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Joachim m'a tuer


Rak

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Bon, beñ je viens juste de récupérer ma connexion internet, un grand merci à la tempête (et à mon FAI)... La Bretagne, ça vous gagne !

Bref, j'avais quand-même écrit un truc (dans les temps !) pour le concours, mais avec trois semaines de retard je sens que ça va pas vraiment passer ;)
Tant qu'a faire je vais le mettre ici, ça intéressera peut-être quelqu'un ! Les commentaires sont le bienvenu, évidemment.

Pour rappel, le thème était « rêve(s) »

Rak.



Réveil

Il se leva ; il faisait encore nuit. L’aube attendrait encore quelques heures, laissant la cité emmitouflée dans sa noirceur sale, ses odeurs rances et la légèreté des songes de ses habitants. Lentement, il enfila ses vêtements. Une tenue simple ferait amplement l’affaire, il n’y avait pas de place pour l’extravagance ce soir. Ou cette nuit, qu’importe. Le temps n’avait que peu d’importance. Et puis, qu’est ce que le temps ? Il n’y avait pour lui qu’une succession de présents, la brulure constante, au fer rouge, de son inhabilité à contrôler son destin. Puis venait le Sommeil, et ses tendres bras, sa peau douce, les seins lourds de la nuit contre lesquels il venait se blottir. Et le cycle recommençait, sans fin. Mais pas maintenant. Il était réveillé, conscient, et, ayant fini de s’habiller, prenant la sacoche qui pendait à une chaise, il défit les larges verrous de la porte et sortit dans les ténèbres humides.

À l’autre bout de la Cité Blanche, qui n’avait de blanche que le nom, la garde changeait.
« Alors ? » demanda Baras au jeune homme mal réveillé qui se tenait devant lui.
« Alors quoi ? Rien, comme d’habitude, tu t’attendais à quoi ? » lui fit Asid.
« Ben j’en sais rien, moi. Ça fait des mois qu’on est dessus. »
« Précisément, ça fait des mois, et ça fait des mois qu’on arrive à rien, alors j’vois pas pourquoi qu’ça changerai. »
« C’est pas avec ton optimisme… »
« La ferme vous deux ! », coupa un troisième, « V’la l’patron. »
Le silence se fit immédiatement, brisé seulement par les corbeaux croassant leur moqueries au dessus de leurs tête.
« Alors, mesdames, on échange les potins ? » lança le dernier arrivé d’un ton maussade, ne récoltant que quelques grognements en retour. Il hocha la tête. « Très bien, vous connaissez le boulot, équipes de deux, ruelle par ruelle, rue par rue, rendez-vous ici au point du jour pour le rapport. »
Il n’en dit pas plus. Aucun ne protesta, même s’ils avaient tous à l’idée la futilité de leur tâche. Si peu, pour une zone si vaste, quel infime espoir y avait-il de trouver cette aiguille dans l’immense botte de foin des couloirs sinueux et tortueux de la ville tentaculaire ?

Dix-neuf. Dix-neuf étaient morts. Il n’en revenait toujours pas, alors qu’il déambulait seul dans les ténèbres, la sacoche battant contre sa cuisse au rythme de sa marche. Et ce n’était qu’un début. La garde était sans dessus dessous depuis des jours, ou était-ce déjà des semaines, des mois ? Une fois de plus, il n’en savait rien. Il grogna, ajustant la veste de lin épais sur ses épaules pour mieux se protéger du froid. Toujours cette humidité qui s’infiltrait partout, toujours ces mêmes odeurs et cette brume. Il cracha par terre. Soudain, une lueur apparut au coin de la rue, et il se jeta contre le mur le plus proche, se fondant dans les ombres du mieux qu’il pouvait.

« Ouais, bah tu diras c’que tu veux, mais moi j’pense qu’on perd notre temps. »
« Par Isil, tu dis la même chose tous les soirs. »
Ils marchaient côte-à-côte, une torche à la main, l’autre posée sur la garde de leurs épées. Les tressautements de la flamme faisaient jaillir des ombres mouvantes sur les murs de pierre froide et les volets clos. Longue patrouille en perspective.
« P’têt bien, mais je pense la même chose tout les soirs. »
« Et ? Tu veux qu’on fasse quoi, bordel ? »
« J’en sais rien, aller se boire une chope, tâter la croupe d’une mignonne. Ça fait combien de temps qu’t’as pas b… »
« T’as gueule, Baras. »
L’intéressé allait répondre à son comparse quand celui-ci lui fit un signe brusque de la main. Ils s’arrêtèrent net, lentement sortant leurs épées de leurs fourreaux. Un mouvement de la tête. Baras hocha la sienne lentement. La torche faisait danser des reflets rouges et or sur le fil de leurs lames.

Toujours drapé dans les ténèbres de la ruelle, il sortit une dague effilée de sa sacoche. Sa lame était propre, lavée du sang auquel elle avait gouté par le passé. Il lui faudrait sans doute la laver à son retour, encore. Lentement, silencieusement, il s’approcha de la lumière.

« T’as vu quelque chose ? » chuchota Baras.
« Je sais pas, je suis pas sûr… »
Quoi que ce fût, il valait mieux être prudent, seul quelqu’un de très stupide ou de très dangereux tenterait de braver le couvre-feu tant que le Mal rodait en ville. Ils le savaient, et c’était précisément pour cela qu’ils patrouillaient sans relâche, soir après soir, dans l’infime espoir de mettre la main sur l’assassin qui terrorisait la Cité Blanche et mettait à mal la réputation jusque là sans tache de la Garde Albescente. Éteignant leurs torches, laissant seulement quelques secondes à leurs yeux pour s’habituer à l’obscurité brisée çà et là par l’éclat des lunes jumelles, ils s’élancèrent dans la ruelle.

Il passa son bras autour du cou du premier, décrochant un coup de pied au deuxième, l’envoyant contre le mur décrépit de la maison en face dans un nuage de poussière. Il posa le fil de sa dague sur la jugulaire de celui qu’il tenait fermement. Ce n’était qu’un gamin.

La ruelle était vide. Ce n’était peut-être qu’un écho, ou un pur produit de son imagination, mais le bruit qu’Asid avait entendu ne pouvait venir de là. Il remit son épée au fourreau alors que Baras continuait de scruter les ténèbres, inquisiteur. Il grogna, « Mouais… », et remis sa lame à sa ceinture également. Asid leva les yeux au ciel devant tant d’éloquence mais ne fit pas de commentaire.
« Bon, désolé, j’dois pas être réveillé. » dit-il finalement.
Baras hocha la tête, ce n’était pas la première fausse alerte, et il avait lui-même cru entendre quelque chose à plusieurs reprises cette nuit.
« Pas de problème, » dit-il. Ils rallumèrent leurs torches.

« Que fais-tu dans la rue, gamin ? » chuchota-t-il a l’oreille de celui qu’il tenait encore fermement. L’autre s’était avachi sur le sol, apparemment sonné par le mur qu’il avait pris en pleine tête. Seul un petit gémissement lui répondit, alors que le garçon essayait de respirer. Il haussa les épaules et jeta sa proie à terre.
« Ramasse la loque là-bas et rentre chez toi, gamin, les rues ne sont pas sures. » It ponctua sa phrase du son sec de sa dague remise au fourreau et tourna le dos aux deux jeunes garçons. Il n’avait pas le temps pour ça ce soir, il avait une mission. Il ne pourrait jamais trouver le Sommeil s’il ne s’en acquittait pas une fois pour toute. Il s’enfonça dans les ténèbres sans se retourner.

« Je sais pas pourquoi, mais j’ai un mauvais pressentiment, » dit Asid après qu’ils eurent marché un moment en silence.
« Qu’est ce qui te fait dire ça ?, » répondit l’autre.
« Bah rien, c’est un pressentiment, je suis pas une voyante, » cingla l’autre, « T’as pas l’impression que tout est plus sombre ? Plus silencieux aussi. Comme si… Je sais pas. Comme si la ville retenait son souffle, quelque chose comme ça. »
« Asid, t’as passé trop de temps à la taverne, ou tu t’es inscrit dans un école bardique ? »
« Putain Baras ! Je suis sérieux, je le sens pas du tout. »
Le hasard fait bien les choses, ou peut-être qu’Asid avait des capacités insoupçonnées, toujours est-il que ce fut à ce moment qu’un cri de terreur pure résonna dans la nuit.
« Par-là !, » gueula Baras, sortant son épée de son fourreau et se mettant à courir, talonné par Asid.

Un cri comme on en fait peu. Éblouissant. Ce n’était pas un cri ordinaire, c’était une âme qui s’embrasait et se consumait. Le Mangeur de Rêve avait frappé. Qui d’autre pourrait être digne de l’attention du Sommeil ? Il marchait dans son monde, déchirant la trame des songes des habitants de la cité. Mangeur de Rêve était un nom assez littéral : il se nourrissait des cauchemars des dormeurs, de leurs terreurs nocturnes. Et quoi de mieux pour faire suinter l’anxiété que de brutalement massacrer ceux qu’il dévorait ? La terreur engendrait la terreur.

Un deuxième cri se fit entendre, et les deux gardes se dirigèrent à toute allure vers son origine.

Oui, là, une porte entrouverte. Il sortit sa dague une fois de plus. Tout doucement, il s’approcha de la porte. Il entendait des gens courir, le son lourde d’un cote de maille. Des gardes. Il faudrait faire vite.

« D’où est-ce que ça venait, merde ? »
« Par ici, quelque part. Ouvre les yeux, il ne faut pas le laisser filer ! »

La porte s’ouvrit sans un son. Parfait. Il jeta un regard autour de lui. Là, l’escalier. Il menait sans doute à la chambre. Il pouvait entendre un bruit feutré à l’étage.

« Merde, merde ! Ça pourrait être n’importe laquelle ! »
« Là-bas ! La porte ! Elle est ouverte ! »
Ils coururent.

Il passa sa langue sur le métal froid et murmura une prière de circonstance, ces choses-là ne se font pas sans rituel, puis entra soudainement dans la pièce.

Il y eut un troisième cri, plus perçant, plus déchirant encore que ceux qui l’avaient précédé. Il venait de la maison vers laquelle ils couraient à toute allure. Trop tard pour sauver la victime, mais le tueur était coincé ! D’autres duos de gardes accouraient probablement déjà, guidés comme eux par les hurlements. Ils ne les attendirent pas et s’engouffrèrent dans la maison. L’étage. La ville étant prône aux inondations, les chambres étaient toujours construites en hauteur. Précédés par leurs torches, ils s’élancèrent.

Cela avait été trop facile. Le Sommeil devrait s’en satisfaire.

Ils bondirent dans la pièce et marquèrent un temps, abasourdi. Il y avait quelque chose par terre. Quelque chose d’immonde. Quelque chose qui n’aurait pas du être. Quelque chose de Mal. Du sang gouttait du corps de la femme étendue sur le lit, se déversant lentement sur le cadavre de la chose.
Et au beau milieu de la pièce se tenait un homme étrange, leurs tournant le dos, une dague à la main.

« Halte ! La dague ! Par-terre !, » cria Baras.
L’inconnu se retourna, la lame toujours fermement dans sa main.
« C’est fini, » dit-il.
« Fini ? » reprit Asid,
« Le Jal-Kalir n’est plus. »
« Le quoi ? »
« Le Mangeur de Rêve. » Il sourit. « Je vais pouvoir dormir. » Il sourit à nouveau et se jeta sur les gardes, la dague haute.

Baras se recula tandis qu’Asid faisait un pas de côté. Dans un espace si réduit, ils étaient autant un danger l’un pour l’autre que ce tueur inconnu. Baras jeta sa torche au visage de ce dernier, qui se jeta sur le coté, frappant Asid du pied. Il tomba à terre et l’inconnu se jeta sur lui pour l’achever. Son épée était tombée. Il tendit le bras en jurant. Trop tard. Il ferma les yeux. Le coup sur la poitrine lui ôta tout son souffle. Il rouvrit les yeux. L’inconnu avait glissé dans le sang, sa dague avait frappé le plancher et il s’était étalé de tout son long sur lui. Asid lui envoya un coup de poing rageur et tenta de ramper vers son épée.
« Trop tard, gamin ! cri l’autre, ayant repris ses esprits et sa dague, avant de s’interrompre brutalement, contemplant la lame qui venait de lui traverser la poitrine. Il sourit.
« Enfin. Enfin ! Enfin je vais pouvoir dormir. Dame Sommeil m’attend. »

Il avait rempli sa part du marché. Il avait traqué et tué celui qui troublait le royaume de sa Dame. Il avait rempli sa part du marché, il pouvait maintenant la rejoindre pour toujours. La lueur dans ses yeux s’éteignait peu à peu. Les deux gardes ne comprenaient rien à ses élucubrations et le regardaient fixement. Pauvres fous ! Ils ne connaitraient jamais les délices du Sommeil. Ils ne connaitraient jamais… Il mourut.

Il rouvrit les yeux. Les gardes étaient toujours là. Il était mort, pourquoi les voyait-il encore ? Il n’aurait pas du être là, Dame Sommeil aurait déjà du l’accueillir ! Il se vit, comme en songe, s’approcher des deux gardes terrifiés, et plonger ses mains dans leurs crânes comme dans du beurre. Leur terreur était délicieuse. Il entendit une voix chuchoter à son oreille :
« Tu feras un bien meilleur Jal-Kalir que le précédent, mon bien-aimé. Sache que je suis Dame des cauchemars autant que Dame des rêves. »

Il hurla, et tous les habitants de la ville pleurèrent dans leur sommeil. Modifié par Rak
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Salut Rak,

Dommage que tu n'ais pas pu poster ce récit à temps, j'aurais aimé le lire et le commenter dans le cadre du concours, il y avait vraiment sa place tant dans le respect du thème que dans la qualité d'écriture.

Pour tout te dire j'étais absolument persuadé que ton texte avait plus sa place dans le contemporain jusqu'au moment où tu évoques une torche. En fait je m'imaginais dans une banlieue austère " qui n'avait de blanche que le nom " où plusieurs flics seraient en filature d'un mystérieux meurtrier ( tu viens d'ailleurs de me donner des idées ! ). Mais non pas du tout, on se situe bien dans le registre fantastique et passé la petite déception que j'ai ressenti, j'ai très vite repris goût à l'univers que tu as su créer.

Tout d'abord l'ambiance. Qu'elle soit contemporaine où fantastique, le lugubre est roi. Les descriptions sont macabres comme j'aime :rolleyes: , les personnages sont crédibles ( quoiqu'assez peu détaillés finalement ), sorte de ghost buster mixés avec Van helsing. Et le suspens est haletant bien sur.

Jusqu'au dernier moment je n'ai pas compris ce qu'était le dévoreur de rêve, pourquoi il sévissait, quelle était sa nature. Comment de simples hommes pouvaient espérer le vaincre. Autant de questions sans réponse conservent le mythe intact.

Tu es précis dans les termes que tu emploies et les images que tu dégages j'ai vraiment apprécié et ne peux que t'encourager à écrire encore et encore ( et pourquoi pas à commenter ... Le speed-concours par exemple :whistling: ).

Bref encore une fois dommage que tu n'ais pas pu le rendre à temps !
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  • 2 semaines après...
Bah les pauvres ! Ça doit être assez douloureux !

J'ai vraiment bien aimé l'histoire même si j'ai trouvé déroutant certains passages de l'un à l'autre ou on sait plus qui on suit ! Comme ça le fait pas souvent, ça reste qu'un détail ! En tout cas c'est vraiment une bonne histoire même si je m'attendais à pire avec la faute du titre au départ !

@+
-= Inxi =-
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  • 1 mois après...
Ah j'ai bien aimé comment tu as traité le thème, c'est bien trouvé! Je suis d'accord avec Inxi, parfois on est un peu perturbés parce qu'on ne sait pas qui on suit mais ça reste bien écrit.

Juste "t'as gueule" s'écrit "ta gueule" hein xD Et pour Inxi, le titre est une référence à un meurtre où la victime avait eu le temps d'écrire avec son sang "Omar m'a tuer" (dont est tiré le film éponyme), avec la faute d'orthographe. Enfin, je pense qu'il fait référence à ça ^^
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