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[Samedi] Pessoa, le Gardeur de troupeau - VIII


Lord Paladin

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Bon, je voulais commenter ce poème, mais je ne l'ai pas trouvé sur la toile et je l'ai donc tapé à la main. (@absalom, c'est la traduction de Points_1989 avec des bouts de Gallimard_1960 sur les bouts qui ne me plaisait pas. Ne t'étonne donc pas si elle ne ressemble pas à celle que tu connais.) Du coup, j'ai plus le temps de développer et je ferais cela quand j'aurais une minute.
Je note tout de même qu'il s'agit d'un poème d'Alberto Caeiro, sous la plume de Pessoa. Et que ce dernier a parla suite renié cette oeuvre comme beaucoup trop iconoclaste. Il l'aurait écrit "avec un haut le coeur de répugnance". J'enjoint donc avec Pessoa à lire cette oeuvre en elle-même sans chercher à juger qui que se soit en dehors du poème.

[center]
Le gardeur de troupeau - VIII

Un beau midi de fin de printemps
Je fis un rêve tel une photographie.
Je vis Jésus-Christ descendre sur terre.

Il arriva par les coteaux d'un mont
Redevenu petit garçon,
Courant et cabriolant dans l'herbe
Et arrachant des fleurs pour les jeter aussitôt
Et riant de façon à être entendu de loin.

Il s'était échappé du ciel.
Il était trop des nôtre pour se travestir
En deuxième personne de la Trinité.
Au ciel tout, oui, tout était faux, tout était en désaccord
Avec fleurs, arbres et pierres.
Au ciel il lui fallait toujours maintenir son sérieux
Et de temps en temps redevenir homme
Et monter sur la croix, et rester toujours à mourir
Avec une couronne tout hérissée d'épines
Et les pieds embrochés par un clou à large tête,
Sans oublier une guenille autour de la taille
Comme les nègres sur les illustrations.
On ne lui permettait même pas d'avoir père et mère
Comme les autres enfants.
Son père était deux personnes --
Un vieux appelé Joseph, qui était charpentier,
Et qui n'était pas son père ;
Et l'autre père était une colombe stupide,
L'unique colombe moche de ce monde
Parce qu'elle n'était pas de ce monde et qu'elle n'était pas une colombe.
Et sa mère n'avait pas aimé avant de l'avoir.
Elle n'était pas une femme : elle était une valise
Dans laquelle il était venu du ciel.
Et on voudrait que lui, qui n'était né que de sa mère,
Et n'avait jamais eu un père à aimer avec respect,
Prêchât la bonté et la justice !
Un jour que Dieu dormait à poings fermés
Et que l'Esprit-Saint avait pris son vol pour se promener,
Il s'en fut à la boîte aux miracles et en déroba trois.
Avec le premier il fit que nul ne sût qu'il s'était échappé.
Avec le deuxième il se créa éternellement humain et petit garçon.
Avec le troisième il créa un Christ éternellement en croix
Et le laissa cloué sur la croix qui se trouve au ciel
Et sert de modèle aux autres.
Puis il s'enfuit vers le soleil
Et descendit sur le premier rayon qu'il put emprunter.
Aujourd'hui il vit dans mon village en ma compagnie.
C'est un enfant au joli rire et naturel.
Il s'essuie le nez avec le bras droit,
Patauge dans les flaques d'eau,
Cueille les fleurs et les cajole et les oublie.
Il lance des pierres aux ânes,
Vole les fruits des vergers
Et fuit en pleurant et criant devant les chiens.
Et, parce qu'il sait qu'elles n'aiment pas ça
Et que tout le monde trouve ça drôle,
Il court derrière les filles
Qui vont en groupes sur les routes,
Les cruches sur la tête,
Et il leur soulève les jupons.

Moi, il m'a tout appris.
Il m'a appris à regarder les choses.
Il me signale toutes les choses qu'il y a dans les fleurs.
Il me montre comme les pierres sont amusantes
quand on les tient dans la main
Et qu'on les regarde lentement.
Il me dit bien du mal de Dieu...
Il dit que c'est un vieux stupide et malade,
Qui ne cesse de cracher par terre
Et de dire des grossièretés.
La Vierge Marie occupe les soirées de l'éternité à tricoter des chaussettes.
Et l'Esprit-saint se gratte du bec
Et se juche sur les chaises pour les souiller.
Tout au ciel est stupide comme l'Eglise Catholique.
Il me dit que Dieu ne comprend rien
Aux choses qu'il a créées --
" Si tant est qu'il les ait créées, ce dont je doute " --.
" Il dit, par exemple, que les êtres chantent sa gloire,
Mais les êtres ne chantent rien du tout.
S'ils chantaient ils seraient des chanteurs.
Les êtres existent, un point c'est tout,
Et c'est pourquoi ils s'appellent des êtres."

Après quoi, fatigué de dire du mal de Dieu,
L'enfant Jésus s'endort dans mes bras
Et je le prends dans mes bras et le ramène à la maison.

---

Il habite avec moi dans ma maison à flanc de colline.
Il est l'Enfant Eternel, le dieu qui manquait.
Il est l'humain qui est naturel,
Il est le divin qui sourit et qui joue.
Et c'est pourquoi je sais sans le moindre doute
Qu'il est l'Enfant Jésus véritable.

Et l'enfant à ce point humain qu'il en est divin
C'est cette vie quotidienne de poète, la mienne,
Et c'est parce que toujours il m'accompagne que je suis poète toujours,
Et que mon regard le plus bref
Me comble de sensation,
Et que le son le plus infime, d'où qu'il vienne,
Semble converser avec moi.
L'Enfant Nouveau qui habite où je vis
Me tend une main à moi
Et l'autre à tout ce qui existe
Et ainsi nous allons tous trois par le chemin qui se présente,
Sautant et chantant et riant
Et savourant notre secret commun
Qui est que nous savons en tout lieu
Qu'il n'y a pas de mystère en ce monde
Et que tout vaut la peine.

L'Enfant Eternel m'accompagne toujours.
La direction de mon regard c'est son doigt qui désigne.
Mon ouïe joyeusement attentive à tous les bruits
Ce sont les chatouilles qu'il me fait, pour jouer, dans les oreilles.

Nous nous entendons si bien l'un l'autre
Dans la compagnie de toute chose
Que nous ne pensons jamais l'un à l'autre,
Mais nous vivons ensemble et deux
Selon un accord intime
Telles la main droite et la gauche.

A la tombée de la nuit nous jouons aux osselets
Sur le seuil de la porte d'entrée.
Graves comme il sied à un dieu et à un poète,
Et comme si chaque osselet
Etait un univers
Et que pour cela ce soit un danger pour lui
Que de le laisser tomber par terre.

Après quoi je lui raconte des histoires purement humaines,
Et lui il en sourit, parce que tout est incroyable.
Il rit des rois et de ceux qui ne sont pas rois,
Et il se désole d'entendre parler des guerres,
Des commerces, et des navires
Qui se font fumée dans l'air des hautes mers.
Parce qu'il sait que tout cela manque à la vérité
Qu'une fleur détient quand elle fleurit
Et qui avec la lumière du soleil vient
Modifier les montagnes et les vallées
Et pousser les murs blanchis à la chaux à faire mal aux yeux.

Après quoi il s'endort et je le couche.
Je le prends dans mes bras jusque dans la maison
Et je le couche, en le déshabillant lentement
Et comme en suivant un rituel très limpide
Et tout maternel jusqu'à ce qu'il soit nu.

Il dort au-dedans de mon âme
Et parfois il se réveille la nuit
Et joue avec mes rêves.
Il met les uns cul par-dessus tête,
Entasse les autres les uns sur les autres
Et bat des mains tout seul
En souriant à mon sommeil.

---

Quand je mourrai, fiston,
Que ce soit moi, l'enfant, le plus petit.
Et toi, prends-moi dans tes bras
Et emmène-moi au-dedans de chez toi.
Déshabille mon être humain et fatigué
Et couche-moi dans ton lit.
Et raconte-moi des histoires, au cas où je me réveillerais,
Pour que je puisse me rendormir.
Et donne-moi des rêves à toi pour que j'en joue
Jusqu'à ce que naisse un jour
De toi seul connu.

---

Voilà l'histoire de mon Enfant Jésus.
Pour quelle raison compréhensible
Ne devrait-elle pas être plus vraie
Que tout ce que les philosophes pensent
et tout ce que les religions enseignent ?[/center]

[right]Traducteurs :
Points_1989 : Chandeigne, Quillier & Camara Manuel
Gallimard_1960 : Armand Guibert[/right]

Pal' Modifié par Lord Paladin
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Salut Palouf !
Merci de nous faire partager ce poème. Ca fait des années que je ne l'ai pas lu et je dois te dire que je n'ai pas eu le courage de le relire ce soir (heu cette nuit).

Par contre, j'ai peur que le choix de ce texte précisément déstabilise ceux qui ne connaissent pas les poèmes du lisboète. Ses préoccupations, si elles ne sont pas exemptes d'une certaine spiritualité, sont tout de même assez éloignées de la religion. On est plus proche de Whitman que de Thérèse de Lisieux. Je veux dire par là que le christianisme est une fausse piste dans ce poème et qu'il ne faut surtout pas prendre cela pour une provocation contre telle ou telle croyance ou pratique. Comme chez Whitman, il fait le portrait d'un homme attentif au monde sensible au point de créer en lui-même son propre univers aussi foisonnant que celui qui l'entoure, sans pour autant le renier puisqu'il en est la plus directe émanation, tout ça dans un élan extrêmement positif et optimiste. Chez Whitman, il y a une coloration fortement sexuée et humaniste. Quelque chose de très chaleureux. Chez Pessoa, c'est bien plus cérébral et solitaire, parfois un peu douloureux mais chez les deux, il n'y a aucune haine, aucune attaque contre le Christianisme contrairement à ce que certains vers pourraient laisser croire dans ce poème. Voilou. ^_^

Merci à toi en tout cas. ;) Modifié par Absalom
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Justement mon cher, justement.
Comme le souligne Absa', a première vue ce poème pourrait être perçu comme une sorte de pamphlet adressé à la chrétienté et plus particulièrement à l'église catholique. On lit rapidement et des phrases particulièrement provocatrice viennent frapper notre entendement avec la violence de rouleaux océaniques heurtant des falaises de granit :
[quote author="Caeiro"]Au ciel tout, oui, tout était faux, tout était en désaccord[...]
Et l'autre père était une colombe stupide,
L'unique colombe moche de ce monde[...]
La Vierge Marie occupe les soirées de l'éternité à tricoter des chaussettes.
Et l'Esprit-saint se gratte du bec
Et se juche sur les chaises pour les souiller.
Tout au ciel est stupide comme l'Eglise Catholique.[...]
etc.
[/quote]
Et je vous passe la Vierge Marie assimilée à une valise, et d'autre tout aussi savoureuse.
On comprends alors le dégoût de l'auteur pour son propre travail. Et l'on pourrait rejeter ce poème aux abîmes en prétextant que puisque son auteur l'a renié il n'existe plus. On pourrait aussi tenter de le justifier au regard du reste de l'oeuvre de Pessoa, comme le fait remarquer Absalom ! Mais Caeiro n'est pas Pessoa. Et le poète nous enjoint à lire ces oeuvres telles qu'elles sont, ce qui nous incite bien à ne pas vouloir mettre l'oeuvre en contraste avec ceci ou cela, mais à la voir telle qu'elle est. Alors bon gré, mal gré, on relit le poème satanique et impie. Et c'est cette deuxième lecture que je voudrais partager avec vous.

Car que vois t-on au fond. Au vrai fond, pas la surface éclatante et parfois aveuglante, non le vrai fond du lac à l'eau claire et magnifique. On vois tout un réenchantement du monde et je dirais même, on vois la déclaration extrêmement religieuse et magnifiquement amoureuse d'un poète pour le monde qui l'entoure. Ô oui certes, Jésus est un petit enfant, mais non d'ailleurs, ce n'est pas un enfant. C'est l'Enfant. L'Enfant Eternel et Véritable qui justifie le monde de son Père (de là à faire un parallèle avec la croix elle même...).
Et puis, il y a les phrases magnifiquement chrétiennes comme :
[quote author="Caeiro"]Il était trop des nôtre pour se travestir
En deuxième personne de la Trinité.[/quote]
Au Dieu que cette phrase est belle. Que ce morceau seul suffirait à légitimer tout le poème car ce que nous livre Caeiro c'est sa religion. Une religion qui est chrétienne et humaine. Il cherche à humaniser la face un peu austère qu'a pu avoir l'église en lui laissant ce visage enfantin et magnifique de son Enfant.
Et puis après tout, la colombe est moche certes mais là où Caeiro est magnifique c'est qu'elle est moche en tant que colombe. Le déguisement est moche, mais la vérité est belle. Au fond, dans ce poème Caeiro nous montre sa façon d'être chrétien, de briser les apparences et les façades (des églises et des religions) pour n'en garder que le fond qui lui est sublime.
Car oui, la religion est ici à mon sens magnifier, attardons nous :
[quote author="Caeiro"]Et l'enfant à ce point humain qu'il en est divin[/quote]
[quote author="Caeiro"]L'Enfant Nouveau qui habite où je vis
Me tend une main à moi[/quote]
Magnifique inversion d'un thème connu n'est-il pas :
[center][img]http://www.routard.com/images_contenu/communaute/photos/publi/045/pt44254.jpg[/img][/center]
[quote author="Caeiro"]Quand je mourrai, fiston,
Que ce soit moi, l'enfant, le plus petit.[/quote]

Bref, je ne m’étendrais pas beaucoup plus longtemps sur ce sujet, mais j'ai l'étrange impression que malgré tout, ce poème est beaucoup plus religieux, et surtout beaucoup plus tendre avec la religion qu'il n'en a l'air. Et si l'on peut peut-être, ce dont je ne suis même pas sûr, qualifier ce poème d'anti-clerical, il n'est sans doute pas anti-chrétien.

Pal' Modifié par Lord Paladin
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[quote]"Il dit, par exemple, que les êtres chantent sa gloire,
Mais les êtres ne chantent rien du tout.
S'ils chantaient ils seraient des chanteurs.
Les êtres existent, un point c'est tout,
Et c'est pourquoi ils s'appellent des êtres."[/quote]

J'aime beaucoup ce passage. Comme vous le dites, il n'a rien de particulièrement anti-chrétien ou d'anti-religieux, c'est une simple constatation pleine de bon sens, à rebours de toutes les théories fumeuses qui voudraient faire dépendre le statut d'être (ou d'humain, ...) de certains conditions arbitraire.
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[quote name='SonOfKhaine' timestamp='1349130149' post='2222332']
[quote]"Il dit, par exemple, que les êtres chantent sa gloire,
Mais les êtres ne chantent rien du tout.
S'ils chantaient ils seraient des chanteurs.
Les êtres existent, un point c'est tout,
Et c'est pourquoi ils s'appellent des êtres."[/quote]

J'aime beaucoup ce passage. Comme vous le dites, il n'a rien de particulièrement anti-chrétien ou d'anti-religieux, c'est une simple constatation pleine de bon sens, à rebours de toutes les théories fumeuses qui voudraient faire dépendre le statut d'être (ou d'humain, ...) de certains conditions arbitraire.
[/quote]


Moui, 'fin le passage est quand même bien orienté "athée" et surtout n'a aucun sens, ça ressemble juste à un jeu de mots.
Ce n'est pas parce que la définition d'être signifie effectivement "exister" (ce n'est pas pour rien que c'est un verbe substantivé et qu'en anglais ça se dit "being", par exemple, soit le verbe être avec la particule -ing) que l'être doit se résumer à son existence. 'fin, ça n'a pas de sens de dire que les êtres ne chantent pas parce qu'il existent ; ils peuvent exister et chanter. Je ne crois pas qu'il soit dit où que ce soit que l'essence des êtres est de chanter à la gloire de Dieu. Du coup, si c'est une qualité accessoire de l'être, l'argument ne tient pas debout parce qu'il n'entre pas en conflit. Je suis un être, je peux chanter ; tout va bien, ce n'est pas parce que je chante que mon essence est d'être un "chanteur".
'fin je ne sais pas, à part y voir un bon mot...
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Ah... c'est légèrement plus compliqué que cela. Mais pour cela il faudrait lire tout le reste de Caeiro et ca finirait par faire un peu long.
Pour faire simple, la philosophie de Caeiro est centré sur le fait de ne pas demander plus aux choses que ce qu'elles sont, de trouver la fleur belle non parce qu'elle est bleu, ou qu'elle sent bon, mais parce qu'elle est une fleur, et qu'elle accepte pleinement ce fait d'être une fleur. (cf [url="http://blogdemphilippon.over-blog.com/article-10-11-l2-esth-pessoa-lecture-71424041.html"]celui là[/url])
Il ne faut pas y voir qu'un bon mot mais l'essence de la philosophie (discutable certes, la propriété d'existence étant de toute manière particulièrement épineuse) de Caeiro.

Edit : Il y a un moment, je m'étais insurgé contre le poème cité dans le paragraphe précèdent car il ne ré-enchantait pas le monde, il brisait au contraire l'imaginaire et rabaisser le merveilleux au rang de mensonge. Certes, mais en fait il s'agit aussi de découvrir la beauté magnifique de ce qui est véritablement, sans artifice ni tromperie. Il ne sacrifie le merveilleux que pour donner plus de beauté encore au monde. J'ai donc depuis, un peu moins de rancoeur vis à vis de ce poème ;).

Pal' Modifié par Lord Paladin
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Invité Absalom
[quote name='Ignit le Fourbe' timestamp='1349276603' post='2223358']
[quote name='SonOfKhaine' timestamp='1349130149' post='2222332']
[quote]"Il dit, par exemple, que les êtres chantent sa gloire,
Mais les êtres ne chantent rien du tout.
S'ils chantaient ils seraient des chanteurs.
Les êtres existent, un point c'est tout,
Et c'est pourquoi ils s'appellent des êtres."[/quote]

J'aime beaucoup ce passage. Comme vous le dites, il n'a rien de particulièrement anti-chrétien ou d'anti-religieux, c'est une simple constatation pleine de bon sens, à rebours de toutes les théories fumeuses qui voudraient faire dépendre le statut d'être (ou d'humain, ...) de certains conditions arbitraire.
[/quote]


Moui, 'fin le passage est quand même bien orienté "athée" et surtout n'a aucun sens, ça ressemble juste à un jeu de mots.
Ce n'est pas parce que la définition d'être signifie effectivement "exister" (ce n'est pas pour rien que c'est un verbe substantivé et qu'en anglais ça se dit "being", par exemple, soit le verbe être avec la particule -ing) que l'être doit se résumer à son existence. 'fin, ça n'a pas de sens de dire que les êtres ne chantent pas parce qu'il existent ; ils peuvent exister et chanter. Je ne crois pas qu'il soit dit où que ce soit que l'essence des êtres est de chanter à la gloire de Dieu. Du coup, si c'est une qualité accessoire de l'être, l'argument ne tient pas debout parce qu'il n'entre pas en conflit. Je suis un être, je peux chanter ; tout va bien, ce n'est pas parce que je chante que mon essence est d'être un "chanteur".
'fin je ne sais pas, à part y voir un bon mot...
[/quote]
Il y a effectivement beaucoup d'humour : Pessoa/Caeiro s'amuse avec son lecteur en assénant tautologie, pléonasme et contradiction.

Mais il ne faudrait pas pour autant prendre son propos à la légère.

Je crois qu'il règle son compte avec une certaine littérature ou une certaine métaphysique qui veut voir en les choses autre chose que ce qu'elles sont. En gros il dit : "Mon existence est indifférente à Dieu, à la beauté du Tage ou aux malheurs des hommes. J'existe au même titre que les fleurs et les fleuves et voilà la beauté du monde. Le monde est beau car il existe. Ni plus ni moins. Il est beau sans nom, , sans métaphore, sans allégorie, sans religion, sans métaphysique, sans transcendance, sans pensée, sans poésie".

Voilà en quoi "exister" s'oppose à "chanter" ou à "penser" ou "agir".


Un peu plus loin dans le recueil de Caeiro :
[quote]"[...] j'ai l’égoïsme naturel des fleurs et des fleuves qui poursuivent leur chemin, préoccupés uniquement sans le savoir de fleurir et de couler. La voilà l'unique mission du monde. [b]Celle d'exister clairement et de savoir le faire sans y penser[/b]."[/quote]

Après on peut rester dubitatif devant le poème de Caeiro et y voir qu'un jeu de contradictions et de tautologies plus ou moins tordues. Moi ça m'a un peu retourner la cervelle, il y a presque 15 ans quand je suis tombé sur le Livre de l'Intranquillité. Mais j'ai de très bons amis, grands lecteurs et fins lettrés qui trouvent ça sans intérêt. :whistling:
^_^ Modifié par Absalom
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Je comprends peut-être mal le passage cité, mais il me semble réduire les choses. Le fait qu'une fleur soit belle parce qu'elle est fleur et non parce qu'elle est bleue ou qu'elle sent bon, ou que sais-je, de base, me semble une conception étrange, ne serait-ce que parce qu'elle part d'une définition de la beauté qui m'est inconnue.
Mais soit, admettons que le "monde [soit] beau parce qu'il existe".
Le passage cité ne me semble pas traiter de cela, ou remettre cela en question.
"Mais les êtres ne chantent rien du tout. /S'ils chantaient ils seraient des chanteurs" me pose problème parce qu'il ne semble pas considérer qu'une caractéristique puisse être accessoire. L'être est, soit. La fleur est, soit. Mais ça n'empêche pas la fleur d'être bleue, l'être de chanter, etc.. Donc quelle est la finalité de ces vers ?
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Invité Absalom
[quote name='Ignit le Fourbe' timestamp='1349306293' post='2223632']
L'être est, soit. La fleur est, soit. Mais ça n'empêche pas la fleur d'être bleue, l'être de chanter, etc.. Donc quelle est la finalité de ces vers ?
[/quote]
Déjà c'est l'ami Palouf qui parle de fleur bleue comme exemple. Faut pas se focaliser là-dessus même si l'exemple est pas mal. Caeiro ne s'émerveille pas de l'apparence d'une chose mais du fait qu'elle existe, qu'il la perçoit, qu'elle est unique et qu'elle est n'est réductible à aucun adjectif ni nom. Voilà le cœur de son émerveillement face au monde et aussi la base de son attaque de la poésie et de la métaphysique (ce sont eux les chanteurs dont il parle).


Du reste je crois avoir déjà répondu en quoi "exister" s'oppose à "chanter" mais peut-être n'as-tu pas lu mon com' précédent : Caeiro veut disqualifier une partie de la poésie. Dans ce poème, il les désigne par "les chanteurs". "Ceux qui chantent Dieu" alors que celui-ci n'est pas du domaine du sensible, qu'il échappe à la perception. Bref Dieu est une Idée et Caeiro est indifférent aux idées. Tout omme il se moque de la Justice, autre idée -_- ou de l'absence de Justice : [b]"Peu m'importe à moi les hommes et ce qu'il souffre ou croit souffrir"[/b] (poème XX de mémoire). Il fustige donc les philosophes, les théologiens, les métaphysiciens, les humanistes dont il dénonce la fatuité et l'imposture.

Le sujet du poème est donc de dire en quoi la métaphysique, la religion et la poésie sont en faillite, selon le point de vue de Caeiro car elles méprisent le monde sensible pour en imaginer un autre, fait de symboles et d'allégories, pour imaginer une transcendance, une signification qui va-au delà de la simple présence au monde. Caeiro incarne donc une rupture, du moins c'est ainsi qu'il se dépeint lui-même dans ses textes. Pessoa en fait le "maître" des autres hétéronymes, celui qui est la source de leurs œuvres respectives : Soares, Campos, et les autres ne s'émerveilleront que de ce qu'ils perçoivent, "le réel vu du dedans" même si cela peut sembler vulgaire et anodin : le bureau de tabac d'en face, le bruit des vagues sur les galets. Ils n'auront que faire de Dieu ou des injustices des hommes. Pour eux, comme pour Caeiro, ces concepts ne se "voient pas", "ne se touchent pas", "ne se sentent pas" et donc n'ont aucun intérêt. Toute l'angoisse de l'humanité ne pèse rien devant une volute de cigarette. Les chanteurs, eux, c’est le contraire. Une cigarette qui se consume sur le rebord d'une fenêtre pèse moins que, je ne sais pas, Dieu ou le Destin des Hommes ou l'Amour. Les "chanteurs" méprisent le registre des sensations et lui préfère celui de la pensée et des émotions : "ils chantent la Gloire de Dieu", ce qui pour Caeiro est vain et fat.

C'est une rupture avec toute une tradition littéraire et même si c'est par l'intermédiaire d'un auteur inventé (oui Caeiro n'existe pas...pour un poète de l'existence, du questionnement ontologique, on appréciera le gag :lol: ), ça reste génial. L'autre contradiction marrante c'est qu'en refusant la pensée, la philosophie ou le doute, il passe son temps à penser, à philosopher et à douter. Il y a des pages très belles sur l'angoisse ontologique, les plus belles et les plus sincères et qui pourtant se résolvent sur un pied de nez à la métaphysique.

C'est difficile d'expliquer Pessoa, et encore plus de le faire aimer. Faut le lire déjà, en entier ou du moins quelques pages de ces recueils. Il y a toute une littérature sur le lisboète...Antonio Tabucchi par exemple, est très accessible et a beaucoup fait pour populariser le poète en France. Il y a aussi des essais plus universitaires (j'ai celui de J.Balso au Seuil que j'ai trouvé plus compliqué mais qui est aussi plus fourni sans doute). Tu comprendras bien que c'est pas évident de demander à deux pauvres diables sur un forum d'expliquer alors que les auteurs précités, infiniment plus savants, le font sur des centaines de pages. :whistling:

Bref si le sujet t'intéresse ou te laisse perplexe, fonce chez ton libraire. La réponse, si réponse il y a, est dans les livres... après plusieurs heures de lecture. Pas en 5 min sur le net même si c'était audacieux de la part de Palouf d'essayer de faire passer du Pessoa ici où la règle est celle de l’instantanéité et du débat tranché (dans le vif) sur des positions bien campées. Pessoa s'y prête mal. Il est multiple, contradictoire et un peu retors. Modifié par Absalom
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