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"Mécaniques dynastiques : Solitaire technocratie"


Kael

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Bonjour à tous !

 

Je sais, j'ai commencé plusieurs récits, et je ne les ai pas toujours terminé... mais comme une vielle rengaine, j'aimerais renouveler l'expérience. Ça me tente depuis plusieurs mois pour penser le projet suffisamment crédible pour vous le présenter :flowers:

 

Je vous propose donc de découvrir un récit que je souhaite somme toute assez court, dans un monde fanstastico-uchronique de ma création.

 

Et vous souhaite une très bonne lecture :stuart:

 

 

Mécaniques dynastiques

Solitaire technocratie

 

 

Chapitre I : Dédale décrétal

 

 

Le genre d’endroit qui ne passionnait que les ambitieux. Ou les fonctionnaires. Pour peu qu’ils puissent connaître des humeurs des passions.

 

Ces derniers étaient bien plus nombreux. Pour eux, les dorures et les marbreries en tout genre du Ministère de la Justice n’était qu’un décor parmi tant d’autres. De là à penser qu’ils étaient dépourvus de tout orgueil, ce serait un faux pas que seul un néophyte commettrait. Les agents de l’Etat bombaient certes le torse, le plus souvent fiers de servir sous le regard impassible de suzerains dont la peinture craquelait, mais ils l’étaient avant tout pour leur travail. Plus exactement, du travail qu’ils pensaient accomplir. C’était ceci qui les distinguait avant tout des politiques qui, eux, toisait en raison de leur seule personne.

 

Ce serait un lieu commun d’affirmer que l’environnement influe sur les habitudes de tout un chacun. Le gamin des ruelles observait tel un chat de gouttière, le ministre discourait sur ses projets avec éclat, mais sans réelle profondeur, s’effritant telle la dorure d’un cadre dès lors qu’on se prenait d’envie d’y gratter.

 

Dans ces couloirs au parquet grinçant,  parcourus par autant de courants d’airs que de bestioles à l’affût du moindre bout de papier, parsemés de fioritures, de bibelots, et autres décorations qu’un musée était parvenu habilement à esquiver, tout semblait se confondre.

 

Semblait seulement, car le commun ne saurait exister sans l’exception. Du moins, l’originalité.

 

Le bureau du secrétaire du sixième membre du cabinet ministériel.

Pour y parvenir, encore fallait-il supporter l’attente dans le corridor mal éclairé qui faisait office d’antichambre. Avec ce froid d’automne, le ciel d’obsidienne succédant brièvement au ciel de granit, tout était plus lugubre. C’était bien là un lieu où seuls des fonctionnaires pouvaient patienter sagement.

 

En l’occurrence, deux.

Clémenz Methronis fixait un clou apparent dans le plancher. Il se demandait ce qu’il se passerait si par mégarde il venait à y marcher dessus avec ses souliers. C’était sûrement pour ce genre de rencontres fortuites que les paires de bottes faisaient fureur depuis quelques temps parmi le corps des fonctionnaires. Clémenz en avait bien fait l’acquisition, mais après avoir tant peiné à les retirer le soir venu et constaté que le nectar qui y était renfermé n’était guère au goût de sa chère et tendre, il en était revenu à ses bons vieux souliers. Théodül, assis près de lui, et fixant lui aussi quelque objet dénué d’intérêt afin de tuer le temps, avait suivi la mode. Methronis s’interrogea l’espace d’un instant quant à savoir s’il était aisé de retirer les tâches de transpiration sur l’extrémité de bas en soie. Probablement, il fallait recourir à du jus de citron.

 

Il serait reçu à dix-neuf heures dix. Il était moins le quart.

 

-Je ne t’ai pas demandé comment allait Lisbeth ? demanda Théodül, dont la voix indiquait manifestement qu’il n’avait pas réussi à calmer sa tempérance à l’oisiveté.

-Et bien… plutôt pas trop mal. Nous avons aménagé ensemble il y a peu, et il y a de bonnes chances pour qu’elle obtienne un poste de comptable auprès de la fabrique Drehnz.

-Quoi ? Dans les câbles télégraphiques ?

-Je crois que l’on dit désormais « téléphoniques », non ?

-Sûrement. M’enfin, si j’avais voulu causer de ces choses-là, je n’en serais pas à gober de la poussière jurisprudentielle par paquet de seize, répliqua Théodül en haussant les épaules. Donc, ta p’tite femme dans la technologie ?

-Je vous ai dit la comptabilité, monsieur Belias. La comptabilité.

-Ah oui. Exact. Tu l’as dit.

 

Clémenz détestait que ses collègues le tutoient. Non pas qu’il était hautain, loin de là, souffrant souvent d’une certaine timidité, mais c’était le genre de jeune homme à apprécier que les choses soient faîtes dans l’ordre. Leur avait-il donné la permission pour cette familiarité ? Non. Déjà, parce qu’on ne lui avait pas demandé. Enfin, parce que ce n’était pas professionnel. Et comme il n’avait pas lui-même fait cette demande, il n’espérait pas avoir à tutoyer Théodül Belias, de plusieurs années son aîné.

 

Surtout  qu’il avait clairement la tête ailleurs.

Cette causerie sans intérêt l’avait réveillé d’une méditation ô combien intellectuelle, qui lui avait permis de s’écarter des flots angoissants auprès desquels les sous-secrétaires dans son genre ne pouvaient espérer s’écarter des rivages, dès lors qu’ils avaient un dossier complet à remettre à leur supérieur hiérarchique.

 

Clémenz se leva.

Il allait recommencer une fois encore à tourner en rond. Lorsqu’il était avocat, il s’était plu à comprendre pourquoi on avait nommé une salle « les pas-perdus ». Stagiaire, Methronis s’imaginait qu’il s’agissait d’un point d’information pour se retrouver dans le dédale du palais de justice. Avant sa toute première plaidoirie, il comprit son erreur.

 

C’était assurément le projet de décret le plus important qu’il s’apprêtait à remettre au secrétaire. Le ministre Vilnius Khendra, avait pu imposer sa politique au sein du gouvernement, celle d’une justice plus proche des sujets de la couronne. Pour cela, il avait chargé son cabinet, composé de huit hauts fonctionnaires, d’y travailler. Un d’eux, Eugehn Vazzart, fut désigné comme rapporteur. Et la chaîne hiérarchique descendait inexorablement. Confiant le soin à son secrétaire de rédiger ledit projet qu’il devait présenter devant le ministre, ce fut le sous-secrétaire Methronis qui reçut la patate chaude.

 

Voilà près de cinq mois que Clémenz voyait ce dossier grossir chaque jour d’avantage. Courriers, rapports, instructions, tableaux, bilans, retours d’expérience, et autres avis de commissions, certains facultatifs, d’autres obligatoires. Un travail colossal.

 

Travail qui l’avait replongé dans sa vocation première, son métier de robe, qu’il avait abandonné il y avait maintenant plus de trois ans.

 

Ce dossier l’avait obsédé. Au point que Lisbeth s’était fait du souci pour lui. En réalité, Clémenz vouait une grande admiration pour le ministre de la justice. La perspective de contribuer à la mise en place d’une politique en tous points conformes à sa propre vision de ce que devait être l’institution judiciaire était un véritable privilège, et il en était conscient.

 

Depuis trois semaines, cette grosse dinde de papier nourri en plein air se trouvait sur le bureau du secrétaire.

 

Ce soir, il allait en recevoir la critique.

 

Passant encore devant le grand miroir du miroir, Clémenz inspecta à nouveau sa tenue.

 

Lavallière verte olive, correcte.

Chemise à col haut, à relever un peu, mais correcte.

Culotte beige, bien repassée, correcte.

Gilet beige à carreaux, boutons bien cousus, correct.

Queue de pie verte olive, bien sise aux épaules, correcte.

Visage bien rasé, pas d’acné apparent, bien coiffé, raie sur le côté, correct.

 

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Clémenz Methronis.

(Source : Jonathan Strange / Deviantart)

 

-Mais tu es très bien, t’as pas bientôt fini de te pavaner ?

-Là, je joue gros, Belias.

-L’aide juridictionnelle ? Oui, oui… « gros », vite dit. La réforme du référé, ça, ça c’est pas la gnognotte !

 

Clémenz plissa les yeux et dévisagea discrètement son collègue. Quel abruti.

 

-Ah, t’as pas mis de fleurs à ta queue de pie ?

-Euh… non, je n’en met pas, et n’en ai pas d’ailleurs.

-Tsss… mauvais point. Il adore ça.

-Pardon ?

-Eh, comme je te dis. Tu t’en souviens de cette histoire de taux de ressort pour le contentieux de bornage ? Ma femme me refile une ‘tite boutonnière à mettre en broche, il a adoré, et hop, un taux de ressort abaissé à dix mille écus seulement. Merci qui ? Merci maman ! continua Théodül, tout fier, bras croisés.

-Ah, mais… c’est trop tard là. Merci quand même… répondit le jeune sous-secrétaire, embarrassé.

-Tatata ! Le vieux Belias est là pour toi ! Au fond du couloir, tu descends deux étages par l’escalier G, tu continues tout droit et là tu devrais trouver un pot pourris. Je crois y avoir vu une rose blanche-beige, dans ces tons-là. T’irait comme un gant !

 

Methronis hésita.

 

-‘fin, bon, je te dis ça, hein, c’est pour toi.

 

Le sous-secrétaire se pinça la lèvre inférieure expirant par les narines, tel le bœuf perplexe moyen.

 

-‘serait quand même bête de ne pas mettre toutes les chances de ton côté, non ?

 

Et il avait encore dix minutes.

 

-Bon, je fais vite. Merci Belias ! lança Clémenz, entamant une petite foulée.

 

Le couloir.

 

Surtout, rester attentif à tout ce qui pourrait sortir de l’une de ces portes. Chariot d’archives ou café, pas le moment de se faire avoir. Ni le temps, ni la buanderie.

 

-De rien, mon couillon !

 

L’escalier. L’escalier G, il était où déjà ? B, H, J… G !

 

-Bonjour monsieur Methronis, pressé de rentrer à la maison à ce que je vois ? La petite femme du vendredi à retrouver ?

-Pas tout à fait, Vérö, pas tout à fait ! Je vous raconterai !

 

Un véritable ancêtre architectural.

Pareil colimaçon, Clémenz plaignait sincèrement tous ceux qui avaient à l’emprunter quotidiennement.

 

-J’y compte bien !

 

Descendant en pas chassés, afin de préserver sa veste de la pierre humide, il manqua plusieurs fois de perdre l’équilibre. Mais un fonctionnaire du ministère de la justice était naturellement dextre, contraint de choisir entre le chômage ou les acrobaties administratives.

 

Deux étages, qu’il a dit. Et aller tout droit.

 

Les bureaux des relations internationales du ministère. Il comprenait mieux pourquoi ils s’étaient retrouvés dans cette aile insalubre.

Le pot pourris !

 

Mais qui était le malade qui avait sérieusement espéré atténuer l’odeur d’eau croupie avec ?

Quoiqu’il en soit, il y avait bien la rose dont avait parlé Théodül. Curieux d’ailleurs qu’il en ait eu connaissance. Qu’est-ce qu’il pouvait bien faire dans ce coin perdu du Ministère ? Y avait-il seulement des gens qui y travaillaient ?

 

Un gémissement. Plusieurs même. Masculins.

Qui n’y travaillaient, certes non, mais l’ouvrage ne revêtaient-ils pas d’autres atours ?

 

Etait-ce donc l’endroit glauque et lubrique auquel tous ses collègues faisaient allusion ? Le fameux trou à glotte ?

 

Juste après avoir pris la rose, il recula avec circonspection. Methronis se rendit compte que si jamais il venait à se faire voir en ces lieux, il pourrait dire adieu à ses espoirs normatifs. Qui écouterait le propos d’un obsédé, suffisamment idiot pour être remarqué ici.

 

Et il n’avait pas été particulièrement discret jusqu’ici.

 

Masculin ?! Ils venaient de cette porte.

Sans être pénaliste, Clémenz savait bien que l’homosexualité était constitutive d’un délit. Et de surcroît, d’une faute disciplinaire si commise à l’occasion des heures de travail, ainsi que l’avait confirmé la chambre criminelle dans un arrêt, il y avait environ…

 

« Rha ! Mais fous le  camp, gros débile ! »

 

Aussi discrètement que possible, sur la pointe de ses précieux souliers, le sous-secrétaire s’éloigna. Par chance, les soupirs des amants couvraient ses pas.

 

-Attendez, attendez, pas si fort…

-Si… tu l’as voulu !

 

Cette voix.

La première ne disait rien à Clémenz, au contraire de la seconde. Grave, puissante, au timbre rauque, caractéristique des fumeurs invétérés. Vazzart ?

 

Clémenz chassa cette idée de son esprit. D’autant que sa montre à gousset indiquait désormais qu’il était dix-neuf heures huit.

 

De retour dans le couloir des attentes, ayant réussi à esquiver les indiscrétions de Vérö tout en plaçant avec élégance ladite rose sur le revers de sa veste.

 

Tout de suite plus chic.

 

La porte du bureau s’ouvrit en grand, s’en allant frapper une énième fois le mur. Clémenz n’était pas encore devant. Quelque part, il s’était assuré de ne pas la recevoir à la figure. Il allongea la foulée.

 

-Methronis !

 

Le secrétaire devait être de bonne humeur…

Tentant de ralentir son approche, ses souliers glissèrent sur le parquet, et ce qui devait arriver arriva.

 

Ce fichu clou tant redouté était en position.

Methronis se mordit la joue pour ne pas échapper un cri de douleur qui aurait fini de témoigner de son manque de virilité. Théodül lui adressa un grand sourire.

 

-Pas trop retardé par le trou à glotte ?

 

« L’espèce de sale enf… ! »

 

Belias savait évidemment où il avait envoyé son collègue qu’il jalousait. Il détenait maintenant un élément pour le décrédibiliser, sans que Clémenz ne puisse le contrer.

Il lui balança toutefois la rose à la figure.

 

-Dites donc, il faut que je vienne vous chercher ?

-J’arrive, monsieur le secrétaire, j’arrive.

 

Essayant de chasser toutes les pensées qui l’asseyaient, tout à la fois impudiques et revanchardes, il entra sans le bureau.

 

-Fermez la porte derrière vous.

Modifié par Kael
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