Lord Paladin Posté(e) le 25 février 2012 Partager Posté(e) le 25 février 2012 Encore une fois, je me suis servi de la merveilleuse fonction "Un poeme au hasard" pour preparer cette chronique du samedi puisque apres tout, il n'y a pas que vous qui avez le droit de decouvrir des poemes. [size=3]L'auteur[/size] Un petit tour sur Wikipedia nous apprends tout ce dont nous aurons besoin de de savoir. Jean Moréas (1856-1910) est un poète grec de langue française qui après des études de droits se consacre à la poésie dans un style proche du mouvement décadent et donc de Verlaine, mais lui même s'oppose à une telle étiquette et se désigne comme symboliste. Mouvement dont il lance plus ou moins la vogue et qui se caractérise par une tendance au mysticisme, une profusion de métaphores et d'allégories et des références constantes aux mythes nordiques, l'idée étant toujours de donner une forme sensible aux idées et aux concepts. De cette époque on peux citer des recueils tels que [u]Les Syrtes[/u] en 1884 et [u]Cantilènes[/u] en 1886. Mais en 92, Moréas abandonne son propre enfant et revient dans un style plus classique en fondant l'école romane qui cherche dans un langage plus clair et plus lumineux à redonner ses lettres de noblesses au monde gréco-latin, ce sera l'époque des [u]Stances[/u] (1899) qui consacreront leur auteur. [size=3]Le poème[/size] L'oeuvre dont nous parlerons aujourd'hui est tiré des Cantilènes (1886), son titre est assurément une référence a l'oeuvre de Poe [u]Le corbeau[/u] (1845). [center] [size=3]Nevermore[/size] Le gaz pleure dans la brume, Le gaz pleure, tel un oeil. - Ah ! prenons, prenons le deuil De tout cela que nous eûmes. L'averse bat le bitume, Telle la lame l'écueil. - Et l'on lève le cercueil De tout cela que nous fûmes. Ô n'allons pas, pauvre soeur, Comme un enfant qui s'entête, Dans l'horreur de la tempête Rêver encor de douceur, De douceur et de guirlandes, - L'hiver fauche sur les landes. [/center] [center][img] http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/9/9a/Raven_Manet_D2.jpg/316px-Raven_Manet_D2.jpg [/img][/center] Comme toujours, nous suivrons tout d'abord une analyse un peu froide du poème destiné avant tout à mettre en avant son squelette technique et à trouver une quelconque utilité à nos (désormais vieux) cours de français. Nous avons donc affaire à un sonnet en heptasyllabes (vers très utilisé au moyen-âge nous apprends Wikipedia) particulièrement bref et jouant de quelques répétitions pour accélérer encore son rythme ("le gaz pleure", "prenons", "de douceur"). Le texte est entièrement joué sur un ton sombre et un champ lexical funèbre, sombre et maritime ou perce cependant un seul rayon de soleil dans le ciel d'orage, la dernière strophe ouvrant en effet un coin de ciel bleu aussitôt refermé. Les rimes pour la plupart suffisante voir pauvre (hormis la dernière qui est riche) prennent toutes des sonorités lourdes et froides qui accroissent autant le sentiment de pesanteur qui imprègne le poème. Penchons nous désormais sur le fond de ce bien triste poème. La première strophe pose le décor. On y vois une ruelle sombre ou brûle encore l'éclairage au gaz (vraiment implanté en France depuis une trentaine d'année à peine et vingt de plus pour Paris) dont les vapeurs encrasse la ville de longue traînée noire. Mais même cette invention relativement nouvelle ne peut lutter contre la brume qui envahit le paysage et mue le monde entier en un cimetière immense et gothique. La seconde strophe introduit la mer et cette métaphore maritime lourde de sens. La mer est elle venue jusqu'à Pairs pour prendre les âmes des pécheurs ? Le passé entier semble disparaître et vaciller au bord de la falaise. Il faut prendre le deuil de toutes choses, l’extérieur devient pareil à un océan déchaîné où rode la mort, ou plus précisément ses signes. Et puis, il y a cette fille, pauvre enfant mais peut être seul richesse de le narrateur qui semble vouloir braver les éléments. Et que le narrateur veut au contraire protéger et conserver dans un paysage de fête intérieure. Futile protection devant la camarde qui viendra récupérer son dû dans le dernier vers du poème : "L'hiver fauche sur les landes", dont le verbe ne laisse que trop transparaître son sujet réel. Faut-il voir dans se sinistre dénouement une allusion aux nombreux amours déçus de Poe lui même sous le signe duquel est placé le poème. Sans doute car c'est toujours l'hiver et ses maladies qui lui raviront successivement sa mère, sa soeur et sa compagne. Pour ma part, ce poème m'évoque avant tout une ville écrasée sous le poids de sa propre crasse (le gaz) et balayée par la tempête comme si seul les éléments pouvaient apporter la rédemption à cet course effrénée vers un progrès mal compris. Et puis bien sûr, cet enfermement dans un passé en déroute pour échapper à l'horreur du présent ! Ambiance steampunk donc, et propre aux songeries hallucinées et aux savants fous qui hantent les nouvelles de Poe. Pal' Citer Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites More sharing options...
Invité Absalom Posté(e) le 25 février 2012 Partager Posté(e) le 25 février 2012 (modifié) S'lut ! Merci pour la découverte ! Le choix d'un poème au hasard est audacieux et amusant. Bravo ! Dans le genre splenetic, j'ai vu plus enthousiasmant même si il y a quelques vers vraiment bien troussés: [center]"Telle la lame l'écueil." "- L'hiver fauche sur les landes." [/center] Ca sonne, y a pas à chipoter. En fait, ce texte me perturbe...je ne sais pas par quel bout il faut le prendre. Je crois pas du tout à sa sincérité...je crois même qu'il pose pas mal avec tout son attirail météorologique pour décrire son vague à l'âme mais je suis pas non plus embarqué dans un exercice de style vertigineux, à double lecture et tout le tintouin. Donc je sèche (malgré le registre aquatique dans lequel le poème barbote un peu). Et puis ça tente quelques ouvertures mais ça retombe aussitôt dans une mélancolie un peu gluante : "[b]Ah ! prenons, prenons[/b] le deuil. " "[b]- Et l'on lève[/b] le cercueil" Le vers semble se contrarier lui-même. Ca me trouble ces envolées avortées. Faut peut-être y voir des clins d'oeil amusés au lecteur alors que la tonalité du texte est pas vraiment à la gaudriole. La soeur des derniers vers est tellement pas incarnée ( "n'allons pas[...] rêver encore" )... que je pense que c'est son âme (et on reste dans le trip poe-sque de la névrose...la personnalité brisée et morbide). A+ Modifié le 25 février 2012 par Absalom Citer Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites More sharing options...
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