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[samedi]Ulalume


Lord Paladin

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Ulalume, Edgar Poe

Ce soir, j’ai choisi de partager avec vous cet œuvre sombre et inquiétante qui signe sans doute l’un des plus beau trait de désespoir de ce maître qu’était Edgar Poe. Bien sûr, vous connaissez sans doute les nouvelles subtiles et hallucinées de ce dernier dont l’extrême précision et la concentration n’est pas sans rappeler la forme d’un poème, mais c’est bien au poète que nous nous intéresserons aujourd’hui. Rassurez-vous, le poème est en français car la traduction de Mallarmé rend indubitablement à merveille le style solennel et puissant de la version originale mais nous aurons le loisir d’y revenir après une courte biographie et bien sûr l’œuvre qui nous intéressera.

Courte biographie

Qu’on me pardonne cette courte biographie d’autant que l’article de la source universelle de connaissance (http://fr.wikipedia.org/wiki/Edgar_Allan_Poe ) est fort détaillé, mais j’estime que trois paragraphes sont tout de même nécessaires (et suffisant) pour mieux comprendre la lecture de ce poème.

Edgar Poe est né le 19 janvier de l’année 1809 dans la sombre ville de Boston, sa mère était une actrice célèbre tandis que son père était alcoolique et tuberculeux. (Vous commencez à comprendre la noirceur des œuvres de Poe ? Non ? Alors poursuivons…) Son père ne tarde pas à s’enfuir laissant seul la mère de Poe avec ses deux fils et sa fille, malade elle tente d’élever sa petite famille mais ne tarde pas à être fauchée par la tuberculose, Edgar a alors 3 ans. Si l’ainé part vivre chez son grand-père, Edgar et sa sœur Rosalie sont pris en charge par la charité de la ville de Richmond où ils seront rapidement adoptés. En particulier, Edgar est recueilli par les Allan dont il conservera dorénavant le nom : Edgar Allan Poe.

Il recevra de cette famille d’adoption une grande tendresse et une éducation soutenue. Malheureusement si sa « mère » l’incite à l’écriture, son père n’approuve pas cette décision si bien qu’il finira par fuguer et rejoindre Boston pour tenter de vivre de sa plume. La mort de sa « mère » réconciliera un temps les deux hommes avant que les dettes ne viennent à nouveau briser cette fragile entente.

De là, Poe connaitra une vie difficile, trimballé entre les rêves de grandeur que sa plume formidable lui permet d’espérer et une réalité qui ne cesse de lui jouer des tours pendables. Il sombrera peu à peu dans l’alcoolisme tandis que ses rares amours lui seront ravies par la maladie. Cette vie dissolue se terminera le 7 octobre 1849, officiellement d’une congestion cérébrale mais les discussions agitent encore les historiens pour déterminer s’il s’agissait d’un règlement de compte politique, d’une bagarre de taverne ou tout simplement d’une ultime victoire de l’alcool.

Ulalume

Suite à cette petite précision d’ordre biographique, le collectif des dépressifs de France vous conseil de baissez la lumière pour prononcez d’une voix sombre et grave ce poème solenel et puissant ! (pour la version originale : http://www.online-literature.com/poe/579/)

Les cieux, ils étaient de cendre et graves ; les feuilles, elles étaient crispées et mornes - les feuilles, elles étaient périssables et mornes. C'était nuit en le solitaire Octobre de ma plus immémoriale année. C'était fort près de l'obscur lac d'Auber, dans la brumeuse moyenne région de Weir - c'était là près de l'humide marais d'Auber, dans le bois hanté par les goules de Weir.

Ici, une fois, à travers une allée titanique de cyprès, j'errais avec mon âme ; - une allée de cyprès avec Psyché, mon âme. C'était aux jours où mon coeur était volcanique comme les rivières scoriaques qui roulent - comme les laves qui roulent instablement leurs sulfureux courants en bas de l'Yanek, dans les climats extrêmes du pôle - qui gémissent tandis qu'elles roulent en bas du mont Yanek dans les régions du pôle boréal.

Notre entretien avait été sérieux et grave : mais, nos pensées, elles étaient paralysées et mornes, nos souvenirs étaient traîtres et mornes - car nous ne savions pas que le mois était Octobre et nous ne remarquions pas la nuit de l'année (ah ! nuit de toutes les nuits de l'année !) ; nous n'observions pas l'obscur lac d'Auber, - bien qu'une fois nous ayons voyagé par là, - nous ne nous rappelions pas l'humide marais d'Auber, ni le pays de bois hanté par les goules de Weir.

Et maintenant, comme la nuit vieillissait et que le cadran des étoiles indiquait le matin, - à la fin de notre sentier un liquide et nébuleux éclat vint à naître, hors duquel un miraculeux croissant se leva avec une double corne - le croissant diamanté d'Astarté distinct avec sa double corne.

Et je dis : " Elle est plus tiède que Diane ; elle roule à travers un éther de soupirs : elle jubile dans une région de soupirs, - elle a vu que les larmes ne sont pas sèches sur ces joues où le ver ne meurt jamais et elle est venue passé les étoiles du Lion pour nous désigner le sentier vers les cieux - vers la léthéenne paix des cieux ; - jusque-là venue en dépit du Lion, pour resplendir sur nous de ses yeux brillants - jusque- là venue à travers l'antre du Lion, avec l'amour dans ses yeux lumineux.

Mais Psyché, élevant son doigt, dit : " Tristement, de cette étoile je me défie, - de sa pâleur, étrangement, je me défie. Oh ! hâte-toi ! Oh ! ne nous attardons pas ! Oh ! fuis - et fuyons, il le faut. " Elle parla dans la terreur, laissant s'abattre ses plumes jusqu'à ce que ses ailes traînassent en la poussière - jusqu'à ce qu'elles traînèrent tristement dans la poussière.

Je répliquai : " Ce n'est rien que songe : continuons par cette vacillante lumière ! baignons-nous dans cette cristalline lumière ! Sa splendeur sibylline rayonne d'espoir et de beauté, cette nuit : - vois, elle va, vibrante, au haut du ciel à travers la nuit ! Ah ! nous pouvons, saufs, nous fier à sa lueur et être sûrs qu'elle nous conduira bien, - nous pouvons, saufs, nous fier à une lueur qui ne sait que nous guider à bien, puisqu'elle va, vibrante, au haut des cieux à travers la nuit. "

Ainsi je pacifiai Psyché et la baisai, et tentai de la ravir à cet assombrissement, et vainquis ses scrupules et son assombrissement ; et nous allâmes à la fin de l'allée, où nous fûmes arrêtés par la porte d'une tombe ; par la porte, avec sa légende, d'une tombe, et je dis : " Qu'y a-t-il d'écrit, douce soeur, sur la porte, avec une légende, de cette tombe ? " Elle répliqua : " Ulalume ! Ulalume ! C'est le caveau de ta morte Ulalume ! "

Alors mon coeur devint de cendre et grave, comme les feuilles qui étaient crispées et mornes, - comme les feuilles qui étaient périssables et mornes, et je m'écriai : " Ce fut sûrement en Octobre, dans cette même nuit de l'année dernière, que je voyageai - je voyageai par ici, - que j'apportai un fardeau redoutable jusqu'ici : - dans cette nuit entre toutes les nuits de l'année, ah ! quel démon m'a tenté vers ces lieux ? Je connais bien, maintenant, cet obscur lac d'Auber - cette brumeuse moyenne région de Weir : je connais bien, maintenant, cet obscur lac d'Auber - cette brumeuse moyenne région de Weir : je connais bien, maintenant, cet humide marais d'Auber, et ces pays de bois hantés par les goules de Weir ! "

Analyse

Je vous propose maintenant une analyse de l’œuvre dans son déroulé chronologique. Je m’appuierai principalement sur la façon dont sont construites les strophes et leur agencement entre elles ainsi que sur les différents jeux mis en place par Poe pour appuyer sa narration.

* * *

Dès le premier paragraphe, on sent la façon d’écrire de Poe transparaître même à travers la traduction de Mallarmé. D’une part par une description binaire et fortement accentuée des éléments qui composent le décor : les adjectifs qui décrivent les cieux portent dans leur sonorité même la noirceur de l’atmosphère. Les feuilles sont « crispées » et l’on sent là le son qu’elles émettent sous les pas du promeneur. D’autre part dans les corrections ou plutôt les répétitions apportant des précisions et des corrections seront nombreuses dans le poème tout entier et permettent d’amplifier cette atmosphère créée par l’auteur. La vie n’est plus qu’une morne répétition et les choses viennent et reviennent apportant à la fois de nouvelles touches, de nouvelles nuances mais restant sempiternellement les mêmes.

La solennité de l’atmosphère est tout entière résumé dans la seconde phrase de l’œuvre : « C'était nuit en le solitaire Octobre de ma plus immémoriale année. » L’attention particulière portée au mois d’Octobre muni de sa majuscule nous place d’entrée dans tout ce que ce terrible mois recèle de pluie froide et triste, d’arbres dépourvus de branche, de solitude évidement.

Enfin, après avoir planté ce sinistre décor, Poe nous donne quelques précisions géographiques. Nous sommes près du marais d’Auber, dans la brumeuse région de Weir. Sans m’attarder sur les adjectifs on ne peut plus explicites, je voudrais souligner la forme même des noms de lieu utilisé : Auber et Weir. Les sonorités en sont tristes et sombres, proche de terre ou cimetière (tiens comme c’est étrange). Et la répétition de ces deux mots lourds et froids n’est pas sans rappeler le poème du Corbeau où le volatile emplumé ne cesse de croasser ce mot (en anglais évidemment, mais la traduction n’est pas juste pour le coup !) « Nevermore ». Là aussi nous sentons le cri lourd du corbeau et le mot résonne comme un appel à la nuit et à la tristesse. C’est là une technique couramment employé par Poe pour donner le ton dans ces poèmes ; la répétition d’un mot particulier à la sonorité évocatrice.

* * *

Bien, il est tard et je m’aperçois que je me suis tout de même grandement étendu sur le premier paragraphe et je me dis que si je continue de la sorte, vous serait tous endormis avant la fin de mon exposé. Aussi tenterais-je par la suite d’être plus concis.

Après le premier qui se concentrait sur le décor et sur l’atmosphère de ces lieux surprenant, le second se centre sur le poète et plus particulièrement sur ses sentiments présents. C’est à une véritable scission dans tous les sens du terme que l’on assiste alors. D’une part scission du narrateur avec son âme, Psyché qui si elle marche effectivement à ses côtés, n’est plus en lui mais à coté de lui. C’est une scission intérieure ensuite entre les volcans de son cœur, et les glaces boréales qui les entourent : opposition classique entre le feu et la glace.

Le troisième paragraphe aborde le thème, cher au romantique de la perdition. Ainsi alors qu’ils devisent avec son âme, le poète s’égare par mégarde, aussi bien dans le temps que dans l’espace. Il ne sait plus le mois de l’année (Oh, oubli sinistre et fatidique) ni le lieu où il se trouve. C’est dans cette esprit d’oubli, comme guidé par le hasard (ou bien est-ce les dieux mesquins et railleurs ?), que le poète finit par trouver, comme un signe posé sur sa route, le croissant de la lune. Mais loin de lui montrer ma voie ; le signe ne fait qu’accroître la scission entre le poète et son âme qui son désormais séparés jusque dans la structure du texte, les paragraphes se trouvant désormais séparé pour transcrire les monologues du poète et de sa muse. Cette rupture dans la structure accompagne évidemment la rupture dans les pensées car si le poète glorifie la lune comme sa compagne d’infortune venue lui montrer la tanière du Lion (mais qui cet animal peut-il bien personnifier, je vous avouerais que je n’ai pas la moindre hypothèse sinon peut être l’ennemi ultime, la mort ou la tuberculose…). L’âme, elle, semble soudain prise de panique, peur inconsciente de ce qui ne tardera pas à arriver.

L’avant dernier paragraphe nous dévoile soudain le thème même du poème vers lesquels tous les autres n’étaient qu’une préparation : Le poète est tout d’un coup mis devant ses pires craintes et devant toute l’horreur de sa vie. Car cette Ulalume n’est pas qu’une création du poète, mais plutôt la symbiose de toutes les femmes qu’il aima et qui toutes lui furent ravi par la maladie. On comprend mieux maintenant l’atmosphère maladive qui règne d’un bout à l’autre du poème, ce sentiment de répétition lui-même est une parodie morbide de la répétition des morts que dût connaître l’écrivain : celle de sa mère, de sa sœur, de sa première amour, de sa deuxième mère, etc.

Mais plus terrifiant encore, le poème ne s’achève pas, mais se referme comme une boucle ou comme un piège puisque le dernier paragraphe dans sa structure aussi bien que dans son champs sémantique. Reprenant toutes les phrases de cette introduction mais observez bien la conclusion, elle répète effectivement la fin du premier paragraphe mais la répétition qui nous avait déjà frappée au départ se reproduit ici trois fois ! Annonce frappante d’un futur plus sombre, plus lourd, et plus monotone encore.

* * *

Le choix de ce poème fut donc mené selon deux motivations d’une part car je le trouve superbe et puissamment évocateur. D’autre part car peut être plus encore que le Corbeau, il met en valeur le procédé fréquemment utilisé par Poe de la répétition d’un mot, d’une phrase ou d’une idée pour donner toutes sa force aux différentes sonorités qu’ils contiennent. C’est là l’une des principales difficultés de la traduction d’œuvre telle que celle-ci ; les sonorités mêmes des mots sont altérées mais je trouve justement que Mallarmé à parfaitement réussi son pari de se rapprocher au mieux du style original.

En espérant vous avoir donné envie de lire ou de relire Poe, mais surtout, de vous avoir donné des pistes à utiliser dans vos prochaines œuvres. Je laisse respectueusement la main à mon successeur pour samedi prochain.

Frère Paladin

Modifié par Lord Paladin
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Je suis assez surpris, c'est la première fois que je vois une traduction aussi proche du mot-à-mot. Du coup ça rend la chose difficilement lisible, par contre. J'encourage assez vivement tous ceux ayant un niveau minimal d'anglais à essayer la VO, il y a pas mal de mots inconnus mais en soi rien n'est complexe.

Sinon, pour en revenir plus précisément à ton travail, le trait majeur du poème est bien montré (la multi-personnalité d'Ulalume) et le reste traité comme il convient. Je te remercie tout particulièrement de m'avoir fait découvrir ce poème plutôt que le (presque trop) connu Nevermore.

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Invité Absalom

S'lut !

Un lien qui marche pour la VO.

Merci pour la découverte de ce poème ! C'est rigolo le plaisir énorme que l'on a à lire quelque chose d'aussi morbide :wink: .

Le style est chargé mais ça nous colle au texte au lieu de nous en éloigner.

Comme toi, je pense que les répétitions y sont pour beaucoup.

Ce n'est pas qu'un procédé : le ressassement est vraiment le coeur du texte. A ce propos, même le narrateur est dédoublé puisqu'il y a lui...et son âme.

...bégaiement de l'âme... lapsus de la mémoire ...de quoi ravir nos amis psychanalistes.

C'est très beau aussi de ne pas décrire la scène traumatique en elle-même mais son souvenir, dans un texte où, du coup, passé et avenir ne font qu'un.

Ca n'a peut être rien à voir mais ça me fait un peu penser aux films de M.Night Shyamalan. La catastrophe n'est jamais filmée mais ce sont ses contrecoups , parfois lointains, qui l'intéressent..(La mort du protagoniste dans Sixième sens, le décès de la mère dans Signes, le faux village dans le village).

L'écho de la catastrophe est plus beau que la catastrophe en elle même. D'où l'utilisation des reflets dans ses films je crois..mais pas sûr et puis c'est hors sujet. :lol:

Pour le Lion, je suis comme toi un peu perdu...c'est, je crois, la seule image qui ne relève pas de la mélancolie, bien qu'elle fasse planer comme une menace. Trop royal, trop solaire.

Modifié par Absalom
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