Braxx Posté(e) le 14 août 2015 Partager Posté(e) le 14 août 2015 (modifié) Bonjour/soir, Ecrivain plus qu'amateur (mais ayant eu le plaisir d'avoir un de mes écrit publié, même si depuis il a été étoffé que mon livre est parti se cacher loin dans les ténèbres ^^) je vous propose ici un texte commencé il y a longtemps, bien avant la Fin des Temps de Warhammer... En espérant qu'il vous plaise, si cela est le cas, je me ferai un plaisir (et un devoir !) de le continuer et de le terminer. Bonne lecture à toutes & tous :) X X X X X Prologue Les couloirs de pierre ocre éclairés par des torches résonnèrent du bruit d’une course rapide. Les pattes de peau squameuse s’agitaient follement, le cœur du messager battant à tout rompre. Il tenait contre son torse aux écailles blanches, tranchant avec celles, plus épaisses et bleu pâle, de son dos, une tablette en or, lourde et moitié moins grande que lui. Des runes et des dessins complexes y étaient gravés, et bien que le temps en ait effacé certains, sa découverte et sa lecture avaient mis en émoi le chaman skink. Sa crête bleu vif se relevait et s’abaissait à chacun de ses pas, les colifichets attachés à sa ceinture de liane teintaient en rythme et sa gueule entrouverte avalait goulument l’air frais. Ses poumons, capables de fonctionner sous l’eau comme à la surface, le brûlaient, mais il se refusait à attendre plus longtemps. A le faire attendre plus longtemps. Passant un autre coude, se repérant instinctivement dans le large labyrinthe de la pyramide, la petite créature d’à peine trois pieds de haut – crête comprise – ralentit toutefois son allure. Les lignes vertes tracées sur les murs qui l’accompagnaient jusqu’alors avaient laissé place à des rayures rouge vif. Ixli pénétrait dans la zone la plus secrète et protégée de la pyramide, déjà si dangereusement gardée des intrus. Mais seuls de rares élus se voyaient le droit d’avancer dans les zones zébrées de rouge. La petite créature passa sa langue sur ses yeux aux pupilles fendues et un léger éclat bleuâtre scintilla sur ses iris ambre. Des formes se dessinèrent alors sur les murs, invisibles pour ceux qui ne sentaient pas les vents de magie. Mortellement invisibles. Doucement, il suivit un chemin précis, évitant les dalles piégées, certaines s’ouvrant sur des fosses de pics acérés, d’autres libérant des lames fines et tranchantes, ou une volée de dards empoisonnés. Il prit la précaution de détourner le regard du mur du fond quand il arriva à une bifurcation. Derrière un simple dessin de créature reptilienne se cachait un puissant enchantement visant à terrifier quiconque poserait les yeux dessus. Et malgré un entrainement rude et une connaissance totale de l’illusion, le chaman redoutait de ne pouvoir résister à une magie que lui commençait à peine à entrevoir, et de se précipiter en arrière vers un piège fatal. * * * Après presque une heure de marche, le petit skink arriva enfin dans le dernier couloir, la première moitié étant une volée de marches qui descendait sur vingt bons pieds. Les marches étaient grandes, recouvertes de mosaïques dessinant des scènes de la vie après la chute des des Anciens, de la naissance des races, des guerres contre les Ombres du Nord. Le chaman connaissait par cœur ces mosaïques, pour en avoir restauré certaines, mais ne cessait de les admirer. Le poids de la tablette le rappela vite à son devoir, et malgré son envie de rester des heures durant, il détourna les yeux et accéléra le rythme de sa descente, se servant de sa queue comme balancier et de ses pattes qui, à l’instar de celles des grenouilles dont il descendait, collaient un peu au sol. Sa course fut freinée par la vue de deux lames de bronze aussi grandes que son corps pointées vers lui. Sculptées et ciselées de main de maître, elles étaient enchâssées dans de longs bâtons ornés de plumes d’oiseaux des forêts tropicales de Lustrie, que tenaient fermement deux gardes des temples. Les saurus, race guerrière du peuple homme-lézard, dardèrent un regard assassin sur le chaman tremblant de peur, qui dans son excitation, en avait oublié leur présence, rendue nécessaire depuis la mort du Gardien d'Eternité. Sept pieds de haut, juchés sur leurs postérieurs musclés aux pattes en forme de serres, une longue et épaisse queue leur assuraient un équilibre et une arme de choix. Les muscles roulèrent sous la peau écailleuse de leur bras, aux teintes vert sombre. Des taches rouges venaient renforcer leur coté guerrier sur les tempes et la colonne vertébrale. Les yeux reptiliens qui brillaient sous les crânes de jeunes stégadons, des créatures préhistoriques mesurant les cinq toises de haut à l’âge adulte et servant de machines de guerre vivantes à la guerre, symbole de l’élite, n’étaient ni fous de rage ou de colère, ni apeurés, ni excités. Ils reflétaient simplement un calme absolu, une maîtrise de soit parfaite. Tout leur corps était une arme ; les griffes de leurs puissantes mains, leur queue musclée, ou encore leur gueule hérissée de deux rangées de crocs blancs étincelants, tout chez les saurus assuraient une mort rapide, sinon brutale et douloureuse. - Que toi faire icccci… ? demanda l’un des gardes dans la langue des hommes-lézards… parle vite ! - Je dois voir sssa ssseigneurie, glapit Ixli conscient de la menace d’un trop long mutisme, une affaire de magie… Le chaman espérait ne pas devoir s’expliquer plus. Les saurus n’étaient pas fait pour réfléchir, d’ailleurs ils n’avaient, excepté pour la science de la guerre, peu ou pas de mémoire, et ils ne devaient pas se rappeler le chaman qui n’en était pourtant pas à sa première visite. Sa race était là pour cela, et il pensa donc qu’éluder la complexité des causes de sa venue par le fait qu’elles s’agissaient de magie suffirait. Il eut raison. Après avoir dardé une langue bifide sur lui, le garde qui avait prit la parole redressa son arme, imité par son collègue. Ils échangèrent à peine un claquement de mâchoire et un sifflement, que le skink ne comprit pas totalement. Le langage guerrier des saurus, impossible à réitérer pour qui n’avaient pas les cordes vocales et la gorge d’une telle créature, permettait en l’espace d’une seconde de transmettre des informations, toutes martiales. Sur le champ de bataille, les ordres étaient de fait relayés plus vite que chez toute autre race, et sans ambigüité. Un sacré avantage, même aux yeux d’un pacifique érudit comme Ixli. L’imposante créature aux airs de crocodile s’approcha de la porte en bronze lourdement décorée de visages batraciens, de plumes et de runes magiques. Il tapa une série de coups et claqua sa langue contre son palais deux fois. Un grognement sourd mais puissant vint de l’autre côté de la porte qui s’ouvrit dans un chuintement, l’air s’y engouffrant. L’épaisseur de la porte aurait permis à l’un des gardes de s’y tenir droit si elle avait été creuse. Le poids de cet ouvrage se chiffrait en tonnes. Ixli ne fut donc pas surpris de voir deux kroxigors, les versions géantes des saurus, tirer sur les anneaux intérieurs. Il se faufila dans la pièce sombre, laissant la lourde porte se refermer. Les quatre monstres de presque douze pieds de haut, en armure de bronze et d’os le lorgnèrent avec ce que le skink vit comme un éclat d’appétit. Leurs crocs étaient plus longs que les dagues que portaient le chaman en temps de guerre et les lourdes armes de bronze posées derrière eux devaient mesurer autant qu’un saurus, peser deux fois son poids, armure comprise. Le petit homme-lézard déglutit difficilement, serrant sa tablette contre lui. L’un des colosses donna un coup de tête vers le centre de la pièce, lui faisant signe d’avancer. S’exécutant, Ixli avança entre une série de colonnes. Le sol était couvert de mosaïques lui aussi, contant la création de cette pyramide et l’histoire des différents seigneurs la gardant, un pour chaque colonne. Celle du fond à droite était partiellement recouverte. Ixli le savait, c’était la dernière. Après la mort du grand slaan Itili-Chotek, la pyramide serait désertée, ses merveilles emportées. Quant à celles qui ne pouvaient être emmenées, elles seraient détruites. Nuls pilleurs de sépultures ne viendraient violer cet endroit. Mais pour le moment, son seigneur vivait toujours. Dans les ombres derrière les colonnes, à sa droite et à sa gauche, Ixli sentit des mouvements. Il savait, sans les voir, que cinquante gardes des temples et en tout dix puissants kroxigors montaient la garde. On racontait même qu’un des légendaires skinks caméléons, capables de se rendre invisibles et tireurs experts à la sarbacane, protégeait le grand slaan. Mais même avec son acuité visuelle renforcée par la magie, le chaman savait qu’il ne pourrait distinguer un tel garde. L’odeur de l’eau adoucit un peu sa peur et son émoi de se trouver dans la grande salle de la pyramide. Une mare où fleurissaient des nénuphars et où sautillaient des grenouilles aux teintes vives, signes naturels qu’elles étaient fortement toxiques, était éclairée comme en plein jour, bien que le chaman n’aperçu aucune source de lumière. Au centre s’élevait un trône gigantesque en pierre où deux kroxigors auraient pu s’asseoir côtes à côtés sans se toucher. Décoré de même façon que les portes en bronze, des totems d’or, d’opale, de jade et d’autres pierres précieuses se trouvaient derrière. Et sur le trône était assis Itili-Chotek, le grand slaan. Ixli s’accroupit jusqu’à plat ventre devant son seigneur, que les humains auraient décrit comme un crapaud humanoïde géant. Debout, il dépassait d’une tête les kroxigors, mais son corps était trop faible pour se mouvoir seul. Non que la créature à la peau verte et jaune et aux yeux globuleux fut dénuée de forces. Au contraire, car elles étaient considérables. Mais elles servaient à maintenir son puissant esprit dans ce corps mortel qui avait vu plus de trois millénaires s’écouler, sa magie dépassant en puissance celle des plus grands mages elfes. Ses bras faibles pouvaient néanmoins manier les sceptres qui se trouvaient derrière lui regorgeant de catalyseurs pour certains sortilèges. Le chaman ne se releva pas, risquant tout de même un coup d’œil impertinent vers le sorcier. La bouche de ce dernier s’ouvrait et se refermait à intervalles réguliers, sa grosse langue rose venant humidifier ses lèvres. Ses paupières se fermaient et se relevaient lentement. Désespérément lentement pour le petit skink, seule race homme-lézard au métabolisme hyperactif. Mais Ixli savait qu’il devait faire preuve de patience, qualité commune à tout bon lanceur de sorts. Une voix finit par retentir dans sa tête au bout de ce qui lui parut une éternité. Puissante, elle était aussi apaisante que celle d’un père ou d’une mère, quoique le skink ne pu faire le rapport, issu d’une couvée d’œufs dans les bassins de la pyramide. Tous les hommes-lézards étaient frères. Nul ne savait ce qu’était un parent, au sens humain ou elfe du terme. Le slaan continuait à avoir les yeux dans le vague bien qu’il s’adressa au petit thaumaturge. - Bonjour à toi chaman Ixli, je sens d’ici ton cœur battre à fendre les écailles de ton torse… aurais-tu découvert quelque chose ? - Oui… oui… votre ssseigneurie, siffla le chaman tout excité, j’ai réussssi à déchiffrer la ssseptième tablette. - Ah ah… dit doucement le slaan, et qu’as-tu compris de cette prophétie… ? Ixli allait répondre mais se ravisa. Le slaan le regardait désormais, sa bouche close. Ses trois gros doigts se serraient et se desserraient lentement. Le chaman aurait juré qu’Itili-Chotek, son seigneur et maître de magie, souriait. Qu’il avait été présomptueux de penser déchiffrer seul cette tablette ! Le sorcier savait déjà ce qui était inscrit, connaissait jusque dans ses moindres détails la prophétie qui y était marquée, gravée dans de l’or si pur qu’il aurait suffit à acheter un royaume. Mais pourquoi lui laisser cet espoir ? Pourquoi avait-il du passer tant de lunes à chercher et rechercher la signification de ces écrits ? - Tu es prêts maintenant, expliqua doucement le grand slaan qui lisait ses pensées comme un livre ouvert, mais bien que je le sache, je veux t’entendre me dire ce que tu as compris… - Je… j’ai compris, bégaya le skink encore confondu, qu’un grand Mal approche, un comme jamais le monde n’en a connu… et que ssseuls des élus que rien ne sssuppossserait être comme tels devraient sss’unir contre ccce Mal. - Continue, l’invita chaleureusement l’esprit puissant d’Itili-Chotek Par télépathie, le sorcier entoura le petit être de chaleur paternelle, imposant à son esprit troublé des images de son bassin natal, de son peuple en temps de paix, de la forêt inviolée, des vagues et de la plage au sud de la pyramide, de la grande montagne qui crache le feu d’où s’envolent les téradons. Ixli se calma, posant doucement la tablette sur le sol. Dans un semi-coma extatique, il vit la tablette disparaître et des runes se former sur le pilier à sa droite. Celui d’Itili-Chotek. La tablette y était désormais retranscrite, celle qui parlait de Celui qui porte le sang de l’ennemi, des Deux faces d’une même pièce, de l’Enfant perdu et de l’Ame justicière. Les Elus qui devraient abattre la source du Mal. Avant qu’Ixli ne s’endorme, avant d’être emporté loin de la pyramide par les vents de magie, le chaman comprit deux choses. La première était que le dernier Elu, la Voix de la Sagesse, était à sa plus grande frayeur lui-même… il serait le guide des Elus. La seconde, qui emporta son cœur dans une profonde tristesse, était que les mots gravés sur le pilier à sa droite allaient être les derniers… X X X X X Chapitre 1 Les embruns fouettèrent le visage barbu de Volgan. Le guerrier norse se tint fermement d’une main au bastingage avant du Fend-les-Flots, le navire de sa tribu. La calle pleine, remplie de poissons, de viandes échangées au port de Marienburg dans le Pays Perdu, et de divers trésors issus de la piraterie et du commerce, alourdissait le fier esquif aux voiles gonflées par un vent glacial. Volgan sourit en pensant à l’année et demie passée loin de chez lui. Ils allaient rentrés pour le solstice d’hiver et pourraient même être en avance pour les fêtes ; il avait hâte de revoir sa femme, et ses deux filles. La dernière était encore un nourrisson quand il avait quitté son village natal. Qu’elle devait avoir grandie maintenant ! Peut-être savait-elle déjà marcher, et même parler… Des rires chaleureux emportés par le vent firent échos à ses pensées. Chaque marin du Fend-les-Flots avait une famille qui l’attendait. Presque six pieds de haut pour cent vingt kilos de muscles, voilà qui était Volgan Vargasson. Un puissant guerrier, un berserk des contrées inhospitalières du grande nord, mais qu’il n’aurait échangé pour rien au monde. Il regarda sa hache accrochée à sa ceinture, qu’il tenait de son père, qu’il tenait lui aussi de son père. La hache avait jadis un nom aujourd’hui perdu, et les nains eux-mêmes en auraient été ses forgerons. Jamais son fil ne s’émoussait. Aucune armure ne résistait longtemps face à la combinaison de la force de l’homme et de son tranchant impeccable. Resserrant sa cotte de cuir usée par les combats contre des pirates, il reporta son regard bleu acier sur l’océan déchainé. Le vent faisait voltiger sa barbe et ses longs cheveux blond cendrés. Sa cape épaisse menaçait de s’envoler à chaque souffle, à chaque plongée du navire dans les creux impressionnants. Son regard de marin se posa sur une paire d’ailerons noirs étincelants, à plusieurs coudées de là. Des orques, baleines tueuses connues des hommes du nord, les accompagnaient, semblaient les guider vers leurs foyers. Ses yeux se relevèrent et firent échos au cri de la vigie, Karl, un orphelin de treize ans : la terre. Norsca. Chez lui. A peine une fine bande sombre, écorchée, sur l’horizon. Mais Volgan se savait à la maison. Ces eaux étaient les siennes, celles de son peuple, celles de son village, celles de sa tribu. Il se sentait presque l’envie de sauter dans l’onde tumultueuse et de nager jusqu’à la plage bordant son village. Presque, car il mourrait assurément, englouti par les flots ou dévoré par les prédateurs de ces eaux dangereuses, avant que le froid ne le terrasse. Une larme coula sur sa joue, chassée par le vent. Il s’était montré digne de confiance et de l’arme qu’il portait ; son chef, et capitaine du navire, lui avait offert une belle prime à sa solde. Peut-être n’aurait-il plus à laisser sa femme et ses filles seules désormais… Cette pensée réchauffa son cœur de guerrier. Il tira de sous son armure une petite flasque d’alcool achetée en royaume de Kislev, du kvas. Une rasade suffit à chasser le froid d’un coup d’un seul. Satisfait, il reporta son regard sur les falaises au loin. Velm n’était plus si loin maintenant. * * * Le norse se réveilla en sursaut, sa main agrippant par réflexes le manche de sa hache. Encore vêtu de son armure de cuir – trop éméché, il s’était effondré dans son hamac sans penser à la retirer – il se leva et ajusta son équilibre sur les embardées du navire. Le cri de la vigie, quoiqu’inintelligible depuis sa cabine, l’avait tiré de son sommeil. Et inquiété. Les autres marins partageant ce qui fut sa demeure pendant près de deux ans étaient tous de quart et il était seul. Il entendit le vacarme de dizaines de pas courant sur le pont supérieur. Des pirates certainement. Un bref coup d’œil par le hublot lui apprit que le jour déclinait doucement sur l’océan déchainé. Ils ne devaient plus être bien loin de Velm. Une dernière bagarre contre des pirates lui donnerait plus de cœur à l’ouvrage pour honorer comme il se devait sa femme à son retour. Souriant, il attrapa son long couteau qu’il calla dans le fourreau de sa botte gauche et, hache toujours à la main, entreprit de rallier le pont, malgré les embardées sauvages du Fend-les-Flots. Avant même d’avaler les derniers pas qui le séparaient du pont supérieur du vaisseau, le berserk sut qu’il ne s’agissait pas de pirates. Tous ses compagnons, en armes, avaient le visage dur, tendu et triste à la fois. Les yeux du norse aperçurent la terre à quelques minutes à peine, et son cœur en fut soulagé… cœur qui faillit s’arrêter en découvrant son village, Velm, encore fumant d’un récent combat. De grandes colonnes de fumée noire s’élevaient vers les nuées, agitées par les vents marins. Et, face à eux, un navire. Plus gros. Aux voiles noires et à la figure de proue horrible, un monstre de cauchemar. Volgan ouvrit des yeux étonnés quand la figure de proue bougea. Les voiles ennemies se gonflèrent alors que le navire ajustait sa trajectoire pour leur couper la route. Un œil ensanglanté y était cousu. Des serviteurs des Puissances de la Ruine. Des serviteurs du Chaos. Un coup entre ses omoplates le sortit de la torpeur. Il se retourna vivement et son poing fut arrêté par son grand frère, Skeld. Ce dernier portait les traces de larmes sur ses joues, mais la colère brillait dans ses yeux, pareils à ceux du norse. - Que… que s’est-il passé ? demanda, encore perdu, Volgan - Ils nous attendaient derrière les récifs, gronda son frère en montrant une forêt de rochers escarpés au nord du village, ils savaient qu’on arriverait… et ils ont passé le temps dans notre village je pense… avant de… Le guerrier ne put finir sa phrase. Volgan mesura toute la portée de telles paroles. Sa femme… ses filles… seuls les Dieux pouvaient savoir ce qu’elles avaient subi avant de périr. Des larmes de frustration et de colère roulèrent sur ses joues, allant se perdre dans sa barbe fournie. La frustration de n’avoir été là pour défendre celles et ceux qu’il aimait, car il le sentait dans son cœur de guerrier, la vie avait quitté leurs corps. La colère, celle qui sourdait en lui depuis qu’il savait marcher et tenir une arme, celle qui le rendait encore plus puissant et tellement imprévisible lors des combats. Il reporta son regard sur le navire honni. Ce dernier continuait à avaler la distance séparant les deux vaisseaux, comme mû par d’obscurs pouvoirs, des silhouettes les défiant de leurs armes et boucliers levés. La voix grave de leur capitaine trancha les mugissements du vent. - Fils de Velm ! Enfants de Norsca, cria-t-il sans quitter des yeux leur ennemi, allons-nous laisser ces monstres avec la victoire sur leurs hideuses faces… ?! Ou allons-nous venger nos frères et nos sœurs ?!! - A mort ! crièrent en cœur les marins, à mort !! - Alors coulez-moi ce maudit rafiot ! rugit le capitaine en dégainant un cimeterre, pour Velm ! Pour Norsca !! Le tumulte de ses frères hurlant leur haine et leur envie d’en découdre réchauffa les sangs de Volgan, sa voix se faisant plus forte. Il attrapa le bouclier de bois que lui tendait son frère et, comme ses compagnons, frappa du plat de son arme dessus, en rythme. Le vacarme devint une musique sourde, un hymne à la guerre que reprit Bulvei, le scalde, dans un chant guerrier des plus sombres. Très vite, l’équipage au complet entonna les paroles. Bien que ne les voyant pas encore, Volgan sourit à l’idée de la tête que devaient faire ces pirates, de voir le Fend-les-Flots non pas tenter de quitter la zone et de les fuir, mais bel et bien en train d’entamer les manœuvres d’abordage. Le capitaine attendit presque que les deux vaisseaux s’éperonnent. A l’avant, massé avec plusieurs de ses compagnons, le norse pu voir la monstrueuse figure de proue vivante, hurler de frustration lorsque ses bras ratèrent de peu le navire de Norsca, alors que le capitaine se glissait sur son flanc. Un homme tomba aux côtés du guerrier, les cheveux et les yeux blancs de terreur. Un jeune qui n’avait pas encore eu le cœur endurcit par les horreurs des Désolations du Chaos. Il n’avait su tenir le regard sur le démon enchâssé dans le bateau. Volgan pria pour que son âme soit acceptée auprès de leurs ancêtres et se tourna vers l’abordage qui commençait. Le capitaine hurla ses ordres, mais Volgan, comme nombre de ses compagnons, n’écoutaient plus. Les dents si serrées qu’elles auraient pu éclater sous la pression, il posa un regard meurtrier sur le pont ennemi, le rythme de son cœur s’accélérant, ses muscles gonflés par la rage faisant crisser le cuir de sa cotte. Une horde de guerriers norses, dont beaucoup étaient victimes de mutations, leur hurlait des insultes, certains sans armure, d’autres sans un seul vêtement, tous armés jusqu’aux dents. Des maraudeurs. Quelques hommes-bêtes, ces parodies d’êtres humains à la tête et aux membres de bouc ou de chèvres beuglèrent de défis dans leur langue gutturale. Tous portaient sur leur vêtement ou sur la peau l’œil ensanglanté qu’arborait la voile. Tous des rejetons du Chaos. Volgan vit Skeld le dépasser, sans attendre d’être à portée d’abordage. Son frère s’élança au-dessus du vide et, au terme d’un bond qui parut durer une éternité, atterrit lourdement sur un maraudeur, usant de son inertie pour lui faire exploser la tête d’un coup de marteau. Du sang et de la cervelle en bouillie l’éclaboussèrent et il hurla de rage. Hurlement reprit par tous les berserks qui s’élancèrent à sa suite, prenant de cours les serviteurs du Chaos, habitués à aborder… et non à se faire aborder. Volgan fut parmi les premiers à se jeter du navire sur leurs ennemis. Du coin de l’œil, quoique son esprit embrumé par la folie sanguinaire ne l’interpréta pas sur le coup comme tel, il vit un de ses frères tomber dans les eaux et broyés par les deux navires qui se retrouvèrent vite coque contre coque. A peine son pied foula-t-il le pont du navire maudit que sa hache fendait l’air en sifflant, sa course terminant dans le bras d’un maraudeur. Un sang mauve et épais coula paresseusement de la plaie béante, le guerrier lorgnant incrédule son bras encore agité de soubresauts sur le pont. Dans un grondement plus proche du gargouillis bestial, il lança son bras armé et les deux haches se firent face dans un fracas de métal et une pluie d’étincelles. Volgan du tenir la sienne à deux mains tant la force maléfique de son adversaire était grande. Mais sa rage l’était encore plus. D’un coup de tête, il brisa la lutte et d’un revers, décapita le maraudeur. Un homme-bête à visage de chèvre, un gor, l’une des plus grosses et brutales espèces d’hommes-bêtes, prit sa place, son fléau triple tentant de faire chuter le norse dans de violents moulinets. Volgan feinta, esquiva, étudiant quelques instants son adversaire puis roula sur lui-même, passa sous le bras de l’hybride et donna un violent coup dans le dos de la créature qui rua violement l’envoyant dans les pieds des combattants. La bête, ivre de douleur, courut vers lui alors que le berserk se relevait. Il para l’attaque d’un mutant et se concentra sur la charge du blessé. Il fit remonter sa hache à deux mains, usant de la force prodigieuse du gor qui vint se taillader la gorge sur la lame aiguisé. Volgan avait anticipé la puissance de la charge et s’était fermement campé sur ses jambes, ignorant le roulis, habitué qu’il était à évoluer et combattre sur le pont instable d’un navire. Le monstre s’écroula. Les yeux remplis de colère, sa soif de vengeance loin d’être étanchée, le norse s’élança sur un autre adversaire. La surprise passée, les maraudeurs et hommes-bêtes avaient repris l’avantage. Les forces des rejetons du Chaos étaient prodigieuses, et les diverses mutations leur donnaient un certain avantage, notamment celui de la surprise. Les fils de Norsca l’apprirent à leurs dépens, quoique trop ivres de haine pour s’en rendre réellement compte. Un maraudeur bouffi, du pus suintant de son œil droit, le gauche figurant celui d’une créature reptilienne périt après que pas moins de cinq lances et haches ne l’achèvent. Son corps se contorsionna alors, enflant jusqu’à éclater. Son sang d’un orange verdâtre aspergea ses bourreaux et quelques autres, alliés comme ennemis. Tous hurlèrent en tentant de retenir les plaques de peau fondue par l’acide. Beaucoup titubèrent vers les flots où une mort glacée – et infiniment plus douce – les attendait. Une charge de berserk fut brisée par les tentacules d’un maraudeur nu, à l’exception du casque sans visière qui enserrait sa tête. Les appendices fouettèrent l’air avec rage, envoyant les malheureux s’envoler par-dessus le bastingage. Volgan croisa le regard de Skeld alors que ce dernier réglait son compte à un gor d’un coup de marteau qui brisa corne, armure et crâne. Sans un mot, ils se dirigèrent vers le maraudeur aux tentacules. Skeld chargea le premier, se jetant au sol, un tentacule sifflant au-dessus de lui. Son pied tendu, il glissa sur le pont détrempé d’eau et de sang dilué et percuta le genou du maraudeur qui, surprit, s’affaissa. Volgan ne vit pas la suite, car un autre norse mutant s’interposa. Il portait un gilet de mailles sur sa peau nue, aux teintes violacées. Sa tête était protégée par un casque. Il tenait une étoile du matin en acier noir d’une main et l’autre fut parcourue d’une brume aux couleurs indéfinissables de l’épaule jusqu’au bout des doigts avant de figurer une lame de chair solide. Dans un grognement, il s’élança, bras mutant en avant. Le norse dû se reculer pour ne pas finir embroché. Quoique toujours sous les effets de sa frénésie, Volgan savait pertinemment qu’une blessure de cet effroyable appendice pouvait apporter bien pire que la mort. L’étoile du matin rencontra sa hache et les deux armes se coincèrent l’une l’autre. D’un revers, le maraudeur désarma Volgan et l’envoya glisser dangereusement près du bastingage. Le choc suffit à calmer sa furie et les quelques blessures qu’il accusait se réveillèrent soudain. Sonné, il vit son capitaine mouliner à grands coups de cimeterre entre des hommes-bêtes, ses frères rassemblés en groupes, opposer une farouche défense aux assaillants qui ne paraissaient plus si nombreux.La victoire était-elle possible ? Le norse secoua la tête, ce qui relança la douleur mais affina sa vision du combat. Le feu commençait à prendre sur la voile avant du navire maraudeur. Les norses gagnaient un peu de terrain. Le mutant aux tentacules finit avec la tête rentrée jusqu’aux épaules par les coups rageurs de Skeld. Volgan se releva et chargea à mains nues son adversaire. Puis au dernier moment, se décala et se jeta sur son arme. Les pics de l’étoile du matin labourèrent son dos mais, ignorant la douleur, il donna un violent coup sur la jambe d’appui du maraudeur, tranchant net. Il se releva alors que son ennemi gisait au sol. Un coup brisa sa vie. Mais dans un ultime sursaut, comme mû par une sombre détermination, le maraudeur envoya son arme vers la tête du norse. Il visa trop haut, si bien que seul le manche percuta la tempe de Volgan qui s’effondra à moitié assommé. Tout autour de lui se passa comme dans un rêve. Un rêve qui vira vite au cauchemar. Alors que l’équipage vaillant du Fend-les-Flots donnait l’impression de reprendre le dessus, la porte de la cabine s’ouvrit. Se baissant pour passer, un géant sortit sur le pont. Volgan était grand, même pour un norse. Cet être mesurait facilement deux pieds de plus, plus large encore qu’un orc. Intégralement recouvert d’une armure lourde, noire comme une nuit sans lune, éclairée de runes scintillantes, il se tint en silence devant le combat. Le vent gonfla sa cape rouge sang. Ses yeux rougeoyèrent et les symboles impies de son épée se teintèrent de carmin alors qu’il tranchait en deux, au niveau du torse, trois marins. Un pas et il en tua deux de plus. Les maraudeurs et les hommes-bêtes hurlèrent de joie et redoublèrent leurs attaques. Volgan comprit que la légende des Guerriers du Chaos était vraie. Et terriblement plus réelle, plus obscure. Il devait par tous les moyens détruire cet être. Il le savait, il le sentait, et ce malgré ce qu’il avait fait subir à cinq de ses compagnons, sans fournir d’effort visible. Peut-être qu’en le faisant passer par-dessus le bastingage, sa si lourde armure l’emmènerait-elle au fond de l’abîme. Tout immortel qu’il fut, le norse supposa que les eaux l’écraseraient et qu’au pire, il serait retenu sous les flots pour toujours. Skeld dû se faire la même réflexion et chargea l’homme en armure. D’un revers, il dévia l’épée ensanglantée et abattit à deux mains son marteau sur le plastron. Le guerrier du Chaos baissa la tête sur son torse intact, Skeld ne bougeant pas d’un pouce, trop effrayé de voir l’inefficacité de son attaque. Un rire issu des enfers jaillit du casque hideux, réveillant dans l’esprit embrumé de Volgan, toujours au sol, une peur sans nom. Certains des maraudeurs plièrent un genou en geignant et il vit même un ungor, des versions plus petites des gors avec une tête plus humaine et de petites cornes sur le haut de leur front chauve, préférer sauter dans les vagues glacées, ivre de terreur. Les fils de Norsca tremblèrent de frayeur eux aussi, et il vit même, dégoûté, un puissant guerrier s’agenouiller devant le géant, posant son épée devant ses pieds, implorant le pardon de celui qui ne pouvait être qu’un Dieu, l’implorant en pleurs de l’accepter à ces côtés. Un gor lorgna son maître, puis décida de planter son cimeterre dans le dos offert du guerrier qui mourut dans ses larmes, son sang et d’autres humeurs. D’un geste nonchalant, le guerrier saisit Skeld à la gorge de sa main libre, décapitant un marin venu l’aider sans même lui jeter un regard. Il sembla étudier le puissant berserk qui étouffait dans l’étau de sa poigne, tentant en vain de desserrer les doigts de métal autour de sa gorge. Puis, dans un haussement d’épaule, il lui écrasa la trachée et brisa les os de sa nuque. Ainsi périt Skeld Vargasson. Volgan hurla et tentant de se relever mais chuta. Il vit son capitaine soulevé du sol par un formidable coup du plat de l’épée runique et, avant que son corps ne retombe sur le pont, le guerrier du Chaos le trancha en deux, aspergeant de sang son armure. Aux bords de l’évanouissement, le norse cru voir le sang être aspiré par l’armure noire. Les sons et les images se brouillèrent. Il sentit une brûlure entre ses côtes. Incrédule, il vit un ungor lui planter sa lance dans le flanc. Il était adossé au bastingage du navire. Comment était-il arrivé là ? D’un revers maladroit, il ouvrit une plaie béante dans l’abdomen du monstre qui partit en glapissant. Les quelques derniers marins et guerriers du Fend-les-Flots furent taillés en pièces avec une rapidité sans nom, tout simplement diabolique. Volgan ne rata pas une seule seconde, un seul détail de ce qui se passait mais ne pu en rien intervenir. Même sa rage et son cri de guerre avaient semble-t-il quitté son corps, comme ses forces pourtant prodigieuses. Un gor le saisit par le menton. Sa main tenait toujours la hache de son père mais il ne réussit pas à la lever d’un pouce. Le monstre à l’haleine puante renifla le norse en se pourléchant les babines à l’idée du repas chaud qui l’attendait. Il sortit un long couteau en os quand une ruade l’envoya au sol. Il se releva et fit face à un autre gor, armé d’une hache. Ils commencèrent à beugler dans leur langage en désignant tour à tour Volgan, leurs armes et leur chef. Le berserk se rendit compte qu’ils se disputaient pour savoir qui allait le manger. Cela le fit presque sourire. Presque. Jetant un coup d’œil entre les jambes aux articulations inversées des deux hommes-bêtes qui commencèrent à s’affronter cornes contre cornes, il vit que le guerrier du Chaos donnait des ordres à son équipage qui, ses deux bourreaux exceptés, se mit au travail. Un liquide enflammé vint percuter le Fend-les-Flots et bientôt, alors que le navire maraudeur s’éloignait, il ne resta du fier vaisseau norse qu’une épave enflammée laissée libre au gré des vagues, des débris jonchant ses alentours. Volgan fut, malgré les ténèbres qui engloutissaient doucement mais surement son esprit, abasourdi de voir que nul n’avait pillé le navire. Ils ne tuaient que pour le plaisir, rien de plus. Sentant sa fin venir, et ne voulant pas contenter un des deux gors qui se fracassaient la tête à grands coups, il glissa son corps meurtri sous le bastingage partiellement brisé et se laissa tomber dans les flots glacés. Les hommes-bêtes ne virent même pas qu’ils se battaient pour rien… A suivre... Modifié le 14 août 2015 par Braxx Citer Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites More sharing options...
Braxx Posté(e) le 29 août 2015 Auteur Partager Posté(e) le 29 août 2015 (modifié) Bonjour/soir, Bien je ne sais pas si mon récit plaît ou non (vu que pas de réponse...) mais dans le doute, voici une petite suite. Braxx. PS : les habitués du forum des Gueulards l'ont peut-être déjà lu... Haghar. X X X X X Chapitre 2 Le fouet claqua sur le dos de l’initié, les barbillons de métal noués dans le cuir arrachant des morceaux de chair ensanglantée. Le jeune homme serra les dents et deux larmes jumelles s’échappèrent de ces yeux clos. Pourtant, pas un son ne franchit ses lèvres, scellées dans une prière à Sigmar. Le fouet s’abattit une neuvième et une dixième fois, le bruit écœurant du métal s’enfonçant dans les chairs brisant le silence, puis il entendit le prêtre ramener l’arme et l’enrouler autour de son bras. Seule la douleur devait être à l’origine d’une telle hallucination ; il semblait que le prêtre ricanait. Sans le voir, il sentait le regard inquisiteur se pencher sur son dos nu, lacéré de dix longues lignes carmin. Ce prêtre, cet homme saint empli de la ferveur de Sigmar Heldenhammer, pouvait-il réellement ressentir du plaisir à torturer un garçon d’à peine seize printemps ?! - Avouez-vous votre crime… ? demanda la voix fiévreuse du prêtre - Je… je ne… je suis innocent votre sainteté, articula difficilement Johan - Ni la faim, ni la soif, ni l’obscurité, ni le fouet ne semblent pouvoir briser votre mensonge, siffla le prêtre… très bien, vous serez purifié selon nos rites… nous ne pouvons tolérer un tel manquement pour qui se prétend futur prêtre de Sigmar. Je vous laisse avec vos démons, peut-être la raison reviendra-t-elle… loué soit Sigmar ! - Loué soit Sigmar… murmura le jeune homme. Les pas du gros homme résonnèrent encore longtemps dans le couloir du monastère après que la lourde porte d’acier forgé se soit refermée. Johan resta prostré en position de prières de longues heures, un murmure franchissant ses lèvres fines. Son crâne rasé ruisselait de sueur malgré le froid. Les ténèbres s’étaient installées après que le prêtre inquisiteur ne soit partie avec sa torche. Malgré cela, l’initié savait que sa cellule était rouge du sang qui lui coulait encore chaud entre les omoplates, jusque dans sa robe de bure tombée au sol. Il s’imagina les dessins écarlates sur les murs, grandes lignes rouges lancées par le fouet alors qu’il venait de lui meurtrir le dos. Quatre jours auparavant – ou peut-être était-ce cinq ? – du pain avait été dérobé dans les cuisines du monastère. Seuls les initiés avaient été soupçonnés, puisque ceux qui avaient été ordonnés prêtres de Sigmar ne pouvaient, bien entendu, être coupables d’un tel crime. Johan était le plus méritant des élèves de dernière année du monastère de Marienburg. Oh bien sûr, il n’aurait jamais eu la prétention de le penser, mais ses professeurs le lui avait dit en personne. Il allait bientôt être ordonné prêtre. Et puisqu’il désirait parcourir le vieux monde à la recherche du Chaos, de l’Ennemi intérieur, mais aussi des créatures de la nuit et des blasphémateurs, il devait effectuer une quête initiatique à l’extérieur des murs du temple. Aurait dû se dit-il, maussade. Le pain avait été retrouvé dans sa cellule, sous sa paillasse, dénoncé par celui qui partageait cet isolement loin de tout. Johan ne sut pas ce qui le touchait le plus. Que Hans, son ami – du moins le croyait-il alors – l’ai dénoncé sans lui en parler avant ? Ou que la jalousie ait pu être la cause de ce coup monté ? Bien sur, il ne lui en voulait pas, tout bon initié, et donc futur prêtre sigmarite, se devait de dénoncer les pratiques déviantes des autres, afin qu’ils soient remis dans le droit chemin, celui du Dieu au Marteau. Mais son amitié, sa franche camaraderie n’aurait-elle pas dû le pousser à chercher des explications avant… cependant cela aurait laissé du temps au jeune homme, s’il avait été fautif, de se débarrasser du pain volé. Rasséréné par cette évidence, celle que le seul de ses compagnons à ne pas le détester cordialement pour ses talents ne l’avait pas trahit mais avait seulement fait ce que lui aurait fait, il se redressa un peu. Il se remémora le jour où le prêtre inquisiteur fait une entrée fracassante dans sa chambre, précédé de Hans et suivit par une foule d’initiés et de prêtres, de ses professeurs. La découverte du pain, la honte se lisant sur tous les visages des adultes, ceux plus enfantins de ses camarades affichant un air satisfait et méprisant. Il était victime d’un coup monté. Mais qui ? La jalousie avait-elle assombrit tant le cœur des autres élèves de dernière année qu’ils en étaient venus à comploter contre lui. Et Hans ? Ou se situait-il dans cette affaire ? Johan se releva, péniblement. Il déchira le haut de sa robe de bure et entreprit de tamponner ses plaies, comme il le pu, jusqu’à ce que cesse le saignement. Il avait mal, son corps était brisé mais pas son esprit. Pas encore. Des jours sans voir le soleil, sans manger. L’eau croupie qu’on lui servait lui avait été ravie la veille. Le froid l’empêchait de dormir convenablement. A chaque sanction, la question était répétée. Il aurait voulu avouer ce crime qu’il n’avait pas commis, car il aurait été alors arraché à cette torture. Mais jamais il ne pourrait revenir dans le clergé de Sigmar. Jamais il ne pourrait atteindre son but. Et sa foi inébranlable serait à jamais entachée d’un mensonge. Aussi se réfugia-t-il dans la prière. Malgré l’épaisseur des murs et de la porte de la geôle, il entendit les vêpres commencer. Faisant le signe du marteau sur son front, à genoux les yeux clos, il se joint aux prières du soir, ignorant ses blessures et ses doutes. * * * Le prêtre inquisiteur Wagner fut propulsé dans le fauteuil avec tant de forces qu’il crut se briser le dos. Le prêtre guerrier Schoeller était visiblement fou de rage, le feu de la cheminée se reflétant aussi bien sur sa lourde armure ouvragée que dans ses yeux gris. Sa mâchoire se contracta plusieurs fois, tout comme il resserra et desserra les poings, calmant sa fureur. Son regard ne quitta pas un instant le gros homme qui soufflait, d’abord d’indignation puis maintenant de peur. Resserrant sa bure contre lui, il se remit debout mais se rassit aussitôt alors que Schoeller se rapprochait. L’inquisiteur n’avait peur de rien ou presque. Fils d’un noble, il était entré par les portes dorées du temple, et n’avait jamais participé à aucune guerre, ni même à une quête en extérieur. Marienburg était son seul monde, un monde d’opulence pour qui avait les bourses remplies de couronnes d’or, ce qui était son cas. Wagner était craint des élèves et respecté pour sa valeur, ayant une fois exorcisé un démon dans le corps d’une jeune femme… le prêtre avait pris sur lui en s’enfermant seule avec la possédée. Certes elle avait péri mais son âme était avec Sigmar et le démon avait été dispersé… Schoeller le détestait car il se doutait de ce qui s’était passé dans cette cellule. Mais issu d’une famille de paysans, ayant gravi un à un les échelons jusqu’à devenir un des marteaux de justice de Sigmar dans le sang des mutants, des monstres et des blasphémateurs, sa voix ne pesait pourtant pas contre celle de Wagner s’il avait dû le trainer devant la justice de son temple. Le prêtre guerrier lissa sa robe rouge, qui dépassait du plastron de sa cuirasse, recouvrant ses jambières. Le culte pouvait-il être perverti de l’intérieur ? Comment cela pouvait-il être possible ?! Chassant ses pensées aux limites du blasphème, il se tourna de nouveau vers l’inquisiteur. - Frère, cracha-t-il, comment avez-vous pu utiliser un fouet barbelé… ?! - Il doit se sentir coupable, ses défenses doivent tomber ! - Vous allez le briser complètement ! rugit Schoeller en faisant un pas vers le gros homme, il va devenir fou et nous allons perdre l’un des élèves les plus méritants… - Mais… on m’a dit que je pouvais le fou… - Fouettez ! Oui !! coupa sauvagement le prêtre guerrier, mais avec des barbillons… ?! On l’utilise contre les servants de la Ruine… !! Par Sigmar, ne voyez-vous pas la limite à ne pas dépasser ?!! - Plus que vous je le crains, siffla l’inquisiteur en se relevant, c’est à moi que revient de le tester. - Plus maintenant… Le père Wagner crut sa dernière heure arrivée quand son homologue guerrier fit glisser sa main non loin de l’imposant marteau de guerre passé à sa ceinture. Il souffla son soulagement lorsque Schoeller sortit un tube de métal ouvragé, qu’il dévissa d’une poigne sure et ferme. Il en sortit un parchemin, qu’il tendit encore roulé à l’inquisiteur. Ce dernier farfouilla dans le bureau de son office, que le prêtre guerrier trouvait trop richement décoré d’ailleurs, et sortit une paire de carreaux grossissants, palliant sa vue déclinante. Il reconnu le sceau du grand prêtre Hossler d’Altdorf, la capitale de l’Empire. Brisant la cire rouge, il parcouru la lettre qui donnait l’autorisation au père Schoeller de prendre comme apprenti personnel le jeune Johan, de terminer sa formation et de décider de son ordination. - Il semblerait que je n’ai pas le choix, dit-il en tendant une clef d’acier, geôle sept… Malgré lui, le prêtre guerrier savoura la colère qui empourprait le visage déjà rougeau et bouffi du gros inquisiteur. Il fit le signe du marteau sur son front, imité paresseusement par Wagner qui ne prit ni la peine de l’accompagner à la porte, ni même de se lever pour saluer un héros du temple, qui s’était maintes fois illustré pour la gloire de l’Empire, et celle de Sigmar Heldenhammer. Reléguant son irritation au fond de son esprit, il se servit un, puis deux et trois verres de ce vin bretonnien particulièrement cher. La chaleur et l’alcool ramenèrent un sourire satisfait sur son visage rond. Que Johan et ce foutu prêtre guerrier aillent périr dans une embuscade ou autre danger mortel de l’extérieur. Il s’en fichait désormais. Incantant un sort mineur, il verrouilla sa porte et entreprit de dormir un peu… ce soir, il avait réunion. A cette idée, il sourit de nouveau avant de sombrer dans un repos – selon lui – bien mérité. * * * Schoeller déboula dans la prison du monastère. Un jeune garde voulut se mettre en travers de sa route, mais reconnu les insignes du temple et il baissa la tête en marmonnant des excuses, des larmes de frayeur embuant ses yeux. Le prêtre s’arrêta et posa une main ferme mais rassurante sur son épaule. Comprenant qu’il était fier de son travail, le soldat s’écarta, s’autorisant même un bref sourire. Très bref. L’imposant humain pénétra dans les geôles, une torche à la main. Les flammes jetèrent d’inquiétantes ombres sur les murs sales et les prisonniers, qui d’abord excités par la venue de quelqu’un de l’extérieur, se turent en voyant le prêtre guerrier qui passa sans leur lancer un seul coup d’œil. Il s’arrêta devant la geôle sept, une des trois de celles réservées aux possédés et aux adorateurs des puissances obscures. Il fit tourner la grosse clef dans la serrure, tira la barre de métal qui renforçait la porte. Dans un fracas assourdissant, la porte s’ouvrit. Il avança la main porteuse de la torche. Face à lui, le dos tourné, un jeune garçon amaigri par les privations de deux semaines priait, à genoux. Schoeller admira sa piété et sa ferveur. Il lorgna d’un air furieux les cicatrices qui se formaient doucement là où le fouet de Wagner avait œuvré. Le prêtre guerrier eut beaucoup de compassion pour ce jeune initié. Johan chantait les vêpres qui résonnaient depuis la surface. L’homme en armure se racla la gorge, attirant l’attention du garçon que ni le bruit de la porte s’ouvrant, ni la soudaine clarté n’avait sortit de ses pieuses et ferventes prières. Johan n’était plus seul. Avant de s’être retourné, il sut qu’il ne s’agissait pas de père Wagner, car le pas était métallique, celui d’un homme en armure. Brisé, il en gardait des sens aiguisés et un esprit clair. De plus, l’odeur d’alcool fort n’accompagnait pas le nouveau venu. Ce dernier devait brandir une torche, car l’initié de Sigmar entendit clairement son crépitement, et soudain les murs de sa prison s’étaient illuminés. Les traces de son sang, encore partiellement fraiches, achevaient de rendre l’endroit terrifiant. Johan tremblait, de peur et de froid. Il se dit que, malgré toute sa foi, il risquait de craquer face à cette nouvelle torture. Lentement, comme pour mettre le plus de distance entre le présent et le moment où il serait de nouveau injustement puni, il se retourna, les yeux encore éblouis par la lumière de la torche. Lorsque le halo blanc quitta ses yeux bruns, il aperçut la haute stature de Schoeller qui le regardait. Bouche bée, il détailla l’impressionnante cuirasse ornée de symboles de Sigmar, la lourde et chaude toge rouge sang qui recouvrait les jambes du prêtre guerrier, l’imposant marteau à deux mains passé à une boucle à sa ceinture, le livre de prières doublé de fer, le visage austère et pourtant bienveillant, barré d’une cicatrice qui courait du front jusqu’à la commissure droite, passant sur un œil pourtant intact, ce front ceint d’un bandeau d’acier ouvragé. Chauve, le prêtre guerrier avait des iris vert-bleu des plus énigmatiques. Sa voix, forte, fit oublier quelques temps à Johan les blessures lancinantes de son dos. - Bonjour Johan, je suis le père Schoeller… je suis ici pour t’annoncer ta libération. - Le coupable s’est-il dénoncé ? demanda plein d’espoir le jeune initié. - En un sens… murmura le prêtre guerrier, ce sont tes professeurs qui ont caché cette miche de pain… nous voulions te tester. - Pourquoi ? demanda le jeune homme avant de s’excuser muettement, conscient d’avoir dépassé les limites. - Car tu as d’indéniables qualités. Il nous fallait en être sûr, et c’est le cas maintenant, puis reprenant après une courte pause visant à laisser Johan assimiler tout cela, tu vas être soigné, nourris et lavé, puis tu iras te reposer. Dans deux jours, tu m’accompagneras pour ta quête d’initiation… Johan avait milles questions qui lui brûlaient les lèvres, mais sut à l’attitude du prêtre guerrier qu’il devait les garder pour lui-même. Peinant, il se releva, un sourire fleurissant ses lèvres. Il savait que, dans quelques heures, ses nerfs allaient craquer et qu’ils pleureraient devant l’injustice et la brutalité inhumaine de ce test, qu’il maudirait un prêtre de Sigmar, le père inquisiteur Wagner, mais pour le moment, il était libre. Et allait enfin sortir des murs du monastère. Il fit un pas et vit le sol se rapprocher très vite alors qu’il tombait, ses jambes trop faibles pour le porter. A cette lumière, il décompta les jours passés ici. Ni quatre, ni cinq mais quinze ! Quinze jours de tortures !! Les bras musclés de Schoeller le rattrapèrent et le soulevèrent de terre, la torche tombée éclairant sa haute silhouette en contre-jour, le rendant encore plus impressionnant. Au bord de l’épuisement le plus total, se sachant en sécurité, le jeune garçon s’endormit. - Dors profondément jeune initié, murmura sombrement le prêtre, car si je ne trompe pas, tu risques de ne plus dormir ainsi de ta vie… et j’en suis sincèrement désolé. A suivre... Modifié le 29 août 2015 par Braxx Citer Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites More sharing options...
Inxi-Huinzi Posté(e) le 12 septembre 2015 Partager Posté(e) le 12 septembre 2015 Pas mal ! J'ai vraiment bien aimé ! Toutes les histoires du coup mais forcément ma préférée est celle avec les HL ! Obligé !! Alors que du bon, très bien écrit, très prenant mais si à part le grand mal on ne sait pas trop de quoi il s'agit. Je sais pas si tu as encore beaucoup de personnages mais fais attention à ne pas trop les multiplier parce qu'à la fin on ne saura plus qui est qui. Surtout que chacun à l'air d'être important !! BRef j'aime bien ! La suite ! @+ -= Inxi =- Citer Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites More sharing options...
Braxx Posté(e) le 13 septembre 2015 Auteur Partager Posté(e) le 13 septembre 2015 (modifié) Bonjour/soir, Merci à toi Inxi-Huinzi, ça fait du bien d'avoir des retours, très encourageant. Pour ce qui est des personnages, sans rien révéler, il va y en avaoir une certaine dose, mais je ne pense pas vous perdre... donc la suite. Braxx. X X X X X Chapitre 3 - Naufragé ! A tribord !! La vigie avait hurlé dans un reikspeil approximatif. Les passagers s’amassèrent à la droite du navire, exception faîte de celles et ceux qui ne savaient pas où se trouvait tribord. Le capitaine, un homme dur au tempérament de feu, les bouscula sans grand ménagement, faisant fi de leurs extractions nobles ou bourgeoises ; à bord du Requin d’Argent, le seul et unique roi, c’était lui. Il sortit une longue-vue, cadeau de son ancien armateur, un nain, et visa là où pointait la vigie. Il ne vit que les épaules et le dos musclé de l’homme qui flottait sur une planche de bois moisie. Ses longs cheveux épars masquaient son visage, mais au jugé, le capitaine reconnu un norse. Aussi se méfia-t-il. Il allait donner l’ordre de continuer sa route lorsqu’une femme charmante – belle à couper le souffle en fait – accourue et se permis de l’interrompre. - Capitaine, commença-t-elle d’une douce voix, nous ne pouvons pas ne pas le secourir… - Oh que si ma jolie, répondit-il en estalien, je ne vais pas prendre le risque de récupérer un de ces démons de Norsca… pour peu que le Chaos ne marque son âme… - Je ne sens pas son influence, dit-elle distante, les yeux dans le vague… j’en prends la responsabilité et suis bien entendu prête à payer son voyage, plus une indemnité. - Vraiment ? demanda le capitaine avec un regard envieux sur les courbes de la jeune femme. - En or…, précisa une voix claire et tranchante comme l’acier. Le capitaine se retourna sur un homme aussi grand que lui, plus jeune, aux épaules bien dessinées, habillé comme un noble estalien, qu’il devait certainement être, une rapière finement ouvragée à la ceinture. Une de ses mains gantées de noir reposait d’ailleurs nonchalamment sur la garde. Au cas où. Miguel toisa de ses yeux noirs le capitaine qui, d’après lui, était un peu trop proche, dans l’espace et les sous-entendus, de sa jeune sœur. Aurélia sourit derrière sa longue chevelure ébène. Son frère, que beaucoup prenait pour son amant, était son opposé. Elle savait pertinemment que le jeune diestro, s’il avait été seul, aurait ignoré le naufragé. Voire même aurait-il offert une couronne d’or pour celui qui lui aurait fiché un carreau ou une flèche dans la tête. Ou dans l’épaule, que son sang attire les prédateurs marins. Miguel de Llopa était ainsi, fier, arrogant, parfois cruel et peu respectueux de celles et ceux qu’il considérait comme inférieurs. Et ils étaient bien nombreux. Pourtant, au moindre danger encouru par sa sœur, avec qui il affichait – affichait seulement – une relation tendancieuse, il volait à son secours, rapière à la main, aussi acérée que sa langue. Son courage et ses talents martiaux en faisaient un redoutable adversaire. Plus encore lorsque sa sœur entrait dans la danse, car bien que pacifique et généreuse, Aurélia était appelée à devenir une sorcière puissante d’après son professeur, demeuré en Estalie. Aussi le duo de charmes se révélait-il stupéfiant. Plus d’un hors-la-loi pouvait en témoigner. Ou aurait pu… Aurélia aspirait à devenir une sorcière de jade, aussi la jeune femme avait été très heureuse d’apprendre que son inscription à l’école de magie de Marienburg, l’une des plus réputées, avait été acceptée. Ses parents, d’abord farouchement opposés à son départ pour l’Empire, y avait finalement vu une bonne excuse pour éloigner leur turbulent fils, cumulant trop d’ennemis. Outre le risque de périr dans un duel ou moins honorablement, ils se mettaient de fait à l’abri des représailles des différentes maisons nobles et bourgeoises. La seule condition pour qu’Aurélia quitte l’Estalie pour le Pays perdu était donc que Miguel l’y accompagne. Or son frère n’aurait jamais laissé sa petite sœur seule dans un pays qu’il jugeait dangereux et barbare. Aussi ne s’était-il pas fait prié pour quitter Magritta, bien que n’étant absolument pas dupe quant aux désirs de ses parents. Ce dont il se fichait royalement, car en port de Marienburg allait s’ouvrir pour le jeune épéiste la chance de devenir duelliste, d’hisser sa réputation – et peut-être même sa famille – au plus haut. Et pourquoi ne pas intégrer par le biais d’un mariage arrangé la haute société et la noblesse de l’Empire ? Tant d’ambition et si peu de temps pour les réaliser. A à peine vingt trois hivers, Miguel se voyait déjà commander à des dizaines de milliers d’âmes et plus encore… ambition dangereuse aurait dit ses parents. Le capitaine toisa longuement le diestro qui lissait distraitement sa fine moustache et son bouc. Mais Paolo Sigguri, un marin plus que chevronné, n’était pas tombé de la dernière pluie et avait depuis bien longtemps comprit que le jeune homme était près à s’élancer sur lui, lame au clair. Non pas que remettre cet impertinent à sa place ne l’aurait effrayé, bien au contraire, mais le fougueux capitaine savait, en temps utile, réfréner ses ardeurs. Quatre mois qu’ils avaient quitté Magritta, et lors de la dernière attaque de pirate, il avait vu les talents de bretteur du jeune estalien. De plus, bien qu’il n’en fut pas sûr, il aurait juré que la jeune femme l’accompagnant – sa sœur, sa compagne ? – maniait une quelconque magie. Et se frotter à la magie n’était pas dans ses habitudes. Aussi accepta-t-il la bourse replète que lui tendit la femme aux yeux si bleus, dans lesquels se noyer n’étaient que pur bonheur. Il s’inclina légèrement devant le couple puis se tourna vers le timonier. - Que trois hommes mettent un canot à la mer et allez me récupérer ce pauvre gars, brailla-t-il puis plus doucement, à l’intention d’Aurélia, ce que fera cet homme sur mon navire vous sera entièrement imputé… j’espère avoir été clair sur ce point. Sans attendre de réponse, le capitaine repartit vers sa cabine mettre à l’abri les quarante couronnes d’or, une véritable fortune, que lui avait donnée une Aurélia rassurée. Elle sourit à son frère qui fit mine de l’ignorer mais qui adorait en secret ce sourire charmeur de petite fille. Le diestro décida qu’il était temps qu’il se retire et alla sur l’arrière du navire, la poupe, visiblement ennuyé de ce contretemps. Sa sœur lui envoya un baiser que tous commentèrent dans leur barbe, pris au jeu espiègle des deux jeunes gens, et alla guetter les marins, désignés volontaires, partis chercher le norse. Les trois hommes, pas de mauvais bougres mais loin d’être des âmes charitables, récupérèrent le corps sans ménagement. L’un d’eux, surpris par la taille du norse, se précipita à l’arrière du canot comme s’il ne voulait pas rentrer en contact avec le naufragé. Le frêle esquif tangua dangereusement et ses deux compagnons l’exhortèrent à se calmer en estalien, hurlant en agitant les bras. Finalement, au bout d’un long moment, ils stabilisèrent leur embarcation. Aurélia serra les poings en voyant un des marins donner un coup de pied dans les côtes du naufragé, comme pour vérifier qu’il était toujours en vie… ou par un heureux hasard, qu’il ne l’était plus. Elle aperçut également un objet chuter dans les profondeurs, peut-être une arme, mais n’eut pas l’occasion d’en voir plus. On hissa le corps sur le pont et tous formèrent un cercle – à distance respectueuse – autour du rescapé dont la poitrine se soulevait difficilement. Couvert d’ecchymoses, le guerrier de Norsca accusait des plaies mal cicatrisées, trop longtemps laissées au contact de l’eau salée. Son dos était quant à lui couvert de graves brûlures dues à la trop longue exposition au soleil du Nord. Des murmures horrifiés, curieux, amusés ou dédaigneux s’élevèrent de la foule de marchands, de bourgeois et de marins. Aurélia se fraya un chemin, aidée de son frère qui dégagea un marin d’un coup d’épaule, tirant sur deux pouces sa lame. L’homme d’équipage se rappela soudainement qu’il devait assurer un poste et quitta le cercle. Prêt à tuer le norse, Miguel fit signe à sa sœur qu’elle pouvait approcher, ce qu’elle fit. Elle sonda le corps à la recherche du Dar, la magie noire, ou celle plus subtile et corruptrice du Chaos. Ni l’une ni l’autre n’était présente. Satisfaite, elle retourna le corps sur le dos, doucement, comme une mère le ferait avec un enfant mal en point. Désireuse d’emprunter la voie magique de la Vie, devenir une sorcière de jade, elle connaissait les bases des soins. Elle avisa deux marins, leur demandant gentiment d’emporter le guerrier dans sa cabine. Devant la mine peu convaincue des deux humains, le diestro fronça les sourcils, libérant un peu plus sa lame d’une main, jouant avec deux couronnes d’or de l’autre. Cela suffit aux deux hommes qui trainèrent le naufragé. Une fois au calme, Aurélia alluma deux bâtonnets d’encens visant à endormir les nerfs de son patient alors qu’elle passait des onguents sur ses brûlures et sur ses plaies. Le corps tressaillit au contact gelé des pommades, mais le norse ne se réveilla pas. Usant de massages, elle lui fit avaler par petites goulées de l’eau claire, réhydratant son corps. D’un geste nonchalant, en souriant, elle repoussa doucement la main distraite de son frère qui lui caressait les cheveux. Même en privé, ils étaient ambigus. Miguel ricana, mais ses yeux sombres ne quittèrent pas un instant le corps du norse, et c’est sa lame qui accueillit le marin venu leur délivrer un message du capitaine. Le roulis se fit un peu plus intense, et l’homme d’équipage ne dû son salut qu’aux réflexes éclairs de l’estalien, qui dévia la course de sa lame, prête à égorger le pauvre homme. - Heu… c’est l’capitaine qui m’fait dire à vote seigneurie qu’le barbare doit être enchainé dans la calle, dit-il un peu effrayé par la rapière toujours sortie, pacequ’on arrive dans une zone de tempête que faut pas prendre d’risques avec c’te genre de bestiau. - Je dois lui procurer des soins, commença Aurélia. - Le soigner… expliqua Miguel devant l’air perplexe du marin. - Pouvez l’faire m’dame, répondit le marin en reculant, mais dans la calle… Chapitre 4 La flèche perça l’œil droit du gobelin, la créature à la peau verte s’effondra dans un bruit mat. Suivit une volée de flèches arrachant à l’air automnale de Laurelorn une plainte aigue. Les petits corps s’effondrèrent les uns après les autres. L’imposant orc noir saisit un gobelin près de lui, et le plaça devant sa tête, arrêtant de justesse une flèche à l’empennage roux. Le peau-verte grogna en laissant tomber son bouclier improvisé et sortit sa longue lame, un kikoup, plus épaisse que les plus lourds espadons humains. Remis de leur surprise, les gobelins se mirent en position de défense, boucliers levés, sans cesser pour autant de se chamailler. Face à eux les arbres ne bougeaient pas, la forêt était silencieuse. Seul le vent qui jouait avec les feuilles se teintant de rouges, de bruns et d’ors brisait le silence. Pas un oiseau, pas un insecte. Un calme surnaturel qui apportait la peur dans les petits cœurs battant à tout rompre. Seul l’orc restait maître de ses réactions. Peut-être l’archer – ou le groupe d’archers – était-il partit. Peut-être n’avait-il plus de flèches. Le peau-verte éructa bruyamment son envie d’en découdre. Une silhouette fine sortit du couvert des arbres. L’orc sourit de plus belle : un elfe. Seul qui plus est. Donnant de violentes claques sur les têtes des gobelins effrayés par l’archer, il s’avança d’un pas lourd et déterminé. Tal’var toisa le groupe de gobelins de ses iris mauves. Il s’autorisa un bref sourire en les voyant claquer des dents, leurs genoux s’entrechoquant. Les gobelins avaient peur des elfes. Mais l’immense orc, un orc noir, de ceux qui étaient les plus gros, agressifs et forts, effaça son sourire. Son carquois déjà entamé lors de l’escarmouche de la veille contre des hommes-bêtes, escarmouche qui l’avait séparé de ses compagnons, il se devait, maintenant qu’il était vide, d’affronter ce groupe au corps à corps. Seul contre la dizaine de gobelins, cela aurait été jouable. La présence de l’orc en armure lourde faisait dangereusement pencher la balance en sa défaveur. Mais il ne pouvait laisser ces monstres en vie. Pas avec les villages humains alentours à peine remis de la guerre. Pas avec la colonie elfe de Laurelorn qui devait déjà batailler contre les enfants maudits des puissances de la ruine. L’elfe, sans quitter la brute aux muscles saillants, posa délicatement son arc long contre le tronc d’un gros chêne. Le bref contact avec l’arbre millénaire le rasséréna. Puis il se redressa, tira sa longue lame effilée ciselée d’arabesques venteuses qui semblèrent s’animer sous la lumière du crépuscule. Ses yeux se rétrécirent dans l’attente du combat. Il fit quelques moulinets dans l’air, délassant ses muscles. L’orc grogna et renforça sa poigne sur son kikoup. Un coup d’œil en arrière lui apprit ce qu’il savait déjà ; les gobelins avaient reculé de plusieurs pas derrière leur position initiale et se terraient derrière un amas rocheux pour les plus chanceux, les autres perpétuellement repoussés par leurs camarades devant se contenter de leurs boucliers en bois. Ils ne viendraient pas l’aider. Il s’en fichait, il n’en avait pas besoin. Le monstre redirigea son regard porcin sur son frêle adversaire. La longue chevelure noire voletait sous les assauts de la bise et le soleil bas se reflétait dans ses iris opalins sans pupille, sur les écailles fines de son armure et sur la lame qu’il trouvait ridiculement fine. Un combat gagné d’avance. Pourtant, le sourire qui ourla ses lèvres alors qu’il avançait hors du couvert des arbres étonna l’orc noir. Beuglant son cri de guerre, il chargea droit devant, ses cuisses puissantes l’amenant au contact en quelques enjambées. Son arme fendit l’air mais mordit seulement le sol, y dessinant une grande balafre. L’elfe avait bougé vite. Dans une gerbe de terre et de petits cailloux, il arracha son kikoup et para de justesse une attaque de l’épée elfique qui teinta légèrement. L’elfe bondit en arrière, évaluant son adversaire. Tal’var avait déjà combattu des orcs et des gors, mais jamais ne s’était-il retrouvé seul face à un tel adversaire… et au corps à corps qui plus est. Il se remémora ses années d’entraînement dans les profondeurs de Laurelorn, devenant un archer émérite et un épéiste de talent. Se signant, il avala la distance et, feintant sur la droite, bondit sur la gauche de l’orc en projetant sa lame. L’acier finement ouvragé ripa contre les plaques d’armure forgée par les Nains du Chaos. L’elfe se remit très vite hors de portée, cherchant une faille dans l’imposante armure. La gorge, les aisselles, l’entrejambe. L’orc l’arracha à ses pensées en chargeant de nouveau. L’arme gigantesque s’abattit à plusieurs reprises sur l’elfe qui esquiva à chaque fois. Tal’var ne pouvait pas espérer que l’orc s’essouffle ou se fatigue. Il devait le tuer vite. Sinon, il perdrait. L’orc remercia les dieux de lui avoir fournit l’opportunité de voler cette armure à un officier mort au combat. Son armure à lui avait été salement amochée pendant une escarmouche avec une bande d’hommes-bêtes. Dévoilant ses crocs jaunis par l’absence totale d’hygiène, l’orc noir sourit de plus belle. Il se souvint avoir échangé les armures avant le combat fatal à son supérieur… revenant à l’affrontement contre ce satané elfe qui restait hors de portée de son arme, il hurla aux gobelins de venir distraire ce mangeur de salade, les menaçant de les dévorer vifs un par un. Timidement, les petits peaux-vertes sortirent de leurs couverts. Brandissant leurs sabres, bien protégés par leurs boucliers, les plus téméraires trottèrent vers l’elfe. D’un revers, bouclier et chair furent tranchées, trois cadavres s’étalant sur le sol. Mais l’arrivée des gobelins permirent à l’orc de charger. Tal’var n’eut ni la place, ni le temps d’esquiver ; il dû parer l’attaque, regrettant son geste quand le choc fit vibrer douloureusement ses os. Ses muscles se tétanisèrent sous l’impact et il faillit lâcher sa lame. Seul son instinct de survie lui permit de rester armé. Un gobelin tenta de le poignarder mais le retour du kikoup trouva ses épaules, tranchant le petit corps en deux. Une gerbe du sang huileux et noir des peaux-vertes s’échappa en une grande fontaine. Tal’var l’évita de justesse mais l’orc en fut aveuglé l’espace d’une seconde. Une seconde de trop. L’elfe frappa. L’acier magique perfora la maille de l’aisselle droite du monstre et entama la chair épaisse. L’orc noir hurla, plus de frustration que de douleur. L’acier elfe lui fit cependant bien plus mal qu’il ne l’aurait crû et il sentit son sang s’échapper à gros bouillon, coulant sous son armure. L’épée se retira et frappa de nouveau, non loin de sa gorge. Le coup suffit néanmoins à lui arracher son casque, libérant sa tête déformée par la colère et – plus rare comme sentiment – la peur. Une troisième attaque vint presque lui emporter l’œil droit s’il n’avait dévié la lame d’une parade audacieuse. Et que faisaient ces maudits gobelins ?! Ne voulant pas risquer une autre attaque vicieuse, l’orc ne détacha pas son regard haineux de l’elfe qui virevoltait autour de lui. Tal’var souffrait. Il devait tenir sa lame à deux mains s’il ne voulait risquer de la perdre. Heureusement, la mort du gobelin lui avait été profitable et la série d’attaques qui s’en était suivit s’était vue couronnée de succès. L’orc, désormais privé de casque et blessé par la lame enchantée s’était retranché dans une tactique de défense… et les orcs n’excellaient vraiment pas en cela. S’il n’avait pas été blessé lui aussi, l’elfe aurait été sûr de remporter le duel. De plus, les gobelins survivants s’étaient enfuis dans la forêt. Les retrouver ne serait pas difficile pour le pisteur. Et là… Mais avant, il devait tenir face à l’orc noir. Une blessure, même portée par Hurlevent, sa lame magique qui faisait saigner sans discontinuer les créatures maléfiques, ne suffirait pas à briser les défenses du peau-verte. Ce dernier beugla en déchirant l’air de sa lame, si fort que la chevelure de l’elfe vola en arrière. L’ouverture étant trop tentante, Tal’var se jeta en avant et perça l’armure au niveau de la jointure entre le plastron et l’épaulière. L’attache de cuir se vit sectionnée, et les mailles volèrent. Un sang épais et odorant s’écoula de la plaie. D’un revers il dessina un sillon noir sur la gorge du monstre. De dernier s’étouffa dans son sang, ses forces l’abandonnant. D’un coup de poing, il envoya néanmoins le rôdeur au sol et tenta de le clouer à sa chère terre d’un coup de kikoup. Mais l’arme semblait déjà peser des tonnes et il s’effondra. L’elfe avait le souffle haché. Hurlevent gisait près de lui, mais tendre la main pour l’attraper relevait de l’impossible. La pluie commença à tomber, froide. La douleur sourde de l’elfe en fut apaisée, et bientôt il ne distingua du cadavre de l’orc qu’une masse informe sur laquelle rebondissaient les grosses gouttes d’eau crachées par le ciel. La terre se mua en boue. Le pisteur se laissa glisser jusqu’à l’épée qu’il serra aussi fort et passionnément qu’une amante. Il lutta, en vain, contre l’évanouissement. Il se trouvait à découvert, sur une route traversant l’Ouest de Laurelorn. Si les gobelins revenaient, il mourrait. Si des hommes-bêtes arrivaient ou un quelconque bandit, il mourrait. Dans tous les cas, et d’autres moins définitifs, Hurlevent serait volée, ce qui était presque pire. Malgré sa volonté inébranlable, il s’effondra face contre terre. Il avait vaincu son ennemi. Mais il risquait à son tour de faillir. Une larme coula. Puis, les ténèbres l’engloutirent. Chapitre 5 Volgan crû un instant qu’une bête fourrageait sauvagement dans son estomac. Puis, à mesure qu’il émergeait de l’inconscience, il se rendit compte qu’il avait tout simplement faim. Très faim. Il était donc vivant ! Il ouvrit difficilement les yeux. Son corps tout entier le faisait horriblement souffrir. Il regarda autour de lui, faisant taire la douleur. Il faisait noir, mais d’après le roulis et l’odeur, il était sur un navire – certainement dans la calle – et il était en pleine mer à en juger par la vitesse. Soudain, la terreur lui vrilla les tripes, finissant de le réveiller. Il avait des fers aux bras, enchaînés à la coque. En face de lui, des barreaux. En acier. Il était dans une cellule de navire. Il se redressa tant bien que mal sur ses coudes, tentant de percer les ombres de la calle. Les hublots ne laissaient percer que la trop faible lumière des étoiles. La nuit. Les maraudeurs l’avaient-ils récupéré après sa chute ? Le guerrier de Norsca calma son cœur et réfléchit. La coque n’était pas abimée, et nulles traces de symbole impie, de créatures des ténèbres ou de gardes. Ses blessures avaient été soignées. Il se rappela alors une voix, qu’il avait crû féminine, dans ses songes. Bref, aucun signe des serviteurs du Chaos. De plus, bien qu’indistinctes, le norse apercevait les limites de la coque à gauche et à droite ; ce navire était bien plus gros que celui des pirates. Vraiment plus gros. Avec le plus grand mal, il s’assit, adossé à la coque du bateau étranger. Il lorgna dans les ombres ses fers. Peut-être pourrait-il les briser en forçant, en appelant la rage qui coulait dans ses veines. Mais il avait trop mal, était trop épuisé et semblait faible. Ses bras et cuisses avaient maigris à vue d’œil. Combien de temps s’était-il donc passé depuis l’attaque du navire de Norsca ? Seul, égaré, le puissant guerrier qu’était Volgan Vargasson pleura. Un pleur sans chevrotement dans la voix ni tête baissée. Seulement deux rivières de larmes sillonnant sur ses joues et se perdant dans sa barbe fournie. Puis d’une voix grave, quoiqu’un peu cassée par la fatigue et l’épuisement, il entonna un chant mortuaire, pour le repos de l’âme de ses frères, de ses sœurs, de Skeld, de sa femme et de ses filles. Pour Velm. Pour sa famille. Il allait sombrer dans un profond sommeil, que les cauchemars peuplaient déjà quand il entendit la trappe de pont s’ouvrir. Il ferma les yeux, feignant l’inconscience. Mais, bien que tout son corps appelait à lui l’étreinte du sommeil, le berserk resta éveillé, attentif au moindre bruit. Deux séries de pas distincts, l’un à peine perceptible et rapide, l’autre cadencé et résonnant sur le bois du navire ; un pas guerrier. Il entendit les deux personnes chuchoter, dans une langue fluide qu’il ne comprenait pas mais qui ressemblait à celle parlée en Estalie, une terre plus au sud… comment avait-il pu dériver si loin ? Il sentit la lumière au travers de ses paupières closes. L’une des voix était féminine, celle de ses rêves. L’autre, masculine quoiqu’élégante, tranchait comme l’acier. Visiblement, l’homme et la femme étaient en désaccord. Volgan risqua un coup d’œil, les mèches de ses cheveux en désordre dissimulant quelque peu ses yeux. Une jeune femme, pas plus de vingt printemps, belle et aux formes bien dessinées était vêtue d’une toge vert sombre aux motifs indistincts dans la pénombre, capuche baissée. De longs cheveux de geais légèrement bouclés cascadaient sur ses épaules, encadrant un visage racé aux yeux en amande éclatant. Des yeux de la couleur du ciel d’orage, un bleu indéfinissable. Face à elle son équivalent masculin. Le norse vit dans ce grand jeune homme aux épaules carrées et au regard pénétrant un membre de la famille de la jeune femme. Son frère à en juger par l’âge, ou un cousin. Pourtant, il frôlait les mains de sa compagne comme l’aurait fait un amant et l’éclat de ses yeux était à la limite – sans l’atteindre donc – de la concupiscence. Le guerrier portait de nobles atours et une rapière finement ouvragée dansait dans sa main droite… il désignait souvent le norse sans lui prêter d’attention, mais son ton était menaçant. La femme souriait simplement, tout en secouant la tête. Finalement, l’homme céda et recula d’un pas. Cette fois, ses yeux noirs se posèrent sur Volgan. Il ne le quitta pas. La femme sortit une clef grossière attachée à un anneau de métal où pendait une clef plus petite – celle de ses fers certainement – et elle déverrouilla la porte de la cellule. Volgan banda ses muscles, mais le diestro le remarqua avant que la sorcière ne rentre dans la prison. - Aurélia ! tonna Miguel en accourant, il est réveillé !! L’homme passa devant sa sœur en la repoussant doucement, et en faisant demi-tour sur lui-même, pointa de sa lame fine le berserk. Ce dernier donna un violent coup dans la rapière, s’entaillant la main gauche. Puis il enroula tout en se levant les chaines des fers dans le but de désarmer l’épéiste, du moins bloquer son arme. Mais le diestro était rapide et Volgan était diminué par les privations. Pourtant, bien que fier, arrogant, et parfaitement conscient de l’état de son adversaire, Miguel pencha pour la prudence. Debout, sa tête arrivait aux épaules du norse ; et il était le plus grand de son école d’escrime ! Le berserk sentit la rage monter en lui mais un regard de la dame le fit fondre. Elle n’était que pureté et gentillesse. Il le sentait. Non comme deux faiblesses, mais comme les plus grandes forces qui soient. Dans ses yeux il ne lut nulle peur, ni jugement ou sentiment de supériorité. Elle voulait l’aider. - Vous comprenez ce que je dis ? demanda-t-elle en reikspeil. - Oui… répondit d’une voix sourde le norse, je comprends… et ne veux pas vous faire de mal, précisa-t-il en baissant sa garde. - Je sais… je me nomme Aurélia de Llopa, et voici mon frère Miguel, nous vous avons sortis de l’eau… vous étiez naufragé et blessé. - Elle t’a sortit de l’eau, coupa le diestro en insistant sur chaque mot, c’est à ma sœur seule que tu dois la vie… Aurélia fut peinée des mots de son frère, exposés sur le ton d’une erreur qu’elle aurait commise. Le jeune guerrier haussa les épaules et continua de dévisager le barbare qui n’avait d’yeux que pour la thaumaturge. Cette dernière s’approcha doucement. Volgan se détendit, bien que tressaillant un peu quand elle posa une main douce mais froide sur sa peau. A la lueur d’une lanterne, elle détailla chaque cicatrice, chaque brulure, expliquant les circonstances de sa récupération par l’équipage du Requin d’Argent. Volgan assimila tous ceci, traduisant les mots en reikspiel accentués d’estalien. Elle lui avait effectivement sauvé la vie. Il frémit de nouveau quand elle suivit le tracé d’une ancienne cicatrice, et continua sur un tatouage. La caresse d’une femme. Cela faisait si longtemps. Puis les visages de sa femme et de ses filles s’interposèrent, et rouge de confusion, il s’éloigna brusquement. Le diestro passa instantanément devant sa sœur, lame brandie. - Désolé… marmonna le norse en s’affaissant, je… je dois dormir. - Oui… bien sûr… souffla Aurélia, pardonnez-nous… vos blessures sont guéries. Vous serez bientôt sur pieds… nous devons vous gardez ici cependant, ordres du capitaine… s’excusa-t-elle en reculant hors de la geôle. - Merci… je comprends. - Et tu pourras alors nous expliquer ce qui t’est arrivé… grogna l’épéiste en rengainant, tu dois bien cela à celle qui t’as sauvé, n’est-ce pas barbare… ?! - Volgan. - Pardon ?! demanda Miguel en serrant les poings, pensant à une insulte. - Je me nomme Volgan… Chapitre 6 - Pour Sigmar ! hurla Schoeller. Le prêtre guerrier asséna un puissant coup de marteau sur la face ignoble de l’orc, la tête du peau-verte explosant sous le choc. D’un revers, il brisa le bras armé d’un autre monstre et fit voler quelques crocs d’un coup de manche. Tout autour de lui, la vingtaine de soldats de Marienburg combattait, tuait et mourrait sous les attaques d’une quinzaine d’orcs et de trois fois plus de gobelins. Le prêtre ne s’attarda pas sur le combat et, encaissant sans broncher le coup de poing de son adversaire handicapé, le fit passer de vie à trépas dans une grande gerbe de sang et d’os brisé. Il chercha du regard son jeune apprenti. Un sourire fleurit sur ses lèvres ; Johan se trouvait sur un des chariots en partance pour Middenheim, son marteau à une main arrachant la vie d’un gobelin qui tentait de prendre pied sur le marchepied. Aux côtés de l’initié se battait Darak, un nain. Marchand de Marienburg, il rejoignait la Cité du Loup Blanc avant que l’hiver ne rende impraticable les routes commerciales. L’attaque avait été soudaine. Schoeller soupçonnait un groupe de chasseurs, mais espérait surtout qu’il ne s’agisse pas d’éclaireurs d’une plus vaste horde. La trop grande proportion de rejetons du Chaos encore présents dans les environs, restes de l’armée gigantesque d’Archaon, n’avait pas besoin d’être renforcée par la présence d’une armée de peaux-vertes. Le mousquet du marchand retentit et un orc s’effondra, un trou aussi gros que le poing d’un humain lui traversant le visage. Le prêtre-guerrier s’enquit du chef de cette escouade, un orc noir qui ouvrit en deux un soldat d’un simple coup. Il brisa la nuque d’un autre et fit voler un troisième en le tenant par sa hallebarde avant de l’envoyer se rompre les os sur un arbre. Murmurant une prière, le prêtre guerrier chargea. Johan souffla un peu, les gobelins trop effrayés par l’arme du nain à ses côtés, se concentraient sur les soldats au sol. Il vit le père Schoeller charger le chef des orcs. Il se permit d’espérer un jour lui ressembler, avoir son courage et son indéfectible confiance en lui. Un orc sauta sur l’arrière du chariot et vint à sa rencontre. Il eut à peine le temps de parer l’attaque et se retrouva, sous le choc, propulsé sur un des chevaux. C’en fut de trop pour l’animal, pourtant habitué aux combats, qui se cabra à plusieurs reprises. Malgré lui, Johan se cramponna à l’encolure massive du hongre. Le chariot était secoué comme un prunier, et l’orc trébucha. Impassible, Darak pointa son arme sur la face porcine et, dans une gerbe de sang et de cervelle, expédia le monstre dans la mort. La balle faucha un gobelin plus loin. Satisfait, le nain ne vit pas un autre orc courir vers lui. Une ruade du cheval le protégea d’un coup mortel, et l’orc abattit son kikoup sur le joug, le tranchant net. Ivre de terreur, l’animal bondit hors de la zone, libéré de son carcan de métal et de bois. Il partit en trombe dans la forêt, brisant le crâne d’un gobelin au passage. Johan, incapable de lâcher le destrier, hurla malgré lui. * * * La course avait duré une éternité ; du moins c’est ce que ressentait l’initié de Sigmar. Il s’était accroché à l’encolure du destrier, conscient qu’à la vitesse de ce dernier, si jamais il lâchait prise, il mourrait. Tant bien que mal, pouce par pouce, il s’était hisser sur son dos, et avait tenté de l’arrêter, de le faire ralentir tout du moins ou encore de le diriger vers le combat. La honte le minait de seconde en seconde, celle d’abandonner ses camarades, des hommes pieux aux mains des immondes peaux-vertes. Mais le destrier n’avait rien voulu savoir, et la science de l’équitation étant complètement étrangère au jeune garçon. Il s’était borné à éviter – sans grand succès comme en attestait les marques de griffures sur son visage – les branches basses, priant pour que le relief traître de la forêt ne les fasse pas, lui et sa monture, chuter. Puis la lumière tamisée de la forêt profonde s’était éclaircie en entrant dans un bois et enfin sur une route que le cheval, par mécanisme, entreprit de suivre. Le ciel était uniformément gris. Une fine pluie se mua bientôt en rideau d’eau qui masquait la visibilité à plus de cinq pieds. La douche froide, l’absence de danger et la fatigue ralentirent le cheval, qui vint se protéger naturellement sous un grand saule. Johan crût qu’il n’arriverait jamais à descendre. Puis il se laissa glisser dans la boue, et regarda autour de lui ; une route sinueuse serpentait dans une forêt qui lui était complètement inconnue. La pluie avait déjà effacé les traces de sa cavalcade. Et quand bien même, il n’était pas pisteur. Il se retrouvait donc perdu, seul et désarmé, son marteau ayant chuté lors de l’affrontement. Il coula un regard noir au destrier qui reprenait son souffle. Puis il se mit à genoux, et commença à prier. Sa méditation calma sa colère et il ouvrit un regard serein sur la situation. Il ne savait pas où il se trouvait ni quel chemin prendre pour rejoindre Middenheim. Retrouver ses compagnons semblaient être la chose la plus logique à faire, mais à l’heure qu’il était, le combat – quel qu’en fut le terme – était de toute évidence terminé. Johan frissonna en repensant à la fureur bestiale, démoniaque même, de ces créatures, de leurs rires immondes lorsqu’ils tuaient, du plaisir qu’ils avaient à être recouvert de sang. Il revit les deux soldats de têtes, tombés sans avoir pu se défendre, des flèches noires hérissant leurs corps. Puis la forêt s’était mise à hurler, et les orcs avaient jaillis, l’écume aux lèvres, suivis d’une horde de gobelins piaillant et sifflant. Il devait prendre une décision. Le soleil étant impossible à localiser, l’initié ne sût où se trouvait l’Est, et ne pouvait décemment pas attendre la nuit. Il ramassa un bâton, suivit son instinct et prit à droite, le hongre sur ses traces. * * * La nuit tomba vite. Trop vite au goût de l’initié. Ses jambes et ses pieds lui faisaient mal. Par la grâce de Sigmar, il n’avait été ni blessé lors du combat, ni lors de sa folle course en forêt. La pluie avait finalement cessé, et un vent froid, annonciateur d’un hiver prématuré et rude, avait chassé les nuages. Mannslieb, la grande Lune regardait le jeune humain, entourée de ses étoiles. La Lune verte se détachait elle aussi sur le velours de la nuit. La route s’élargit un peu, et descendit légèrement. Dans la clarté lunaire, Johan vit qu’il s’approchait d’un lieu de combat. Il se rapprocha du couvert des arbres et plissa les yeux, perçant les ténèbres. Des corps, petits pour la plupart, gisaient sur le sol, masses noires inertes sur la terre sombre. Il s’arrêta, son cœur bondissant dans sa poitrine. Doucement, il mena le cheval à un arbre, et enroula la longe autour d’une branche. Puis, serrant son arme improvisée, il entreprit de rejoindre le premier cadavre. L’odeur lui apprit avant qu’il ne le voit vraiment qu’un gobelin gisait devant lui. Il grimaça de dégout à la large entaille qui avait libéré le sang puant de la créature et une partie de ses entrailles qu’il avait tenté en vain de retenir. Il continua son inspection, trouvant d’autres corps de gobelins, égorgés ou ayant une flèche plantée dans le cœur ou la tête. Il examina un instant les projectiles mortels. Trop grandes pour êtres des flèches gobelines, elles étaient taillées avec soin, la pointe était ciselée et le corps sculpté. L’empennage roux était d’une douceur exquise. Johan se releva et avisa deux autres cadavres, plus loin, emportés par leur combat. L’un était massif, et la Lune éclaira le visage grotesque d’un puissant orc noir. Même dans la mort il était impressionnant et terrifiant, aussi l’initié ne s’aventura pas trop près. Son armure avait reçu de nombreux coups. Il gisait dans une mare de son sang noir. Le jeune homme se dirigea vers le dernier corps. Il hoqueta de surprise en voyant un elfe. Lâchant son bâton, il accourut auprès du corps allongé dans la boue. Il le retourna doucement, libérant un visage anguleux. Ses yeux étaient clos. Des tatouages couraient sur sa peau, un elfe sylvain d’après ce qu’il se rappelait des cours sur la race elfique. Un allié. Normalement. Johan comprit vite que les morts tout autour de lui étaient l’œuvre de cet unique combattant, car nul elfe n’aurait laissé pourrir un des leurs au milieu des peaux-vertes honnis. Cela l’impressionna grandement, car il devait bien y avoir une dizaine de gobelins et l’orc noir avait été tué au corps à corps. Les yeux tristes de Johan se posèrent sur la fine épée, élégante arme, enserrée dans la poigne de l’elfe. Il frôla la lame qui teinta doucement. Les Lunes brillaient haut dans le ciel maintenant, mais l’initié fut surpris de voir que Morgslieb, l’astre du Chaos, n’avait aucun reflet dans la lame argentée. Il ferma les yeux et ressentit la magie de l’épée… un nom apparut dans son esprit ; Hurlevent. Il fut tiré de sa concentration par un mouvement. - Loué soit Sigmar… souffla le jeune homme, il est vivant… A suivre... Modifié le 13 septembre 2015 par Braxx Citer Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites More sharing options...
kruger Posté(e) le 7 octobre 2015 Partager Posté(e) le 7 octobre 2015 Histoire intéressante est assez bien écrite. Bon courage pour écrire la suite. Citer Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites More sharing options...
Panzuzu Posté(e) le 20 octobre 2015 Partager Posté(e) le 20 octobre 2015 Quelle superbe histoire ;) et en plus ca y est tu fais rejoindre tes personnages, super! J'ai hate de voir ce qu'il va se passer avec l'elfe sylvain, ils sont pas connus pour etre trés amicaux... surtout si ils trouvent un des leurs amis blessé avec un humain, bref, UNE SUITE! Citer Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites More sharing options...
Inxi-Huinzi Posté(e) le 10 avril 2016 Partager Posté(e) le 10 avril 2016 Super !!! Ca continue bien ! On commence a voir les groupes se former mais pas encore l'histoire qui les liera tous. A moins que tu choisisses de faire quelque chose de different pour chacun mais ca m’étonnerait ! Vivement la site ! @+ -= Inxi =- Citer Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites More sharing options...
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