Aller au contenu

Le Duché des Damnés


Minos09

Messages recommandés

Salut à tous,

Je rassemble ici le fluff que j'ai pondu pour le Choix des Armes [url="http://www.warhammer-forum.com/index.php?showtopic=165264"]"Le Duché des Damnés"[/url]. Il faut garder en mémoire qu'il avait pour but de narrer les interactions entre les différents participants, et peut donc sembler un peu décousu à certains niveaux. Mais trêve de bavardages...




[center][color="#8B0000"][size="4"][b]Le Duché des Damnés ou les sanguinaires péripéties de l'effroyable Kheyl Mourkhlar, capitaine du Rasoir Sanglant[/b][/size][/color][/center]


[i]
[color="#8B0000"][b][center]- Prologue -[/center][/b][/color]

Les yeux sombres du capitaine semblaient effleurer de leur malice le verre de cristal posé sur la table de bois noir. Comme souvent, on ne savait s’il rêvait éveillé ou si son esprit enfiévré échafaudait les plans les plus retors. Dans la pénombre de ses quartiers réservés, où se côtoyaient sans harmonie meubles de mauvaise facture et pièces d’orfèvrerie ouvragées, fruits d’années de pillages, des fantômes semblaient courir sur les murs au gré du roulis qui faisait tournoyer le lustre baroque fixé au plafond. D’autres n’auraient pas supporté bien longtemps ce chaos silencieux et malsain. Pour Kheyl Mourkhlar, nobliau désargenté de Karond Kar et capitaine du Rasoir Sanglant, ce n’était qu’un reflet de son esprit.
Kheyl tapota lentement son front de ses doigts pâles. Il s’arrêta pour contempler une goutte de sueur, alors qu’un esclave tremblant remplissait de nouveau son verre d’un vin épais et cramoisi. Sans attendre, le capitaine vida son breuvage avant de laisser retomber, comme s’il était soudain privé de force, le gobelet sur l’épaisse moquette couvrant le sol de la cabine.
Il se prit soudain à songer à toutes ces années de pillage. Aux années passées loin de Naggaroth…
C’est la misère qui l’avait poussé à devenir corsaire. Ses parents avaient échoué à faire fortune malgré leurs titres de noblesse et, en ce qui concernait Kheyl, ils avaient bien fait de mourir relativement jeunes. Ou bien y avait-il contribué ? Il ne se souvenait plus trop, le vin sans doute… En tout état de cause, son rang et sa maigre fortune ne lui promettait qu’un petit commandement de garnison, peut-être même dans une province reculée. Seulement, servir dans l’armée du Roi-Sorcier n’avait jamais été son objectif. Il avait alors fait le seul choix possible pour un Druchii dans sa position : il avait requis un édit du drachau de Karond Kar et investi toute sa fortune dans une poignée de navires corsaires.
L’apprentissage avait été rude, mais il avait rapidement pris goût à la piraterie. Très vite, les esclaves et autres marchandises avaient afflué, satisfaisant le drachau et lui ouvrant la possibilité d’un retour à la vie civile.
Mais il était devenu corsaire, corps et âme, et comme beaucoup de Druchii, il ne pouvait plus concevoir de retourner vivre sur la terre ferme.
C’était déjà il y a plusieurs années. Aujourd’hui – était-ce le retour de balancier ? – le drachau souhaitait sa mort et la flotte du capitaine Mourkhlar se résumait à son unique vaisseau de commandement. Les bonnes prises se faisaient rares ; quant à son équipage, il était réduit à ses plus fidèles compagnons survivants. Si la fidélité pouvait faire partie des valeurs druchii…

« Qu’en penses-tu ? » demanda brutalement Kheyl en braquant le puits sans fond de ses yeux sur son second.
Kython – le « Serpent », ainsi qu’on le surnommait – racla le fond de sa gorge et prit soin d’éviter le regard de son capitaine.
« Mon seigneur, ses dires m’apparaissent sensés. Pour autant qu’elle ait conservé une parcelle de raison après que les hommes se soient amusés avec elle… Disons : ses révélations corroborent ce que nous avons pu entendre de la bouche d’autres esclaves pris dans ce village, près de Lyonnesse… ».
Kheyl grimaça, ce que le Serpent perçut immédiatement sans le voir. Il se rappela que c’était à l’issue de ce raid, alors qu’ils fêtaient leur victoire en pleine mer, qu’un galion bretonnien avait coulé leur avant-dernier navire. Le Rasoir Sanglant avait pu infliger de sérieux dommages à son adversaire et échapper aux représailles en s’enfuyant, mais le moral des Druchii en avait pris un coup de plus.
Et il fallait quelque chose pour que les hommes retrouvent leur confiance. Et que leur capitaine puisse à nouveau arpenter le pont de son navire sans craindre de recevoir un carreau d’arbalète dans la nuque.
Un objectif de taille. De quoi reconstituer la flotte, permettre aux survivants de prendre du galon. De l’or et des esclaves. Ou un territoire.
« Fais en sorte qu’elle reste en vie » lâcha Kheyl entre ses dents. « Elle peut nous être particulièrement utile quand nous entrerons dans cette cité des damnés ».
« Dois-je donner l’ordre aux hommes de se préparer, mon seigneur ? » demanda Kython, avec une lueur de plaisir et d’avidité dans le regard.
Le capitaine se cala sans grâce contre le dossier de son fauteuil et braqua un regard noir sur le sorcier. Je trouve que tu prends un peu trop de place, songea-t-il. Un de ces jours, quand j’aurais moins besoin de toi, j’aurais plaisir à voir ta tête rouler sur le sol…
« Non, Kython. Prie tes dieux répugnants et prépare tes sortilèges. Je me charge de l’équipage. Leur paresse n’a que trop duré ».

Le vin alourdissait ses pas. Kheyl Mourkhlar ajusta sa cape en peau de dragon des mers autour de son cou au moment de sortir du couloir menant au pont. Le vent froid et salé frappa son visage blême, chassant instantanément toute velléité de son cerveau et emplissant son esprit d’une haine froide et pure. Sans un regard pour ses corsaires, dont il percevait l’animosité, il prit la direction de la poupe d’où il pouvait dominer le navire. Une vigueur nouvelle courait dans tous ses membres.
« Druchii ! » hurla-t-il. « Druchii ! Corsaires ! A moi ! ». Comme un seul homme, tout l’équipage se figea. Kheyl sentit un centaine de paires d’yeux le scruter. Et il savoura cet instant.
« Nous avons le droit de prendre ce que nous voulons. Nous sommes des Druchii ! Et nous avons gagné le droit de prendre plus que ce dont nous avons besoin : nous sommes des Corsaires ! ». Un murmure, d’abord, sourd, finit par éclater comme un tonnerre alors que les hommes manifestaient leur haine comme on dégaine un poignard. « Il y a quelques jours, nous avons recueilli des humains dérivant au large sur une épave. Vous avez pu vous divertir quelque peu, mais l’un de ces humains nous a révélé des choses… intéressantes. Une princesse, selon ses dires, que nous avons bien entendu traitée selon son rang … ». Quelques rires fusèrent dans l’assemblée, ce qui amena un sourire sur les lèvres pâles de Kheyl. « Et qu’avons-nous appris ? Ces pauvres Bretonniens ont laissé la gale ronger leur pays de vachers. La ville qu’ils appellent Moussillon n’est plus qu’une carcasse puante livrée à l’anarchie. Même le tavernier qu’ils appellent « roi » montre son incapacité et préfère livrer ce territoire à n’importe quel étranger qui saura rétablir l’ordre. ». Le capitaine marqua une pause.
« Druchii ! Nous allons fondre sur cette carcasse comme des vautours, nous repaître de sa chair riche et pourrie, et nous ferons de ses ossements notre donjon ! Préparez vos armes, préparez-vous au combat, préparez-vous à la victoire ! ». Les acclamations unanimes de l’équipage firent trembler le pont du navire. En écho, des cris stridents et bestiaux retentirent sur les hautes voilures : les fantômes des Furies mortes au combat, les Harpies, avaient hâte de se joindre à la curée.
Déjà, les hommes couraient à leur poste, toute leur fierté et leur désir de pillage retrouvés. Kheyl croisa le regard de Kython. Ce n’est pas ce soir que tu boiras mon vin dans mon crâne, songea-t-il avec malice…


[color="#8B0000"][b][center]Chapitre Premier : Du sang sur les docks
Où l'on découvre les premières horreurs de la ville-charnier[/center][/b][/color]


La Sombre Mère avait veillé sur ses enfants. La nuit aidant, le Rasoir Sanglant avait filé droit vers Moussillon sans rencontrer d’obstacles. Certes, la Bretonnie entretenait un cordon sanitaire autour de la cité maudite, mais son pendant maritime pouvait facilement être déjoué par d’audacieux et discrets navires.
Il arrivait que la lourde flotte bretonnienne parvienne à engager des pirates tiléens venus chercher fortune ou encore des équipages morts-vivants, anormalement nombreux dans cette zone, mais les Elfes étaient les véritables maîtres des mers.

Cependant, Kheyl n’était pas dupe : il attribuait ce relâchement discret de la surveillance aux directives royales concernant Moussillon. Qu’importe, songea-t-il, que la gueule du loup soit ouverte de son plein gré ; c’est maintenant que commence la partie. J’y joue mes dernières cartes et probablement ma tête.

Il trempa ses lèvres pâles dans une coupe de vin épais et grimaça. Ses dernières réserves de vin, ce qui ajoutait à l’intolérable de sa situation. Il aurait bien calmé ses nerfs en torturant un esclave, mais déjà la Cité apparaissait au loin dans la brume, baignée par intermittence dans les rayons d’un dernier quartier de lune. Le Rasoir Sanglant slalomait entre les nappes de brouillard afin de ne pas attirer l’attention, sa coque sombre se fondant dans les flots noirs.
Kheyl Mourkhlar rajusta sa lourde cape autour de son cou et se saisit d’une longue-vue.
Impossible…, se dit-il. Aucun navire n’opérait le blocus du port qui semblait aussi désert qu’une tombe de vampire.
Tous ses sens elfiques criaient au piège. Il scruta les docks où quelques navires abandonnés tanguaient doucement comme dans un cauchemar. Comme il l’avait prévu, le chenal nord menant à la cité étaient parsemés de roseaux et de bancs de sables. Aucun navire de haute mer ne prendrait le risque d’y pénétrer. A quelques encablures, le chenal sud ne semblait pas plus praticable : un véritable marécage, comme si une partie de la ville s’était enfoncée sous les eaux. D’ailleurs, quelques vestiges squelettiques de bâtiments perçaient ça et là.

Kheyl jeta un regard mauvais à son timonier, Urith. Il pesa rapidement le pour et le contre. Une bouffé d’orgueil lui fit battre les tempes. Après tout, pourquoi ne pas rentrer en maître dans cette ville ? Si piège il y avait – et il n’en doutait pas – autant s’y jeter avec panache.
« Cap sur le chenal nord » annonça-t-il sans se retourner. Il savait qu’Urith le Navigateur, chef de ses Corsaires, était resté aussi impassible qu’une statue de Khaine au milieu des feux et des torrents de sang. C’est ce sang-froid absolu et sa maîtrise de la mer, doublés d’une rage étonnante dans les combats, qui lui avaient valu son poste de timonier du navire. Encore un homme dont il n’aurait malheureusement pas pu disposer à sa guise…

Il descendit de la poupe, tel le vent d’hiver, et se dirigea droit vers Davyak. « Mon seigneur », fit ce dernier en le saluant avec respect. « Prépare tes hommes, Uraithen, vous serez les premiers à débarquer ». Davyak sourit à ce surnom, qui signifiait « arbalète à répétition », et plus littéralement « pluie de mort » : « Ce sera un honneur, mon seigneur ».

De tous ses hommes, le capitaine n’avait confiance qu’en Davyak, le Maître du Guet. A bien y réfléchir, c’était sans doute parce qu’il ne semblait pas partager le caractère paranoïaque et avide propre aux Druchii.
Peut-être était-ce dû à son ascendance : le grand-père de Davyak avait déserté Lothern pour rejoindre la cause du Roi-Sorcier, qu’il reconnaissait pleinement comme le souverain légitime de tous les Elfes. Son père avait même atteint un rang enviable dans la Garde Noire de Malékith. Si ses autres frères se battaient dans les armées de Naggaroth, Davyak avait préféré tenter sa chance comme corsaire. Il avait équipé et formé ses hommes et mis son talent d’arbalétrier au service de Kheyl Mourkhlar dès le début de son équipée. D’abord sur la défensive vu le ralliement tardif de sa famille à Naggaroth, Kheyl avait fini par charger Davyak de sa propre sécurité. Il avait eu à plusieurs reprises la confirmation qu’il ne s’était pas trompé, le Maître du Guet lui ayant déjà sauvé la face et la vie à plusieurs reprises…

Les voiles avaient été repliées et les esclaves mis à contribution à leurs rames dans les cales. Le Rasoir Sanglant entra dans les docks en fendant l’eau sablonneuse. Urith restait impassible, les yeux braqués sur le chenal, et veillait à éviter les bancs de sédiments.
Des deux côtés, comme les mâchoires d’une gueule malade, la ville bretonnienne semblait attendre pour se refermer sur le navire léger des Elfes Noirs. Des bâtiments de pierre grise, délabrés et rongés par la moisissure, défilaient de chaque côté. L’œil aiguisé des Druchii percevait des mouvements dans les ombres, mais ne parvenait pas à déterminer s’ils étaient réels. Cà et là, des lueurs de braseros fantomatiques se mêlaient aux flaques de lune intermittentes. Les battements de cœur des Druchii semblaient s’être accordés aux coups de rames. Au bout des docks, un pont de pierre effondré empêchait de poursuivre plus au cœur de la cité. Kheyl fit un signe au timonier. Alors que les rames étaient relevées, le Rasoir Sanglant pénétrait dans un emplacement de bois vermoulu, au sud du chenal, et s’immobilisait. Aussitôt, deux hommes abattirent une échelle mobile, et en un éclair, l’unité d’arbalétriers de Davyak se plaça en position défensive sur le ponton.

[center]*[/center]

Pendant quelques instants, qui semblèrent durer des siècles, les arbalétriers restèrent immobiles, scrutant de leurs yeux aiguisés les ombres mouvantes enveloppant le ponton. Aucun son ne filtrait, comme si les ténèbres avaient bu jusqu’au moindre bruit ; on n’entendait même plus le clapotis de l’eau contre la coque du navire.
Puis brutalement, comme on se réveille d’un cauchemar, la vie revint. « Sorcellerie… » grommella Kheyl en rejoignant ses guerriers.

Davyak fit signe à ses tireurs de rejoindre une éminence rocheuse à quelques centaines de mètres. Il s’agissait vraisemblablement des ruines d’un très vieux bâtiment, aux airs de tumulus effondré. Un lieu parfait pour se retrancher et établir une tête de pont terrestre, nota le capitaine, entouré d’un no man’s land bien utile. Le reste des forces prendraient position dans un second temps.
Quant au navire, Kheyl Mourkhlar avait déjà donné ses instructions pour qu’il s’éloigne en cas de danger immédiat, mais il doutait de la probabilité d’en arriver à cette extrémité. Les Druchii profiteraient de ces deux relais comme bases pour explorer la cité maudite.

En quelques minutes, et dans un silence auquel seuls les Elfes pouvaient prétendre, les arbalétriers parvinrent au pas de course à leur objectif. Du ponton, Kheyl fit signe aux servants attitrés de l’Ecorcheuse. Les hommes commencèrent à débarquer la vénérable machine de guerre, au bois sombre patiné par les éléments. C’est alors que débutèrent les hostilités.

Un cri retentit de la position des arbalétriers. Aussitôt, Kheyl dégaina sa lame et se précipita vers ses hommes. Il entendit Davyak hurler un ordre. Instantanément, les tireurs se positionnèrent sur deux rangs et le claquement caractéristique des arbalètes retentit. Des grognements sourds parvinrent comme un écho. Kheyl n’arrivait pas à voir qui étaient les assaillants. Mais les Elfes Noirs semblaient gérer la situation avec méthode.
Il n’était plus qu’à quelques mètres de l’éminence rocheuse quand des beuglements à sa droite le stoppèrent dans son élan. Il eut juste le temps de pivoter pour accueillir un adversaire d’un revers de son épée. Un éclat de lune lui révéla la présence de plusieurs créatures décharnées, aux orbites creuses luisant d’un feu malsain. A moitié courbées, griffant le sol de leurs ongles démesurés, elles brûlaient visiblement de faire un bon repas.
Kheyl esquissa un sourire pervers et se fendit, perforant le crâne de la créature la plus proche, qui s’effondra comme une poupée de chiffon. Deux autres monstres bondirent dans sa direction alors qu’il extirpait sa lame. Les créatures paraissaient avoir un semblant d’intelligence animale, chassant de façon coordonnée. Mais déjà, la joie de la bataille grondait dans le sang de Kheyl Mourkhlar. Il trancha la première goule de l’épaule à l’aine avant d’abattre son épée sur les jambes de la seconde dans un mouvement circulaire. La créature siffla de rage et de douleur et rampant sur ses bras. Kheyl lui écrasa la tête de sa lourde botte. Alors qu’il se remettait en garde pour affronter la dernière goule, il eut soudain un étrange pressentiment. Une fraction de seconde. Sur leur position, les arbalétriers semblaient en avoir terminé : ils visaient dans sa direction. Une trahison ?
« Mon seigneur !!! » hurla Davyak. Un coup brutal le heurta dans le dos et il chuta vers l’avant. Heureusement, son épaisse cape l’avait protégé de tout dommage. Il releva la tête juste pour voir une parodie de visage humain à la peau grisâtre et émaciée agiter des griffes jaunies à quelques centimètres de son œil. Dans un juron, sa lame partit d’estoc et transperça la gueule de la créature qui glapit, son agonie prenant fin aussitôt dans un gargouillis ignoble. Le capitaine se releva, tourna la tête et se raidit aussitôt. Pas parce que la goule qui l’avait envoyé à terre s’apprêtait à se jeter sur lui. Pas parce qu’il y en avait une dizaine d’autres qui l’avaient pris à revers. Mais parce l’Ecorcheuse avait été mise en position sur le ponton. Et que Kheyl doutait qu’elle choisisse ses victimes. Dans un réflexe salvateur, il effectua un saut périlleux arrière et s’accrocha sur l’éminence rocheuse. Assurant sa prise, il jeta un regard en contrebas. Une grêle de mort s’abattit instantanément sur les créatures démoniaques, qui furent littéralement déchiquetées par les carreaux de baliste.

Kheyl sentit une main sur son épaule. Il allait frapper quant une voix retint son geste : « Mon seigneur, heureux de vous voir sain et sauf… ».
« Merci, Davyak » grimaça Kheyl en gravissant les derniers mètres. Il jeta un coup d’œil en direction de la baliste. Derrière, non loin, il ne put que noter la silhouette de Kython. « Je vais me régaler à t’écharper pendant des jours, sorcier… » songea Kheyl.

Mais son regard fut alors attiré par une forme massive qui se découpait au loin dans le chenal, dans les rayons malsains de lune. Un autre navire druchii. Dont il ne reconnaissait que trop l’héraldique. Le capitaine Mourkhlar ne put alors s’empêcher de rire à gorge déployée, comme un défi à la mort.
« Décidément, les voies de la Sombre Mère sont bien tortueuses ! Bienvenue à toi, ma très chère Caradryele… Il semblerait donc que plusieurs vies soient vouées à s’achever dans cette cité-charnier… »

[center]*[/center]

Les Druchii avaient monté un camp de fortune en moins de deux heures. L’aube allait bientôt poindre, mais aux yeux de tous les corsaires, il semblait que la Ville des Damnés était condamnée à rester perpétuellement dans une semi-obscurité nauséeuse. Non que cela gênât de quelque manière des Elfes Noirs accoutumés au manque de luminosité des sombres cités de Naggaroth, mais la vie en mer avait fini par leur donner de nouveaux repères.

Assis sur un tabouret à trois pieds, Kheyl méditait sur la suite des opérations. Les troupes qu’il avait souhaité détacher du navire constitueraient l’avant-garde druchii dans la cité. Il pouvait tabler sur près de cinquante hommes entraînés, soit à peu près la moitié de l’équipage du Rasoir Sanglant. En cas de pertes trop importantes, il pourrait effectuer des rotations avec les troupes fraîches du navire. De sa position en surplomb, il pouvait voir que le vaisseau corsaire était aux aguets, prêt à prendre le large ou à violemment répondre à toute agression.

Il savait qu’un peu plus au nord, hors de portée des balistes du navire, le navire portant les couleurs de Caradryele avait également accosté. Kheyl frotta son menton, les yeux dans le vague. « Qu’est-ce que cette harpie vient faire dans ce coin perdu ? » se demanda-t-il avec nervosité. Paradoxalement, il était satisfait de sa présence, comme si la dernière pièce d’un mécanisme complexe venait de trouver sa place et qu’un destin inexorable pouvait désormais se mettre en branle. Il avait également goûté avec délice la panique qui s’était emparé de son second à la mention des sorcières du Couvent. Kheyl avait failli céder à la facilité et désosser vivant Kython, mais il avait préféré ignorer sa misérable tentative d’assassinat et lui apparaître comme le seul rempart contre la favorite de Morathi. Car l’édit du Roi-Sorcier interdisant la pratique masculine de la sorcellerie était toujours d’actualité. Et les Sorcières du Couvent mettaient un point d’honneur à faire respecter ce qui constituait leur chasse gardée…

Un autre point ne lassait pas de l’intriguer : deux autres vaisseaux avaient pénétré dans les docks dans les heures qui avaient suivi l’attaque des goules. Ils avaient eux aussi respecté une certaine distance et un pacte tacite de non-agression. L’un d’eux était clairement un navire druchii, mais pas du type corsaire. Kheyl trouvait définitivement étonnant l’intérêt suscité par cette ville maudite. « Nous autres, Druchii, sommes véritablement des requins atttirés par l’odeur du sang », songea-t-il en réprimant un rictus. L’autre navire avait une facture plus grossière, comme celle typique des hommes du Nord. Mais il semblait en émaner une lueur étrange et dérangeante. Les poils de la nuque de Kheyl se hérissèrent. « Ce bateau pue la sorcellerie… Ce qui m’arrange, vu que les petites sœurs de Morathi ne vont pas pouvoir l’ignorer… ».
Il savait qu’aucun capitaine sensé ne prendrait le risque de déclencher un conflit ouvert dans l’enceinte même des docks. Tout se jouerait dans les ruelles brumeuses de Moussillon.

[center]*[/center]

Alors qu’un soleil grisâtre se hissait péniblement derrière les bâtiments lépreux de la cité, Kheyl se dirigeait vers sa tente. Il ignora les deux corsaires en faction devant l’entrée, et souleva le lourd pan de tissu qui en fermait l’accès. Dans un angle, à l’entrée, un petit brasero crachotait des fumerolles à l’odeur suave. Le capitaine dégrafa sa cape et s’affala sur un divan, les jambes étalées sur un large coffre en chêne noir. Il posa son regard sur la cage placée au fond de la tente. Au bout de quelques instants, une voix plaintive résonna faiblement : « Pitié… ». Kheyl s’accouda plus confortablement et sourit. « Toujours vivante, à ce que je vois ? » ironisa-t-il dans un langage commun presque parfait. Sa très longue pratique de l’esclavage humain l’avait initié à cette langue de rustres, et sa paranoïa naturelle l’avait conduit à se perfectionner afin d’en saisir toutes les nuances… « Tes gémissements et tes supplications sont toujours un délice à mes oreilles, sais-tu ? Et je crois que je vais continuer à prendre beaucoup de plaisir avec toi, pendant des jours et des jours. »
A cet instant, un rayon de soleil réussit à s’échapper de la chape de nuages pour caresser la tente, faisant augmenter la luminosité à l’intérieur. Debout dans la cage étroite, les jambes à moitié brisées par l’impossibilité de s’asseoir, une jeune femme au regard soudain dur et plein de haine cracha de mépris. Vêtue d’une ample robe blanche, souillée de sang et d’autres fluides corporels, elle agrippait les barreaux de ses longues mains aux ongles arrachés. Kheyl avait ordonné qu’elle conservât ses bijoux et attributs de son rang dans la noblesse bretonnienne, ce qui contrastait volontairement et de manière absurde avec sa déchéance actuelle. Partout son corps portait les traces des tortures qu’elle avait endurée sous les scalpels et les rasoirs des marins druchii. Elle avait dû souffrir au-delà de ce qu’il était possible à une humaine d’endurer, et son calvaire se poursuivait sans fin, jouet entre les griffes de psychopathes.
Kheyl était réellement impressionné. Il ne voyait les humains que comme du bétail, et cette « damoiselle », ainsi qu’elle se définissait, avait pleuré et hurlé comme n’importe quel autre bétail… Sauf qu’elle ne semblait jamais réellement brisée. Ses cris étaient jouissifs, mais elle ne donnait que ce qu’on attendait d’elle, comme une fille de joie sans chaleur. Le Druchii aurait voulu plus, bien plus. La briser définitivement et sans retour. Qu’il puisse s’approprier sa douleur, sa terreur, qu’il puisse se rassasier de son âme exsangue.
Le capitaine passa sa langue sur ses lèvres et se releva. Il perçut le tressaillement de sa prisonnière, et s’en délecta. « Décidément, tu es pleine de surprises » lâcha-t-il d’un ton mielleux en s’approchant d’elle. Elle soutint son regard de ses grands yeux verts, comme si son corps ravagé n’était plus mu que par sa seule volonté. Kheyl lécha son doigt et essuya une coulée de sang séché sur le visage de sa captive. « Dommage que je n’ai pas le temps de m’occuper de toi… Mais j’ai d’abord une cité à prendre. » Kheyl fit demi-tour et récupéra nonchalamment sa cape. « Ne m’oublie pas… » fit-il avec malice.
Aucune réponse ne lui parvint, mais il savait que non, jamais elle ne l’oublierait. A cette pensée, il frissonna de plaisir.

[center]*[/center]

Les Druchii progressaient sans difficulté dans les ruelles crasseuses. Deux petits groupes d’arbalétriers ouvraient la voie, surveillant les ouvertures qui se succédaient de part et d’autres à intervalle irrégulier, donnant l’impression de s’enfoncer dans un labyrinthe en décrépitude. L’air était particulièrement nauséabond, mélange d’effluves douceâtres de chairs en décomposition et de celles, plus piquantes, d’ordures et de déjections. L’odorat délicat des Elfes était mis à rude épreuve.
Au centre du dispositif suivait une masse compacte de guerriers. Au vu de la configuration des lieux, Kheyl avait ordonné que les lances restent au campement. Les combattants portaient donc leur bouclier à gauche, la main droite posée sur la garde de leur épée barbelée. Quelques corsaires formaient l’arrière-garde, prêts à réagir à toute attaque ou traquenard.

Le capitaine avait étudié la topographie générale de la cité d’après un plan arraché à sa captive et sur lequel différents quartiers étaient grossièrement figurés. Les Elfes Noirs se trouvaient dans le quartier de la Chapelle.
Kheyl souhaitait explorer cette zone avant de progresser vers le quartier du Pont. Là, il envisageait de prendre le contrôle des deux seuls axes qui apparaissaient encore praticables entre ville haute et ville basse.
Cependant, pour l’heure, c’était la perspective de récupérer quelque richesse qui primait. Les Druchii n’avaient pas fait de prise intéressante depuis des semaines, et leur capitaine avait besoin de donner des gages à son équipage.

Cà et là, quelques parodies d’être humains fuyaient l’avance des Elfes Noirs. D’autres se barricadaient derrière des portes de bois vermoulues sur lesquelles on pouvait voir les marques de griffes laissées par des créatures nocturnes plus répugnantes encore. Des cris sourds de panique résonnaient parfois dans une ruelle invisible, ou dans les masures délabrées à l’apparence de tanières.
Les soldats butaient régulièrement sur des ossements boueux, occasionnellement garnis de morceaux de chair pourrie. Rien en somme qui ne perturbât des Druchii accoutumés à la dureté de la vie dans les cités naggarothi. Marchant aux côtés de Kheyl, Urith le Navigateur, tout particulièrement, semblait goûter cette marche sinistre comme une agréable promenade. Il est vrai qu’il était originaire de Har Ganeth, la Cité des Exécuteurs, perpétuellement baignée dans le sang et les feux des sacrifices…
De temps en temps, un des hommes de tête se divertissait en visant un malheureux qui fuyait. Au claquement sec de l’arbalète à répétition répondait le bruit sourd de poumons qui se vident brutalement, et celui d’une chute sur la terre meuble. Les arbalétriers se félicitaient alors mutuellement de leurs tirs. Kheyl les laissait se détendre, sachant qu’il pouvait compter sur leur réactivité en cas d’embuscade, et qu’il avait plus à craindre une mutinerie qu’une réaction de cette populace crasseuse.
Ce qui n’était sans doute qu’à moitié vrai.

La rue venait de déboucher à angle droit sur une grande place encombrée d’étals vides et de détritus. Au centre de cette place, une chapelle de pierre grise semblait sur le point de s’effondrer. Les arbalétriers firent halte, attendant que Kheyl se fraye un chemin vers eux.
La grande place semblait à peine plus vivante que les ruelles qu’ils avaient parcourues depuis les docks. Quelques silhouettes bougèrent, mais Kheyl fit signe à son avant-garde de ne pas ouvrir le feu. Venue de nulle part, une brume d’abord fine commença à rouler sur le sol. Très, vite, la place fut parcourue par de longs filaments blancs, comme la toile d’une araignée. La brume s’épaissit, et on finit par ne plus distinguer que la masse sombre et tassée de l’église au centre. Quelque chose n’allait pas.

Les Elfes Noirs firent mouvement vers la chapelle, dégageant les obstacles pour s’ouvrir une voie de retraite si nécessaire. Kheyl avait sorti son épée de son fourreau. On n’y voyait goutte à présent.
« Abattez tout ce qui bouge dès que vous le voyez » lança-t-il aux arbalétriers. A deux pas derrière lui, les yeux d’Urith semblaient s’animer d’un feu joyeux à l’idée de verser le sang. Les autres corsaires faisaient des moulinets de leurs épées et de leurs haches en scrutant la brume.
Soudain, la lourde porte à double battant de la chapelle s’ouvrit à la volée, s’arrachant presque de ses gonds. Une créature de cauchemar de près de trois mètres de haut s’abattit sur le parvis de l’église, agitant des ailes membraneuses terminées par de griffes acérées. Elle dressa sa tête aux allures de chauve-souris et lança un cri perçant qui glaça Kheyl jusqu’à la moelle. Autour du monstre, des humains dépenaillés, équipés d’armes de fortune, commençaient à se rassembler. Ils avaient l’air galvanisés par la présence de la créature.
Les arbalétriers firent feu sur la créature. Quatre ou cinq carreaux se fichèrent dans sa poitrine ou traversèrent le cuir de ses ailes, lui arrachant un hurlement de plus, mais elle bondit comme si de rien n’était et s’abattit sur les Elfes Noirs paralysés de terreur. Une tête arrachée décrivit un arc de cercle, aspergeant le capitaine de sang frais. Les Bretonniens chargèrent en hurlant, mais les guerriers conservèrent leur sang-froid, formant un mur de boucliers sur lequel leurs ennemis vinrent s’écraser. Les armes rouillées et les fourches ne parvenaient pas à trouver de faille, malgré les éructations et l’aura de folie se dégageant des hommes. Les épées druchii frappèrent alors, taillant de larges sillons dans la masse des paysans dégénérés. Mais ils ne reculaient pas, et leur nombre ne semblait pas non plus diminuer. Ils finiraient sans doute par faire ployer les Elfes sous leur seul poids.
Un cri de guerre retentit alors et les corsaires contre-chargèrent la masse des Bretonniens sur un flanc. Les haches et les épées tranchantes moissonnaient les membres et les têtes, qui s’abattaient sur le sol comme des épis sanglants. Les capes en peau de dragon des mers ruisselaient, tandis que les bras s’abattaient méthodiquement, chaque mouvement emportant une vie dégénérée.
De son côté, Kheyl s’empara d’une arbalète et vida un chargeur complet dans le Varghulf tout en pointant sa lame vers le monstre. Ce qui n’eut pour seul effet que d’exciter sa haine : la bête bondit sur lui et atterrit si près qu’il put sentir son souffle chaud et putride. Une griffe laboura son plastron alors qu’il frappait le torse du Varghulf. Un liquide épais et cramoisi moucheta le sol, mais le monstre ne semblait pas incommodé. Il tenta d’écraser Kheyl, qui esquiva d’une pirouette avant de se fendre vers la tête de la bête. La lame perfora le haut de sa boîte crânienne et elle vacilla. L’Elfe Noir se détendit légèrement, attendant que la créature démoniaque s’effondre en agonisant. Mais contrairement à ce qui aurait dû se passer, le Varghulf se redressa et pivota brutalement, envoyant le capitaine druchii rouler sur le sol. Il bondit à nouveau pour écraser sa victime, mais Kheyl avait prévu cette tentative : il se remit sur ses pieds d’un bond et, alors que le monstre allait s’abattre sur lui, il le cueillit au vol, le tranchant de l’épaule jusqu’au cœur de son épée ensorcelée. Le Varghulf émit un cri terrifiant, mélange de haine pure et d’impuissance, avant de rendre son dernier souffle.
Alors que Kheyl dégageait son épée du corps du monstre, il s’aperçut que la brume était en train de disparaître. Les Bretonniens semblaient également avoir perdu toute combativité à la mort de leur idole grotesque ; ils commençaient même à paniquer et à s’enfuir.
Ce fut alors un véritable massacre. Kheyl contempla la scène avec satisfaction, un sourire mauvais aux lèvres. Alors que les guerriers s’étaient regroupés avec ordre, les corsaires s’étaient abandonnés à la boucherie la plus pure et abattaient frénétiquement et dans un désordre absolu tous ceux qui tentaient de s’enfuir. On n’entendait plus que le grognement des Druchii, les cris terrorisés des Bretonniens et la mécanique impitoyable des lames tranchant les chairs. La tuerie dura dix bonnes minutes. La place était rouge de sang, couverte des corps démembrés d’environ deux cents hommes. Les Druchii n’avaient dû perdre qu’une dizaine des leurs.

Kheyl nettoyait nonchalamment la lame de son épée sur la tunique d’un arbalétrier quand il vit Urith approcher de lui en agitant sa lame afin d’en chasser l’excédent de sang. « Mon seigneur, je pense que Khaine sera satisfait par cette offrande impromptue ». Kheyl esquissa un sourire. « Il le sera sans nul doute, Fléau de la Bretonnie. Comme je le suis de vous tous aujourd’hui ». Urith s’inclina : « Mon seigneur me flatte. Je porterai ce titre avec fierté et ne manquerai pas de prouver qu’il est justifié ». Kheyl éclata soudain d’un rire mauvais : « Il l’est, assurément. D’ailleurs, les Hurleuses ont à coup sûr reconnu le bruit de ta lame… ». Urith tourna le regard vers le ciel. Les Harpies avaient quitté le navire pour se joindre au festin. Sans doute un peu trop tard, mais après tout, peut-être qu’un mourant serait assez malchanceux pour avoir comme dernière vision celle de leur pure bestialité avant d’être déchiqueté par leurs griffes.

[center]*[/center]

Le butin avait été maigre. La chapelle s’était révélée n’être qu’une tanière de plus, encombrée d’immondices, repaire des paysans dégénérés qui venaient d’être massacrés par les Elfes Noirs. Un trône absurde et baroque, doré à l’or fin, en occupait le centre. Sans doute était-il occupé par la créature que les humains vénéraient. Kheyl s’était approprié ce trône et avait donné l’ordre de le réparer sitôt qu’ils seraient rentrés.
La fouille n’avait pas donné de résultats probants ; ça et là, les Druchii avaient glané quelques anciens objets de cultes en or, en argent ou orné de pierreries, mais rien qui ne justifie les pertes qu’ils avaient subies. Ils avaient néanmoins découvert d’anciens boyaux s’enfonçant dans les sous-sols de la cité. Peut-être étaient-ils antérieurs à la chute de Moussillon, ou bien ils avaient été creusés par des goules ou d’autres esclaves sous contrôle nécromantique… Kheyl ne parvenait pas à le déterminer, et il songeait déjà avec ennui qu’il lui faudrait revenir avec le Serpent – et une escorte de fidèles, bien entendu. Mais il imaginait que ces tunnels pourraient receler des richesses ou lui procurer un avantage stratégique certain.
La petite troupe avait fini par rentrer rapidement au campement. Les hommes avaient occasionnellement calmé leur frustration en fracturant les portes de certaines habitations et en exécutant les humains qui s’y cachaient. Certains avaient même osé des plaisanteries sur la Nuit des Supplices. Mais le cœur n’y était pas.
Le capitaine devait remotiver ses hommes.

L’après-midi touchait à sa fin. Dans la Cité des Damnés, cela signifiait que l’obscurité commençait à se répandre comme un flot sombre dans les ruelles désertes. D’ailleurs, des braseros en fonte, figurant des crânes grimaçants, étaient déjà allumés dans le camp. Kheyl avait ordonné que leur présence ne soit pas masquée, comptant sur la crainte que les Elfes Noirs ne manqueraient pas d’inspirer à leurs ennemis désorganisés.

Il se dirigeait avec une certaine lassitude vers sa tente quand un picotement désagréable courut le long de son échine. Dans le reflet d’un brasero qui dansait sur le sol, il aperçut une flaque de sang, qui aurait pu passer inaperçue pour d’autres yeux moins exercés. Kheyl se raidit et posa la main sur le pommeau de sa longue dague. Une trace au sol indiquait qu’un corps avait été traîné hors de vue. Il comprit aussitôt que personne ne montait plus la garde devant ses quartiers. Alors que son esprit commençait à bouillir, il entendit le sifflement d’une épée et n’eut que le temps de pivoter sur lui-même et de parer un coup violent et appliqué. Il manqua de perdre l’équilibre mais réussit à se mettre en garde. Son adversaire fit de même, mais plus rapidement, et leva ses deux épées courtes avec l’intention de déborder le corsaire.
« Bâtard d’Autarii ! »grogna Kheyl alors que son adversaire frappait de taille en direction de ses jambes et de son torse. Il parvint à parer l’attaque la plus basse de sa dague mais la seconde lui entailla le bras et glissa sur son armure. La silhouette encapuchonnée fut désarçonnée un instant. « Je vais te faire empaler ! » rugit Kheyl à l’adresse de l’Ombre. Il dégaina son épée en un éclair et trancha le bras gauche de son adversaire au niveau de l’avant-bras. Celui-ci glapit de surprise et de douleur. Kheyl en profita pour battre son second fer et frapper d’estoc. Sa lame perfora le poumon droit de l’Autarii, qui s’effondra, agité de soubresauts. Kheyl s’accroupit au-dessus de sa victime. « Dommage, tu ne pourras plus rien me dire… » regretta-t-il doucement avec un sourire. Puis il enfonça sa dague dans l’œil de l’Ombre qui gémit une dernière fois de terreur.

Sans même prendre le temps d’essuyer ses lames, Kheyl se redressa et se dirigea vers sa tente, dont il souleva l’entrée sans précaution particulière.
« Ma chère Caradryele, pourquoi ne suis-je même pas étonné de te trouver là ? » murmura-t-il d’une voix mielleuse…

[center]*[/center]

Kheyl referma le pan de sa tente et commença à ôter négligemment ses gants souillés de sang. Il hasarda un rapide regard vers le coin obscur où était posée la cage, et fut soulagé de constater que la Bretonnienne était toujours en vie. Caradryele ne parut pas avoir noté son inquiétude. Elle passait ses longs doigts pâles, presque translucides, sur les ors du trône ramené de la chapelle.
« Je vois que tu es toujours avide de breloques et de futilités » susurra-t-elle. « Comme un chien efflanqué court après un morceau de viande pourrie… Mais que peut-on attendre d’autre de la part d’un vulgaire pirate ? » ajouta-t-elle avec mépris.
Kheyl esquissa un sourire. « Corsaire, je te prie. Tu sais bien que j’œuvre pour rapporter esclaves et richesses à Karond Kar… » Caradryele eut un petit haussement d’épaules, à peine perceptible. « Ne te fatigue pas, Kheyl Mourkhlar. Je sais parfaitement que le drachau ne souhaite qu’une seule chose de ta part : ta tête au bout d’une pique. » Kheyl ne put s’empêcher de rire. « Disons que cette histoire n’est qu’un immense et dramatique malentendu. »
Caradryele fit le tour du trône et s’assit dessus avec la grâce d’un serpent venimeux. « Malentendu est un mot un peu faible. Trancher les membres de son fils premier né avant de le livrer aux harpies n’est pas forcément chose à faire si on souhaite prendre du galon… » Kheyl leva un doigt : « Une simple querelle dans une taverne, qui a tourné mal. Je tiens à préciser qu’il n’était pas mort quand elles l’ont emporté. Et qu’il a beaucoup hurlé. »

Le capitaine s’affala sur un sofa, à quelques mètres de la sorcière. « Ce que n’a pas eu le temps de faire ton pantin » ajouta-t-il en passant sa langue sur ses lèvres encore tachées de sang. Il planta son regard dans les yeux sombres de Caradryele. Que voulait cette sorcière ? Le défier ? Se débarrasser de lui ? Il savait pouvoir écarter cette option. La misérable tentative d’assassinat n’était qu’un amusement de plus. Kheyl se sentait nerveux : d’une part, il détestait toute forme de sorcellerie, et d’autre part, il avait l’impression d’être perdu dans un écheveau dont il ne maîtrisait aucun élément, tel un moucheron pris dans une immense toile d’araignée.

« Venons-en au fait, ma chère sœur. Pourquoi le Couvent t’a-t-il envoyée dans cette lointaine contrée ? Le climat de Ghrond ne te convenait-il plus ? » Kheyl savait pertinemment qu’il n’obtiendrait aucune réponse. Mais la moindre information glanée serait une lame de plus à dissimuler sous sa cape.
Caradryele sourit, et il eut l’impression qu’un vent glacial l’enveloppait. « Tu sais que je serais ravie de voir ton corps démembré sur la Place des Hurlements. » lâcha-t-elle d’un ton sinistre. « Que je serais ravie de répandre moi-même tes organes sur le sol gelé. Je n’ai rien oublié, petit frère. Et un jour viendra où je prendrai grand soin de toi, oh oui… » Elle marqua une courte pause afin que ses paroles s’impriment profondément dans l’esprit de Kheyl. « Pour l’heure, tu te doutes bien que notre Maîtresse a une mission pour nous. Mais je n’ai pas de temps à perdre avec toi et tes bandits. Je me doute que ta présence ici est celle du charognard qui veut festoyer sur un cadavre. Contente-toi de te nourrir et de ne pas te mettre sur mon chemin. Je souhaitais juste te rappeler que je peux souffler sur la flamme de ta vie comme on éteint une bougie » A ces mots, ses yeux semblèrent scintiller et Kheyl sentit sa gorge se comprimer. « Tu mourras entre mes griffes, sois-en sûr. Mais je savoure les instants qui me séparent de ce jour… »

Kheyl lutta pour ne pas porter la main à sa gorge et garder sa contenance. Il parvint à articuler dans un souffle : « Tu oublies que nous avons un autre ami dans la course… »
Caradryele se redressa, les yeux toujours braqués sur Kheyl : « Mol’okarh n’est qu’un parvenu de plus. Si son père n’était pas dans les faveurs du Roi-Sorcier, il n’aurait jamais atteint la Bretonnie, tu peux me croire. Mais même ici, un accident est vite arrivé… »
Kheyl manquait d’air et des myriades de points lumineux dansaient devant ses yeux. Il entendit alors un murmure venant du fond de la tente. Comme celui d’un ruisseau, faible et pourtant impossible à emprisonner. Sa gorge se desserra lentement, et la vigueur revint dans ses membres. Caradryele sembla sortir brusquement de sa rêverie. « Mais… Qu’est-ce que… ? »

Elle posa les yeux sur la cage, puis sur Kheyl. « On m’avait dit que tu avais recours aux services de fugitifs mâles, mais pas que tu t’abaissais à utiliser les tours de passe-passe d’esclaves locaux… » Elle leva un bras et une vague parut déformer l’air entre elle et la Bretonnienne, qui poussa un cri de douleur. Kheyl profita de cet instant offert pour se redresser et placer sa lame sur la gorge de la sorcière. « Laisse mon jouet » dit-il sans une once de plaisanterie dans la voix. « Je t’ai laissé parader depuis tout à l’heure, et j’ai subi tes pitoyables petites démonstrations de force sans broncher. Mais, vois-tu, je me sens assez las. Et c’est à mon tour de t’avertir : ne te mets pas sur mon chemin, et ne t’avise pas de menacer un autre des mes hommes. Je laisserai ta petite cabale mener sa mission en paix, mais ne crois surtout pas qu’un édit de Morathi protègera vos chairs dénudées des lames de mes marins. Et tu sais parfaitement, ma chère sœur, que j’attends avec impatience le jour où je pourrais t’humilier publiquement avant de te trancher la gorge… »
Il éloigna précautionneusement son épée de Caradryele. « Maintenant, hors de ma vue et de mon campement. La prochaine fois que nous nous croiserons, toute ta magie ne sera pas suffisante pour te protéger, tu peux en être sûre… »
La sorcière jeta un regard mauvais à la Bretonnienne avant de planter son regard d’acier dans celui de Kheyl. Aurait-elle parlé qu’elle n’aurait pas pu transmettre autant de haine que celle qui débordait de ses yeux. Elle rajusta son manteau et sortit de la tente sans un mot.

Kheyl rengaina sa lame et s’approcha de la cage. Il saisit les barreaux des deux mains et posa son front à quelques centimètres du visage de sa captive. « Je crois que tu as compris où était ton intérêt… Ma sœur a tendance à ne pas tolérer les autres sorcières… » La Bretonnienne releva la tête. Ses yeux étaient durs, mais même cette dureté était douce par rapport au regard que lui avait jeté Caradryele : « Ne te méprends pas, monstre. Je te tuerai dès que j’en aurais le pouvoir ».
Kheyl sourit. « Soit. Je pense néanmoins que nous avons certaines choses en commun. » Il sortit une clef de sa poche et ouvrit la cage avec lenteur. La porte bascula et la Bretonnienne s’effondra contre lui, incapable de tenir sur ses jambes. Il la souleva et la déposa sur sa couche. « Je vais faire porter de l’eau chaude et m’occuper de toi » murmura-t-il.

Cette soirée s’était décidément révélée très intéressante. Tout d’abord, il avait réussi à découvrir qui était le mystérieux « troisième homme ». Il savait que ses simples corsaires n’intéresseraient pas Mol’okarh, du moins pas tant que tous leurs ennemis n’aient été éliminés. La question du pouvoir serait alors posée… En revanche, les sorcières constituaient une seconde force « légale », qui pourrait se révéler gênante pour le dynaste…
Les pensées se bousculaient dans sa tête. Kheyl espérait que Mol’okarh et Caradryele s’agresseraient mutuellement. Au pire, il ferait en sorte que cela arrive…
Il était prêt à parier sur la mort du dynaste. Il pourrait alors sans doute rallier une partie des troupes du défunt et en profiter pour attaquer de front la cabale des sorcières…
Mais tout ceci n’étaient que considérations stratégiques et il estimait avoir assez de temps pour affiner ses propres manigances.

Pour l’heure, il était étonné de s’être découvert une alliée de fortune. Si la damoiselle bretonnienne n’hésiterait pas à le poignarder, il savait qu’elle ne tenterait rien tant que Caradryele constituait une menace. Fait intéressant, la jeune Bretonnienne avait semblé susciter l’intérêt de sa sœur, au-delà de ses simples aptitudes magiques. Peut-être avait-elle un rôle à jouer dans la mission de Caradryele...
Mais dans le bouillonnement chaotique de son esprit, ce qui l’étonnait le plus était bien différent. Il se découvrait une réelle fascination pour l’humaine. Il sentait confusément qu’un lien étrange les unissait, aussi ténu soit-il, tel celui unissant le bourreau et sa victime. Et cette nouveauté ne manquait pas de saveur.



[center][color="#8B0000"][b]Chapitre Deuxième: La bataille de la chapelle
Où les cartes sont maintes fois rebattues[/b][/color][/center]


Un pâle et maladif soleil venait de se lever sur la cité, mais les excroissances en ruines paraissaient rejeter cette lumière nauséeuse. Le vent marin s’était levé, mais il ne parvenait pas à chasser l’odeur de pourriture qui se dégageait de ce grand corps malade qu’était Moussillon. Tout au plus l’atmosphère s’était-elle rafraîchie.

Kheyl Mourkhlar avait peu dormi cette nuit-là. Assis en tailleur sur un tabouret de cuir, les yeux dans le vague, il finissait un gobelet de vin. Derrière lui, installée sur le trône, la Bretonienne lissait ses longs cheveux auburn avec lenteur.
Il était temps, pensait Kheyl, de prendre un avantage décisif dans cette campagne. Les Druchii n’avaient que trop traîné. Dès aujourd’hui, il fallait commencer l’exploration du tunnel de la chapelle. Quelques lanciers étaient restés sur place pour monter la garde, et Kheyl pensait prendre la tête de l’expédition, avec Kython, à la fois pour profiter de ses compétences occultes et afin de garder un œil sur lui.... Il comptait également envoyer Davyak et Urith faire mouvement pour prendre les ponts dans le quartier du même nom. Se posait la question du nombre. S’ils ne devaient faire face qu’à des dégénérés, la tâche serait aisée. Si, par contre, ils se heurtaient à un groupe d’étrangers déterminés, il faudrait sans doute sacrifier un des ponts… Kheyl aurait aimé pouvoir se dédoubler. Sans compter les menaces plus immédiates…
Comme si elle avait lu dans ses pensées, il entendit alors Maergwenn murmurer d’une voix claire : « Tu dois éliminer la sorcière. Si tu ne le fais pas maintenant, ton âme sera jetée en pâture à son dieu impie avant que la nuit ne soit tombée. »
Kheyl se raidit, mais tenta de dissimuler sa surprise. D’autant qu’elle avait utilisé le terme druchii pour sorcière. Sans tourner la tête, il répondit : « Je pensais qu’une telle hypothèse n’était pas pour te déplaire… »
Il perçut plus qu’il n’entendit la robe de Maergwenn se mouvoir avec une grâce étonnante. Sa main chaude se posa sur sa nuque et il dut puiser au plus profond de ses ressources de sang-froid pour ne pas réagir. « Mon chéri », susurra-t-elle avec une pointe d’ironie dans le creux de son oreille, « Mon destin est lié aux tiens pour le moment. Mais soit persuadé que quand viendra le temps… » Elle ne termina pas sa phrase. Kheyl s’était retourné et leurs lèvres se joignirent avec un mélange de force et de répulsion. Un sentiment qu’aucun d’eux n’avaient goûté jusqu’alors.

[center]*[/center]

« Que me conseillerais-tu ? » demanda Kheyl en ajustant les plaques de son armure. Maergwenn feuilletait un grimoire récupéré dans la chapelle. Elle releva la tête et son regard s’attarda sur le capitaine. « Attire-la dans un piège. Fais semblant de livrer ton sorcier. Et tue-la sans attendre… ». Kheyl était impressionné. Peut-être avait-il réussi, en fin de compte...

Il avait fait disparaître les cicatrices de la Bretonnienne. Mais les onguents n’avaient pas refermé les plaies béantes de son esprit. Elle ne paraissait pourtant pas brisée, mais plus forte, plus pure. Tranchante comme l’acier le plus noir. Révélée ? En vérité, elle aurait pu être une Druchii. Mais il n’y avait pas de quoi crier victoire, car quelque chose l’avait lié à Maergwenn. Il ne pouvait le définir. Sa raison lui aurait-elle commandé de l’égorger sur le champ, qu’il n’aurait pu s’y résoudre. Il prenait du plaisir à se mettre en danger, à sentir le souffle de la mort. Il prenait du plaisir à cette accoutumance même. Mais il percevait autre chose d’encore plus dangereux pour lui, derrière tout cela…

Kheyl esquissa un sourire. « Oui, je pense que Kython fera un très bon appât. La pêche au vif est bien plus intéressante. Et peu importe si l’appât est réduit en charpie dans l’opération ».

[center]*[/center]


La silhouette, légèrement voûtée sous son ample robe, marchait à pas lents sur le ponton vermoulu en direction du navire noir qui tanguait mollement. Kython suait à grosses gouttes malgré le froid qui l’étreignait dans cette aube grise. « Je le tuerai, et le plus vite sera le mieux » pensait-il avec amertume. « Cette sorcière, cette humaine, ne prendra pas ma place… ».
Alors qu’il ressassait sa haine, il perçut un mouvement sur le pont du navire et la peur envahit son cœur. Il était bien sûr repéré depuis longtemps, mais il pouvait désormais sentir nettement les arbalètes braquées sur lui. Un mot de Caradryele et même Khaine ne pourrait plus rien pour lui…
Il résista à la voix impérieuse qui lui enjoignait de s’arrêter et de faire demi-tour. Il était pris au piège. D’un côté, les sorcières de Morathi, qui ne manqueraient pas de livrer son corps et son âme à leur maître démoniaque s’il tombait entre leurs griffes, lui, sorcier mâle et adorateur de Khaine. De l’autre, invisibles, une batterie de balistes et des arbalétriers, qui avaient mis à profit la sorcellerie bretonnienne et leur discrétion elfique pour se fondre dans les bâtiments tout proches.

Soudain, la haute silhouette de Caradryele, entourée de ses disciples, apparut sur le pont du navire. Elle le toisa de son regard glacial durant un instant qui lui parut une éternité. Un sourire sadique retroussa ses lèvres. Sa voix résonna, haute et claire dans le matin. « S’agit-il d’un piège de ton pitoyable maître ou bien es-tu simplement devenu fou ? ».
Magie ou non, Kython ne put que s’arrêter, comme frappé par le tranchant d’une lame. Il puisa dans ses dernières ressources pour éviter de bégayer et de trembler : « Je peux te donner Mourkhlar. Je peux te donner sa tête sur un plateau… ». Il ne put terminer sa phrase. Caradryele sembla bondir sur lui, alors qu’une centaine de mètres les séparait et qu’elle ne bougeait même pas. « Serpent ! » siffla-t-elle, « Tu penses peut-être que j’ai besoin d’un misérable ver comme toi pour prendre la tête de mon frère ? ». Kython eut l’impression de fondre, de tomber dans un puits sans fond. Ses tympans commencèrent à le vriller alors que les acolytes de Caradryele psalmodiaient un chant lourd dans une langue qui n’était pas de ce monde.

De sa position, Kheyl Mourkhlar tendit son bras en direction du navire. Sans cri, une nuée de Harpies rasa le sol, sembla glisser comme un cauchemar à quelques centimètres au-dessus de l’eau, dans la brume épaisse. Un choc sourd retentit, suivi de craquements. Ni Caradryele, ni son équipage, fasciné par le chant des sorcières, ne semblait avoir conscience du sabotage qui s’opérait. Sur le ponton, Kython se tordait sur le sol, en proie à une terreur sourde.

Soudain, tous purent entendre un craquement sinistre. Le bateau eut un sursaut alors que l’eau saumâtre du port s’engouffrait dans la brèche de la coque. Les sorcières perdirent l’équilibre tandis que les hommes de l’équipage semblaient momentanément désorientés, pris entre leur transe malsaine et leur surprise.

Profitant de cet instant, Kheyl abattit une fois encore son bras. Un tonnerre de sifflements jaillit, comme un vol de frelons fauchant indistinctement toutes les silhouettes debout sur le pont du navire, perçant les armures, les casques, traversant les corps. Les volées se succédaient sans discontinuer alors que les guerriers remontaient des entrailles du navire pour fuir la voie d’eau ; le navire semblait agoniser, agité de soubresauts en s’enfoncer dans les eaux troubles au milieu de la brume. Une acolyte reçut un carreau dans la gorge, qui éteignit sa transe nauséeuse. Caradryele s’empara de son corps comme d’un bouclier, alors qu’un trait de baliste éviscérait deux autres de ses disciples. Elle paniqua un bref instant, perdit l’équilibre au moment où le bateau fit une embardée en se retournant brutalement. Elle fut projetée dans les airs et atterrit lourdement sur le ponton à quelques mètres de Kython.

D’un geste impérieux, Kheyl fit suspendre les tirs. La bataille à sens unique était terminée. Les derniers malheureux, encore vivants, étaient emportés dans les airs par les Hurleuses, qui festoieraient de chair fraîche. Les pas des bottes de Kheyl résonnèrent sur le ponton dans un silence presque sépulcral, seulement troublé par le lointain piaillement bestial des Harpies. Derrière lui, marchait Maergwenn, dont la robe blanche la faisait sembler pareille à une apparition fantomatique. Kheyl s’arrêta un bref instant pour retourner Kython du bout de la botte. « Vivant, bien entendu. Tu t’en remettras, comme toujours… ». Il reprit sa marche vers le corps de Caradryele, ses sens aux aguets. A ses côtés, l’acolyte contemplait des cieux morts de ses yeux tous blancs, grands ouverts, la bouche figée dans un hurlement d’horreur.

Kheyl se pencha au-dessus de Caradryele. La sorcière haletait, sans doute nombre de ses os étaient-ils brisés, mais elle était bien vivante. Elle plongea ses yeux dans ceux de Kheyl, mais cette fois-ci, la dureté, l’orgueil, avaient fait place à une peur bestiale. Celle de l’animal qui se sait acculé. Kheyl lui sourit. Supplierait-elle ? Ferait-elle appel aux liens du sang pour qu’il l’épargne ? Oui, oh oui elle le ferait. Kheyl le savait, il le lisait dans son regard. Et cela lui suffisait amplement… D’un mouvement sec, il planta sa dague dans l’estomac de Caradryele qui se raidit de terreur et commença à haleter de plus belle. Maergwenn mit un genou à terre près de Caradryele et d’un air détaché, elle posa sa main blanche sur la bouche et le nez de la sorcière, dont les yeux s’écarquillèrent de stupeur. En quelques instants, ce fut terminé. Maergwenn fit alors glisser sa main vers la blessure béante et barbouilla son visage de sang chaud. Elle prit le bras de Kheyl et ils remontèrent lentement vers le campement, sous les vivas des guerriers elfes noirs.



[center][color="#8B0000"][b]
Chapitre Troisième: Le ver est dans le fruit
Où masques et têtes commencent à tomber[/b][/color][/center]


Kython contemplait son reflet dans le miroir d’argent, à la lueur d’un brasero crépitant doucement dans sa tente. Il avait ôté ses robes et tenait dans sa main un long poignard effilé. Sans hésitation, il fit glisser le fil tranchant sur sa poitrine. Le sang perla immédiatement le long de son torse, et s’immisça dans le réseau de cicatrices qui le parcourait comme des canaux. Il murmura une brève prière à Khaine avant de rincer la lame dans une vasque.
Les pratiques du sorcier ne manquaient pas de dégoûter les autres Druchii, mais aussi de les tenir en respect. Kython était un prêtre de Khaine, qu’il vénérait sous son avatar de Chroesh, l’aspect du Seigneur Serpent. Ce culte, souvent associé au Culte des Plaisirs, remontait à l’ancienne Nagarythe. Il impliquait des rituels d’auto-scarification, la douleur étant censée purifier l’âme et le corps, mais aussi des meurtres rituels particulièrement odieux, et la distillation et l’absorption régulière de poisons.

Kython n’était pourtant pas un Elfe Noir de naissance. Il était né en Ulthuan et avait étudié des décennies à Saphery. Il avait cependant développé un goût inhabituel pour les arts sombres, l’utilisation de la magie à des fins de destruction et d’enrichissement. C’est alors qu’il était entré en contact avec un culte secret dédié à l’adoration des divinités elfiques interdites, implanté par des espions druchii à des fins de déstabilisation. Il en avait rapidement gravi les échelons, imposant l’hégémonie du culte khainite tout en éliminant ses rivaux.
Mais ses déviances ne pouvaient rester invisibles aux yeux des mages de l’Ordre. Confondu et jugé, il parvint à fuir Ulthuan avant d’être exécuté.

Cependant, ses malheurs devaient se poursuivre puisqu’il finit par échouer sur une île perdue au milieu Grand Océan. Il devait y rester seul de longues années, ruminant sa colère et son désir de puissance, avant que des pirates druchii décident d’y faire une escale. Méfiant, la haine au cœur, il parvint à rester discret, tendant des pièges afin de disposer de victimes à sacrifier. Face à la disparition de ses hommes, le capitaine de la flotte lança une traque et finit par découvrir son repaire. Acculé, Kython tenta de se défendre par la magie. Mais il ne pouvait rien contre un corsaire déterminé. Le combat fut bref, et le sorcier, vaincu, s’en sortit avec une balafre sur la lèvre supérieure. Estimant qu’un sorcier renégat pourrait lui être utile, et admiratif de sa fourberie et de sa cruauté innées, Kheyl Mourkhlar décida de lui laisser la vie sauve et de l’intégrer à l’équipage du Rasoir Sanglant. Il ne devait pas le regretter.

« Jusqu’à aujourd’hui », songea le Serpent. Avec l’apparition de l’humaine, sa position au sein de l’équipage était plus que fragilisée. D’autant qu’elle semblait faire l’unanimité et qu’elle ressemblait désormais à une véritable Druchii. Ses misérables tentatives d’assassinat avaient échoué et il paraissait clair que ses jours étaient comptés.
Il devait remédier à tout cela.

[center]*[/center]

Kython jetait des regards méfiants de droite et de gauche. La colonne d’arbalétriers progressait dans une ruelle aux pavés défoncés encombrée de gravats. Les bâtiments qui se succédaient étaient rongés de mousse et de lierre. Une brume tenace déroulait des filaments épais qui s’infiltraient comme des nuées entre les soldats et pénétraient dans les ouvertures béantes des masures.
Le capitaine l’avait chargé de mener l’avant-garde vers le centre de la Cité, en direction des ponts qui constituaient un point stratégique entre la ville haute et la ville basse. Kython savait qu’il s’agissait d’une mise à l’écart supplémentaire et qu’il était désormais sacrifiable.

Il fut brutalement tiré de ses pensées par un couinement bref suivi d’un éclat de lumière. Deux arbalétriers vacillèrent avant de s’effondrer. Leurs camarades poussèrent un juron, tentant de localiser la provenance des agresseurs. Kython se tassa, dissimulé derrière la troupe. Des cordes d’arbalète émirent un claquement sec, suivi par le tintement de carreaux qui ne trouvèrent que des murs. La formation menaçait de se désorganiser.
Soudain, des ombres jaillirent d’un étage en ruine et s’abattirent à moins de trois mètres du sorcier. Un Druchii hurla avant que sa tête sectionnée ne s’abatte aux pieds de Kython. Un second chuta avec un bruit sourd, révélant les silhouettes encapuchonnées de rats humanoïdes armés de longs poignards maculés de fluides verdâtres. Le sorcier sentit le sang battre violemment à ses tempes.
Trois Skavens se jetèrent sur lui en un éclair. Comme par réflexe, il murmura un mot de pouvoir. Les armes de ses agresseurs rougirent, leur arrachant un couinement de douleur, qui se transforma en hurlement strident alors que leur fourrure s’embrasait. Les flammes dansèrent comme un feu de joie dans l’œil du Serpent tandis que les corps gigotant étaient agités de soubresauts. Les arbalétriers du dernier rang les criblèrent de traits avec délectation.

Kython aperçut à l’étage quelques silhouettes supplémentaires, hésitantes. Il fit un signe bref à la troupe qui se mit en position, premier rang avec le genou à terre. Les ombres tentèrent de s’esquiver, mais la pluie de carreaux qui s’abattit n’en laissa aucun debout. Kython passa sa langue sur ses lèvres, savourant sa maigre victoire. « Un point de plus pour moi », songea-t-il. Les guerriers avaient vu sa sorcellerie à l’œuvre. La frayeur qu’il pouvait inspirer jouerait en sa faveur quand viendrait l’heure de choisir son camp.

[center]*[/center]

Profondément calé sur son trône, Kheyl regardait d’un air détaché les corsaires s’affairer dans le campement. Il profitait des quelques rayons dispensés par le soleil maladif qui daignait éclairer la ville en ce début d’après-midi. Il songeait à Kython, envoyé en reconnaissance au centre de la cité, et cherchait à mentalement avancer ses pions sur l’échiquier de Moussillon. Il saurait, très bientôt.

Il fut tiré de sa rêverie par des cris d’enfant alcoolique, ou tout du moins fut-ce l’image qui s’imposa à son esprit. « Moi vouloir voir chef ! Moi voir-voir chef ! ».
A quelques dizaines de mètres, une araignée aussi grosse qu’un sanglier s’agrippait à une façade en ruine. Sur son dos était juché un petit être verdâtre décoré de plumes et agitant ses bras en direction du camp.
La troupe n’avait pas tardé à réagir et Davyak s’apprêtait à faire tirer le Poignard de Khaine sur l’intrus. Kheyl leva un bras : « Laisse-le approcher » intima-t-il. Sans baisser leurs armes, les Druchii indiquèrent au Gobelin qu’il pouvait passer.
La créature sautilla gaiement sur le dos de son araignée qui parcourut avec agilité et rapidité la distance la séparant du capitaine.

« Chef ! Toi chef ? » glapit le Gobelin emplumé. Sans daigner bouger, Kheyl lui adressa un sourire amusé. L’araignée pourrait faire une belle descente de lit. « Qu’est-ce qu’un Peau-Verte vient faire ici, dans la gueule du dragon ? » hasard-t-il en tapotant ses lèvres d’un doigt. Le Gobelin parut parcouru par un frisson de fierté. « Moi Bolboga ! Moi avoir message pour zoneille pointu ! ».
Un soupçon d’ennui passa dans la tête de Kheyl. La créature attendait-elle qu’on lui offre un festin pour que sa langue se délie enfin ?
Semblant comprendre qu’il valait mieux lâcher le morceau sans tarder, le Gobelin reprit : « Grosse pouvoirité arrive ! Lui Oumourtag, très très kosto ! Lui bientôt casser tentes des zoneilles et accrocher dents à son collier ! ». Kheyl leva un sourcil : « Tu veux dire que des Orques vont nous attaquer ? » « Oui -Oui ! » glapit le Gobelin en sautillant sur sa selle comme s’il galopait. « Lui très-très plus fort ! Toi couper sa tête pour… »
Le Gobelin s’arrêta net, comme s’il en avait trop dit. Comme un automate, il fit demi-tour et l’araignée s’éloigna au pas de course.

Les Peaux-Vertes, risibles, aux magouilles incompréhensibles, mais souvent assez pénibles à affronter… Kheyl leva nonchalamment son bras et exécuta un petit moulinet du poignet. Aussitôt, le Poignard de Khaine émit un claquement sec. Un trait de la taille d’un petit tronc d’arbre cloua l’araignée sur le mur qu’elle commençait à escalader. Le petit Gobelin jura, mais parvint à se rattraper au sommet du mur et à disparaître derrière alors qu’une volée de carreaux tintait là où il se trouvait quelques secondes auparavant. Kheyl l’entendit encore glapir : « Zoneilles méchants-maudits !… » avant qu’un bruit de plancher pourri qui s’effondre ne le fasse taire.
Kheyl sourit. Un peu d’action pour ses Corsaires leur ferait du bien. Et il avait gagné une descente de lit fort originale.

[center]*[/center]

L’après-midi touchait à sa fin quand les Druchii arrivèrent en vue du pont principal de la Cité. Ils avaient cru que le petit pont situé au centre de la ville était praticable mais, s’il restait intact, il était trop encombré de ruines et de détritus pour permettre le passage de troupes régulières. Les eaux ternes de la Grismerie paressaient mollement, telles une flaque d’huile à l’odeur nauséabonde. On pouvait entendre, venant des tréfonds de la ville, quelques brefs hurlements bestiaux, des bruits métalliques, ou encore des raclements étranges. La sueur perlait aux tempes de Kython, même s’il se savait protégé au milieu des guerriers. Il fit signe à la troupe de s’engager sur le pont. Un petit groupe, principalement constitué d’arbalétriers, restait au sud du pont, afin d’en sécuriser le passage.

Kython hasarda un œil en direction de l’eau et crut percevoir le mouvement d’un énorme poisson-chat. Quelque chose le gênait, mais il ne savait dire quoi. Le courage n’était certes pas sa qualité première, mais il avait démontré un certain talent pour la survie au cours de ces dernières années. Et ses sens lui commandaient de se cacher au plus vite. Ce qui n’était évidemment pas possible sur un pont, et encore moins au milieu de Druchii prêts à profiter de la moindre faiblesse…

Le soleil passait juste derrière l’horizon quand les Elfes Noirs parvinrent à l’entrée nord du pont. Kython sentit les poils de sa nuque se hérisser : dans l’ombre des bâtiments lépreux, des dizaines d’yeux rouges haineux étaient braqués sur eux. Un couinement sec retentit, suivit d’une vague de cris aigus. Les Druchii eurent à peine le temps de se mettre en position de combat alors qu’une multitude de guerriers skavens se jetaient sur eux. Les arbalètes en fauchèrent un grand nombre, mais les guerriers durent tirer leurs armes pour faire face au choc. Les corps tournoyaient tandis que les lames labouraient les boucliers. La phalange elfe noire, disciplinée, réussit à maintenir sa cohésion. Plusieurs arbalétriers étaient déjà tombés, les uns tenant des deux mains leur gorge sectionnée, les autres gisant face contre terre, plusieurs coutelas plantés dans le dos. Le sol devenait poisseux de sang. Kython manqua de glisser, se rattrapant au parapet du pont. Il imagina un instant tourner les talons et s’enfuir, mais des Skavens, sans doute dissimulés sur une pile du pont, venaient de surgir sur l’arrière des elfes noirs. D’autres guerriers tombèrent en hurlant dans les eaux désormais sombres. Kython éructa un mot de pouvoir et plusieurs Skavens glapirent en lâchant leurs armes chauffées à blanc. Le groupe d’arbalétriers resté sur l’autre rive arrivait au pas de course. Les carreaux sifflèrent et abattirent un rang d’hommes-rats.
Sur la rive nord, Ganth, le Maître des Lances, organisait la défense. Protégés par un mur de boucliers, les guerriers ne reculaient plus sous les assauts des Skavens qui s’empalaient sur les lances. Les arbalétriers en renfort nettoyèrent le pont, si bien que les derniers hommes-rats survivant préférèrent se jeter à l’eau plutôt que d’être criblés de traits. Kython ne savait plus où donner de la tête. Il se décida à reprendre pied sur la rive. Ses robes étaient tachées de sang, il trébuchait sur des piles de cadavres. Il lança un nouveau sortilège sur un groupe de guerriers, dont les armes entrèrent en fusion. Le feu s’étendit, libérant une atroce odeur de poils brûlés. Il entendit Ganth hurler un ordre et vit la phalange de guerriers avancer d’un pas décidé, empalant quiconque était assez proche pour goûter aux lames barbelées. La nuit était presque complète, désormais. Les hurlements des mourants et le fracas des armes ne semblaient pas faiblir.
La vision de Kython se brouillait, les yeux rouges se mêlant aux torches vivantes et aux reflets laiteux à la surface de la Grismerie. Il discerna pourtant, en retrait, d’abominables rats de la taille d’ogres, tenus en chaînes par d’autres Skavens. Ces derniers parurent d’abord parlementer entre eux de façon hystérique. Kython se demandait pourquoi ils n’attaquaient pas les lanciers. Puis soudain, ils aiguillonnèrent leurs monstres pour les éloigner des combats. Kython se rendit compte alors que le chaos était en train de s’éteindre. Plusieurs dizaines d’hommes-rats jonchaient le sol, des corps carbonisés continuaient à fumer. Les Skavens avaient disparu.

Les guerriers Druchii survivant achevèrent leurs camarades trop grièvement blessés. Une lueur éclaira le visage de Kython. Il était sauvé. Il s’approcha de Ganth en boitant. « Beau combat, Maître des Lances. Vous mériteriez bien plus qu’un régiment de guerriers sous vos ordres. » Ganth tourna ses yeux sombres vers le sorcier. Il sembla hésiter un instant avant de répondre. « Merci, sombre seigneur. Je vois que votre œuvre est également des plus appréciables… ». Kython passa une langue rapide sur ses lèvres sèches. Une langue bifide, nouvelle dédicace corporelle à Chroesh. « Rassemblez les guerriers valides et organisez la défense. Après quoi j’aurais à vous parler. Notre… capitaine nous rejoindra à l’aube, ainsi que prévu. Je voudrais que nous veillions à ce qu’il soit reçu dans les meilleures conditions possibles… » Une brève lueur d’amusement passa dans les yeux de Ganth. « Qu’il en soit ainsi » murmura-t-il.

[center]*[/center]

Aucune attaque d’Orques n’avait eu lieu, malgré les prédictions du Gobelin. Kheyl avait envoyé des éclaireurs, et si un combat s’était bel et bien déroulé au nord de la Cité, il semblait que les « plans » des Peaux-Vertes se révélaient une fois de plus à géométrie variable. Il avait néanmoins ordonné de démonter le camp de base et laissé quelques membres de l’équipage en position défensive sur le navire. Accompagné d’une escorte de guerriers, il remontait le long de la Grismerie rejoindre le gros des forces qui avaient pris position au nord du pont reliant les deux parties de la Cité.

Vêtu d’un ample manteau en peau humaine, il avançait à grand pas dans la semi obscurité. La troupe restait attentive et se déplaçait dans un silence tout elfique, malgré leurs armes et leurs armures. Maergwenn restait en retrait, enveloppée dans une cape pourpre. Alors qu’ils arrivaient en vue du pont, un soleil plus clair qu’à l’accoutumé apparut à l’est, illuminant ses yeux verts où une insondable cruauté avait chassé toute faiblesse.

Kheyl hâta le pas et bientôt les Druchii avaient rejoint leurs frères d’armes. Les corsaires avaient monté un camp de fortune, bien protégé par les façades des bâtiments longeant le fleuve. Un œil exercé pouvait discerner des arbalétriers positionnés au sommet des structures. Un échafaud branlant, souillé de sang séché, se dressait à quelques mètres de là. Ganth et ses lanciers étaient en position, rangés comme à la parade.
Le capitaine sourit en son for intérieur quand il vit la forme courbée de Kython se hâter à sa rencontre.
« Monseigneur, tout est en ordre, tel que vous l’avez souhaité. Nous avons perdu plusieurs hommes en combattant des hommes-rats, mais la zone est désormais sûre ».
Kheyl posa un regard dur et méprisant sur le sorcier. « Je ne doutais pas de ton aptitude au commandement, Serpent ». Kython ne put s’empêcher d’émettre un petit sifflement d’indignation et jeta un regard furtif à Maergwenn qui lui adressa en retour un sourire cruel.

Kheyl s’approcha de l’échafaud sur lequel trônait un tonneau faisant office de billot où était plantée une grande hache à double fer. Il passa avec nonchalance une main fine sur les rainures du bois vermoulu, tournant le dos à son second.
Avec un frémissement qu’il ne pouvait définir, de peur ou d’extase, Kython adressa un bref regard à Ganth. Comme un seul homme, les lanciers avancèrent vers leur capitaine, lance baissée.
« Ganth ? » interrogea Kheyl, un sourcil levé. Il entendit le Serpent ricaner près de lui.
« Terrifiant seigneur » commença le Maître des Lances, « les cartes ont été rebattues. Nous n’avons désormais plus qu’un seul maître » dit-il en se tournant vers Kython. Ce dernier continuait à ricaner, ou bien étaient-ce des sifflements. Il leva un doigt vers Kheyl : « Tu es fini, Corsaire, Khaine m’en est témoin Le Rasoir Sanglant est à moi et je vais prendre beaucoup de plaisir à découper chacun de tes nerfs à vif… Sans oublier ta putain, bien entendu… »

Kheyl n’avait pas bougé, sa main posée sur le rebord de l’échafaud. « Tes sifflements pathétiques m’ennuient toujours autant » lâcha-t-il d’un ton détaché.
Kython gloussa de plaisir et de fureur mêlés. « Il suffit ! Maître de Lances, fais ton office ! ».
D’un mouvement rapide, Ganth dégaina son épée et en posa la pointe sur la gorge de Kython. Les lances des guerriers pivotèrent d’un seul mouvement vers le sorcier. Celui-ci blêmit et se mit à suer abondamment.
« Tu croyais vraiment que de véritables Druchii suivraient un misérable traître d’Ulthuan ? Que ta malice de serpent te servirait à mener des guerriers dans une odyssée sanglante à travers les océans du Vieux Monde ? ». Kheyl cracha de mépris. « Je savais qu’un jour tu ferais cette erreur. Et tu n’imagines pas quel est mon plaisir aujourd’hui ». Le regard du capitaine transperçait de toute sa froideur les yeux vitreux de Kython. « Mais je vais être magnanime. Parce que je n’ai pas sous la main tous les instruments qui me permettraient de te faire souffrir suffisamment longtemps pour que tu cherches à t’étouffer volontairement avec ta langue fendue. Et aussi parce que je sais qu’un misérable comme toi ne survivrait pas à une seule journée entre mes mains. »

D’un geste brusque, il écarta l’épée de Ganth et saisit violemment le sorcier avant de le pousser aux bas des marches de l’échafaud. Il se jeta sur lui et l’empoigna par les cheveux avant de le traîner sur la plate-forme. Kython pleurait, et sifflait sans qu’un mot articulé puisse sortir de sa gorge. Il tenta de jeter un sortilège, mais sa terreur s’accrut quand il comprit que Kheyl ne portait ni arme ni armure sous son manteau de peau. « Eh oui, incapable jusqu’au bout… »
Sans ménagement, et avec une poigne de fer, Kheyl traîna Kython et plaqua sa tête sur le billot. Tous les hommes s’étaient rapprochés de l’échafaud, une lueur d’avidité dans le regard. « Regardez bien, corsaires, comment je traite les incapables et les traîtres ! » hurla Kheyl Mourkhlar en détachant la hache de son socle morbide. Son imprécation fut poursuivie par le hurlement d’animal de Kython, un hurlement d’animal acculé, incapable de bouger le moindre membre. Kheyl leva la hache à deux mains et l’abattit sur le cou du sorcier avec un bruit mat. Il tira latéralement d’un coup sec et la tête se détacha dans une gerbe de sang, puis roula au bord de l’échafaud avant de s’arrêter.
Maergwenn avait ouvert sa cape et rejeté ses vêtements. Les hommes firent cercle et s’écartèrent sur son passage. Son corps entièrement nu semblait d’une pâleur irréelle. Elle saisit la tête de Kython, aux yeux exorbités, et l’approcha de son visage, comme si elle voulait converser avec lui. La langue bifide s’agitait encore convulsivement dans la bouche grande ouverte. Le sang cascadait sur ses épaules et sa poitrine. Elle fit une moue moqueuse et tira sa langue « Tsss… tssss… vilain serpent ». Les guerriers Druchii restaient pétrifiés. Mais ce n’était plus seulement par plaisir, il y avait une ferveur religieuse dans leur regard, comme si Khaine s’était choisi une nouvelle épouse devant leurs yeux.
Puis subitement, elle laissa la tête tomber sur le sol comme si elle s’était lassée d’une proie sans intérêt. D’un bond, Kheyl la rejoignit et la serra contre lui, tâchant son manteau de larges traces de sang vermillon. Les hommes levèrent leurs armes en signe d’allégeance. Kheyl se tourna vers eux. Son regard semblait embrasé : « Druchii ! Nous sommes bénis par Khaine ! Nous allons plier définitivement cette Cité sous notre botte. » Il désigna la haute silhouette du Palais Ducal à quelques centaines de mètres de leur position. « Allons prendre nos quartiers ! Notre palais n’attend plus que nous ! »

La troupe avait quitté les lieux depuis peu. Les bêtes reprenaient peu à peu leur territoire. Timidement, un des rats s’approcha du corps de Kython. Il lapa un peu de sang encore frais, puis s’approcha nerveusement du cou tranché, avant d’y plonger sa gueule aux dents aigues. Mais il n’eut pas le temps de festoyer. La main de Kython s’abattit et lui broya le crâne et les os.


[center][color="#8B0000"][b]Chapitre Quatrième: Plus aucun espoir
Où la conclusion approche[/b][/color][/center]


Partout des craquements. Des bruits sourds, heurtés. Des gémissements terreux. Kheyl leva les yeux vers le Palais Ducal, forme de terreur obscure sur un ciel sombre. Les masures alentour étaient closes. Derrière les portes vermoulues et les volets fermés à la hâte, il devinait que des hommes se terraient comme des morts. Parce qu’ils savaient que les morts sans repos se levaient à nouveau pour asseoir leur domination sur la Cité maudite, à l’appel d’un être beaucoup plus puissant qui souhaitait chasser les intrus de son domaine.

Les Druchii débouchèrent au sud de la grande place ducale. Des lumières fugaces et surnaturelles dansaient dans l’air froid et vicié. Les cadavres ambulants n’avaient pas encore atteint le centre de la Cité. Les Elfes Noirs de Mol’okarh, si. Dans le chaos fantomatique, les corsaires n’avaient pas pu les repérer ni suivre leur progression. A quelques dizaines de mètres, juché sur un monstrueux sang-froid, le dynaste jetait un regard noir à Kheyl. Ses guerriers s’étaient aussitôt mis en position, imités à la seconde même par les hommes du capitaine. On pouvait deviner, plus loin dans une ruelle, les rugissements sourds d’une hydre de guerre. Kheyl réfléchit brièvement. Une confrontation directe tournerait au carnage. Même si son équipage l’emportait, les rares survivants n’auraient d’autre choix que de rejoindre le navire. S’ils parvenaient à se frayer un chemin parmi les morts…

Il lut le même constat dans les yeux en amandes de Mol’okarh. D’un geste, il intima l’ordre à ses corsaires de garder leur position et s’avança à la rencontre du dynaste, ses bottes claquant comme un défi sur le pavé glacé de la place. Le sang-froid feula alors que Mol’okarh faisait mouvement à sa rencontre.

Kheyl se tenait à portée des mâchoires baveuses de la créature. Il pouvait sentir l’odeur amère du poison dont s’enduisaient les cavaliers pour ne pas être déchiquetés par leur monture. Il avait souvent accompli ce geste. Ce souvenir lui arracha un rictus de dégoût.
« Kheyl Mourkhlar… Je vois que tu as déjà pratiqué les nauglir » dit Mol’okarh d’une voix atone. « Leur odeur t’imprègne encore assez pour que celui-ci ne t’arrache pas la tête comme une friandise. »
« Seigneur Mol’okarh… » commença Kheyl en feignant une courbette, « Votre présence en ces lieux est une bénédiction… Mais qu’est-ce qui vous amène si loin de Naggaroth ? »
Une lueur de colère passa dans les yeux du dynaste. « Ne te moque pas de moi, pirate. Toi et tes bandits mériteraient une mort lente et pénible sur les remparts de mon château… Et je dispose d’un Edit de Fer signé par le Roi-Sorcier en personne qui m’autorise à prendre cette cité… » Le capitaine le coupa : « Tel que je vois les choses, Sombre Seigneur, c’est plutôt cette cité qui risque de vous prendre. Et mon équipage avec ».

Mol’okarh ravala sa colère, mes ses yeux brûlaient comme un brasier éternel. « Tu dis vrai, malheureusement. J’aurais aimé jouer avec toi. Mes créatures auraient aimé jouer avec toi. Mais je ne peux gaspiller les dons du souverain de Naggaroth. Et d’autres missions requièrent mon attention ». Kheyl ne put s’empêcher de sourire devant cet aveu d’impuissance. Il ne pouvait y avoir de confrontation, pas maintenant.
Mol’okarh fit exécuter un demi-tour rapide à son nauglir. « Profite bien du peu de temps qu’il te reste à vivre, Kheyl Mourkhlar. Je ne suis pas Caradryele, et la prochaine fois que nous nous croiserons, j’aurais plaisir à te dépecer vivant. » Le sang-froid fit quelques pas.
« Ce sera un plaisir partagé, Mon Seigneur » répondit Kheyl. Sentant que les épaules de Mol’okarh se raidissaient, il ajouta d’une voix forte et glaciale, de façon à ce que tous les Druchii entendent : « Mais avant, je te ferai boire ton Edit de Fer en fusion. » Il tourna les talons et revint vers ses hommes, tendu à l’idée de recevoir un carreau d’arbalète dans le dos. Mais après un bref silence qui parut durer une éternité, ne lui revint que le rire sardonique de Mol’okarh, suivi d’un ordre bref : le dynaste quittait Moussillon.

[center]*[/center]

La troupe reprit son avancée en direction de l’immense palais dont la haute flèche perçait le ciel grisâtre. Des lueurs inquiétantes tremblotaient à son sommet. Mais les Druchii n’eurent pas le loisir de s’en inquiéter, car la place fut bientôt envahie de cadavres ambulants, vomis par les enfers. Surmontant leur peur primale, les guerriers organisèrent en un éclair une formation défensive. Les lanciers aux premiers rangs, protégés par un mur de boucliers, lances barbelées tendues vers l’ennemi, les arbalétriers aux rangs suivants, exploitant les interstices entre leurs camarades pour faire pleuvoir un déluge de carreaux sur les zombies.
Malgré leur précision et la régularité de leurs tirs, le choc fut inévitable. Ganth et ses lanciers tinrent bon, fauchant les membres, perforant les crânes putréfiés avec stoïcisme. Kheyl Mourkhlar attendit le bon moment, celui où la masse de cadavres commençait à ralentir, agglutinée contre les lanciers, pour lancer une contre-attaque sur un flanc avec les corsaires. Galvanisés par leur étendard magique figurant un serpent de mer à plusieurs têtes, il lança son cri de guerre, repris en écho par Urith et ses hommes. Les Elfes Noirs s’abattirent sur les morts-vivants au moment même où le mur de boucliers commençait à céder. Les cadavres mutilés, taillés à la hache, volèrent en tous sens, couvrant le pavé de la place d’une bouillie sanguinolente et de viscères corrompus. Les Harpies se joignirent au massacre en frappant l’arrière de la cohorte nécromantique. La pression se relâchant, les lanciers galvanisés firent mouvement vers l’avant, et bientôt, la masse de morts-vivants fut exterminée jusqu’au dernier cadavre.
Profitant du répit, et avant que d’autres zombies n’occupent la place, Kheyl se porta en direction des portes de chêne du palais, suivi de ses guerriers en ordre serré. Comment les Elfes Noirs allaient-ils pouvoir en forcer l’entrée ? Cette question fusait dans son esprit tandis que ses sens restaient en alerte, attentifs au moindre son en provenance des ruelles alentours. A quelque distance, au nord de la place, il crut discerner des peaux-vertes, mais ne chercha pas à évaluer leur situation. Seule comptait la porte. Se mettre à l’abri. Ou se jeter dans la gueule du loup.
Alors qu’il avançait sa main pâle pour toucher les ferrures de bronze, les battants grincèrent et les portes s’ouvrirent comme tirées par une main invisible.

[center]*[/center]

L’intérieur du palais ressemblait à une immense crypte. En réalité, c’était bel et bien une crypte. Le rez-de-chaussée avait été entièrement rasé : aucun mur, aucun mobilier. Juste des murs gris et nus encadrant un sol en terre battue couvert de poussière. Une odeur de moisissure portée par l’air stagnant les prit aux narines. Le plafond, s’il y a avait un, se perdait dans l’obscurité, loin vers le sommet du palais. Seul un étrange escalier en colimaçon s’élevait dans les ténèbres.
Kheyl ne put retenir une moue de déception. C’était donc pour ça qu’il s’était battu ? Où avaient disparu les richesses du duché ?
Il croisa le regard brûlant de Maergwenn. Ses seins blancs se soulevaient au rythme saccadé de sa respiration, ses dagues souillées de sang jetaient un éclat malsain à sa taille. Il fut pris d’un violent désir qu’il chassa aussitôt. Il restait à faire.

Il ordonna aux hommes de prendre position et de rester prêts à évacuer le bâtiment. Ganth et Urith resteraient avec eux. Davyak l’accompagnerait au sommet du palais.
Lentement, presque comme s’il se déplaçait au son d’une marche funèbre, il commença à gravir les marches de pierre. Aucun parapet ne protégeait d’une chute. Bientôt, le sol ne fut plus qu’une lointaine illusion. La réalité semblait s’estomper, tout comme le son de leurs pas. Maergwenn se déplaçait comme une ombre druchii, inaccessible au tournis qui ne manquait pas d’agacer Kheyl et Davyak.

Alors que le temps semblait s’être suspendu, un lointain fracas parvint à leurs oreilles. Quelque chose n’allait pas en bas. Kheyl posa une main sur l’escalier : quelqu’un ou quelque chose avait échappé aux guerriers et montait à grands pas. Tant pis.
Ils reprirent leur ascension, plus rapidement, attentifs à ce qui les suivait. Enfin, un plafond de pierre se détacha de l’obscurité. Il sembla aux corsaires qu’ils découvraient la terre ferme après des mois de navigation.
Après quelques minutes supplémentaires, sans s’en rendre compte, ils débouchèrent brutalement au sommet du palais.

La pièce dans laquelle ils se trouvaient sentait elle aussi le moisi, la mort et la corruption. Des rayonnages innombrables portaient des grimoires en décomposition. Ce qui paraissait être des trésors, joyaux, or et argenterie, jonchaient le sol crasseux. L’éclairage du lieu semblait provenir d’une vasque au centre de la pièce. Tournant le dos aux Druchii, une forme voûtée, vêtue d’une robe mitée et en lambeaux, se tenait au-dessus de la vasque.
Kheyl se déplaça de quelques pas sur le côté et tira son épée. Une lueur éclaira le visage encapuchonné de l’Etre. Un mouvement de répulsion parcouru la chair du capitaine. La chose parcheminée n’était plus vivante. Des lambeaux de chair sèche et craquelée pendaient sur ses pommettes. La mâchoire jaunie laissait les dents apparentes.
Une vague de terreur brute parcourut Kheyl quand un œil sec pivota dans l’orbite de la chose pour se braquer sur lui. L’Etre restait aussi immobile que la mort.
« Druchii… » commença-t-il d’une voix poussiéreuse. « Je n’aurais pas misé sur toi, tu peux me croire… »
Percevant la torpeur de son chef, Davyak tira son épée et bondit sur la silhouette. Sans un mouvement, un souffle fétide sortit de la gorge de ce dernier. Davyak se figea, son épée glissa sur le sol avec un bruit mat et il s’effondra sans convulsion, le regard vide et terne.
Kheyl retrouva brutalement ses esprits, la haine brûlant dans son cœur.
« Inutile, pauvre petit pantin » crachota l’Etre. « Vous m’avez diverti, vous tous, pilleurs de néant. Et permis à mon Plan d’être enfin ». Sa tête pivota sans qu’aucune autre partie de son corps ne bouge. Il regarda Kheyl dans les yeux et ce dernier put percevoir tout l’âge et la malignité qu’ils recelaient. Un puits sans fond, nauséeux. Maergwenn s’était déplacée à l’opposé de Kheyl avec la grâce d’une Fiancée de Khaine. La tête pivota brutalement pour se braquer sur elle. « Humaine-Druchii. Plus Druchii qu’Humaine. Ton existence est intéressante. Mais le temps est arrivé… »
Un hurlement, qui aurait pu être le beuglement d’un Rhinox, déchira la torpeur ambiante et une masse de muscles verts traversa l’espace d’un bond. La tête pivota vers l’arrière et la surprise put se lire clairement dans les yeux avant qu’une lame de sept pieds la fende en deux dans un éclat d’os et de poussières. Les restes momifiés s’abattirent sur le sol dans un grand nuage. Kheyl brandit son épée en direction d’Oumourtag, prêt à défendre sa peau. Maergwenn s’approcha lentement de la vasque et caressa le liquide luminescent. Elle esquissa un léger sourire : « Détruit par ce qu’il attendait le moins : la bêtise brute ».
Le chef de guerre orque leva sa lame une seconde fois, réfléchissant s’il devait taper en premier à droite ou à gauche.

[center]*[/center]

La réflexion, chez les Orques, est chose fort étrange. Autant sont-ils prompts à frapper dans une mêlée, démembrant à tout va dans une frénésie destructrice et radicale, autant le choix entre deux cibles est-il en soi un processus fort complexe est délicat. A la droite d’Oumourtag, Kheyl Mourkhlar se tenait en garde, son épée frémissante prête à exploiter la moindre faille pour frapper son adversaire. A sa gauche, Maergwenn n’avait pas encore dégainé ses lames barbelées et paraissait presque détendue. Les yeux d’Oumourtag allaient de l’un à l’autre. Le regard noir de Kheyl, les yeux brûlants de la Bretonnienne. Oumourtag se maudissait d’avoir tenté de réfléchir. Jamais ça ne se reproduirait.

Soudain, le corsaire abaissa sa lame. « Tu es un très grand guerrier, peau-verte. » lâcha-t-il.
« Non ! » pensa Oumourtag, « Pourquoi moi pas taper-taper ?! ». Il sentait bien qu’il y avait une embrouille. Un peu comme si un Gobelin (pourquoi pensait-il à ce traître de Bolboga ?) commençait à discutailler. Sauf que le zoneille ne se laisserait pas écrabouiller comme un Gobelin.

« Ecoute-moi, chef de guerre. » dit Kheyl en jouant avec son épée. Si leur commandant était ici, les autres Peaux-Vertes ne devaient pas être loin. Il avait évité la confrontation avec Mol’okhar ; ce n’était pas pour tenter la Fortune dans une bataille rangée avec ces brutes. Il y avait mieux à faire pour tirer partie de la situation.
« J’ai une proposition à te faire. Tu es venu dans cette cité avec tes guerriers pour massacrer ses habitants et piller leurs vivres, je me trompe ? »
Oumourtag commençait à avoir une crampe dans les bras à force de tenir son épée au –dessus de sa tête. Il avait depuis longtemps passé le point de non-retour, celui où son cerveau n’était plus en mesure de concevoir quelque plan que ce fût.
Kheyl poursuivit en jouant son va-tout : « Cette cité est dorénavant mienne. Mais j’ai besoin de guerriers pour finir de la nettoyer et pour tenir la région » (du moins, songea-t-il, jusqu’à ce que le Roi-Sorcier ait vent de cette conquête, décide de lever ma condamnation, et juge utile de m’envoyer des troupes en renfort pour consolider cette tête de pont…).
« Et, vois-tu, je pense que toi et ta horde sont les mieux à même de remplir cette tâche. J’ai besoin de mercenaires de valeur. Que je paierai grassement pour ce faire, bien entendu…» Un déclic se produisit dans la tête du chef de guerre orque : plus besoin de réfléchir, juste continuer à massacrer et à ripailler sur le dos de paysans ? Et être payé pour ça ?

Une petite larme apparut subrepticement au coin de son œil. Il était le vainqueur. Ses challengers ne tenteraient même plus de s’opposer à lui. Il allait pouvoir ravager le pays à la tête de ses hommes, avec la bénédiction de son souverain (c’est bizarre, il ne se rappelait pas que les zoneilles étaient les rois de cette ville, mais bon…), et en plus, ils allaient pouvoir manger beaucoup et boire plein d’alcool sans payer ! Et quand ils en auraient assez, ils repartiraient tuer au-delà des frontières, il savait qu’il y avait plein d’autres zhoms en armures brillantes, et plein d’autres paysans sans défense !

Oumourtag baissa son épée, fracassant la vasque dont le contenu s’en vint éclabousser le sol.
« Toi faire bonne solution » lança-t-il d’une voix caverneuse. « Toi chef sage. Moi Oumourtag grand guerrier ki veut tuer, pas zaimer kompliké. Waaagh tout kasser la kampagne et prendre rékoltes des zhoms. Toi vouloir tuer kelkun zenemi, donner rékompense et Waaagh tout tuer même plusse. » Il partit d’un grand rire bien gras.
Kheyl lui sourit. Du bout de l’épée, il lui envoya un collier de pierreries qui traînait sur le sol. « Ton premier paiement, grand chef Oumourtag. Nettoie cette ville de ses cadavres ambulants et revient me voir. J’ai d’autres missions à te confier. »
L’Orque regard le bijou. Il allait impressionner ses hommes, pour sûr.

Kheyl savoura cet instant. Il avait trouvé un allié des plus utiles et facile à satisfaire. Les ennemis ne manqueraient jamais. Mais la Cité des Damnés, son nouveau royaume, requérait désormais toute son attention. Kheyl Mourkhlar, Duc de Moussillon...
Il plongea son regard dans celui de Maergwenn. Après tout, le royaume pouvait bien attendre…
[/i]
Lien vers le commentaire
Partager sur d’autres sites

Fluff très sympa, je l'ai lu d'un trait. J'aime beaucoup le style, et la façon de traiter des elfes noirs.

Y a-t-il une suite ? Parce que l'histoire de la sorcière druchii / bretonnienne mériterait d'être développée.

Bravo à toi, et merci pour ce texte sympa !!
Lien vers le commentaire
Partager sur d’autres sites

  • 1 mois après...
Hey !

Alors j'ai tout lu et ça a pas été facile ! Première règle ici pour être sûr d'avoir des commentaires (et c'est jamais garanti) : Poste plutôt par petits morceaux parce que tout lire d'une traite...

Ensuite le style est bon ! Sinon je serai pas allé aussi loin aussi facilement. Ton style est agréable et j'ai pas vu de fautes qui gênent la lecture !

L'histoire est pas mal et je dirais juste que de temps en temps, sous le déluge de noms, on ne sait plus qui est qui ! Fais attention :P

@+
-= Inxi =-
Lien vers le commentaire
Partager sur d’autres sites

  • 1 mois après...
[quote]Alors j'ai tout lu et ça a pas été facile ! Première règle ici pour être sûr d'avoir des commentaires ([b]et c'est jamais garanti[/b])[/quote]

J'ai bien ri, c'est pas comme si la section était dynamique :whistling:

Blague à part, j'ai aussi lu ton récit d'une traite et je dois dire qu'il en vallait la peine malgré son aspect indigeste. Captivant et [u]très bien écrit[/u], j'ai trouvé qu'il rivalisait facilement avec le fluff officiel. Ingénieux, ton récit l'est aussi pour " caler " toutes les races que tu souhaites inclure, même si à titre personnel, j'ai trouvé les skavens assez mal amenés.

Très peu de fautes d'orthographe, pas de cassure dans le rythme, une action ingénieusement menée conjointement à l'intrigue. J'aurais presque envie de dire what else ?

Peut-être quelques incohérences : je ne suis pas sur d'avoir saisi le véritable enjeu de la province de Moussillon... Je peux aussi citer le bras du sorcier Khyron qui frappe le rat, sorcier qui, rappelons le, est sensé avoir été décapité ? Il reste aussi l'impuissance manifeste de la sorcière ( soeur de Kheyl ) qui reste en suspend, et plus simplement de l'inefficacité apparente de la magie dans l'univers. On comprend pourquoi, tu as voulu faire parler les armes plus que les sorciers et c'est tout à ton honneur. Tu ne tombes dans aucun cliché, excepté peut-être sur la fin avec la bretonienne. Je trouvais que tu avais traité leur relation de manière magistrale lorsqu'elle était encore piégée dans la calle. Mais dès l'apparition de la soeur de Kheyl dans la tente, tu perds complètement les pédales et lui fais adopter une posture SM assez inconcevable. ( Non que ça me déplaise... )

Il n'empêche que [b]ton récit mérite des éloges[/b]. Encore bravo. Dommage de l'avoir posté en une fois, beaucoup passeront à côté mais pour la peine... Je te remonte en première page.
Lien vers le commentaire
Partager sur d’autres sites

  • 5 mois après...
Un point sur la forme : pas d'écriture en italique intégrale. Cette variation sert avant tout à mettre en valeur certains mots ou groupes de mots, des expressions, ou les pensées d'un personnage.

Sur le style, pratiquement pas de fautes. Tu te débrouilles adroitement avec le fluff et les clichés des Druchiis

La narration est efficace. C'est du bon travail, clair et dégagé. L'entrée en scène des différentes races et factions est plutôt bien amenée, même s'il faudrait parfois resserrer.

Le récit n'échappe pas toujours au syndrome rapport de Bataille, ce qui est en soit normal, étant donné qu'il s'agit d'un contexte narratif pour un scénar de Warhammer Battle.

[quote]surveillant les ouvertures qui se succédaient de part et d’autres à intervalle irrégulier[/quote]

Pour une cité médiévale, c'est bien le genre de description qui ne colle pas : faute de norme de construction imposée, c'est le bordel, le royaume de l'empiètement et du lacis. Et pour une cité comme Mousillon, c'est encore pire.

[quote]Mais il n’y avait pas de quoi crier victoire, car quelque chose l’avait lié à Maergwenn. Il ne pouvait le définir.[/quote]

La volonté de l'auteur, peut-être ? :whistling: Le revirement est modérément plausible. Alors oui, on peut invoquer le syndrome de Stockholm ou les origines troubles du personnage de Maergwenn. La transition entre captive et complice aurait toutefois gagné à être plus développée.
Lien vers le commentaire
Partager sur d’autres sites

Rejoindre la conversation

Vous pouvez publier maintenant et vous inscrire plus tard. Si vous avez un compte, connectez-vous maintenant pour publier avec votre compte.
Remarque : votre message nécessitera l’approbation d’un modérateur avant de pouvoir être visible.

Invité
Répondre à ce sujet…

×   Collé en tant que texte enrichi.   Coller en tant que texte brut à la place

  Seulement 75 émoticônes maximum sont autorisées.

×   Votre lien a été automatiquement intégré.   Afficher plutôt comme un lien

×   Votre contenu précédent a été rétabli.   Vider l’éditeur

×   Vous ne pouvez pas directement coller des images. Envoyez-les depuis votre ordinateur ou insérez-les depuis une URL.

×
×
  • Créer...

Information importante

By using this site, you agree to our Conditions d’utilisation.