonné sur les voies de la masculinité par son père. Ce dernier était parti mener campagne quelque part dans le Vieux Monde pendant de longues décennies et avait laissé l'éducation de son premier enfant à sa femme. Celle-ci s'était conduit de façon extrêmement protectrice envers son fils et l'avait gardé loin des nombreux précepteurs engagés par son mari avant son départ. Ce pourquoi, une fois revenu, le seigneur de guerre ne s'était pas gêné pour critiquer vertement son épouse, l'accusant de lui avoir élevé un gosse incapable et mou du genou. "Un rat de bibliothèque à la tête bourrée de futilités" : tels furent ses termes pour qualifier la passion du jeune Serendil pour l'art et la poésie.

Un deuxième enfant naquit peu après. Elantir le baptisa Eldreth, en hommage à un héros de la Guerre de la Barbe. Il s'employa à le dresser selon ses propres convictions, essayant de cultiver chez son deuxième rejeton non seulement l'adresse et la force physique, mais aussi (et surtout) l'absence de pitié et la soif dévorante de victoire de l'éternel vainqueur. Le benjamin fit honneur à son géniteur en devenant un combattant accompli et un meneur charismatique, qualités qu'il fut envoyé confirmer sur Tor Yldrin. Bien sûr, l'ambitieux père de famille aurait pu trouver un poste plus prestigieux à son jeune prodige de fils. Mais y avait-il un examen final plus difficile que le commandement d'un dangereux ramassis de parias sur une île rocailleuse coupée du monde ? Elantir décida également de se débarrasser par la même occasion de son aîné, qu'il jugeait être un cas désespéré et désespérant, mais qu'il trouvait néanmoins nécessaire d'endurcir. Ce fut ainsi que deux frères partirent vers leur destin commun, l'un ayant été mené à travers la chaleur de l'enfance par la douce main maternelle et l'autre traîné par des chemins autrement plus froids et austères par la poigne calleuse d'un père vaniteux.

Quelque part au-dessus, un cor sonna le début du premier tour de garde nocturne, arrachant brutalement Serendil à ses réflexions. Une avalanche de sentiments divers lui tomba alors dessus : parmi ceux-ci surnageaient la honte de s'être empêtré ainsi dans ses pensées funestes et l'appréhension des critiques et moqueries que lui vaudrait certainement le fait de se présenter en retard à son poste, le corps encore couvert par la poussière de l'entraînement. La faim lui serrait également l'estomac, conséquence désagréable d'un repas du soir désormais irrémédiablement manqué. Mais une réflexion s'imposa sur les autres : rester plus que de raison dans cette pièce oubliée et poussiéreuse lui arrivait de plus en plus souvent dernièrement. Comme si le monde onirique qui n'existait que dans sa tête se substituait sans crier gare à la réalité lorsqu'il était en compagnie de cette sculpture baignée d'une lumière tamisée. Comme si l'être de pierre au faciès sans traits était un auditeur silencieux qui l'encourageait à poursuivre son monologue intérieur, lui faisant perdre toute notion de temps. Avant de s'en aller, l'Elfe jeta un dernier regard à la statue, qui lui sembla presque vivante dans le jeu des rayons évanescents du soleil qui se couchait.

De retour dans sa cellule privée, Serendil renfila son armure en toute hâte, se passa un chiffon humide sur la figure pour en effacer autant que faire se pouvait la couche de saleté striée de larmes séchées, puis s'en fut en courant vers la cour encerclant l'unique tour de guet de l'île. Là, il baissa piteusement le regard devant P'tit-Verre-dans-l'Nez, marmonnant de vagues excuses en réponse aux récriminations aux relents de vinasse du sergent-chef. Il tenta aussi d'ignorer les provocations fielleuses de Nilweïr et de sa clique, avec qui il devrait partager son devoir de sentinelle cette nuit. Puis, passés ces rituels pénibles, mais malheureusement nécessaires, il s'emmitoufla dans sa cape et se mit à scruter l'horizon qui s'assombrissait rapidement.

Les heures rampaient, interminables, traînant les pieds, comme une procession funèbre monochrome. Le commandant vint, échangea quelques mots à voix basse avec Nilweïr et s'en fut sans accorder un regard à son frère. Serendil était habitué à ce genre de comportement de la part de son cadet. Il arrivait qu'Eldreth ne lui adressât pas la parole des semaines durant, passant parfois à un pas de lui en feignant de ne pas le remarquer. Puis, tout d'un coup, le benjamin devenait plus chaleureux que jamais, invitant son aîné dans ses quartiers privés, écoutant ses doléances avec une expression concernée plaquée sur le visage, lui demandant son avis sur quelque sujet trivial... Et Serendil se surprenait à accourir comme un caniche dès qu'il était convoqué ; à suivre les sautes d'humeur de son frère tel un âne devant le museau duquel on agiterait une carotte, la rapprochant tantôt, tantôt la retirant complètement de sa vue. L'âne se détestait pour sa propre naïveté, tout en désirant ardemment voir le légume métaphorique réapparaître devant lui, tout juste hors de portée d'un coup de dents.

L'Elfe tenta de chasser ces mornes considérations et de se concentrer sur sa tâche du moment. La lune était dissimulée sous une épaisse couche de nuages, peignant la nuit en un noir impénétrable. Seule l'acuité de ses sens, propre à sa race, permettait au jeune garde de distinguer tant bien que mal l'immense étendue d'eau chuchotante autour de lui.

Une chanson sans queue ni tête, braillée d'une voix discordante et empâtée, vint couvrir la douce rumeur de l'océan. C'était Leynad, le mage de Tor Yldrin, saoul comme à son habitude. Les sentinelles tournèrent leurs regards vers la cour où la silhouette dégingandée drapée de longues robes élimées marchait d'un pas incertain en direction des latrines. On gloussa mécaniquement à cette vision ; on ressortit pour la millième fois une blague fatiguée sur un hypothétique concours de boisson entre le mage et le sergent ; on fit un rapide pari tournant autour du nombre de fois que l'ivrogne tomberait avant de parvenir aux lieux d'aisance.

Mais Leynad ne tomba pas, enfin pas vraiment. En plein milieu de la cour, une violente convulsion le plia soudainement en deux. Le mage tituba jusqu'à un mur auquel il s'appuya, le corps secoué de tremblements et un gémissement de douleur aux lèvres, aussitôt submergé par un immonde gargouillis de bile régurgitée.

"L'alcool n'est pas fait pour toi, Leynad !" s'esclaffa Nilweïr. "Laisse-le aux vrais hommes et va te soûler au thé !"

Habituellement, le mage aurait répondu par une insulte renforcée par quelque geste obscène, mais cette fois-ci, il se tourna juste vers la tour et implora de l'aide d'une voix croassante. Les gardes n'en rirent que plus fort, tout en noyant le poivrot sous une avalanche de quolibets.

Serendil fut le seul à descendre aider le mage souffrant. Il lui tendit une cruche d'eau, dont Leynad essaya de boire tant bien que mal quelques gorgées. Ensuite, il le soutint sur tout le chemin vers sa chambre. Là, l'ivrogne s'effondra sur son lit, le souffle court.

"Merci, le Poète" haleta-t-il. "Tu es décidément le seul sur qui on peut compter parmi ces fils de putains. Dieux ! Je n'ai jamais eu aussi mal, tu comprends... Tiens, apporte-moi cette fiole violette, là sur l'étagère..."

Serendil lui tendit le récipient, dont le mage retira le bouchon en un geste incertain, avant d'en avaler goulûment le contenu.

"Je n'aurais jamais cru devoir m'en servir un jour" marmonna-t-il après avoir reposé la fiole sur sa table de chevet. "Quoi qu'en disent les langues de chiens là-haut sur la tour, je tiens l'alcool mieux que n'importe qui sur cette île... Le sergent Merian n'est qu'un amateur... qu'un... J'ai si mal..."

Et en effet, une nouvelle grimace de douleur ravagea les traits de Leynad. Son corps tout entier se cambra, comme soulevé de l'intérieur par une irrépressible vague de souffrance. Du sang se mit à lui couler du nez, alors qu'il dardait ses yeux exorbités vers Serendil et que sa bouche se tordait en formulant un silencieux appel à l'aide. Ne sachant que faire, le jeune garde se précipita dehors pour aviser son frère de l'état du mage.

Mais il n'eut pas à chercher le commandant dans ses quartiers, car alors qu'il sortait dans la cour, il vit son cadet qui marchait d'un pas précipité vers la tour de garde. Au sommet de celle-ci régnait une agitation inhabituelle. Serendil emboita le pas à Eldreth et, une fois en haut de la tour, il n'eut même pas besoin de poser la moindre question à propos de ce qui se passait. Il n'y avait qu'a suivre les regards étonnés et les doigts fébriles, tous tendus en direction de l'océan.

Là, révélés par la lumière argentée de la lune enfin sortie du couvert des nuages, deux navires, séparés l'un de l'autre par un mille environ, voguaient vers Tor Yldrin.

Voilà, un début de chapitre avec moins d'action, ce qui était nécessaire pour présenter les nouveaux personnages. Il y aura plus d'évènements par la suite.

Concernant le problème de mot utilisation du verbe "mater", j'ai tout simplement retiré celui-ci. Comme ça, tout le monde est content. :cat: Pour ce qui est de la longueur de mes textes, je ne compte pas la diminuer. A vous de voir si vous vous sentez d'attaque pour y consacrer un quart d'heure entier. Sinon, lisez en plusieurs parties. :lol:

Pour finir, comme d'habitude, un grand merci pour vos encouragements et vos critiques constructives et argumentées. A dans quelques jours pour la suite. Marchez dans la lumière. :lol:

Modifié par DarkReaper
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Chapitre 2 (2ème partie)

Le "Trident de Khaine" était sur le point de couler. Une cinquantaine de matelots avaient beau pomper inlassablement l'eau qui envahissait ses cales, la nef s'enfonçait de plus en plus à chaque seconde qui passait. Un autre navire aurait été déjà rattrapé par les Norscans depuis belle lurette. Mais le "Trident" était une création des habiles charpentiers de Naggaroth, un bâtiment léger à faible tirant d'eau, ce qui lui assurait une stabilité et une vitesse supérieures au lourd drakkar, dépourvu de voiles qui plus est. Toutefois, cet avantage était en train de se réduire à néant par les torrents de sombre liquide salé qui s'engouffraient dans la soute du navire elfe noir.

Yzhral n'était pas habitué à diriger des travaux de réparation aussi poussés que ceux auxquels son équipage exténué devait présentement faire face. A bien y réfléchir, il n'avait jamais vraiment dû mettre en pratique la plupart des notions techniques que tout capitaine se devait de posséder. Il menait par l'exemple et non grâce la maîtrise des théories de la navigation, laissant ces dernières à Nemeth, qui s'y connaissait infiniment mieux que lui. Alors la honte d'avoir laissé le second aux mains des humains sanguinaires refit surface, exacerbée par sa propre incapacité à faire face au défi d'empêcher son navire d'être peu à peu avalé par Grand Océan. Le jeune capitaine faisait du mieux qu'il pouvait, mais à chaque fois qu'un de ses lieutenants venait lui demander conseil, il devenait flagrant que le subalterne s'y connaissait bien mieux que son supérieur. Et ces rapports purement formels se raréfiaient au fur et à mesure que la situation s'aggravait.

Mais quand la vigie eut signalé la présence de terre ferme à l'horizon, l'espoir renaquit parmi l'équipage. Les corsaires ne menaient plus un combat dont l'unique issue était la mort, que ce fût sous les lames norscanes ou celles, bien plus froides et terrifiantes, de l'océan. Non, ils avaient maintenant un but, une échappatoire minuscule, mais néanmoins tout à fait réelle. Certes, le fait d'avoir sous les pieds la terre ferme au lieu du pont d'un navire ne leur permettrait pas d'échapper à un affrontement contre des Nordiques enragés. Mais au moins, ils pourraient s'organiser bien plus efficacement en vue d'un choc inévitable avec l'ennemi s'ils étaient assurés de ne pas risquer à tout instant de couler dans les profondeurs glacées.

La possibilité de salut fit sortir Yzhral de sa résignation, comme une main secourable qui vous empoigne soudainement le poignet afin de vous sauver d'une noyade certaine. La flamme de son courage éteint se remit à brûler de plus belle sous le souffle infime de l'espérance. Le capitaine jeta un regard neuf sur le chaos qui régnait autour de lui. Ce n'était plus des marins condamnés qui vaquaient à des occupations futiles en attendant la mort, comme des âmes en peine en sursis, coincées dans le monde des vivants. C'étaient à présent des guerriers emplis d'une détermination lugubre, celle qui pousse l'homme à se battre jusqu'à son dernier souffle, à accomplir les exploits les plus fous pour s'accrocher à la vie. Le doute n'avait plus sa place dans ce genre de combat. Yzhral aussi oublia ses incertitudes, submergées par un torrent d'instincts primaires de conservation. D'une voix tonitruante qui couvrit le tumulte d'excitation qui animait son navire, il rugit de nouveaux ordres entrecoupés de paroles d'encouragement insensées, mais qui insufflèrent une énergie nouvelle aux matelots.

L'équipage se mit à exécuter les commandements du capitaine avec une hargne de possédés. Les râteliers d'armes de toutes sortes furent rassemblés sur le pont ; les balistes furent désincrustées de leurs fixations, rapidement repliées et rangées dans des étuis pour en faciliter le transport hors du navire ; les caisses de vivres furent tirées de la soute et réunies en piles près du bastingage. Partout, des corsaires en manque de sommeil, mais pourtant débordants d'énergie, couraient à droite et à gauche, tirant, portant, poussant, rangeant...

Yzhral dirigeait maintenant les opérations avec l'assurance de quelqu'un qui avait passé toute sa vie à faire évacuer des navires en détresse. Il ne réfléchissait même plus ; sa conscience était comme engourdie. Ses cris d'exhortation, ses décisions transmises à l'équipage, tout cela venait d'un endroit enfoui profondément dans son être. C'était de ce lieu secret que lui venaient ses estocades précises et foudroyantes, mais pourtant jamais apprises, quand il était en plein combat ; c'était de ces mêmes profondeurs de l'esprit qu'émergeaient à présent les consignes claires et précises dont il abreuvait ses hommes.

La petite bande de terre se rapprochait, noir de jais sur violet profond du ciel. Il aurait pu rester parfaitement invisible, ce petit îlot rocheux, si le "Trident" n'avait pas été commandé par des Elfes Noirs aux yeux pareils à ceux de chats, capables distinguer les formes les plus insignifiantes dans l'obscurité la plus totale. Un navire humain serait passé à côté, et aurait sombré tôt ou tard sous les flots du Grand Océan ; les marins à son bord auraient connu une fin pathétique dans les abîmes glaciaux, les chairs rongées par des poissons peu soucieux des vestiges de vie supérieure qu'ils dévoraient.

Au sein de la conscience d'Yzhral, toute ankylosée par la sérénité qui l'emplissait à chaque fois lorsqu'il devait se battre pour la survie, l'éclair fugace d'une pensée solitaire s'illumina brièvement : "que les dieux soient remerciés que je ne sois pas né humain".

***

Après la visite d'Yzhral, Sheira s'était abîmée dans un sommeil agité. Tantôt complètement inconsciente, tantôt réveillée par de brusques reflux de souffrance, la sorcière vivait un supplice constant, car le temps qu'elle dormait n'avait rien d'un réconfort, habité qu'il était par d'affreux cauchemars. Alors quand, pour la énième fois, la douleur lui martela les entrailles, l'obligeant à se réveiller dans un sursaut, la jeune femme tenta de s'accrocher à la réalité, aussi désagréable fût-elle. Au moins, comme ça, elle serait certaine qu'elle était en vie, car chaque assoupissement ne faisait que lui apporter des rêves de mille morts atroces.

En la voyant émerger du sommeil, l'un des deux jeunes corsaires qui la veillaient lui demanda si elle désirait quelque chose, comme il le faisait à chaque fois qu'elle ouvrait les yeux. Et, comme à chaque fois, Sheira voulut lui rétorquer que tout ce qu'elle voulait était qu'il dégage de sa vue, lui et son compagnon, et qu'elle les y aurait "aidés" si son état le lui avait permis. Et, comme à chaque fois, elle ne parvint qu'à murmurer "De l'eau" d'une voix enrouée.

Sa demande insignifiante exaucée, la sorcière essaya tant bien que mal de raisonner. Mais la douleur était comme un rets brûlant qui entourait son esprit, ne laissant filtrer que des bribes de pensées futiles. Elle fit toutefois un effort et parvint à grand' peine à constituer une fragile chaîne de conclusions simples. Le navire était mal en point, elle l'avait su par les conversations de ses cerbères quand ils la croyaient endormie. Yzhral était en possession d'un artéfact qui semblait dérober à un pratiquant d'art occulte son pouvoir et le remplacer par une souffrance de plus en plus abominable à mesure qu'on approchait le pendentif. Sheira eut un haut-le-coeur en repensant à ce qu'elle avait ressenti quand le capitaine lui avait montré la breloque. Mais encore plus douloureuse fut pour elle la réalisation qu'elle n'avait désormais plus aucune emprise sur ce salaud arrogant, qui pouvait faire d'elle ce qu'il voulait. "Je laisserai mes hommes profiter de vous d'une toute autre manière". C'était approximativement en ces termes qu'Yzhral l'avait naguère menacée. Et elle ne pourrait s'y opposer de quelque manière que ce soit si, d'aventure, le capitaine décidait de tenter l'expérience.

Evoquer cette éventualité fit tressaillir la jeune femme. Elle devait se forcer à réfléchir à une façon de priver le commandant du "Trident de Khaine" de ce pouvoir immérité. Analyser ses faiblesses. Trouver...

Mais que faisait-elle là ? Bientôt, la nef coulerait certainement et tous ceux qui se trouvaient à son bord couleraient avec elle. Il ne servait à rien à bâtir des projets pour le futur si celui-ci n'existait pas, n'est-ce pas ? Tout compte fait, peut-être valait-il mieux se rendormir et trouver une fois de plus la mort dans un de ses cauchemars plutôt que d'affronter la Dame Blafarde dans la réalité. Ne pas se sentir s'en aller, tel était le seul plan d'avenir viable et sensé.

Alors que Sheira s'apprêtait déjà à refermer les yeux, la porte de sa cabine s'ouvrit et un corsaire essoufflé y fit irruption.

"Terre à l'horizon !" s'écria-t-il à l'adresse des deux gardes. "Le capitaine ordonne à tout le monde de se présenter sur le pont immédiatement."

La sorcière se redressa brusquement, les pensées se bousculant dans sa tête. "Terre à l'horizon". Les paroles du corsaire était comme un phare dont la lumière ardente illuminait son esprit, lui faisant voir les choses sous un jour nouveau. L'équipage pourrait poser pied à terre et se battre jusqu'au dernier, remporter peut-être même une victoire inattendue. Il y avait donc encore un futur, synonyme d'espoir. Elle devait coûte que coûte détruire le maudit pendentif pour retrouver sa magie et, grâce à celle-ci, exterminer les Norscans avant qu'il ne fût trop tard. Mais elle était trop faible, alors quelqu'un devait l'aider. Quelqu'un qui détestait Yzhral.

"Arrêtez-vous !" ordonna la jeune femme en mettant dans sa voix affaiblie toute la fermeté dont elle fut capable. Ses cerbères, qui s'apprêtaient déjà à répondre à l'ordre de leur capitaine, s'arrêtèrent juste devant la porte et lui lancèrent des regards étonnés.

"Je vous rappelle que le capitaine vous a placés provisoirement sous mon commandement et vous a dit de faire tout ce que je vous demanderais. Alors vous irez accomplir ses quatre volontés si cela vous chante, mais vous devrez d'abord amener Urzel à ma cabine."

Comme tentative d'asseoir son autorité sur eux, c'était bien faible, et la sorcière s'en rendait parfaitement compte. Mais les deux corsaires acquiescèrent avant de s'en aller, puis revinrent en compagnie du lieutenant quelques longs instants plus tard.

Le vieux pirate avait l'air contrarié et ce fut d'un ton sec qu'il s'adressa à Sheira.

"Je serais curieux de connaître l'excellente raison pour laquelle vous m'avez distrait de mes occupations" grogna-t-il. "J'ai une équipe de onze hommes à commander, alors vous comprendrez aisément pourquoi tenir compagnie à une malade est le dernier de mes soucis pour le moment."

"Fermez la porte, s'il vous plaît" fit Sheira mettant dans sa voix une inflexion qui ne laissait guère la place à la contestation. Elle se doutait bien qu'elle se tenait en équilibre au-dessus d'un précipice et que le vieillard, impatient et colérique, s'en irait en claquant la porte s'il trouvait qu'elle employait un ton trop autoritaire avec lui. Mais courir le risque que quelqu'un entendît ce qu'elle avait à dire était encore plus impensable. Alors ce fut avec un soulagement certain que la jeune femme vit le lieutenant faire ce qu'elle venait de lui demander et se planter devant elle en la dominant de toute sa hauteur, les bras croisés sur la poitrine et une expression fermée sur le visage. Plus fermée pour très longtemps, pensa-t-elle avec satisfaction. A ce stade, la partie était à moitié gagnée, car elle connaissait la clé qui lui ouvrirait les portes du coeur noir d'Urzel. Mais il fallait faire attention : le moindre mot de travers et le vieillard abandonnait sa cause avant même de l'avoir embrassée.

"Ce que j'ai à vous proposer est infiniment plus intéressant qu'écouter le capitaine vous aboyer ses ordres dans les oreilles" attaqua-t-elle. "Voyez-vous, Yzhral a en sa possession un objet qui dérange grandement le Couvent de Clar Karond, dont je suis la représentante sur cette nef. Je ne puis malheureusement vous dire en quoi l'existence de cette petite breloque nous ennuie, moi et mes soeurs. Je peux par contre vous révéler qu'elles seraient extrêmement enchantées de la savoir détruite. Evidemment, une grande récompense attend celui qui accomplirait cette besogne."

"Et en quoi consiste donc cette "grande récompense" ?" s'enquit Urzel. Il prit un air détaché, comme si cela lui était complètement égal, mais l'ensorceleuse exulta intérieurement, car elle savait son but atteint. Tout le reste n'était plus qu'une affaire de technique à présent.

"La richesse." Sheira prit un ton conspirateur. "Ou un poste important. Commandant de la Garde du Couvent, par exemple. Mais ce ne serait évidemment qu'un début, car un homme ambitieux pourrait s'élever bien au-delà de ce grade."

"De l'argent, des grades... Tout cela est très joli, mais ce que je me demande, c'est pourquoi ? Qu'est-ce qu'elle a de si spécial, cette chose que possède le capitaine, pour que le Couvent ait tant à offrir pour sa destruction ?"

"Je ne suis pas autorisée à vous le dire" répéta patiemment la sorcière. "Je suis désolée de ne pas pouvoir vous éclairer sur ce sujet. Mais je vous promets que vous n'aurez pas à vous plaindre de cette petite contrainte. Le reste de ma proposition est à votre entier avantage, vous en conviendrez."

Urzel s'abîma un moment en réflexions, le regard vague. Pour la forme, se convainquit Sheira. En fait, il a déjà pris sa décision. Mais tout vieux rat cupide qu'il est, il n'a pas envie de donner l'impression de se vendre trop facilement.

"Pourquoi m'en faire part seulement maintenant ?" demanda soudainement le lieutenant. "Nous avons déjà passé de nombreuses semaines sur un même bateau et vous n'avez pourtant pas daigné m'adresser une seule fois la parole durant tout ce temps. Est-ce aussi un secret ou bien..."

"Pas du tout" interrompit la jeune femme. "Je n'ai pris connaissance de l'existence de cet objet que très récemment, car dans toute sa stupidité, Yzhral me l'a lui-même montré quand il est venu naguère me rendre une petite visite de politesse." Puis, pour parfaire son explication, elle y joignit un mensonge inventé à la volée. "J'ai ensuite contacté ma sororité par mes propres moyens et nous avons décidé ensemble de faire appel à vos services."

"Quel est ce mystérieux objet ?"

La sorcière eut du mal à réprimer un sourire de triomphe. Le vieillard avait avalé l'appât, et toute la corde avec.

"Un pendentif en os, de forme circulaire. Il le porte dans une petite bourse en cuir accrochée à sa ceinture."

Urzel acquiesça de façon quasiment imperceptible. L'ébauche d'un acte manqué.

"Vous ne pourrez évidemment détruire l'objet qu'après avoir tué Yzhral, ce que je ne pourrais guère faire moi-même, mes façons de donner la mort étant un peu trop voyantes" se hâta d'ajouter Sheira. "Une simple lame dans la gorge serait bien plus appropriée. J'ai donc pensé que la bataille à venir serait pour vous une bonne occasion de le faire discrètement, dans la confusion générale."

"Notre actuel capitaine a gagné son grade grâce à ce même genre de tactiques... Je ne peux donc nier qu'en ce qui le concerne, une telle façon de mourir serait d'une délicieuse ironie" marmonna rêveusement le vieux lieutenant. "Toutefois, cette ironie, je compte en profiter. Or, vu la façon dont se présentent actuellement les choses, ça ne me paraît guère probable. Si nous nous battons de la même manière que nous l'avons fait lors de l'abordage, ces foutus Nordiques nous extermineront facilement. En plus, vous indisposée, nous n'aurons même pas votre magie de notre côté."

"Je suis loin d'être dans mon meilleur étant, je vous le concède. Mais je ferai un effort." Mais le pourrait-elle, même une fois l'artéfact détruit ? L'objet l'avait peut-être amputée de sa magie à tout jamais... Une terreur glaçante s'insinua en elle. Mais, afin de s'en défaire, elle poursuivit sur un ton déterminé. "Si vous m'aidez, je vous fais la promesse solennelle que j'emploierai tout le pouvoir dont je dispose pour que vous revoyiez Clar Karond. Ainsi que toutes les richesses qu'elle a à vous offrir."

Elle tendit la main.

"Scellons-nous notre marché ou bien dois-je m'adresser à quelqu'un d'autre ?"

"Voyons, c'est hors de question" trancha Urzel. "Après tout ce que vous venez de me dire, je ne doute pas un seul instant que, malade ou pas, vous me tueriez sur l'instant si je refusais."

Cette fois, Sheira se permit un demi-sourire satisfait.

***

Le "Trident de Khaine" coula à une centaine de pas de la berge rocailleuse de l'île, la coque éventrée pour la deuxième fois. Ce fut un rocher pointu dissimulé par les flots qui termina le travail commencé par l'éperon du drakkar norscan.

Au cours des heures qui avaient précédé, le navire avait graduellement perdu de sa vitesse, son avance entravée par l'eau qui emplissait ses cales. Si au début de sa fuite, la nef avait réussi à distancer facilement ses ennemis, ces derniers avaient gagné bien du terrain depuis. Tellement qu'ils auraient rattrapé le "Trident" dans l'heure qui aurait suivi si le rocher sous-marin n'avait pas abruptement mis un terme au parcours du bateau druchii.

Lorsqu'il entendit le hurlement du bois déchiré, Yzhral sut immédiatement que l'existence de son navire venait de toucher à sa fin. Le fidèle bâtiment, sur le pont duquel il était passé du statut de rebut de la société à celui de guerrier craint et respecté, avait achevé son dernier voyage et devait être considéré comme rien de plus qu'un tas de planches inutile. Il y avait des vies à sauver et des réputations ternies à laver dans le sang. Le jeune capitaine s'y attela dès que la coque du "Trident de Khaine" émit son premier craquement d'agonie.

La chaîne de jauge rapidement jetée dans l'eau révéla une profondeur d'une trentaine de pieds ; l'équipement le plus lourd devait donc être abandonné à bord. Seules les balistes dans leurs étuis, de l'armement léger et quelques caisses de vivres parmi les moins pesantes purent ainsi être emportées par les corsaires qui sautaient dans l'eau l'un après l'autre. Sur l'ordre de leur capitaine, ils se débarrassèrent préalablement de leurs lourdes capes en peaux de dragons des mers, emportant des carquois de carreaux supplémentaires à la place.

Bientôt, la surface de l'océan fourmilla d'Elfes Noirs qui nageaient péniblement vers la berge, charriant derrière eux qui une baliste repliée, qui un sac de viande boucanée ou un tonnelet d'eau fraîche, qui un bouquet d'épées sommairement attachées ensemble. Même les blessés étaient chargés du transport de quelque objet précieux pour la survie du groupe. Le seul faix inutile était le corps flasque de Sheira qui, même sans ses robes, ne devait pas être un fardeau agréable à transporter. Au début, la chienne avait même refusé de revêtir des habits plus légers jusqu'à ce qu'Yzhral menaçât de la laisser seule sur le navire en perdition. "En ce moment, mes hommes ont mieux à faire que de se soucier de vos charmes osseux" lui avait-il lâché. "Si vous voulez conserver votre garde-robe, vous n'avez qu'à rester sur le "Trident", auquel cas vous ne tarderez pas à l'exhiber devant les poissons." Sur ce, la sorcière lui avait décoché un regard furieux, mais s'était néanmoins exécutée.

Le jeune capitaine sauta en dernier, afin de pouvoir embrasser d'un dernier coup d'oeil le pont de sa nef mourante, désormais vide de toute présence autre que la sienne. Tous les moments les plus importants de sa vie s'étaient passées là. En cet instant précis, il lui sembla qu'il connaissait la moindre corde, la moindre planche, le moindre clou du vieux navire, et qu'il n'avait envie de les abandonner aux profondeurs glaciales sous aucun prétexte. Une tristesse douce-amère perça sa carapace d'insensibilité, le genre d'émotion qui vous étreint quand vous êtes obligé de tirer un trait définitif sur un endroit associé à des temps agréables ; un lieu que vous aviez considéré durant toute votre vie comme étant immuable, mais que vous deviez abandonner au passé par la force des choses.

Alors que le liquide salé commençait déjà à recouvrir le pont, Yzhral se jeta dans l'océan, laissant vingt ans de son existence se noyer derrière lui.

Lorsqu'il atteignit enfin la berge, les autres corsaires étaient déjà tous sortis de l'eau et s'activaient à empiler leurs cargaisons. Ce n'était pas une mince affaire, car la plage de galets était abrupte, alors les caisses glissaient quelle que fût la façon dont on les installât. Pour les balistes à répétition, ce fut plus néanmoins plus facile, les trépieds dont ces machines étaient munies pouvant s'incruster aisément dans la pierraille, pour peu qu'on la creusât légèrement. Mais la nature du terrain présentait aussi un avantage parce que les Druchii se trouvaient à l'endroit du rivage le plus élevé et donc le plus facile à défendre. Qui plus est, les Norscans ne pourraient pas simplement appareiller autre part et attaquer depuis l'intérieur des terres : un grand mur de roche protégeait les arrières et le flanc gauche des corsaires, les séparant efficacement du reste de l'île. Une seule voie y menait, mais il ne s'agissait que d'un étroit passage facilement défendable. Les assaillants n'auraient que deux stratégies viables : tout en évitant les écueils, faire naviguer leur navire assez près de la plage pour lancer un assaut frontal ; ou bien attendre que les défenseurs, coincés sur l'îlot apparemment désert, meurent de faim. Mais connaissant les coutumes des adeptes de Khorne, Yzhral se doutait que les Norscans avaient peu de chances de choisir la seconde option. La victoire était tout compte fait une possibilité tout à fait distincte, nota le jeune Elfe. Il fallait juste abattre les terribles Elus du Chaos à distance avec quelques carreaux de baliste bien placés pour que le combat devînt plus équilibré. Et si les corsaires arrivaient à exterminer ces déments du Nord (ces derniers préféreraient mourir plutôt que de laisser l'artéfact de leur chef entre les mains de l'ennemi), ils pourraient s'emparer du drakkar et retourner tranquillement à Clar Karond.

Ainsi formulé, le plan semblait simple et réaliste. Mais le destin a cette fâcheuse manie de démanteler les projets les mieux élaborés avec une facilité déconcertante. Et en cette occasion, il ne dérogea point à son habitude.

Le corsaire qui s'activait à la droite d'Yzhral s'effondra soudain, transpercé de part en part par une flèche. Aussitôt après, une pluie de traits mortels s'abattit depuis les cieux sur les Druchii pris totalement au dépourvu.

En voyant mourir leurs camarades, les Elfes Noirs dirigèrent instinctivement leurs regards vers le lieu de provenance des projectiles, tout en haut du mur de roche qu'ils pensaient être une protection. Là, juste au bord du précipice, se tenaient une vingtaine de silhouettes élancées dont les gestes trahissaient une nouvelle volée de flèches prêtes à être décochées sur les naufragés du "Trident de Khaine" en contrebas.

Je vous souhaite beaucoup de plaisir en lisant cette suite. Critiques et autres commentaires évidemment bienvenus. ^_^

Modifié par DarkReaper
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Elantir, parti mener campagne quelque part dans le Vieux Monde

Voilà la seule faute que j'ai trouvée.

Alors au début je comprenais pas pourquoi on était passé des EN aux HE mais heureusement au deuxième on sait. Le personnage développé et attachant donc je cautionne ! MAIS... Passons au négatif :

Soigne tes transitions !!! C'est vraiment atroce dans le passage des HE :wub: On passe d'un personne à un autre à des époques différentes et ça sans explication et sans aucune transition donc je pense qu'il faut faire des efforts là et quelques retouches !

Allez suite ^_^

@+

-= Inxi =-

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