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Le Havre des Reines


Loup Noir

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Voici la suite ! En effet les combats reprennent, s'il l'on peut dire. J'espère que vous apprécierez.



[center][u][b]Chapitre XXIII[/b][/u][/center]


[b]An 1378 du Quatrième Âge, Palais Royal de Céläastra[/b]

Dans la pâle lueur du jour naissant, Ivawen s’éveillait doucement. Depuis quelques jours, elle n’arrivait plus, comme au milieu de sa convalescence, à dormir d’une traite la nuit. Elle se retourna avec difficulté dans son lit, essayant de retrouver le sommeil. Tous ses efforts s’avérèrent inutiles et elle se redressa un peu. Silya lui avait fait son rapport au sujet de sa rencontre avec Neflindel deux jours plus tôt, puis l’avait quittée peu après, désirant se promener et réfléchir. La reine pensait que l’humaine réapparaitrait plus tard dans la nuit, ou le lendemain, mais elle l’attendait toujours et commençait à s’inquiéter. On lui avait donné des nouvelles de Nærisa, et l’elfe se sentait un peu rassurée de ce côté. Sa sœur parvenait à se tenir debout, ce qui lui était encore impossible. On lui avait également annoncé la mort du Seigneur Soïlïn Sëë, et la reine, sidérée, avait vu plusieurs de ses plans, à commencer par le mariage de Nærisa, se compliquer. Reprenant de plus en plus de forces, elle rageait de ne pouvoir se déplacer et de rester trop faible pour diriger son royaume. Elle sentait les prémices du chaos s’installer petit à petit au palais, et se doutait que sa tante peinait à conserver sous sa poigne les seigneurs de Céläastra. On frappa à la porte et Ivawen se redressa.

- Dame Abæl désire vous voir, Votre Majesté, annonça-t-on.

- Qu’elle entre, dit la reine un peu déçue.

La porte s’ouvrit et sa tante entra dans la pièce. Elle avait fière allure, ceinte d’un diadème de bronze, dans une somptueuse robe verte rehaussée de noir. L’anneau de commandement de la reine brillait à son doigt et elle portait un rutilant collier de diamants et d’or au cou. Elle s’inclina devant sa nièce alitée puis tira une chaise pour s’asseoir près d’elle.

- Comment te sens-tu, Iva ? demanda-t-elle.

- Mal, ma tante, articula la reine. Je suis prise de nausées, je vomis régulièrement, tous mes muscles me font encore souffrir, j’ai un mal de crâne intolérable, je tremble et je dors trop. Et je ne peux pas me lever. Je suis bloqué dans un lit alors qu’il me faut diriger un royaume.

- Je m’en charge pour toi, sourit Mïlia. Tu dois te reposer pour guérir au plus vite.

- Ce n’est pas facile.

- Cesse de t’inquiéter, tu iras bientôt mieux.

- Aviez quelque chose à me dire en particulier, tante ?

- Plusieurs en réalité, soupira Dame Abæl. Cela fait près de deux semaines que ces hommes ont tenté de vous tuer Næri et toi. Cela t’a-t-il fait réfléchir ?

- Vous voulez me marier, tante ? fit Ivawen en éclatant de rire, ce qui lui fit affreusement mal aux côtes. Je règne de plein droit depuis dix ans, n’avez-vous pas compris que je n’avais pas l’intention d’épouser qui que ce soit pour l’instant ?

- Ivawen… Ne comprends-tu pas que cela vous rend vulnérable ? Un héritier assurerait votre dynastie, empêcherait les derniers traditionalistes de cette île de vouloir prendre les armes au nom des descendants du Vieux-Prince.

- Mïlia, s’il vous plait, souffla Ivawen. Nærisa est mon héritière. De plus, elle est enceinte, et sera bientôt mariée. Et rien n’indique que Neflindel soit derrière cette agression.

- Nærisa enfantera le [i]bâtard [/i]du dernier nobliau de Céläastra, lâcha Mïlia avec dédain. Et elle épousera [i]l’Enflammé[/i], à condition qu’il revienne vivant de la guerre où tu l’as envoyé. Mais soit. Si tu ne veux pas te marier, tu devrais songer à ce dont je t’ai parlé au moment où tu as ceint ta couronne.

- Tante, dit froidement Ivawen, n’évoquez plus jamais cette idée devant moi.

- Tu as écartelé tant de traitres, tu as détruit tant d’armées. Mais tu ne veux pas réduire à néant la plus grosse menace pesant sur toi ?

- Les enfants d’Agnyr n’avaient pas vingt ans ! s’écria la reine, d’une voix glaciale. Je le répète : n’évoquez [i]plus jamais[/i] cette éventualité devant moi ou même entre mes murs. N’oubliez jamais que les traitres que j’ai exécutés portaient les armes, pas mes cousins.

- Pardonne-moi, Iva, lui dit sa tante. Je me suis emportée. Mais comprends-moi, je n’ai pas envie de vous perdre. De plus, si vous veniez à mourir, ma Famille serait la première attaquée. Je pense aussi à mes filles…

- N’en parlons plus, tante, souffla Ivawen, fatiguée d’avoir haussé le ton. En parlant de fille, Séï s’en sort elle ?

- Elle remplit ses fonction sans se distinguer pour autant, dit Mïlia en se pinçant les lèvres. Son père serait fier d’elle…

Ivawen soupira. Sa tante n’avait décidément aucune mesure. Elle passa outre le mépris qu’elle sentait lorsque Mïlia parlait de son époux, et sa déception quand elle évoquait sa fille.

- L’enquête sur les assassins avance-t-elle ? demanda Dame Abæl.

- Mon Poing a interrogé Neflindel, raconta Ivawen. Tout comme moi, elle ne le croit pas coupable. Nærisa soupçonne Rylor Furiade, mais, Silya Ayën m’a affirmée qu’il se refuserait à un tel attentat, selon les informations qu’elle a recueilli. Je suis de son avis. Mes soupçons se portent d’avantage sur les lagorides, bien que cela soit une violation des codes de la guerre.

- Bon, articula Mïlia. Fais attention à cette femme Ivawen. C’est une étrangère, à peine débarquée sur l’Île. Je sais qu’elle vous a sauvé la vie, mais je trouve que tu l’as promue trop vite. Nous ne savons rien d’elle ! Nous n’avons aucune assurance, ni sur son passé, ni sur sa loyauté.

- Assez parlé de Silya, tante, dit calmement Ivawen. Comme vous l’avez dit, j’ai plusieurs fois dû réprimer des complots au sein même de mon île. Mais je n’ai jamais eu à me plaindre de mon Poing. Elle m’a prouvé sa loyauté, et je lui fais entièrement confiance. Maintenant, est-ce tout ?

- Non, je suis venue te donner des nouvelles du gouvernement. (La reine lui fit signe de continuer). Le Seigneur Desmopïl a mis ses troupes en branle et prendra la mer dès demain pour rejoindre Djiane.

- Excellent, éructa Ivawen.

- La Reine Malvace a embarqué aujourd’hui avec le gros de ses hommes, une cinquantaine de lames, ainsi que quelques guerriers elfes. Elle a décidé de rejoindre au plus vite son pays afin de déclencher la rébellion le plus tôt possible. Elle voudrait mener des opérations de guérilla au nom de son frère, afin de déclencher des mouvements urbains à l’intérieur d’Ostania. Souvaron et ses troupes viendront l’appuyer un peu plus tard et lui permettrons de reprendre son trône. Ils apportent plusieurs coffres remplis d’argent et de grains, afin de faire des promesses aux habitants des campagnes.

- Ce n’est pas idiot, réfléchit la reine. Il semblerait que j’ai sous-estimé cette jeune fille.

- Elle est presque aussi immature que Séïren, grinça Mïlia. Je ne sais pas si ce plan émane d’elle ou de Desmopïl lui-même, ce qui est très probable, étant donné que cela lui permet de moins exposer ses troupes. Néanmoins, cette stratégie pourrait bien nous apporter la victoire. J’ai demandé au capitaine Ivan, servant dans ma garde, de l’accompagner, et Souvaron lui a également alloué l’un de ses aides de camp.

Ivawen acquiesça. Le capitaine Ivan s’était distingué pendant la guerre civile en menant des troupes au combat avec talent. Bien qu’il ait perdu son bras droit, l’empêchant de porter les armes, il conseillait régulièrement Mïlia sur les stratégies militaires à suivre. Ivawen savait également que Souvaron Desmopïl veillait personnellement à ce que ses aides de camps aient une excellente éducation militaire.

- Qu’en est-il de nos alliés sorgosiens ? s’enquit Ivawen.

- Nous avons reçu une missive hier soir, raconta sa tante. Le général lagoride Nervas Sobraï ainsi que le prince Molloy ont subi une défaite dans les Kiwele, et se sont repliés plusieurs lieues en aval de leur position. Ils tiennent toujours dans l’est des collines. Au nord, les tribus sont parvenues à arrêter l’armée ennemie et espère la repousser sinon la vaincre grâce à l’appui de nos forces conduites par le Seigneur Ismos Oudaï. Notre corps expéditionnaire doit à présent être en plein cœur de la bataille.

- Excellent, répéta Ivawen. Nos plans se déroulent comme prévus. Rien n’est gagné, mais la victoire est au moins à notre portée. Avez-vous envoyé des renforts auprès de Noédor Edlla ?

- Oui, répondit sa tante, je lui ai alloué trois cent hommes, principalement des archers issus des terres royales, et son père a également envoyé cinq navires remplis de vivres, d’armes et de soldats. Il semble se débrouiller. Nous n’avons plus de nouvelles d’Erion Serra ni de [i]la Bâtarde du Golf[/i] depuis qu’ils sont partis pour le sud des Kiwele. Ce n’est guère étonnant, étant donné qu’il se trouve en plein désert, en train de combattre.

Ivawen resta silencieuse. Elle songea à Estë, qu’elle n’avait pas croisée depuis plusieurs années. Mais sa réputation de navigatrice n’était plus à faire. Elle espérait tout de même qu’Erion Serra n’allait pas honorer son surnom en prenant des risques inutiles.

- Que dise les médecins ? reprit Dame Abæl.

- Je devrais pouvoir me lever et marcher d’ici quelques jours, mais il faudra me ménager. D’après eux, Næri se remet mieux. L’étrange magie des assassins l’a irradiée moins longtemps que moi. J’espère qu’elle… (On frappa à la porte).

- Ma Reine, puis-je entrer ? demanda la voix de Silya.

- Entre, lui dit Ivawen. (Silya entra et s’inclina, en armure impeccable, les cheveux coiffés en queue de cheval). Tante, notre entrevue est terminée. Laissez-nous je vous prie. Il me faut m’entretenir avec mon Poing.

- Je… commença Mïlia. Bien Ivawen. Repose-toi. A plus tard.

Elle fit la révérence devant la reine, puis salua Silya d’un bref signe de tête, que l’humaine lui rendit. Une fois que la porte fut refermée, l’alizéenne vînt s’asseoir sur le lit et prit la main de son amante.

- Tu m’as manquée, lui reprocha l’elfe. Où étais-tu ?

- Tu m’as manquée aussi, Ivawen, souffla Silya en l’embrassant. (La reine la repoussa et la guerrière se releva pour commencer à défaire son armure). J’avais besoin de réfléchir. A ton agression, à notre relation, aux huit mois que j’ai passé sur l’Île. Ils tranchent avec mon ancienne vie.

- Raconte-moi. Ordre de ta reine, sourit Ivawen.

- Je ne vais pas entrer dans les détails, soupira Silya. Pas aujourd’hui. J’ai aimé une femme avant toi. Cela a duré des années. Elle est morte il y a trois ans. Il me fallait faire le point, voilà tout.

- Je suis désolée, souffla Ivawen. Et maintenant ?

- Je veux rester avec toi, et te protéger, lui dit-elle en s’approchant avec un petit sourire.

- Parfait, glissa la reine en lui prenant la main. Je vais avoir besoin de toi. Premièrement je ne veux plus que tu disparaisses pendant deux jours sans me prévenir. Tu es attachée à mon service, je te veux à mes côtés. Deuxièmement, je me sens fatiguée, las, et mon esprit embrumé par les fièvres est plein de problèmes à résoudre. J’ai également peur régulièrement depuis l’agression et je me sens seule. Je veux que tu restes avec moi chaque nuit que tu passeras au château. Il faudra aussi que tu m’apportes des nouvelles régulières de Nærisa.

- Je n’aime pas te voir ainsi, Iva, s’attrista l’humaine. Je préfère te savoir forte et inébranlable.

- Je redeviendrai ainsi, Silya, mais j’ai besoin de ton aide. De plus, il me faudra réagir aux nouvelles venues du front. En cas de défaite, je devrais trouver une parade le plus rapidement possible. En cas de victoire, je préparerais la paix de mon mieux. Tu as une bonne expérience militaire, tout comme moi. Et bien faire la guerre aide à forger la paix. M’aideras-tu ?

- Evidement, lui dit Silya avant de l’embrasser longuement.

- Bien. Maintenant reste avec moi, je vais tâcher de dormir un peu.


[b]An 1378 du Quatrième Âge, sud-est des Collines de Kiwele[/b]

Hroar Erlîn se tenait devant Ta’Kelm, le grand chef de la tribu Lance-de-Sable. Le visage recouvert d’un voile blanc, il toisait le nain d’un œil suspicieux. Une grosse griffe de bois remplaçait son pied droit. Son poing était fermé sur le manche d’une javeline et ses hommes encerclaient Hroar et ses cinq compagnons elfes. Erion Serra lui avait demandé d’accompagner son ordonnance, un jeune elfe du nom de Varia, chargé d’apporter un message à Ta’Kelm.

- Pourquoi le chef elfe serait-il accompagné d’un nain ? demanda le sorgosien d’une voix très grave. (Il parlait l’Antique Commun sans aucun accent).

- C’est un mercenaire, ayant rejoint l’armée de notre reine, Excellence, expliqua Varia. Notre chef, Erion Serra, le connaissait de longue date, et il a combattu avec vaillance.

- Je l’espère, répondit Ta’Kelm, on m’a dit que les nains étaient de farouches guerriers. Mais ne m’appelle pas [i]Excellence[/i], jeune homme. Ce titre est ridicule. Nous appelons les chefs de tribu « Sagesse ». Maintenant, délivre-moi le message de ton chef.

- Bien, [i]Sagesse[/i], fit Varia. Il vous propose d’agir de la façon suivante. L’ennemi est en nombre et s’apprête à combattre la tribu Œil-Braise en ce moment même dans la vallée. Le Seigneur Erion Serra vous propose de venir renforcer l’aile gauche des Œil-Braise, tandis qu’il chargera l’armée lagoride par le sud avec sa troupe, les obligeant ainsi à reculer hors de la vallée.

- C’est juste, réfléchit le chef. Nous nous battrons à deux contre trois, mais nous avons l’avantage du terrain. Une bataille rangée est risquée, mais nous n’avons plus le choix. Vous êtes arrivés à point nommé, elfes. Préviens ton chef, nous ferons comme il l’a suggéré.

Varia sorti un miroir de son armure et s’en servi pour réfléchir la lumière vers le sud-est. Le signal ne dura que quelques secondes, mais fut tout de même perçu par les hommes d’Erion qui y répondirent par la positive. Un instant plus tard, sur un ordre de Ta’Kelm, les sorgosiens relevèrent leur lances et invitèrent Hroar et les elfes à se réfugier à l’ombre d’un grand rocher. Le nain accepta de bonne grâce et s’installa près du chef. Les humains étaient un peu moins de trois-cents, tous armés jusqu’aux dents et montés sur de hauts chevaux. Hroar se contentait d’un gros poney, assez rapide au demeurant.

- Les hommes que tu amènes sont-ils de féroces guerriers, nains ? lui demanda Ta’Kelm.

- La plupart ont participé pendant six ans à la guerre du Vieux-Prince, raconta Hroar, allant de batailles en batailles. Les autres sont des soldats professionnels, entraînés à cela depuis des années. Et les votre, Sagesse ? lança le nain avec un sourire.

- Ce sont des enfants de Sorgoz, nain, répliqua le chef. Ils sont nés pour se battre, sous un soleil brûlant, dans la nuit froide, peu importe. J’ai entendu parler de la guerre du Vieux-Prince. Selon notre Guerrier-Roi, la reine elfe a remporté la victoire bien qu’en infériorité numérique. Il fallait de bons soldats pour cela. Je suis heureux de les voir combattre à nos côtés aujourd’hui.

- Qu’est-il arrivé à votre pied, Sagesse ? voulu savoir Hroar.

Son regard s’assombrit et sa bouche se tordit en un rictus menaçant.

- La tribu Lance-de-Sable était l’une des plus importantes avant cette guerre, dit-il. Plus de mille guerriers. Mais une armée lagoride nous a retrouvés et attaqués par surprise. Mon père, alors chef de tribu, est mort pendant la bataille. Je me trouvais à quelques lieues, avec les hommes que tu vois ici, nous revenions d’un coup de main victorieux contre un avant-poste. Nous avons vu les flammes au loin.

- Vous n’êtes pas obligé de me raconter, Sagesse Ta’Kelm. Je ne veux pas vous faire revivre ce moment.

- Je le revis tous les jours, nain, lâcha le sorgosien. Ils montèrent un campement à quelques lieues du massacre. Peut-être que l’odeur de plus de mille cinq cents cadavres les dérangeait. Avant de songer à la vengeance, nous devions libérer les rares prisonniers, surtout des guerriers, mais également des femmes et des enfants. Je me suis glissé dans leur camp, seul. J’ai libéré une dizaine des miens ligotés, qui ont rejoint mes hommes. C’est alors qu’ils m’ont pris. (Sa voix n’était plus qu’un murmure). Oh, ils ne m’ont pas torturé, non. [i]Ils ont égorgé ma mère et ma sœur sous mes yeux ![/i] Ils m’ont laissé devant leurs cadavres, le pied enchainé à un énorme piquet, avec une torche, pour que je puisse les voir, même dans la nuit.

Un cor retentit. Ta’Kelm se leva et fit signe à Hroar de l’accompagner. Il aboya quelques ordres, puis enfourcha son cheval. Le nain s’installa sur son poney et chevaucha aux côtés du chef. Ils trottèrent dans la plaine, vers la vallée où la bataille venait de commencer. Il leur fallait attendre un peu avant de charger.

- Ils voulaient me garder en otage, reprit Sagesse Ta’Kelm. Un chef de tribu a de la valeur, tu comprends. Mais ils ignoraient que ma mère gardait toujours sur elle un petit poignard, caché derrière son dos. Ne pouvant casser la chaine qui me retenait sans faire de bruit j’ai fait la seule chose possible. J’ai tranché un morceau de mon pied pour me libérer. J’ai cautérisé la plaie avec la torche, sans crier. La douleur était atroce, mais la haine me tenait éveillé.

- Et vous avez pu vous enfuir…

- Non, poursuivit le chef. J’ai mis le feu à l’une des tentes. Mes trois cents hommes ont chargé le camp alors que la panique s’emparait petit à petit des lagorides. Moi, boitillant, je cherchais le responsable. Le militaire aux cheveux blonds et à moustache, du nom de Joren, qui dirigeait cette troupe. Voilà des siècles que nous combattons les sédentaires. Ce type de massacre n’est pas dans les habitudes des Grand-Rois. Ce sont des chiens galeux, poudrés et minaudant, mais ils n’ont jamais ordonné l’exécution de quinze cents personnes d’un coup. Seulement Joren l’avait fait. Je me suis glissé dans sa tente silencieusement, et lui ai tranché la gorge. Mais le mal était fait. Il venait d’ordonner le rassemblement de tous les prisonniers au centre du camp, et de les piéger dans un cercle de flammes. Des archers leurs tiraient dessus, et ceux qui y échappaient finissaient brûlés vifs. Mes soldats sont arrivés trop tard pour arrêter cette mise à mort.

- Je suis désolé, ne put s’empêcher de dire Hroar.

- Sur les deux cents prisonniers fait par les lagorides, seuls vingt-huit s’en sortirent. Les soldats du Grand-Roi périrent tous leurs propres flammes, poussés par mes hommes. Vous savez tout nain. Pourquoi je n’ai plus de pied, et pourquoi je me battrais jusqu’à ma dernière goutte de sang pour expulser de mon pays les envahisseurs. Regardez en contrebas. (La bataille faisait rage). Attendons quelques instants, et allons-y. Je vais en profiter pour m’adresser à mes hommes.

Hroar acquiesça et l’homme se retourna. Il se lança dans un discours dans sa langue, que Hroar ne comprit pas du tout. Les accents tonitruant qu’il employait suffirent toutefois à galvaniser le nain. Il fixa à son bras le bouclier accroché à son poney, puis tira le sabre qu’il avait emprunté, beaucoup plus adapté qu’une hache aux combats à cheval. Il avait chaud, et lorsque Ta’Kelm s’élança en hurlant, il le suivit avec plaisir. Son histoire l’avait chamboulé. Il avait vu des batailles, des massacres, mais, tout comme le récit qu’Erion avait fait de la destruction de son fort pendant la guerre du Vieux-Prince, la description de Ta’Kelm était glaçante. Il avait été heureux d’apprendre qu’aucun lagoride ne s’en était sorti. Tout cela n’était que [i]justice[/i]. Des sorgosiens le dépassèrent en criant. Son poney ne pouvait se maintenir à leur hauteur. L’armée ennemie, surprise par cette attaque à cheval, ne se débanda pas, et se jeta dans le combat. Hroar bloqua une frappe et trancha le cou d’un adversaire. Il se retourna un peu sur sa selle, échangea quelques coups avec un gros guerrier ennemi, en armure complète, et tenta de le frapper à la tête. Le casque de son adversaire résista et l’humain donna un coup d’épée au poitrail de sa monture. Hroar rugit et lui envoya un coup de pied dans le menton. L’homme perdit l’équilibre et fut piétiné par un sorgosien.

Le nain s’enfonça dans les rangs ennemis, et en jeta deux à terre. Il avait pour une fois l’avantage de la taille, qui compensait un peu sa faible allonge. Soudain les lagorides s’écartèrent devant lui, pour laisser passer un gigantesque guerrier. Il portait une grande lance à la main, et Hroar, désavantagé, voulu reculé et chercher du soutien. L’homme ne lui en laissa pas le temps et transperça le poitrail de son poney avec sa lance, qui se brisa sur le coup. Le nain se jeta à terre avant que le cadavre de son équidé ne l’écrase. A peine s’était-il relevé, que déjà l’homme était sur lui. Il maniait une grosse épée et un large bouclier, avec lequel il envoya valser le sabre du nain, qui se réfugia derrière son propre bouclier. Plusieurs frappes plurent dessus avant que Hroar ne puisse s’écarter suffisamment. Il ignorait si des ennemis ou des amis l’entouraient, il n’avait d’yeux que pour son formidable adversaire. Il rejeta les débris de son bouclier, tira la hache d’arme accrochée dans son dos et s’approcha de lui. Il évita le premier coup d’épée, puis tenta de l’atteindre au genou. Sa hache ne rencontra que le bouclier. Il évita un second coup d’épée, puis un troisième, avant de parvenir à placer un coup dans le bas-ventre de son adversaire. Furieux, celui-ci le repoussa en lui mettant son bouclier dans la gorge, protégée par un épais gorgerin, et le frappa de sa lame. Hroar recula mais l’arme érafla tout de même son plastron, dans une gerbe d’étincelles. Il para une nouvelle frappe, puis esquiva un coup de pied, avant de saisir une ouverture et de toucher l’humain au poignet. L’homme recula d’un pas, et d’un coup de hache, Hroar lui arracha son bouclier. Il courut ensuite pour éviter un nouveau coup d’épée. Le guerrier se jeta sur lui et le nain bloqua ses attaques tant bien que mal. Il manquait sérieusement d’allonge, mais son adversaire était blessé. Il respira et chargea. Avant d’avoir atteint le guerrier, Ta’Kelm passa devant lui à cheval et enfonça sa lance dans le thorax du soldat.

- Suis-moi, nain ! cria le chef de tribu.

Hroar se précipita derrière lui. Les lagorides perdaient du terrain. De loin, le nain put apercevoir Erion, debout sur son cheval. Ses cheveux auburn volaient tout autour de lui, et son [i]koranen [/i]distribuait des coups un peu partout. Hroar le vit mettre au tapis un soldat monté, puis le flot des combats lui fit perdre son ami de vue. Le mercenaire esquiva un coup de lance, puis deux et parvînt à briser la javeline qu’on dardait sur lui. Son propriétaire fut rapidement tué par un sorgosien qui surgit derrière lui. Avec un cri de guerre, le nain reparti dans la mêlée. Il se baissa pour éviter d’être décapité, puis repoussa son adversaire et le fit chuter. Il leva sa hache au-dessus de sa tête. L’homme, jeune, se couvrit le visage de ses bras, érigeant une dérisoire protection. Hroar lui fendit le crâne, puis vit Ta’Kelm en difficulté, à pied, son cheval mort gisant à quelques pas de lui. Il se précipita pour l’aider. Il trancha par surprise la jambe de l’un des assaillants avant de l’achever, puis, dos-à-dos avec l’humain, se prépara à combattre une demi-douzaine de soldats.

- Tu es venu t’amuser avec moi, nain ? s’écria le chef en bloquant un coup d’épée, avant d’ouvrir la carotide du soldat d’un geste fluide.

- Six ? fit Hroar en riant. C’est peu !

Il regarda l’adversaire qui lui faisait face, fit un pas vers lui, puis se jeta vers un homme attaquant Ta’Kelm et le tua d’un coup de hache dans la poitrine. « Droite ! hurla le sorgosien ». Les deux combattants se jetèrent dans la direction indiquée et défirent rapidement l’un de leurs assaillants, avant de se retourner contre les trois derniers, déjà sur eux. Hroar bloqua difficilement trois coups de marteau et recula précipitamment. Il fit une roulade pour éviter une formidable frappe verticale. En se relevant, il vit que son adversaire venait à peine de retirer son arme du sol. Il plongea sa hache dans le dos offert. Ta’Kelm saignait de l’épaule et reculait. Le nain se rua à son secours, mais n’eut pas le temps d’intervenir. Trois sorgosiens décapitèrent rapidement les soldats restant, du haut de leurs chevaux. Le nain observa le champ de bataille. On comptait nombre de morts parmi les sorgosiens, et également parmi les elfes. Néanmoins, où qu’il portait le regard, les cadavres des soldats du Grand-Roi étaient les plus nombreux.

- Meurt, saleté de nain ! rugit un humain en lui envoyant un coup d’épée.

Hroar eut à peine le temps de bloquer. La force titanesque de l’homme lui fit perdre l’équilibre. Après un deuxième coup aussi formidable que le premier, il lâcha sa hache, son épaule droite endolorie. D’un bond, il esquiva une nouvelle frappe et se faufila sous la lame de son adversaire. Il parvînt à ramasser sa hache mais un autre homme l’attaqua sur sa gauche. Il para sans problème. Avisant le mauvais appui de cet humain, il le repoussa violement, puis, une fois à terre, lui coupa la tête. Le nain se tourna précipitamment vers son premier adversaire qui se jetait sur lui. Il recula face à l’allonge de l’homme. Enfin il fit un pas vers lui et l’humain leva son épée. D’un coup rapide, Hroar lui entailla profondément la hanche. Il tenta de l’atteindre tout de même, mais le nain n’eut aucun mal à esquiver, puis à l’achever.

Autour de lui la bataille cessait. Les lagoride étaient moins nombreux. Il aperçut un elfe non loin et le héla. Le soldat le hissa en croupe et Hroar put se rendre compte de ce qui se passait. Les combats étaient finis et le gros des forces lagorides encore présentes se débandait. Les elfes, qui avaient subis de lourdes pertes, se rassemblaient. Ta’Kelm avait trouvé un nouveau cheval et chevauchait à présent, faisant signe à toute sa tribu de se rallier à lui. Ses vêtements blancs étaient à présent rouges de sang. Les effectifs des Lance-de-Sable s’étaient réduits, mais il restait encore, selon les estimations de Hroar, deux cents trente combattants. Les elfes étaient largement moins nombreux, sans que le nain ne puisse expliquer de telles pertes. La tribu Œil-Braise sembla également se rassembler. Hroar aperçut enfin Erion un peu à l’écart, et fut soulagé. Son ami, saignant de la poitrine, discutait avec un grand homme à la peau légèrement moins noire que celle de ses compatriotes, et était accompagné du capitaine Estë, qui ne souffrait d‘aucune blessure. L’homme noir pressait sur son cou un chiffon tâché de sang. Ta’Kelm se rapprocha d’eux, et, l’apercevant, Erion fit signe à Hroar de les rejoindre. Le nain mit pied à terre et s’exécuta. Il salua les nouveaux venus.

- Heureux de voir que tu n’as pas été blessé, Hroar, lui dit Erion Serra. Voici Qaem, chef de la tribu Œil-Braise.

- Belle bataille, nain, fit le dénommé Qaem d’une voix très grave. Nous avons subi quelques pertes, mais notre tribu est encore largement en mesure de combattre. (Il se tourna vers Erion et Estë). Grâce à votre renfort, nous avons réussi à libérer la vallée. Avez-vous fait le tour de vos troupes ?

- Nous avons perdu une soixantaine de valeureux combattants, expliqua Ta’Kelm avec amertume. Mais nous en avons tué deux fois plus chez l’ennemi.

- Presque la moitié de mes hommes a succombé, détailla Erion d’une voix blanche. Nous l’ignorions alors, mais le flan que nous avons chargé était composé de troupes d’élites. Ils ont réagi assez vite pour nous infliger de lourdes pertes.

- Nous chanterons leurs louanges, s’écria Ta’Kelm, leur sacrifice n’a pas était vain.

- En effet. Il nous faut repartir à l’attaque, planifia Qaem.

- Vous comptez poursuivre l’armée lagoride ? demanda Hroar.

- Oui, lui dit Qaem, nous avons l’avantage, et il nous faut en profiter. Ce front est mineur, mais nous pouvons repousser définitivement les envahisseurs du sud des Kiwele. Une telle victoire aura une grande répercussion chez les notres.

- Plusieurs d’entre nous sont blessés, et nous avons des prisonniers à garder, intervînt le capitaine Estë. Tous ne pourront pas vous suivre.

- Ma tribu restera ici, pour surveiller les prisonniers et s’occuper des blessés, proposa Ta’Kelm.

- Je vous allouerais les deux tiers de mes soldats, dit Erion à Qaem, il ne sera pas dit que les elfes ne prendront pas part aux combats. Ma blessure m’empêche malheureusement de vous accompagner.

- Très bien, admit Qaem. Je prendrai le commandement de la troupe. Il nous faut faire vite. Je vous demanderez de rassembler les hommes qui viendront avec moi. A tout de suite.

Tandis qu’Erion s’en allait au galop chercher ses hommes et donner des ordres, Hroar s’approcha du capitaine Estë.

- Comment allez-vous, mon ami ? demanda-t-elle.

- Quelques ecchymoses, peut être un hématome, mais je m’en suis bien tiré. Et vous ? Où étiez-vous durant la bataille ?

- J’observais de loin, expliqua le capitaine. Après que les lignes ennemies eurent cédées, je me suis rapprochée, et ai rejoint Serra à la fin des combats. Vous vous battez bien, d’autant que je puisse en juger.

- Merci, sourit le nain, c’est bien mon seul talent !

- Approchez, guerrier, lui ordonna-t-elle, que je regarde vos blessures.

Hroar lui obéit, et marcha vers elle. Il défit son gorgerin, lui montrant l’ecchymose qui marbrait son cou, suite à son combat face au géant humain. L’elfe retira un pot en verre des fontes de sa selle et s’agenouilla près de lui. Elle massa la blessure en étalant dessus une pommade odorante. Hroar se détendit sous ses mains douces.

- Cette crème devrait vous apaiser, et ralentir la formation d’un hématome. C’est tout ce que je peux faire pour l’instant. Et les quelques chirurgiens elfes sont trop occupés avec les blessés plus grave. Montrez-moi le reste.

Hroar déboucla difficilement son armure et Estë s’approcha. Elle recouvrit les plaies qu’elle put atteindre de pommade, et massa l’épaule de Hroar, douloureux depuis la fin des combats.

- Où avez-vous trouvé cette armure, Hroar ? s’enquit l’elfe.

- Erion Serra l’a faite forger pour moi par un artisan de Céläastra. Un ouvrier de talent, bien qu’elle ne vaille pas la qualité du métal de l’Empire.

Estë sourit devant cette affirmation. Quand elle eut fini de le masser, elle l’aida à revêtir son plastron. Elle prit son cheval par la bride et marcha aux côtés du nain pour rejoindre Erion. Qaem était parti et les sorgosiens restant s’étaient rassemblés. Il s’agissait principalement de membres de la tribu Lance-de-Sable, mais quelques Œil-Braise blessés se trouvaient également avec eux. Les elfes, une cinquantaine, légèrement blessés pour la plupart, étaient entre eux. Serra, lui, discutait avec Ta’Kelm. Les nombreux guerriers présents encerclaient une grosse soixantaine de prisonniers lagorides. Le groupe se massa à l’ombre d’une colline. Hroar et Estë arrivèrent peu après devant le chef sorgosien et Erion Serra, qui avait laissé tomber son plastron et dont la poitrine était recousue. Ta’Kelm regardait d’un œil soupçonneux le capitaine Estë.

- Combien avons-nous de prisonniers, Sagesse ? demanda Erion.

- D’après mes hommes, soixante-douze, répondit l’homme d’une voix froide. Je suggère de nous retirer un peu plus au nord pour panser nos blessures. De nouveaux combats nous attendrons les jours suivants.

Erion acquiesça et ils s’éloignèrent tous. Ils marchèrent environ une demi lieue avant de trouver un endroit abrité du soleil suffisamment vaste pour les accueillir tous. Erion et Ta’Kelm lancèrent des ordres et les prisonniers furent rassemblés à l’écart. Hroar s’installa contre la roche nue et Estë vînt s’asseoir à côté de lui.

- Puis-je vous poser une question, Dame elfe ? demanda-t-il. (Elle acquiesça). Vous êtes la première elfe que je rencontre à n’avoir jamais fait cas de mon état de nain. Et bien que cela me fasse grand plaisir, j’ai du mal à comprendre pourquoi.

- Eh bien, expliqua l’elfe, je suis moi-même une bâtarde voyez-vous. Dans ma vie j’ai connu deux types de personne. Certains me rejetaient du fait de ma condition, me regardaient avec mépris, sans rien oser dire, car je restais la fille de l’un des principaux seigneurs de l’Île. Les autres ne m’ont jamais reproché ma naissance illégitime, et m’ont jugée pour ce que j’étais. Je préfère faire partie de la seconde catégorie. J’avais tout de même quelques préjugés, vis-à-vis de vous, sourit-elle, mais en apprenant à vous connaître, j’ai pu faire la part des choses.

Hroar hocha la tête, satisfait de cette réponse. Il s’allongea contre la paroi et ferma les yeux, désirant récupérer un peu. Rapidement il s’assoupi. Son sommeil fut tranquille pendant un moment, jusqu’à ce qu’un bruit métallique ne le réveille. Ses réflexes de soldats le firent se lever dans l’instant. Il observa les alentours. Estë avait disparu. Plusieurs sorgosiens couraient dans la direction des prisonniers. Hroar saisit sa hache et s’élança à leur suite. Quelques secondes plus tard il put observer la situation. Deux sorgosiens étaient par terre, assommés, deux autres, un Œil-Braise et un Lance-de-Sable blessés, avaient la gorge tranchée. Les prisonniers couraient en tous les sens et une dizaine d’entre eux, armés de poignards, formaient un rempart dérisoire face aux hommes noirs qui se précipitaient vers eux. Le nain n’eut pas le temps de se joindre aux combats. Ta’Kelm et plusieurs de ses guerriers le dépassèrent à cheval et contournèrent les quelques prisonniers pour se lancer à la poursuite des captifs qui s’enfuyaient. Si un des membres des Lance-de-Sable fut blessé à la tête par les prisonniers armés, les autres virent facilement à bout de la menace, massacrant ces hommes, qui refusèrent de se rendre.

- Nous étions tous endormis ou occupés avec les chirurgiens lorsque les prisonniers se sont soulevés, expliqua Erion Serra qui avait rejoint Hroar. Cela ne sert à rien, ils seront rattrapés en un instant.

En effet, il ne fallut attendre que quelques minutes avant que tous les captifs ne soient rattrapés. Ta’Kelm galopait entre eux, le visage tordu par la colère. Les elfes et les hommes noirs encerclèrent les lagorides. Le chef des Lance-de-Sable mit pied à terre devant la dépouille de son compagnon mort. Hroar se rapprocha. Il vit l’homme fermer les yeux de son compatriote et l’entendit murmurer « je t’aimais bien, ami ». Il donna des ordres secs autour de lui et ses hommes acquiescèrent puis éloignèrent les corps, en prenant soin de séparer les morts sorgosiens des morts lagorides et les Lance-de-Sable des Œil-Braise. Le chef se remit en selle et avança au trot, toisant avec mépris les hommes blancs qu’il avait en face de lui. Estë s’approcha d’Erion et de Hroar.

- Sédentaires ! rugit le chef. Vous avez perdu une bataille et nous vous avons chassé d’une terre qui nous appartient. Prisonniers, vous avez été bien traités, comme le veulent les codes de notre peuple. Vous qui ne respectez aucune règle, vous êtes allez trop loin, lagorides, votre guerre infâme qui ensanglante mon pays depuis des mois, votre guerre terrible et destructrice mérite vengeance. Vous cesserez de tourmenter mon peuple, et vous vivrez dans la peur, comme nous y vivons depuis trop longtemps ! Et cela commence [i]maintenant [/i]!

Des acclamations fusèrent dans les rangs sorgosiens, et Hroar, malgré le soleil brûlant, senti une sueur froide lui parcourir l’échine. Une main glacée sembla se fermer sur son cœur. Il observa Ta’Kelm qui criait dans sa langue. Un Œil-Braise cria en retour, semblant, à son intonation, protester. Le chef se retourna en regarda un instant les elfes. Se concentrant à nouveau sur les siens, il dit en Antique Commun :

- Lance-de-Sable ! Il est temps de venger les notres. Tuez ces prisonniers.

- Justice ! hurla une voix derrière lui.

- Non ! cria Erion. Ta’Kelm, nous avons participé à la bataille, nos pertes furent énormes. Ces prisonniers sont autant les notres que les votres. Je n’accepterais pas une telle exécution.

- Sagesse ! rugit un Œil-Braise, le bras en écharpe, dans un Antique Commun approximatif. Sagesse, je vous supplie de renoncer. Les prisonniers sont échangés contre rançon, ou utilisés comme serviteurs. De plus, l’elfe dit vrai, rien ne nous autorise à disposer de ces prisonniers si nos alliés ne sont pas d’accord. Voulez-vous nous maudire ?!

- Les Esprits du désert répondent au sang par le sang, prophétisa Ta’Kelm, d’une voix calme. Vous opposez-vous à moi ?

- Les Esprits ne demandent qu’une vie pour une autre, répondit un second Œil-Braise. Oui, Sagesse, nous nous opposons à vous.

- Je n’ai jamais aimé les Œil-Braise de toute façon. Vous nous combattez depuis des siècles. Lance-de-Sable ! s’écria-t-il. (Les hommes dégainèrent en criant). Plus de mille cinq cents morts. N’oubliez jamais. Exécution.

Hroar sorti immédiatement sa hache et poussa le capitaine Estë derrière lui. Il plissa les yeux et observa les hommes noirs.

- Elfes ! rugit Erion. Il ne sera pas dit que Céläastra aura un massacre de prisonniers sur la conscience !

- Pourquoi se battre et mourir pour nos ennemis, protesta un elfe, bientôt soutenus par quelques autres.

- Parce que si vous survivez, soldat, Ivawen vous fera pendre, lui répondit Estë, calmement.

Aucune autre protestation ne s’éleva des rangs des elfes et Erion leur ordonna quelque chose dans sa langue. Ils formèrent un cercle autour des soldats captifs encore en vie, et repoussèrent les Lance-de-Sable. Les quelques Œil-Braise restant se joignirent à eux.

- Vous êtes fou, Sagesse, s’écria Estë, toujours derrière Hroar. Tout le monde vous traquera.

- Moi ? fit Ta’Kelm en la regardant avec dégoût. Mais je n’ai rien fais. Nous poursuivions une troupe lagoride en maraude, mais elle nous a filé entre les doigts et est parvenue à vous massacrer. Nous l’avons cherchée, mais pas retrouvée, quel dommage.

- Ces hommes n’ont pas massacrés votre tribu, Ta’Kelm ! s’écria Hroar. Ce ne sont que des soldats !

- Ne vous fatiguez pas, maître nain, dit sobrement un lagoride gradé. Ces chiens nomades n’ont pas d’honneur, et ne respectent rien. Je ne mourrais pas à genou. Donnez-moi une arme et nous nous battrons.

- Quel [i]honneur [/i]y a-t-il à massacrer des enfants et à violer des femmes qui n’avaient jamais porté les armes ! répondit Ta’Kelm. Des vieillards qu’il fallait transporter en civière ! Ne parlez pas d’honneur, sédentaires ! Je vais vous montrer notre force, je vais vous faire goûter au courroux du désert ! A partir de ce jour, vous craindrez notre colère et ne poserez plus un seul pied botté sur nos terres !

Sagesse Ta’Kelm étendit la main en rugissant et ses hommes s’élancèrent. Les elfes desserrèrent leur cercle et se jetèrent dans la bataille. Le nain para un coup et tua rapidement un sorgosien. Il vît Erion décapiter l’un des hommes noirs puis reculer en se tenant la poitrine. Les elfes combattirent vaillamment, mais, en sous nombre et blessés pour la plupart, ne purent endiguer l’avancée des Lance-de-Sable. Les membres de la tribu Œil-Braise furent les premiers à mourir. Certains lagorides, à qui les elfes avaient pu passer des armes, se défendirent du mieux qu’ils purent, mais furent rapidement débordés. Hroar reçu un violent coup au genou qui le fit chuté. Il tenta de se relever, mais deux sorgosiens le désarmèrent et l’immobilisèrent. Les combats cessaient, et Ta’Kelm se rapprocha.

- Quel dommage, Hroar, je commençais à t’apprécier… Apportez la fille, ordonna-t-il calmement.

Estë se débâtie, mais ne put résister à la force des trois hommes qui la menait vers le chef. Elle parvînt à gifler l’un de ses assaillants, qui la frappa en retour. Ils la poussèrent ensuite au sol devant Ta’Kelm. Hroar cria et tenta de repousser les hommes qui le retenaient pour rejoindre l’elfe, mais reçu un coup sur la nuque et s’évanouit.

Lorsqu’il se réveilla, il était nu et avait les pieds attachés. Ses mains étaient libres et il se demanda pourquoi. A côté de lui, Erion Serra, nu également, remuait. Il vit également Estë, qui ne bougeait pas, allongée sur le ventre, nue elle aussi. Il rampa vers elle et la retourna pour la réveiller. Elle ne broncha pas, et le nain fut saisit d’horreur en voyant son corps couvert de bleus et d’hématomes. Les sorgosiens avaient dû la frapper violement, jusqu’à l’assommer de douleur. Elle respirait, mais Hroar ne fut pas rassuré pour autant. Il releva la tête. Il n’y avait plus un seul elfe debout.

- Ils se sont battu jusqu’à la fin, murmura Erion. J’ai été l’un des derniers à tomber, mais je ne sais pas pourquoi, ils m’ont laissé en vie. Plus de cinquante de mes hommes ont été tués par leurs propres alliés. Quel gâchis.

Il cracha un peu de sang par terre. Hroar ne pouvait lui donner tort, mais il s’inquiétait en premier lieu du sort des vivants, eux. Il était trop faible pour se relever, mais aperçut tout de même des mouvements près de lui. Il regarda vers le ciel et put voir Ta’Kelm.

- Les soldats que vous avez cherché à défendre sont tous morts, lui dit-il. Mais vous étiez les chefs de nos alliés. Et vous vous êtes retourné contre nous. A cet égard, j’estime que votre supplice se doit d’être plus lent. Relevez-les.

Hroar et Erion furent violement mit debout, leurs bras maintenus par les humains. Les sorgosiens amenèrent alors des poutres de bois et les attachèrent ensemble. A la vue de ce spectacle Erion poussa un cri de terreur. « Non ! » hurla-t-il. « Non, je vous en prie, non ! ». Il se dégagea et se cacha les yeux des mains, puis se recroquevilla par terre. Hroar tenta de venir à son aide, mais on le maintenait trop fermement. C’est alors qu’il comprit en voyant les humains installer de grandes croix, qu’ils adossèrent à une paroi rocheuse, face au soleil. Lui aussi cria et se débâti, il vociféra sa rage et son chagrin alors que l’on attachait les bras et les jambes d’Estë, inconsciente, aux poteaux. C’est alors qu’il vit qu’Erion s’était évanoui. Il perdit toute volonté et se laissa transporter lui aussi, tout en fermant les yeux.

Lorsqu’il les rouvrit, le soleil l’aveuglait. Les sorgosiens avaient disparus, mais il restait, dans la chaleur du désert, l’odeur fétide des cadavres en décomposition. Il y en avait plus d’une centaine, mais aucun n’était sorgosien. Attaché sur sa croix, le nain observa Erion, saignant de la tête, toujours inconscient. Estë s’était réveillée.

- Capitaine, lui demanda-t-il d’une voix faible. Comment vous sentez vous ?

- Mal, Hroar, répondit Estë d’un ton monocorde. J’ai mal partout. Ils m’ont frappée, mais heureusement, ne m’ont pas violée. Je ne l’aurais sûrement pas supporté. Que leur avais-je fais ? Ils ne supportaient pas qu’une femme, elfe qui plus est, ne les défis.

- Je vais tenter de me libérer, Estë, peut être en usant le cuir de mes liens.

- A quoi bon lutter, mon ami ? soupira l’elfe. Nous allons mourir.

Hroar protesta, s’activa, remua, mais rapidement ses forces l’abandonnèrent. Sa peau le brûlait, il avait les yeux rivés au sol, ses cheveux lui donnait l’impression de prendre feu, tout comme sa barbe. Le ciel était tantôt bleu, tantôt noir, tantôt blanc, et bientôt il ne vit plus que des tâches de couleur. Il eut l’impression de s’évanouir pendant quelques secondes. Il ne savait pas depuis combien de temps il restait là, au soleil, mais cela lui parut des heures. Enfin il entendit Estë s’exprimer d’une voix faible.

- Je t’attends, disait-elle. Je te vois. Je… revois mon palais. Qu’elle beauté… Encore… s’il te plait… Dit… dit le moi… encore. Je… revois… ton… lit, je… sens… encore tes mains… Oui. Le soleil… si beau… et le ciel… le ciel est si bleu… si… bleu, oui…

Estë avait les yeux beaucoup plus clairs que d’habitude et de la sueur coulait dans sa bouche. Elle répéta cette phrase plusieurs fois. Puis, dans un souffle, lança des « bleu », des « beauté » et des « oui », avant de s’arrêter. Alors que le silence s’abattait sur la vallée, Hroar eut l’impression d’apercevoir les Kiwele, bien qu’elles lui soient cachées par la paroi à laquelle sa croix était adossée. Dans le tourbillon de couleur de son crâne, il eut l’impression de que ses yeux pouvaient traverser la masse que formaient les collines. Il parcourut le désert, traversa des plaines arides, passa près des frontières avec le royaume lagoride. Il vit même le fleuve Roi-Soleil, qui abreuvait les terres des Grand-Roi. Puis, soudainement, apparurent les montagnes où il avait grandi. Ces yeux pleurèrent, mais il ne put les fermer, il survolait le monde avec. Il revit les plus hauts sommets du monde, la capitale de l’Empire, l’Empereur sur son trône, les armées dans les vallons, les fermiers et les mineurs, le bord de mer, toutes les tribus. Il descendit en flèche vers les contreforts de l’est, vers la moyenne montagne qui l’avait vu naître et… [i]« Loreleï… »[/i] murmura-t-il. Il se senti enfin apaisé. Il oublia tout devant son amour retrouvé… Puis, dans le lointain, il perçut le martellement de sabots sur le sol nu. Il entrouvrit une paupière. Trois ombres bougeaient loin devant lui. Lumineuses. Le soleil se reflétait dans des armures étincelantes.
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Pas mal cette bataille !

Enfin la première partie avec la reine aussi mais c'était toujours mou sans vraiment de grandes annonces :P Je m'attendais pas à ce que ça se finisse comme ça ! Mais bon, les trahisons rendent les choses toujours plus piquantes ! Au moins, on ne sait jamais ce qu'il va se passer :P !

Suite !

@+
-= Inxi =-
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Bonsoir à tous !

Voici la suite, avec un peu de retard. Étant donné que j'ai fini de rédiger l'histoire, j'aimerai savoir si, pour vous, chers lecteurs, cela pose un problème si j'accélère le rythme de publication (un chapitre tous les dix jours au lieu d'un toutes les deux semaines), sachant qu'il reste cinq chapitre et un épilogue ? En tout cas, j'espère que vous apprécierez


[center][u][b]Chapitre XXIV[/b][/u][/center]

[b]An 1378 du Quatrième Âge, Palais Royal de Céläastra[/b]

Séïren se sentait reposée. Fatiguée, elle avait dormi une partie de l’après-midi. En regardant par la fenêtre, elle vit que la nuit tombait. Elle se redressa, attrapa un flacon d’eau claire, posé sur sa table de nuit, et bu avidement. Elle repoussa l’épais volume sur lequel elle s’était endormie, [i]Grandes artères et voies de communication, les routes maritimes des mers du sud[/i]. Elle tendit la main pour prendre la lettre en provenance de la Presqu’île du Goéland qu’on lui avait faite parvenir plus tôt dans la journée. Elle déroula le manuscrit pour le relire :

[i][right]A l’attention de Dame Séïren Abæl[/right]
Mon amie,
Nous voici assiégés dans la Presqu’île du Goéland. Les renforts envoyés par mon père et Dame votre mère me sont parvenus hier. Nous avons réussi à repousser toutes les tentatives de l’armée du Grand-Roi pour venir à bout de notre défense. Je mène les opérations depuis le fortin de la Mouette, et combat tous les jours pour défendre les possessions de Sa Majesté. Il y a trois jours, j’ai mené une opération risquée sur les terres lagoride. Mon plan consistait à contourner l’armée avec une centaine d’hommes et attaquer leur arrière-garde, pour me replier ensuite, en ayant peut-être incendié quelques installations et catapultes, très dangereuses pour nous. Les éclaireurs ennemis nous ont malheureusement repérés peu après notre débarquement, et ont détruit nos navires. J’ai réussi à fuir avec le gros de mes troupes et à me cacher dans un bois. Nous en avons ensuite profité pour attaquer un manoir fortifié non loin, que les humains appellent « Morne-cœur ». Le maître des lieux et sa famille sont aujourd’hui prisonniers à mes côtés. J’ai laissé ma garnison là-bas, et suis reparti, accompagné d’une dizaine d’hommes, avec notre prisonnier et ses deux enfants, pour le point de rendez-vous convenu avec mes aides de camp. Nous avons repris la mer et je suis désormais au sommet de l’Albatros, pour vous écrire en toute sécurité. Si vous aviez été avec moi, Séïren ! Ces humains étaient tellement stupides que j’avais l’impression d’avoir à faire à des orcs !

J’espère que nos souveraines bien aimées vont désormais mieux. Néanmoins je suis heureux que nul n’ait pu, malgré cette traitrise, mettre fin à leur règne. Je profite de cette lettre pour vous faire une requête. J’ai reçu des renforts, mais je manque cruellement de machines de guerre pour défendre ma position, ainsi que de navires de petites tailles pouvant naviguer en bas-fonds pour bombarder les colonnes ennemies présentent sur l’isthme de la Mouette. Si vous pouviez intercéder auprès de Dame Mïlia pour que l’on m’en fasse parvenir, cela me serait d’une grande aide. En sécurisant le front nord, j’espère pouvoir conquérir des terres autour de Morne-fort, afin de mener la vie dure à nos ennemis.

Je suis persuadé que vous vous en sortez pour le mieux au sein du gouvernement. Mon père sera ravi de voir que ma future épouse est une femme de premier plan. Je vous promets de vous offrir la Presqu’île du Goéland en présent de mariage.
[right]Avec toute mon affection,
Noédor Edlla[/i][/right]

Séiren roula soigneusement la lettre. A la première lecture, elle avait était ravie de voir que son amant s’en tirait bien. Elle avait immédiatement prévenu sa mère pour qu’elle lui livre les renforts logistiques demandés. Peu après sa sieste, sans qu’elle ne se l’explique, Séïren avait néanmoins songé à Balas, l’homme qu’elle avait tué à Korih. Elle ne pouvait s’empêcher de se dire que nul n’était à l’abri d’une trahison, ou d’un défaut de son plan d’origine. Elle décida de se lever. Elle aurait voulu tout raconter à Noédor. Les difficultés qu’elle rencontrait au sein du Conseil, les affronts quotidiens que lui faisait subir sa mère, sa solitude en l’absence de ses cousines. Elle voulait lui dire surtout qu’elle l’aimait, et qu’elle avait hâte de le retrouver et de l’épouser. Elle aurait aimé le prévenir également de ne pas prendre trop de risques, d’éviter les attaques risquées, ou, du moins, de les confiées à des guerriers plus expérimentés que lui. Dans sa lettre précédente, Noédor précisait qu’il avait été blessé à l’épaule. Elle aurait préféré que cela ne se reproduise plus. Elle s’assit à son bureau et alluma une bougie. Elle ramassa un morceau de parchemin, le lissa et attrapa son encrier. L’elfe se mit à réfléchir, se demandant par où commencer. Finalement elle écrivit :

[i][right]A destination du Seigneur Noédor Edlla[/right]
Mon ami,
Je suis ravie d’apprendre que notre invasion des terres lagoride et leur défense se passe pour le mieux. Je n’en attendais pas moins de vous. J’ai avisé ma mère de vos difficultés en termes logistiques dès que votre lettre m’est parvenue. Elle vous enverra ce que vous demandez. Au Conseil, ma mère me tourmente et me met à l’épreuve, méthodes que je lui reconnais bien. Je vous avoue que cela me fait souffrir, mais je parviens à l’endurer. J’essaye de rester la plus concentrée possible sur mon travail, et de diriger au mieux le royaume. Ivawen et Nærisa vont mieux désormais. Elles se remettent difficilement de l’attaque, mais pourront vraisemblablement reprendre sous peu les rennes du royaume.[/i]

Séïren réfléchit un instant. Finalement elle ajouta quelques projets personnels, notamment sur leur mariage. Elle termina en écrivant son amour pour le jeune elfe, et son désir de le revoir. Après avoir signé, elle versa une goutte de parfum sur ses doigts, puis en tamponna la lettre pour l’imprégner de son odeur. Satisfaite du résultat, elle la plia et la scella avec son cachet personnel. La jeune femme se leva et se dirigea vers son cabinet de toilette. Elle se débarbouilla, puis, comme elle avait transpiré pendant sa sieste, défit sa chemise de nuit et se lava la poitrine. Son maquillage n’avait pas coulé, et elle estima inutile d’appeler sa servante. Elle retourna dans sa chambre et ouvrit sa penderie. Après quelques secondes de réflexion, elle opta pour un haut couleur or, et une jupe longue rouge. Elle se regarda dans le grand miroir de sa chambre, puis noua ses cheveux en chignon haut. Elle alla ensuite chercher son coffret à bijou et y fouilla, jusqu’à tirer une résille de fils de soie, parsemée de petites perles. Elle la plaça sur ses cheveux. Séïren hésita, entre un diadème d’argent et un bandeau de soie blanc. Finalement, elle se décida pour le bandeau. Mïlia, qui portait un diadème de bronze, se serait peut-être vexée de voir sa fille arborer un métal plus précieux au front. Elle décida également de ne pas mettre de boucles d’oreille. Elle ajouta à ses doigts quelques anneaux et bagues chargées de pierres semi-précieuses. Elle admira le résultat dans le miroir et se trouva très attirante. Elle prit sa lettre pour la remettre au plus tôt à un messager, puis sorti et se dirigea vers les appartements de sa mère avec qui elle avait rendez-vous. Elle marcha rapidement pour arriver en avance.


[b]An 1378 du Quatrième Âge, Plaine de Malix, Est des Collines de Kiwele[/b]

Esuf regardait d’un air soupçonneux la colonne de cavaliers en armures qui se dirigeait vers le campement. Parmi eux, le guerrier reconnu des hommes à la peau noire et vêtus de blanc, qu’il identifia automatiquement comme étant des sorgosiens. La bannière que portaient les hommes en armure indiquait qu’il s’agissait de lagorides. Une grande civière était portée par plusieurs guerriers. Esuf était entouré d’une cinquantaine d’hommes et la grande armée sorgosienne se trouvait à un mile de leur position. Il gardait la main posée sur la poignée de son épée, nerveux, se demandant ce que ces humains leur voulaient. Agg-Kour lui avait demandé d’accueillir cette troupe, couverte par un drapeau blanc de parlementaires. Le groupe s’approchait, et Esuf remarqua que les sorgosiens présents avaient les poings liés. Il senti la colère monter en lui. Il toisa le chef de la colonne, un jeune homme blond, lorsqu’il stoppa son cheval devant lui.

- Je suis Esuf, de la tribu des Crâne-de-Taureau, et langue d’Agg-Kour, Guerrier-Roi de Sorgoz. Que venez-vous faire ici, soldats ? demanda-t-il froidement. Pourquoi avez-vous amené nos frères prisonniers ?

- Je suis le Seigneur Baraï Evos, répondit son interlocuteur. Capitaine des armées de Sa Majesté Maélen IV, sorgosien. Nous avons arrêtés ces hommes il y a une semaine. Ils se sont défendus longuement, mais nous sommes parvenus à les vaincre. Ils font partis de la tribu Lance-de-Sable.

- Pourquoi les amenez-vous, [i]capitaine [/i]? gronda Esuf. Vos compatriotes ont déjà annihilé la tribu Lance-de-Sable il y a dix mois ! N’est-ce pas suffisant ? Vous faut-il les humilier en plus ?

- Cessez de vous courroucer, sorgosien ! répliqua sèchement Baraï Evos. Cela n’aurait été que de moi, j’aurais décapité immédiatement ces hommes pour leurs crimes ! Mais le général Nervas Sobraï, un roturier grabataire, m’a ordonné de les soumettre à votre justice. Les chefs de la tribu Lance-de-Sable sont accusés d’avoir assassiné de sang-froid des soldats du Grand-Roi prisonniers et désarmés et d’avoir tué les guerriers elfes qui s’opposaient à cette action.

- Que me chantez-vous, Baraï ?! s’écria Esuf.

- Bah ! fit le capitaine. Débarrassez-moi de ces barbares, c’est tout ce que je demande !

- Ne m’insultez pas, sédentaire ! rugit le sorgosien, la main sur la poignée de son épée. N’accusez pas mes frères de malversations. Vos crimes contre notre peuple méritent vengeance, et c’est pour cela que nous sommes ici aujourd’hui. Je ne pense pas que vous soyez en mesure d’accuser qui que ce soit. Avez-vous la moindre preuve ? (Il riait presque à présent).

- Nous avons libéré deux chefs présents dans l’armée de vos alliés elfes, [i]nomade[/i], répondit froidement Baraï. Ils ont été torturés par le chef des Lance-de-Sable. Leurs témoignages fait fois pour notre justice. Plusieurs membres des Lance-de-Sable sont également passés aux aveux.

Esuf eut à nouveau envie de rire. C’est alors qu’un des sorgosiens attachés talonna sa monture pour se porter à la hauteur de Baraï. Ignorant volontairement le soldat en armure, il raconta d’une voix sourde :

- Esuf, je te connais de réputation. Tu es parvenu à rallier les elfes à notre cause, et tes prouesses en tant que garde du corps du Guerrier-Roi au début de la guerre sont saluées par tous. Je sais que tu nous jugeras comme il se doit. Après une victoire des tribus et des elfes dans le sud des Kiwele, nous avons dus, Lance-de-Sable et elfes garder une cinquantaine de prisonniers Lagorides. Ils ont tentés de fuir et ont tué deux des notres. Ta’Kelm, notre chef, a jugé bon d’envoyer un signe fort au sédentaires en exécutant ces prisonniers. Nous avons dû pour cela commencer par tuer tous les elfes qui s’interposaient. Ta’Kelm a par la suite fait crucifier les chefs elfes qui avaient obligé les leurs à retourner leurs armes contre nous. Je ne suis pas fier de cela, mais c’était nécessaire.

En entendant ces mots, le sang d’Esuf se mit à bouillonner. Il résista à l’envie de dégainer et de trancher la tête de cet homme. Il regarda Baraï Evos.

- Que s’est-il passé ensuite ? demanda-t-il.

- Nous formions l’avant-garde du contingent opérant au sud des Kiwele, expliqua le capitaine. La tribu Œil-Braise nous a attaqués, et nous avons été séparés des notres. En chevauchant dans le désert pour échapper aux Œil-Braise, nous sommes tombés par hasard sur le lieu de la tuerie. Une centaine de cadavres, tant elfes qu’humains, pourrissaient dans le désert. Deux elfes, une femme et un homme, ainsi qu’un nain étaient crucifiés, et brulaient au soleil. Nous les avons détachés. Le nain s’est réveillé quelques heures plus tard. L’elfe est toujours dans un état critique. La femme est morte. Nous avons cherché les bourreaux, et avons trouvé les restes de la tribu Lance-de-Sable. Nous leur avons tendue une embuscade. Certains survivants nous ont avoué leurs méfaits. C’était au-delà de mes compétences. Je les ai amenés au Prince Molloy. La tribu Œil-Braise nous a autorisés à rejoindre l’armée de Sobraï sans encombre.

Esuf acquiesça. Les Œil-Braise avaient rejoint Agg-Kour le matin même, et Qaem, leur chef, avait prévenu Esuf de l’arrivée d’une ambassade lagoride. Il n’avait pas voulu en dire plus.

- Vous vous doutez bien, lagoride, qu’il me faudrait d’autres preuves ?

- Nous avons ramené avec nous l’elfe et le nain blessés, ils confirmeront notre version. Ils se trouvent dans la civière.

Esuf acquiesça et mit pied à terre, puis, sans un mot, rejoignit la civière et y entra. Il y trouva un nain assis sur une banquette et un elfe allongé. Esuf les salua et remarqua que le torse du nain était rouge et que sa peau était craquelée ou partait en lambeaux par endroits. En soulevant la couverture qui recouvrait l’elfe, il vit la même chose sur son torse. Baraï le rejoignit et s’assit sur la banquette, silencieux. Le nain resta prostré, mais l’elfe entama son récit. Il confirma mot pour mot la version des lagoride à ceci près qu’il indiqua s’être évanoui pendant qu’on le fixait à la croix. Néanmoins, la culpabilité de la tribu Lance-de-Sable ne faisait plus de doute. Esuf fulminait. Il se tourna vers Baraï.

- Et maintenant ? s’enquit-il. Nous laisserez-vous juger les notres comme il se doit ?

- Je n’ai pas le choix, il s’agit d’un ordre direct de Nervas Sobraï.

- Très bien. Il me faut amener les Lance-de-Sable survivants à mon roi. Accepterez-vous que j’emmène ces deux blessés avec moi ? Il voudra entendre leur témoignage.

- Je vous laisse le nain, mais l’elfe est un noble de Céläastra. C’est un otage trop précieux.

- Pourras-tu raconter ton histoire devant Agg-Kour, nain ? demanda Esuf.

- Je le ferais, répondit faiblement le petit homme.

- Vous avez parlé de cadavres, Baraï. Qu’en avez-vous fait ?

- Nous avons récupéré les corps des notres, pour les renvoyer chez eux, expliqua l’humain à la peau blanche. Les elfes ont été rapatriés vers le rivage, sous la direction des oreilles-pointues survivantes qui se trouvaient avec la tribu Œil-Braise. Les corps seront conservés dans de l’alcool, puis transportés en bateau jusqu’à Céläastra.

- Comme quoi, railla Esuf, il vous arrive de vous montrer respectueux, sédentaires. Nain, lève-toi, et allons parler à Agg-Kour.

Tandis que le nain disait quelques mots à l’elfe allongé, Esuf sorti de la civière et aboya des ordres pour que ses suivants rassemblent les derniers Lance-de-Sable. Ils n’étaient plus qu’une quarantaine. Voilà tout ce qu’il restait de la puissante tribu, celle qui avait mené tant de raids victorieux, celle qui avait imposé sa loi à plusieurs autres tribus, et dont les guerriers étaient respectés à travers tout le désert, et même chez les sédentaires. Esuf soupira. En attaquant ses propres alliés, elle s’était condamnée au minimum à l’exil perpétuel. Il chercha des yeux Sagesse Ta’Kelm, et le vit, les deux bras cassés, peinant à maintenir son cheval. Le chef s’approcha de lui et rejoignit les siens sans dire un mot. Le nain sorti également. Il dardait un regard froid sur les suivants de Ta’Kelm et se refusait à regarder le chef. Une fois qu’il fut monté sur un poney, Baraï Evos lui tendit une grande hache de guerre, qu’il accrocha à sa selle. Il partit en premier. Esuf donna le signal du départ, puis se porta à la hauteur du nain.

- Comment t’appelles-tu, petit homme ? s’enquit le sorgosien.

- Je suis Hroar Erlîn, hirda d’Empire, répondit-il calmement. J’ai reçu ce titre alors que vous ne marchiez pas encore, humain. Croyez-le ou non, jeune homme, mais il signifie qu’à une époque, et en certaines contrées, les rois et les peuples n’avaient pas encore sombré dans la folie.


Nervas Sobraï sirotait un thé brûlant lorsque le prince Molloy entra. Il était accompagné d’un homme d’une petite quarantaine d’années, aux cheveux gris. Il portait une armure d’acier patinée par le temps et l’usage et une claymore était accrochée dans son dos. Il faisait bien trois têtes de plus que le vieil homme et le regardait d’un air froid. Cet homme s’appelait Konaï Da, et portait le titre de Marquis du Nord. Il dirigeait la Troisième Royale, une puissante armée de quinze mille hommes, très entrainés, et était chargé de la défense du nord des Basses-Terres. Molloy retira son marteau de guerre et le jeta violement sur le sol.

- A quoi pensiez-vous, Nervas ? s’écria le prince. Pourquoi avez-vous renvoyé ces hommes auprès d’Agg-Kour ? Le Guerrier-Roi aura tout le loisir de les réincorporer dans son armée ! Et ce n’est pas le plus grave.

- Ces nomades, gronda Konaï Da, s’étaient rendus coupables du massacre de prisonniers désarmés, général. Il était de notre devoir de les juger et de les exécuter !

- Prince, fit Nervas, fatigué. Voudriez-vous me servir une nouvelle tasse de thé ? J’ai besoin de m’éclaircir les idées.

- [i]Je [/i]vais vous éclaircir les idées, grinça Konaï. Croyez-vous que l’on part à la guerre avec des bons sentiments ? Croyez-vous que l’on dirige des armées en sirotant du thé à l’arrière ? Ces hommes devaient mourir, cela aurait montré aux sorgosiens ce qu’il en coûte de massacrer des soldats !

- Mon frère pourrait vous faire passer en conseil de guerre pour cela Sobraï, fit Molloy. Je ne pourrais pas vous couvrir cette fois. Et je n’en ai pas envie.

- Messires, répondit Nervas et se servant lui-même du thé, je connais les sorgosiens, et je connais Agg-Kour. C’est même pour cette raison que Son Altesse m’a nommé à ce poste. Le Guerrier-Roi n’enverra pas la tribu Lance-de-Sable combattre, il les punira. Je ne connais pas la teneur de la punition, mais cela créera le trouble chez les sorgosiens. C’était stratégiquement la meilleure chose à faire.

- Il s’agit de suppositions, Sobraï, dit Konaï Da. Rien n’indique que nos ennemis agiront comme vous le prétendez. Et quand bien même, si [i]nous [/i]avions exécuté les meneurs Lance-de-Sable, la justice n’aurait pas été appliquée par des sorgosiens, ce qui n’aurait pas manqué de courroucer les elfes. Sans l’appui de Céläastra, nous aurions pu écraser les nomades !

- Il marque il point, Nervas, continua Molloy. Qu’en pensez-vous ?

- Les elfes ont beaucoup trop à perdre en lâchant la cause sorgosienne, répliqua Nervas. Quelles preuves auriez-vous apportées de la culpabilité des Lance-de-Sable en les exécutant ? Au contraire, cela aurait pu se retourner contre nous, Agg-Kour se serait fait une joie de nous accuser de tuer des prisonniers. Il y aura un procès public et de fortes sanctions, et les chefs elfes accepteront en retour de se battre contre nous. Mais les soldats de Céläastra ne pourront s’empêcher de cultiver le doute en eux, ce qui freinera leur ardeur, et les poussera à fuir plus facilement. De plus, ce procès ne sera pas accepté par tous les sorgosiens, certains jugeront la sanction trop molle, d’autres trop dure. Je vous assure que les discordes seront plus importantes ainsi. Les chefs de Sorgoz possèdent leur libre arbitre et peuvent se révolter contre leur roi. De plus, j’ai personnellement envoyé une missive expliquant la situation à la Reine Ivawen, ainsi qu’au Seigneur de Céläastra qui lui est le plus hostile, Rylor Furiade, dont la fille bâtarde est morte en croix. Il demandera à coup sûr des explications à sa reine, ce qui ne manquera pas de troubler la politique de l’Île.

- Vous raisonnez en politicien, poursuivit Konaï Da. Et vous dites connaître Sorgoz, et pouvoir prévoir les réactions de ses habitants. Comment pouvons-nous vous faire pleinement confiance ? Vous pouvez vous tromper Sobraï. Voilà trente ans que vous avez quittez la vie militaire. De plus, outre le fait que votre amitié avec le chef ennemi pourrez-vous valoir la cour martiale, je vous rappelle que vous avez connu cet homme il y a près de quarante ans. Il a pu changer pendant ce temps.

- J’ai une armée à diriger et une stratégie à élaborer, général, répliqua Nervas, agacé. Si vous en avez fini avec vos éclats ridicules, j’aimerais vous voir retourner à votre poste. J’ai besoin de vous là-bas.

- Nervas… commença Molloy.

- Répétez donc, briguant ! s’écria Konaï.

- Briguant ? répéta Nervas d’une voix glacée en joignant les mains. Prince Molloy, si je ne m’abuse, vous êtes ici pour m’assister.

- En effet, dit le prince, sur la défensive.

- Et vous, Konaï, continua le vieillard, Sa Majesté vous a envoyé ici en renfort. Mais, Seigneur, il me semble que vous savez lire ? Vous avez jeté un coup d’œil au parchemin que je vous ai transmis il y a deux jours. Il n’y a dans ce camp qu’un seul généralissime des armées de l’ouest, nommé provisoirement à ce poste par Maélen IV lui-même, satisfait de son travail jusqu’à présent. Ce généralissime s’appelle Nervas Sobraï. Et ne vous en déplaise, Konaï, votre naissance et vos titres m’importent peu. Je ne serais peut-être plus rien demain, mais aujourd’hui je reste votre supérieur direct. Et j’exige une obéissance totale de votre part, un respect sans faille, et des excuses pour le terme que vous venez d’employer.

- Des excuses ?! rugit Konaï Da.

Il porta immédiatement la main à la poignée de sa claymore. Au moment où sa paume touchait le cuir, une dague vînt percuter son gorgerin de plaque.

- Le prochain est pour votre œil, général, fit Nervas avec un sourire froid. Peut-être connaissez-vous les méthodes utilisées par le Grand-Roi pour se débarrasser des traîtres ?

- Pardonnez-moi, généralissime, marmonna l’homme après un long silence. A vos ordres.

Il sorti de la tente. Nervas caressa le manche du couteau de lancer accroché à son poignet droit, tandis que le prince Molloy s’asseyait en face de lui. Il le regarda un long moment d’un œil critique. Nervas soutînt son regard, mais évita tout commentaire. Il n’avait ni l’envie ni l‘énergie de se battre avec le prince. Finalement Molloy se servi un verre de thé et le bu lentement. Il remplit à nouveau la tasse du généralissime.

- Konaï est sanguin et violent, mais il s’est toujours plié à l’autorité, dit enfin le prince. Il a juste du mal à se plier à [i]votre [/i]autorité. Par rapport à votre naissance, vous comprenez. Mais en ne vous laissant pas faire, vous êtes parvenu à le dompter. Pour un temps du moins.

- Je sais, c’était mon intention, répondit Nervas.

- J’espère que vous avez raison, concernant les sorgosiens, Nervas. Il en va de notre victoire finale.

- L’arrivée des renforts elfes nous mettait dans une situation délicate, expliqua Nervas Sobraï. Je me devais d’ordonner la retraite des Kiwele. Ils étaient assez nombreux pour nous tendre une embuscade géante. Notre armée aurait été décimée.

- Je ne vous reproche pas la retraite, Sobraï, c’était la meilleure chose à faire. J’espère seulement que nous vaincrons.

- Venez Molloy, dit le vieillard en se levant.

Il attrapa sa canne et sorti de la tente, le prince à ses côtés. Il grimpa difficilement sur le dos de son cheval. Molloy enfourcha le sien également et suivit Nervas qui partait au trop. Le vieil homme sourit et adressa un signe de la main aux soldats qui le saluaient. Lorsqu’il passa près des campements de la Troisième Royale, les soldats portèrent trois doigts à leur tempe gauche, salut réservé aux représentants de la famille royale dans les Basses-Terres. Ravit de cette distinction, Nervas leur rendit leur salut comme le voulait le protocole. Il suivit ensuite un petit chemin serpentant sur un éperon rocheux. Enfin, il fit tourner bride à son cheval, de manière à avoir la plaine de Malix dans son champ de vision. On l’appelait « plaine », mais c’était un abus de langage. En réalité, il s’agissait d’un champ steppique de dunes herbacées, porteuse d’une végétation rase, caractéristique de tout l’est de Sorgoz. L’est de la plaine, occupé par l’armée lagoride était plus élevé que l’ouest. De plus, le terrain où se massait l’armée de Sorgoz était relativement plat. Les deux armées étaient séparées par la Rivière Lunaire, cours d’eau d’intensité moyenne et de faible profondeur, ne représentant pas un réel obstacle naturel. Nervas ignorait si un conclave de mages aurait pu la mettre en crue si jamais l’ennemi tentait de la traverser, mais même en ce cas, le ruisseau n’aurait pas arrêté les tribus.

- C’est ici que vous vous retirez tout seul, tous les soirs depuis trois jours, vieil homme ? demanda Molloy.

Le vieillard ne répondit pas. L’armée lagoride qui se trouvait au nord des Kiwele, sous le commandement délégué de Nervas, avait été arrêtée, puis repoussée par les forces conjointes des elfes et des nomades. De même, Agg-Kour était parvenu à vaincre son vieil adversaire dans les collines, et Sobraï avait préféré ordonner la retraite des deux armées. La petite centaine d’hommes de Baraï Evos avait par contre été seule à revenir du front sud. Le généralissime, fraîchement nommé à ce poste par le Grand-Roi, avait rassemblé les restes des trois armées dans la plaine de Malix, et fait venir la puissante Troisième Royale de Konaï Da. Il contrôlait désormais environ trente-huit mille soldats, éprouvés et prêts à en découdre. Le Guerrier-Roi l’avait poursuivi, et avait réussi l’exploit de rassembler la plupart des tribus sur un même champ de bataille. Il alignait un peu moins de trente-cinq mille guerriers nomades, renforcés par environ huit mille elfes et quelques centaines de mercenaires. Tel que le prévoyait le plan de Nervas Sobraï. Le terrain était favorable à son armée, plus disciplinée et plus polyvalente. Une bataille rangée, unique, décisive. Son tombeau ou sa gloire. Et au fond du camp adverse, il savait que [i]Gueule-Cassée[/i] se trouvait confronté à la même réalité.

- Voilà, souffla Nervas. Vous devez être content, Prince, voici le tombeau de Sorgoz et la gloire de Maélen, Quatrième du nom. Laissez-moi vous présenter ma nouvelle stratégie.


Le visage d’Agg-Kour était indéchiffrable. Il était resté silencieux durant toute la durée du récit de Hroar. Le nain souffrait horriblement depuis des jours et des jours. Sa poitrine le lançait, ses jambes étaient cloquées et des lambeaux de peau tombaient de son corps. Baraï lui avait rendu sa hache, mais il ne pourrait de toute façon pas se battre.

- Qu’allez-vous faire, Sagesse ? demanda Hroar.

- Pas [i]Sagesse[/i], nain, grinça le vieil homme. Je ne suis pas un chef de tribu, mais le porte-parole et le champion de mon peuple. Tu peux m’appeler « Roi », ou simplement par mon nom. L’ampleur de la punition ne dépend pas de moi.

Hroar fut une nouvelle fois étonné de la facilité avec laquelle il s’exprimait en Antique Commun. Il avala une gorgée de thé, qui le désaltéra. Sa lente agonie au soleil le hantait toujours et il cauchemardait régulièrement. Il revoyait surtout Estë, et se souvenait avec exactitude de ses mots.

- Tu te demandes ce que je pense de cela à titre personnel, nain ? fit brusquement Agg-Kour. Tu désires connaître le fond de ma pensée, pour ainsi pouvoir me juger. (Hroar ne répondit pas). Saches qu’en temps normal, je ne jugerais pas les Lance-de-Sable. C’est une tribu souveraine. Mais nous sommes en temps de guerre, Ta’Kelm a commis un crime de guerre, et je suis Guerrier-Roi. Nous devons donc prendre les dispositions qui s’imposent.

- Mais à titre personnel, Roi ? demanda Hroar.

- Je pense qu’il aurait dû exécuter quelques prisonniers à titre d’exemple, répondit Agg-Kour. Tuer des prisonniers n’est pas un crime en soit, si cela est fait dans le cadre d’une vengeance de sang. Ainsi veulent nos traditions. Mais ce n’est pas le cas ici. J’aurais pu, à titre personnel, pardonner. Ce que je ne supporte pas, c’est que Ta’Kelm ait attaqué ses propres alliés, et torturé leurs chefs. Mais encore une fois, nain, ce n’est pas à moi de trancher.

- Roi, s’enquit le nain, j’ai mis plusieurs jours à m’en souvenir, tant le soleil avait engourdi mon esprit, mais quelque chose me trouble au sujet de Ta’Kelm.

- Je t’écoute.

- Avant la bataille, il m’a décrit le massacre de sa tribu. Son récit m’a marqué, et je comprenais son tourment et son désir de vengeance. Mais malgré cela, il ne semblait haïr ni les sédentaires, ni le Grand-Roi. Il disait au contraire que cette tuerie était un acte isolé. Je me demande donc pourquoi est-ce qu’il a réagi avec autant de violence envers nos prisonniers.

- En effet, dit le Guerrier-Roi, aucune tribu n’avait encore été annihilée à la manière des Lance-de-Sable. Néanmoins, après le massacre, l’épée de Damoclès de la destruction planait au-dessus de notre tête. J’ai eu l’occasion de parler à Ta’Kelm après la disparition des siens, et juste avant de te voir. Ce n’est qu’une supposition, mais je pense que quelque chose s’est brisé en lui après le massacre. Il aurait voulu frapper d’horreur le camp adverse, comme lui-même avait été frappé d’horreur. Installer la peur du désert chez les sédentaires. Cela ne demande pas forcément de haine. De la colère. De la peur.

Hroar Erlîn acquiesça. Le vieil homme avait sans doute raison. Il s’interrogea sur son parcours. Il voyait évidement le guerrier en lui. Les muscles tendus, la vigueur présente malgré son âge avancé, les yeux toujours aux aguets. Mais il ressentait également une certaine sagesse, et une grande mesure, qu’il appréciait instinctivement.

- Je connais le chef adverse, dit soudain Agg-Kour. La bataille aura lieu demain. Elle sera rude.

- Comment l’avez-vous rencontré ? voulu savoir le nain.

- Je l’ai combattu il y a quarante ans, raconta le chef. Il avait vaincu plusieurs chefs de tribu et dirigeait sa troupe à la perfection. A dix-sept ans, je l’admirais, et rêvait de le combattre. Je l’ai attaqué, en élaborant une stratégie inspirée des siennes, et suis parvenu à le repousser. Il a fini par arrêter ma progression et nous avons signé un traité mettant fin au conflit dans la région. Lors de notre rencontre, il m’a impressionné par sa mesure et son intelligence. Cet épisode a scellé un respect et une amitié mutuelle. Des années plus tard, j’ai voyagé dans le Royaume-Fleuve pour en apprendre plus à son sujet et affiner mes connaissances sur les lagorides. Je n’ai presque rien découvert sur Nervas Sobraï, mais j’ai pu apprendre de nouvelles stratégies. En revenant à Sorgoz, ces connaissances associées aux stratégies de mon peuple m’ont permis de vaincre trois tribus qui menaçaient la mienne et ainsi pacifier la région. En tant que Guerrier-Roi, j’ai utilisé plusieurs de ces astuces pour mettre en échec les lagorides, ce qui a sûrement empêché un nouveau massacre.

- Pourquoi me racontez-vous tout cela, Agg-Kour ? s’étonna Hroar.

- Parce que, nain, la guerre permet parfois de faire naître autre chose que la mort. Je désire défendre l’intégrité de mon peuple, ainsi que son honneur. Ivawen de Céläastra, couronnée après une longue guerre, me soutient dans ce combat. Tes empereurs eux-mêmes ont battis leur pouvoir par le fer et le sang et maintiennent une paix civile presque sans discontinuité depuis près de mille ans.

- Vous avez beaucoup de connaissances, Roi, souffla Hroar. Mais je sais tout cela. Voilà trente ans que j’ai fait de la guerre mon métier, et des champs de bataille mon pays.

- Reste jusqu’à ce soir, guerrier, lui dit Agg-Kour. Assiste à la sentence. Puis je te donnerai vingt guerriers Dune-en-Feu et des chevaux frais. Ils t’escorteront où tu voudras.

Hroar le remercia. Il voulait revoir les montagnes. Mais il devait prendre à nouveau un bateau pour Céläastra. Il lui fallait accompagner la dépouille d’Estë. Il sentit la tristesse l’envahir. Au fond des yeux d’Agg-Kour, il distinguait une grande flamme blanche. Elle semblait vivante.


Esuf patientait dans le campement, aux côtés du Seigneur Ismos Oudaï, le chef du contingent elfe. Ils restaient tous deux silencieux, attendant le verdict du conseil des chefs de tribu, présidé par Agg-Kour. Le Guerrier-Roi ne pouvait prendre une décision contre une autre tribu sans leur aval. Pour toute sanction allant jusqu’à la peine de mort ou l’exil d’un chef de tribu, le conseil, en temps de guerre comme en temps de paix, devait se prononcer à une majorité de quatre cinquième. Quarante-quatre chefs étaient présents, en plus du Guerrier-Roi, sachant qu’un minimum de quarante était nécessaire pour tenir un tel conseil. Agg-Kour, qui désirait une condamnation sévère des coupables, devait donc convaincre au moins trente-cinq chefs de le suivre. Ismos Oudaï s’était montré dubitatif sur les capacités du sorgosien à faire plier les siens. Il n’avait pas précisé ce qu’il comptait faire en cas de non-lieu, mais Esuf le soupçonnait de vouloir monter un tribunal de guerre pour juger lui-même les coupables. L’homme à la peau noir se doutait que la majorité des chefs de tribus ne soutiendrait pas la tribu Lance-de-Sable. La plupart couvaient par contre une forte hostilité envers les lagoride et ne voudraient peut-être pas appuyer une sentence trop dure, ce qu’Agg-Kour, intransigeant, réclamerait à coup sûr. Agiter le spectre de la rupture de l’alliance avec les elfes n’aurait pour effet que de braquer encore plus les chefs, qui prendraient cela pour un affront fait à leurs libertés. Et Esuf ne pouvait qu’être d’accord.

Un nuage de poussière venu de l’ouest lui indiqua que le conseil approchait. Il s’était réuni à plusieurs miles du campement, pour écouter les confessions de Ta’Kelm et de ses lieutenants, qui avaient juré devant les Esprits du désert de ne dire que la vérité, et le témoignage de Hroar. Les chefs s’étaient ensuite réunis plus loin, à huis-clos, afin de débattre. Chacun pouvait exposer ses arguments, sans concertation préalable, puis le président du conseil annonçait la sentence qu’il désirait. N’importe quel chef pouvait faire une contre-proposition. Le vote avait enfin lieu, et s’arrêtait au moment où l’une des sentences obtenait la majorité des quatre cinquièmes. Si aucune n’obtenait cette majorité, le non-lieu était prononcé. Le tribunal n’avait pas duré très longtemps, ce qui ne voulait en soit pas dire grand-chose. Alors que les chefs approchaient, un attroupement se forma près d’eux. Les guerriers les saluèrent en levant leurs armes, afin de leur ménager un champ d’honneur. Esuf et Ismos Oudaï s’avancèrent devant les chefs qui mettaient pied à terre. Seul le Guerrier-Roi resta à cheval. Le nain Hroar Erlîn apparut à côté d’Esuf, qui le salua. Lorsque l’on amena les quarante prisonniers Lance-de-Sable, le petit guerrier détourna les yeux. Il ne les leva qu’au passage de Ta’Kelm, avec qui il échangea un regard. Lorsque tous furent rassemblés, le silence se fit.

- Peuples de Sorgoz, s’écria Agg-Kour, moi, Agg-Kour, de la tribu des Dune-en-Feu, Guerrier-Roi de Sorgoz et langue des tribus, je vais vous informer de la décision du conseil des chefs concernant les exactions des guerriers de la tribu Lance-de-Sable, envers des prisonniers ennemis désarmés ainsi que nos alliés elfes et des membres de la tribu Œil-Braise qui cherchaient à les défendre.

Il marqua une longue pause et toisa l’assemblée. Son regard croisa celui du nain, d’Ismos et d’Esuf lui-même. Dans le silence ambiant, le désert lui-même semblait rugir derrière Agg-Kour.

- Je jure, reprit le Guerrier-Roi, devant les Esprits du désert de ne dire que la vérité et de ne faire que rapporter ce qui s’est décidé au sein du conseil des chefs, conformément à nos traditions. Le conseil réuni a décidé à trente-huit voix sur quarante-cinq d’adopter la proposition soumise par le Guerrier-Roi, à savoir la mise à mort de tous les membres de la tribu Lance-de-Sable ayant participé au massacre. De plus, le conseil a requis l’exil définitif du reste de la tribu Lance-de-Sable, à savoir une centaine de non combattants réunis dans l’ouest des Kiwele.

- Qu’est-ce que cela veut dire ? demanda précipitamment Ismos Oudaï à Esuf.

- Cela signifie, répondit le sorgosien, que la tribu Lance-de-Sable n’existe plus. Ses membres exilés seront adoptés par d’autres tribus. C’est une décision très rare. (L’elfe détourna les yeux, la mine dégoûtée). Nos traditions vous choquent, elfe ?

- Vous détruisez une tribu entière. Je trouve cela barbare. Les autres membres n’ont pas participés au massacre, pourquoi les punir ?

- Le conseil des chefs a jugé que le geste des guerriers de la tribu avait maudit le nom des Lance-de-Sable.

- Cependant, reprit Agg-Kour d’une voix forte, le conseil a décidé de laisser place à la miséricorde. Certains membres de la tribu ont avoué leurs crimes et permis à l’enquête de progresser. Ils se sont repentis. Le guerrier Hroar Erlîn a été grièvement blessé par la tribu Lance-de-Sable, après avoir combattu à leurs côtés. Le conseil lui a par conséquent offert la possibilité de juger lui-même les huit accusés ayant avoués leurs fautes. S’il le désire, la peine de ces hommes sera commuée en exil perpétuel du territoire de Sorgoz. Nain ! Faites votre choix.

Hroar Erlîn, droit et très pâle, resta silencieux, tout en regardant vers le nord. Agg-Kour attendit quelques instants, puis reprit :

- Ta’Kelm, désirez-vous prendre la parole ?

- J’ai justifié mon geste de mon mieux, Roi, dit le sorgosien d’une voix forte. Je remercie ceux qui m’ont soutenu. Mais je dois me conformer à la décision du conseil des chefs. Qu’il en soit ainsi. J’espère de tout mon cœur que vous chasserez définitivement ces chiens sédentaires de nos terres.

- Bien, répondit Agg-Kour. Maintenant que tout est réglé, je demande aux bourreaux de faire leur office. Personne n’est obligé d’y assister.

Il fit reculer son cheval et une dizaine d’hommes aux visages voilés s’avancèrent. Les quarante Lance-de-Sable marchèrent au-devant d’eux, toujours aussi droits et fiers. Ismos Oudaï tourna le dos et parti, comme la majorité des sorgosiens, des chefs de tribus et des elfes présents. Hroar Erlîn resta, ainsi qu’Esuf et Agg-Kour. Lentement, quarante têtes roulèrent dans la poussière, les unes après les autres. Les trois hommes gardèrent les yeux fixés sur le sang qui coulait et abreuvait le sable dans le pesant silence du désert. Modifié par Loup Noir
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  • 2 semaines après...
voici la suite, en espérant que vous apprécierez !

[center][u][b]Chapitre XXV[/b][/u][/center]


[b]An 1378 du Quatrième Âge, Palais Royal de Céläastra[/b]

Silya caressait l’étoile constellée de diamants dans ses mains, assise sur une terrasse du palais royal. Les minuscules pierres étaient douces sous ses mains et le contact de l’acier glacé dans lequel ils étaient incrustés l’émouvait. Elle avait l’habitude de sentir la médaille sur sa poitrine, au niveau de la longue cicatrice qui courait entre ses seins. Elle regardait au nord, car tout se trouvait au nord de Céläastra. Tout était loin du doux climat de l’Île. Elle observa la bague qui se trouvait à côté du médaillon. Large, d’or pur, serti d’une bande en émeraude taillée. Elle l’avait toujours trouvée magnifique et l’avait arborée avec fierté pendant dix-sept ans, car, si le sang de son père l’avait faite princesse, l’alliance la faisait reine. Elle la repassa à son doigt. Elle lui allait encore très bien.

- Quelle, plaie ! souffla-t-elle. Quelle plaie de s’unir aux rois !

Elle préférait utiliser le terme de « plaie », plutôt que celui de « malédiction » mais n’en pensait pas moins. En regardant son alliance, elle pensa à son mari. Au regard de sa vie, elle ne l’avait en réalité que peu connu. Il était mort jeune, à vingt-ans, sans savoir que Silya marquerait beaucoup plus le Royaume Alizé que lui. Dans sa main, l’étoile d’acier lui rappela Idraïs, puis Ivawen, et enfin son fils. Elle soupira.

- Tu m’as tout prit ! éructa Silya. Je t’ai porté, je t’ai donné la vie, j’ai combattu, tué tant de soldats ennemis pour t’offrir une couronne. Tu m’as tout prit, petit salaud ! [i]Oh pardon ![/i] murmura-t-elle soudain.

Elle venait de revoir les yeux verts si clairs du nouveau-né blotti contre elle, mère veuve de seize ans. Le petit garçon qui s’accrochait à sa jambe et qu’elle repoussait de peur qu’il se fasse mal sur son armure. Elle se revoyait elle-même, la vingtaine à peine atteinte, criant le nom de son fils en se jetant au cœur d’une mêlée pleine de soldats solaris. Et le petit d’homme de onze qui lui demandait de lui apprendre à manier l’épée, qui cherchait à soulever la hache de guerre de son père, qui baissait la tête sous le poids de la couronne de son grand-père lorsque le protocole l’obligeait à la porter. Quel âge avait-il aujourd’hui ? Bien sûr Silya le savait. Dix-huit ans révolus. Elle dégrafa son insigne doré de Poing de la Reine. Elle aimait beaucoup ce titre, et appréciait les saluts cordiaux que lui adressaient les gardes lorsqu’ils la croisaient. Néanmoins, plus le temps passait, plus sa relation avec la reine devenait présente, et plus le remord et le doute montaient en elle. L’explication était tout simple. Silya était tombée amoureuse d’Ivawen. Plus leur aventure durait, plus l’humaine sentait que son amante tenait à elle. De son côté, elle avait de plus en plus de mal à lui mentir, à inventer sans cesse des histoires. Elle redoutait par-dessus tout le jour où, lorsqu’Ivawen lui demanderait des détails sur sa vie passée, elle n’aurait plus la force de lui mentir en face. Pour autant, elle ne parvenait pas à lui dire la vérité, sur une histoire qu’elle ne pouvait refouler, qui était marquée à jamais dans son esprit et dans ses chairs, meurtries par des années de guerres, sur tous les fronts et sur tous les champs de bataille.

Elle raccrocha l’anneau à sa chaine, remit la médaille en place, puis ajusta son insigne et quitta la terrasse. Elle marcha le long d’un petit couloir, puis tourna à droite. Elle salua deux gardes royaux qui passaient par là. La guerrière grimpa ensuite un large escalier, puis sorti sur un rempart. Le trajet serait un peu plus long, mais elle pourrait admirer la vue. La ville de Céläastra s’étendait sous elle, plus vaste que toutes les structures urbaines qu’elle avait pu visiter au cours de sa vie. Silencieusement, elle remercia le peuple de la capitale d’avoir accepté Ivawen comme reine. Le vent frais la fit frissonner et elle décida d’écourter sa promenade. Après un rapide regard pour les jardins en friche, elle s’engouffra sous un porche. Elle monta ensuite à un petit escalier. Elle passa devant les appartements de Nærisa. Silya avait rendu visite à la princesse la veille. Contente de la voir, la jeune femme l’avait félicitée pour sa promotion, et lui avait confiée qu’elle était heureuse de savoir qu’elle protégeait sa sœur. L’elfe s’était levée et Silya l’avait aidée à faire quelques pas. La guerrière avait même eu l’autorisation de toucher son ventre. La sensation du fœtus en développement contre sa main avait profondément troublée l’humaine, bien qu’elle ait fait de son mieux pour ne rien laisser paraître. Silya grimpa un étroit escalier en colimaçon, puis arriva enfin devant la porte d’Ivawen. Les gardes s’écartèrent en la reconnaissant et elle entra dans l’antichambre, puis frappa à la seconde porte en s’annonçant. La Reine lui demanda d’entrer d’une voix faible. Silya poussa la porte, et trouva Ivawen allongée dans son lit. Elle semblait étourdie, comme assommée. L’humaine s’installa près d’elle et lui prit la main.

- Qu’y a-t-il, ma douce ? demanda-t-elle.

Elle remarqua sur sa table de chevet une lettre froissée, frappée d’un sceau qu’elle n’avait jamais vu. L’écriture était très grossière, comme écrite par un enfant. La main d’Ivawen tremblait alors qu’elle serrait celle de sa compagne. Lorsqu’elle lui parla, sa voix tremblait également :

- Assied-toi. Il me faut te raconter quelque chose d’important.


[b]An 1378 du Quatrième Âge, Plaine de Malix, Est des Collines de Kiwele[/b]

Nervas Sobraï observait son armée avancer. L’aile gauche de l’armée sorgosienne était enfoncée par la puissante aile droite lagoride. Il avait envoyé Konaï Da diriger cette troupe, composée majoritairement de soldats de la Troisième Royale. Une charge miraculeuse des elfes avait pour l’instant stoppé l’avancée du Marquis du Nord, sans pour autant parvenir à le repousser. Konaï était profondément installé parmi les forces ennemies et mettait l’armée adverse en mauvaise posture, exactement comme l’attendait Nervas. Le prince Molloy se trouvait entre le centre et l’aile gauche, l’une des zones les plus faibles de l’armée. Nervas espérait que le lagoride serait en mesure de maintenir la cohésion et l’ardeur des troupes, malgré les difficultés qu’elles rencontraient. Il y parvenait à merveille pour l’instant, sous les assauts répétés d’un immense sorgosien à cheval et de son escorte, qui avait croisé le fer avec le prince en personne quelques instants plus tôt. Le vieillard n’était pas inquiet pour ses champions. Il les savait protégés par de nombreux gardes du corps, par d’imposantes armures, et ils étaient de toute façon de bons combattants tous les deux.

Il avait cherché des yeux Agg-Kour pendant les premières heures de la bataille. Il avait fini par le voir, au combat, mais à l’arrière, protégé par un ensemble de gardes du corps. Il savait que parmi eux se trouvait le jeune Esuf, qu’il avait rencontré plusieurs semaines auparavant, l’artisan principal du ralliement de Céläastra à la cause sorgosienne. Nervas Sobraï n’avait pas eu le temps de jauger le jeune homme, néanmoins, il se doutait que la confiance que le Guerrier-Roi plaçait en lui n’était pas anodine. De plus, fait rare au sein de son peuple, il maîtrisait à la perfection l’Antique Commun, en dépit d’un accent prononcé. Ce qui témoignait d’un profil atypique. Enfin, il n’était pas chef de tribu. Connaissant les coutumes de ses ennemis, Nervas savait que les sorgosiens se tournaient souvent vers ce genre d’individus, souvent une fois leur quarante ans révolus, lors des situations de crise. Le vieil homme lui prédisait par conséquent un avenir glorieux. Il regarda Agg-Kour. A cette distance, il ne distinguait que son épée luisante au soleil et sa grande chevelure blanche. Il restait assez éloigné des combats, et cela inquiétait légèrement Nervas. Si le chef des sorgosiens ne s’approchait pas, c’est qu’il estimait que la situation était encore sous contrôle, et qu’il n’avait pas besoin de galvaniser ses troupes. Dans la culture sorgosienne, le sacrifice du Guerrier-Roi était un honneur très prestigieux. A cet égard, il savait que la perspective de la mort au combat n’effrayait pas le moins du monde son adversaire. Il se rassura en voyant son centre avancer de quelques pas et percer une ligne de défense elfe.

Nervas Sobraï ne désirait en aucun cas détruire la nation sorgosienne et il savait que ce n’était pas non plus l’objectif de son roi. Molloy lui avait exposé une petite partie des plans de son frère. Le Grand-Roi voulait conquérir une partie de Sorgoz, et installer des colonies dans l’est des Kiwele, afin de bénéficier de ses ressources en eau et en diamants bruts. Il désirait surtout sécuriser la frontière ouest des Basses-Terres en créant une zone tampon militarisée à cet endroit contenant plusieurs forteresses garnies de ses meilleurs guerriers, afin de lutter contre les raids des tribus. Nervas avait par conséquent prévu de remporter la victoire en détruisant une partie du potentiel guerrier de Sorgoz, en faisant des prisonniers, notamment Agg-Kour et quelques chefs de tribu, et en mettant en déroute les survivants. Après cela, il conquerrait les contreforts est des Kiwele, et dépoilerait le reste de ses troupes dans le territoire des nomades, en-deçà de la frontière avec les Basses-Terres. Il vit Molloy écraser le crâne d’un elfe. Sobraï sourit devant la rage avec laquelle il avait exécuté ce geste. Le prince s’était montré outré par la conquête par Céläastra de la Presqu’île du Goéland et du phare Albatros, où il avait régulièrement l’habitude de se rendre lorsqu’il voulait consulter un ouvrage rare qui ne se trouvait pas à la capitale. Molloy était parvenu à avancer de plusieurs pas et les sorgosiens, même dans cet angle faible de l’armée lagoride, perdaient du terrain. Nervas se sentait rajeunir loin de la capitale, comme s’il n’avait jamais quitté l’armée et qu’il restait le héros de ses hommes. Il ne combattait pas, mais l’ivresse de la victoire courait en lui alors qu’il dominait le champ de bataille.


Esuf trancha la main d’un lagoride qui fondait sur lui. L’homme regarda ahurit son moignon et le sorgosien l’égorgea. En tant que garde du corps, il était assez éloigné du cœur de la bataille. Néanmoins, de temps en temps, la mêlée rejetait un homme en armure et il se devait de protéger son roi. La bataille ne tournait malheureusement pas à leur avantage. Au loin, il avisait [i]Cheval-sur-la-Dune[/i] stoïque, observant le déroulement du combat. Il avait proposé à Agg-Kour de mener un raid pour tenter de capturer le chef ennemi, mais le Guerrier-Roi avait refusé, arguant qu’une telle manœuvre était presque impossible à réaliser, au vu du chaos qui régnait dans la plaine. Un rocher envoyé par un trébuchet écrasa deux elfes non loin d’Esuf.

- Sagesse Azekil ! Sagesse Téfénar ! s’écria Agg-Kour. Ismos Oudaï va renforcer notre aile gauche. Je veux que vous l’accompagniez avec quelques guerriers de vos tribus respectives pour lancer une contre-attaque.

Les deux chefs acquiescèrent et partirent sur le champ. Ils étaient les deux seuls chefs de tribu présents dans la garde personnelle du Guerrier-Roi. Ils étaient un peu plus jeunes qu’Esuf, avec qui ils étaient amis. Le sorgosien espéra qu’ils resteraient en vie.

- Esuf ! lui cria le roi. Si la manœuvre fonctionne, je veux que tu rassembles les meilleurs guerriers que tu trouveras près de nous, elfes ou sorgosiens. Tu les placeras sous mes ordres directs.

- Bien, Roi, répondit Esuf.

Rapidement, Ismos Oudaï se porta au secours de l’aile gauche, accompagné d’une garnison elfe. Azekil et Téfénar le suivait, menant chacun une centaine de sorgosiens à pied. Dans son armure bleu marine, Ismos percuta le flanc de la troupe lagoride. Esuf vit son épée elfique ouvrir le crâne d’un homme, puis les deux chefs de tribus sorgosiens se jetèrent dans la mêlée à ses côtés. Si la première fois qu’il avait vu l’elfe, dans la salle du conseil du palais royal de Céläastra, Esuf l’avait senti à l’aise, il était également parfaitement dans son élément au cœur de la bataille. Le jeune homme sourit en le voyant se fendre et esquiver la plupart des coups qui lui étaient portés faisant la démonstration de l’agilité de son peuple. Pendant un instant, Esuf crut que les lignes ennemies reculaient. Néanmoins quelques secondes plus tard, un grand humain en armure flamboyante et maniant à deux mains une claymore, se jeta dans la mêlée. Les hommes le suivirent instantanément et la bataille reprit. Le sorgosien jura. A côté de lui, Agg-Kour avait le visage fermé et impassible. Son regard se perdait en direction de l’endroit où se situait Nervas Sobraï. Esuf reporta son attention sur le Seigneur Oudaï. Il combattait désormais le grand humain et peinait à le faire reculer. Néanmoins, ralenti par sa grande épée l’humain ne pouvait rivaliser avec la vitesse de l’elfe. Ismos parvînt à passer sous la garde de son adversaire et à lui entailler le cou. L’autre tenta de le frapper du poing, mais l’elfe esquiva et, tirant un poignard avec une vitesse fulgurante, entailla la main de son adversaire qui recula précipitamment. Ismos le suivit, bientôt rejoint par de nombreux elfes et sorgosiens. L’avancée de l’aile droite lagoride fut stoppée.

- Maintenant ! rugit Agg-Kour.

Esuf fit tourner bride à son cheval et parti au galop. Il avisa trois membres de la tribu Crâne-de-Taureau et les appela. Ils combattaient bien et étaient très disciplinés. Il aperçut plus loin Tam’Hina, [i]kulinda [/i]de la tribu Chat-Sauvage, en conflit régulier avec les Crâne-de-Taureau depuis une génération. Esuf sourit. Fille de chef, Tam’Hina avait perdu son père quatre ans auparavant, lors d’une escarmouche avec les Crâne-de-Taureau. A douze ans, elle avait tout abandonné, et s’était entrainée à manier les armes. Esuf lui fit signe. Elle se rapprocha.

- J’ai besoin de toi, lui expliqua-t-il. Agg-Kour demande que des guerriers chevronnés viennent renforcer sa garde.

Elle eut un sourire féroce, puis acquiesça. Tam’Hina maniait la hachette de son père et portait un bouclier de bois. Ses cheveux immenses, nattés, tombaient entre ses reins. Esuf était heureux de l’avoir à ses côtés, car elle se battait avec une fureur qu’il ne retrouvait chez personne, faisant fi des blessures qu’elle pouvait recevoir. Elle bloqua le coup d’un soldat ennemi, si puissant qu’elle mit un genou à terre. Elle le frappa violement dans les parties génitales et l’homme s’effondra en hurlant. Elle leva bien haut sa hache dégoutant de sang et lui fendit le crâne. Esuf tendit la main et la fit monter sur son cheval.

- Si tu me fais tomber, taureau, lui dit-elle, je t’égorge.

Esuf rit et rallia plusieurs membres de la tribu Vent-de-Sable proches de lui. Tam’Hina appela quelques Chat-Sauvage près d’elle, et l’un d’eux lui apporta un cheval qu’elle enfourcha. Le jeune homme senti une douleur dans sa jambe droite. Il enfonça son épée dans la bouche de son agresseur. Son genou saignait, mais sa blessure n’était pas grave. Un groupe d’elfes les avait rejoints. Il décrocha des combats et amena sa troupe près du Guerrier-Roi, qui s’était approché. Agg-Kour avait rassemblé autour de lui plus de cent guerriers, elfes et sorgosiens mêlés, tous à cheval. Avec le renfort d’Esuf et de deux autres hommes, qu’il avait envoyé recruter des combattants, sa garde comptait désormais plus de deux cents bretteurs. Le jeune homme s’approcha.

- Esuf, lui dit le roi, tu couvriras mes arrières. [i]Kulinda [/i]! Viens à ma gauche.

Il en appela d’autres, qui se placèrent tout autour de lui. Au total, dix guerriers se rassemblèrent pour fournir une protection directe à leur roi.

- Quel est votre plan ? s’enquit Esuf.

- Attaquer, répondit simplement Agg-Kour.
Et il entonna un chant de guerre.


Nervas Sobraï s’était rapproché des combats. Il restait installé sur une éminence, ce qui lui permettait d’observer la bataille. La manœuvre du chef elfe avait fait reculer Konaï Da et ses troupes, ce qui n’était qu’un revers mineur en soi. Le centre tenait toujours, malgré le fait que le prince Molloy, blessé, l’ait déserté. Il se trouvait à présent avec Nervas, un bandage autour de la tête.

- Comment allez-vous, Prince ? lui demanda le vieillard.

- Cela peut aller, répondit l’homme. Mais je ne serais pas au maximum de mes capacités si je dois combattre.

- Aucune importance. Reposez-vous, je préfèrerais que le frère du Grand-Roi reste en vie au terme de cette journée.

- L’ennemi recule, général. Nos trébuchets sont efficaces.

Nervas grinça des dents. Des trois trébuchets amenés en catastrophe par la Troisième Royale, seuls deux avaient fonctionnés. Le troisième s’était enrayé et avait dû être réparé, puis, au moment de sa mise en service, les elfes étaient parvenus à en détruire un. Néanmoins, le vieil homme devait reconnaitre que l’efficacité des machines de guerre donnait un avantage à son armée. L’aile gauche de l’armée lagoride perdait petit à petit du terrain, ce qui l’inquiétait un peu. Il appela un de ses aides de camp et lui ordonna de faire déplacer les trébuchets vers cet endroit, afin de le renforcer.

- Regardez sur votre droite, Sobraï, s’écria Molloy.

Nervas tourna la tête. Konaï Da était revenu en plein cœur de la mêlée et ses troupes gagnaient à nouveau du terrain. Malgré la distance, Nervas put distinguer le marquis décapiter un sorgosien et un elfe, puis se frayer un chemin dans les lignes ennemies, suivit par une dizaine de soldats. Le général sourit. Il se félicita d’avoir confié à Konaï le commandement de l’aile droite. Le grand homme trouva enfin celui qu’il cherchait : Ismos Oudaï, le commandant elfe. Le guerrier en armure bleue l’accueillit avec un coup d’épée bien placé, que l’homme parvînt à peine à parer. Il contre-attaqua avec plusieurs frappes visant la tête, que l’elfe réussit à esquiver. Les deux combattants étaient formidables et leur affrontement impressionnant. Nervas plissa les yeux.

- L’elfe est en mauvaise posture, dit Molloy.

Nervas se demanda comment il faisait pour distinguer pareil détail. Néanmoins, il avait tort. Ismos se retourna et frappa violement Konaï dans le plexus avec son talon. Le grand homme recula. Nervas se mordit la lèvre alors que l’elfe se rapprochait. Konaï décrivit une ellipse avec sa claymore qu’Ismos vînt bloquer. C’est alors que la lame de l’elfe vola en éclat. La course de l’arme du marquis ne fut pas arrêtée par l’armure, et pénétra l’épaule, le torse, jusqu’à trouver un point vital. Nervas crut pratiquement entendre le cri de désespoir des elfes en voyant leur chef tomber. Konaï Da fit tournoyer son épée devant lui et ses soldats l’acclamèrent. Il s’avança, dépassant la dépouille d’Ismos Oudaï, puis s’arrêta net. Nervas plissa à nouveau les yeux, et distingua vaguement la hampe d’une flèche dépasser du cou de Konaï. Il tomba à la renverse et fut bientôt recouvert par les elfes, qui abattirent leurs lames sur lui, puis se jetèrent contre leurs ennemis. Nervas Sobraï jura. Son aile droite perdait du terrain suite à la mort de son leader. Molloy lui lança un regard critique. Près du centre, Gueule-Cassée menait lui-même une contre-attaque. Le général hésita, puis réfléchit très vite, et se décida. Il devait tuer Agg-Kour avant qu’il ne parvienne à rallier les siens. Alors la bataille serait gagnée. Son entrée en scène personnelle donnerait du courage à ses troupes. Il caressa le manche d’ivoire de l’un des couteaux qu’il portait à la ceinture, puis se tourna vers son assistant.

- Apportez-moi mon armure, lui ordonna-t-il.


Esuf frappait à droite et à gauche. Il talonna son cheval qui accéléra encore. Devant lui, Agg-Kour semblait rayonner comme un soleil. Les sorgosiens le saluaient et criait sur son passage en se jetant dans la bataille. Tam’Hina galopait non loin de lui et faisait des ravages dans les rangs ennemis. Esuf se prit à espérer que si, une fois la guerre finie, sa tribu entrait à nouveau en conflit avec la tribu Chat-Sauvage, il ne croiserait pas le fer avec elle. Sa tempe saignait abondamment, mais la jeune femme ne semblait pas s’en apercevoir. Esuf n’était pas blessé, mais son bras commençait à faiblir. La blessure à l’épaule qu’il avait reçu dans les Kiwele, bien que refermée, le lançait à nouveau. Il trancha la carotide d’un soldat lagoride qui s’élançait sur sa droite, puis frappa à gauche. L’homme qu’il toucha tomba à la renverse. En regardant son épée, Esuf vit qu’elle était toute ébréchée et un peu tordue. Il la rengaina et saisit l’arc court accroché à sa selle. Il encocha une flèche et tira. Il rata l’homme qu’il visait de quelques pouces, et jura. Il parvînt à atteindre sa deuxième cible et encocha une troisième flèche. Agg-Kour avait enfoncé le centre et l’aile gauche de l’armée lagoride suivit de près par sa garde rapprochée. Le Guerrier-Roi était blessé à la jambe mais parvenait à se maintenir en selle sans trop de problème. Devant lui l’armée adverse reculait. Il entraina ses hommes vers la gauche, se jetant sur les arrières du centre ennemi. Leur progression ralentissait sensiblement, mais l’aile gauche lagoride avait subi de lourdes pertes.

- Roi ! s’écria un chef elfe. L’aile gauche et le centre lagoride sont séparés, il nous faut revenir vers les notres par un mouvement tournant.

- Non ! lui hurla Agg-Kour. La victoire est devant nous. Continuons !

- Vous êtes fou ! cria l’elfe. Nous allons nous faire décimés !

Esuf comprenait ce que voulait dire l’elfe. La garde d’Agg-Kour s’était réduite de moitié et le reste des guerriers peinait à les suivre. L’aile gauche de leur armée, composée en majorité d’elfes, avait repoussé les forces de ce qu’Agg-Kour avait appelé la « Troisième Royale », et la rejoindre semblait être la meilleure chose à faire pour couper en trois l’armée ennemie. Néanmoins, le Guerrier-Roi repoussa cette idée et se contenta d’éclater de rire. Esuf prit peur, en se demandant si, effectivement, il n’était pas devenu fou. Agg-Kour leva haut son épée et hurla d’une voix tonitruante qu’Esuf ne lui connaissait pas :

- Sorgoz !

Le flot des sorgosiens qui suivaient la garde du Guerrier-Roi sembla tout d’un coup s’intensifier. Une marée humaine en toge blanche se jeta dans la brèche entre le centre et l’aile gauche lagoride. Aux cris de « Agg-Kour », ils se jetèrent sur la faible aile gauche ennemie qui commençait à être débordée. Conquit, le chef elfe s’écria : « Ivawen » et Esuf senti les elfes autour de lui redoubler d’ardeur. Le jeune homme se demandait jusqu’où voulait aller son roi et pourquoi il s’obstinait à poursuivre sa progression, alors qu’il n’avait plus qu’une cinquantaine de guerriers autour de lui, dont beaucoup de blessés. Enfin il comprit. A quelques distances d’eux, [i]Cheval-sur-la-Dune[/i] menait également une chevauchée pour les atteindre. Esuf talonna son cheval et suivit son roi qui criait. Tam’Hina était à présent juste à côté de lui et distribuait des coups de hache à droite et à gauche. Elle avait perdu son bouclier, mais Esuf se senti empli de fierté en voyant la [i]kulinda[/i], son ennemie mortelle, et le Guerrier-Roi, la jeune fille et le vieillard, se jeter dans la bataille en honorant la promesse de service de leur peuple qui était la leur. Soudain il senti une violente douleur dans sa cuisse droite. Il venait de recevoir une flèche. Il peina à se maintenir en selle et serra les flancs de son cheval, malgré le sang qui coulait.

Les ennemis n’étaient qu’à quelques pas d’eux, mais comme eux, ne pouvait plus galoper au milieu des soldats qui ralentissaient leur progression. Il tira une flèche et l’un des gardes de Nervas Sobraï chuta. A côté de lui, le prince Molloy faisait tournoyer son gros marteau de guerre, prêt à en découdre. Esuf l’avait vu combattre et craignait de se retrouver face à lui. Néanmoins, il savait que la réelle menace n’était pas Molloy, mais le vieillard qui chevauchait à côté de lui. Nervas Sobraï étendit le bras gauche et le droit juste après. Devant Agg-Kour, l’un de ses derniers gardes du corps chuta, une dague dans la gorge, et à sa gauche, le cheval d’un autre s’effondra. Esuf talonna le sien, et fut obligé de piétiner son compatriote pour se porter aux côtés de son roi, désormais à découvert. Il encocha une flèche et visa la poitrine de [i]Cheval-sur-la-Dune[/i]. Déjà le vieil homme avait deux nouveaux couteaux en mains. A l’instant où ses doigts lâchèrent la corde de son arc, Esuf fut aveuglé par un éclair argenté, et tout disparut.


Nervas Sobraï fut projeté de son cheval. Avant même qu’il ne touche le sol la terrible vérité le saisit. Il avait raté sa cible. [i]Il avait raté sa cible ! [/i]Le choc de la chute fut brutal et lui coupa le souffle tandis que la flèche fichée dans son épaule le faisait souffrir atrocement. [i]Gueule-Cassée[/i], bien vivant, hurla ses ordres et les siens se ressemblèrent pour massacrer la garde personnelle de son ennemi. Une jeune femme qui ne devait pas avoir dix-sept ans tua deux de ses hommes et mit pied à terre pour s’avancer vers lui, un sourire carnassier sur le visage. Nervas tenta de tirer un de ses couteaux, mais n’en eu pas la force. Soudain, le prince Molloy surgit et écrasa le crâne d’un sorgosien. Il se posta entre Nervas et la jeune femme qui l’attaqua. Il esquiva son premier coup, puis tenta de l’atteindre à la tête. Elle se baissa et le frappa à la hanche de sa hachette. Il recula mais la lame traversa tout de même la plaque, les mailles, les cuirs, pour pénétrer les chaires. Elle voulut arracher son arme, mais Molloy fut plus rapide et la frappa au visage. Elle recula, et le prince lui donna un coup de marteau, l’atteignant au ventre. Elle fut projetée à plusieurs pieds et ne bougea plus, sa toge blanche rougissant par endroits. Sobraï sourit difficilement en voyant le prince repousser les ennemis qui l’entouraient afin de préserver la vie de son généralissime. C’est alors que Gueule-Cassée lança son cheval vers Molloy et, d’un coup du plat de sa lame sur sa croupe, le fit se cabrer. Les sabots de sa bête percutèrent le prince qui chuta et lâcha son marteau. Il fut immédiatement entouré de sorgosiens et d’elfes, et Nervas entendit Agg-Kour s’écrier :

- Garder le prince et le général en vie ! Quiconque contreviendra à cet ordre mourra de mes mains !
Nervas Sobraï lança un regard vers lui. Le monde devînt flou et le généralissime perdit connaissance.

Lorsqu’il se réveilla, Nervas se trouvait sous la toile d’une grande tente. Son épaule était bandée et on avait retiré la flèche. Il tourna la tête. Un corps était allongé sur une paillasse à côté. Il vit le prince Molloy, pieds et poings liés, également allongé. Lui-même était libre mais ne pouvait plus bouger. Agg-Kour était assis en tailleur près de lui.

- Bonjour, [i]Cheval-sur-la-Dune[/i], lui dit le vieil homme. (Nervas acquiesça). La bataille est terminée. Tes hommes sont en déroute.

- Raconte-moi, demanda Nervas.

- Konaï Da et Ismos Oudaï se sont entretués, mais les elfes ont eu le dessus sur la Troisième Royale et ton aile droite a reculé. J’ai profité de l’occasion pour mener une attaque contre le centre de ton armée afin de le séparer de ton aile gauche, la plus faible. C’était très risqué, car si j’avais échoué, la bataille aurait été perdue. Mais je me suis souvenu qu’un vieil homme avait utilisé cette technique face à moi, quarante ans auparavant.

- Comme… fit Nervas en toussant. Comme quoi… Cela a payé. J’ai tenté de t’arrêter. Mais… la guerre n’est décidément plus de mon âge.

- Tu t’es très bien débrouillé, vieil homme. Tes stratégies, parfois inspirées des notres, ont faillis venir à bout de la détermination de mon peuple. Et par cette bataille, je risquais sa survie. Si nous avions perdus, il n’y aurait pas eu de retraite possible. Nous aurions été à la merci de ton roi. Tu as tué plusieurs des miens. Dont Esuf. Un couteau dans l’œil. Il est mort sur le coup.

- Je sais. Mais c’était toi que je visais. Esuf m’a rendu la pareille. C’était un brave. Tu l’honoreras ? Et cette jeune fille avec une hache ?

- L’action et le sacrifice d’Esuf seront mis en valeur. Mais par sa tribu, non par moi. Ce n’est pas mon rôle, même si sa perte m’attriste beaucoup. La jeune Tam’Hina est une [i]kulinda [/i]de la tribu Chat-Sauvage. Elle voue une haine sans fin aux Crâne-de-Taureau, qui sont responsables de la mort de son père. Elle est blessée, mais toujours en vie. Une fois la guerre achevée, elle reprendra sa quête de vengeance.

- Mmh. Les… Les autres ?

- Environ douze mille morts parmi les tiens. Quinze mille prisonniers. Les autres sont en fuite, sans chef pour les rassembler. Ils se sont dirigés vers les Basses-Terres, où dix mille des notres les poursuivent. Un peu plus de trois mille cinq cent elfes sont morts. Nous avons perdus entre dix et onze mille membres des tribus. Et quatre-cents mercenaires.

- Une véritable boucherie, fit Sobraï. Je… suis… désolé. (Agg-Kour détourna les yeux). Comment as-tu puni les Lance-de-Sable ?

- Cette tribu n’existe plus. Suivant la volonté du conseil des chefs, sous l’œil des Esprits du désert.

- Hum… fit Nervas, que cette phrase fit frissonner. Fait attention pour la suite,[i] Gueule-Cassée[/i]. Maélen… Maélen… dispose encore d’armées puissantes… et nombreuses. N’en demande pas trop. Et prépare-toi au combat. Toujours.

- C’était mon intention. Son frère servira d’otage. Il ne lui sera rendu qu’une fois la paix conclue.

- Tu es… sage, mon ami. Ton peuple… ton peuple a bien fait de te nommer. Je souhaite que tu réussisses… à le protéger. Je… je vais mourir. Je n’ai plus de force… amène moi dehors.

Le Guerrier-Roi souleva son vieil adversaire et le porta au dehors, où il l’installa sur un fauteuil en osier, sûrement récupéré dans une tente lagoride. Nervas ne voyait pas grand-chose, car la nuit était tombée. La tente d’Agg-Kour était éloignée du campement principal. Nervas Sobraï regarda les étoiles.

- Tu fus le plus grand adversaire que j’ai eu à affronter au cours de ma vie, vieil homme. Si tu le désires, je t’offrirais la fin des Guerriers-Rois et des [i]kulindas[/i]. Un grand bucher sous les étoiles. En souvenir de l’estime que nous avons l’un pour l’autre.

- Vos cendres sont dispersées dans le vent, dit Nervas dont la voix n’était plus qu’un murmure. Je ne veux pas que cela m’arrive. Tu recueilleras les miennes et tu les enverras à ma femme, Leleï, à Bétula. Comme le veut la coutume de ma terre natale. Ainsi je respecterai mes traditions. Tu fus aussi le plus redoutable adversaire qu’il m’ait été donné d’affronter. Dis-toi que tu as fait plier le Grand-Roi lagoride. Adieu, [i]Gueule-Cassée[/i], finit-il par dire après un long silence.

- Tes volontés seront respectées, mon ami, répondit Agg-Kour en posant une main sur son épaule. Adieu [i]Cheval-sur-la-Dune[/i].

Le vieillard ferma les yeux, et parti doucement en écoutant Agg-Kour entonner un chant de mort.


[b]An 1378 du Quatrième Âge, Palais Royal de Céläastra[/b]

Arthelor Fend-Tribord sourit en apercevant les lourds battants de chênes qui tenaient close la salle du Conseil. Il tendit la main et Séïren la lui prit. Elle l’aida à boitiller jusqu’à la porte, qu’un garde ouvrit sur un geste de la jeune femme. Il préférait éviter de se servir d’une béquille. Suite à sa longue rééducation, l’amiral était parvenu à se mouvoir sans trop de problèmes avec sa nouvelle jambe, mais il avait toujours du mal à marcher sur de longues distances. Ainsi, après avoir visité la princesse Nærisa, puis Dame Abæl dans ses appartements, il préférait s’appuyer sur Séïren pour éviter les faux pas. La jeune femme l’accompagna jusqu’à sa place avant de rejoindre la sienne. L’amiral s’appuya à la table pour éviter de chuter. Le Seigneur Selen Umbrïn entra à son tour, salua promptement Séïren et Arthlor, puis s’installa près de son siège. Varia Alluv le suivit de peu, salua, et rejoignit sa place. Lorsque Mïlia Abæl entra, tous s’inclinèrent. D’un geste, elle ordonna que les portes soient refermées, puis s’assit à la place de Nærisa. Elle se racla la gorge.

- Commençons, mes Seigneurs, dit-elle. Tout d’abord, je tiens à saluer le retour de l’amiral Arthelor Uvaron, héros de la bataille de l’Îlot des Singes Verts, et destructeur de la flotte ennemie.

- Je vous remercie, Dame régente, répondit Arthelor, flatté.

- Je dois également vous informer, Magisters, que la reine Ivawen et la princesse Nærisa sont en grande partie remises. Il ne fait guère de doute qu’elles présideront à nouveau ce conseil avant une semaine.

- Nous sommes ravis d’apprendre leur retour à la santé, Dame Mïlia, dit Varia Alluv.

- Il nous reste toutefois beaucoup de choses à régler au plus vite. Séïren, je te prie, instruit les membres du conseil sur le sort du Seigneur Erion Serra et de ses troupes.

- Bien, fit Séïren. Comme vous le savez, Erion Serra, à qui nous devons la prise de la Presqu’île du Goéland, s’est rendu avec environ trois cents soldats de Céläastra au sud des Kiwele, afin de porter secours à une troupe sorgosienne, des tribus Œil-Braise et Lance-de-Sable, en difficulté. Leur intervention a permis de vaincre nos ennemis.

- Excellente nouvelle ! s’exclama Selen Umbrïn.

- Ce n’est pas fini, Seigneur, dit Séïren en baissant la voix. Après la victoire, les restes de la tribu Lance-de-Sable, presque anéantie par les troupes du Grand-Roi, ont proposé de garder les prisonniers lagoride capturés pendant la bataille. Erion Serra, le capitaine Estë, ainsi qu’une cinquantaine d’elfes, blessés pour la plupart, sont restés avec eux, tandis que la tribu Œil-Braise et le reste des elfes poursuivaient nos ennemis. (Elle marqua une pause). Après une révolte des prisonniers, désirant s’évader, Ta’Kelm, chef de la tribu Lance-de-Sable, a décidé de venger le massacre des siens et de punir la révolte en tuant tous les captifs lagoride.

- Exécuter des prisonniers ? s’écria Varia Alluv. Ce n’est pas dans nos habitudes ! J’espère qu’Erion Serra n‘a pas donné sa bénédiction au chef nomade ?

- Ils n’agissent également pas ainsi d’ordinaire, continua Séïren. Plusieurs sorgosiens ce sont rebellés contre la décision du chef, et ont été massacrés. (Nul ne parlait plus). Erion et les siens ont décidé de combattre pour défendre les captifs. Ta’Kelm les a tous fait tuer. Il a crucifié Erion, Estë et un mercenaire nain, ami de Serra, et les a laissés, agonisants, dans le désert.

Elle s’arrêta de parler. Arthelor, au courant de l’histoire, vit les visages de Selen Umbrïn et de Varia Alluv se décomposer. Alluv se leva et frappa la table de son poing.

- C’est inadmissible ! Mïlia, vous devez annuler nos accords avec ce peuple de barbares. Il est hors de question qu’un seul de mes hommes soit tué pour le compte de meurtriers et de criminels.

- Nous sommes là pour en décider, Seigneur Varia, répondit Mïlia. Rasseyez-vous, je vous prie. Nous avons était informé de cela hier soir seulement. La plupart de nos troupes se trouvent au nord des Kiwele, et il nous faudrait une semaine pour envoyer un message jusque là-bas.

- Il y a-t-il des survivants ? demanda Umbrïn.

- Le nain et Erion Serra ont survécus, expliqua Séïren. Pas le capitaine Estë. Une avant-garde lagoride les a retrouvés avant qu’ils ne meurent tous. C’est Nervas Sobraï, général du Grand-Roi, qui nous a prévenus (Selen et Varia grincèrent des dents, et Arthelor ne pouvait que leur donner raison).

- Avant toute chose, mes Seigneurs, dit-il, je souhaiterais vous rappeler que nos troupes sont engagées à maints endroits contre le Grand-Roi. Noédor Edlla tient pour la Reine la Presqu’île du Goeland. Ismos Oudaï se trouve actuellement aux côtés du Guerrier-Roi Agg-Kour, mais je ne doute pas qu’il agira bien en apprenant ce qu’il est arrivé aux notres. De plus, Souvaron Desmopïl appui la reconquête de la Reine Malvace dans la Bande de Djiane.

- Ce que veut dire l’amiral, poursuivit Mïlia, c’est que nous aurons du mal à nous désolidariser du front de Djiane et qu’il est impensable d’évacuer la Presqu’île.

- Je n’ai jamais parlé de cela, Dame Régente, dit Varia Alluv. Mais il serait bon de cesser d’appuyer les sorgosiens et leur réclamer justice, ainsi que, c’est la moindre des choses, le retour immédiat des dépouilles de nos hommes. Et il nous faudrait rédiger une missive allant dans ce sens le plus tôt possible. Qu’en dites-vous ?

Tous acquiescèrent. Arthelor ne voyait pas de raison de continuer à soutenir Sorgoz. Il espérait seulement qu’Ismos Oudaï n’avait pas déjà engagé ses troupes aux côtés de leurs alliés et qu’il aurait le temps de se retirer.

- Nous devons à présent évoquer les évènements de la Bande de Djiane et de la Presqu’île du Goéland, dit-il. La Reine Malvace a engagé le combat sur ses terres. Selon nos informations, sa cavalerie à tendue une embuscade à une colonne du général Syna, et l’a entièrement détruite. Elle fait courir la rumeur de son retour dans les campagnes et promet des ressources apportées par les elfes et nous informe que plusieurs soldats de Syna mutins l’ont rejointe. Le Seigneur Desmopïl fait route vers le royaume, afin de lui apporter tout son soutien, notamment pour éviter une réplique du Grand-Roi.

- Si une armée elfe se trouve au cœur de son royaume, réfléchit Selen Umbrïn, il voudra limiter les dégâts et demandera la paix.

- Nous n’en sommes pas encore là, temporisa Mïlia, mais notre but est en effet d’étouffer le Grand-Roi. A ce titre, je tiens à nouveau à saluer l’amiral Arthelor Uvaron, car sans sa victoire navale à l’Îlot des Singes Verts, ce plan n’aurait pu être mené à bien. De plus, le Royaume du Zénith, craignant la puissance lagoride, a facilement ouvert ses frontières à nos troupes, notamment grâce votre intervention, Seigneur Umbrïn.

- En ce qui concerne la Presqu’île du Goéland, dit Séïren, la situation est toujours stable et les…

Elle fut interrompue par le bruit de la porte de la salle qui s’ouvrait à la volée. Arthelor se retourna vivement. Dans l’encadrement se tenait le Seigneur Rylor Furiade. Mïlia se leva instantanément. Le seigneur s’avança lentement. Les cheveux grisonnants, il était très grand, même pour un elfe. Ses yeux bruns-verts lançaient des éclairs, son visage légèrement ridé par l’âge était tordu. Il était drapé dans un grand manteau de pourpre et d’hermine et s’appuyait sur un bâton en bois d’olivier au sommet orné d’une tête de dragon en bronze. Un bandeau d’argent ceignait son front et il portait au côté [i]Eïbile[/i], la grande épée d’argent qui échoyait depuis des générations au chef de la Famille Furiade.

- Mïlia, dit-il d’une voix glaciale. [i]Ma fille[/i]. Pourquoi est-ce qu’un obscur général continental m’apprend la mort de la ma fille ?

- La reine ne m’en a fait part qu’il n’y a quelques heures, répondit Mïlia.

- Estë ne combattait pas, repris Furiade. Elle était musicienne et commerçante. De temps en temps, elle transportait des troupes. Que faisait-elle en plein désert !?

- Je l’ignore, Seigneur, dit Mïlia d’une voix égale.

- Elle a été tuée par [i]vos alliés[/i] ! s’écria-t-il. J’ignore même où se trouve le corps de ma fille actuellement ! J’exige que ces nomades soient exécutés ! Tous, châtiés ! Je m’en chargerais moi-même !

- Vous ne quitterez pas l’Île sans autorisation de la Reine ou de la régente, dit Mïlia d’une voix froide. Asseyez-vous. Nous parlions justement des suites à donner à cette affaire. Asseyez-vous et j’oublierai que vous venez de violer le secret de la salle du conseil.

- [i]Vous [/i]prétendez m’interdire quelque chose Mïlia ? rugit le Seigneur. Vous prétendez poser des [i]conditions [/i]? Ma fille est morte, torturée par les barbares auxquels la couronne s’est alliée et vous me parlait du prétendu [i]respect [/i]de cette salle ? Votre notion d’honneur est lamentable, comme celle de tous les continentaux !

- [i]Honneur [/i]? répéta Mïlia (Arthelor prit soudain peur). [i]Vous [/i]me parlez d’honneur ? Dois-je vous rappeler par hasard que vous avez détruit celui d’une jeune femme, il y a une quarantaine d’années ? Elle s’appelait Mynê Lya.

Arthelor crut que Rylor allait gifler Dame Abæl. Finalement il se contenta de frapper violement le sol de son bâton et d’ajouter d’une voix tranchante :

- Il s’agit de ma [i]fille [/i]! Mïlia, évitez de critiquer les bâtards. Tout le monde sait que vous boudez la couche de votre mari. Je me demande qui a bien pu vous mettre huit fois enceinte.

- M’insultez pas ma mère, Furiade ! s’exclama Séïren en se levant.

- Merci, Séïren dit Mïlia en la faisant rasseoir. Rylor, je suis régente ici. Je dirige Céläastra, la ville, l’Île et les terres royales. Que vous me manquiez de respect passe encore, mais vous venez d’insulter mes filles, qui ne sont que des enfants, exceptée Séïren, qui n’a pas l’expérience pour répondre à vos attaques. Je l’ai. En conséquence, je vais immédiatement vous faire transférer dans les geôles du palais, afin que vous méditiez sur ce que vous venez de dire. Après quoi [i]le gouvernement[/i] fera son travail en ce qui concerne Sorgoz.

Les gardes s’avancèrent. Arthelor frissonna craignant le pire. Le Seigneur Furiade porta la main à la poignée d’[i]Eïbile[/i]. Soudain, un cri déchira l’air. « Il suffit ! ». Arthelor senti son cœur chavirer en reconnaissant la voix de Nærisa. La princesse, appuyée sur une canne, venait d’ouvrir l’une des portes latérales de la salle du conseil. Arthelor, comme le matin même, fut empli de joie en voyant son ventre de plus en plus arrondi. Tous se retournèrent et se figèrent. Immédiatement, Rylor Furiade, les Magisters, les gardes, s’inclinèrent.

- Seigneur Furiade, auriez-vous l’obligeance ? demanda la princesse.

Rylor, posa son bâton au sol, se releva et se précipita vers elle. Il ramassa la canne de Nærisa et la soutînt jusqu’au fauteuil royal où elle s’installa. Mïlia retira l’anneau de commandement et le plaça dans la main tendue de la princesse. Nærisa le passa à son doigt.

- Prenez place face à nous, Rylor, demanda-t-elle (il s’exécuta). J’ai entendu vos cris depuis l’escalier. Pardonnez ma tante, elle est un peu prompt au châtiment. Vous aussi, j’ai l’impression (la Dame et le Seigneur la foudroyèrent du regard). Néanmoins, votre colère est compréhensible, et plus encore par une mère. Si ma santé me l’avais permit, je me serais moi-même déplacée au Pays de Sorgoz afin de demander réparation à nos alliés, n’eut été les récentes nouvelles.

Elle marqua une longue pause. Tous l’écoutaient attentivement et Rylor semblait pendu à ses lèvres, et légèrement calmé.

- Votre fille, reprit-elle, ainsi que mon fiancé, ont été torturés par la tribu Lance-de-Sable, elle-même détruite en grande partie par un homme du Grand-Roi. Le chef de tribu, Ta’Kelm, a agi de sa propre initiative, sans en référer aux autres tribus. Plusieurs sorgosiens sont d’ailleurs mort aux côtés des notres. La Reine et moi-même avons reçu une missive du Guerrier-Roi ce matin. Leur messager à pratiquement tué ses chevaux pour nous faire parvenir l’information au plus vite.

- Quelle information ? demanda précipitamment Furiade.

- Nervas Sobraï a livré les coupables au Guerrier-Roi de Sorgoz, Agg-Kour, qui a immédiatement réuni le conseil des chefs de tribu pour statufier sur le sort des Lance-de-Sable. Plus de huit chefs sur dix ont demandé la mise à mort de Ta’Kelm et des siens. Les civils Lance-de-Sable ont été quant à eux dispatchés dans d’autres tribus. Les Lance-de-Sable n’existent plus. A cet égard, j’estime que si deux centaines de sorgosiens se sont rendus coupables d’un massacre, les tribus ont sues rendre justice aux notres. Je ne suspendrai pas notre alliance avec Sorgoz. Et Ismos Oudaï combattra à leurs côtés.

- Il y a des massacres dans toutes les guerres, murmura Furiade. Justice est faite. Mais je désire savoir ce que ma fille faisait au milieu du désert. Et j’espère pour lui qu’Erion Serra n’est pas responsable de cela. Je veux que le corps d’Estë me soit rendu au plus vite. Qu’elle puisse avoir droit aux honneurs dus à une elfe de son rang.

- Le nain Hroar Erlîn se trouvait auprès d’elle pendant l’attaque et a également été crucifié. Il a pu être sauvé. Il vous racontera tout ce qu’il sait. Agg-Kour le fait escorter jusqu’à l’Île. Il devrait arriver en même temps que les corps de nos soldats, soit dans une semaine.

- Je vous remercie, Princesse, dit le Seigneur. M’autorisez-vous à présent à me retirer ? Il me faut me reposer.

- Bien sûr, Seigneur.

Il se leva, ramassa son bâton et parti lentement, comme assommé. Arthelor voyait tout de même qu’il conservait en lui une rancœur tenace envers tous les responsables indirects de la mort de sa fille, notamment Ivawen, qui avait déclenché la guerre, et lui-même, qui avait recruté Estë dans sa flotte. Il espéra qu’il serait satisfait de pouvoir enterrer son enfant.

- Bien, fit Nærisa. Mïlia, j’aimerais que vous restiez à cette place pour me conseiller jusqu’au retour de ma sœur. Maintenant passons à d’autres sujets je vous prie.
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Nice !

J'ai presque cru qu'il y avait de la rebellion dans l'air à la fin ! Ca aurait pu donner aussi du piquant s'il y avait des problèmes au sein même des salles de commandement :P La bataille est plutôt bien racontée même si je m'y suis perdu quand on parlait directemennt des destins des personnages. Ca nous fait passer d'un côté à l'autre sans qu'on sache qui on suive au final ! En tout cas j'aime bien la notion de respect qu'il y a entre les chefs comme si la guerre était vraiment un affrontement sans émotion et que personne n'en gardait rancoeur !

En tout cas c'était bien, j'ai vu qu'une petite faute :

[quote] Arthelor [b]senti [/b]son cœur chavirer [/quote]

@+
-= Inxi =-
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Nice !

J'ai presque cru qu'il y avait de la rebellion dans l'air à la fin ! Ca aurait pu donner aussi du piquant s'il y avait des problèmes au sein même des salles de commandement :P La bataille est plutôt bien racontée même si je m'y suis perdu quand on parlait directemennt des destins des personnages. Ca nous fait passer d'un côté à l'autre sans qu'on sache qui on suive au final ! En tout cas j'aime bien la notion de respect qu'il y a entre les chefs comme si la guerre était vraiment un affrontement sans émotion et que personne n'en gardait rancoeur !

En tout cas c'était bien, j'ai vu qu'une petite faute :

[quote] Arthelor [b]senti [/b]son cœur chavirer [/quote]

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  • 2 semaines après...
La suite, j'espère que vous apprécierez !


[center][u][b]Chapitre XXVI[/b][/u][/center]


[b]An 1378 du Quatrième Âge, Bétula, capitale du Royaume Lagoride[/b]

Astin Solvi était nerveux. Il marchait au travers les longs couloirs du palais royal lagoride, escorté par quatre membres de la garde du Grand-Roi. A sa droite, les fenêtres donnaient sur les jardins royaux. Soigneusement taillés et somptueusement décorés, ils étaient couverts de neige, fait rare en cette fin d’hiver. Ainsi, les vitres étaient recouvertes de givre et Astin était enroulé dans une épaisse cape de fourrure. Il admira les magnifiques vitraux ornant le sommet des fenêtres du palais. Scènes de chasse, de bataille, scènes religieuses surtout. Cela faisait partie de ce que le ministre affectionnait le plus au sein de ce château. Cadet d’une famille de moyenne noblesse terrienne des Basses-Terres, le père d’Astin Solvi lui avait confié la gestion du commerce fluvial et maritime de sa forteresse avec Bétula et la Confédération des Cités-Etats, tâche dont il s’était parfaitement bien acquitté. Un grand noble du Delta l’avait par la suite engagé en tant que conseiller commercial, et Astin était parvenu à faire fructifier ses affaires, tout en s’enrichissant au passage. Dix ans auparavant, ce seigneur avait commis l’erreur de se rebeller contre une taxe imposée par le Grand-Roi, qui l’avait écrasé militairement. Néanmoins, les stratégies de Solvi lui avaient permis de résister à un long siège, ce qui impressionna Maélen IV. Le Grand-Roi le nomma alors conseiller auprès du ministre des mers, puis lui confia totalement les rennes de ce ministère. Enfin, satisfait de ses services, Maélen renvoya son principal ministre lui ayant déplu, et chargea Astin Solvi d’assurer cette fonction. En six ans de charge, Astin s’était évertué à faire entrer de l’argent dans les caisses du royaume, notamment en luttant contre la corruption des fonctionnaires fédéraux. Trois ans auparavant, il avait également déconseillé au souverain de s’attaquer une première fois à Céläastra, et d’essayer de traiter avec les elfes lorsque plusieurs escarmouches navales avaient envenimé les relations entre les deux royaumes. Néanmoins, il avait par la suite marqué son accord avec son souverain quant à l’intervention au Pays de Sorgoz. Sa place auprès de Maélen IV faisait de lui un homme craint et détesté par une grande partie des nobles du Royaume-Fleuve. Pour autant, les fils et le frère du Grand-Roi se montraient chaleureux envers lui.

- Pourquoi Sa Majesté me fait-elle mander de si bonne heure ? demanda le ministre à ses gardes.

Ils ne répondirent pas. Astin s’en doutait. Il se doutait également de la raison pour laquelle il se dirigeait vers les appartements royaux. Il avait reçu la veille au soir et au cours de la nuit une série de lettres, toutes en provenance de la Bande de Djiane. La première lui annonçait la déroute de la troupe d’élite qu’il avait envoyée à la frontière de la Bande. Ces trois mille hommes étaient destinés à intimider les partisans de Malvace, désormais maîtresse d’une partie de Djiane, voire à intervenir contre elle. Néanmoins, les troupes lagoride s’étaient frottées à une coalition d’elfes et de mutins de l’armée de Syna, qui les avaient vaincues. La deuxième missive provenait de Dguir, le frère de Syna, régnant en son absence à Ostania. Il racontait qu’il avait eu à mater une violente émeute des partisans de Malvace. Le calme était revenu dans la capitale, excepté à l’est où quelques rebelles se battaient encore, mais la situation restait préoccupante. Enfin, l’ultime missive, arrivée quelques heures avant l’aube, informait Astin Solvi du fait que les armées du roi Syna avaient été repoussées par celle de Malvace, soutenues par un contingent elfe, et que les désertions étaient nombreuses au sein de l’infanterie. Syna s’était retranché en bon ordre vers Ostania, mais l’avancée de son ennemie était rapide et elle opérerait bientôt sa jonction avec le gros des troupes elfes. Ainsi Syna se retrouverait piégé dans une capitale instable, avec en face de lui une armée plus nombreuse et mieux entraînée, galvanisée par de récentes victoires. Ses troupes, démoralisées, ne tiendraient pas, et Astin Solvi savait d’ors et déjà que l’éphémère dynastie de Syna était plus ou moins condamnée. Il lui était impossible de risquer d’intervenir directement, la population civile semblant soutenir Malvace, et grossir ses troupes grâce à, d’après les lettres, des cadeaux octroyés par les elfes. Il serait surtout stupide de mobiliser le gros des troupes du royaume pour conquérir une province qui n’était pas entrée en rébellion contre le Grand-Roi. De plus, Djiane était dans son droit en faisant appel à des ennemis de Maélen pour régler des problèmes internes. Astin s’assurerait tout de même que l’armée royale se tiendrait prête à écraser le corps expéditionnaire elfe au cas où ce dernier tenterait de franchir la frontière et de pénétrer dans le Delta. Si le principal ministre gouvernait le Royaume-Fleuve, il ne pouvait pas faire grand-chose sans l’aval de Maélen IV, et le Grand-Roi tenait à vérifier lui-même tous les décrets militaires, diplomatiques ou ayant trait au commerce maritime. Il était forcément au courant des troubles secouant Djiane, et voulait s’entretenir avec Astin Solvi sur la suite des évènements. Et en particulier en ce qui concernait son principal ministre, qui lui avait vivement conseillé d’assassiner le roi Corylus, considéré comme un traitre, et d’appuyer la montée sur le trône de Syna.

Ils arrivèrent près d’un escalier qu’Astin avait franchi des centaines de fois. Ils le gravirent rapidement, puis marchèrent dans un long couloir sinueux, pour enfin arriver devant une porte, chargée de fioritures en tout genre, allant de la fleur en bois ciselé à la représentation graphique en relief du Royaume-Fleuve. Les gardes annoncèrent l’arrivée d’Astin Solvi, puis, comme le voulait l’usage, le fouillèrent consciencieusement. Voyant qu’il n’avait aucune arme et une fois que le Grand-Roi lui ait demandé d’entrer, il s’éloignèrent et Astin poussa la porte. Maélen IV se tenait devant sa fenêtre et lui tournait le dos. Ce bureau était l’un de ceux qu’il préférait au sein du palais. Orienté plein ouest, il conservait les lueurs de la nuit après le lever du soleil, spectacle que le Grand-Roi observait avec plaisir. La pièce était meublée sobrement. Un bureau, une table basse et plusieurs fauteuils, une imposante bibliothèque doublée d’une cartothèque. Sur la table, un long poignard était posé. Dans un coin de la pièce le ministre repéra la silhouette imposante de Zoon, le seul orc de la garde royale. Il était plus petit que la moyenne des représentants de son peuple, mais très véloce et considéré comme l’un des meilleurs bretteurs du Delta. D’aucun disaient qu’il était occasionnellement le confident de Maélen IV. Astin s’agenouilla.

- Bonjour, Votre Altesse, dit-il, la voix légèrement tremblante. Que puis-je faire pour Vous ce matin ?

- Asseyez-vous, Solvi, dit-il avec raideur.

Tandis qu’Astin s’exécutait, le roi se retourna lentement et vînt s’installer en face de lui. La pièce était encore plongée dans la pénombre, mais les yeux de Maélen brillaient dans l’obscurité. Comme d’habitude, ils étaient indéchiffrables. Contrairement à ses fils ou à son frère, Maélen n’entretenait pas de relation plus ou moins amicale avec son ministre et leurs rapports étaient uniquement cordiaux. Leurs échanges portaient toujours sur la gestion du pays, même si Maélen restait le plus souvent secret sur ses projets à long terme.

- Vous êtes au courant des derniers évènements à Djiane.

- Je le suis, dit Astin en sentant une goutte de sueur couler dans son dos.

- Je suppose que vous avez un plan pour arranger tout cela ?

- Votre Majesté, fit Astin, je pense malheureusement que les jours de Syna sur le trône de Djiane sont comptés, il ne peut résister à la coalition réunie par Malvace. Nous ne pouvons pas non plus intervenir, au risque de s’attirer les foudres des autres provinces, qui verraient cela comme une atteinte au droit régalien leur permettant de régler leurs troubles intérieurs. Contrairement à Corylus, qui vous avez défié ouvertement, Malvace s’est tenue coite et n’a jamais agi contre vous. Nous pouvons tout de même envoyer une armée royale contrer toute incursion elfe sur notre territoire.

- Pourquoi êtes-vous mon principal ministre, Astin ?

- Je…, commença Solvi.

- Parce que vous êtes intelligent, le coupa le Grand-Roi. Syna est perdu, à moins qu’il ne parvienne à vaincre ses ennemis, ce qui est peu probable étant donné les compétences stratégiques de ce général elfe, Desmopïl, si mes souvenirs sont bons, et le soutien qu’offre une majorité de la Bande à Malvace. Et il est évident que j’enverrai une armée à la frontière, pour contrer les elfes.

- Vous aviez pourtant besoin de moi ce matin, Votre Altesse.

- J’y viens. Depuis notre défaite à la plaine de Malix, la capture de mon frère et les morts de Nervas Sobraï et de Konaï Da, la situation est délicate sur le front ouest. Toutefois, les armées des duchés nordiques et du Delta feront leur jonction aujourd’hui dans les Basses-Terres, pour contrer toute tentative d’invasion de la part de Sorgoz ou des elfes. Suite à notre défaite, je n’engagerais pas tout de suite mes armées dans le désert. Il nous faudra aussi reconstruire notre marine de guerre. Je vous rappelle que mon fils nourrit les poissons à l’heure qu’il est.

- Alors ? s’enquit Astin Solvi, quelque peu dépité. La paix ?

- Je suis convaincu que c’est ce que veulent à la fois Agg-Kour de Sorgoz et la Reine Ivawen de Céläastra. Ils sont en position de force, mais notre royaume est intact. Je tenterais de sauver ou de négocier la Presqu’île du Goéland.

- Cette guerre était juste, Votre Majesté, dit Solvi. Il fallait réduire les velléités guerrières des nomades, et contrer leurs raids meurtriers.

- J’en suis convaincu, murmura le Grand-Roi. Ils nous menacent depuis des siècles, et je me devais d’y mettre un terme. Une dernière chose, Astin Solvi. Parlez-moi de l’agression de la Reine Ivawen et de sa sœur.

- Elles ont survécu à cette tragédie, raconta Astin, bien que Maélen soit au courant. Elles se remettent de l’attaque et, aux dernières nouvelles, se portent bien.

- Ce n’est pas ce que je demandais, glissa le Grand-Roi d’une voix douce. L’assassinat de chefs de pays étrangers est un coup-bas que l’on ne peut se permettre. Cyniquement, ces morts nous auraient aidées, il est vrai. Mais cela me met dans une situation délicate, Astin, en convenez-vous ?

- J’en conviens, mon Seigneur, souffla Solvi en tremblant. Votre Altesse Sait que je n’ai jamais cherché qu’à satisfaire ses glorieux desseins.

- Je le sais, dit-il d’une voix blanche. Vous m’avez déçu Astin. Et mal conseillé. Vous avez une grande part de responsabilité dans les défaites récentes (le ministre acquiesça). Néanmoins vous m’avez loyalement servi pendant des années. Je le respecte.

Astin voulu prendre ses jambes à son coup, partir le plus loin possible. Mais cela n’aurait servi à rien. Il ne bougea pas, hypnotisé par les yeux de Maélen IV et par la puissance qui se dégageait de lui. Le Grand-Roi poussa lentement le poignard vers lui.

- Votre Majesté, je…, débuta le ministre. J’ai… j’ai une peur… panique… du sang. Si je pouvais vous supplier de m’accorder cette dernière faveur ?

- Si vous voulez, mon cher, répondit Maélen.

Il tourna la tête vers Zoon. Le guerrier acquiesça et s’avança. Le souverain lagoride regarda intensément son ministre qui tremblait de plus belle. Zoon ramassa le poignard et Astin Solvi inclina lentement le buste devant Maélen IV. Il cria lorsque la lame pénétra son cœur.


[b]An 1378 du Quatrième Âge, Palais Royal de Céläastra[/b]

Le rêve de Silya était délicieux. Aussi, elle ne voulut pas le quitter lorsqu’Ivawen la secoua pour la réveiller. L’humaine grogna et gigota, puis vînt se blottir dans les bras la reine, dans l’espoir de la convaincre de dormir quelques instants de plus. Ivawen la serra contre elle, puis la secoua à nouveau. Silya ouvrit les yeux à contrecœur. Déjà l’elfe sortait du lit et se dirigeait vers sa salle de bain. L’humaine la suivit en trainant des pieds. Lors de la convalescence de la reine, Silya avait pris l’habitude de remplacer parfois les médecins en faisant la toilette de sa maîtresse. Bien qu’Ivawen soit remise, la guerrière lui tenait encore lieu de suivante, l’aidant notamment à se laver et à se vêtir. La reine se glissa dans l’eau tiède de sa baignoire, réchauffée grâce à un système de bouillotes. Silya avait remarqué que les elfes se lavaient plus régulièrement que les monarques des royaumes humains. Elle s’approcha et savonna le dos d’Ivawen. La nudité de son amante affriolait Silya, mais elle savait qu’elle n’était pas d’humeur câline. La reine se leva et Silya lui fit passer un nouveau savon, parfumé à l’essence de lys. Elle l’appliqua consciencieusement sur sa peau. Une fois la reine propre et parfumée, Silya la sécha en l’enroulant dans de grandes serviettes en éponge. Elle essora aussi ses longs cheveux blonds. Ivawen commença à se vêtir et Silya alla lui chercher quatre robes qu’elles avaient sélectionnées. De velours et de dentelles, elles étaient toutes magnifiques. Plus belles encore de celles que portaient Silya lorsqu’elle-même était Haute-Reine, témoignant encore une fois de l’opulence de Céläastra. L’humaine apporta aussi deux voiles très fins, destinés à couvrir légèrement le visage. Les robes et les voiles étaient tous noirs. Ivawen réfléchit un instant, puis sélectionna l’une des robes, noire, rehaussée de dentelles rouges sang et bleues nuit aux épaules. Elle repoussa les voiles.

- Aide-moi, ordonna la souveraine. Tu passeras ton armure ensuite, je veux que tu m’escortes.

Silya acquiesça et s’activa. Elle aida la reine à passer le vêtement. Elle l’ajusta aux épaules, aux hanches et commença à lacer la robe dans le dos. Elle respira un grand coup, puis lui dit :

- Je dois te parler de quelque chose d’important avant que tu ne sortes.

- Je t’écoute, répondit calmement Ivawen.

- Mon vrai nom n’est pas Silya Ayën, et je ne suis pas ce que je prétends être depuis mon arrivée sur l’Île.

- Je le sais Silya, sourit la reine. Cela se voit lorsque l’on te fréquente au quotidien. Tu es bien trop à l’aise avec les personnalités royales. Qui es-tu ? Une noble déchue ? Un ancien membre de la garde personnelle d’un roi continental ?

- Mon vrai nom est…, commença Silya, soulagée que la reine ne soit pas trop étonnée. Mon vrai nom est Enaria-Silya Monaste-Féode Annolos, je fus Haute-Reine de tous les Alizés durant seize ans.

Ivawen se retourna vers elle et lui prit les mains.
- Je…, dit-elle, je ne m’y attendais pas. Tu es donc cette jeune reine guerrière qui a vaincu les souverains solaris ? La reine Sirga m’en avait parlé. Mais, il y a un peu plus deux ans, un consul alizéen est venu en visite sur l’Île. Il m’a raconté que la reine Enaria, après avoir tenté un coup d’état contre son fils était morte accidentellement dans la bataille. Il parait que des funérailles ont été organisées.

- Alors le cercueil était vide. Et mon fils a détruit ma réputation… Il m’a rendu tous les coups que je lui ai portés. Tiens (elle déboucla sa chaine et lui présenta sa médaille et son alliance). L’alliance que m’a donnée mon époux, le roi Léonel III. Il portait la même et est toujours représenté avec dans le Royaume Alizé. Tout comme moi. Si jamais tu doutes de ma sincérité.

- Je te crois, fit Ivawen et observant la bague. Je commence à comprendre ta force. Raconte-moi.

- J’avais quinze ans lorsque mon père est mort. Il m’avait mariée à mon cousin Léonel peu de temps avant pour asseoir sa légitimité. Léonel lui a succédé, puis est mort lors de l’invasion solaris, après m’avoir mise enceinte. J’ai porté mon fils huit mois, puis j’ai rapidement pris les rênes du pouvoir. J’ai également repris les armes et élaboré les stratégies avec mes conseillers militaires. Je n’ai jamais beaucoup aimé la politique.

- Pourquoi ne pas avoir confié la régence à l’un de tes suivants, pour t’occuper de ton fils ? (Silya se leva, outrée).

- Je suis une guerrière, Ivawen ! Je n’allais pas laisser un obscur courtisant mener mon royaume alors qu’il vivait ses heures les plus sombres. J’ai quitté un temps les champs de bataille pour me battre contre tous ceux qui voulaient m’évincer.

- Excuse-moi, dit la reine, confuse. Continue, s’il te plait.

- Une fois la guerre terminée, j’ai délégué une partie du pouvoir politique, mais je me suis réservé la direction des affaires militaires. J’ai dû mater personnellement plusieurs révoltes. A la majorité de mon fils, quinze ans, j’ai refusé de lui remettre le pouvoir. N’étais-je pas fille de roi ? Femme de roi ? Mère de roi ? J’ai pris le titre et j’ai assigné mon fils à des tâches secondaires. J’ai tenu un peu moins d’un an. Une épidémie s’est répandue dans mon royaume, et la plupart de mes soutiens, bien plus vieux que ceux de mon fils, y ont succombée. Il a bien manœuvré ensuite pour m’isoler. Une nuit la garde royale est venue m’arrêter. Ils ont tué ma garde du corps, qui était également mon amante. Nous avons tout de même pu tous les massacrer, puis je me suis enfuie. Pendant deux ans j’ai erré, en me travestissant, jusqu’à ce que l’amiral Fend-Tribord abord le navire sur lequel je me trouvais, et me propose de rejoindre l’Île. Je savais que les femmes elfes combattantes étaient plus nombreuses que les humaines. J’ai donc quitté mon déguisement d’homme. Voilà.

Silya avait lâché ce récit comme si elle l’avait maintenu en elle trop longtemps. Elle se sentit soulagée, mais aussi étrangement vide. Comme si elle avait ressenti son trouble, Ivawen l’embrassa tendrement. Elle décrocha l’une de ses boucles d’oreilles et la mise à Silya en souriant.

- Et maintenant ? As-tu des regrets ?

- Oui, souffla Silya. Je regrette la perte de mon fils et la mort d’Idraïs. Je ne regrette pas de t’avoir rencontrée. Je veux me concentrer uniquement là-dessus désormais. Sirga est-elle toujours en vie ?

- Non, expliqua Ivawen. Elle est morte alors que tu te trouvais à Djiane. Son squelette a été renvoyé au sein du royaume Solaris. Peut-être… Peut-être aimerais-tu parler une dernière fois à ton fils ?

- J’en rêve souvent. Lui demander pardon. Lui dire que je l’aimerai toujours.

- Envoie-lui une lettre, proposa la reine. Incognito. Un de mes agents la lui remettra directement en mains propres. Tu lui expliqueras tout, s’il t’a faite passer pour morte, il te laissera en paix.

- Je…, oui, faisons cela. Je t’aime, Iva.

- Moi aussi, ma chérie, répondit la reine.

Elle lui sourit et la serra dans ses bras. Elle était encore plus belle dans cette magnifique robe. Ses cheveux cascadaient dans son dos. C’était sublime. Silya se blottit contre elle. Pour la première fois depuis des années, elle se sentit jeune fille, et profita de la protection des bras de son amante. Enfin elle se dégagea et Ivawen l’aida à passer son armure. Elle ceignit ses épées et mis en place son insigne de Poing de la Reine. Elle enleva la boucle d’oreille d’or que lui avait donnée la reine. Les deux femmes se dirigèrent vers la porte. Avant de sortir, Silya retînt sa reine. Elle la regarda dans les yeux.

- Bon courage, lui glissa-elle.
Ivawen sourit difficilement, puis ouvrit la porte.


Hroar Erlîn regardait la porte, les yeux perdus dans le vague depuis un bon moment. Rylor Furiade venait de le quitter. Le noble l’avait appelé « nain » durant tout leur entretien, et Hroar avait compris qu’il faisait des efforts pour ne pas dire « nabot », terme qui était une insulte dans la société naine, surtout lorsqu’il était prononcé par un elfe. La réponse adéquate était alors un coup de tête dans les côtes ou dans les parties génitales. Néanmoins, le seigneur s’était montré courtois et même amical envers Hroar. Il lui avait fait une forte impression, plus forte que tous les seigneurs elfes qu’il avait vu de près jusqu’alors. Pourtant, lorsque la reine Ivawen entra, le nain fut époustouflé. Sa beauté ne parut pas évidente à Hroar, mais sa prestance éclipsait celle de Rylor Furiade. En robe noire, elle le regardait intensément. Ses yeux bleus profonds étaient indéchiffrables. Le guerrier s’agenouilla.

- Majesté, murmura-t-il.

- Relevez-vous, Hroar Erlîn, dit-elle. Oubliez le protocole et prenez un siège, nous sommes deux soldats vétérans aujourd’hui, évoquant la disparition d’un camarade. Regardez-moi dans les yeux, et racontez-moi la mort du capitaine Estë. Sans détour, sans me ménager. Racontez-moi tout ce qu’il s’est passé.

- Estë nous avait accompagnés en navire jusqu’aux côtes de Sorgoz, dit Hroar en s’asseyant. Nous avons été pris dans une tempête. Le mât de son vaisseau s’est brisé. Elle a alors insisté pour nous accompagner dans le désert. Elle voulait voir de ses yeux ce qu’elle appelait la « mer continentale ». Erion Serra a protesté, mais elle lui a rétorqué qu’il n’avait pas à lui interdire quoi que ce soit. Erion a fini par accepter. Nous avons voyagé environ une semaine dans le désert, jusqu’à rejoindre le camp des sorgosiens.

Il marqua une pause. Ivawen s’était assise en face de lui et l’écoutait, sans dire un mot. Elle le regardait dans les yeux, immobile.

- Erion avait interdit à Estë de participer à la bataille, et elle-même ne le voulait pas. Elle est restée à l’écart durant la confrontation. Juste avant d’attaquer les lagoride, Ta’Kelm, le chef des Lance-de-Sable m’a raconté la destruction de sa tribu, la cruauté des soldats ennemis, le massacre gratuit. Pour fuir et libérer les siens, il avait dû se trancher la moitié du pied. Je compatissais à sa douleur. J’ai connu des massacres, Votre Altesse, mais jamais le meurtre de masse d’une communauté entière. Nous nous sommes battus côté-à-côte il m’a même sauvé la vie. Après la bataille, Estë nous a rejoints. Le gros des troupes est ensuite parti poursuivre les derniers lagorides et nous gardions les prisonniers.

Il marqua une seconde pause, essayant de rassembler les éléments dans sa tête. La reine restait attentive.

- Les prisonniers se sont par la suite révoltés. Ils ont essayé de fuir, mais ont été rapidement rattrapés par les sorgosiens. Ta’Kelm a alors voulu les châtier en les exécutant. Je pense qu’il voulait frapper d’horreur le Royaume-Fleuve, tout comme le massacre de sa tribu avait frappé les siens d’horreur. Mais nous ne pouvions le laisser faire. Erion, blessé, a refusé et ordonné à ses troupes de défendre les prisonniers. Nous étions bien moins nombreux. J’ai tenté de défendre Estë, je me suis battu comme j’ai pu, mais les Lance-de-Sable ont eu le dessus. Ils ont tué tous les elfes et tous les lagoride. Ta’Kelm a alors ordonné de bâtir des croix et nous a fixé dessus, Erion, Estë et moi. Erion n’a pas supporté et s’est évanoui rapidement. Estë, qu’ils avaient rouée de coups, s’est vite affaiblie et est morte, alors que nous avons survécus. La torture était très efficace et nous nous sommes mis à délirer rapidement. Moins d’une heure de plus et je serais devenu aveugle et fou avant de mourir.

- Que s’est-il passé ensuite ? demanda Ivawen.

- Une troupe lagoride avait réussi je ne sais comment à contourner la tribu Œil-Braise qui les poursuivaient et nous a découvert. Ils ont ensuite récupéré les derniers Lance-de-Sable. Ils nous ont livré au général Nervas Sobraï, qui m’a remis avec les prisonniers sorgosiens au roi de Sorgoz. J’ai témoigné devant lui et devant le conseil des chefs. Le conseil a décidé la destruction de la tribu Lance-de-Sable. Les meurtriers ont été exécutés et les autres membres ont été dispatchés dans d’autres tribus. Agg-Kour m’a laissé le choix. Certains assassins avaient tentés d’empêcher Ta’Kelm de massacrer les prisonniers et s’étaient rapidement confessés. Ils regrettaient leurs actes. J’aurais pu commuer leur peine en exil à vie de Sorgoz. J’en ai été incapable, ma Reine. J’ai leur mort sur la conscience.

- Vous n’avez rien du tout sur la conscience, Hroar. Tout le monde aurait agi ainsi. Bien qu’ils soient moins coupables que les autres, ils restent des assassins, et le châtiment des assassins, c’est la mort. Vous m’avez servi loyalement, nain, et vous avez souffert à mon service. Vous aurez toujours une place au sein de mon palais. Je vous trouverai un poste adéquat, ou, si vous préférez, je vous attacherais à Erion Serra, qui sera bientôt mon beau-frère. En attendant, je ferai débloquer une chambre pour vous au sein du palais royal de Céläastra.

- Merci, ma Reine, répondit Hroar. Votre sollicitude me touche. Si peux me permettre de vous demander qu’elle soit orientée vers le nord-ouest…

- Bien sûr. Etiez-vous proche d’Estë, Hroar ?

- Je la connaissais depuis peu, mais nous étions devenus amis. J’appréciais sa douceur, sa pureté. Je n’ai jamais vu quelqu’un d’aussi bon. Tout n’était que gentillesse, en elle. Elle n’en voulait même pas à l’homme qui l’avait éconduite dans sa jeunesse. Elle ne vivait que pour la musique et l’océan. La tuer était un horrible crime. Je ne suis pas un héros, je suis un mercenaire qui a abattu beaucoup d’hommes au cours des batailles. Erion est comme moi. De plus, il est motivé par la vengeance depuis quinze ans. Le monde se serait mieux porté si nous étions morts à la place d’Estë. Je ne parviens pas à haïr la guerre, parce qu’elle est mon métier depuis trente ans. Mais je hais ses dérives. La mort engendre la mort et je suis son bras armé. J’ai appris il y a peu que mon Empereur avait échappé à un attentat. Quel genre de nain oserait bafouer la règle la plus sacrée de notre peuple ? Les règles n’ont plus court lorsque le monde s’autodétruit. Les Lance-de-Sable. Les prisonniers désarmés. Annihilés. Voilà ce que la mort d’Estë m’évoque : la destruction de ce qu’il y a de plus beau chez les peuples de Sierma. J’ai recueilli ses derniers mots. Ils me hanteront toute ma vie, car ils signifient qu’elle est morte alors que la chaleur l’avait rendue folle.

- Vous en souvenez-vous ? demanda la reine d’une voix tremblante.

- Je t’attends, récita-t-il. Je te vois. Je revois mon palais. Quelle beauté. Encore, s’il te plait. Dit le moi, encore. Je revois ton lit, je sens encore tes mains. Le soleil est si beau et le ciel est si bleu. Si bleu, oui.

Il regarda intensément la reine. Ses yeux étaient perdus dans le vague. Elle était immobile. Elle ne tremblait pas. Son visage n’évoquait rien, elle restait impassible. Lorsque Hroar eut fini de réciter les derniers mots d’Estë, une larme, unique, coula lentement de la paupière d’Ivawen. Elle courut sur sa joue, glissa sur son menton et chuta, sur sa robe noire.


Lorsqu’Ivawen entra dans la pièce, une forte odeur de pourri et d’alcool stagnait dans l’atmosphère. Le capitaine Estë était allongée, nue, sur un lit funéraire. Un linceul blanc choyait au pied de la couche. Le Seigneur Rylor Furiade se tenait droit devant le corps de sa fille. Il portait la grande épée [i]Eibile [/i]au côté et était tout de noir vêtu. Cela faisait des années qu’elle ne l’avait pas vu, et leurs rapports étaient glaciaux depuis près de vingt ans. Il se retourna vers la reine. Ses yeux bruns-verts avaient fortement rougis. Il s’inclina lentement devant elle.

- Ma Reine, murmura-t-il.

Ivawen le salua. Elle passa devant lui et observa la défunte. Son visage, son cou, sa poitrine et ses jambes étaient couverts de bleus et d’hématomes. La reine passa une main sur son bras avec délicatesse. Elle se tourna à nouveau vers Rylor.

- Vous êtes-vous entretenue avec le nain, Majesté ? demanda-t-il.

- Oui. Il a été très touché par le drame. Son récit était terrible.

- Elle n’avait jamais porté les armes. Elle ne tirait à l’arc qu’occasionnellement, pour répondre à une éventuelle attaque. Pendant la guerre, mes fils légitimes combattaient et mourraient pour le Vieux-Prince. Estë ne faisait que voyager et commercer. Elle a fuis la guerre.

- Pas uniquement, souffla Ivawen en le regardant dans les yeux. Mais vous le savez déjà, n’est-ce pas ? Elle m’avait juré sur les dieux que jamais elle ne vous en parlerait (elle regarda à nouveau Estë).

- Il y a environ dix-huit ans, raconta [i]le Fier[/i], alors qu’elle était revenue dans ma forteresse, l’une de ses suivantes est venue me voir une nuit. Ma fille était en pleurs et elle ne voulait s’entretenir qu’avec moi. Elle m’a tout raconté.

- J’imagine que vous avez maudit le jour où elle est devenue ma dame de compagnie ? s’enquit la reine qui ne pouvait détacher son regard du visage d’Estë.

- J’ai maudit ce jour, je vous ai maudit pour avoir entraîné ma fille là-dedans. Mais ce n’est pas le plus important. Ce que je ne vous ai pas pardonné, c’est d’avoir rendu Estë si triste.

- Je m’en voulais, mais je ne pouvais pas faire autrement. Elle reste magnifique même dans la mort, murmura Ivawen.

- Avant de partir en mer, au début de la guerre du Vieux-Prince, Estë m’a fait jurer qu’en prenant les armes contre vous, je n’attenterai pas votre vie. J’ai tenu parole jusqu’à aujourd’hui. Je n’ai jamais raconté cela à personne. Lorsque Neflindel m’a questionné à ce sujet, je lui ai dit que ma fille était votre amie, et que par respect envers elle, je ne désirais pas votre mort.

- Je vous crois Rylor. Vous devez me haïr pour avoir déclenché cette guerre contre le Grand-Roi.

- Oh, je vous ai haïs, Votre Majesté. Mais plus maintenant. Pas après avoir vu ma fille. Ce crime était beaucoup trop horrible. Vous n’êtes pas responsable.

- Vous n’avez pas à vous en vouloir, Rylor. Estë a fait ses choix. Elle était libre et a toujours vécue comme cela. D’autant que je le sache, elle était heureuse.

- Pas assez malheureusement.

- Je ne pouvais pas la rendre heureuse.

- Je le sais, ma Reine, fit Furiade en s’approchant du corps de sa fille. D’habitude, les bâtards n’ont que peu de considération. Mon propre fils illégitime… Mais Estë… Estë était différente. J’ai toujours eu une affection particulière pour elle. Elle est la seule de mes enfants à avoir mes yeux. Nous n’avons pas du tout le même caractère. Lorsqu’elle était petite fille et qu’elle venait à la forteresse, elle se serrait contre moi, et me demandait si je viendrais vivre avec elle et sa mère. Je lui racontais des histoires le soir pour qu’elle s’endorme. Elle était adorable. J’ai failli à mon devoir de protection. Un père ne devrait pas enterrer ses enfants. Cela m’est trop souvent arrivé. J’ai raconté cela au nain. Il voulait rendre un dernier hommage à ma fille. C’est interdit d’ordinaire, puisqu’elle n’est pas légitime, mais Estë aura droit à un embaumement, selon les règles de la Famille Furiade.

- Ses… commença Ivawen en caressant la joue glacée d’Estë. Ses derniers mots étaient pour moi.

- Majesté, souffla Furiade, voilà seize ans que je vous combats. Tout simplement parce que votre place sur le trône est contraire aux coutumes de Céläastra. J’ai pris les armes contre vous pendant six ans. Après la paix, je suis resté hostile à votre politique, je n’ai pas voulu participer à votre gouvernement. Mais vous aviez gagné. J’ai plié devant votre puissance en vous reconnaissant comme souveraine légitime. Malgré cela, je serais volontiers resté en guerre contre vous. Vous auriez réuni les forces du royaume contre ma Famille, la plus puissante de Céläastra, vous m’auriez vaincu et exilé. J’aurais préféré voir la ruine des Furiade, la perte [i]d’Eibile[/i], et porter à jamais les armes contre vous, j’aurais préféré me déshonorer ainsi, plutôt que nous nous réconcilions devant le cadavre de ma fille.

- Je l’aurais préféré également, souffla la reine.

- Une personne royale ne pleure pas en public, Ivawen, dit-il. Je vais vous laissez vous recueillir à présent. Je reviendrai tout à l’heure.

- Merci Seigneur, fit la souveraine.

Il s’inclina profondément, puis quitta la pièce. La reine se retourna vers Estë et s’agenouilla près elle. Elle lui embrassa le front. C’était glacé et très désagréable. Elle toucha la main de la défunte. Les larmes coulèrent toutes seules sur ses joues. Elles vinrent s’écraser sur la peau mutilée d’Estë.

- Pardon, murmura Ivawen en posant son front sur son épaule. Je t’en supplie Estë, pardonne-moi !
Elle resta ainsi, sa main et son front collés à la chair froide. Elle ne pouvait s’en détacher. Elle repensa à l’unique fois où Estë l’avait vu pleurer. L’elfe lui avait glissée que jamais elle n’avait entendu de musique plus pure et plus émouvante que ses sanglots.
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  • 4 semaines après...

 

 

fait rare en cette fin dhiver. Ainsi

 

 

 

avait commis lerreur de se rebeller

 

Alors je sais pas si c'est depuis le bug du fofo ou quoi mais il n'y a plus d'apostrophes donc si tu pouvais check ça, ça serait super !

 

 

Alors j'aime bien ce passage parce c'est plus dans l'épilogue de tous les évènements qui se sont déroulés depuis le début. Quelque soit le camp. Avec tous les responsables de chacun d'entre eux (la tentative d'assassinat, le massacre ds tribus, les morts des conflits...) Donc franchement c'est pas mal, ça clot quand même certaines pages !

 

Suite !

 

@+

-= Inxi =-

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Bonjour ! Alors oui je suppose que le problème d'apostrophe est lié au forum, étant donné que les apostrophes apparaissent sur mon fichier original. Voilà la suite. C'est l'avant dernier chapitre, j'espère qu'il vous plaira. Bonne lecture !

 

Chapitre XXVII

 

Un mois plus tard.

 

An 1378 du Quatrième Âge, à proximité de Bétula, capitale du Royaume Lagoride

 

Nærisa regardait par la fenêtre de la suite débloquée par le Grand-Roi Lagoride. Elle se trouvait dans un somptueux palais aux jardins immenses et taillés, remplis de grandes statues de marbre et de fontaines. Des dorures pendaient des murs tout autour d’elle et des lustres de cristal chargés de bougies complétaient le tableau. Le palais, appelé Maison Aphride, était un pavillon de chasse du Grand-Roi, servant également de résidence secondaire, loin de l’atmosphère étouffante de Bétula, et permettant de réunir les hôtes de marques. Nærisa s’accommodait de cet étalage de richesse, habituée à voyager dans les palais des princes continentaux. Ivawen était bien plus mal à l’aise. Nærisa savait que la reine préférait le calme et l’intimité des jardins de Céläastra ou la vue des éléments déchainés sur les terres Abæl aux grandes baies vitrées de ce palais, ou à ses jardins géométriques. Ivawen avait d’ailleurs eu peur lors de leur traversée jusqu’au continent. C’était la première fois qu’elle s’y rendait, comme beaucoup de souverains de l’Île avant elle, dont le premier travail était d’assurer une présence royale à Céläastra. A vrai dire, la plupart des rois n’avaient quittés le royaume elfe que lorsqu’il leur fallait faire la guerre. Ivawen avait néanmoins jugé que les négociations de paix avec les lagoride nécessitaient sa présence. Elle désirait également rencontrer elle-même le Grand-Roi et Agg-Kour. Maélen IV les avait reçues aimablement. Elles l’avaient suivi à la chasse la veille et il les avait entretenues sur les espèces peuplant ses forêts. Le protocole dans le Delta voulait que les négociations ne débutent que deux jours après l’arrivée des chefs ennemis. Ivawen sortit du cabinet de toilette, suivie de Silya qui l’avait aidée à se vêtir. Elle-même portait une tunique de cuir mais s’apprêtait à enfiler son armure. Nærisa s’approcha de sa sœur pour la coiffer. Elle s’assit dans un fauteuil et la princesse lui prit les cheveux.

 

- Te sens-tu mieux ? lui demanda-t-elle. Le mal du pays s’est peut être estompé ?

 

- Sur le navire, tu étais adorable, la taquina Silya. La peur du continent !

 

- Laissez-moi vous deux, siffla la reine. En gouvernant, je n’ai jamais eu le temps de quitter mon île !

 

- Arrête de bouger Iva, lui demanda Nærisa. Et Silya, amène-moi la boîte de bijoux de la reine.

 

La guerrière s’exécuta. Nærisa tressa les cheveux de sa sœur. Elle ceignit sur son front un diadème d’or. Elle lui passa également un collier d’ivoire et de saphir. Elle accrocha trois boucles d’or à chacune de ses oreilles. En guise de touche finale, elle parsema la chevelure de la reine de quelques fleurs.

 

- As-tu pris le collier de Mère, Nærisa ? voulu savoir la reine.

 

La princesse acquiesça. Elle le conservait précieusement dans un coffret d’ébène. Elle le mettrait sous peu pour les négociations de paix. C’était un sujet qu’elle ne voulait pas évoquer avec Ivawen. Elles avaient déjà discuté de tout durant le voyage et jusqu’à la veille au soir. Les négociations étaient rodées. Les conditions de la paix avaient été fixées par les souveraines avant même qu’elles ne quittent Céläastra. Le Grand-Roi les avait acceptées, bien qu’il émette quelques réserves. Il leur faudrait de toute façon ratifier le traité de paix, et il était évident que Maélen demanderait la révision de certains points. Nærisa était même convaincue que c’était pour cela qu’il leur avait demandé de faire le déplacement jusqu’à sa capitale. Il voulait à la fois les charmer et les épuiser pour tenter de renverser la situation en sa faveur. Pour pallier à cela, Ivawen avait exigé, en contrepartie de sa venue, que le Guerrier-Roi Agg-Kour soit convié en même temps qu’elles, afin de signer tous les traités de paix en même temps, tablant sur le fait que Maélen soit moins enclin à céder aux conditions des sorgosiens qu’à celles des elfes. Nærisa, qui avait eu l’occasion de discuter longtemps avec Esuf lors de sa venue à Céläastra, avait expliqué à Ivawen que le Guerrier-Roi serait exigeant, ce qui permettrait aux elfes de négocier leurs conditions plus facilement. Ivawen se leva et alla aider Silya à passer son armure. Nærisa les regarda puis détourna les yeux. Elle avait appris depuis presque vingt ans à accepter les choix de sa grande sœur. Ce n’était pas pour autant un spectacle qu’elle appréciait. La princesse se pencha et ramassa son coffret posé sur un tabouret. Elle l’ouvrit et mit en place le collier de Svinrile. Elle passa également de grands anneaux d’ivoire aux sommets de ses oreilles allongées. Ivawen se tourna vers elle.

 

- Tu es magnifique, Næri, sourit la reine tandis que Silya ceignait ses sabres. Il ne manque plus que la touche finale.

 

Elle se retourna et alla quérir le diadème des héritiers dans les affaires de la princesse. Elle vînt le placer sur son front, puis caressa les cheveux de sa sœur. Elle posa sa main sur son ventre arrondi. La période de gestation des embryons elfes était de onze mois, contre neuf pour les humains. Néanmoins, tout le monde voyait désormais la preuve de sa grossesse. A Céläastra, la princesse distinguait clairement les regards des elfes se tourner vers son ventre avec sur le visage un air de reproche. Bien sûr, personne n’osait rien dire. Nærisa n’avait jamais fait grand cas de ce que les gens pensaient d’elle, mais elle sentait qu’Ivawen en souffrait. Toutefois, même si la reine le lui avait reproché par le passé, peu avant de partir pour le Royaume-Fleuve, lorsque sa sœur lui avait fait toucher son ventre où l’enfant bougeait un peu, elle s’était adoucie, et ne lui avait plus jamais fait de remarque. Arthelor avait passé aussi beaucoup de temps avec elle, mais logeait à présent dans une autre aile du palais. Nærisa, qui allait négocier la libération d’Erion Serra, ne voulait pas que son fiancé la voit en compagnie du père de son bâtard.

 

Ivawen avait également demandé à ce que Malvace soit présente et Maélen IV avait accepté. La jeune femme avait replacé le petit Oscim sur le trône de Djiane, après une défaite des partisans de Syna. L’usurpateur et son frère avaient fini assassinés par une foule d’émeutiers d’Ostania, qui avait pris d’assaut leur palais. Une fois Silya prête, les trois femmes quittèrent la suite. Elles passèrent dans l’antichambre où logeait l’humaine, puis sortirent dans un vaste couloir. Quatre gardes en armures complètes, épées aux côtés, les attendaient. Nærisa remarqua que l’un d’eux portait un insigne plaqué or sur son casque. Ils marchèrent lentement, et les gardes restaient silencieux. Enfin, ils débouchèrent sur un grand escalier. La princesse prit son temps pour descendre, ne voulant pas trop forcer sur son dos, qui la lançait de temps en temps. Au pied de l’escalier les attendait un grand jeune homme roux d’une grosse vingtaine d’années. Il était en armure complète, d’un blanc immaculé. Une cape noire tombait derrière lui, si bien qu’il donnait l’impression d’être une tâche de pureté sous un ciel nuageux. Un brassard de soie violette couleur du deuil des souverains lagoride était accroché à son bras droit. Lorsqu’elle fut près de lui, outre ses beaux yeux marron, Nærisa remarqua que l’homme était gigantesque. Il ne devait pas faire moins de six pieds et demi, taille que même les elfes atteignaient difficilement. Il portait une épée longue au côté. En voyant arrivé les trois femmes, il les salua de la tête et sourit à Nærisa, geste qu’elle jugea préférable de rendre.

 

- Bonjour, Votre Altesse, bonjour, Princesse, dit-il en regardant successivement Ivawen et Nærisa. Je suis le prince Ivar, fils et héritier du Grand-Roi Maélen, Quatrième du nom. Je vous prie de bien vouloir me suivre, mon père m’a chargé de vous conduire jusqu’à lui.

 

- Ce sera un honneur pour nous, répondit Ivawen.

 

Le prince lui offrit son bras et elle le prit. Ils marchèrent en tête, laissant Nærisa et Silya quelques pas en retrait. La princesse nota l’évocation indirecte de la mort du prince Tsarkoié faite par Ivar. Les épaules de l’homme étaient extrêmement larges et il avait un physique de guerrier. Nærisa le trouvait bien plus impressionnant que son père, du moins d’un point de vue physique.

 

- Qu’en penses-tu ? demanda-t-elle à Silya.

 

- La carrure d’un adversaire ne compte pas lorsque l’on sait se battre, Princesse, sourit l’humaine. Il n’aimerait pas se retrouver face à moi.

 

Nærisa acquiesça. Elle ne connaissait personne qui désirer « se retrouver face à Silya ». L’impressionnante guerrière gardait toujours les mains sur les poignées de ses épées, geste que l’elfe n’avait jamais compris, étant donné qu’elle tirait l’épée de droite avec la main gauche et inversement. Elle avait fini par se dire qu’elle agissait ainsi plus par réflexe machinal que dans un réel but de défense. Néanmoins, elle se sentait toujours plus en sécurité lorsque Silya se trouvait à proximité. Surtout en cette terre étrangère. Elle n’oubliait pas que les lagoride étaient sans doute les commanditaires de l’attentat auquel elle avait échappé de peu, et au sujet duquel le Grand-Roi avait apparemment des réponses. Ivar marchait tranquillement dans le palais et présentait diverses sculptures ou tapisseries à Ivawen qui posait des questions, apparemment intéressée.

 

- Comment se passe votre grossesse, Princesse ? s’enquit Silya en regardant son ventre.

 

- Bien, répondit précipitamment Nærisa. Concentre-toi sur la protection, Silya.

 

L’humaine haussa les sourcils et leva à nouveau les yeux. Le groupe sortit enfin dehors. La princesse regarda sans réel plaisir les grandes allées taillées. Les lagoride mettaient à profit l’eau du delta du fleuve Roi-Soleil pour abreuver leurs jardins. Il fallait reconnaître la prouesse technique, à défaut d’apprécier le résultat. Le prince Ivar les conduisit le long d’une allée, et leurs fit contourner l’aile est du palais. Le soleil, levé depuis peu, réchauffait l’endroit, rendant la fraicheur supportable. Comme prévu, une partie de la délégation elfe se trouvait là, la plupart des soldats à cheval. Nærisa vit Arthelor et lui adressa un signe de tête, auquel il répondit par un sourire. Séïren et Noédor Edlla étaient également présents. Souvaron Desmpopïl se trouvait aussi ici. Il discutait avec la reine Malvace. Le jeune Oscim, le roi titulaire de Djiane, était absent. Ivawen avait jugé préférable qu’il reste en sécurité à Céläastra jusqu’à ce que la paix soit signée. Dix hommes en toge, voilés et à cheval formaient la délégation sorgosienne. Le Guerrier-Roi Agg-Kour se trouvait parmi eux. Un peu plus loin, près des soldats elfes, se tenaient une cinquantaine de guerriers nomades, une partie de l’escorte d’Agg-Kour, composée de trois cents des siens. Le prince Ivar prit alors la parole d’une voix forte.

 

- Salutations à tous, dit-il. Je suis le prince Ivar, fils et héritier de Sa Majesté Maélen IV Lagoride. Afin de conclure la paix dans les meilleurs termes, mon père nous convie à la Maison du Nord, à une lieue d’ici. Le calme qui règne en ces lieux nous permettra de traiter au mieux. S’il le désire, le Roi de Sorgoz Agg-Kour, peut se joindre à Sa Majesté Ivawen et à la princesse Nærisa dans le carrosse que voici (il désigna une grande voiture chargée de dorures).

 

- Je vous remercie, Prince, répondit Agg-Kour, mais je me contenterais de chevaucher.

 

Le prince acquiesça. Il détacha son fourreau de sa ceinture et le tendit au cocher. Désarmé, il fit monter Ivawen et Nærisa dans le carrosse. Avant d’entrer, Ivawen chuchota quelques mots à l’oreille d’Ivar, qui acquiesça. Il fit rapidement amener un cheval à Silya. Ivawen cligna des yeux, et le Poing de la Reine se dirigea vers les sorgosiens rassemblés autour d’Agg-Kour. Ivar prit la main de la reine pour l’aider à s’installer, puis ils s’assirent sur de confortables banquettes de velours et le char s’ébranla.

 

- Mes Dames, mon père me charge de m’entretenir avec vous d’une affaire délicate. C’est au sujet de l’attentat dont vous avez toutes les deux été victimes il y a quelques semaines.

 

- Auriez-vous une explication à nous donner ? demanda Ivawen, sans ciller.

 

- Le Grand-Roi a mené une enquête au sein de son palais, afin de vérifier si le commanditaire ne se trouvait pas au sein de son entourage. Vous n’ignorez pas que les courtisans agissent parfois de manière stupide et dangereuse, en pensant plaire à leur souverain.

 

- Et ? fit impatiemment Nærisa.

 

- Il s’avère que Son Altesse a découvert la vérité, poursuivit Ivar. Le commanditaire n’était autre qu’Astin Solvi, le principal ministre de mon père. Il voulait créer le chaos au sein de votre royaume, et ainsi glorifier sa politique en remportant la guerre, qu’il avait grandement encouragée.

 

- « N’était » ? répéta Ivawen. Ainsi vous avez sévi ?

 

- Nous n’en avons malheureusement pas eu le temps, s’excusa Ivar. Le fourbe s’est donné la mort alors que les soldats de mon père venaient l’arrêter. Le Grand-Roi précise qu’il n’est en aucun cas responsable de cette attaque, mais tient à vous présenter publiquement ses officielles excuses, car il a fait l’erreur d’accorder sa confiance à un homme sans honneur qui ne la méritait pas.

 

- Très bien, dit lentement Ivawen. J’aviserai.

 

Ivar opina. Ivawen tourna la tête. Elle regardait défiler les jardins par la fenêtre du carrosse. Nærisa, elle, avait envie de sermonner le jeune homme. Cela faisait seize ans qu’elle faisait la guerre, elle savait que l’assassinat n’était une pratique qu’on ne voyait normalement qu’en temps de guerre civile. Savoir qu’un chef ennemi, maître d’un royaume si important, avait tenté d’attenter à sa vie la mettait hors d’elle. Néanmoins, en regardant sa sœur, elle comprit instantanément qu’Ivawen avait en tête des plans de plus grande envergure, qui nécessitaient ce recul diplomatique. La princesse avait conscience toutefois qu’elles ne pourraient demander au Grand-Roi autre chose que des excuses officielles, si elles ne voulaient pas faire échouer les négociations. Au final, cette histoire mettait le Grand-Roi dans une situation délicate et permettrait aux souveraines de négocier plus facilement. Avant la guerre, Nærisa avait mis en garde sa sœur car elle connaissait la puissance des lagorides. Elle savait que même si les elfes remportaient des victoires, le Royaume-Fleuve ne serait affaibli que pour un temps et aurait encore de quoi répliquer. Ivawen voulait justement freiner la montée en puissance de Maélen IV, afin de sécuriser les atouts, notamment maritimes, de Céläastra. La princesse avait fini par céder aux arguments de sa sœur.

 

Le carrosse fini par s’arrêter et Ivar les fit descendre. Ils se trouvaient devant une grande maison en pierres blanches épurées. Des bacs de fleurs l’entouraient. La troupe qui suivait le carrosse fit halte et les hommes d’armes de Céläastra se rapprochèrent. Silya, accompagnée d’Agg-Kour, s’avança près d’Ivawen et lui chuchota quelques mots à l’oreille. La reine acquiesça, puis regarda sa sœur en portant deux doigts à son front. Ivar demanda alors aux souveraines et à Agg-Kour de le suivre à l’intérieur de la maison. Silya suivit Ivawen, de même que deux chefs de tribu accompagnèrent le Guerrier-Roi. Le prince les conduisit à travers de sombres couloirs. Ils grimpèrent plusieurs escaliers avant d’arriver devant une porte à double battant, en bois renforcé d’acier. Ivar se retourna vers ses hôtes.

 

- Sa Majesté Maélen IV se trouve dans cette pièce, leur dit-il. Je suis désolé, mais seuls le Guerrier-Roi de Sorgoz ainsi que la reine de Céläastra sont habilités à négocier avec lui.

 

- La princesse Nærisa est ma conseillère diplomatique, dit calmement Ivawen. Je me dois d’insister pour l’avoir à mes côtés.

 

- Si vous le désirez, Altesse, accepta Ivar. Vos gardes du corps ne peuvent par contre pas rester. Je ne suis moi-même pas convié aux négociations.

 

Nærisa acquiesça et Ivawen congédia Silya, tandis qu’Agg-Kour faisait de même avec ses deux suivants. Enfin Ivar les annonça et une voix leur demanda de venir. Le Prince leur ouvrit la porte et se retira une fois qu’ils furent entrés. La pièce était spacieuse, avec une grande table carrée chargée de dorures en son centre. Quelques cartes y étaient étalées et deux lourds ouvrages ouverts se trouvaient dans un coin. Les murs étaient presque entièrement composés d’étagères chargées de livres. Les souveraines s’approchèrent, suivit de près par Agg-Kour. Un secrétaire était assis sur un tabouret dans un coin de la pièce, et le Grand-Roi était debout à la table. Maélen IV, portait sur la tête une imposante couronne d’or. Il était aussi roux que la princesse, mais sa peau était plus blanche encore. Contrairement à son frère, que les souveraines avaient rencontré plusieurs fois après sa capture, et à son fils, Maélen IV n’avait pas une carrure imposante. Il n’était pas très grand et assez frêle. Néanmoins, Nærisa compris instantanément que cet homme était extrêmement puissant et dangereux. Il n’avait pas besoin de parler pour impressionner. Elle se demanda si Ivawen et Agg-Kour avait compris à qui ils auraient à faire. Le Grand-Roi les salua de la tête, et les trois autres firent de même. Il leur fit signe de s’asseoir, chacun à un côté de la table, puis s’installa en face d’Ivawen.

 

- Bienvenue dans le Delta, Roi, Altesse, Princesse, dit-il d’une voix calme. Nous ne signerons rien dans cette salle. Notre traité de paix sera scellé en bonne et due forme, en public, une fois que nous aurons décidé de ses conditions exactes. Agg-Kour, je tiens tout d’abord à vous féliciter. Il rare à Sorgoz, qu’un Guerrier-Roi reste en fonction plus d’un an.

 

- Les tribus m’ont nommé pour achever cette guerre, répondit l’homme, et mes victoires m’ont permis de mener cette tâche à bien.

 

- Et nous la mènerons à bien, continua Maélen. Nous devons désormais parler des conditions de paix.

 

- Votre Altesse, dit Ivawen en se penchant vers Maélen. Nous avons évacué la plaine et le bois de Queyr, situés non loin de la Presqu’île du Goéland. A vous de respecter vos engagements et de lever le siège au Fortin de la Mouette.

 

- Les messagers sont partis ce matin, Majesté, répondit le Grand-Roi. Le siège sera levé sous peu.

 

Nærisa acquiesça. Elle avait dû ordonner à Noédor Edlla de quitter les positions qu’il occupait non loin de la presqu’île conquise. Il avait protesté, arguant qu’il était maître de ces terres par droit de conquête. La princesse l’avait rappelé à l’ordre.

 

- Il est également prévu que nous retirions nos forces de la Bande de Djiane, Votre Grâce, dit Nærisa. Nous ne pourrons le faire qu’une fois la paix signée, ce qui sous-entend la pacification de la frontière entre votre royaume et Sorgoz. Aussi je suggère que nous discutions de ce point.

 

- Nous sommes ici pour négocier, Grand-Roi, expliqua Agg-Kour d’une voix caverneuse. Néanmoins, mes conditions n’ont pas bougées. Je désire voir les terres des tribus en sécurité.

 

- Je souhaite également la sécurité pour les Basses-Terres, Roi, répondit Maélen. Vous me demandiez le démantèlement des forteresses de Samov, Elkan et Visto, bâties dans l’ouest des Basses-Terres. Comment pourrais-je protéger les miens, si aucune garnison ne se trouve à proximité ?

 

- Vous partez du principe que nous déclenchons les guerres, Grand-Roi. Mais cette fois-ci, vous nous avez attaqués et nous avons répondu.

 

- Arrêtez un peu, Agg-Kour, souffla calmement le Grand-Roi. Il y a deux ans, vous avez mené de nombreux raids sur nos terres.

 

- Pas moi. Plusieurs tribus souffraient de disettes, suite à une grande sécheresse. Il leurs fallait trouver de quoi manger ailleurs.

 

- En massacrant les miens ? Admettez que l’on ne peut trouver de commencement à ce conflit. Vous êtes chargé de régler la paix. Vous ne pourrez pas juguler les velléités guerrières de votre peuple.

 

- En effet, de même que vous ne pourrez museler les agitateurs des Basses-Terres qui mènent des raids réguliers contre Sorgoz.

 

- Je pense qu’il faudrait trouver un accord de principe, intervînt Ivawen.

 

- Oui, répondit le Grand-Roi. Agg-Kour, je vous propose ceci : je démantèle Elkan, et je réduis de moitié la garnison présente à Visto. En échange vous me laissez la jouissance totale de la Plaine de Malix.

 

- Je refuse, sourit le Guerrier-Roi. Nous occuperons la Plaine de Malix jusqu’à ce que les trois forteresses soient détruites. C’est une menace trop grande pour les miens.

 

- Messires, fit Nærisa d’une voix forte.

 

Ils se retournèrent. La princesse sentait le regard saphir d’Ivawen sur elle. Elle haussa les épaules, ayant l’habitude des négociations. La reine attendait qu’elle parle. Nærisa avait soumis une idée pour aider à la résolution du conflit à la reine, et Ivawen avait reconnu la justesse de ses propos.

 

- Au centre de la Plaine de Malix se trouve un petit cours d’eau, appelé Larme de Fille, raconta-t-elle. Vous savez qu’il prend sa source dans les Kiwele et coule vers le nord sur une trentaine de lieues, avant de finir sa course dans le bassin endoréique de Mäary, non loin de la frontière nord des Basses-Terres.

 

- Nous appelons cette rivière L’allaitement, rectifia Agg-Kour. Mais qu’importe, où voulez-vous en venir, Princesse ?

 

- Ce n’est pas une frontière à proprement parlé, parce qu’on peut la traverser à gué presque tout du long, excepté peut-être à la saison des pluies. Néanmoins, il s’agit d’un marqueur spatial commode. Je suggère que l’une des conditions de la paix soit l’instauration d’une zone tampon à cet endroit, avec interdiction de la franchir en arme.

 

- A la manière de celle qui, depuis un siècle et demi, sépare la confédération des cités-états et l’émirat de Kraal ? Cela pourrait être une solution, admis le Guerrier-Roi. Mais je ne peux accepter qu’une partie de Sorgoz soit interdit aux tribus.

 

- De même que je ne peux me laisser amputer d’une telle bande de terrain, elfe, glissa le Grand-Roi. Néanmoins, c’est une bonne idée. Je raserais Elkan à une condition. Que cette zone tampon soit respectée pendant quatre ans.

 

- Voilà ce que je vous propose, Maélen, sourit Agg-Kour. Mes frères de Sorgoz se retirent à l’ouest de la plaine de Malix, et s’engagent à ne pas quitter leurs terres pour se rendre dans votre pays pendant un an. Pendant ce temps, vous évacuez Elkan. Si la paix est respectée quatre ans, vous rasez la forteresse et réduisez de moitié la garnison de Samov,

 

- Nous pourrions à nouveau nous rendre dans la zone tampon après ces quatre ans de paix, proposa Maélen, tout en évitant d’y construire des édifices militaires. Mais je ne réduirais la garnison de Samov que d’un tiers.

 

- J’accepte, dit Agg-Kour. Cette paix sera fragile. Mais mieux vaut quatre ans de trêve à vingt ans de guerre.

 

Il se leva. Maélen l’imita. Les deux hommes se saisirent les pouces, paume droite contre paume droite et s’embrassèrent, la main droite de l’un sur la poitrine de l’autre. Il s’agissait d’un salut sorgosien. Ivawen sourit lorsque les deux ennemis se rassirent.

 

- Il va de soi, Votre Grâce, dit le Grand-Roi, que cette zone tampon ne devra être violée par aucun des signataires de cette paix, pas même par vous.

 

- Bien entendu. Comme prévu, reprit la Reine, la Presqu’île du Goéland devient terre elfe à partir d’aujourd’hui. Les trésors littéraires de l’Albatros vous seront remis dans un délai d’un mois après la signature du traité.

 

- Oui, convint le Grand-Roi. Evidemment, vous vous engagez à maintenir allumé l’Albatros, de jour comme de nuit, quoi qu’il arrive ?

 

- Bien sûr, répondit Nærisa. En échange de la Presqu’île, nous vous verseront deux cents livres d’or. Nous nous engageons également à ne pas faire naviguer de navires de guerre sans autorisation dans vos eaux territoriales, soit à seize miles de vos côtes. En cas de nouvelle guerre, cette règle sera bien entendu caduque.

 

- Parfait, sourit Maélen. Le Seigneur Erion Serra sera libéré tout à l’heure. Vous rendrez sa liberté au Prince Molloy dans le même temps. Nous avons capturé un milliers de sorgosiens, ainsi que quelques elfes. Nous les ramènerons, les premiers dans la zone tampon nouvellement créée, pour y être échangés avec mes sujets captifs de Sorgoz, les seconds vers la Presqu’Île du Goéland, pour également procéder à un échange.

 

- Entendu, dit Ivawen.

 

Les principaux points étaient réglés et Maélen IV appela le secrétaire, et lui ordonna de mettre le traité de paix au propre. L’homme hocha la tête et s’en fut avec ses notes par la porte principale. Le Grand-Roi salua les souveraines et le Guerrier-Roi, puis, après avoir embrassé les mains des elfes et serré celles du sorgosien, les raccompagna à la porte. Une fois qu’ils furent sortis, Silya et les gardes d’Agg-Kour s’approchèrent, tandis qu’Ivar entrait dans le bureau de son père. Le Guerrier-Roi s’approcha et glissa à l’oreille de Nærisa :

 

- Le nain avait raison. Au final, Ta’Kelm a gagné. Nos deux pays craignent une guerre, après les horreurs commises lors de celle-là. Nous devrions être en paix pendant quelques années, le temps pour chaque camp d’affuter ses armes. Le temps que les massacres remontent à la surface. J’espère être vivant lors de la prochaine guerre, Princesse.

 

- Je l’espère aussi, Agg-Kour, soupira l’elfe.

 

 

Nærisa, marchait lentement. A sa gauche, trente elfes au garde-à-vous, la main crispée sur le manche de leurs lances, en armures complètes, faisaient face au même nombre de soldats du Grand-Roi, en plaques argentées, mains sur la poignée de leurs épées. Remontant cette garde d’honneur, la princesse suivait Ivawen et se dirigeait vers une imposante estrade où attendait Maélen IV. A côté, trente autres soldats lagoride à pied et trente sorgosiens à cheval entouraient Agg-Kour, qui chevauchait lentement vers le Grand-Roi. Le sorgosien mit pied à terre directement sur l’estrade. Ivawen grimpa à son tour, suivit de Nærisa. Maélen IV se tenait devant une table en bois, sur laquelle, la princesse le savait, était posé le parchemin officiel décrivant les conditions de paix générales, acceptées par les trois parties. Derrière le Grand-Roi, debout, se trouvaient plusieurs de ses ministres, les yeux baissés, ainsi que son fils Ivar, toujours droit et fier. Non loin, Nærisa vit les dignitaires elfes membres de la délégation venue de Céläastra. Souvaron Desmopïl, Eoïndril Eleïon, Néodor Edlla, Séïren Abæl et Arthelor Uvaron avaient les yeux fixés sur leur reine. Sagesse Azekil et Sagesse Téfénar se tenaient près d’eux, un peu à l’écart. Une minute plus tôt, ils discutaient avec Silya Ayën, sans armes, à leurs côtés. La reine Malvace se trouvait également là, près de Séïren, en tant qu’invitée d’honneur. Agg-Kour, Ivawen et Nærisa s’arrêtèrent à quelques pas du Grand-Roi. Le souverain inclina légèrement la tête devant eux, puis s’approcha de la princesse. Il lui prit les mains et se pencha pour les embrasser. Il fit de même avec Ivawen.

 

- Reine Ivawen, Princesse Nærisa, dit-il d’une voix de stentor, de manière à ce que toute la petite assemblée l’entende. Un de mes suivants les plus proches, et en qui je plaçais ma confiance à lâchement fomenté un attentat contre vos personnes. Je condamne ce geste stupide, criminel et déshonorant. A ce titre, j’aimerais également remercier la guerrière qui vous a sauvé la vie.

 

Il se retourna et désigna Silya. L’humaine fit quelques pas en avant. Le Grand-Roi inclina la tête devant elle, et elle lui répondit par une révérence, avant de retourner à sa place. Maélen prit la main d’Ivawen, puis tendit sa paume vers Nærisa. La princesse plaça sa main dans celle du souverain, qui mit un genou en terre.

 

- Moi, Maélen Lagoride, Quatrième du nom, Grand-Roi des Terres baignées par le fleuve Roi-Soleil, demande publiquement pardon à Sa Majesté Ivawen et à la Princesse Nærisa.

 

- En mon nom propre, et en celui de ma sœur, j’accepte vos excuses, Votre Altesse, répondit Ivawen.

 

Le Grand-Roi se releva, et les souveraines inclinèrent la tête devant lui. L’assemblée applaudit. Il se tourna vers Agg-Kour et l’étreignit à la manière des sorgosiens.

 

- Agg-Kour, vous et votre peuple vous êtes courageusement battu contre nous. A ce titre, je souhaite que le traité conclu amène la paix et la sécurité sur nos terres respectives.

 

- Je le souhaite aussi, Grand-Roi.

 

- A cet égard, reprit Maélen, je vous invite, mes Seigneurs, à signer notre traité.

 

Il se plaça derrière la table et les trois souverains s’approchèrent de lui. Nærisa avisa les conditions principales. Ivawen apposa sa signature, et la princesse contresigna. Elles réitérèrent l’opération sur plusieurs exemplaires. Les souverains se saluèrent par la suite et Maélen accueillit Erion Serra sur l’estrade. Ivawen fit un signe, et le prince Molloy grimpa à son tour. Les deux prisonniers s’approchèrent, se serrèrent la main, puis se rendirent vers leurs souverains respectifs. C’était terminé. Quelques secondes plus tard Nærisa descendit de l’estrade. Les elfes s’écartèrent sur son passage. Elle marcha un petit moment dans la direction de ses appartements, suivit instantanément par quatre gardes royaux. Elle entendit un bruit de pas qui se rapprochait rapidement. Se retournant, elle vit Erion Serra. Il s’arrêta devant elle et s’inclina.

 

- Bonjour Seigneur Erion, dit-elle.

 

- Bonjour, Princesse, répondit Serra. Je suis heureux de vous voir.

 

Il avait les traits tirés, et lorsqu’il lui prit la main, les siennes étaient froides et calleuses. Elle ne l’avait que rarement rencontré, mais ses yeux lui paressait beaucoup plus froids que d’habitude.

 

- Comment allez-vous, Erion ? lui demanda-t-elle.

 

- Je me sens faible, Princesse.

 

Ils marchaient à présent sur une allée et se dirigeaient vers la Maison Aphride. Erion avait les yeux dans le vague.

 

- Que désirez-vous à présent, Seigneur ? demanda Nærisa.

 

- J’aimerais retrouvez-mon île, dit-il en lui prenant la main (la sienne était moite). J’aimerais me reposer. Revoir mes frères et mes amis, avant tout.

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  • 2 semaines après...
voulu savoir la reine.

 

i l y a un 'admis' qui traîne aussi.

 

Attention à la conjugaison, ça fait plusieurs fois que je le revois. Essaye de bien faire gaffe à l'accord avec les verbes, le reste étant plus que bon.

 

On retourne sur un moment politique qui pourrait presque devenir la fin de l'histoire. C'est calme, tout se règle plutôt bien... Par contre, à la fin, je me suis demandé s'il y allait pas se passer quelque chose. Genre un d'eux se fassent tuer et que la guerre reprenne le dessus !! Mais bon à priori tu as d'autres plans ;)

 

@+

-= Inxi =-

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Tu as vu juste Inxi, la fin est proche. Il s'agit ici du dernier chapitre avant l'épilogue. Bon j'ai bien relu le texte encore une fois, j'espère que je n'ai pas laissé trop de fautes de conjugaison, et autres. Bonne lecture, qui j'espère sera plaisante.

 

Chapitre XXVIII

 

Trois semaines plus tard.

 

An 1378 du Quatrième Âge, Palais Royal de Céläastra

 

Dans la vaste salle du trône, Arthelor Fend-Tribord, appuyé sur une béquille, sourit en voyant Séïren approcher. Elle était au bras de Noédor Edlla. Leur mariage était prévu dans moins d’une semaine. Le plus souvent à Céläastra, les hommes ne se mariaient pas avant leur majorité. Néanmoins, Ivawen et Ursin Edlla avaient accepté de célébrer l’union le plus tôt possible, notamment devant l’instance de Séïren. Mïlia Abæl, qui avait repris l’anneau de commandement royal pendant le voyage d’Ivawen dans le Royaume-Fleuve, avait apparemment apprécié la dot apportée par la Famille Edlla, et plus encore le cadeau de mariage d’Ivawen, la Presqu’île du Goéland, offerte à sa fille. La régente n’avait pu s’empêcher de reprocher à l’amiral la future naissance de son bâtard et le relatif déshonneur qu’il faisait tomber sur Nærisa. Arthelor ne s’en était pas vraiment formalisé, conscient que Mïlia ne l’avait jamais apprécié, et n’avait jamais approuvé la relation qu’il entretenait avec sa nièce. Il avait également dut subir les quolibets de plusieurs autres Dames et Seigneurs. D‘habitude, ces réflexions ne le dérangeaient pas, mais aujourd’hui, cela faisait des semaines qu’il n’avait pris la mer sur son propre bateau. Il sentait qu’il n’avait plus d’échappatoire face aux nobles de Céläastra. Non loin de lui, le Seigneur Nadomir Sëë discutait avec sa sœur et sa nièce, Jiana et Iris Serra. Jiana était encore plus petite que sa fille. Elle avait les cheveux noirs, les yeux noisette, et cet air hautain qui caractérisait aussi Iris. Si cette dernière était une combattante douée, Jiana, selon certains, était rompue à la politique, et savait à merveille manipuler son entourage. Elle était crainte dans toute la maisonnée de son mari. Arthelor avant entendu d’autres murmures, la prétendant sorcière, versée dans l’art des élixirs. Avant l’arrivée de Jiana, Nadomir avait échangé avec l’amiral. Le Seigneur ressemblait à sa sœur, mais son visage était plus rieur et jovial. C’était un homme svelte, sobre et chaleureux, connu pour sa loyauté sans faille envers feu son père Soïlïn. On l’avait même, dans sa jeunesse, affublé du surnom de Fils Aimant. Il entretenait avec l’amiral une relation cordiale. Contrairement à Engoïn ou à Soïlïn Sëë, Nadomir ne s’était jamais montré hautain envers Arthelor, respectant son engagement rapide en faveur d’Ivawen durant la guerre civile. En retour, Arthelor n’avait jamais fait grand cas des rumeurs de cruauté planant sur Sëë, conscient du peu de preuves fournies par ses détracteurs. Une fois qu’elle fut proche de lui, l’amiral prit la main de Séïren et l’embrassa. Il salua également Noédor, qui lui adressa un sourire aimable.

 

- Comment va votre jambe, messire ? demanda le jeune homme.

 

- Elle me fait mal, répondit l’amiral. Mais je passe le plus clair de mon temps à la cour, assit à me perdre en palabres, alors ce n’est pas très handicapant pour le moment.

 

- Pourrez-vous à nouveau diriger un navire ? s’enquit Séïren.

 

- Bien sûr, sourit Arthelor. La reine Ivawen m’a promis qu’elle m’offrirait une nouvelle galère de guerre. Je crois, Noédor, que votre père sera chargé de la construction. C’est un grand honneur pour moi.

 

- Quel honneur, amiral ? Mon père est heureux de récompenser vos prouesses sur mer. Votre vaisseau sera l’un des plus puissants et des plus grands de la flotte royale.

 

- Comment accueillez-vous le fait de faire bientôt partie de ma famille ? sourit Séïren.

 

- Mal, vous savez bien que je vous trouve insupportable ! fit Arthelor en riant. Mais dites plutôt cela à Erion Serra. Le mariage sera célébré dès que… Enfin, dès que Nærisa aura accouchée.

 

- La mort du Seigneur Oudaï m’attriste, embraya Edlla. J’ai pu en parler avec un sorgosien qui avait combattu à ses côtés. Il s’est courageusement défendu. C’est une grande perte pour la Garde Royale.

 

- En effet, il était l’un des dauphins de Nadomir Forental pour prendre la tête de la Garde dans le futur… Et il ne manquait pas d’une certaine mesure lors des débats au Conseil, ce qui était assez appréciable.

 

- Ivawen vous a-t-elle entretenu sur sa succession ? demanda Séïren à Arthelor.

 

- La Reine, jeune fille, la reprit l’amiral. Utilisez son titre en public. Même avec moi. N’oubliez pas que nous nous trouvons dans leur cœur même du pouvoir royal, ce genre de détails ne devrait plus échapper. Et non, elle ne m’a pas entretenu là-dessus. Elle choisira vraisemblablement un membre de la Garde Royale, et en cela, elle demandera son avis à Nadomir Forental.

 

A peine sa phrase achevée, une porte s’ouvrit violement. Erion Serra son trouvait dans l’embrasure. Il marcha à grands pas vers le trône, près duquel ils étaient tous réunis. Nadomir Sëë fit un pas vers lui.

 

- Bonjour, Seigneur Sëë, éructa Erion. La Reine m’avait promis beaucoup de choses, mais jamais le fait de t’inviter officiellement dans son château, au pied même de son trône.

 

- Mon Oncle, dit Iris Serra, calmez-vous je vous prie.

 

- Reste en dehors de cela, Iris, glissa Erion tout en tirant son koranen, sans lâcher Nadomir des yeux.

 

- Exactement, fit Nadomir en dégainant à son tour.

 

- Messires, tenta Arthelor, ne soyez pas stupides. Vous vous trouvez dans la salle du trône, sous le toit de Sa Grâce…

 

- Laissez-nous, Fend-Tribord, dit Nadomir, si Serra veut jouer, il va être servi. Il ne sera pas dit que je renonce à me battre lorsque l’on me menace.

 

Erion ne répondit même pas. Il n’était concentré que sur son adversaire. Il s’élança. Nadomir para le premier coup facilement, et lança une contre-attaque fulgurante à la gorge. Serra esquiva sans problème et les deux hommes se tournèrent autour.

 

- Arrêtez tout ! rugit Iris. Je ne veux pas voir mes oncles s’entretuer ! (Elle tira deux longs coutelas et voulu s’avancer, mais Jiana la retînt par le bras). Mère, vous n’avez peut-être pas de pratique des armes, mais moi si. Lâchez-moi, je vais les arrêter !

 

- Iris, restes où tu es ! s’écria Jiana en la maintenant fermement. Et pose immédiatement ces couteaux. Ordre de ta mère !

 

Dame Serra lança un regard à Arthelor. Elle lutta quelques secondes avec sa fille, qui finit par capituler et rengainer.

 

- J’interviens ? proposa Noédor, tandis que Séïren secouait la tête avec frénésie.

 

- Oh non, Edlla, trancha Arthelor. Vous vous feriez tailler en pièces. Ils sont fous, tous les deux. Partez avec Séïren, et allez prévenir la reine. C’est elle qui nous a demandé à tous de venir ici, elle ne doit pas être loin. Cherchez vers ses appartements et ceux de Nærisa, dépêchez-vous !

 

Les deux jeunes gens se hâtèrent d’exécuter ses ordres. Lui-même ne pouvait pas tenter grand-chose, avec sa jambe en moins, contre ces deux forces de la nature. Iris et Noédor auraient peut-être eu une chance de les arrêter, mais Arthelor ne voulait pas prendre le risque que la fille de Jiana soit blessée sous ses yeux, ni la responsabilité qu’il arrive quelque chose à Noédor. Le visage d’Erion Serra était concentré, il fixait son adversaire, les yeux pleins de haine. Au contraire, Nadomir Sëë paraissait amusé de la situation. Son visage restait jovial et un mince sourire étirait sa bouche. Il attaqua à droite. Erion recula et voulu le frapper à la hanche. Sëë bloqua facilement et visa la gorge d’Erion qui bascula le buste pour éviter le coup mortel. Arthelor lui-même était loin d’être un bon combattant. Capitaine respecté par ses matelots, il était relativement protégé par ses hommes lors des batailles navales. Il profitait également de son agilité elfique et de sa connaissance sans faille des navires pour éviter de s’exposer par trop aux attaques ennemies, et attaquait rarement seul. Néanmoins, il ne pouvait s’empêcher d’apprécier la beauté de ce combat. Les deux hommes étaient tous deux des guerriers chevronnés, faisant la guerre depuis une trentaine d’années. Aucuns des deux ne désiraient céder un pouce de terrain à l’autre. Selon Arthelor, Nadomir, plus agile, plus frais, et moins en colère, devrait remporter ce duel. Ce serait d’ailleurs préférable, car jamais le Seigneur Sëë n’oserait tuer sciemment son ennemi dans le palais royal. Il se contenterait sûrement de le blesser. Il n’était pas dit par contre qu’Erion Serra, emporté par sa rage, n’exécute Sëë sur place s’il parvenait à le désarmer. Arthelor avait surtout peur que l’un d’eux ne porte un coup mortel à l’autre dans le feu de l’action. Serra se baissa et frappa Nadomir aux jambes. Le seigneur elfe sauta et frappa à la tête. Erion recula et la lame du Seigneur Sëë pénétra légèrement son crâne. Du sang coula sur son oreille droite.

 

- Tu es stupide Serra, marmonna Nadomir en souriant. Tu te fais trop vieux pour me défier.

 

Erion l’attaqua de plus belle. Nadomir ricana en parant, avant de contre-attaquer. S’il se moquait de son adversaire, il restait totalement concentré sur le combat. Erion bloqua et lui envoya un coup d’épaule. Nadomir recula d’un pas et tenta de viser Serra avec un direct du gauche. L’autre se baissa et parti sur le côté.

 

- Tu te souviens Erion ? fit Nadomir en riant. Notre premier duel ? J’avais déjà le dessus.

 

Serra restait silencieux et se contentait de se battre avec rage. Il tenta plusieurs attaques, à la tête, au cou, au bas-ventre, toutes repoussées par Nadomir, qui lui non plus ne parvenait pas à passer la garde de son adversaire. A côté, Iris s’agitait, toujours retenue par Jiana, qui ne perdait pas une miette du combat effréné que livrait son frère.

 

- Viens donc, vieil homme ! s’écria Sëë. Apprécieras-tu, quand je t’enfoncerais mon épée dans le gosier ?

 

- Seulement si tu meures avec moi, salaud !

 

Les deux se jetèrent l’un sur l’autre et Nadomir attaqua, aux jambes, au bras gauche, à la poitrine. Erion sauta, détourna la lame, se baissa, puis envoya plusieurs coups frénétiques à son adversaire, localisés aux hanches et près du bas-ventre, l’obligeant à découvrir légèrement son visage. Il se détendit ensuite, et, d’un coup de pied retourné, le visa à la tête avec son talon droit. Nadomir esquiva d’extrême justesse, et Arthelor cru le voir approuver d’un signe de tête l’audacieuse frappe de son adversaire, qui aurait pu lui être fatale. Erion replia vivement sa jambe pour éviter d’avoir l’aine ouverte, puis recula sous les coups de Nadomir.

 

- Fou ! cria Sëë. Tu es fou et lâche. Quinze ans pour me confronter !

 

Serra para de justesse et Nadomir le frappa au genou avec son pied puis l’attaqua à l’épée. Erion bloqua avec son koranen, mais fut déséquilibré. Sëë réitéra son coup, une fois, deux fois, trois fois, quatre fois, et Serra tomba sur le dos, bloquant l’épée de son adversaire avec difficulté au-dessus de son visage.

 

- Abandonne, imbécile ! rugit Sëë.

 

Erion leva la tête de quelques pouces, puis cracha au visage de Nadomir. Déconcentré quelques instants, le seigneur ne put esquiver un revers de la main que lui envoya l’Enflammé au visage. Il réduit la pression sur la lame, et Erion réussit à le repousser. Les deux hommes roulèrent sur le côté, à quelques pas l’un de l’autre. En se relevant, Nadomir s’écria :

 

- Cela a dû être dur pour toi ! Perdre une fois de plus tes hommes. Cesse donc de chercher des coupables, et considère la vérité : tu n’es pas capable de protéger les tiens !

 

- Crève ! rugit Erion.

 

Les deux elfes s’étaient relevés, mais l’Enflammé fut plus rapide et s’élança. Nadomir détourna son premier coup, mais Serra sauta et frappa latéralement son adversaire à la tête. Sëë leva son épée et bloqua. La force du coup circulaire le fit néanmoins chuter. Il atterrit à quatre pattes et dut s’éloigner du koranen en courant. Il se retourna vivement. Il ne souriait plus. Les deux hommes s’élancèrent l’un vers l’autre leurs lames, en s’entrechoquant, produisirent des étincèles. Immédiatement ils frappèrent du poing, et s’empoignèrent. Après une série d’attaques vicieuses, des poings, des coudes, des genoux, le terrible couple se sépara. Ils étaient à bout de souffle, mais l'adrénaline les maintenait en état de se battre.

 

- Assez ! hurla la voix d’Ivawen.

 

La souveraine se tenait dans l’encadrement de la porte, accompagnée de son Poing, de Nærisa, de Noédor, de Séïren et d’un elfe qu’Arthelor ne connaissait pas. Déjà Silya Ayën s’avançait vers les deux lutteurs, sabres brandis, prête à les séparer. Ce ne fut pas nécessaire. En reconnaissant la voix de leur reine, les deux elfes avaient baissé leurs armes.

 

- Serra, dit la reine en s’avançant, vous imaginiez-vous pouvoir impunément faire couler le sang dans ma demeure ?

 

- Ma Reine, répondit-il, j’estime avoir assez souffert ces derniers temps, et mériter la vengeance dont vous m’avez parlée.

 

- Je me moque de votre vengeance, Seigneur, dit-elle d’une voix glaciale (Arthelor crut voir Silya sourire à ce moment). Seule la justice m’intéresse, et elle passe par la vérité. En cela je ne vous avez promis qu’une chose : mener une enquête. C’est chose faite. Nærisa, je te prie.

 

- Le prince Saënor Volii, ici présent, raconta Nærisa, a été chargé de mener l’enquête au sujet de l’attaque de votre forteresse, il y a quinze ans. Cela a pris du temps, mais il est parvenu à réunir des preuves tangibles, qu’il nous a livré il y a peu. Ses conclusions nous ont amenées à vous faire tous venir au palais aujourd’hui, afin de pouvoir délibérer. Je crois d’ailleurs que le capitaine Engoïn Sëë devrait également se trouver parmi nous ?

 

- Mon grand-oncle, expliqua Jiana, ne peut se déplacer aussi vite que mon frère et moi-même. Il arrivera ce soir.

 

Nærisa acquiesça. Le dernier homme s’avança alors. Il avait les paupières lourdes, des poches sous les yeux et les traits tirés. Ses iris étaient violets, ce qui était un trait typique des elfes continentaux. Il était richement vêtu, et son visage, sans âge ni réelle particularité en dehors de la fatigue qui s’y lisait, était familier d’Arthelor.

 

- Qui êtes-vous, Prince ? demanda-t-il en ignorant le regard noir de Nærisa. Quel genre de preuves apportez-vous, et comment les avez-vous récoltées ?

 

- Mon père m’a légué sa fortune et son titre de Prince-Marchant de la cité de Muunrode, amiral Fend-Tribord, expliqua l’homme. Néanmoins, ce titre n’est plus qu’honorifique, étant donné que je ne commerce plus depuis une trentaine d’années. Le Roi Highlin, puis sa fille, la Triomphatrice Ivawen Première, m’ont offert du travail à Céläastra. Concernant la présente affaire, en me rendant sur les lieux et en interrogeant des témoins indirects, j’ai pu me procurer certains renseignements faisant office de preuves.

 

- Preuves, mon cher, que nous ne dévoilerons pas aujourd’hui, reprit Nærisa. Il y aura une audience, où les différentes parties seront entendues. La justice réside entre les mains du pouvoir royal. Sa Majesté écoutera donc et rendra son verdict.

 

Arthelor se maudit intérieurement en entendant les paroles de Saënor Volii, puis la voix de Nærisa. Il se rappela immédiatement où il avait vu cet homme. Il était venu rendre visite à la princesse lors de la guerre, et lui avait livré des renseignements importants concernant les mouvements des troupes de Neflindel. C’était également lui qui, dix ans auparavant, avait livré à la reine des informations capitales avant la dernière bataille de la guerre du Vieux-Prince, notamment le nombre de navires de Neflindel et l’emplacement de sa flottille de réserve, qu’Eoïndril Eleïon avait pu incendier à la faveur de la nuit. Il s’agissait de l’un des espions d’Ivawen. L’amiral ignorait cependant qu’il était toujours à son service.

 

- Merci, Princesse, dit Ivawen. Je vous demanderez à tous de vous rendre demain à l’aube à la salle d’audience. Seigneur Sëë, il va de soi que je ne tolèrerais plus d’incident de ce type (Nadomir hocha la tête). Erion Serra, vous avez provoqué Nadomir Sëë au sein de mon palais. La prochaine fois, je vous suggère de régler vos différents en dehors des murs, si vous tenez à votre main d’épée. Pour éviter que vous n’honoriez à nouveau votre surnom avant demain matin, mes gardes vous accompagneront jusqu’aux geôles, en espérant que l’air humide vous fasse réfléchir.

 

- Ma Reine… commença Iris Serra, avant que sa mère ne la rappelle à l’ordre.

 

L’Enflammé s’inclina avec raideur devant la souveraine. Sur un geste d’Ivawen, quatre gardes royaux entrèrent et enlevèrent l’arme d’Erion Serra. Il les suivit et quitta la pièce. La reine toisa l’assemblée, puis sorti de la salle du trône, accompagnée de son Poing. Arthelor s’éloigna à son tour, tandis que les Sëë partaient d’un côté, et Noédor et Séïren de l’autre. Il s’engouffra dans un couloir étroit, parfaitement conscient que Nærisa le suivait de quelques pas. Enfin il s’arrêta et la princesse le rejoignit. Il posa sa main sur son ventre rond, sentant avec bonheur que cela bougeait. Il embrassa l’elfe, puis continua son chemin alors qu’elle prenait son bras.

 

- Que d’inimités à la cour, dit-il.

 

- Tu es trop souvent resté en mer ces dix dernières années, tu n’as pas compris qu’une cour fonctionnait ainsi.

 

- En mer je suis loin de toi, Nærisa. Tu n’aurais pas dû me nommer au Conseil Royal. Te voir est le pire des poisons.

 

- Je sais, répondit la princesse. Bientôt tu t’occuperas de ton enfant. Tu comprendras ce que poison veut dire.

 

- Quelles preuves Saënor Volii va-t-il fournir ?

 

- Tu le sauras demain, curieux, sourit Nærisa.

 

 

Devant la porte de fer située dans les sous-sols du palais, Hroar Erlîn commençait à s’impatienter.

 

- Pourquoi devrais-je t’ouvrir, nabot ? demanda le geôlier.

 

Pendant une seconde, Hroar envisagea d’abandonner toute prudence et de rouer de coups cet elfe sale, gras et arrogant. Il se demanda si, en le jetant dans les escaliers, sa rondeur le ferait rouler jusqu’en bas, songeant qu’auquel cas, sa nuque se briserait avant la fin de sa chute. Puis il haussa les épaules et tira de sa bourse deux pièces d’or.

 

- Peut-être que ceci t’aidera à retrouver le chemin de la cellule d’Erion Serra ? dit-il.

 

- Hum, fit l’homme en tendant une main vers l’or (Hroar ferma le poing). Peut-être, oui.

 

- C’est à prendre ou à laisser, fit le nain, agacé.

 

L’elfe hésita quelques secondes de plus, puis lui ouvrit. Hroar lui fit passer une des deux pièces. Le geôlier referma la porte derrière eux, et lui fit signe de le suivre. Ils descendirent un escalier en colimaçon très étroit, puis passèrent devant des cellules, où derrière les barreaux, de nombreux prisonniers dormaient, léchaient de sales écuelles, se grattaient, faisaient les cents pas. Tous avaient une mine déconfite. Ils descendirent un nouvel escalier, plus étroit encore. A cet étage, les captifs étaient moins nombreux. Certains insultaient le monde entier, d’autres ne faisaient que crier, d’autres encore restaient silencieux. Ils jetèrent des regards curieux au geôlier, et surtout à Hroar, qui traversaient le couloir, puis retournèrent à leurs occupations habituelles. Le nain emprunta encore un escalier, beaucoup plus long que le précédent. Il comprit qu’ils évoluaient à présent sous le palais, dans le roc même de la colline qui dominait la ville de Céläastra. Au niveau suivant, il n’y avait que six prisonniers. Le premier se balançait d’avant en arrière et marmonnait en langage elfique des mots que Hroar ne comprit pas, mais quatre autres, trois hommes et une femme, étaient silencieux les yeux dans le vague. Erion Serra se trouvait dans la dernière cellule. Au-delà, un nouvel escalier en colimaçon descendait dans les ténèbres.

 

- Merci, dit Hroar au geôlier. Tu auras le reste de l’or quand je serais remonté à la surface. Eloigne-toi.

L’elfe fit la grimace, puis se dirigea vers l’escalier qui montait en trainant des pieds.

- Hroar Erlîn ! s’écria Erion Serra en apercevant le nain. Que fais-tu là ?

 

- Je voulais de tes nouvelles, dit le nain en lui serrant les mains.

 

- Nous nous sommes vu hier, fit remarquer Erion.

 

- Quelle mouche t’a piqué, Erion ? demanda Hroar. Seul le pouvoir royal peut faire couler le sang au palais. Même un nain fraichement débarqué le sait. Il ne faut pas t’étonner de te trouver là…

 

- Je sais, mon ami, fit l’elfe en baissant la tête. Mais que veux-tu. A nouveau mes hommes se sont fait décimer sans que je n’aie pu les protéger. Pendant les heures sombres que je passais dans les cellules lagorides, je ressassais sans cesse ma vengeance envers Ta’Kelm, et Nadomir Sëë. En apprenant la mort du sorgosien, ma colère s’est tournée toute entière vers Sëë ! Lorsque l’on m’a dit qu’il était invité au palais, j’ai vu rouge. Si Ivawen ne m’accordait pas la vengeance que je lui demandais, j’allais m’en occuper moi-même.

 

- Si tu l’avais tué, la reine t’aurait fait décapiter. Ou t’aurait empêché de sortir des terres Serra.

 

- Auquel cas mon frère Sorraï m’aurait expulsé. Je serais resté un Seigneur Soudard pour le restant de mes jours.

 

- Si tu avais été libéré de tes engagements matrimoniaux, j’aurais pu te montrer l’Empire, sourit Hroar. Enfin, tu commences à être un habitué des prisons royales.

 

- Nous nous rendrons dans ton Empire une fois cette affaire réglée, lui promit Erion (Hroar se raidit). Chez Maélen IV, j’ai eu une cellule confortable et individuelle. J’avais droit à des visites et à des livres. Ici on me relègue dans un cul-basse-fosse.

 

- Tu ne resteras qu’un jour ici. Sais-tu… (Hroar désigna l’escalier suivant de la tête) sais-tu si cela descend encore loin ?

 

- Les deux premiers niveaux sont utilisés pour les prisonniers du commun, répondit Erion. On enferme ici les coupables de crimes de sang, qui ne restent jamais longtemps en prison avant d’être exécutés. A ce niveau se trouvent également les prisonniers d’origine noble purgeant une longue peine. Celui-ci (il désigna l’un des hommes), est l’ex-capitaine Val’lar Rywon. Il n’a pas renié le Vieux-Prince à la fin de la guerre comme le veulent nos lois et s’est constitué prisonnier. Il croupit ici depuis dix ans.

 

- Et les autres ? s’intéressa Hroar.

 

- Selen Hyvé et Varn Sioné, expliqua Serra en montrant deux autres hommes silencieux. Deux demi-frères. Piètres combattants, mais bons tacticiens et financiers. Leur mère, Mïren Alluv, était une inconditionnelle de Neflindel. Celui-ci (il montra l’elfe qui marmonnait tout seul), s’appelle Orys Eleïon. Cousin éloigné de l’amiral Eoïndril, bien en cour dans les premières années du règne d’Ivawen, il était connu pour aimer les hommes. Ivawen l’a enfermé ici il y a trois ans, après qu’il eut fait assassiner au palais l’un de ses amants.

 

- Et la dernière ? s’enquit Hroar en frissonnant.

 

- Tu as devant toi Dame Joanna Sëë, raconta Erion en désignant la femme. La sœur cadette d’Engoïn Sëë. Elle fut la dernière maîtresse de Neflindel, et la seule Sëë à le soutenir. Elle avait un fils naturel, Astin, Le Bâtard Sëë. On l’appelait également Chevalier, car il avait obtenu ce titre en combattant au sein du continent. Il est mort lors de la dernière bataille de la guerre, lorsque son navire fut incendié par Arthelor Uvaron. C’était un semi-humain, que Joanna a nommé comme celui qui fut son père, un originaire du Delta, probablement. La naissance d’Astin l’a brouillée avec Engoïn et Soïlïn Sëë. Elle a refusé de reconnaître Ivawen comme reine, par amour pour le Vieux-Prince, et en souvenir de son fils, probablement.

 

- Tu sembles bien les connaitre.

 

- J’ai combattu à leurs côtés des années durant, dit Erion, maussade. Je pourrais me trouver avec eux depuis dix ans. Je ne sais pas s’ils m’ignorent parce qu’ils ne m’ont pas reconnu ou parce qu’ils ne me pardonnent pas mon soutien définitif à la reine. Le niveau inférieur referme, avant leur exécution, les prisonniers les plus dangereux. Les tueurs en série identifiés, les tueurs d’enfants, certains violeurs. En-dessous enfin, sont enfermés les plus hauts nobles condamnés à morts, mais dont la peine est commuée en prison à vie. Il est vide, selon ce que je sais. Mais certaines rumeurs disent qu’une princesse royale s’y trouve. La sœur aînée de Neflindel et du roi Issol, qui aurait tenté de prendre le pouvoir à la place de son frère. Issol l’aurait faite arrêtée et enfermée. Si c’est le cas, voilà presque un siècle qu’elle s’y trouve. Les geôliers ne descendent jamais aussi profondément, mais certains murmurent que les monte-plats allant vers cet étage fonctionnent toujours…

 

Hroar jeta un coup d’œil à l’escalier qui plongeait vers les ténèbres. Il s’en échappait un souffle froid, mais ce ne fut pas cela qui le fit frissonner. Il sentait comme une odeur fétide, rance, de pourriture et de maladie venant des niveaux inférieurs. Soudain la terre battue jonchée de fétus de paille du sol de la prison lui rappela la pierre blanche des hôpitaux militaires, où, lors des sièges, les malades et les blessés agonisants étaient maintenus en vie, et achevés lorsque l’ennemi approchait.

 

- J’aurais voulu assister à l’enterrement d’Estë, souffla Erion. Je l’appréciais. Elle avait du courage.

 

- Et plus encore, fit Hroar. Rylor Furiade m’a remercié d’avoir ramené le corps de sa fille en me permettant d’assister à ses funérailles.

 

- Tu as dû être le premier nain à ne jamais pénétrer sous son toit…

 

- En effet. Mais en tant qu’hôte, il m’a traité comme un égal. Les frères d’Estë l’ont pleurée avec nous.

 

- Vas-tu mieux mon ami ?

 

- De quoi parles-tu ?

 

- Enfin Hroar, fit Erion en le regardant intensément. C’est évident. Tu étais amoureux d’Estë.

 

- Ne dit pas de bêtises. C’est une elfe.

 

- Je ne te parle pas d’amour charnel. Mais tu l’admirais. Tu m’as toi-même confié qu’elle te rappelait Loreleï. En cela, l’admiration que tu lui portais s’est transformée, à son contact, en amour. Je te connais, nain.

 

- Tu as peut-être raison, dit Hroar. En tout cas, je l’admirais, oui. Je partageais ses souffrances. Elle partageait les miennes. Ce qui lui est arrivé est inqualifiable. Elle savait qu’elle allait mourir. Elle en était sûre avant que le soleil ne la rende folle. (Erion lui serra l’épaule) Que va-t-il se passer demain ?

 

- La reine, murmura Serra, a découvert la vérité sur ce qu’il s’est passé à ma forteresse il y a quinze ans. Elle nous la dévoilera et agira en conséquence.

 

- Crois-tu toujours Nadomir Sëë coupable ?

 

- Oui. Mais j’espère ne pas me tromper. J’ai des doutes. Il a nié devant moi avec tant de vigueur… Cela ne veut rien dire, mais qui sait ? (Hroar lui sourit) Tu devrais remonter, mon ami, ton guide s’impatiente.

 

- J’espère que tu découvriras la vérité, dit le nain. Bon courage, Seigneur Serra. On se verra après l’audience.

 

Hroar tourna les talons et se dirigea vers la sortie. Erion l’arrêta d’un cri :

- Et, Hroar ! J’ai besoin de toi.

 

Le nain lui sourit à nouveau, puis emboita le pas au geôlier qui remontait.

 

 

Ivawen se tenait assise dans le fauteuil royal, regardant les elfes les uns après les autres. Un peu en retrait par rapport à elle, Silya attendait elle aussi. Elle était en armure complète, et elle seule serait armée durant l’audience. La princesse Nærisa, à sa droite, la regarda également et ses prunelles vertes croisèrent les yeux d’Ivawen. La reine lui adressa un fin sourire, auquel sa sœur répondit par un hochement de tête. Peu de monde se trouvait face aux souveraines. Iris Serra, la plus à droite, agitée sur un banc de bois. Sa mère, calme et posée, regardait par-dessus le trône royal. Ivawen savait que la flamboyante Jiana bouillonnait en elle-même, mais était trop sage pour oser la défier, même du regard. Ce n’était pas le cas d’Erion Serra, son beau-frère, qui la toisait sans ciller. Dans son regard, et sur son visage, Ivawen ne vit aucun mépris, aucune colère, plutôt de l’impatience. Ses cheveux étaient sales, et sa nuit au cachot avait l’air de l’avoir fatigué. Le but d’Ivawen était bien entendu de rabaisser ce seigneur turbulent, et cela avait selon toute vraisemblance fonctionné. Engoïn Sëë, que tout le monde disait fatigué, se tenait droit et fier, attendant que la reine prenne la parole. Il triturait machinalement un magnifique sautoir d’or à son cou. Si ce geste trahissait une possible anxiété, son visage calme démentait. Arthelor Fend-Tribord, Séïren et Noédor Edlla étaient également du nombre. Aucun d’eux n’était directement impliqué dans l’affaire, mais Ivawen avait tenu à ce que des membres du Conseil neutres assistent à l’audience. Arthelor semblait rêvasser, même si la reine savait qu’il n’avait pas perdu une miette des évènements. Séïren écoutait attentivement, tandis que son fiancé semblait s’ennuyer, bien qu’il fasse de son mieux pour le cacher afin de donner la meilleure image possible.

 

Nadomir Sëë quitta la barre des témoins et se rassit sur un geste de la reine. Il venait de livrer sa version des faits à l’assemblée, racontant comment il avait échappé aux forces d’Erion Serra, puis avait chevauché jusqu’à un champ de bataille proche pour secourir l’armée d’Ivawen. Erion Serra avait, quant à lui, raconté sa version, évoquant les menaces proférées par Sëë quelques jours avant l’attaque de la forteresse, et la difficulté pour de simple pillards de pénétrer l’édifice, étayant la thèse selon laquelle seule une armée entrainée au siège pouvait escalader ces murs. La reine avait écouté attentivement les deux témoignages, désirant connaitre les arguments de chacun des deux parties. Au final, l’avis de l’assemblée n’importait pas. Elle seule avait le pouvoir de justice, et d’elle découlait toute forme de législation judiciaire sur l’Île. Un lourd silence pesa sur la salle une fois le discours de Nadomir Sëë achevé. Ivawen observa un long moment les gens présents. Du coin de l’œil, elle pouvait voir Silya, immobile, visière baissée. La reine avait confié les résultats de l’enquête à son amante, désirant lui demander conseil. Les deux femmes en étaient arrivées à la même conclusion. Ivawen avait été ravie d’avoir une nouvelle preuve du fort caractère et de la perspicacité de sa guerrière. Mais l’heure présente n’était pas aux réjouissances. Elle détourna ses yeux de l’assemblée pour se tourner vers l’huissier posté devant la porte.

 

- Je souhaite à présent fournir mes propres pièces à convictions. Faites entrer le prince Saënor Volii.

 

L’huissier ouvrit la porte et fit entrer le prince. Les yeux de l’assemblée se tournèrent vers lui. La plupart des regards semblaient hostiles, ce qu’Ivawen entendait. Cet homme était inconnu, mystérieux et étranger. En entrant, il soutenait une vieille elfe affaiblie aux cheveux blancs, qui, de toute évidence, n’avait jamais mis les pieds dans un endroit aussi luxueux. La barre des accusés restait vide, Ivawen voulant ainsi montrer que le but de cette audience était de découvrir la vérité, et non de faire un procès à un coupable présumé. La vieillarde salua profondément la reine, puis s’installa à la barre des témoins. Ivawen gardait les yeux fixés sur Erion Serra. Le guerrier observait, les yeux écarquillés, la vieille elfe.

 

- Reconnaissez-vous cette femme, Seigneur Erion ? demanda Ivawen.

 

- Oui, Majesté, répondit-il. Il s’agit d’Ælène « Blanc-Crin », l’infatigable serveuse du Comptoir des branches basses, la minuscule taverne de mon ancienne forteresse. Son mari était propriétaire de l’établissement. Elle m’a servi plus d’une fois.

 

- Seigneur Sëë, la reconnaissez-vous ?

 

- Je ne l’ai jamais vu, ma Reine, répondit Nadomir.

 

- Et vous Ælène, s’enquit Ivawen, reconnaissez-vous ces deux hommes ?

 

- Je les reconnais tous les deux, Votre Glorieuse Majesté, marmonna la vieille femme d’une voix rocailleuse.

 

- Vous avez la parole, Ælène, racontez votre histoire.

 

- C’était un matin frais, commença l’elfe. Nous étions en guerre depuis environ une année déjà. Cela faisait des mois que le Seigneur Sëë nous assiégeait. Mais nous, nous suivions notre intrépide châtelain, qui l’avait déjà fait plier. Nos hommes se battaient tous les jours aux créneaux et nous portions hautes, j’ai honte de le dire aujourd’hui, les couleurs du prince Neflindel. Le siège était dur et nous commencions à mourir de faim. Des troubles ont éclatés au sein de la forteresse. Erion est parvenu à les calmer, puis, le lendemain, a mené une sortie victorieuse contre les forces ennemies. Depuis deux jours, il les poursuivait, et nous nous croyions enfin en sécurité (elle reprit son souffle).

 

- Au matin du troisième jour, donc, reprit-elle, des cornes ont annoncées l’arrivée d’une armée près de nos portes. Nous pensions tous que le seigneur Erion revenait victorieux. Les portes restèrent fermées néanmoins, car le chef de la garnison craignait la venue de nouveaux ennemis. En cela il avait raison. Nadomir Sëë était revenu, et exigeait la reddition du château, sans quoi il passerait tout le monde au fil de l’épée. Il nous informa qu’Erion Serra était mort. Nous refusâmes de nous rendre, pensant pouvoir tenir le siège. Mais Sëë avait profité de l’audience pour faire escalader en douce les murs dégarnis à certains de ses hommes, qui lui ont ouvert une poterne. Une partie de son armée est parvenue à entrer, assez pour massacrer quelques-uns de nos derniers soldats. Le gouverneur de la forteresse, constatant que nous finirions tous par mourir, a finalement accepté de déposer les armes et a ouvert les portes… Nadomir Sëë a alors déversé son armée chez nous, et se fut le chaos (elle s’arrêta).

 

- Voulez-vous faire une pause, Ælène ? s’informa la reine.

 

- Je remercie Votre Grâce, répondit-elle au bout d’un moment, mais je vais continuer. Je me suis réfugiée dans mon auberge lorsque les soldats sont arrivés. La maigre garnison a été vite débordée. Ils ont forcé la porte de mon établissement, et l’on pillé, mais je suis parvenue à me cacher dans un débarrât sous des couvertures. Ils ne m’ont pas trouvée. Je crois que je me suis évanouie. Lorsqu’enfin j’ai eu le courage de sortir, je me suis rendu compte du désastre. Mon établissement était sans-dessus-dessous, mon mari gisait mort sur le plancher. En me rapprochant de la fenêtre… En... En regardant par la fenêtre, j’ai vu plusieurs cadavres sur les pavés. Je suis montée à l’étage. De là, j’avais vue sur la cour du château. J’ai reconnu cet homme, Nadomir Sëë au centre, qui supervisait la montée de grandes croix de bois. Il a lui-même choisi cinq femmes parmi celles qui se trouvaient enchainées là. Toutes ont été fichées sur les croix, les autres égorgées. Je… pardonnez-moi, je…

 

- Ne vous en faites pas, Ælène, lui dit la reine. Que s’est-il passé ensuite ?

 

- Je… je suis retournée me cacher, horrifiée, reprit la vieille elfe. Je croix que je suis restée une journée ainsi, puis, enfin, j’ai pu sortir. J’ai quitté la forteresse en courant, et je me suis perdue dans la forêt. Lorsqu’enfin j’ai atteint un village, j’ai voulu fuir la guerre. Un guide m’a menée jusqu’au port du Seigneur Rywon. J’ai raconté mon histoire, mais, arguant que Nadomir Sëë avait été vu loin de la forteresse peu après l’attaque, on m’a crue folle. Un capitaine m’a engagée comme cuisinière sur son bateau. Je suis rentrée à Céläastra il y a deux ans. C’est… c’est tout Votre Grâce.

 

- Merci Ælène, dit la reine. Nadomir Sëë, qu’en pensez-vous ?

 

- Rien ne confirme que cette femme se trouvait bien dans la forteresse à l’époque, répondit-il. Peut-elle le prouver ?

 

Ælène décrit alors la forteresse, donna des noms, livra plusieurs détails sur certains bâtiments, puis elle fondit en larmes. Erion Serra confirma la plupart de ses dires, mais Jiana et Iris aussi. Elles rappelèrent qu’Erion les y avait invitées peu avant la guerre. Si Iris n’était pas sûre de ses dires, Jiana, qui y était restée plus longtemps, était plus affirmative. Ivawen regardait, au fur et à mesure de leurs paroles, la décomposition de leurs visages. Les deux femmes jetaient des regards dérobés à Nadomir Sëë, qui restait impassible.

 

- Vous pouvez vous retirer, Ælène, dit Ivawen. Saënor, raccompagnez-la dehors et faîtes entrer notre second témoin.

 

L’homme obéit et fit entrer une elfe ridée et bouffie. Elle était vêtue sobrement, et portait la tonsure des prêtresses d’Oïnstal. Son bras gauche était tranché juste avant le coude et la manche de son vêtement était retroussée à ce niveau, laissant voir un moignon de chairs calcinées. Elle salua la reine, s’installa à la barre des témoins et toisa l’assemblée.

 

- Reconnaissez-vous cette femme, messires ? demanda Ivawen (Erion et Nadomir répondirent par la négative). Et vous ? dit-elle en se tournant vers la prêtresse.

 

- Je les reconnais, tous les deux, répondit-elle d’une voix grave. Je m’appelle Hestël, je suis moniale depuis quinze ans. Je faisais partie, avec mon père, des civils réfugiés dans la forteresse d’Erion Serra au début de la guerre du Vieux-Prince. J’avais trente et un ans à l’époque. Je sais qu’Ælène est revenue sur les détails du siège et sur l’entrée de Nadomir Sëë dans le château. Je me contenterais de raconter ma propre histoire.

 

Elle fit une pause. Bien qu’Ivawen l’ait déjà rencontrée, elle était frappée par la vieillesse apparente de cette femme, qui, guère plus âgée qu’elle, paraissait avoir trente ans de plus. Hestël prit une longue inspiration.

 

- Pendant le siège, raconta-t-elle, je défendais les remparts. Le Seigneur Erion m’avait mise ici car je tirais bien à l’arc. C’est du haut de ces remparts que j’ai vu Nadomir Sëë pour la première fois, de loin, lors de son entrevue avec Erion Serra au pied des murs. Je ne distinguais pas ses traits, mais je pouvais voir sa carrure, et son armure argentée, frappée des armoiries Sëë, ainsi que de la fleur-de-lys de la reine Ivawen. Quelques jours avant l’attaque, une flèche m’avait blessée à l’épaule gauche, et je me reposais donc auprès de mon père. Pendant l’attaque… (Elle fit une pause et frotta son moignon.)

 

- Voulez-vous reprendre plus tard, Hestël ? demanda la reine.

 

- Non, Votre Grâce, je vous remercie, dit-elle. Pendant l’attaque, j’ai abattu deux hommes par une fenêtre du château où j’étais réfugiée. A ce moment j’ai vu un homme, que j’ai reconnu être Nadomir Sëë, abattre mon père, simplement armé d’une fourche du haut de son cheval. Je me suis effondrée. Je n’avais plus envie de me battre. Je suis restée prostrée. Puis des hommes ont investis le château et m’ont trainée dehors…

 

L’assemblée écoutait attentivement. Nadomir Sëë restait impassible. Il ne regardait pas Hestël, mais Ivawen. Erion Serra gardait les yeux fixés sur la femme à la barre, tout comme Jiana et Iris. Arthelor semblait s’être réveillé, et Noédor était beaucoup moins agité. La reine eut l’impression que Séïren soutenait Hestël du regard. Engoïn Sëë regardait aussi Ivawen. Nærisa et Silya restaient immobiles.

 

- Ils… ils m’ont trainée dehors, reprit Hestël. Je ne sais pas combien ils étaient, quatre, cinq. Les deux premiers m’ont violée, puis… puis, comme je me débattais trop… ils m’ont brisé le poignet droit. Puisque mon poignet gauche résistait, ils… ils m’ont coupé l’avant-bras à coups de hache (elle leva son bras mutilé). Ils devaient avoir envie de me garder en vie le plus longtemps possible, parce qu’ils m’ont appliqué un garrot avant de… de continuer leur besogne. Alors qu’ils me brutalisaient, j’ai vu le Seigneur Sëë passer devant eux à cheval et me regarder. Puis il a poursuivi son chemin.

 

Elle fit une pause. Nadomir Sëë la regardait à présent. Il ne semblait pas se souvenir d’elle, mais sa mine avait changée. Il regarda Ivawen, qui resta imperturbable dans son fauteuil, le toisant froidement.

 

- Au bout d’un moment, raconta Hestël, ils se sont arrêtés. Je me suis évanouie plus ou moins à cet instant. Ils m’ont cru morte ou n’ont pas jugé utile de m’achever, mais en tout cas, je me suis réveillée quelques heures plus tard, meurtrie et mutilée. J’ai contemplé le massacre. Les cadavres étaient partout, mutilés, parfois brûlés. A la vue du spectacle, j’ai pensé à me laisser mourir ici. Puis mon regard s’est posé sur la dépouille de mon père non loin… J’ai compris qu’Oïnstal avait voulu que je vive. Je me suis levée, et, dans un brasier proche, ai cautérisé mon bras. Il restait un vieil âne aux écuries. Je me suis hissée en selle, puis suis partie. Je voulais m’éloigner de cet enfer. Ma reine, je…

 

- Reposez-vous, ma chère, lui dit Ivawen.

 

- Non, Votre Altesse, répondit fermement Hestël en se ressaisissant. Sur mon âne j’ai traversé des forêts, puis, un jour plus tard, un monastère m‘est apparu. C’était une nouvelle preuve qu’Oïnstal avait eu pitié de moi. Le monastère était uniquement peuplé de femmes. La Première Moniale m’a recueillie, soignée, nourrie. Je lui ai tout raconté. Elle m’a aidé à tout oublier et à aller de l’avant. Elle m’a écouté et m’a offert une place parmi ses sœurs. J’y suis restée. J’ai soigné des malades et des blessés durant la guerre, puis me suis tournée toute entière vers la prière. Ce qui s’est passé ce jour-là m’a brisée, Votre Grâce. Mais je suis parvenue, grâce aux dieux, à me relever. Le Seigneur Sëë est coupable, mais ses hommes le sont encore plus. Je sais qu’Oïnstal les jugera comme il se doit. Mais justice doit également être rendue ici-bas, comme le veulent les dieux. J’ai donc décidé de livrer mon témoignage, car, bien que les jours qui suivirent l’attaque soient flous dans ma tête, la mise à sac de la forteresse restera à jamais gravée en moi.

 

- Merci beaucoup, Hestël, dit la reine en regardant la femme dans les yeux. Qu’avez-vous à répondre, Seigneur Sëë ?

 

- Rien, Votre Grâce, dit-il. Je ne peux nier. J’ai en effet mené mes troupes, affamées, fatiguées et menacées par Erion Serra jusqu’à cette forteresse. Il fallait qu’un exemple soit fait, que chacun connaisse le prix de la trahison envers les volontés de feu votre père. Mais l’ampleur du massacre a dépassé mes intentions. J’aurais voulu des prisonniers, et j’aurais voulu surtout vous offrir la tête d’Erion Serra. Prenez les décisions qui s’imposent.

 

- En agissant de la sorte, vous avez terni mon honneur, Seigneur, dit la reine en se levant. Ma couronne est faite d’or, et non d’os elfes. En ce jour, Nadomir Sëë, je vous démets de vos fonctions de Seigneur de la Famille Sëë, je vous flétri, je vous retire vos titres, vos décorations et vos marques de gloires. Enfin, je vous condamne à mort pour crimes de guerre multiples. Votre grand-oncle, le capitaine Engoïn Sëë deviendra le Seigneur de la Famille Sëë. S’il venait à mourir sans héritier direct, Jiana Serra deviendrait, en son nom propre, Dame maîtresse de la Famille. Quant à vous, Nadomir, vous serez mené demain à l’aube, pieds nus, en jute, au Pic d’Issol, pour y être exécuté publiquement.

 

Ivawen regarda l’assemblée. Nadomir baissa la tête en signe de soumission. Engoïn, Jiana et Iris, les mines déconfites, mirent un genou à terre devant elle. Arthelor, Noédor et Séïren se levèrent et applaudir sa décision, jusqu’à ce que Nærisa les fasse taire d’un geste. La princesse se leva et s’agenouilla, bientôt imitée par les trois autres et par Hestël. Il n’y eut que Silya pour rester imperturbable. Erion Serra s’approcha d’Hestël et la fit se relever. Puis, les larmes aux yeux, il s’agenouilla devant elle. Confuse, la moniale rougie, et se remit à genou devant Ivawen. Serra se tourna vers la reine, et, pleurant, se prosterna en signe de soumission complète. La Reine Solaire observa l’assemblée agenouillée et sourit intérieurement devant l’hommage qu’on lui rendait. Elle songea à la formule de Nærisa, décrétant que l’Histoire marchait derrière elle. Automatiquement, cela lui fit penser à Nadomir Sëë, prophétisant qu’elle deviendrait la plus grande souveraine que Céläastra eut jamais connue.

 

 

Le Pic d’Issol était une petite éminence située à l’est de la cité de Céläastra. Une petite foule était rassemblée autour de l’esplanade d’Issol, où se déroulait la plupart des exécutions et des châtiments publics. La veille au soir, Silya avait interrogé Ivawen sur la marche à suivre et les modalités de l’exécution d’un personnage de premier plan. La reine lui avait raconté que, comme Silya s’y attendait, un tel acte était rare et difficile. Ivawen avait été obligé de confronter les proches de Nadomir Sëë, et de leur présenter des preuves concrètes et irréfutables. Ni Engoïn, ni Jiana n’avaient protestés contre la décision royale. Seule Iris Serra s’était levée, après l’audience, pour demander la grâce royale et le bannissement ou l’emprisonnement de son oncle. Ivawen avait refusé. Jiana n’avait demandé qu’une chose, pouvoir rendre une dernière visite à son frère avant son exécution, faveur accordée par la reine. Silya avait également tenté d’infléchir son amante, car l’emprisonnement définitif de Nadomir Sëë lui paraissait plus approprié, étant donnés les services qu’il avait rendu à la couronne, et l’ancienneté des faits. La reine s’était montrée inflexible, arguant que son autorité et ses ordres ne devaient jamais être défiés, et qu’il lui fallait laver son honneur et celui de Céläastra. En règle générale, il était déconseillé d’exécuter quelqu’un qui vous était lié par le sang. Mais la reine avait expliqué à Silya que Nadomir n’était qu’un cousin au quatrième ou cinquième degré, et que la justice royale devait être rendue pour un tel crime.

 

Aujourd’hui Ivawen n’était pas habillée en robe, comme à son habitude, mais portait un pantalon de cuir et de peau, retenu par une ceinture de joyaux. Silya trouvait que cela ne lui allait pas. La reine était drapée dans une cape d’hermine. Nærisa, fidèle à elle-même, portait une robe verte. Un peu en dehors de la foule, les principaux membres de la Famille Sëë attendaient l’exécution de leur ancien chef. Erion Serra se trouvait parmi eux, tout comme son frère, Sorraï, auquel Jiana serrait fort la main. Comme Erion, il avait un physique de guerrier et les cheveux auburn, mais son visage était beaucoup plus calme et réservé. Iris Serra était également présente. Contrairement à sa mère, elle ne parvenait pas à ravaler ses larmes. Silya aperçut également, au premier rang des badauds, le nain Hroar Erlîn, ancien membre de la compagnie de Torig, venu comme elle à Céläastra sur La Main du Roi Highlin. Il semblait perdu, regardant dans le vague en direction de l’esplanade. Silya fronça les sourcils. Ivawen s’avança, sous les vivats de la foule. Elle demanda le silence d’un geste de la main.

 

- Peuples de Céläastra, s’époumona-t-elle. Nous sommes ici réuni car un personnage de haut rang s’est rendu coupable de crimes graves, et par-là a trahit ma confiance. Amenez le prisonnier.

 

Deux gardes royaux menèrent Nadomir Sëë, pieds nus et mains liées devant Ivawen. La foule le hua. Silya s’attendait à ce que des pierres volent en sa direction, mais elle n’en vit pas. Même ainsi, Nadomir avait l’air seigneurial. Il s’inclina devant la reine, puis se tourna vers la foule.

 

- Moi, Nadomir Sëë, dit-il, Seigneur de la Famille Sëë, confesse devant vous mes crimes. Il y a quinze ans, j’ai mené mes troupes dans une forteresse fidèle à Neflindel. Je leur ai donné l’ordre de mettre à sac la place, sans laisser de survivants. En cela j’ai trahi ma reine, qui, toujours a réprimé les massacres d’hommes désarmés, de faibles et de prisonniers. Oïnstal me jugera après ma mort.

 

- Témoignages à l’appui, reprit Ivawen, cet homme a été reconnu coupable et a avoué ses fautes. Moi, Ivawen Première, fille du Roi Highlin, Reine Solaire de Céläastra et Protectrice du Domaine, retire à Nadomir Sëë tous ses titres, et le condamne à mort.

 

La foule hurla son approbation. Silya vit Hroar Erlïn regarder intensément Ivawen. L’humaine s’attendait à voir sortir un bourreau de l’ombre, mais personne ne vînt.

 

- Nadomir Sëë, demanda Ivawen, avez-vous une dernière parole ?

 

- Aucune, Votre Grâce, répondit-il en s’agenouillant. J’ai fait ce qu’il me paraissait le mieux pour vous permettre de vaincre le Vieux-Prince. Mon épée a toujours été votre. Il en ait de même pour ma tête aujourd’hui, comme il se doit.

 

Il y eut un moment de flottement. Puis un membre de la Grade Royale apporta une grande épée qu’il tira de son fourreau. Elle ne ressemblait pas aux lames elfiques, beaucoup plus large, moins longue et possédant une garde, elle avait l’air d’un petit estramaçon humain. Silya remarqua le fil, tranchant comme un rasoir. Erion Serra s’avança alors.

 

- Ma Reine, dit-il en s’inclinant. Ayant été le maître de la forteresse mise à sac par Nadomir Sëë, je vous demande le droit de rendre moi-même justice en votre nom (Sorraï le foudroya du regard).

 

- Non Erion, vous n’avez pas à le faire, répondit la reine en le regardant à peine.

 

- Majesté, fit Silya en mettant un genou à terre, en tant que votre Poing, je porte pour vous les armes. Il est de mon devoir de le faire également aujourd’hui. Laissez-moi rendre justice en votre glorieux nom.

 

Mais Ivawen secoua la tête et Silya s’écarta. La reine rejeta son manteau d’hermine que Nærisa récupéra. Elle saisit alors la poignée de l’épée qu’on lui tendait et fit quelques pas vers Sëë. L’homme à terre la regarda, puis baissa la tête. Ivawen leva bien haut la lame et l’abattit sur le cou du condamné. Le sang gicla mais la tête resta en place. Ivawen donna la mort au deuxième coup, mais il lui en fallut deux autres pour détacher la tête du corps. Le sang éclaboussa un peu ses vêtements, et quelques gouttes s’écrasèrent sur son visage et son menton. La foule était trop loin pour voir cela, mais Silya le distingua bien. Le peuple acclama sa reine longuement. Tandis que les gardes ôtaient le cadavre, la souveraine posa son épée, remit son manteau sur elle, puis partit avec Nærisa en direction du carrosse royal. Silya chercha à nouveau Hroar Erlîn dans la foule. Elle le vit s’éloigner à grands pas. L’humaine suivit les souveraines, puis, une fois qu’elles furent toutes deux dans le carrosse, escortées par une troupe de garde royaux, elle s’en fut. Elle avait à nouveau aperçu le nain. Il se dirigeait vers le palais à pied, à l’écart du reste de la foule. Elle le rattrapa en courant. Hroar se retourna.

 

- Vous souvenez-vous de moi, Hroar ? demanda-t-elle.

 

- Evidement, répondit-il d’une voix bourrue. Que me voulez-vous ?

 

- Je voudrais marcher un peu avec un guerrier.

 

Il acquiesça et reprit sa route. Ils restèrent côtes-à-côtes quelques longues minutes, puis, enfin, le nain brisa le silence :

 

- Votre ascension a été fulgurante. Tant mieux. Je vous ai vu combattre dans l’arène. Vous êtes formidable. La reine est entre de bonnes mains. Je suppose qu’elle vous pense incapable de la trahir ?

 

- J’en suis incapable, répliqua Silya.

 

- Je vous crois. Vraiment. J’ai confiance dans le jugement d’Ivawen.

 

- Vous n’avez pas apprécié son dernier geste, n’est-ce pas ?

 

- Pas vraiment, souffla Hroar.

 

- Elle a souffert autant que vous, voire plus, de la mort du capitaine Estë.

 

- Je sais, répondit le nain. J’ai servi beaucoup de rois et de seigneurs, comme vous, je suppose. Leur point commun n’était pas l’or, le pouvoir, ou les couronnes. Mais tous me payait. Tous faisaient la guerre et semaient la mort. Pas Estë.

 

- Hroar, dit Silya, j’ai en effet servi plusieurs rois et seigneurs. Ils étaient bons ou mauvais, mais les meilleurs d’entre eux ne prenaient pas les armes par cruauté, ou malveillance. Mais parce que l’une des trois choses qu’un souverain doit apporter à son peuple était menacée, le pain, la paix ou la sécurité, et l’honneur. Ils combattent parce qu’ils doivent le faire. Et Ivawen est la meilleure souveraine à qui j’ai eu l’honneur d’obéir. Je suis alizéenne, mais mêmes les rois de mon pays n’avaient pas sa grandeur et son honneur.

 

- Alors protégez-là, Silya Aÿen, sourit Hroar. Du mieux que vous le pourrez. Mais faites attention à vous. Car vous êtes la dernière ligne de défense d’Ivawen. Ce n’est pas mon combat. Ce n’est pas ma reine, mon souverain se trouve au loin, et je devrais le rejoindre.

 

- Sachez qu’une place vous attend ici, si vous désirez la prendre.

 

- Merci, Silya, dit le nain en souriant sous sa barbe. Je vais vous laisser ici. Bonne chance Poing de la Reine.

 

- Bonne chance à vous également, guerrier, répondit Silya.

 

Elle le regarda s’éloigner, soulagée de l’avoir vu sourire. Elle rentra au palais, et resta dans l’antichambre tandis qu’Ivawen soupait avec Nærisa. La nuit tombée, elle se coucha. La reine s’installa près d’elle et posa sa tête sur sa poitrine. Silya se détendit et l’embrassa. Quand elles eurent achevé leurs œuvres, Silya serra sa reine dans ses bras. Elles s’endormirent en silence, paisiblement.

Modifié par Loup Noir
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  • 2 semaines après...

 

Tu as vu juste Inxi, la fin est proche. Il s'agit ici du dernier chapitre avant l'épilogue. Bon j'ai bien relu le texte encore une fois, j'espère que je n'ai pas laissé trop de fautes de conjugaison, et autres. Bonne lecture, qui j'espère sera plaisante.

 

Tu sais quoi ? Je pense deux choses contradictoires :

 

1) J'ai tellement perdu la notion du temps que je m'étonne que l'histoire soit déjà fini. Ca doit être par rapport au fait qu'au final le conflit se finit plutôt vite.

2) Je comprends que ça soit fini puisque comme déjà dit, y avait plus d'histoire autre que ça. Tu as même fermé toutes les portes que tu avais ouverte avec ce fameux massacre datant de 15 ans !!

 

Bon en tout cas c'est quand même moins paisible que prévu puisqu'on se retrouve quand même avec une exécution ! Comme quoi, faut jamais laisser de témoins et bien s'assurer qu'ils soient tous morts ! J'aurais pensé à un soldat rebelle en témoin aussi mais bon deux c'était déjà bien suffisant ;)

 

@+

-= Inxi =-

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  • 3 semaines après...

Voilà donc le final du Havre des Reines. En retard, très en retard, je n'ai pas eu le temps de le poster avant, toutes mes confuses. Mais bon j'espère que vous apprécierez tout de même. Cette histoire m'aura donné du mal, mais j'ai adoré l'écrire en tout cas, et vos commentaires ont été les bienvenues, je vous en remercie.

 

 

Epilogue

 

 

An 1378 du Quatrième Âge, Palais Royal de Céläastra

 

Séïren quitta son cavalier et s’éloigna. Elle alla se rasseoir à sa place et sirota sa coupe de vin blanc sucré, son préféré. Elle était à l’honneur ce soir. Quelques heures auparavant seulement, elle avait échangé ses vœux avec Noédor Edlla. Le festin était somptueux, les mets délicieux et Ivawen elle-même l’avait gratifiée d’un mémorable discours. Même sa mère l’avait applaudie. Jamais le cœur de la jeune elfe n’avait battu si fort qu’au moment où son père, après l’avoir menée devant le prêtre, avait remis sa main à Noédor. Quatre de ses jeunes sœurs portaient sa longue traine de mariée. Le mariage avait été célébré par le prêtre royal, officiant dans la ville de Céläastra. Nærisa, vêtue d’une somptueuse robe dorée, surmontée d’ivoire, de saphirs et de rubis, le diadème des héritiers ceint à son front semblait éméchée, bien qu’elle n’ait bu aucun alcool, obligée par sa grossesse. Séïren regarda un instant sa cousine. Sans conteste, elle était la plus en vue de cette soirée. La jeune mariée tentait, sans y arriver, d’apercevoir un homme qu’elle n’avait pas honoré d’une danse. Elle riait et enjolivait la cour. Ivawen, plus à l’écart, semblait également bien s’amuser. Le front et les oreilles chargés d’or pur, dans une robe argentée, elle avait pris plusieurs cavaliers, dont le Seigneur Ursïn Edlla, maintenant beau-père de Séïren, Sorraï Serra, Engoïn Sëë, qui avait eu de la peine à suivre ses pas de danse, et Mattïn Alluv, fringant et séduisant. Ivawen passait également du temps en compagnie de Silya, avec qui elle discutait et riait. Séïren les avait même vues s’éclipser dans les jardins, avant d’en revenir. La mariée commençait elle-même à étouffer un peu. Elle décida de suivre l’exemple de sa cousine et se leva pour rejoindre les jardins. Avec un dernier coup d’œil pour la piste de danse, elle vit sa mère quitter Varia Alluv, puis rejoindre Nærisa. Dame Mïlia n’avait accordé qu’une seule danse à son époux, la bienséance l’y obligeant. Séïren espéra en son for intérieur que son propre mariage finirait mieux que celui de ses parents.

 

L’air était frais dans les jardins en friche. Séïren respira un grand coup. Quelques vents tardifs de la fin de l’hiver la firent frissonner. La jeune elfe observa longuement les bâtiments en spirale de Céläastra en-dessous d’elle. La ville lui paraissait encore plus belle dans la pénombre. Séïren entendit alors des voix derrière son dos. Sans soute s’agissait-il d’amants d’une nuit, voulant se faire le plus discrets possible. Les voix se rapprochèrent, et elle comprit qu’il s’agissait de deux femmes. En se retournant, elle vit que l’une d’elle rejoignait la salle de banquet à grand pas. Dans l’obscurité, elle reconnue Iris Serra. L’autre femme à peine plus jeune, possédait une crinière de cheveux blonds argentés. Séïren devina qu’il s’agissait de Cÿrawn Aldën, la fille de Dame Vinæys. Elle la salua.

 

- Bonjour, cousine, fit la jeune mariée en s’approchant.

 

- Ah, nous sommes cousines par alliance désormais, vous avez raison, dit Cÿrawn en souriant. Vous devez être heureuse.

 

- Vous ne pouvez pas imaginer ! Nous prévoyions dans une semaine de faire route vers Vermelhäa avec Noédor. Vous y verrais-je ?

 

- Malheureusement non, répondit l’elfe. J’avais pour projet de me rendre sur le continent avec Iris Serra, visiter le Delta et la Côte de Béryl. Mais elle ne pourra pas venir avec moi, Dame Jiana la voulant à ses côtés pour la former à son futur rôle d’héritière de la Famille Sëë. Iris m’a fait cadeau de la lance qu’elle voulait emporter pour le voyage. Une merveille en acier noir, à lame ondulée et au manche d’if et de fer.

 

- Vous êtes douée à la lance ?

 

- Je me défends, sourit Cÿrawn. Ma mère m’a appris à jouter. Je suis meilleure qu’Iris dans ce domaine, bien qu’elle me surclasse au corps-à-corps. Je devrais pouvoir adapter mes techniques de combats à cette nouvelle arme. J’aurais voulu jouter lors du dernier tournoi, mais ma mère me l’a interdit. Elle était aussi en lice et ne désirait se trouver face à moi.

 

- C’est compréhensible, dit Séïren. Ma mère préfère quand je suis loin… Faites attention à vous sur le continent.

 

- Ne vous en faites pas pour moi, fit Cÿrawn en la gratifiant d’un large sourire. Je crois que votre époux vous cherche.

 

Séïren se tourna et vit en effet Noédor approcher. Ses cheveux blonds étincelaient dans la lumière de la lune. Son visage était beaucoup plus rouge que d’habitude.

 

- Que faites-vous, ma Dame ? Je me languis de vous, dit-il en riant et en tendant les mains vers elle.

 

Séïren s’en saisit, fit un signe à Cÿrawn, qui les suivit à distance. Dans la salle, Séïren entraîna son époux sur la piste. Ils dansèrent de manière effrénée, puis la jeune elfe se blottie contre lui, et Nodéor l’embrassa. Elle songea avec délice à sa lune de miel approchant, où enfin elle pourrait profiter en toute tranquillité de son vaillant mari.

 

***

 

Assis dans un fauteuil sur le balcon de sa chambre, Hroar Erlîn pouvait entendre la musique monter des tréfonds du palais royal. Il avait vue sur une partie des jardins, où quelques silhouettes s’ébattaient. Il inspira longuement l’air frais de cette douce nuit. Le lendemain de l’exécution de Nadomir Sëë, Erion l’avait retrouvé. Toute la nuit, ils avaient bu et parlé des gloires passées, des bons souverains et des problèmes du monde. Tous deux avaient héroïquement proposé de combattre jusqu’à la mort pour améliorer les choses, puis ils s’étaient resservi à boire, devant l’absurdité de leurs propositions. Ils avaient ri, ils avaient chanté, dansé et Erion avait sorti une harpe. Hroar n’avait pas passé de soirée aussi agréable depuis le massacre dans le désert. Il regarda vers le nord-ouest, vers les hautes montagnes aux sommets éternellement enneigés où il avait passé la moitié de sa vie. Il revit les yeux sombres de son empereur, il revit ses armées, il revit les sentiers battus et les douces rivières. Il revit les féroces guerriers de l’ouest aux visages peinturlurés et les nains fleuris et raffinés qui peuplaient les terres impériales. Il tendit la main et saisi le manche de sa hache. Il tâta le tranchant du pouce. Même ici, il restait un guerrier. Un guerrier fatigué.

 

- Quand vous reverrais-je, hautes montagnes ? se demanda-t-il à haute voix.

 

Il posa sa hache et fouilla dans son col. Il en retira le médaillon de sa défunte femme. Les Lances-de-Sable ne le lui avaient pas enlevé. Il l’ouvrit et regarda longuement le visage de Loreleï. Il voyait une partie de son ventre, dessiné comme il l’était à l’époque, légèrement rond sous le développement de son fœtus. Il plaça le médaillon devant lui. Une semaine auparavant, il se posait encore la question de son retour au sein de l’empire. Désormais, la réponse lui apparaissait comme une évidence. Il huma une fois de plus l’air et saisit le manche de sa hache. Loreleï était belle. Il avait du mal à se rappeler son visage. Désormais, c’était ce portrait qui lui apparaissait le plus souvent lorsqu’il pensait à elle. Il observa son reflet qui se découpait dans les lames, avec au second plan, le palais et la nuit étoilée. Son visage s’était ridé, ses yeux avaient perdus leur éclat, ses joues étaient creusées. Vu sa robustesse, il aurait sans doute pu vivre au moins un demi-siècle de plus, mais il avait l’impression d’avoir pris dix ans en deux mois. Les lames étaient tranchantes. Et belles. Si belles…

 

***

 

Nærisa s’éveilla bien après l’aube. Elle se sentait plutôt bien. Fatiguée par sa longue nuit dansante et par son bébé grandissant, elle avait dormi longtemps et d’une traite. Pendant la fête, elle avait longuement parlé à Séïren, puis à Noédor Edlla, leur souhaitant tous ses vœux. Elle avait aussi rabroué sa tante, Mïlia, soulignant le prestigieux mariage contracté par sa fille. Parmi tous ses cavaliers, Nærisa avait songé une ou deux fois à en attirer un dans son lit pour se détendre, avant de renoncer. Elle avait préféré discuter avec son futur époux, pour apprendre à le connaitre. L’homme pouvait se montrer galant, mais était assez taciturne, et plutôt mal à l’aise avec les femmes. La princesse ne s’en formalisait pas, consciente que la situation ne devait pas être facile pour lui. Son devoir l’obligerait de toute façon à s’unir à elle une fois sa grossesse arrivée à son terme.

 

Nærisa se leva et s’étira. L’hiver touchait à sa fin, mais elle grelotta tout de même. Elle passa une chemise de nuit de dentelle et se frictionna afin de se réchauffer. Satisfaite, elle sortit sur son balcon. Elle jeta un regard vers le haut, où apparaissait la terrasse d’Ivawen. Nærisa sourit en pensant à sa sœur. Presque personne sur l’Île ne s’en rendait compte, mais la princesse savait que sa reine n’avait pas été aussi épanouie depuis leur adolescence. Elle observa le soleil qui arrivait à son zénith et respira un grand coup. Elle frotta son annulaire, où se trouvait sa bague de fiançailles. Elle soupira, en se disant qu’il faudrait bien qu’elle s’y fasse. Comme elle se faisait à l’idée d’être mère. Highlin et Svinrile auraient été heureux de tenir dans leur bras le fruit des chairs de leur fille. Elle était par contre convaincue qu’ils lui auraient longtemps reproché la bâtardise de son enfant. Mais l’ombre de ses parents l’avait quittée. Le soleil dans le ciel brillait désormais pour Ivawen. Et quoi qu’il arrive, elle serait à ses côtés, comme elle l’avait toujours été, bras droit fidèle et aimant.

 

Les toits de Céläastra étaient magnifiques dans la lumière. Elle décida qu’elle irait, dans une heure ou deux, se promener dans la cité. Alors qu’elle contemplait les bois s’étendant à perte de vue derrière les murs de la capitale, une étrange odeur monta à ses narines. Une odeur de sang. Elle se pencha à son balcon, sur la gauche. Cela semblait venir de plus bas. Une terrible impression la saisit. Elle quitta sa terrasse et sortit de ses appartements, en prenant juste le temps de se draper dans une cape. Ses gardes la suivirent comme ils purent. Elle descendit un escalier en colimaçon aussi rapidement que son gros ventre le permettait. Enfin elle arriva devant la porte de la chambre du nain. Elle frappa du poing. N’entendant pas de réponse elle ordonna à ses gardes d’enfoncer la porte, ce qu’ils firent à grands coups d’épaules et de pieds. Elle se précipita dans l’alcôve qu’Ivawen avait allouée à Hroar Erlîn, meublée avec le strict nécessaire. Elle était vide, mais la fenêtre était ouverte. Nærisa sortit sur la petite terrasse de la chambre. Ses yeux s’écarquillèrent. Le nain était affalé dans un fauteuil. Une hache sanglante gisait à ses côtés et une grande flaque de sang s’étendait jusqu’à tremper les pieds de la princesse. Des veines ouvertes du guerrier, plus rien ne s’écoulait. Sa barbe noire contrastait avec sa peau immaculée. Il était parfaitement immobile, son regard aveugle tourné vers le nord-ouest. Un médaillon contenant le portrait d’une naine était posé devant lui, sur l’épaisse rambarde du balcon. Nærisa regarda longuement le spectacle. Puis, lentement, s’avança en marchant dans le sang poisseux. L’odeur ne la dérangeait plus. Elle tendit la main vers Hroar, et lui ferma les yeux avec tendresse.

 

 

FIN

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  • 4 mois après...

Bonjour,

 

J'avais commencé il y a longtemps, et j'ai tout relu pour me remémorer l'ensemble.

 

J'en ai donc fini de cette aventure, déçu qu'une suite ne soit pas au programme :(

 

Du moins, vu que l'ensemble des intrigues ont trouvé leur épilogue, cela me semble difficile.

 

J'ai pris un grand plaisir à lire tes écrits, quelques fautes de-ci de-là et une scène de dialogue où je n'y bien compris, n'y trouvé cela naturel, l'emploi simultané des prénoms et du vouvoiement.

 

Mais ce ne sont là que des broutilles lorsqu'on regarde ta progression depuis le premier texte jusqu'à l'épilogue.

 

La fin m'a surprise, surtout par le fait que ce soit le nain qui meurt. L'assassinat de Silya par...quelqu'un, aurait permis de laisser une porte ouverte sur une suite (je dis Silya, mais c'aurait pu être n'importe quel elfe de haut rang).

 

En espérant voir un nouveau roman/nouvelle un de ces jours,

 

Bonne continuation,

 

Crio

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  • 4 semaines après...

Je suis d'accord !!

 

J'aurais bien aimé qu'il y ait une suite ! Ou tu sais une petite ouverture à la fin qui puisse laisser l'imagination penser à une eventuelle suite !! Mais bon rien empêche, même si ce n'est pas prévu pour l'instant !

 

J'ai de la peine pour le nain par contre c''était un de mes préférés !!

 

En tout cas, content que tu en sois venu à bout !

 

@+

-= Inxi =-

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  • 4 semaines après...

Excellent récit, j'ai adoré. Ecriture simple à suivre, particulièrement pour les combats. De l'action, de la magouille politique et diplomatique, de la description des royaumes avec des cultures variées tout est génial. Vivement la prochaine histoire.

Pour le nombre de personnage, j'ai tout lu sur deux trois jours, donc on s'y retrouve plus facilement qu'en lisant un chapitre par semaine.

Quelques fautes d'orthographe qui change le sens du mot. J'ai pas noté au fur et à mesure, mais je me souviens d'un "résonnait" au lieu de "raisonnait". Mais rien de bien grave.

Modifié par kruger
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  • 2 ans après...
  • 2 semaines après...

@Rantanplant Un projet de suite est en chantier depuis plus de trois ans mais j'ai eu trois mémoires à écrire entre temps et je souhaite retravailler ce que j'ai déjà écris parce que beaucoup de choses ne me convienne pas. Donc si il y a accouchement d'une suite un jour, je pense que le temps de gestation risque d'être long... Mais c'est gentil de demander, ça me fait plaisir :)

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