Invité Absalom Posté(e) le 18 février 2012 Partager Posté(e) le 18 février 2012 (modifié) Bonjour ! Je viens de lire ce recueil de Aimé Cesaire et l'envie m'a pris d'en faire une petite chronique. Aimé Césaire est considéré comme le "Chantre de la Négritude", mouvement littéraire et intellectuel du début du 20ème. [b]Cahier d'un retour au pays natal-Extrait [/b] "ô lumière amicale ô fraîche source de la lumière ceux qui n'ont inventé ni la poudre ni la boussole ceux qui n'ont jamais su dompter la vapeur ni l'électricité ceux qui n'ont exploré ni les mers ni le ciel mais ceux sans qui la terre ne serait pas la terre gibbosité d'autant plus bienfaisante que la terre déserte davantage la terre silo où se préserve et mûrit ce que la terre a de plus terre ma négritude n'est pas une pierre, sa surdité ruée contre la clameur du jour ma négritude n'est pas une taie d'eau morte sur l'œil mort de la terre ma négritude n'est ni une tour ni une cathédrale elle plonge dans la chair rouge du sol elle plonge dans la chair ardente du ciel elle troue l'accablement opaque de sa droite patience. Eia pour le Kaïlcédrat royal ! Eia pour ceux qui n'ont jamais rien inventé pour ceux qui n'ont jamais rien exploré pour ceux qui n'ont jamais rien dompté mais ils s'abandonnent, saisis, à l'essence de toute chose ignorants des surfaces mais saisis par le mouvement de toute chose insoucieux de dompter, mais jouant le jeu du monde véritablement les fils aînés du monde poreux à tous les souffles du monde aire fraternelle de tous les souffles du monde lit sans drain de toutes les eaux du monde étincelle du feu sacré du monde chair de la chair du monde palpitant du mouvement même du monde ! Tiède petit matin de vertus ancestrales Sang ! Sang ! tout notre sang ému par le cœur mâle du soleil ceux qui savent la féminité de la lune au corps d'huile l'exaltation réconciliée de l'antilope et de l'étoile ceux dont la survie chemine en la germination de l'herbe ! Eia parfait cercle du monde et close concordance ! Écoutez le monde blanc horriblement las de son effort immense ses articulations rebelles craquer sous les étoiles dures ses raideurs d'acier bleu transperçant la chair mystique écoute ses victoires proditoires trompeter ses défaites écoute aux alibis grandioses son piètre trébuchement Pitié pour nos vainqueurs omniscients et naïfs !" [b]Aimé Césaire-1939[/b] [center][img]http://img7.imageshack.us/img7/521/aimecesaire.jpg[/img][/center] J’'ai été frappé par l'’emphase du texte, par sa colère qui ne faiblit pas tout au long de ses 80 pages. Césaire se livre à une déconstruction du discours colonialiste qui fait porter sur l’homme noir la honte et la culpabilité d’appartenir aux « vaincus » de l' ‘Histoire. J’'ai choisi cet extrait car il me semble être une des clés du recueil. D'un point de vue formelle, on y trouve une succession d’anaphores (pardon pour le pléonasme… j’en ai compté 7), et bien que le texte de Césaire ne soit pas avare d'effets de style, ça m'a frappé à la première lecture. Je vais essayer d'expliquer pourquoi. « Ceux qui.. » trois fois « Ma négritude » trois fois « elle plonge » trois fois etc… Ces figures de style impressionnent par la dureté de l’'admonestation, son efficacité rhétorique puis par son contenu parfois glaçant et la mécanique implacable de la répétition. Le texte veut combattre. Il assène des coups à son auditoire. C'’est une harangue. Et que dit-il ? Il égrène une succession de clichés colonialistes sur l’incapacité supposée de la race noire. Le texte de Césaire nous plonge dans le coeur même de l'humilation coloniale dont le contrechamp n'apparaîtra que 3 vers plus loin: [center]« ceux qui n'ont inventé ni la poudre ni la boussole ceux qui n'ont jamais su dompter la vapeur ni l'électricité ceux qui n'ont exploré ni les mers ni le ciel [b]Mais[/b] ceux qui sans qui la terre ne serait pas la terre » [/center] Je ne peux pas croire que Césaire souscrive aux premiers 3 vers. Bien sûr ils sont suivis par la conjonction « Mais » qui apporte une opposition sans toutefois jamais les contredire dans le détail. Moi lecteur, je ne me contente pas du dernier vers tant la réprimande des trois premiers me paraît brutale et injustifiée. Je veux croire que le texte subvertit ce discours encore dominant (nous sommes au début du 20ième siècle !!). Essayons de voir comment : Tout d'abord, on peut nourrir quelque fierté à être les "damnés" de l'Histoire, les éternels perdants...la négritude se mesurant au "compas de la douleur". Je pense cela dit que le tercet fonctionne en grande partie par antiphrase. Le recours à l'anaphore éveille l'attention du lecteur, le laisse en suspens en attente d'une chute : "Non Césaire ne peut penser cela". Puis les négations ne/ni/ni se succèdent comme pour s'annuler les unes les autres et en outre le recueil comporte quelques allusions historiques précises qui vont effectivement contredire ce caractère supposé nonchalant et passif de l'homme noir. Je crois qu'en transcrivant la langue du colonisateur dans sa toute brutalité, Césaire va plus loin.Il écrit : « Mon peuple n’a inventé ni la poudre ni la boussole » mais ne faut-il pas plutôt lire « Vous qui avez inventé la poudre et la boussole, qu’en avez-vous fait !!? Quel surplus d'humanité y avez-vous gagné ?». Notez la force de l’ironie, le retournement de l’argument raciste à la faveur d’un propos amer sur la vanité de l’espèce humaine. Ce retournement du regard de l'homme humilié vers l'européen est plus explicite dans les vers ci-dessous : [center]"Écoutez le monde blanc horriblement las de son effort immense"[/center] ou encore le dernier vers : [center]« Pitié pour nos vainqueurs omniscients et naïfs ! »[/center] La victoire de l'Européen en terres d'Afrique et d'Asie était une défaite pour l'Humanité. J’y souscris assez largement mais c’est devenu assez banal aujourd’hui, 50 ans après les mouvements de libération national. En 1939, ça devait l’être beaucoup moins, j’'imagine et je trouve ça génial que ce soit un poète, pas un politique , pas un combattant qui en signe l'acte fondateur. Un poète !! [b]P.S :[/b] [center]"ma négritude n'est pas une pierre, sa surdité ruée contre la clameur du jour ma négritude n'est pas une taie d'eau morte sur l'œil mort de la terre ma négritude n'est ni une tour ni une cathédrale" [/center] Par la plus belle des coïncidences, Césaire illustre magnifiquement un truc auquel j'ai beaucoup pensé depuis la lecture d'un certain poème de la section et qui m'a donné bien de la peine à exprimer. La négritude, selon Césaire, n'est pas une forteresse. L'identité n'est pas un rempart, l'identité ne peut se construire sur la peur de l'Autre et ça explique, en partie, pourquoi ce texte nous parle à tous encore aujourd'hui. Modifié le 19 février 2012 par Absalom Citer Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites More sharing options...
Lord Paladin Posté(e) le 20 février 2012 Partager Posté(e) le 20 février 2012 Merci frere pour cette nouvelle chronique tout aussi rpecieuse que les precedentes. Seul point sur lequel je ne te suis pas c'est que je ne lis pas de reproche dans ces trois vers que tu incrimines tant : [quote]ceux qui n'ont inventé ni la poudre ni la boussole ceux qui n'ont jamais su dompter la vapeur ni l'électricité ceux qui n'ont exploré ni les mers ni le ciel[/quote] C'est a mon sens un discours simple et tranquille. Oui nous n'avons pas cherche a faire cela, a comprendre ceci, etc. Ce n'est pas une critique, il y a effectivement une reprise du discours colonialiste mais il ne s'agit pas de dire : "nous n'aurions jamais pu le faire car nous sommes des incapables", seulement que nous ne l'avons aps fait car ce n'est pas le but de ntore vie, nous avons choisie une vie proche de la terre, une vie plus vivante et en resonnance avec notre pays. Voila, ce n'est aps une critique de ton point de vue suelement un apport personnel, je ne lis aucune colere, aucune critique, aucun reproche dans ces trois vers juste un constat tranquille et amuse, peut etre un "ceux qui sont reste des hommes" en arriere plan. Pal' Citer Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites More sharing options...
Invité Absalom Posté(e) le 20 février 2012 Partager Posté(e) le 20 février 2012 (modifié) Merci Lord pour ton com'. J'aime beaucoup ta lecture chamanique du poème et je pense qu'elle fonctionne très bien. Les conquêtes des blancs sont effectivement à "questionner" : électricité, boussole, poudre... C'est pas pour rien que Césaire n'évoque pas la pénicelline ou les lumières. Ce sont des conquêtes matérielles, techniques mais il y a des aventures autres (sur le plan spirituel, humain,philosophique etc...). J'y avais pensé un peu et c'est entre les lignes de mon com' quand même. Si si (dans mon "Quel surplus d'humanité y avez-vous gagné ?") D'ailleurs c'est très explicite chez Césaire. Regarde : [center]"Eia pour le Kaïlcédrat royal ! Eia pour ceux qui n'ont jamais rien [b]inventé[/b] pour ceux qui n'ont jamais rien [b]exploré[/b] pour ceux qui n'ont jamais rien [b]dompté[/b]" [/center] Il fait rimer inventé/exploré/dompté. C'est génial. Tout est dit. C'est bien un chaman qui parle et qui chante qu'il y a aussi une réconciliation avec le monde. L'homme blanc s'en serait éloigné par son désir de conquête (c'est tout le sens des deux derniers paragrahes qui opposent le cercle d'un monde réconciliée avec la fatigue du monde blanc). Dingue que j'ai pas vu ça. N'empêche le recueil évoque aussi Toussaint Louverture ou des empires africains qui se sont sûrement construits sur quelques faits d'armes (je n'ai plus la référence précise). Donc Césaire n'enferme pas l'homme noir dans un idéal passif et nonchalant. Bref c'est un texte dense auquel nous pouvons tous nourrir notre reflexion et tout. Reste que je trouve que Césaire emploie une rhétorique de combat. Certains vers sont vraiment assénés tels des coups (l'usage de l'anaphore sans doute mais j'radote. Faudrait tester à la lecture à voix haute). A+ Modifié le 20 février 2012 par Absalom Citer Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites More sharing options...
Messages recommandés
Rejoindre la conversation
Vous pouvez publier maintenant et vous inscrire plus tard. Si vous avez un compte, connectez-vous maintenant pour publier avec votre compte.
Remarque : votre message nécessitera l’approbation d’un modérateur avant de pouvoir être visible.