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Cycles


SonOfKhaine

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Il s'agit d'un projet dont le jumeau en vers est [url=http://www.warhammer-forum.com/index.php?showtopic=159049]ce topic[/url]. En fait, la plupart de ces poèmes devrait apparaitre ici, écrits par le narrateur.

Comme sur le topic jumeau, je vous présente les bribes dans l'ordre où je les écris, pas dans l'ordre chronologique, vu que le cycle mettra sans doute des années à prendre sa forme si jamais il la prend, et que je n'ai pas le coeur de laisser mes productions de haute lutte au placard plus que de raison.

Oui, c'est court. Non, je n'ai pas envie de le poster en poésie, ni de rallonger ça artificiellement.


[center][u]Murmures d'avant la mi-été[/u][/center]


Il fait beau ce soir. Le soleil et l’été déclinent lentement, si lentement qu’on ne le voit pas. On le sent : comme le sang qui coule dans nos veines, l’air qu’on respire, l’alcool qu’on a bu, les pensées qui ont jailli dans notre esprit, les mélodies qu’on a jouées.
Ce soir - est - beau. Clairement. Le bleu du ciel a vaguement commencé à s’assombrir, les restes de nuages s’étiolent dans une vaste aquarelle, - il a plu toute la journée, - des éclairs ont frappé l’herbe brûlée pendant que les branches dansaient avec le vent. Mais maintenant, et pour quelques temps peut-être, mon monde est calme.
Quelques feuilles oscillent à peine, furtivement, au rythme de ma poitrine qui se soulève et s’affaisse. Je rouvre mes yeux et la fenêtre, face au cerisier. Ce vieux cerisier, chargé de souvenirs verts qui n’attendent qu’un souffle pour s’agiter mutuellement.
Rien ne vient. Rien ne bouge. Tout ne fait rien. Le présent reste là, figé, à la manière d’une statue antique ou du futur qu’on me promet. Je me laisse tomber dans mon fauteuil, remarque qu’il fait un peu plus sombre et clos mes paupières ; las, mais agréablement las, avec cette pointe de mélancolie amère - si peu - qui me rappelle la bière brune.
D’un geste, j’attrape ma guitare, d’un autre, après un instant d’hésitation, je brise le silence. J’arpège un accord mineur, sans pitié. Le dissèque. L’analyse. Le tronque, puis lui adjoins des excroissances harmoniques plus ou moins douteuses. Lui redonne sa plénitude pour le marteler en rythme. Martial. Furieux. Calme. Triste.

Indiscutablement, il commence à faire nuit. À l’ombre des feux de l’occident…
Il y a longtemps, j’aurais (été) tenté de poser des mots sur ce paysage. Je l’ai tenté, en fait, mais ils se sont toujours contentés de glisser comme les gouttes sur ma vitre ; c’est-à-dire en y prenant uniquement la poussière. On y voit plus clair depuis, quand on regarde les ténèbres. On s’aperçoit d’autant mieux que l’encre, versée sur les feuilles, masque tout – nous cache la beauté de la réalité pour, en vain, essayer de donner un peu d’éclat à la sienne.

Des oiseaux se mettent à chanter dehors, sans aucune raison apparente, je me joins à eux avec ma flûte ; mêlant mes trilles aux leurs, avec la même extase douce qui me prenait autrefois, quand je tentais de peindre les détails de leurs plumes avec la mienne…

Deux corbeaux me parlent et se répondent dans l’obscurité. Je serre ma main gauche sur le pendentif orné du visage de mon père, saisis de l’autre les bâtons gravés des symboles qu’il m’a enseignés, et interroge mon avenir. Modifié par SonOfKhaine
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  • 3 mois après...
[center][b][u]Devin[/u][/b][/center]


Je marche sous la pluie qui ride mon front et l'étang. La boue couine vaguement sous mes pieds, noyée par le bruit de l'averse. Ma nuque se redresse pour je ne sais quelle raison – à vrai dire, je le sais : il n'y en a aucune. Pour contempler une fois de plus le rideau noir et délavé qui s'est déroulé sur l'horizon ? Pourquoi pas, après tout. C'est une excuse comme une autre.
Mon regard est attiré par une pierre levée qui défie la gravité comme je brave le temps. On dirait un tronc de granit au milieu des bois. Presque joli...
D'un geste, je ramène ma capuche à sa position initiale et courbe à nouveau l'échine. D'un autre, je m'essuie le visage. Des gouttes ? Des larmes ? Je penche pour la première solution : il ne me reste plus grand-chose à pleurer.

Arrivé à la croisée des chemins, j'aperçois des traces de pas dans la boue. Machinalement, j'enfonce mes bottes fatiguées dedans. Il n'y a, bien entendu, strictement aucun intérêt à les suivre... mais, après tout, ce n'est pas comme si j'avais quoi que ce soit d'autre à faire.
Elles me fascinent. Leur flaque miniature a – presque – eu le temps de décanter, ou en tout cas d'être diluée par l'eau qui tombe. Pour peu, elle en serait cristalline. Or, à l'instant où ma semelle en trouble la surface, elle se souille de vastes volutes brunes, pour devenir un étang vaseux qui stagne après mon passage.
Il ne coule presque plus rien des nuages. La bruine, comme un épais brouillard, réduit toujours la visibilité au prochain tournant et se condense dans le gras de mes cheveux. Une mèche poisseuse se plaque sur une de mes orbites, achevant de m'éborgner. J'attends un peu avant de la rejeter en arrière.

Comme encaissé dans un vallon, le sentier est bordé d'arbres nus et tordus par le gel qui a frappé, il y a longtemps. Ils ne se sont jamais remis de la brûlure du froid... Les ronces se sont développées à foison autour, puis, ne pouvant se nourrir du tapis de feuilles mortes, ont dépéri à leur tour, enserrant la route de leurs cadavres barbelés.
Sans que je m'en rende compte, la pluie a cessé, mais pas le mauvais temps. Où est le soleil ? Je n'en sais rien. Machinalement, je suis la piste. Elle n'est pas si vieille et me mènera bien à quelqu'un. Une âme qui vive... A cette pensée, la commissure de mes lèvres se contracte pour former un semblant de sourire.
Le vent lui aussi est tombé - tout est calme. Seuls le clapotement de l'eau et le hideux son de la vase troublent le silence. Il n'y a que moi qui bouge, lentement. Seul, éperdu, j'erre dans cette forêt aux allures de fosse commune.
Mes genoux me font souffrir. Est-ce la distance parcourue... ou l'approche de la tempête ? La question reste ne suspens dans l'air lourd. Je suffoque.

Une rafale m'apporte la réponse, suivie par toutes ses sœurs. Le ciel se déchire et hurle sa douleur. Des roulements féroces de tonnerre chevauchent en tous sens entre les bosquets dont la silhouette dégarnie me tient lieu de compagnie.
Des éclairs tombent juste devant moi, m'éblouissant un moment. Je ne vois que rarement leur queue fourchue, tant mes yeux sont rivés au sol. L'orage ne s'arrête pas – moi non plus . Muet face à ses hurlements, sombre face à ses lumières éphémères, je continue à marcher. Peu à peu, il s'éloigne de moi... ou peut-être est-ce l'inverse.
Il passe, mais l'averse demeure, et détrempe mon manteau sale qui avait tout juste eu le temps de sécher dans la pénombre d'un ciel voilé. Le tissu colle à ma peau et en dilue les restes de sueur.
Au loin, semble t-il, se trouve un petit lac. Je m'en approche. Des milliers de gouttes le percutent en permanence, confondant leurs ondes de choc dans un ballet mouvant. De vagues, des remous, de la vaine agitation qui ne mène à rien, qui n'influe pas sur le trajet des autres et va mourir sans un bruit contre la rive boueuse...
Les traces de pas continuent - je les délaisse un instant pour examiner le menhir qui se dresse à côté du point d'eau.

Des lichens, qui peinent à survivre mais s'accrochent désespérément à l'existence et aux anfractuosités, parsèment la roche. Il me semble lire quelque chose, gravé il y a longtemps, derrière l'érosion d'années de givre.

[i]Longtemps… ai…
… jour est caché…

Demain… sera clair…
… profonds chemins,
Aussi vrai…je…devin.[/i]


Aussitôt, les souvenirs m'assaillent. Je m'effondre. Mes genoux s'enfoncent dans la boue molle. Mes mains aussi. En pleurant, je me relève, et macule de glaise cette maudite inscription que je regrette d'avoir engendré - et que je regrette encore davantage d'avoir lu.
Je m'approche de l'étang pour m'y rincer. J'hésite un peu... puis, dans le creux de mes paumes, prends une gorgée d'eau. Elle a le goût du crépuscule.
Mon reflet s'estompe petit à petit. Une deuxième... tout est flou. Ma langue est aussi froide que la poésie, et prend une odeur bleutée.
Une troisième...

Le temps se fait menaçant : il va bientôt pleuvoir. Je cherche un abri, et tombe sur des traces de pas. Peut-être ce voyageur dispose t-il d'une maison ? Modifié par SonOfKhaine
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C'est pas mal, écoute.
Y'a des bonnes idées de construction, même si ça n'est pas transcendantal. Mais surtout, dans le style, tu parviens à quelque chose d'assez appréciable. Le vocabulaire est relativement riche, bien varié, et je ne pense pas pouvoir dire que je me suis ennuyé. Cependant, il ne se passe pas grand-chose... Et ça, c'est un peu pénalisant quand on cherche à faire du narratif. Engoncé dans un récit de plus vaste envergure, pourquoi pas, mais là je reste grandement sur ma faim : tu n'a pas atteint de tels sommets de lyrisme que la simple lecture occulte le déroulement du récit (cf. si tu t'en souviens la participation du Palouf au concours "Sagas", la première partie ; il était là parvenu à transcender l'histoire par le style).
De plus, tes phrases très hachées, tes changements fréquents de constructions syntaxiques, perturbent la lecture. Pas au point de l'handicaper, non, mais disons que tu peines à établir le calme propre aux paysages que tu décris.
Par exemple,[quote]Sans que je m'en rende compte, la pluie a cessé, mais pas le mauvais temps. Où est le soleil ? Je n'en sais rien. Machinalement, je suis la piste. Elle n'est pas si vieille et me mènera bien à quelqu'un. Une âme qui vive... A cette pensée, la commissure de mes lèvres se contracte pour former un semblant de sourire.[/quote]Des structures très dissemblables, qui relancent sans cesse l'intérêt et l'attention du lecteur, alors qu'un tel passage dans un roman aurait dû bénéficier d'un tempo beaucoup plus lent, accalmie de descriptions et de voyages entre deux scènes fortes (comme celle du menhir, excellente pour conclure).

Je ne sais pas si je me suis bien fait comprendre... En somme, je te reproche de trop coller au texte, de n'avoir pas assez pris de recul. La réflexion sur le style vient en amont de l'acte d'écriture, et est aussi déterminée par la nature du passage à écrire. Ici, tu écris un passage qui ne vaut pas par lui-même, car il n'est pas assez fort dans un sens ou dans un autre pour "être stable" et valoir une lecture isolée.

Mais c'est bien, en soi ^_^ . 'Juste que je pense que tu peux passer à la dimension supérieure de l'écriture, et qu'il serait dommage de ne pas le faire. Modifié par Celt
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D'abord, merci d'avoir commenté -je ne m'y attendais pas, à vrai dire.

Je crois que je comprends où tu veux en venir. Le passage du menhir est, finalement, bien plus représentatif de mon style habituel. Mais je voulais essayer autre chose pour en contourner les défauts. Aller vers plus de simplicité pour profiter des avantages de la prose. Malheueusement, bon, je suis resté dans l'idée du texte d'ambiance plutôt que du narratif, bien qu'il en possède un vague fond. en fait, j'avais peur, d'une part justement de tomber dans la répétition si je m'attardais trop, d'autre par de laisser enfler mes phrase démesurément comme je le fais trop souvent. En même temps, à part ce que je viens de retrouver et que je vais c/c plus bas, je n'ai rien écrit en prose depuis Ephémère, il y a trois mois et demis, qui était mon premier texte de dérouillage...



[center][b][u]Fernreiter[/u][/b][/center]


[right][i]"Sá einn veit
er víða ratar
ok hefr fjölð of farit,
hverju geði
stýrir gumna hverr,
sá er vitandi er vits."
Hávamál, 18[/i][/right]


Je regarde par la fenêtre un visage couvert de crasse. Fixement. C'est le mien – ou plutôt, il le fut. Autrefois.
J'arrache mes yeux de la vitre sale pour les jeter sur la banquette d'en face, là où gisent des pieds engoncés dans leurs rangers couvertes de boue séchée. Elle laisse des traces et des miettes sur le tissu. Exactement comme moi.
Une paire de mains me saisit à la gorge, remonte, frotte les poils drus qui fuient ma peau ; et place des paupières sur mes orbites, perdues au fond de crevasses façonnées par ma fatigue – qui profite de cet instant pour s'enfuir aussi.
Quelqu'impitoyable force m'écarte les mâchoires et me pénètre. Elle emporte mon esprit dans les brumes lointaines... Malgré ma tentative de l'en empêcher, elle déchire à nouveau la barrière de mes lèvres jointes.
Je revois ma tête, et ses deux pupilles béantes, géantes, se ruent vers moi – me hurlent que l'envie de dormir, en repartant, a dérobé mes iris ultramarins pour les ramener d'où ils viennent.
Mes poumons sont emplis par l'encre noire avec laquelle l'univers est peint, dehors. Perdue dans la nuit, la face aveugle contemple ce qui reste de moi. En silence. Sans un mot, sans un sourire, elle assiste à ma noyade dans le vide chaotique de sa mydriase.

Je suffoque.

Un noeud autour de la gorge coulisse sans fin, et des corbeaux prennent leur envol. Le voyage commence... Hors des ruines de ce monde. Modifié par SonOfKhaine
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  • 3 mois après...
[center][b]L'oubli[/b][/center]


« Suivez cette route, traversez le pont, et prenez à droite sur la grande avenue.
- D'accord, merci ! »

Bon, il existe encore des gens serviables dans ce monde pourri – et, fait encore plus étonnant, dans cette maudite banlieue. Rassuré, je continue à marcher. Un pied devant l'autre. Feu rouge au loin. Un pied devant l'autre. Une voiture après l'autre. Un pied devant l'autre. La file d'attente s'allonge. Un pied devant l'autre. Une voiture après l'autre. Un pied devant l'autre. Feu vert. Un pied devant l'autre. La file d'attente diminue. Un pied devant l'autre. Une voiture après l'autre. Un pied devant l'autre. Feu rouge. Un pied devant l'autre.
Il fait un peu froid. Je remonte la fermeture éclair de mon manteau, afin de ne pas aggraver mon mal de gorge, et j'allonge le pas. Il est grand temps de rentrer chez moi. Un pied devant l'autre. Juste ça. Une fois. Deux fois. Dix fois. Cent fois. Encore et encore...
L'après-midi si paresseux semble enfin toucher à sa fin : les rayons obliques grattent l'atmosphère poussiéreuse comme autant de rasoirs, et le feu tricolore est peu à peu submergé par un bouchon en formation, habituel à cette heure.

Un pied devant l'autre...
Les instants s'écoulent lentement. Inspirer. Un pied devant l'autre. Expirer. Un pied devant l'autre. L'air rentre et sort, sort en rentre, j'avance lentement. J'ai l'impression que cette rue n'en finit pas. Grille noire, numéro 56. Inspirer. Expirer. Fermer les yeux. Inspirer... J'avance. Rouvrir les yeux. Numéro 56, grille bleue.
Je reviens en arrière. Inspirer – expirer – inspirer – expirer. Grille 56, numéro noir. Demi-tour, un pied devant l'autre, je clos mes paupières et me laisse bercer, calant le rythme de ma respiration sur celui de mes jambes fatiguées.
Quand je pense à regarder à ma gauche, je me rends compte que je suis au 62. J'hésite un instant. Est-ce que ça vaut vraiment la peine d'aller vérifier ? Sans doute pas, mais qu'importe. Un pied après l'autre... 60... 58... 56. Grille verte. Bon, tout va bien jusque là, assez perdu de temps, je suis en retard.
L'horizon transpercé laisse couler son sang. Je me dépêche, commence à courir, oublie de respirer. Point de côté. Je m'arrête pour reprendre mon souffle, plié en deux. 42 ? Je suis au numéro 42.

Je commence à paniquer, regarde à droite, à gauche. Quelqu'un passe sur le trottoir d'en face, celui à qui j'ai demandé mon chemin tout à l'heure. Je l'interpelle. Il fait mine de ne pas m'entendre, je lui cours après en insistant.
« Je ne suis pas d'ici ».
Il n'est pas d'ici ? Comment ça ?
« Mais, et ce que vous m'aviez dit tout à l'heure ?
- De quoi ? Vous devez faire erreur, monsieur »
Je ne sais plus quoi répondre, la vieille dame me tourne le dos et repart, me laissant sur place.

Je ferme les yeux et respire calmement. Je suis au 17. Il suffit de voir dans quel sens vont les numéros... 15 ? Bon, c'est de l'autre côté, alors. A l'opposé du soleil, là où la nuit commence à s'étendre comme une tache d'encre.
Mes pas martèlent le bitume défoncé. Je fais attention à marcher dans les triangles. Puis dans les carrés qui se trouvent dedans, même quand ceux-ci se mettent à onduler. Au bout d'un moment, je me retourne pour voir où en est le soleil...

Il me regarde. Fixement. Son œil unique traverse mes paupières, répand ses teintes irisées au fond des mes orbites. Je lui tourne le dos et fais face à l'orient, qui peu à peu se drape dans un long manteau.
Persistance rétinienne.
C'est juste ça. Pas de l'amour. De la persistance rétinienne. Et des corbeaux, au loin, hurlent de joie, ayant peint des flammes tout le long de l'horizon avec leurs ailes géométriques qui vibrent sans cesse.
J'ondule de plus en plus fort, de plus en plus longtemps, un pied devant l'autre. Le gauche, le droit, celui du milieu, luttant sans cesse contre les sables mouvants.

Cette musique... La symphonie des arbres de pierre, lourde, pesante, qui pourtant se dresse contre le ciel. Ardente. Tout rougeoie, se consume, se tord et crépite. Les étincelles voltigent au rythme des trompettes.
Peu à peu, si doucement que rien ne se trouble, dans une suprême harmonie des formes et des couleurs, la matière est vaincue, pleure et se dissout dans ses propres larmes, tout fond et se mélange.
Comme un océan de bronze.

Et, au-delà, sur l'autre rive, une armée d'arc-en-ciel, accrochée dans les profondeurs, qui se reflète dans les nuages opalins.
Parmi cette immense fresque de sons et d'odeurs, seules de lentes vagues, épousant l'univers et se superposant étrangement, évoluent avec la grâce de cygnes portés par le vent stellaire. Pendant ce temps, au sommet de la pyramide, un grand feu fait crépiter des cristaux de roche noire, et partout les miroirs répètent en chuchotant la caresse apaisante du vin qui coule.
Alors, à cet instant suprême succède... rien. Le même instant. Encore et encore.
La lueur mystique faiblit peu à peu. Les couleurs sonnent faux, la musique se fane. Plus rien ne bouge. Sauf, au loin...

La charrette.
Cette vieille carriole édentée, qui se pousse elle-même, qui écrase les hautes herbes dans la boue. Cette charrette aux roues cassées qui se laisse porter par le courant, dont l'essieu grince continuellement.
Alors, le ciel soudain s'affaisse, se craquèle de toutes parts, tombe par morceaux dans la rivière, qui se met à déborder, à transporter pêle-mêle des tas affreux de troncs calcinés, de membres, d'armes tordues, de visages au sourire affreux.
Les corbeaux, tout près, rient de douleur, toujours plus fort.
Un pont, un immense pont, s'élance dans les brumes malfaisantes, fait d'ossements empilés, liés entre eux par des cordes de peau. De l'autre côté se trouve un empire inconnu, où rôdent les loups et les charognards, où souffle un vent glacial et hurlant.
Sur cette rive, tout meurt.

La charrette avance toujours, émerge lentement du brouillard. Elle n'a plus de chevaux ; ce qui reste de ceux-ci est empilé à l'arrière, avec tout le reste.
La silhouette qui la conduit s'immobilise. En descend. S'avance. Un pied devant l'autre. Imprimant ses traces de pas dans la cendre. Un pied devant l'autre. Laissant une longue trace de sang qui sèche. Un pied devant l'autre. En faisant craquer ses articulations nues. Un pied devant l'autre. Diffusant son odeur de chair calcinée. Un pied devant l'autre. Et rien ne semble pouvoir l'arrêter.
Elle relève la tête. C'est un crâne fracassé, sans expression.
Ses orbites sont vides. Désespérément vides. Sa mâchoire sans dents s'ouvre avec un bruit d'outre-tombe, presque un gémissement. Les corbeaux se sont tus.
« Viens. »
Juste ce mot.
Elle se retourne, emportant tout dans les replis de sa cape. Un pied devant l'autre. Sans distinction. Un pied devant l'autre. Sans un mot de plus. Un pied devant l'autre. Rien ne résiste. Un pied devant l'autre. Vers l'autre rive. Un pied devant l'autre.

Lentement, tout doucement, l'univers entier s'aventure dans les brumes fétides. Sans retour possible. Le pont vibre, se disloque peu à peu, sans arrêter l'inexorable marche.
Cette procession funèbre progresse dans le silence le plus total. Jusqu'au bout. Au-dessus des eaux figées de la rivière morte qui ne reflète plus rien que le vide béant.
Enfin, la forme sans nom, poussant sa charrette atroce, s'arrête.

« A droite sur la grande avenue. »

Un peu perdu, j'avance, baigné par la clarté de la lune, sur le trottoir vide, droit devant. Une voiture passe de temps à autres, avec ses phares éblouissants. Un couple me demande son chemin, je l'écoute à peine : « Je ne suis pas d'ici ».
Rouge... Vert... L'alternance des feux se conjugue étrangement avec le jaune urinaire des lampadaires. Soudain, je m'arrête.
Appuyant sur un bouton, je pousse la porte, qui cède facilement, puis monte les escaliers grinçants. Ils sonnent comme la charrette... A cette simple pensée, je frissonne et accélère.
Je fouille dans ma poche, y trouve une clé, qui entre dans la serrure. Je tourne dans un sens, puis dans l'autre. Claquement sec. J'entre.

Quelqu'un me regarde fixement. Je m'arrête net. Il ne bouge pas, a l'air stupéfait de me voir, mais ne dit rien. J'ai le réflexe de le saluer (pourquoi ?), il est plus rapide que moi. « Bonsoir. »
Que répondre ? La même chose.
Nous restons ainsi, dans un silence gêné qui semble durer une éternité. J'ai du mal à distinguer ses traits dans la pénombre. Il me rappelle la forme.
Paniqué, je fais un pas en arrière. Lui aussi. Il ne semble pas agressif. J'avance de nouveau. Un pied devant l'autre. Lui aussi. Un pied devant l'autre.
Nous somme tout près. Je tends le bras – lui aussi. Le touche. Il a la main glacée comme la mort.
Son visage se transforme en crâne grimaçant alors que nous crions tous les deux.
Je recule et tombe par terre en me débattant, piégé dans un labyrinthe de fractales et de sons impossibles.

Après une éternité, j'ouvre à nouveau les yeux. Je suis chez moi.

Face au miroir de l'entrée.
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