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[WHB-Bret] Lépreux Chevaliers


ZibZee

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Alors la c'est du très très lourd en conversions... J'adore les bois de Grut le Pansu! Très beau travail sur la peau pour ce qui est du "travail dans le frais", il est plutôt pourri non?  :P 

 

Salut,

 

J'aime beaucoup ce que tu as fait de ces figurines. Et la peinture de la peau est vraiment superbe, même si tu trouves ça juste pas mal (les changements de teintes, les veines, les pustules...). C'est très complet.

J'ai hâte de voir la suite.

 

m-ngd

 

Merci :) Pour dissiper tout malentendu, je trouve aussi que la peau est bien (c'est une de mes plus abouties je pense), mais c'est pas ce que j'avais en tête, donc un poil déçu pour le moment...

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Superbe travail sur la peau ! Avec les veines bien lisibles comme çà on dirait que la peau est tellement fine qu'elle va craquer sous peu... et les variations de teintes bien maladive sons nickel. Bravo !

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Conversions et peinture méticuleuses avec effets bien senti. Hyper classe.

 

Du haut vol, je l'avais bien dit.  :woot:

 

donc un poil déçu pour le moment...

 

Exigent le monsieur - mais c'est avec lui-même, alors ça se respecte.  ;)

Modifié par Vyn le Vil
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Merci à tous pour vos commentaire ! Ça fait plaisir et ça motive de voir que mes bidouilles plaisent :)

 

Superbe travail sur la peau ! Avec les veines bien lisibles comme çà on dirait que la peau est tellement fine qu'elle va craquer sous peu... et les variations de teintes bien maladive sons nickel. Bravo !

C'était l'effet voulu pour les veines, donc c'est cool que ça se sente !

 

 

Exigent le monsieur - mais c'est avec lui-même, alors ça se respecte.  ;)

Yes, un peu, mais bon, ça aide à s'améliorer ;)

 

 

Ta peau est vraiment belle !
Bon c'est peut être pas ce que tu cherchais, mais je pense que tu aura pas trop de mal à y arriver, vu ce que tu viens de nous pondre XD

Merci ! Franchement, je dirais bien oui, mais je sais pas, vu que j'ai jamais réussi à faire un truc crade, alors que j'ai déjà tenté le coup (j'ai toujours peur de tout foirer sur une peinture qui me plait...) Enfin on verra, et vos avis/conseils me permettrons peut-être de franchir le cap !

 

Et sinon, tadaaaaaam, grande nouvelle ! J'ai reçu ma commande aujourd'hui, donc je vais pouvoir commencer mes chevaliers sous peu (et du coup mettre en pause Grut et Ulfrik, puisqu'ils sont pour les prochaines sessions). La peinture du piéton devrait se poursuivre, ça me donne l'occasion de tester des trucs en vue de la peinture des bretonniens, et de me changer les idées quand j'en aurai marre de la résine verte :P

 

Des photos dès que j'ai avancé !

ZibZee

Modifié par ZibZee
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POST DÉDIÉ AU FLUFF DES LÉPREUX CHEVALIERS

 

Petit à-propos :

Les péripéties des lépreux ont commencé à l'occasion du CDA La Confrérie des Ténèbre, cela constitue l'Acte I.

Elles se poursuivent lors d'un second CDA, L'Ultime Avant-Poste, ce qui constitue... l'Acte II !

Ci-dessous, un petit résumé de la genèse du groupe (Acte I du coup), pour ceux qui n'ont point l'envie de tout lire :wink:

 

Ulfrik est un sorcier qui a corrompu de façon insidieuse la cours de Castel-Graal. Il est aujourd’hui à la tête d’une troupe errante et hétéroclite de chevaliers dévoyés, secondé par l’ancien maître de la citadelle, Sire Énieul du Chêne. Un seul chevalier a résisté à la corruption, autant par chance que par vertu, et s’est juré de pourfendre Ulfrik et de purifier ses anciens camarades : Bertrand de la Fontaine. Ulfrik s’en est fait un ennemi mortel, mais il prend cela au jeu, et s’amuse de l’acharnement que met Bertrand à le poursuivre, en vain, car Ulfrik a toujours une longueur d’avance sur lui, et se délecte de la rage qu’il voit briller dans les yeux du chevalier à chaque nouveau village dévasté.

 

Ulfrik n’était pas affilié à Nurgle du temps de son arrivée à Castel-Graal : c’était un sorcier renégat, ambitieux, et qui souhaitait plus que tout retrouver un calice perdu, dont on disait qu’il contenait en permanence une eau miraculeuse. Il s’était donc mis en quête de « volontaires » pour l’aider à retrouver ce qui sera plus tard nommé la Pourvoyeuse : cette coupe qu’il recherchait avec avidité. Il réussit à se faire engager comme conteur auprès de Sire Énieul du Chêne, seigneur de Castel-Graal, un lieu prédestiné et au terreau fertile pour les plans du magicien. Insidieusement, et à force de contes « adaptés » et de demi-révélations, il a réussit à faire en sorte que le châtelain décide de monter une expédition pour retrouver le Calice, alors qu’il pensait chercher le Saint Graal.


C’est au moment de la découverte de la coupe, dans une grotte au delà des Montagnes du Bord du Monde, après avoir bu la première gorgé de son eau enchantée, qu’Ulfrik l’ambitieux s’est fait corrompre par son pouvoir : l’objet était une duperie du Dieu des Mouches, et son eau corrompait ceux qui la buvaient. Sur Ulfrik, déjà sensible à la corruption du chaos du fait de sa condition de sorcier, cela eut un effet dévastateur, et il n’eut guère d’autre option que lier son âme à celle du Père des Pestes. Et cela, à vrai dire, ne lui déplut pas tant les compensations étaient intéressantes. Sur le chemin du retour vers Castel-Graal, il corrompu à son tour les chevaliers uns à uns, ainsi que Grut, un ogre banni qu’ils avaient capturé pendant leur voyage.


C’est une fois Castel-Graal pervertie et déchue que la corruption d’Ulfrik se révéla au grand jour, ainsi que le dévoiement des chevaliers qui l’avaient accompagné. Aujourd’hui, ils ne sont plus que sept, plus leur ogre bête de somme, et on dit qu’ils périront tous le même jour, ou ne perdront pas : cette compagnie plait à Nurgle, et il s’arrange toujours pour insuffler une vie nouvelle et maudite à ses membres tombés afin de maintenir leur nombre à sept.

 

 

Et ensuite, je mets chaque partie en spoiler, histoire que ce soit plus pratique/moins rébarbatif :)

 

Acte I

(écrits à l'occasion du CDA La confrérie des Ténèbres)

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La Chute de Castel-Graal

Révélation

 

Castel-Graal était autrefois connu dans l’ensemble de la Bretonie pour la légende voulant que la ville soit très liée à l’histoire du Saint Graal, et ce datant des jours d’avant Gilles le Breton. En fait, Castel-Graal a été bâtie sur un lieu mystique qui aurait été le lieu de confection de l’Objet ultime des Quêtes Bretoniennes. Les âges ont passé, et la légende a perduré, faisant le jeu de certains commerçants peu honnêtes ayant fait leur beurre en vendant des souvenirs, fausses reliques, et autres bibelots pour duper les chalands.

Toujours est-il que la réputation de la ville n’en a pas pâti, bien au contraire, et il était devenu un jeu pour tout noble, nobliau, ou gentilhomme, bref, tout le monde capable de voyager, de rapporter chez lui une des fausses reliques de Castel-Graal.

Les châtelains, bien que réfractaires à ce qu’ils considéraient comme une insanité, ne firent rien pour enrayer ce commerce douteux : il fallait bien pouvoir acheter les armes et armures de leurs troupes, et, surtout, financer certaines expéditions coûteuses montées en vue de ramener le Graal en son prétendu lieu de conception : pour une si noble affaire, quelques entorses pouvaient bien être tolérées.
C’est dans ce climat cédant, lentement mais sûrement, à toutes les dérives et saintes magouilles, que vint un étranger vagabond, du nom d’Ulfrik. Il prétendait avoir tellement voyagé qu’il ne connaissait plus son lieu de naissance, mais qu’il était bon conteur, et saurait égayer les veillées du château en narrant ses innombrables aventures. Et bon conteur il était assurément, ses histoires et ses aventures faisant tant d’émules que « Le Jour d’Ulfrik » fut instauré au château de Castel-Graal : toutes les activités étaient suspendues, et le conteur prenait place dans le Grand Hall pour que tous puissent entendre une nouvelle histoire merveilleuse.

Insidieusement, Ulfrik vint à suggérer, par non-dits et demi-révélations, qu’il avait eu vent d’une grotte, à l’est des Montagnes du Bord du Monde, où pourrait se trouver le Saint Graal. Cela finit par intéresser fortement Sire Énieul du Chêne, le châtelain-régent de la ville, et les deux hommes en vinrent à passer de plus en plus de temps ensemble, et on voyait souvent Ulfrik susurrer avec un air entendu à l’oreille de Sire Énieul, qui hochait la tête, le regard perdu dans le vague.

L’état de la ville ne faisait qu’empirer, les commerçants encouragés à faire monter la ferveur adoratrice, écouler toujours plus de verroteries sans ennuis en échange d’un bon pourcentage de leurs recettes. Ils aidèrent également à colporter ragots, rumeurs et ouï-dire à propos du retour prochain du Saint-Graal, enfin localisé, à Castel-Graal. Au château, on s’activait comme dans une ruche, et bientôt, le départ fut annoncé, de la Dernière Quête du Graal, menée par Sire Énieul du Chêne, une trentaine de ses meilleurs chevaliers, et, au grand dam de tous, d’Ulfrik. Le conteur allait leur manquer, pour sûr, mais sa présence était indispensable à la réussite de l’expédition.

 

Il se passa de longs mois, puis de longues années, après le départ de Sire Énieul, et son jeune Neveu, Bertrand de la Fontaine, avait pris les rênes de la ville. Pur et pieux dans son âme, digne chevalier de la nation de Gilles, il entreprit de purger la ville de la corruption, petit à petit, et les choses revinrent plus ou moins à la normale. C’est-à-dire avant l’arrivée d’Ulfrik : le commerce de saintes breloques florissant toujours, mais il était plus encouragé, et toléré dans la limite du raisonnable.

Puis une rumeur parvint, depuis les terres du Nord, d’une troupe étrange, ramenant une coupe en triomphe. On la disait Bretonienne, cette troupe, mais elle n’inspirait pas le même sentiment de noblesse et de piété un peu naïve qu’on aurait pu l’imaginer.
Quelques semaines plus tard, on entendit distinctement le clairon d’Édouard, le page d’Énieul, résonner depuis les collines avoisinant Castel-Graal.
L’expédition était de retour.

Ils semblaient en assez pitoyable état, et ils étaient accompagnés d’une créature massive qui inquiétait la plèbe. On prétendait que c’était un ogre, mais personne n’en ayant jamais vu, nul ne pouvait l’affirmer. Les héros furent malgré tout bien accueillis, car ils ramenaient en effet une fort belle coupe, qui s’il n’avait put encore être attesté qu’il s’agissait bien du Saint Graal, valaient de toute façon la peine d’être parti si longtemps : quelques lapées d’une eau revigorante était toujours présente au fond pour celui qui souhaitait s’y abreuver.
La coupe fut placée dans un autel dressé en son honneur, gardé en continu, au milieu de la Grand-Place, et tout citoyen qui souhaitait s’y abreuver en avait le droit.

Des experts venus de toute la Bretonnie vinrent essayer de déterminer s’il s’agissait bien du Saint Graal, et au bout de longs mois de débats, on ne put en conclure avec certitude qu’il s’agissait bien de l’Antique Gobelet. Baptiste le Sévère, érudit adulé, proclama la phrase qui mit fin au débat : « S’il s’était bien agît du Saint Graal, nous n’aurions même pas eu besoin d’imaginer avoir besoin de l’expertiser. » Il y eut une pointe de déception, mais de courte durée, car la coupe, qui fut nommée la Pourvoyeuse, comblait la bourgade de ses bienfaits.

Tous vinrent y boire, certains avec plus d’avidité que d’autres. Tous à l’exception de Bertrand de la Fontaine, qui estimait que l’eau de sa fontaine était meilleure (fier est le Bretonnien, et Bertrand était le seul à posséder une source privée, quand le reste de la ville, Sire Énieul lui-même, devait se contenter de l’eau des puits.)

C’est sa fierté qui le sauva, puis sa piété qui le préserva. Castel-Graal plongeait à nouveau dans une crise malsaine, les habitants présentant une sorte de dépendance de plus en plus accrue à l’eau de la Pourvoyeuse. Ceux qui n’en buvait pas assez souvent étaient fréquemment pris de vertiges, et tombaient rapidement malade, à tel point qu’il y eut bientôt des files d’attente ininterrompues devant l’autel, et que les châtelains ne pouvaient y avoir suffisamment accès à leur goût.
Bertrand de la Fontaine était effaré de voir la ville dont il avait restauré la salubrité tomber à nouveau dans une crise profonde. Il faisait tout son possible pour éviter que cela empire, mais même ses discussions avec Énieul et ses plus proches chevaliers n’y changeaient rien. En fait, il se rendit compte rapidement que le suzerain du château et ceux qui l’avaient accompagné dans sa quête, à l’exception d’Ulfrik, étaient les plus atteints. Ce qui lui sembla logique : ils avaient dû s’abreuver abondamment à la coupe sur leur chemin de retour. Ses altercations avec son oncle furent de plus en plus fréquentes, et de plus en plus violentes, à un tel point qu’un jour, Ulfrik réussit à faire bannir Bertrand de la Fontaine de Castel-Graal. Jurant comme un des charretiers qui composaient la plèbe de la ville, il quitta la forteresse en vitupérant comme un forcené. Quand il passa près de l’autel en traversant les faubourgs, il tenta de détruire la coupe maudite, mais fut arrêté, et jeté dans un fossé à l’extérieur de la ville.

La déchéance se poursuivit, et les bagarres générales se multipliaient près de la Pourvoyeuse, les chevaliers n’hésitant pas à tirer le fer contre les paysans qu’ils avaient juré de défendre. Vint un jour où les chevaliers ayant participé à la quête clamèrent la coupe comme leur, et décidèrent qu’elle siègerait désormais avec eux, au château. Ils sortirent donc tous en armes, et récupérèrent la Pourvoyeuse au milieu de la cohue et des agressions des citoyens. Ils furent quelques-uns à périr, piétinés, lapidés par la foule, mais la Pourvoyeuse, au bout de deux heures d’efforts acharnés de part et d’autre, fut mise à l’abri des épais murs, et le pont-levis remonté. Le château de Castel-Graal était assiégé par sa propre populace.
Mais cela fut de très courte durée. Au bout d’une semaine de manque et de souffrance, les premiers villageois, privés de l’eau de la Pourvoyeuse, moururent. Occupés à assiéger le château et obnubilés par l’idée mettre la main sur la coupe, les habitants de Castel-Graal ne s’étaient pas préoccupés de manger, ni de leurs récoltes, de leurs cultures, ou de leur bétail. Ils se jetèrent sur ces cadavres et s’empiffrèrent de leur chair. Énieul et ses suivants regardaient la scène depuis les meurtrières hautes perchées de leur refuge, et dans des discours grandiloquents, répudiaient ces êtres qu’ils traitaient d’animaux.

Au bout d’un mois, il n’y eut plus âme qui vive à l’extérieur du château. Bertrand de la Fontaine qui été resté à proximité, pleurant de tristesse et de rage la déchéance de sa cité adorée, osa enfin repasser les portes de la ville. Il se présenta au château, somma ses propriétaires de lui ouvrir. Il n’eut pas de réponse, et en fin de matinée, décida d’enfoncer la porte. Quelle bataille que ce fut ! Il n’eut pas d’autre adversaire qu’un panneau de chêne épais, mais son acharnement et son endurance étaient dignes des anales. À coups d’épée titanesques, il parvint à ouvrir une brèche dans l’épais portail, et au bout d’un après-midi de bûcheronne forcé, réussit enfin à se faufiler à l’intérieur du hall d’entrée, à travers la porte défoncée. En guise de précaution, il débloqua les lourds verrous et ouvrit grand les battants.

Le château semblait vide de tout occupant, et les pas de Bertrand résonnaient de façon glauque dans les corridors, plongeant chaque instant un peu plus le fier chevalier dans une humeur angoissée. C’est dans la salle du trône, tout près des appartements privés de Sire Énieul que s’acheva son cheminement. Tous les habitants du château qu’il n’avait pas vu jusqu’alors, il les y trouva… la plupart rongés, en tas. Face à lui, alignés sur une longue table, Ulfrik debout au centre avec Énieul à sa droite, les dix autres chevaliers survivants de l’expédition ainsi que l’ogre qu’ils avaient ramené les entourant. Cette scène valut un haut-le-cœur à Bertrand, qui eut vomi jusqu’à la bile s’il n’avait été un chevalier éprouvé.
La salle du trône était une allégorie de la déchéance, l’air vrombissait et bourdonnait, comme si un million de mouches s’affairaient près des cadavres, dont certains étaient suspendus écorchés et à moitié dépecés comme des cochons à l’étal. Des traces de déjections humaines maculaient tout un coin de la salle, empuantissant un peu plus encore l’air vicié et saturé.

Et au milieu de ce charnier, cette scène atroce : les douze compères aux côtés de leur noir prophète, en train de manger d’innommables mets, qui s’étaient soudain figés à l’entrée de Bertrand. La coupe de la discorde, cette Pourvoyeuse infernale, trônait devant Ulfrik, qui sourit à Bertrand.
« Enfin tu nous rejoins, Sire de la Fontaine… Nous t’attendions » lui lança-t-il d’un air goguenard.
Bertrand ne répondit pas : il ne souhaitait pas adresser la parole à cet oiseau de malheur, qui semblait jouir du spectacle et de la dépravation qu’il avait insidieusement réussi à amener jusqu’à Castel-Graal. Il tira de sa besace une petite coupe en argent, d’une facture propre et simple, puis attrapa une outre de sa précieuse eau de source. En versant dans un gobelet, il la but d’un trait, comme pour se redonner du courage, et réaffirmer que son nom, Sire de la Fontaine, était encore intact et intouché par la corruption.

Il versa une seconde fois de l’eau dans sa coupe, et, faisant un pas vers Énieul, lui tendit en prononçant ces mots : « Mon oncle, ma foi et ma piété me portent à croire qu’en tout un chacun réside une étincelle d’espoir. Bien que cela m’en coûte, en ma qualité de chevalier, je me dois de vous proposer un acte de rédemption : buvez cette eau limpide, et revenez à la raison. Ce château n’est plus, vos terres ne sont plus. Vous fûtes jadis un noble en quête du Graal. Reprenez cette quête jusqu’à la mort ou à son aboutissement. Cela seul me semble à même de racheter vos péchés. »
Un silence encore plus pesant se fit, et Énieul, titubant, le regard lourd, se leva, puis après avoir jeté un regard à Ulfrik, se laissa retomber sur sa chaise. Ainsi affalé, il répondit « non» d’un souffle.

Bertrand se mit en devoir de proposer de même à chacun des chevaliers attablés. Deux d’entre eux acceptèrent, l’un par moquerie, l’autre peut-être dans un éclair de lucidité et de repentir, mais sans grand espoir. Ils se nommaient Galvis et Roland. Après avoir bu leur coupe, dont ils avaient souillé les bords tellement ils étaient incrustés de crasse et d’immondices, ils restèrent debout, tandis que les autres ne daignèrent pas se lever du tout. Enfin, Bertrand se tint devant Ulfrik, et, bien que réticent, lui adressa ces mots :

« À toi, Ulfrik, de t’abreuver à ma coupe je ne te propose point. Tu as la tienne, et elle semble te convenir à ravir. Honni sois-tu qui a corrompu cette place, jadis haut lieu de notre nation. Je fais ici vœu de te pourfendre, aujourd’hui ou dans dix ans, et je n’aurai de cesse de te traquer si tu parviens à t’échapper. »

 

Ulfrik se dressa de toute sa hauteur, et malgré son apparence qui n’avait pas changé depuis l’époque où il était conteur au château, sa voix, elle, semblait avoir pris des années. Crachant une glaire au sol, et se raclant la gorge, il regarda Bertrand dans les yeux, et d’une voix rocailleuse, tremblotante, mais assurée, lui répondit ainsi : « À toi, Bertrand de la Fontaine, je te le propose encore une fois : t’abreuveras-tu à ma coupe ? À te voir ici, je sais déjà que la réponse est non, mais ma foi et ma piété m’en dictait la nécessité. De rester ici ainsi assis je commençais à me lasser, et c’est avec joie que j’accepte de jouer avec toi. De mes bienfaits et de ceux de ma coupe, je vais couvrir l’ensemble de ton cher pays. Toujours à ma poursuite tu seras, et toujours en retard tu arriveras. Tu me frapperas une joue de ta lame, et je tendrai l’autre, car de mes plaies une infinité de vies nouvelles s’écouleront. »

Après quoi il eut un rire gras, et poursuivit : « C’est une partie à mort, jeune Bertrand, et elle commence maintenant. » Il ouvrit une besace, et d’elle un million de mouches, celles que le chevalier avait cru entendre sans les voir, s’envolèrent, tourbillonnèrent autour du groupe, à l’exception de Galvis et Roland qu’elles semblaient fuir. Peu à peu, les chevaliers attablés semblèrent se dissiper, et Bertrand comprit qu’Ulfrik venait d’essayer de s’enfuir. Il se jeta sur eux, l’épée au clair, et en pourfendit un sur-le-champ. Il reconnut là Gilbert, son demi-frère de dix ans plus âgé. En découvrant son visage, il eut un instant d’hésitation, puis se rua vers Ulfrik et Énieul. Le temps qu’il arrive, ceux-ci avaient déjà disparu, et de rage, il décapita leur voisin de gauche. Du coin de l’œil, il aperçut Galvis à genoux, implorant les mouches de le prendre, essayant de les attraper, mais les insectes abjects continuaient de le fuir. Roland, par contre, s’il ne semblait pas différent du moment où Bertrand était entré dans la salle du trône, avait tiré son épée lui aussi, et, avec grand-peine, comme s’il luttait en proie à un conflit intérieur, réussit à abattre un des chevaliers renégat. La silhouette à moitié évanescente se rematerialisa sur-le-champ, une plaie béante à l’abdomen. C’était le Vieux Gildas, le doyen de Castel-Graal. En le voyant ainsi répandu au sol, Bertrand versa une larme. Même lui, pourtant réputé pour sa foi et sa sagesse, avait été corrompu par ce mage maudit. Comment avaient-ils pu en arriver là ? S’il avait pris part à l’expédition, aurait-il été aussi, lui, Bertrand de la Fontaine, condamné à un tel destin ?

 

Si ce n’étaient les gémissements de Galvis, la salle était redevenue silencieuse, bien que toujours aussi insoutenable au regard et à l’odeur. Bertrand se tourna vers Roland, qui, abattu et à genoux, lui déclara « Merci, Bertrand. Je suis condamné et je ne passerai plus les portes de ce château ; mais au moins, je partirai l’esprit sain rejoindre Gilles et la Dame. Au fond, ton eau était plus miraculeuse que celle de la Pourvoyeuse, mais il a fallut grand malheur pour qu’elle se révèle. Mon esprit comme mon corps étaient empoisonnés… je te suis redevable, mais ne pourrai jamais te payer ma dette. S’il te plaît, si j’en suis digne, accorde-moi une mort de chevalier. »
Bertrand, amer, accorda une mort digne à Roland, et lui dressa un bûcher sur la table qui avait servi de banquet. Il nota qu’Ulfrik avait emmené la Pourvoyeuse avec lui.

Il décapita sans remords Galvis, qui n’avait pas renié sa corruption malgré avoir bu de son eau. Bertrand se dit qu’au fond, elle n’avait probablement rien de magique, mais la proposition qu’il leur avait faite de son eau avait touché Roland, qui, bercé par l’illusion d’une rédemption, avait laissé céder la dernière barrière qui le retenait auprès d’Ulfrik et Énieul. Roland avait toujours été un des plus pieux de Castel-Graal. Cela l’avait probablement immunisé à la corruption absolue dont avaient été victimes les autres.

Bertrand mis feu au bûcher, et regarda brûler ce qui lui était cher. Le brasier enfla et commença à s’étendre au reste de la salle, emportant le trône, les carcasses, et ce qui fut jadis un haut lieu de Bretonnie. Bertrand sortit de la salle que le feu purifiait, trouva la sortie du château, puis de la ville-charnier.

« Ulfrik… » pensa-t-il « me voici. »

 

 

 

 

 

 

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Sire Énieul du Chêne

Révélation

 

Sire Énieul est celui qui a été le plus brutalement touché par la corruption du Calice : en effet, son esprit s’était peu à peu affaibli sous l’emprise d’Ulfrik tout au long du voyage. Ses ritournelles magiques avaient laissé une seule ritournelle dans la tête du Seigneur du Chêne : « Je suis Messire Énieul du Chêne, et je cherche le Saint Graal au nom du Roi et de la Dame. » On pourrait estimer là que chacun des chevaliers du Royaume pense de la sorte, mais lorsque cela obnubile toute forme de raisonnement, et annihile la capacité de jugement, on n'imagine que difficilement ce qu’il en est vraiment.

 

Car si cet esprit réduit à son plus simple appareil faisait bonne figure en tant que chevalier de Bretonnie, c’est après sa corruption que le désastre s’est étalé au grand jour. Lorsque son esprit commença à se métamorphoser et à se pervertir après avoir bu l’eau du Calice, il conserva cette pensée, et celle-ci se superposa aux volontés du Père des Pestes au lieu d’être dispersée. Tant est si bien qu’aujourd’hui encore il se croit à la fois au service de la Dame et du Pourri. Des Lépreux Chevaliers, c’est celui qui est en un sens le plus pathétique, car il est déchiré par ses deux objectifs, servir la Dame, et son nouveau maître. Ainsi, il a pris soin de s’offrir de nouvelles armoiries, dans le style traditionnel des autres chevaliers du Roi Louen, mais ornées du symbole de la mouche, tandis qu’il continue de se faire appeler Sire Énieul du Chêne.

 

Là où ses camarades semblent être ce qu’ils sont : des anciens chevaliers dont l’allure trahit le fait qu’ils ont renié la Dame, Sire Énieul est une parodie de chevalier : il ne semble pas avoir conscience de son dévoiement et de sa décrépitude, et se conduit comme tel : c’est le seul qui entretient encore de temps en temps son équipement, essayant de faire briller le métal sous la rouille, et rinçant à l’eau presque claire la boue immonde des tissus.

 

 

 

 

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Le Paladin Brun

Révélation

 

La Maison Brune, dont il est issu, est née il y a quelques centaines d’années. C’est un paysan anobli et fait chevalier par le roi en place à l’époque, pour un acte de haut courage tel qu’il fit rougir de jalousie les nobles de la cour.

Ce paysan se nommait Gildas Cochonnailles, car il était éleveur de cochons, et était réputé dans toute sa bourgade pour ses grillades de cochon vendues aux chalands depuis la fenêtre de sa cuisine.
Gildas cochonnailles n’oublia jamais vraiment ses origines, et lorsque le roi lui demanda de se choisir un nom (car tout courageux que fut le paysan, il ne seyait pas que quelqu’un de la cour s’appelle « Cochonnailles »), Gildas décida d’endosser celui de Messire leBrun, qui était le sobriquet que les nobles jaloux et pédants lui avaient attribué. Il était tout aussi fier d’avoir été chevalier que d’être issu de la fange de Bretonnie, et ce nom de Messire leBrun lui convenait parfaitement. D’autant plus qu’il moucha par la même occasion les moqueurs qui l’avaient surnommé ainsi, pour son plus grand plaisir.
Les générations passèrent, et leBrun évolua en Maison Brune. Les descendants de Gildas Cochonnailles, élevés à la cour, et dans la mentalité de celle-ci, eurent bien vite honte que leur ancêtre fût un garde-cochons plutôt qu’un preux pourfendeur de dragons. Ils firent donc leur possible pour faire disparaître cet héritage qui ne leur seyait point, mais vains furent leurs efforts, car la légende de la Maison Brune s’était répandue dans l’ensemble des strates sociales de Bretonnie : vecteur d’espoir pour les villageois, et de sourire entendu pour les chevaliers en titre.

Depuis son ordonnance de chevalerie, celui qu’on nomme le Paladin Brun a toujours été un original, et n’a cessé de se distinguer de ses confrères d’arme. Ayant une sainte horreur de ce nom qui puait, selon lui, la fange et le lisier, il avait pris le partit d’arborer une tenue bariolée digne d’un bouffon, assemblage de losanges multicolores, afin que l’on se souvienne de lui ainsi plutôt que par son nom de « Brun. » Aux moqueurs qui le charriaient, il répondait que le brun n’était que le mélange de toutes les teintes… bien souvent sans succès, car cela les faisait rire de plus belle. Le Paladin Brun s’était donc toujours senti rejeté, et c’est avec joie qu’il accueillit l’amour de Grand-Père lorsqu’il but au Calice. Il s’est dévoué corps et âme à son service, puisque celui-ci le récompensait bien plus que ses années d’esclave de la Dame.

Sa dévotion lui valut rapidement de se faire élevé au panthéon des Portepestes, et il continue de servir permis la troupe de Lépreux Chevaliers, prêchant la bonne parole aux infidèles.

 

 

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La Pourvoyeuse

Révélation

Le Calice tristement connu en Bretonnie sous le nom de la Pourvoyeuse fit son apparition, dans le bourg de Castel-Graal. Il avait été ramené d’une expédition, par Sire Énieul et sa suite. Après une période d’effervescence, on avait fini par conclure qu’il ne s’agissait pas du Saint Graal, malgré le pouvoir merveilleux de cette coupe. L’histoire fit par la suite de cet artéfact une allégorie du démon de l’ambition.
Le Calice fut conçu et ciselé dans un hospice de l’Empire, et à l’origine, il devait contenir une eau qui apportait vitalité à ceux qui la buvaient. Le résultat avait été impressionnant, et l’hospice fut renommé pour sa capacité à revigorer malades et personnes en mauvaise santé. Il ne prétendait pas soigner tous les maux, car certaines maladies étaient incurables, même pour le calice. De même, on ne voyait que très peu de blessures guéries dans cet hospice : leur chirurgien n’était pas fameux. Somme toute, ils avaient joué la carte des petits maux de l’existence, et cela leur avait réussi.
Mais vint un jour où la région fut assaillie par des hardes de créatures mi-homme, mi-bête. Elles souillaient tout sur leur passage, et les malades venaient plus nombreux à l’hospice se faire soigner. L’hospice lui-même finit par être assiégé, et nul n’en réchappa. Le gobelet providentiel tomba aux mains de la harde, et leur chamane, à force de tentatives pour « améliorer » cette eau, finit par corrompre l’objet. La puissance de la ruine à qui la harde avait fait allégeance vit dans le Calice un moyen de répandre son amour de la vie dans des régions hors de son emprise.
Le Calice corrompu fut confié à un de ses ermites dévoués, qui eut pour tâche de le dissimuler, et de l’enrober de mystère. Cet ermite prit un grand plaisir à cette mission, et inventa de toutes pièces la légende des Calices d’Abondance. Il distribua çà et là indices et « preuves » de leur existence, avec une science impressionnante. La légende prit rapidement place parmi les plus anciennes, et les plus confidentielles : celles dont on ne parle qu’entre connaisseurs avertis.
L’histoire voulut qu’un autre ermite vagabond se prisse de passion, bien des siècles plus tard, pour ces Calices, et qu’il y dédia sa vie. L’histoire voulut que cet ermite prît un certain Ulfrik sous son aile, et que cet Ulfrik mît la main sur le calice.
La Pourvoyeuse, fut-il nommé, car en effet, il donnait vigueur, vitalité et énergie à tous les vivants qu’il comblait de ses dons, qu’il fasse partie du règne animal ou végétal. Mais au-delà de cette simple vitalité, la coupe agissait comme une drogue, et quiconque en avait bu n’acceptait plus aucune autre nourriture que cette eau claire. Privé de cette manne, son corps dépérissait rapidement, et se décomposait en des millions d’autres petits organismes : bactéries, vers, insectes… la matière organique du corps était redistribuée avec générosité a des millions de formes de vie nouvelles.
Ainsi était la
Pourvoyeuse : à ses émissaires elle apportait une vigueur sans pareil, afin qu’ils puissent répandre son eau de part le monde, et elle sacrifiait ses victimes pour le bien du plus grand nombre de vies. Et même dans la défection, un de ses émissaires aurait son utilité, puisque privé de cette eau, il se transformerait à son tour en des millions d’autres vies, poursuivant ainsi la tâche confiée au calice.

 

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Edmond LeBon

Révélation

 

Edmond LeBon était un fanfaron,
Qui portait pourtant bien son nom.
Edmond LeBon était un fanfaron,
Qui comblait son entourage de ses dons.

 

Jamais il n’avait refusé,
Son aide dans sa bonté.
Et quand Grand-Père l’a supplié
C’est avec joie qu’il l’a exaucé.

 

Mais Grand-Père fut fourbe,
Et lui dressa un portrait courbe
De la tâche pleine de bourbe
Qu’il devait accomplir dans la tourbe.

 

Il y tua son frère d’arme,
Et assista, spectateur, au drame.
Puis s’ébaudit sans larme,
Quand des vies naissantes perçut le charme.

 

Puis des millions de bactéries,
Des mouches la féérie,
Et des cloportes la confrérie,
Renaquit, son frère, guéri.

 

Il se leva, indemne, mais troublé,
Et dans son euphorie, Edmond exalté,
Le traversa de sa lame souillée.
Miracle fut renouvelé.

 

Dès ce jour Edmond se dévoua
Au service de ce nouveau Grand-Papa,
Qui l’avait accueilli sans fracas,
Et avec une gentillesse pleine d’éclat.

 

Il continua son action de bien,
Et libéra bactéries sous la pluie,
Et libéra bactéries sur millepertuis.
Inondant de fluides les belles-de-nuit.

 

Puis il rencontra Bzut,
Et sous ses sourcils hirsutes,
Un nouvel éclat apparut la minute.
Il l’adopta par amour, sans but.

 

Il l’éleva comme le fils,
Prêt pour lui à tout sacrifice,
Car jamais il ne trouva en son édifice
Femme qui lui fit enfant sans malice.

 

Edmond lui offre souvent des lys,
Que Bzut, plein de délices,
Recouvre d’immondices,
Avant qu’ils n’aillent boire ensemble au calice.
Edmond lui offre souvent des lys,
Avant qu’ils n’aillent boire ensemble au calice.

 

 

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Le Sans Nom

Révélation

Lorsque l’expédition quitta Castel-Graal, un grand nombre d’écuyers, serviteurs et autres assistants l’accompagna. Parmi eux se trouvait un jeune homme assez efféminé, aux longs cheveux blonds, mais doté d’une malformation de la mâchoire qui l’empêchait de parler. Il n’avait jamais connu ses parents, et avait été recueilli puis élevé par l’hospice de la bourgade. Personne, parmi les chevaliers ou les autres suivants, ne le connaissait, et personne, d’ailleurs, ne lui avait adressé la parole. Il y était habitué, cela faisait des années qu’il passait son temps à faire les corvées de l’hospice dans le silence et l’indifférence. Il avait sauté sur l’occasion de l’expédition pour quitter cette ville qui l’avait vu naître, et battre le pays en relative sécurité.
Lorsque les ogres surprirent l’expédition dans les montagnes par leur agression nocturne, il était parti soulager sa vessie un peu à l’écart. Il avait donc échappé au massacre, mais terrorisé, il avait tenté de fuir et s’était brisé une cheville. Muet, il avait été incapable de répondre aux chevaliers qui essayaient de retrouver des survivants, et avait donc été abandonné à leur insu.
Il clopina puis rampa en s’écorchant genoux et poignets jusqu’au lieu du carnage, et réussit à survivre en mangeant les cadavres qu’il disputait aux corbeaux. Le matériel ne manquait pas, et il s’était tant bien que mal installé une cabane dans un recoin, continuellement cerclée de feux de camp pour éloigner les prédateurs. Même en plein jour, au milieu de ce charnier où loups, renards et vautours se repaissaient paisiblement, il était terrifié.
Lorsque le reste de l’expédition s’en revint à Castel-Graal, ils prirent le même chemin, et naturellement, retrouvèrent le jeune homme. Peu de jours s’étaient écoulés, mais il était en pitoyable état. Ils lui offrirent de l’eau de leur coupe par charité, puis crièrent au miracle quand il réussit à se mettre debout et à boitiller, sans douleur, sa cheville réparée par l’eau de la
Pourvoyeuse.
Il se lia à leur service, réussissant à leur faire comprendre qu’il serait leur écuyer, mais il ne put leur donner son nom : il n’avait jamais appris à écrire non plus.
Par jeu, sans méchanceté, Gérald du Bois Joli le surnomma le Sans Nom, ce qui fit bien sourire le nouvel écuyer. Au bout de deux jours seulement, ils avaient adopté ce surnom, et le jeune homme, heureux de faire partie d’un groupe en tant qu’individu, les suivit gaiement.

 

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Édouard de la Dent

Révélation

Édouard de la Dent, de son vrai nom Édouard Theodoric de Gisoreux, fut surnommé ainsi lorsqu’il revint, infructueux, de sa première quête du Graal. Victime de coups du sort et de malchance qui avaient laissé place à un découragement total, il avait échoué, et était rentré, penaud, à Gisoreux. Affamé, dépité et sombrant en dépression, il s’était empiffré et noyé son chagrin dans la nourriture. Rapidement, il acquit le statut peu glorieux de plus gros chevalier du royaume. On le surnomma donc « de la Dent », en référence à son solide et intarissable appétit. Obèse, il ne montait plus que rarement à cheval, et son titre de chevalier était devenu honorifique plus qu’autre chose, ce qui lui valait bien des moqueries au château. Il finit par ne plus supporter cette situation, et se décida à se prendre en mains. Il sella son destrier Rossinante, et à l’aide d’un marchepied, de ses écuyers, et de ceux des stalles voisines, si hissa avec difficulté sur son dos. Il avait préparé un départ théâtral et épique, mais il fut plutôt pathétique, car quand il voulut s’élancer au galop, Rossinante eut du mal ne serait-ce qu’à avancer au pas. L’histoire fait encore jaser aujourd’hui, et on tient pour ses meilleurs conteurs les écuyers qui avaient assisté à la scène.
La seconde quête du Graal d’Édouard Theodoric de Gisoreux fut encore une fois un échec. Il fut forcé de faire une pause toutes les heures pour soulager sa monture de son poids, et il s’essoufflait à chaque fois qu’il tirait sa lame au clair pour se donner courage et consistance.
Abattu et malheureux, il eut honte de rentrer à Gisoreux une semaine seulement après son départ. Il décida de se rendre plutôt à Castel-Graal, où il demeurait inconnu. En chemin, il inventa une histoire justifiant de son poids, et réussit à passer pour quelqu’un de tout à fait valable auprès de Sire Énieul, qui fit de lui un membre de son conseil après quelques mois seulement. Car il faut malgré tout reconnaître cela à Édouard de la Dent : s’il était mauvais en actes, il était de bon conseil.
Il se reprit en mains, et se mit progressivement à l’exercice. Il perdit du poids, et encouragé par ses progrès, passait le temps libre que lui laissait le Haut Conseil de Castel-Graal à la pratique des armes et à l’exercice physique. Il était encore bien plus volumineux que tous les autres chevaliers de la bourgade, ainsi que ceux de passage, mais sa volonté lui permettait de les égaler sans problème aux armes. Sa déchéance était derrière, et l’avenir lui semblait bien plus radieux.
Lorsque Énieul et Ulfrik lancèrent leur propre quête du Graal, Messire Édouard les supplia de le prendre avec eux, afin qu’il puisse achever par la même occasion sa propre quête, et mettre une bonne fois pour toutes ses échecs derrière lui.
Mais le sort voulu qu’il survécut au périple, et bu au calice avec ses camarades. Il eut rapidement conscience que quelque chose n’allait pas, et fut même le premier à détecter la corruption d’un des Quatre. Il était malheureusement déjà trop tard, et il se rendit compte avec horreur que des temps qu’il pensait révolus allaient se répéter pour lui : ceux de la déchéance. Son esprit sourit amèrement de l’ironie de la situation, et, désespéré, sombra dans une folie paranoïaque et démente d’où plus personne ne le tirerait jamais. Il redevint obèse, et refuse désormais de se déplacer autrement que monté sur destrier. Ses montures ne supportent que rarement longtemps le traitement, et il est forcé d’en changer régulièrement. Après un dernier pas qui lui brise les rotules et fait s’affaler au sol Édouard et ce qu’il reste de la pauvre bête, elle meurt, et le chevalier déchu se met en quête d’une nouvelle Rossinante pour la remplacer.

 

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Grut Le Pansu

Révélation

 

Ils partirent de Castel-Graal à trente chevaliers et leurs pages, accompagnés d’Ulfrik, et d’une vingtaine de suivants auxiliaires. Des quatre-vingts qui partirent sous les vivats de faubourgs, ils n’étaient plus que vingt-sept, dont des douzaines de chevaliers adoubés. Seul à pouvoir reconnaître l’emplacement de la grotte qu’ils recherchaient, Ulfrik avait été surprotégé par l’ensemble de la troupe, mais Énieul avait la désagréable impression qu’il n’aurait pas eu besoin de leur aide pour survivre.
Le voyage s’était passablement bien déroulé, et jusqu’à l’avant-veille, ils étaient encore pratiquement tous au complet : deux suivants s’étaient arrêtés et avaient renié leurs serments dans une bourgade impériale, l’un ayant eu une opportunité juteuse, tandis que l’autre s’était entiché d’une prostituée rencontrée dans une maison close. Sire Énieul renifla de mépris en repensant à ces deux défections.
Puis, il y a deux jours, ils s’étaient arrêtés pour le bivouac nocturne. Ulfrik, qui jusque là avait réussi à leur faire éviter la plupart des ennuis, semblait inquiet, mais aucune menace conséquente n’avait été détectée, à l’exception d’une meute de loups rôdant près de leurs réserves de nourriture. Les fauves, même s’ils semblaient énormes par rapport aux loups qu’ils chassaient dans les collines Bretonniennes, avaient été mis rapidement en fuite avec des torches.
C’est en plein milieu de la nuit qu’un troupeau d’animaux humanoïdes massifs avait déboulé en beuglant dans le campement, semant la panique en quelques instants. Ils n’étaient guère plus d’une douzaine, mais en cumulant leur force impressionnante, l’effet de surprise, et la couardise des pages et suivants, ils avaient perpétré un véritable massacre. Se reprenant peu à peu, les chevaliers tirés de leur sommeil rééquilibrèrent difficilement la situation, obligés de se battre à pied — à pied ! — car beaucoup des montures avaient déjà été tuées, s’étaient enfuies ou bien gisaient avec un cuissot en moins.
Ils ne durent leur salut qu’à une rixe qui éclata entre deux des créatures : toutes deux avaient voulu s’approprier le même malheureux page en guise d’amuse-gueule, et se criaient à tue-tête, leurs faces grossières et brouillonnes à quelques centimètres l’une de l’autre. Le jeune garçon, sujet de la querelle, gisait à leurs pieds, hurlant lui aussi à tue-tête, recroquevillé, et paralysé par la panique.
Le boucan attira une autre des créatures, puis une seconde, et lorsqu’un poing massif jaillit pour décrocher la mâchoire d’un troisième, tous se mirent à frapper et à mordre à tort et à travers.
Profitant de cet évènement bienvenu, les chevaliers réussirent à s’organiser et à abattre les autres créatures avant de se tourner vers la bagarre qui faisait toujours rage entre les deux antagonistes du début. Du page, il ne restait plus qu’une bouille infâme, mais les deux monstres semblaient même avoir oublié ce qui les avait montés l’un contre l’autre.
Sire Énieul et les siens encore debout les encerclèrent, mais aucun des deux ne semblait s’en préoccuper, jusqu’à ce que le plus grand des deux finisse par ouvrir proprement l’abdomen gras de l’autre. Fou de douleur, celui-ci sauta à sa gorge en retour, et y mordit profondément avec un gargouillis répugnant.
« Les ogres… » soupira Ulfrik en arrivant derrière Énieul.
« Ainsi ce sont des ogres ? » demanda le chevalier Gérald du Bois Joli. « Je les imaginais plus grands. »
« Grands dieux non, ils sont déjà bien assez dangereux comme cela ! » grogna Ulfrik en s’approchant du survivant, qui s’était effondré a sol.
« Messire Énieul, cela vous intéresserait-il de ramener cette chose à Castel-Graal ? Cela amuserait probablement vos citoyens, et donnerait matière à histoires incroyables »

 


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Gérald du Bois Joli

Révélation

Gérald fut un de ceux qui résistèrent le mieux à la corruption. Il mit longtemps à accepter le fait qu’il ne serait plus jamais le même, et sa volonté à résister était telle que son corps réussit à éviter la plupart des contagions, et des mutations que tentait de lui accorder Grand-Père.
Ce qui le perdit fut son rêve secret de posséder un jour un pégase… et puisqu’il semblait trop dur de faire changer le cavalier, son nouveau dieu décida de muter sa monture. Un beau matin de fin d’hiver, alors que des restes de neige et de givre crissaient sous les sabots des chevaux, Gérald sentit un soubresaut dans le corps de son destrier. Inquiet, il lui flatta l’encolure, et y sentit une proéminence dure. Tout au long de la matinée, celle-ci enfla peu à peu, et lorsqu’ils firent une pause, il en profita pour retirer le caparaçon et regarder de près cet intrigant phénomène. Il s’avéra que la peau de la bête était boursoufflée et craquelée juste derrière l’omoplate. Les gerçures en nombre impressionnant suintaient de sang et de lymphe. Ne sachant pas quoi faire, Gérald, déboussolé, essaye d’appliquer un onguent, mais lorsqu’il posa ses doigts sur la zone enflée, celle-ci éclata comme une vesse de loup trop mûre. Un petit tentacule noirâtre et visqueux en jaillit, tandis que le chevalier, effrayé, reculait de quelques pas. Au bout de quelques minutes, le tentacule avait doublé de longueur et de volume, et un second, plus petit, avait jaillit juste à côté. Sur l’épaule droite du destrier s’était produite la même chose, en parfaite symétrie.
Le soir, le présent de Grand-Père se révéla enfin, et quatre ailes semblables à celles d’une mouche monstrueuse avaient poussé. La pauvre bête ne comprenait guère ce qu’il se passait, mais Gérald, lui, avait parfaitement saisi. Même si celui-ci n’était pas aussi noble qu’il l’avait rêvé, il possédait enfin son pégase.

 

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La Bibliothèque de Violecé

Révélation

 

Lorsque Ulfrik était encore un jeune homme vagabond, son plus grand regret était de ne pouvoir posséder de bibliothèque. Il adorait les bibliothèques, encore plus que les livres qu’elles contenaient. Les hauts meubles en chêne ouvragé, couverts de tomes, parchemins, compendiums et recueils en tout genre, l’odeur de la poussière qui voletait lorsqu’il tirait un volume qui n’avait probablement pas été manipulé depuis des lustres… Dans chaque ville où l’emmenaient ses pas, il se faisait un point d’honneur à passer à la bibliothèque de la bourgade. Il en avait vu un bon nombre durant ses années d’errance, et s’il reconnaissait la majesté incontestable de la Bibliothèque Impériale d’Altdorf, et la richesse de sa collection, ce n’était pas celle qui l’avait le plus ému. Non. C’était celle Violecé-la-Plaine qui avait eu cet honneur. Cette petite enclave impériale dans les terres de Bretonnie, à quelques lieues à peine de la frontière nord du Royaume de Gilles, possédait en effet, aussi improbable que cela puisse le sembler, une bibliothèque publique. La plupart des villageois étaient des illettrés éleveurs de cochons et de chèvres, et même l’élite locale, à savoir le bourgmestre et son conseil, ne comprenaient que vaguement les écriteaux… alors de là parcourir un ouvrage entier… Il n’y avait que le prêtre sigmarite local qui était réellement instruit, et, d’ailleurs, le seul qui s’intéressât à la bibliothèque que protégeait en ses murs épais le temple local. En fait, ce prêtre était même le seul à connaître ne serait-ce que l’existence de cette salle, et il regrettait de ne pouvoir y passer plus de temps : entre les offices, ses missions auprès de la population, et les bénédictions à répandre, il était fort occupé.

C’est donc avec un plaisir immense qu’il accueillit Ulfrik, lorsque celui-ci lui demanda s’il savait où était la ville possédant une bibliothèque la plus proche. Il venait de passer deux mois à chercher son chemin dans les montagnes, et il ne rêvait que de trois choses : un repas, une cheminée, et une bibliothèque. Et si possible les trois en même temps.

Son vœu fut exaucé, et sous prétexte de devoir accueillir un noble voyageur, le prêtre délaissa ses tâches pendant une journée entière, qu’ils passèrent tous deux à la bibliothèque.

Celle-ci n’était pas spécialement grande : la salle faisait environ douze mètres carrés, et deux de ses murs seulement présentaient des rayonnages. Le troisième était celui de la porte, et y était également accolée une cheminée qui semblait ne pas avoir servi depuis des mois. Le dernier mur, enfin, était orné de quatre vitraux en ogive mesurant toute la hauteur de la pièce, ainsi que d’une seconde porte, plus petite, donnant sur un minuscule cloître à l’usage exclusif aux personnes présentes dans la bibliothèque. Au milieu de la pièce, enfin, était installée une étude en chêne et acajou, qui contenait encre, plumes et parchemins vierges. Elle reposait sur un riche tapis qui aurait mérité d’être entretenu, mais que l’abandon avait rendu un peu miteux, au grand dépit du prêtre qui s’en excusa longuement en allant chercher du bois pour le feu.

Ulfrik n’écoutait pas. Il était ébahi de découvrir une bibliothèque d’un tel charme dans un trou perdu où il ne pensait qu’au mieux trouver un vendeur de rillettes pour se consoler de ses deux mois passés.

Les rayonnages étaient poussiéreux, mais pas à l’excès : on sentait bien que le sigmarite en charge des lieux essayer de maintenir ce petit trésor en état. Les meubles étaient de chêne, et chaque parcelle était décorée, gravée de petits motifs charmants. Quelques inclusions de laiton soulignaient les détails les plus importants avec sobriété.

Il s’approcha des volumes avec respect, et pencha légèrement la tête sur le côté pour lire les titres. Il en choisit un qui l’intriguait : De l’art de la culture des haricots tête-de-comète. En le retirant de sa place, de fines volutes de poussière s’élevèrent en tourbillonnant dans les airs. Ulfrik les observa avec délice : les rayons du soleil, passant au travers de vitraux, les coloraient en milliers de paillettes dorées, vertes et rouge carmin. C’était un ouvrage d’horticulture magnifique, et il se demandait qui avait bien pu dépenser une telle somme pour sa réalisation. Enluminures, dessins détaillés à la plume, plans de coupe… tout y était. Ulfrik était sûr qu’avec un tel ouvrage, même le pire aristocrate guindé de la cour de l’Empereur Franz aurait réussi à cultiver ses haricots avec succès. Il s’amusa à penser que si ce noble était particulièrement volubile, cela pourrait même devenir une mode au palais. Il le reposa avec un petit sourire aux lèvres, et consulta brièvement les autres titres. Certains lui étaient connus, d’autres l’intriguaient fortement, et enfin deux bonnes dizaines d’autres ouvrages semblaient être de la même trempe que De l’art de la culture des haricot tête-de-comète.

Enfin, quatre d’entre eux étaient exposés dans une vitrine en plein milieu d’un des deux meubles. Ils ne semblaient pas spécialement avoir de valeur, et le traitement qui leur était réservé intriguait fort le jeune homme.

 

Le clerc lui apprit que le village, l’abbaye, et sa bibliothèque avaient été bâtis par un ancien comte-électeur impérial. Fatigué des intrigues et de la politique, il avait acquis ce domaine à grands frais aux seigneurs de la Bretonnie, et avait consacré le reste de son existence au maraîchage, prenant un sain plaisir à se salir les mains pour faire pousser ses haricots, courges et fraises. Ses serviteurs qui l’avaient accompagné avaient été libérés de leurs obligations, et invités à s’installer sur ses nouvelles terres. Ils avaient fondé une petite communauté florissante et agréable, qui au fil des ans avait évolué et n’était aujourd’hui guère plus qu’un autre village de campagne. L’abbaye et sa bibliothèque — le comte électeur était un amoureux des livres — étaient les seuls vestiges de cette communauté.

Lorsque Ulfrik lui posa la question pour les quatre livres de la vitrine, le clerc lui répondit avec un petit sourire qu’il devait être patient et prouver sa valeur, pour être digne de tous les secrets de la bibliothèque.

 

Ulfrik y passa la semaine, et cela fut la plus belle de sa vie. Ses affaires qu’il avait mises de côté trop longtemps l’empêchèrent de s’y installer, bien que l’envie fut grande, mais il promit au clerc de revenir aussi souvent que possible le voir. Ils étaient devenus de bons amis, et Ulfrik tint parole, d’autant plus qu’il n’avait toujours pas eu d’indices sur les quatre ouvrages mis sous verre. Il eut par la suite coutume de passer une fois l’an, et lui tout comme le clerc attendaient cette date avec impatience.

Lors de sa troisième visite, le clerc l’autorisa enfin à ouvrir la vitrine, et avec un sourire en coin et les yeux pétillants, lui conseilla de prendre rapidement le livre qui l’intéressait le plus, et de refermer la vitrine. Sans trop comprendre, Ulfrik décida de prendre le premier à droite. Il ouvrit la vitrine, l’attrapa… et le lâcha quand celui-ci recula vers le fond de la bibliothèque. Surpris, il resta une seconde de trop à hésiter, et les quatre livres, hérissant de petites pattes arachnéennes, s’enfuirent toute jambe dans la bibliothèque, tandis que le prêtre, écroulé de rire, se tenait les côtes sur le fauteuil de l’étude en voyant l’air ahurit d’Ulfrik.

Les livres étaient vivants ! Ulfrik n’en revenait pas.

Pouffant toujours, le clerc sortit un filet à poissons dans un tiroir du bureau, et le lança à Ulfrik en lui conseillant de se dépêcher avant qu’ils ne réveillent les autres. Penaud, le vagabond bibliophile s’exécuta, et réussi tant bien que mal à remettre les livres sous verre, où ils redevinrent inertes.

Le sigmarite lui expliqua que ces quatre ouvrages étaient le clou de la collection de l’abbaye, et la raison pour laquelle cette bibliothèque était tenue secrète. Le comte électeur Violecé, qui avait bâti ce domaine, les avait rapportés d’un de ses voyages. Nul sorcier n’avait pu déterminer quelle magie les animait, tout simplement car nulle magie ne les animait. Ils étaient vivants, c’est tout. C’est le patriarche du collège d’Ambre en personne qui l’avait confirmé. Ils avaient bien entendu tenté de s’accaparer les ouvrages, mais le comte-électeur était suffisamment influent à l’époque pour réussir à en conserver la garde. Ils étaient vivants, et bien qu’ils ne possédaient pas d’esprit, et s’apparentaient à des animaux dans leur façon d’agir et de réagir, ils étaient même dotés d’un don mineur : ils avaient le pouvoir d’animer les autres livres avec lesquelles ils rentraient en contact. C’est pourquoi on les gardait ici sous verre. Ulfrik n’en revenait toujours pas.

 

Vingt-sept ans après leur première rencontre, le vieux prêtre mourut paisiblement dans son abbaye, et lorsqu’on l’enterra, personne ne remarqua la petite clé autour de son cou. Il n’y eut personne pour prendre la relève de l’abbaye dans l’immédiat, et la population ne s’en portait pas moins bien. Le bâtiment fut abandonné, et le secret de sa bibliothèque perdu pour tous, à l’exception d’Ulfrik, à qui le clerc avait offert le seul double de la clé en sa possession.

Le vagabond avait été immensément triste lorsqu’il sut que son ami était passé à Morr, mais il continua son rituel annuel. Il arrivait de nuit à l’abbaye, passait par la porte de derrière, et filait directement à la bibliothèque avec des provisions pour la semaine. Elle s’était un peu étoffée depuis la première fois qu’il l’avait vue : chaque année il offrait un nouveau volume au clerc, le plus beau qu’il avait pu acquérir. Si bien qu’ils avaient commencé la fabrication d’un nouveau meuble, dessiné spécialement pour être installé avec la cheminée en son centre.

 

Lorsque Ulfrik quitta Castel-Graal dévastée, il se rendit peu de temps après à Violecé-la-Plaine, comme il en avait l’habitude. Mais le village n’était plus. Des traces de sabots fourchus marquaient le sol partout, les maisons étaient jetées à bas et incendiées. L’abbaye avait été profanée, et la puanteur des excréments avait remplacé la senteur des vieilles pierres et des boiseries. Ulfrik se précipita vers la bibliothèque, et il fut soulagé de voir qu’elle était toujours intacte. Miraculeusement, les pilleurs n’avaient pas décelé la porte qui y menait.

Après y avoir séjourné quelque temps, il mena sa troupe vers d’autres horizons, après avoir placé des sceaux magiques détournant l’attention de cette jolie porte de chêne massif.

 

Il n’y revint pas pendant quelques années, mais après la naissance de Bzut et Gruschk, il lui vint une idée. Il retourna à l’abbaye, brisa les sceaux qu’il avait placés, et à l’aide de ses suivants et d’un zeste de sortilèges sans grande envergure, réussit à transformer la bibliothèque en un palanquin qu’il jucha sur le dos de sa monture.

Il possédait enfin sa propre bibliothèque, et il ne s’en séparerait jamais. 

Il ouvrit la vitrine.

Sa bibliothèque serait vivante.

 

 

 

 

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Sire Daniel de Valperdu

Révélation

 

Sire Daniel fut un enfant difficile à gérer pour ses nobles parents. Lorsque ses précepteurs tentaient de lui apprendre les rudiments de la culture que doit posséder un aristocrate du château, lui ne pensait qu’à s’enfuir jouer avec les bêtes et les insectes. Sauterelles, chiens, chats lui étaient meilleurs compagnons que professeurs de chant, d’armes et de verbe. Un jour il s’enfuit du château et disparut pendant une semaine entière. On le retrouva lors dune ultime battue dans les bois entourant la bourgade, et il s’avéra qu’il s’était trouvé une harde de chevreuils comme nouvelle famille.

On le ramena durement à sa vie de châtelain, et il fut depuis lors étroitement surveillé et enfermé afin que ce genre d’incidents ne survienne plus. Il se mit alors à étudier avec assiduité, un peu à contrecœur, mais motivé par les promesses de sortie en cas de progrès rapide.

 

Lorsqu’il fut adoubé, et libre de ses faits et gestes, il fonda un recueil pour animaux abandonnés, et trainait derrière lui en permanence une ribambelle de bestioles. Sa nouvelle allégeance ne changea pas grand-chose à cet état de fait, bien que peu à peu Grand-Père lui envoya de nouveaux amis dont il devait prendre soin, et c’est ainsi que Jarvis, Nestor et Alfred devinrent ses trois nurglings-écuyers, chouchoutés parmi tous les protégés du chevalier aux bêtes.

 

 

 

 

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Ulfrik

Révélation

 

Ulfrik ne savait plus où il était né. Il se souvenait d’avoir de tout temps voyagé, que ce soit avec ses parents, puis avec une troupe de cirque errant de villes en ville au sein de l’Empire. Plus tard il n’avait jamais réussi à se fixer, et était resté vagabond, tout le temps sur la route. Cette existence lui avait fait faire de nombreuses rencontres, dont celle d’un magicien renégat. Celui-ci avait perçu du potentiel chez Ulfrik, et ils s’étaient liés d’amitié. Le mage avait choisi d’en faire son disciple successeur, car sa vie avait été riche, et il ne souhaitait pas que son œuvre se perde. Il avait été jadis étudié les secrets de Ghyran au Collège de Jade, mais il n’avait jamais été en phase avec les dogmes des Collèges, son esprit ayant besoin de plus de liberté et de plus grands horizons. Il avait rendu son bâton, et suivi sa propre voie.

Il avait après de nombreuses années de recherche établi l’existence des Sept Calices d’Abondance. Chacun d’entre eux avait un pouvoir spécifique, qui permettait de soulager un des maux de l’existence physique. Il n’avait jamais pu réussir à en trouver un, mais il avait eu des indices. Tout son savoir, et son amour de la vie, il l’avait transmis à Ulfrik. Et celui-ci était reconnaissant de cette confiance, et des enseignements du mage lui ayant permis lui-même de maîtriser une fraction du Warp. Il n’était pas un surdoué, il n’avait pas des pouvoirs hors du commun, mais il avait un discernement gagné grâce à ses voyages incessants qui faisait de lui un sorcier à ne pas négliger. Car si ses pouvoirs n’étaient pas impressionnants, il savait les utiliser à bon escient, avec pragmatisme et avec inventivité.

 

C’est ainsi qu’Ulfrik se mit à son tour en quête des Calices, tant par conviction que pour poursuivre la tâche de son mentor. Toutefois, tous deux n’avaient pas eu la même éducation : malgré l’étroitesse imposée par le carcan du Collège, et qui ne lui convenait pas, son aîné avait eu un esprit éduqué à la morale et avait appris à avoir une certaine humilité. Ulfrik, quant à lui, ayant toujours été sur les routes, avait développé un pragmatisme à toute épreuve, et son paysage mental avait été orienté dans la recherche du profitable à sa propre personne. Non pas par égoïsme, mais par nécessité : il devait survivre, et dans les périodes les moins reluisantes de son existence, tout était bon pour y parvenir. Néanmoins, cela avait conduit à faire de lui quelqu’un d’assez égocentrique, et il voyait toujours autrui au spectre de l’utilité qu’il pourrait avoir à ses yeux. Ajouté à cela une bonne dose d’ambition, et un certain orgueil, et Ulfrik, tout en étant quelqu’un d’agréable et avenant, n’était jamais tout à fait sincère, et chercherai à vous utiliser à ses fins, ou vous oublierai vite.

 

Cela ne fit pas défaut à Castel-Graal. En fait, sa venue même était préméditée : il avait réussi à déterminer l’emplacement exact d’un des Calices, mais il savait qu’il ne pourrait pas l’atteindre seul. Il se rendit donc dans cette bourgade connue des légendes pour être le lieu où aurait été ciselé le Saint Graal. Il se fit bien vite accepter à la cour, car il savait conter à merveille, les embellissant en distillant grâce à des sortilèges minuscules et inoffensifs des poussées émotives chez ses auditeurs. Et le résultat était terriblement efficace pour quelque chose d’aussi simple : chacun semblait vivre les contes comme s’ils avaient été présents. Rapidement, le Jour d’Ulfrik fut instauré à la cour de Castel-Graal : à la fin de cette journée, le conteur était installé dans le Grand Hall du château, et quiconque, noble comme paysan, pouvait mettre ses activités en pause pour venir l’écouter.

Profitant de cette situation privilégiée qu’il s’était aménagée, Ulfrik commença à approcher Sire Énieul du Chêne, et à orienter mine de rien le thème de ses contes vers le Saint Graal.

Jusqu’au jour où, après avoir fini son histoire et être retourné dans son logement de fonction, Sire Énieul vint le trouver pour le questionner plus avant. Le poisson ferré, Ulfrik n’eut plus grand-chose à faire : il lui suffisait de raconter à ce châtelain crédule ce qu’il voulait entendre, et en quelques semaines, il été décidé de monter une expédition vers cette grotte dont parlait Ulfrik lors de certaines de ses veillées.

 

Tout au long du périple, Ulfrik tint lieu de conseiller à Énieul, et son emprise sur lui, égoïste, mais sans malice, se fit de plus en plus importante : Ulfrik ne voulait surtout pas que le chevalier, une fois les yeux rivés sur la coupe, lui interdise de la toucher. Il fallait à la fois gagner sa confiance, et avoir un ascendant sur lui. Ce qu’il réussit tant bien que mal. La seule vraie fourberie d’Ulfrik fut d’attirer le petit groupe d’ogres vagabonds qui allaient décimer l’équipée. Il n’avait pas prévu qu’ils seraient autant à chevaucher ensemble, et cela n’allait pas vraiment selon ses plans. Il n’avait pris aucun plaisir à cette trahison, car il répugnait à tuer… mais son ambition avait pris le pas, et, au fond, il n’avait pas vraiment tué ces gens. Au fond, s’ils avaient été plus vigilants, ils auraient aperçu les ogres de loin. N’est-ce pas ?

 

Ce fut lors de la découverte de la Pourvoyeuse qu’Ulfrik perdit la raison. Ou plutôt, que son amour de la vie, enseigné par son mentor, avait atteint un nouveau stade dans son esprit. Car les buvant l’eau du Calice, le Père des Pestes lui avait montré ces millions de vies qu’il ignorait jusqu’alors. Peu à peu, il en vint à préférer la prolifération de petites cellules de vie à la survie de grands organismes gourmands en matière organique. Il lui arrivait alors tuer, non pas par plaisir, mais dans le but de redistribuer la matière de ces corps à des millions de nouvelles petites vies.

Toutefois, une part de son esprit gardait en tête les préceptes et avertissements fondamentaux qu’il avait reçus en même temps que son éducation magique. Il avait reconnu là l’influence d’une des quatre Puissances de la Ruine, et essayait de lutter contre elle. Mais l’esprit d’Ulfrik avait été construit d’une telle façon qu’il lui était impossible de rejeter les arguments de Grand-Père, car lui-même aurait pu avoir les mêmes propos, bien qu’animé de tout autre sentiment.

 

Après la ruine de Castel-Graal, Ulfrik fut perdu à jamais, car pratiquement la totalité de son esprit avait cédé la place à cette foi nouvelle éveillée en lui avec le Calice d’Abondance. Il s’était d’ailleurs rapidement rendu compte de la duperie de ceux-ci, ou plutôt, du manque de prudence et de discernement dont son mentor et lui-même avaient pu faire preuve à leur propos. Le seul moyen qu’il avait trouvé de combattre cette folie qui s’était emparée de lui était de se raccrocher au premier élément de son ancien moi qu’il rencontra après sa défaite intérieure : Sire Bertrand de la Fontaine. Son fil d’Ariane et se némésis à la fois. En se raccrochant à ce chevalier, il gardait un souvenir de pourquoi il devait lutter contre ce qui s’était emparé de lui, mais sans rien pouvoir faire d’autre que se souvenir. En contrepartie, la majorité de sa conscience s’amusait de ce lien, et la partie d’Ulfrik voué au Père des Pestes se gaussait de la souffrance qu’il causait à la fois à Sire Bertrand en dévastant les villages humains pour les remplacer par d’innombrables formes de vie, et à la fois à son ancien-moi en faisant souffrir sa seule lueur d’espoir : ce même Sire Bertrand.

 

 

 

 

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Sire Bertrand de la Fontaine

Révélation

 

À en en croire le clocher du village qui battait la mesure, il devait être aux alentours de dix heures. Le jour s’était levé sur une brume légère, vite dissipée par les premiers rayons de soleil. Bertrand soupira de soulagement : si les cloches sonnaient, les habitants du village vivaient. Ne voyant personne dans les champs, il avait craint le pire, mais il se rappelait maintenant que l’on était le jour du Cochon, une fête populaire célébrée dans cette région du royaume… les villageois étaient probablement rassemblés quelque part pour l’évènement. Et pourtant… il n’arrivait pas à se défaire d’un mauvais pressentiment. Allons, pensa-t-il, amer, cela fait maintenant deux ans que mon esprit est pétri de mauvais pressentiments. Je devrais m’y être habitué…

Deux ans déjà qu’il avait incendié Castel-Graal pour purifier le lieu. Deux ans que sa bourgade avait été anéantie. Deux ans qu’il poursuivait inlassablement cet Ulfrik et les restes de la chevalerie castelgralloise.

 

D’une pression des hanches, il fit avancer Vaillant, son nouveau destrier. Son prédécesseur s’était métamorphosé en tas de larves immondes lors de sa dernière rencontre avec la troupe des Lépreux Chevaliers. Les sabots claquèrent contre les quelques pavés disposés à l’entrée du village pour faire bonne figure, puis le son s’atténua lorsqu’ils retrouvèrent le sol légèrement meuble de terre tassée, soulevant de petites volutes de poussière scintillant dans le soleil. Il n’entendait pas un bruit, et ses mauvaises pensées revinrent à la charge. Même le jour du Cochon, il n’était pas courant de ne voir personne dans les rues. Il se dirigea vers le clocher, en empruntant une petite ruelle agréable. Ses habitants devaient s’être mis d’accord pour améliorer leur ordinaire, puisque le sol était pavé grossièrement, et à chaque fenêtre de petites jardinières contenaient fleurs et plantes aromatiques : thym, ciboulette et menthe embaumaient l’air avec fraîcheur.

Bertrand tenta de regarder à travers les fenêtres sans vitre, mais la plupart d’entre elles avaient les volets encore clos de la nuit. Les rares ouvertes ne lui apprirent rien : elles ne lui offraient que des scènes relativement banales de la vie quotidienne. Un peu de vaisselle sale par-ci par-là, quelques fleurs des champs à demi-fanée dans un vase…

Les cloches retentirent de plus belle, et il lui sembla entendre une ovation. Se détournant des maisons mitoyennes qui formaient la ruelle, il continua son chemin. Ces cloches ne s’arrêteraient donc jamais ? Leur incessant carillon mettait mal à l’aise le paladin. Même les messes célébrant Gilles le Bretons ne présentaient pas de volées de cloches aussi persévérantes…

Il arriva enfin devant le clocher. Il était rattaché à une sorte de petite abbaye basse, mais étendue, qui flanquait une placette fort charmante. S’il était venu pour une autre raison que celle l’y ayant poussé, Bertrand aurait probablement trouvé le bourg tout à fait agréable.

 

Il descendit de sa monture et attacha Vaillant à la rambarde du petit escalier. C’était une brave bête, mais il lui arrivait un peu trop souvent de vouloir aller brouter, et il lui était déjà arrivé de le retrouver à une bonne centaine de mètres de l’endroit où il l’avait laissé. Depuis cet incident, il avait pris l’habitude de toujours l’attacher avec un licol quand il le laissait.

Pour se donner de la contenance et du courage, il vérifia que sa lance était toujours bien harnachée au caparaçon de son destrier, ôta la sûreté de sa lame au fourreau, et vérifia qu’elle coulissait bien. Depuis deux ans, il avait appris à toujours redouter le pire. Et il avait appris à avoir peur. Il avait cessé de laisser ses instincts de chevalier dicter sa conduite, et accueillait peur et angoisse avec la bienveillance de la nécessité. Il monta la volée de marche en pierres usées, et poussa les battants de la porte après avoir toqué sans réponse. Il percevait un brouhaha derrière, et se dit qu’on ne l’avait probablement pas entendu.

 

La salle était grande. Ce fut la première chose qu’il remarqua. La salle était vide, et cela était la seconde. Les villageois auraient dû se trouver ici, pourtant. Il entra dans la grande pièce voûtée, et se dirigea vers une petite porte sur un côté. Si ses souvenirs architecturaux étaient bons, cette porte menait généralement au clocher. Après l’avoir ouverte, il grimpa les cinq premières marches, souffla, puis poursuivi les trente-sept suivantes en pestant intérieurement. On n’avait pas idée de construire des escaliers avec ce nombre de marches ! Il parvint en haut, non sans difficulté, car son armure le gênait et pesait l’équivalent de son propre poids. Il avait bien vite retiré son cimier pour aspirer goulûment des bouffées d’air frais bienvenues.

C’est une fois en haut, et en regardant la cloche que son cœur se serra.

Il s’était attendu à trouver un sonneur enthousiaste. Mais le sonneur qu’il découvrit était tout autre. Il s’agissait des corps mutilés, mais encore vivants de vingt cochons, liés les uns aux autres, servant de contrepoids aux cloches, et qui les faisaient tinter avec vigueur tant ils se tortillaient et se débattaient, rendus fous de douleur, et rendus muets : leurs cordes vocales avaient probablement été tranchées. Bertrand failli vomir à la vue de ce spectacle ignoble, et s’empressa le couper les cordes. Les cochons chutèrent sur une dizaine de mètres. Au moins, pensa Bertrand, ils ne souffraient plus, maintenant.

Il avait trouvé les cochons du jour du Cochon. Et au lieu de rôtir devant un bon feu, ils avaient sonné les cloches en agonisant pendant peut-être des heures. Désillusionné, Bertrand savait à quoi s’attendre, maintenant. Il s’approcha de la petite fenêtre du clocher, celle s’ouvrant sur la cour intérieure de l’abbaye. Il y vit un charnier, et un nuage de mouches se repaissant des corps suintants. Et derrière ce carnage, adossés au mur du fond du cloître, Ulfrik et sa troupe le regardaient, narquois, tandis que leurs silhouettes devenait plus floues. Ils disparurent, transportés ailleurs par un sortilège du sorcier. Mais les mouches étaient restées, et commençaient déjà à pondre leurs millions d’œufs dans cet éden à leurs yeux. Bientôt, il y aurait des naissances à Bourg-la-Grange. Beaucoup de naissances.

 

Le cœur en peine et l’âme en lambeaux, Sire Bertrand pris son courage à deux mains, et descendit dans la cour. Il devait récupérer l’indice qu’Ulfrik lui avait laissé sur sa prochaine destination. Maudit soit-il, lui et son jeu macabre.

 

 

 

 

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Le Regard

Révélation

 

Ulfrik releva la tête vers le clocher quand il entendit un bruit sourd. Son hypersensibilité aux êtres vivants lui indiquait que les cochons étaient morts. Ce cher Bertrand devait être arrivé, enfin. Il vit un mouvement vers la fenêtre, et le chevalier apparu. Il ne portait pas son heaume, et leurs regards se croisèrent. Le visage d’Ulfrik se fendit d’un sourire narquois.

Mais au fond de lui, une petite étincelle de conscience se réveilla. C’était tout ce qu’il restait de l’Ulfrik d’avant. Ulfrik le conteur égoïste et ambitieux, mais doté d’un bon fond.

« Bertrand ! Bertrand… Je suis désolé »

 

 

 

Acte II

(écrits à l'occasion du CDA L'Ultime Avant Poste)

 

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Le Sage Berthod

Révélation

Ulfrik était embêté. Il devait impérativement se rendre à Port-Céleste pour y « emprunter » le Sage Berthod, et le ramener vivant à Violecée-la-Plaine. Il fut l’un des disciples de Frère Rémi, le vieux moine qui avait tenu jusqu’à son dernier souffle l’abbaye de Violecée. Sa bibliothèque avait tant enchanté Ulfrik dans ses années jeunes qu’il était retournée la chercher pour la hisser sur le dos de Gruschk, la monstrueuse créature lui servant de monture.

 

Le Sage Berthod fut lui aussi, dans ses années intermédiaires, un fervent adepte de l’abbaye et de la bibliothèque du Frère Rémi. Ulfrik en nourrissait une certaine jalousie de ne pas être l’unique personne ayant côtoyé et considéré comme meilleur ami le Frère Rémi, mais ce n’était pas la raison de sa visite à Berthod. Le vieux sigmarite de Violecée avait confié le seul double des clefs de la bibliothèque à Ulfrik, mais il manquait sur les rayonnages un ouvrage qui y avait tenu une place de choix. Ulfrik ne l’avait jamais vu, car Frère Rémi l’avait confié à Berthod, pour le transmettre à l’Étude Icélienne de Port-Céleste, qui à ses dires recherchait activement une copie de cet ouvrage.

Au delà du fait que ce livre manquait cruellement à sa collection issue de la bibliothèque de Violecée-la-Plaine, Ulfrik avait l’intuition que lui-même, ce livre et le Sage Berthod devaient se retrouver ensemble dans la bibliothèque de l’Abbaye. Et Ulfrik avait depuis ses années de jeunesse errante appris à vouer une confiance aveugle à ses intuitions.
Mais il y avait un hic. Il était à proximité des ruines de Violecée, qui fut ravagée il y a des années par une harde d’Hommes-Bêtes, et Port-Céleste était à des lieues de cela, au bord du Grand Océan, au sud de Bordeleaux. Il n’aimait guère l’idée de laisser les ruines à l’abandon alors qu’il lui semblait qu’elles allaient s’avérer cruciales dans les jours ou semaines à venir.


Il décida donc de faire un détour jusque là avec sa troupe, et d’y laisser quelques-uns de ses compagnons les plus lents, le temps pour lui d’aller chercher l’érudit porcelest (prononcer « porcelet » habitant de Port-Céleste, ce qui est sujet à moquerie, vous vous en doutez, dans les citées rivales.)
Dans les bois entourant Violecée-la-Plaine, Ulfrik et ses gens humèrent les effluves musquées d’abominations du Chaos. Il ne virent pas l’ombre d’une corne, mais arrivé à Violecée, Ulfrik décida de mener une purge préventive dans la harde d’Hommes-Bête toute proche. Il ignorait s’il s’agissait de la même qui avait ruiné Violecée des années auparavant ou une autre, et il n’en avait cure. Il avait eu une grande douleur et une grande peine en découvrant le paisible bourg ruiné par les rejetons mutés des puissances de la ruine, et il en nourrissait à présent une sérieuse aversion pour toutes les bêtes à cornes. Excepté les escargots. Il aimait bien les escargots.


Ulfrik n’était pas avide de démonstration de puissance, il préférait l’efficacité. Il n’avait pas assez d’hommes pour anéantir la harde. Il se débrouilla pour affaiblir aussi sournoisement que sérieusement les défenses d’un village voisin qui réussissait à résister depuis bien longtemps aux assauts peu malins de la horde. Vulnérable, le village lui fournirait une diversion alléchante pour les bêtes. Pendant leur absence et le saccage du village par les boucs puants, il s’arrangea donc pour profaner leur pierre des hardes, capturer et mutiler le chaman en lui sciant les cornes et en lui coupant la langue, et le crucifia, mort, sur les restes de leur idole. Puis Ulfrik fit égorger les femelles reproductrices restées à proximité de la Pierre. On raconte qu'humaines captives comme animales natives, elles tendirent toute leurs gorges aux lame dans un soupir humide, soulagée de leur délivrance.
Nul doute que la harde, en fondant sur le village de Boussade, avait fait un carnage, et n’avait laissé aucun survivant. Ni hommes… ni femmes. À leur retour, privés de femelles, de chaman et avec une Pierre profanée, la confusion fut totale. Il leur faudrait quelques jours de querelles intestines et de massacres en règles, ainsi que quelques duels d’autorité pour qu’un nouveau chef spirituel unique se dresse et commence à remettre — aussi incongru que puisse l’être ce mot associé à ses bêtes — de l’ordre dans sa meute. Ensuite, ils passeraient quelques semaines à restaurer l’intégrité de leur idole maudit, et à aller récolter de nouvelles femelles dans les villages humains avoisinant ou les hordes rivales, tant pour assouvir leur besoins que pour assurer la pérennité de la harde. Cela lui laisserait le temps de faire l’aller-retour pour Port-Céleste.

Satisfait d’avoir mis à l’abri les restes de Violecée-la-Plaine, et d’avoir pris une revanche suave sur ces bêtes honnies, Ulfrik se décida à partir. Il emmena avec lui toutes les femmes en âge de procréer : nutile d’offrir leurs effluves hormonales aux mufles moites des monstres immondes à la recherche de femelles à engrosser douloureusement. Il laissa ses gens les plus lents à la garde de l’abbaye et de sa bibliothèque, leur adjoignit quelques-uns de ses chevaliers les plus autonomes, et en confia la direction aux deux frères Tira’ch.


C’est ainsi qu’il s’en alla pour Port-Céleste, où un certain Sage Berthod ne s’attendait sûrement pas à sa visite, ni à l’excursion tous frais payés pour Violecée qui l’attendait.

 

 

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Simon et Jacques Trévize

Révélation

 

 Lorsque leur père les envoya au monastère de Gadestru, ce fut plus par dépit que par foi convaincue. Il en avait marre de ses deux fils ignares et indignes. Il était un commerçant prospère, armateur de trois-mats et accessoirement usurier, pour le plaisir. Et ses deux fils, ne pensant qu’à s’amuser et à lui faire honte, étaient rebelles à toute son autorité et ses promesses en cas de bonne conduite. Cela en vint à un tel point que certain de ses clients se tournèrent vers la concurrence, ses fils ayant offensé par leur incorrection certains hauts et hautes de la société de Marienburg.
    Il décida donc de faire contre bonne fortune bonne action, c’est-à-dire à ses yeux profitables, et les fit moines sigmarites. Il les confia aux bons soins d’un monastère à l’autre bout de l’Empire, et leur adjoignit les services de deux gardes du Comte que son influence et sa richesse avaient permis de recruter. Ceux-ci devaient les maintenir en vie durant le voyage, et faire preuve de foi en les accompagnant la quête monastique, tant pour veiller à ce qu’ils ne dégradent pas la vie du monastère par leur extravagance et s’accommodent celle-ci, que pour les garder en vie. Extravertis, dévergondés et malvenus, ils étaient tout de même ses deux uniques enfants, et il les aimait à sa façon.

    Étrangement, la vie et la sobriété monastique ne leur paru pas problématique. Ils la supportaient et pratiquaient la prière, le labeur et le chant sans broncher. Mais ils mirent au point un petit jeu, parallèle à cette vie, qui lui donnait un petit plus appréciable. Simon s’était auto-proclamé, en secret, prophète, et Jaques jouait à être son plus fervent adepte. Aucun des deux, évidement, n’y croyait, il s’agissait plus d’un jeu de rôle qu’autre chose. Ils se lançaient des défis secrets, et mettaient à leur insu à contribution les moines : combien Simon réussirait-il à convaincre de le suivre pour une activité incongrue, combien s’outreraient d’un comportement étrange et malvenu qu’il aurait en tant que prophète… Ce jeu dura des années, à l’insu de tous, même Jormund et Béalf, leurs gardes du corps, qui s’étaient plongés dans une profonde foi méditatique durant ces années passées à Gadestru. Leur mission de gardes étant assez peu sollicitée, ils en avaient profité pour faire repentance. Cette situation dura des années. Tout au long de leur vie monastique, en fait. Et peu à peu, les frères Trévizes étaient tellement impliqués dans leur seconde vie qu’il leur arrivait que leur rôle prenne le pas sur leur vraie personnalité. Sans conséquence, si ce n’est quelques instants de grande solitude quand une phrase malvenue sortait par mégarde à la réunion du Chapitre…

    Un beau soir d’été, tout le monastère priait dans la chapelle, comme à son habitude, au son des volées cloches. Dans la chaleur sèche de l’été, les moustiques prospéraient, et leur bourdonnement agaçait plus d’un moine. Vint la fin de la séance, mais les cloches ne cessèrent pas pour autant de sonner. Ou plutôt, celles de la messe se turent, mais celles du portail battait fort. On alla ouvrir, et devant les moines se tenait un chevalier étranger, en armure complète, l’air épuisé et hagard. Il demanda l’hospitalité pour la nuit, et se présenta comme Sire Bertrand de la Fontaine, issu du Royaume de Bretonnie. Les guerres de religions n’étaient pas à l’ordre du jour, et le monastère fit bon accueil à ce voyageur dans la détresse. Ils l’écoutèrent raconter ses exploits et hauts faits pendant le repas, puis, lorsque vint l’heure d’aller rejoindre leurs couches austères, un petit cercle de moines, Simon, Jacques et leurs deux gardes du corps restèrent avec Sire Bertrand au coin du feu, et celui-ci entama le récit de ses récentes années, qu’il avait par décence occultées pendant le souper. Il narrât à son petit auditoire la chute de Castel-Graal qui avait fait suite à l’arrivée d’Ulfrik. La quête du Graal lancée par celui-ci, puis leur retour désastreux, corrompus et maudits par ce faux graal, le calice nommé la Pourvoyeuse. Quiconque y buvait sentait la vitalité venir en lui comme jamais… mais ne pouvait bientôt plus boire autre chose que l’eau qui en coulait, car ils en devenait dépendants. Et ceux qui, par malheur, ne réussissaient pas à s’en abreuver finissaient par dépérir bien vite, libérant un flot de bactéries et de plancton terrestre de leur corps en putréfaction. Cette addiction avait mené à des rixes infernales, les villageois désespérés étant prêts à tout pour une seule goutte. Castel-Graal avait fini en ruine, la plupart des habitants morts, les mourants bouffis et cannibales. Bertrand, fut le seul ayant refusé de boire au calice d’Ulfrik, par fierté : en son domaine jaillissait une source d’eau pure, d’où il tirait son nom, et elle avait depuis toujours constitué l’unique boisson des chevaliers de la maison de la Fontaine. Il fut donc le seul à ne pas être touché par la malédiction, et jura de se venger d’Ulfrik et de sa suite pourrissante. Et depuis ce jour, ils se pourchassaient l’un l’autre, l’un par désir de justice et vengeance, l’autre par jeu et moquerie.
    Le feu était presque éteint lorsque les cloches sonnèrent de nouveau. Les moines avaient passé la première partie de sommeil à l’écouter, mais ils devaient maintenant aller prier. Ils prirent congé de Bertrand, lui souhaitant une bonne nuit. Celui-ci, en s’installant dans le lit qu’on lui avait attribué, espérait de tout cœur ne pas avoir attiré le malheur sur le monastère.

    À la sortie de la messe, Simon et Jacques trainèrent un peu dehors, dans l’air encore tiède et bourdonnant de l’été. Ils discutaient de ce chevalier, ponctuant leurs phrases par le bruit sec d’une mouche ou d’un moustique écrasé. Avec la haleur, ils étaient de plus en plus nombreux, mais ce soir en particulier. Les mouches étaient bien grasses, de la sorte qu’on trouve sur la viande au bout de quelques jours. Simon suggéra qu’il y avait peut-être un animal mort dans l’enceinte, et ils se mirent à le chercher. Au détour du cellier, ils trouvèrent autre chose. Une troupe de cavaliers, entourée de bourdonnantes bestioles, était en train de se matérialiser sous leurs yeux hébétés et dégoûtés.
    Ulfrik à leur tête, rit de leur air bête, et leur tint en guise d’accueil ce discours : « Tiens, voilà deux grandes et fières âmes qui à la vue de quelques vers se pâment ! Sont-ce donc là les moines qui des viles tâches se dédouanent ? Toi, le grand, tu me sembles important », le flagorna-t-il moqueur « mène moi donc à Bertrand. »
    L’instinct de Simon, altéré par ses années passées à jouer le prophète, lui fit répondre ainsi, bien malgré lui : « Vil mouchard, devant toi se tient Simon, qui dans ses rêves t’a aperçu en vision. Nullement surpris par ton arrivée je ne suis, et si je me tiens ici, c’est pour t’accueillir comme il se doit, Ô pourri. Tu ne souilleras point l’eau de notre puit, et d’ici tu repartiras sans tarder ! »
    Ulfrik sourit, et du tac au tac lui répondit : «  Tu me sembles bien présomptueux petit, et tes visions que tu dis me sembles bien factices, mais tu es beau parleur, et tu m’amuses, viens donc boire à mon calice ! » Sur ces paroles d’un air complice, un nuage de mouche se dirigea vers les deux frères. Jacques hurla, pris de peur panique, et se raccrocha derrière son frère seul rempart qu’il voyait à proximité. Les insectes, par milliers, sinon par millions, vinrent buter contre leur dos, et sous la force du nombre, les firent peu à peu avancer vers Ulfrik qui leur tendait la Pourvoyeuse. Simon, paniqué également, et son esprit vidé par là même de toute velléité, pris de ses mains le calice et d’une traite le vida. Jacques était tombé dans les pommes, aussi y échappa-t-il ce soir-là.

    Bertrand fut réveillé par un pressentiment, et se rua, en robe de chambre et lame au clair, vers le cellier bourdonnant. Il arriva trop tard pour sauver les deux moines : l’un était allongé au sol, l’autre buvait à jusqu’à la lie le gobelet maudit. Il hurla de rage, et chargea son rival ennemi, qui en le voyant arriver feint la surprise : « Oh, Bertrand, toi ici ? Jamais je ne m’y serait attendu ! Tu es en retard, comme d’habitude, mon cher. Et en plus, tu as du renfort ? »
En effet à ses cris, Jormund et Béalf avaient accouru. Trop tard, malheureusement. Ils se précipitèrent vers leurs deux protégés, et les trainèrent tant bien que mal loin de ses cavaliers odieux.
    Ulfrik s’adressa à nouveau à Bertrand, et d’un air narquois lui susurra ceci : «  Mon cher ami, ne vois-tu point que le repos t’es interdit ? Partout où tu te traines, je te suis, et tu apportes autant que moi le malheurs où tu vas. Je suis magnanime pour cette fois, et te laisse une chance : quitte ce monastère séance tenante, et je ne toucherai à personne d’autre ici. »
    Pris au piège, menacé et sous la pression, Bertrand s’exécuta. Il sella sa monture, qui rechigna de ne pouvoir se reposer plus longtemps, plia ses maigres bagages, et après avoir revêtu sa tenue de combat, pris la route et s’en alla. En passant le portail, il écrasa une larme sur sa joue : sa tunique sentait le savon. Les moines la lui avaient lavée… Cela faisait des mois qu’il n’avait pas porté un habit propre.

    Ulfrik tint parole, et suivit Bertrand par le portail. Mais sa trace était toujours présente, et au matin, les moines vient Simon prendre la route. L’appel de la Pourvoyeuse se faisait déjà sentir, et il était attiré par elle. Jacques lui courut après, son baluchon à l’épaule, suivit de Jormund et Béalf, qui étaient toujours investis de leur mission de garde du corps.
    Les moines les regardèrent tristement s’en aller, et la journée fut morose au monastère. Il passèrent une bonne heure à ramasser les milliers de mouches mortes à l’endroit où étaient apparus les chevaliers, et les truites de leur bassin firent un festin pendant plusieurs jours… ce fut bien là leur seul réconfort.

 

 

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Les Truites de Gadestru

Révélation

 Le père Sigille huma le fumet qui se dégageait de son assiette. Décidément, ce que le monastère avait perdu suite au départ des frères Trévize et de leurs gardes du corps, les truites l’avait gagné en chair et en parfum ! Au milieu des tintements des couverts du réfectoire, il écarta les quelques amandes effilées qui la recouvrait, puis commença à en ôter la peau croustillante, et saliva à l’idée de la chair tendre et rosée qu’il découvrit ainsi.

 

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Jormund et Béalf

Révélation

 

   Le soir ou Trévize, le célèbre armateur de Marienburg les avait fait convoquer, le capitaine leur avait dit, dans un soupir, de préparer leurs affaires et de ne rien laisser. La garde était toute leur vie depuis des années, et Jormund tout comme Béalf s’étaient inquiétés de se voir ainsi évincés. Le capitaine les avait rassurés en leur disant qu’ils restaient à la solde du Comte, mais qu’ils étaient détachés pour un temps indéterminés au service du riche marchand.
    Ils avaient vite appris à être agacés par les deux jeunes bourgeois qu’ils devaient garder, et avaient accueilli avec joie la fin du voyage jusqu’au monastère de Gadestru. Le calme et la sérénité qui étaient à tous imposé ici leur fit le plus grand bien. Jormund n’avait jamais été très pieu… Ou plutôt, il n’y avait jamais mis les formes. Il n’allait pas dans les temples, ne révérait pas le clergé, et se tenait loin de toutes les manifestations, même s’il avait foi en Sigmar. Le monastère lui fit pourtant un plus grand bien qu’à Béalf, qui pour sa part était un fervent pratiquant. Béalf s’était rangé au rythme monastique : il priait, mangeait et dormait à l’identique des moines, mais ressentait souvent une certaine lassitude à cela. Jormund avait préféré mettre ses forces à disposition du potager. Il n’était pas moine, et bien qu’il se plia aux règles de vies, il ne comptait pas passer sa journée à prier et méditer. Il fit du bon travail, et personne n’eut quoi que ce soit à lui redire. C’est dans le labeur qu’il méditait : il passa des années heureuses. Loin de la ville, des cérémonies pompeuses, et des bourgeoises rieuses. À vrai dire, il envisageait de rompre sa garde à la fin de sa mission auprès de Trévize, et s’installer ici, si le monastère l’acceptait.
    Béalf quant à lui se languissait de l’agitation citadine. La foi commençait à lui peser. Il voulait bien aller à la messe une fois par semaine, mais tout les jours, c’était lourd. Il s’y sentait pourtant obligé, et continuait d’aller prier en même temps que les moines, à toute heure de la journée. Cependant, il y trouvait un avantage : il se trouvait pratiquement toujours aux côtés de Simon et Jacques Trévize, et pouvait donc les surveiller à loisir. C’est ce qui le faisait tenir ce rythme infernal de prières journalières.

    Lors du départ de Simon à la suite d’Ulfrik, les deux joueurs d’épée n’avaient pas hésité une seule seconde. Jormund à regrets, Béalf avec l’impatience de l’action imminente. Ils ne réussirent pas à convaincre Simon de faire demi-tour, celui-ce devenant hystérique à chaque fois que la chose était évoquée. Ils rattrapèrent bien vite le groupe hétéroclite d’Ulfrik, qui les attendait dans la forêt toute proche. Au détour d’un chêne, ils eurent la frayeur de leur vie en tombant nez-à-nez avec une créature monstrueuse, assise dans l’herbe douce d’une clairière. Elle était immonde, et se curait l’orifice nasal démesuré, où son poing en entier aurait pu entrer. Elle tourna ses petits yeux mauvais vers les quatre voyageurs, et se leva en grognant.
« Grut suffit !» Cria une voix grasse au loin. C’était Ulfrik. Il leur fit bon accueil, quoique moqueur, et accepta dans sa troupe Simon et son frère.
    Jormund et Béalf étaient horrifiés de voir l’état d’insalubrité dans lequel étaient les chevaliers et leurs suivants. La vue des chairs nécrosées, adipeuses dont certaines zones grouillaient d’asticots faillit les faire vomir. Et pourtant, tous semblaient agir comme si de rien n’était : ils se tenaient en chevalier, cuisinaient, montaient la garde et se racontaient des blagues lors des veillées. Ulfrik leur permit de rester aux côtés de leurs protégés tant qu’ils n’essayaient pas de les enlever : les deux frères étaient là de leur plein gré, jurait-il, et Ulfrik ne tolèrerait pas que les deux hommes agissent à l’encontre de la volonté des membres de son groupe.

    C’est ainsi qu’ils en vinrent à faire partie de la troupe errante. Ils la suivirent où qu’elle allait, et ils croisèrent Bertrand à de nombreuses reprises, qui était à chaque fois attristé de les avoir condamné à cette vie par sa seule venue au monastère. Jormund tenait le coup, après avoir appris à supporter l’odeur et à ne pas écraser les mouches qui venaient lui voler dans l’oreille. La première - et seule - fois où il avait écrasé une mouche, il avait faillit se faire embrocher par un des chevaliers bicéphale qui avait hurlé de chagrin en ressentant la mort de sa mouche préférée. Depuis il devait supporter les mouches. Et au final, il s’aperçut qu’à défaut d’être agréable, c’était plus pratique : il auraient dans le cas contraire été toujours en train d’en chasser.
    Béalf devint fou. La vie monastique l’avait miné, et ce coup du sort, accueilli presque avec enthousiasme au moment de partir, se trouva être le coup de grâce. Il finit par boire au calice et rejoindre dans la déchéance Simon et Jacques.
    Ce fut un coup rude pour Jormund qui se retrouva seul. Vraiment seul. Il refusait de partager leur repas, s’occupant lui-même de ses provision et de sa cuisine. Il n’avait plus personne à qui parler, et il regrettait de vouloir tenir ses engagements à surveiller et protéger les deux jeunes bourgeois. Il serait facile de les abandonner à leur sort. Ils étaient de toute façon perdus, et lui et Béalf avaient échoués à les protéger. Et pourtant, il continuait à veiller sur eux. Simon avait finit par basculer complètement dans la folie et se prenait pour une sorte de prophète. Il avait élevé des vers à partir d’un couple de lombrics empruntés à Messire Edmond, et se promenait désormais sur une parodie de palanquin, déplacé par la masse grouillante de ses plus fidèles fanatiques. La foule qui le portait n’avait pas d’esprit, juste un corps annelé formant un tube digestif à l’affut de ce que leur messie leur donnait à manger. Jormund avait déjà aperçut Simon prêcher à ses fidèles : accroupi au sol, il murmurait aux vers des inepties malsaines, soutenu avec véhémence par son frère qui improvisait des psaumes et des cantiques pathétiques. L’esprit de Béalf, qui s’était raccroché au seul élément de certitude qui lui restait, l’avait poussé à jouer à lui seul la milice armée fanatique de ce prophète, pourfendant de son épée gigantesque les oiseaux qui venaient picorer et faire des ravages parmi les rangs des fidèles. Plus d’un merle avait finit coupé en deux par ce zélé zélote pour avoir voulu engloutir un ver de terre dodu de la masse grouillante. Merle que le gras Édouard s’empressait de récupérer pour le diner du soir.

 

 

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Bastien le Bègue

Révélation

 

Bastien banda son arc. Il ne pourrait pas lui échapper, la cible était trop facile. Il souffla longuement, et lâcha la flèche. La corde vibra, et la pointe fendant l’air émit son sifflement bref mais caractéristique, suivit d’un son mat. Simon hurla, ses cris et imprécations attirant Béalf commun chien de garde. Bastien ouvrit grand les yeux, une boule au ventre et le teint pâle. C’était un des vers de Simon qu’il venait de transpercer… quelle gaffe. Il rangea son arc en vitesse et déguerpit de l’endroit où il se trouvait, se carapatant plié en deux derrière les fourrés. Il savait que l’empennage de sa flèche le trahirait, mais il préférait mettre un peu de distance entre lui et Simon pour le moment.

Pas très malin, à moitié sourd et bègue, il n’avait jamais été très bien accueilli, ni dans son village natal, ni dans la tannerie où il avait travaillé quelques années. Il s’était enfui, et avait décidé de se joindre aux premières personnes croisées sur les routes qui accepteraient qu’il voyage en leur compagnie. Là encore, il avait essuyé un nombre incalculable de refus, plus ou moins polis, jusqu’à ce qu’il rencontre cette troupe de chevaliers. Bastien ne s’était pas inquiété de savoir qui ils étaient. Cela faisait longtemps qu’il ne s’en inquiétait plus. Ils dégageaient une sale odeur, mais il avait connu la tannerie, et franchement… cela lui avait appris à oublier de sentir les mauvaises odeurs. Ce qui l’avait le plus dérangé, au fond, c’était de se retrouver au milieu de chevaliers en armure. Il ne se sentait pas légitime en leur sain, d’autant que certains faisait bien sentir aux non-adoubés leur supériorité. Supériorité toute relative, car si elle avait été effective du temps où ils évoluaient à Castel-Graal, depuis qu’Ulfrik avait pris leur tête, il n’y avait plus de rangs, et tous étaient égaux dans les droits et devoirs.

Mais il s’y était fait, d’autant plus qu’on lui avait fait plutôt bon accueil, et ça, c’était la première fois que cela lui arrivait. Ils avaient beau être couverts d’asticots et de suinter la décadence, ils étaient de bons camarades. Bastien n’en demandait pas plus.

 

 

 

 

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Hernest' le Gros

Révélation

Au fil des années, la triste renommée d’Ulfrik avait grandi, et les rumeurs de ses méfaits s’était répandue bien loin de ses terres de sévices. La troupe avait son entrée dans le Codex des Dangers de l’administration d’Altdorf, une Rancune à Karaz-a-Karak pour avoir occis un nain tenancier d’une auberge, et on racontait cette histoire jusqu’à Kislev lors des veillées dans les troupes du nord.

    La rumeur se portât jusqu’à Norsca, et aux oreilles de Varat Mirlson, alors jeune et en pleine recherche de gloire et de distinction. Sa quête le mena à partir battre la campagne dès qu’il fut assez fort pour se défendre seul. Il partit d’abord pour le nord, où par ses hauts faits il fut adopté par une tribu voué au Père des Pestes. Il n’y chercha pas la domination, mais plutôt la reconnaissance de ses exploits, allant chasser le troll à l’aide d’un poignard, ou le mammouth à coup de lances suintantes. Il fut adulé par les autres membres de la tribu, et désigné Protecteur du Khan. C’était bien évidemment un titre honorifique, tant parce qu’il était plus souvent en vadrouille qu’au village que parce que les gardes authentiques, s’ils le révéraient pour ses hauts faits, ne tolérait pas l’ingérence dans leur mission.

    C’est finalement le devin du village qui trouvait dans Varat un rival indésirable. Il fut auparavant la seule autorité influente, et depuis que cet étranger était venu au village,  ses ouailles se détournait de la Voie des Vers pour écouter les promesses de gloire du colosse. C’est désormais lui qui décidait quelles seraient les prochaines expéditions, lui qui décidait quel créature devait être occises. Et lorsqu’il ne décidait pas et partait seul en chasse, nombreux étaient ceux qui le suivaient malgré tout, n’écoutant pas les prédictions alarmistes du devin. Il conçut alors un plan pour l’éloigner, et falsifia ses divinations pour lui promettre une gloire éternelle s’il partait au sud. Il organisa un conclave des sages, et avec une mise en scène extravagante, révéla les rumeurs qu’il entendait venir des terres du sud. Elles parlait d’une petite troupe errante de chevaliers vaillants voués à la même Puissance que Varat et le clan, qui par leurs exploits faisait résonner les spires de l’Ether.
    Il enjoliva grandement les rumeurs, qui pour tout dire, parlait juste de quelques cavaliers semant la vie en même temps que la mort. Il ne savait pas en quoi consistait leurs actions, ni même s’il étaient encore en action où si leur renommé s’était bâtie sur quelques jours d’exploits, brillants mais fugaces comme un météore. Il avait perdu l’écoute des villageois, mais il n’avait pas pour autant perdu son éloquence ni son pouvoir de persuasion. Il mit tout en œuvre ce soir là, et réussi à convaincre Varat que s’il allait, il reviendrait un jour pour irradier toutes les terres noires de son aura de gloire.

    Varat mis six mois à partir. Il prépara son odyssée méticuleusement, et sur les conseils d’un autre oracle, fit faire une copie du seul livre de son clan. C’était les annales du village, qui comptait ses hauts faits depuis sa fondation. Il avait en effet entendu dire qu’Ulfrik avait pour lubie la collection de ces objets de savoir. Il mis également ce temps à profit pour compléter son tableau de chasse de quelques monstres qui lui faisait cruellement défaut. Sa réussite dans ces duels titanesques lui fit croire que sa destinée venait de se révéler à lui, et c’est assuré et plein de vigueur qu’il prit la direction des terres du Sud à la tête d’une galère et d’une dizaine d’hommes qui s’étaient depuis longtemps détachés de l’autorité du Khan pour jurer allégeance à Varat uniquement.
    Leur voyage dura longtemps, ramant avec vigueur, chassant la baleine pour manger, et laissant trainer leurs carcasses flottantes en offrandes pour s’assurer d’arriver à bon port. Ce seul voyage méritait de figurer parmi les annales de leur village, car ils atteignirent sains et saufs les terres du roi Louen. Leur arrivée ne se passa pas sans fracas : ils accostèrent à proximité d’un village de paysans, et leur apparence effrayante fit fuir ceux-ci jusqu’à la plus proche bourgade dotée d’une milice. Varat et ses hommes, qui ne s’intéressait pas pour le moins du monde à ces paysans mangeur de poisson, prirent la direction opposée après une courte échauffourée avec les gros bras du villages.

    Ils mirent une bonne année à trouver Ulfrik et sa troupe. Ils les découvrirent en train de battre la campagne, juchés sur leurs destriers, le chef de la troupe se promenant sur une créature insectoïde géante, avec une bibliothèque sur son dos. C’est la première fois que les nordiques voyaient autant de livres rassemblés au même endroits… Ulfrik devait en effet être très puissant, car le gardien du registre, chez eux au loin, était parmi les personnes les plus importantes du village.
    Varat se présenta à lui, demanda à ce qu’il les accepte dans sa suite, et lui fit don, quoi qu’il en soit, de l’ouvrage qu’il avait ramené par delà les mers salées. Ulfrik descendit de sa monture, rejoint par un chevalier monté sur un destrier au riche caparaçon noir blanc et or, qui ne pris, lui, pas la peine de descendre de monture ni d’ôter son heaume. Le sorcier corpulent, descendu de sa monture soulagée, fut intrigué par ce groupe, et leur demanda de se présenter plus en avant. Le fait que l’on parle de lui jusqu’aux contrées de Norsca ne l’émut pas, car la renommée lui importait peu. Il fut par contre très touché par le présent que Varat lui avait ramené. C’était un ouvrage doté de peu d’intérêt en soi-même, encore qu’il était riche en anecdotes intéressantes, mais il s’agissait surtout d’un ouvrage pratiquement unique. Et cela n’avait pas de prix, au temps des moines copistes d’Altdorf et de Bordeleau, pour qui un ouvrage unique devenait un livre grand public en quelques années. Il le plaça dans sa bibliothèque, hésitant longtemps entre la rangée des livres rares et celle des livres historiques, pour finalement le ranger dans les curiosités, tout proche de ses livres vivants.
    Varat et ses suivant furent accepté, heureux, mais intrigués. Si la troupe avait une certaine prestance, il manquait la gloire qu’on leur avait promise. Ils ne semblaient pas outre mesure la rechercher, se contentant d’objectifs plus pragmatiques, comme chasser leur prochain repas, piller à l’occasion. Leur seul objectif fut pendant longtemps un jeu de chat et souris sadique avec un autre chevalier. Durant toute cette période, Varat et sa suite prenaient régulièrement des libertés avec le gros de la troupe pour aller chasser du gibier plus imposant que du lapin ou du sanglier.
    Puis, lorsque le sort de leur rival fut scellé, la troupe dénuée d’objectif passa un temps à suivre les suggestions de Varat, et ajoutèrent de nombreuses bêtes à leur tableau de chasse. Le clou de leur collection était un monstrueux Jabberslythe, qui terrorisait une forêt et les villages alentours. Villages dont les habitants n’avaient jamais compris pourquoi cette troupe maudite les avait un jour libéré de la bête, et le lendemain pillé et occupé un village jusqu’à ce que les troupe de la cité les en déloge.

    Varat tira son surnom d’un magnifique quiproquo avec un bouseux à moitié sourd qui s’était joint à la troupe. À son arrivée, Varat et Ulfrik discutaient du meilleur moyen de contourner une forte armée en campagne qu’ils avaient aperçut au loin, et qu’il leur fallait éviter sans perdre trop de temps. Varat, montrant de la main l’armée dont le nuage de poussière était visible au loin, dit à Ulfrilk que les troupes allaient vers l’Est, du moins le gros.
    Le paysan, le prenant pour le chef de troupe, interprétant mal le geste, et ayant entendu la moitié des syllabes, lui tendit la main en disant « Ench-ch-chanté m’sieur Hernest’ le Gros, j-j’suis Bastien, mais tout l’mond’ m’appel’ le Bègu’. » Ulfrik était alors partit d’un grand rire, et avait entériné ce surnom d’Hernest’ le Gros dès le repas du soir, en racontant l’anecdote à tout le monde. Bastien fut applaudit, bien qu’il ne compris pas trop pourquoi, et toléré au sein du groupe. Son problème d’élocution et sa semi-surdité étaient souvent source de quiproquos et de fou-rires moqueurs, mais il était plutôt bon archer, ce qui manquait cruellement à Ulfrik parmi ses suivants.

 

 

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Barwolf et Viktor von Tira'ch

Révélation

 

Les deux frères Tira’ch sont nés rivaux. À leur naissance, les jumeaux luttèrent pour sortir en premier du ventre de leur mère. Ce fut Barwolf qui poussa le premier cri, que Viktor suivit de peu. Cela devait se révéler prémonitoire. Viktor fut toujours second. De plus, le droit d’aînesse lui pesait terriblement. Pour les quelques minutes qui séparaient leurs naissances, c’est Barwolf qui avait récolté les droits et les devoirs, et ne se privait pas d’en faire usage sur Viktor.
    Cette situation s’était poursuivie des années durant. Pour finir, lors de leur majorité, ils avaient tous deux choisi de s’enrôler dans l’armée de l’Empereur. Mais là où Barwolf se contenta des régiments de Talabheim, Viktor en profita pour partir loin de la tyrannie fraternelle. Il s’engagea dans les troupes du comte-électeur du Stirland. Cela fut un soulagement pour lui. Il devint un officier redouté, car hargneux et sévère. Malheureusement, ce répit fut de courte durée pour lui. Le sort lui revint de plein fouet. Le régiment dont il avait le commandement fut muté à Talabheim dans le cadre de la coopération militaire intercomtés… Et fût mis sous la responsabilité du commandant en chef local… Barwolf von Tira’ch lui-même.
    Viktor enragea en apprenant cela, mais lié qu’il était par l’obéissance militaire, il ne put rien faire d’autre que courber l’échine et se plier, non sans protestation, aux ordres émanant de son frère. La coopération devait durer douze mois. Douze longs mois. Elle n’en dura pas quatre. Viktor finit par frapper son frère au visage, qui répliqua aussitôt. Leur bagarre d’une violence inouïe aurait valu un mois de trou et un autre de corvée à des soldats de seconde classe. Mais pour deux commandants de l’armée impériale, cela ne pouvait être si facilement toléré. Ils passèrent en cour martiale, et furent radiés de l’armée, condamnés aux travaux d’intérêt général. Ceux qui décidèrent de la sanction ne manquaient pas d’humour, puisqu’ils les envoyèrent creuser des tranchées pour l’armée en campagne contre les peaux-vertes, au sud. Intégrés aux « citoyens volontaires » qui participaient à l’effort de guerre, leurs bagarres étaient devenues monnaie courante. Un cercle de joueur avait même lancé un système florissant de paris.
    
    La campagne fut assez brève, et semblable à nombre d’autres. La marée verte fut endiguée en quelques semaines, mais non sans pertes. Le secteur des civils, protégé par quelques maigres tranchées et un peloton d’arquebusiers, fut la cible d’une embuscade de gobelins, suffisamment malins pour éviter les troupes armées et se livrer au massacre et au pillage des retranchements non militarisés. Les quelques tireurs réguliers furent vite submergés, et les civils massacrés ou faits prisonniers, pour les plus malchanceux. Leur incivilité permanente sauva les Tira’ch. Même ici, ils avaient réussi à se faire mettre au trou par les autres civils, qui n’en pouvaient plus de leurs rixes incessantes. Enfermés chacun dans une cellule de fortune — une simple fosse de trois mètres de profondeur — ils échappèrent aux peaux-verte qui ne les virent pas… mais pas à la bande d’Ulfrik, qui passa par là deux semaines plus tard, la poursuite réciproque d’Ulfrik et de Sire Bertrand de la Fontaine les ayant menés par ce champ dévasté.
    Les chevaliers sortirent de leur geôle les deux malheureux, trop affamés et trop épuisés et assoiffés pour se reprocher l’un l’autre les deux semaine passées au trou. Ulfrik leur donna un peu de la seule eau à sa disposition, celle du calice, ce qui les sauva autant que les perdit.
    
    On ne change pas des années de rivalité, et au sein du groupe léprosé, leurs bagarres se poursuivirent, encouragées par Sire Énieul et Édouard de la Dent, qui, à leur tour, parièrent régulièrement sur l’un ou l’autre des deux frères, ou sur le nombre de dents qu’ils perdraient. Mais cela finit par agacer Ulfrik, qui, s’il était très tolérant, n’en pouvait tout simplement plus des deux frères. Il finit par trouver une solution pour les calmer, ou du moins, pour limiter leurs incessantes querelles. Il nomma Barwolf commandant de la Brigade, et Viktor, le seul et unique autre membre de cette Brigade, obtint le rôle de soldat du rang. Puis il offrit à Viktor un bouclier qu’il enchanta afin de rendre coup pour coup. Évidemment, Barwolf profita de sa nouvelle autorité pour frapper en toute impunité son frère, mais s’arrêta bien vite quand il se rend compte que son crochet du droit venait de lui arracher deux dents.
    
    Les habitudes ont la vie rude, et il arrivait régulièrement à Barwolf de frapper Viktor, avant qu’une douleur soudaine ne lui rappelle bien vite qu’il valait mieux éviter cela à l’avenir. D’autant plus qu’il avait l’impression d’être atteint d’une nouvelle maladie à chaque coup qu’il portait à Viktor.
À Viktor, Ulfrik promit que s’il réussissait à se contrôler et obéir au doigt et à l’œil à son frère, leur situation serait peut-être un jour inversée. Tenu par cet espoir, il supportait tant bien que mal la situation, et ne souhaitait de toute façon pas se mettre leur chef à dos… c’était bien trop risqué !

    Contrôle et rétrocontrôle, Ulfrik avait réussi à calmer les deux frères Tira’ch, les tenant sous le joug de promesses ou de menaces. Mais la tension entre eux était toujours palpable, et s’ils supportaient la situation, elle ne leur plaisait pas pour autant.
Un jour, ils finiraient par exploser… Curieusement, Énieul et Édouard, privés de leur jeu, avaient d’ailleurs mis au point un pari évolutif là dessus.

 

 

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Madame de Barbouin-Bestu

Révélation

    Isabelle réajusta son heaume. Il faudrait bientôt qu’elle change les mousses à l’intérieur, en vieillissant elles s’étaient aplaties, et le casque n’était plus idéalement placé pour ses yeux. La hampe de la bannière lui lançait l’épaule, et les cahots du trot malaisé de sa monture lui faisaient un mal de chien aux fesses. Mais elle avait pris l’habitude, en quinze ans de chevalerie, de s’accommoder de ces inconforts. Elle lâcha la bride de Perle, sa jument, et fit un moulinet du bras pour délasser ses muscles. Même s’ils approchaient, les quelques heures de chevauchée qu’il restait avant d’arriver à Violecée-la-Plaine seraient longues. Ulfrik avait annoncé la fin du périple pour le crépuscule, et il lui tardait d’arriver. Édouard aussi, apparemment : cela faisait déjà une bonne dizaine de minutes qu’il épluchait les patates pour le soir pour gagner du temps. Décidément, il ne pensait qu’à manger, celui-ci. Elle avait entendu parler de lui durant ses années de service, et s’était moquée avec ses frères d’armes de ce chevalier pathétique dont les « exploits » avaient inspiré bien des chansons comiques… mais jamais elle n’aurait imaginé le compter un jour parmi ses compagnons, et encore moins parmi ses amis. Car elle devait le reconnaître, le sort s’acharna sur lui pendant ses années de chevalerie, mais ce n’était pas un mauvais bougre. Ils avaient bien vite sympathisé, et Isabelle avait quelques remords de s’être si longtemps moquée de lui sans le connaître.
    
    À son grand dam, Sire Énieul fit quelques pas au trot pour la rejoindre. Il l’agaçait. Cet ancien seigneur ne devait pas avoir eu souvent l’occasion de côtoyer la gent féminine durant son règne. Ou il avait mis sa vertu au-dessus de tout, et s’était refusé certains plaisirs. Toujours est-il que depuis qu’elle avait rejoint la troupe, il n’avait cessé de lui tourner autour. Elle avait fini par accepter d’être sa porte-bannière, en espérant que cela le calmerait un peu, mais visiblement elle s’était trompée… Depuis qu’elle avait cousu la mouche d’or par-dessus ses propres armes, il semblait même être un peu plus entreprenant. Elle secoua un peu la chaîne de Perle, pour la pousser à accélérer un peu. Mais la créature semblait épuisée, tant par la chevauchée que par ses mutations encore récentes, auxquelles elle n’était pas habituée. Isabelle grommela. Elle avait toujours eu un caractère indépendant, qui lui avait d’ailleurs valu de réussir à devenir chevalier : elle était une de ces rares femmes à être adoubée par le Roy. Elle ne savait pas si l’attirance du seigneur déchu découlait de cette rareté, ou de la poitrine dénudée qu’elle arborait depuis quelque temps. Le frottement des plaques d’armures ou du tissu contre ses plaies au ventre étaient trop douloureuses pour qu’elle les recouvre… et même si elles ne saignaient plus depuis un bon bout de temps, elles refusaient de se refermer. Et puis cela l’amusait d’imaginer qu’on raconterait peut-être un jour la légende de la dame qui chevauchait tétons à l’air. Probablement que les détails seraient enjolivés, mais son expérience des veillées d’armes lui disait qu’il y avait là suffisamment matière à ce que l’histoire, et à ce que les fantasmes des soldats prennent. Qu’à cela ne tienne… elle trouvait agréable de chevaucher ainsi, surtout par la chaleur qu’il faisait. Elle espérait juste trouver une solution avant l’hiver, légende en devenir ou non, elle frissonnait déjà à l’idée du froid mordant et des flocons tombant sur sa peau nue.

    Condamnée depuis sa naissance à ne jamais pouvoir enfanter, et liée par ses serments de chevalerie, elle n’avait jamais cherché à fonder un couple solide, et encore moins une famille. Cela lui convenait très bien jusqu’à présent. Elle en avait retiré une certaine expérience à repousser les prétendants qui ne lui convenait pas. Mais cette sangsue d’Énieul lui donnait du fil à retordre ! Elle héla Édouard, qui, tout en continuant de semer des épluchures, les rejoignit. Elle savait que cela aurait le mérite de rendre son prétendant jaloux et vexé, et donc de le faire bouder à l’écart du groupe. Cela ne rata pas, et au bout de quelques minutes de silence rageur, Énieul s’écarta d’eux, au grand soulagement d’Isabelle. Elle préférait nettement la compagnie d’Édouard. Même s’il était constamment désabusé, il avait la discussion agréable, et au moins il ne la reluquait pas à longueur de temps. C’était bien l’un des seuls, parmi la troupe qu’ils formaient. Et contrairement à ce qu’elle aurait pu croire, ce n’était pas les bouseux formant leur cortège les pires… Tandis qu’ils se contentaient de regarder le sol lorsqu’ils étaient à côté d’elle, humbles devant les chevaliers qu’ils servaient, ces derniers ne rataient pour la plupart pas une seule occasion de jeter un regard avide et furtif, qu’ils espéraient discret.

 

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Les Vers* de Béalf
(acte II scène 4)

*à douze pieds, pas les lombric (ndlr)

Révélation

 

Le soir, à l’ombre d’un aulne. Feu de camp. Jormund est assis en arrière-plan, une flasque à la main, dont il s’abreuve régulièrement. Béalf est debout sur une souche. Tout au long de la scène, il éructe régulièrement, au milieu de ses phrases.

BÉALF : Aaah, je me sens d’humeur ce soir !
JORMUND : (grommelant) Moi ce sont tes humeurs que je sens ce soir
BÉALF : Oh toi… (déclamant)
N’ai-je donc vécu que pour tes mesquineries ?
    N’en as tu point fini de cette jalousie,
    Qui te fait broyer en esquilles ma poésie ?
JORMUND : Mais ferme-là…
BÉALF : (l’œil torve) Non môssieur. Je fus un guerrier, puis un rebut de monastère. Ma vie s’est nettement améliorée quand j’ai rejoint Sa Cause. Le Prophète aux millions de fidèles. Mais il manquait quelque chose à ma vie. Je voulais clamer ses louanges. Ce cher Blanquette, vois-tu, m’a ouvert les yeux, et m’a fait voir mon potentiel. Lui c’est un artiste !
JORMUND : En effet… LUI…
BÉALF : Mes oreilles feront comme si elles n’avaient rien entendu
JORMUND : Je me demande d’ailleurs comment elles font d’habitude… Ne veux-tu pas les laver ? Tu as de la mousse qui pousse dedans !
BÉALF : Non ! Où habiterait Anne-Charlotte sinon ?
JORMUND : Qui ?
BÉALF : Anne-Charlotte voyons ! Ma mouche.
JORMUND : Ah. Je vois.
BÉALF : C’est une rareté.
JORMUND : Je vois.
BÉALF : Une espèce rare !
JORMUND : Je vois…
BÉALF : Et d’une variété peu courante ! Vois-tu ces pois bleutés sur sa carapace ?
JORMUND : Hum ? Ah… Oui.
BÉALF : C’est une rareté !
JORMUND : On le saura…
BÉALF : Vois-tu, dans l’élevage du Claude, on en a recensé seulement trois sur deux millions huit cent soixante-treize mille deux cent vingt-sept !
JORMUND : On lui dira…
BÉALF : On lui dira… On lui dira… (déclamant)
On lui dira, Ô Grand-Père, à ce jean-foutre,
Que s’il n’abdique pas, il en sera plein comme une outre !
JORMUND : Mais tu es pathétique ! Tu ne sais même plus compter tes pieds ? En fait, as-tu seulement déjà su ?
BÉALF : Suffit ! J’en ai assez de tes piques assassines ! Puisque tu n’es pas l’oreille qu’il faut à ma poésie, je m’en vais trouver une autre paire !
JORMUND : (soulagé) Aaah…

Entre Simon, juché sur son palanquin de vers.* Simon parle constamment à voix basse, comme s’il prêchait aux vers qui le meuvent.
* les lombrics, ici (NDLR)

BÉALF : (Se jetant à genoux) Maître !
JORMUND : (simultanément) Oh non…
SIMON : Entendez-vous ? Entendez-vous, Ô foule oubliée ? Entendez-vous ?
JORMUND : (à lui-même) Il ne manquait plus que lui… (à Simon) Allez-vous bien monsieur Trévize ? Puis-je faire quelque chose pour vous ?
SIMON : Entendez, ceci est la voix d’un infidèle.
BÉALF : (larmoyant) Moi je suis fidèle !
Ô maître aux mille enfants,
Accepteras-tu que je conte tes louanges ?
Feras-tu de moi ton scribe, ton bullaire ?
SIMON : Entendez-vous, mes frères ? Entendez-vous, la voix de ce fidèle ? C’est notre âme gardienne, celle qui veille sur nous. Et elle voudrait faire connaître votre voix. L’accepterez-vous ? (Pause. Simon semble guetter la réponse de ses vers)
JORMUND (se racle la gorge)
SIMON : Schhhhhht ! Ils tiennent là conciliabule fournis !
BÉALF : Ô vers, faites de mes vers vos vers ! Sinon j’en serais vert…
JORMUND : Je te sers un verre ? Pitoyable…
SIMON : Schhhhht ! (Pause) Les voilà qui ont fini. Ils m’ont dit que Béalf n’était pas encore prêt, non… pas encore prêt. Ils m’ont dit qu’ils entendaient Béalf, le soir, mais jamais devant les autres. Ils ont dit que Béalf devait d’abord faire ses preuves. Ensuite ils réfléchiront.
BÉALF : Maître…
SIMON : Mes fidèles, vous avez parlé, je ne suis que votre voix en ce monde.
BÉALF : (se relevant) Maître ! J’y vais de ce pas !
JORMUND : Béalf, non ! Voyons, pas à cette heure-ci ! Tu veux te faire rosser ?
BÉALF : La foi n’a pas d’heure, et j’ai foi ! (remontant sur sa souche, déclamant d’une voix timide au début, puis de plus en plus forte, pour finir en hurlant)
Ô peuple des bas-fonds,
Ô peuple des hauts-fonds,
Ô peuple !
Écoute, car voici la parole de Saint Simon,
Voici la parole de ses Millions, qui à travers lui s’expriment !
Par delà les temps, pas delà les éons,
Nulle trace, nulle poussière, rien que la nuit qui prime !
Nul être, nulle âme, nul dieu, nul ennemi !
Rien ne subsiste, car tout va aux vers !
Ils sont millions, ils sont milliards, ô vers infinis !
Les dieux sont défaits, leurs cultes flambèrent,
Les forteresses se sont effondrées,
Et leurs douves comblèrent !
Ô peuple des bas-fonds,
Ô peuple…
(Jormund, armé de sa flasque, lui donne un bon coup sur la tête. Béalf tombe évanoui)
JORMUND : Non mais…
SIMON : (levant les yeux pour la première fois) les Millions te remercient…
JORMUND : J’entends du bruit. Ils vont râler. Monsieur Trévize, allez vous recoucher… Nul besoin que quelqu’un d’autre que lui ne se fasse ennuyer par les Tira’ch.
SIMON : Les Millions n’ont pas besoin de tes conseils, et savent ce qui est bon pour eux.
JORMUND : À leur guise… Bonne nuit, monsieur Trévize.

 

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Le Perdition de Raphaëlle

Révélation

 

« Ô, ma Dame, accordez-moi la vie… Depuis des années je vous sers, je vous prie, et en votre nom j’ai accepté de nombreux sacrifices. Je vous en supplie ma dame, accordez-moi cette nuit la vie »
Raphaëlle était à genoux, prostrée devant le petit autel de sa chambre personnelle. Les yeux clos, l’esprit ouvert et toute à sa prière, rien d’autre n’existait à ce moment pour elle que sa foi en la Dame et son vœu de porter en elle la vie. Vêtue d’une légère robe de nuit, elle frissonna. Elle n’était plus une jeune femme, mais elle restait très agréable à regarder, à en croire les regards que lui jetaient les hommes sur son passage.
Une perle salée née au coin de son œil droit glissa sur sa joue, elle serra les dents et se redressa. Elle souffla les bougies une à une, se dirigea vers la porte et fit basculer le loquet en position ouverte. Non sans peine, elle souleva légèrement le lourd battant pour ne pas que les gonds grincent, et entrouvrit la porte juste assez pour se faufiler. Une fois dans le corridor désert, elle jeta un coup d’œil à droite puis à gauche par précaution, mais à cette heure-ci, personne ne traînait hors de sa couche. Paillasse pour les uns, duvet de plume pour les autres, l’heure était au sommeil, non aux promenades. Elle inspira un grand coup, s’efforça de retrouver son calme et de ralentir le rythme de son cœur, qui pour le moment battait la chamade d’angoisse. Légèrement plus apaisée, elle laissa ses pieds nus l’emporter dans la direction de la chambre personnelle du Baron de Vertille.

« Ô dieux de la vie… accordez-moi de procréer… J’ai toujours défendu votre cause, toujours porté vos valeurs. Ma foi se porte vers notre Dame, mais à travers elle c’est la vie que je vénère. Je vous en supplie, accordez-moi de porter la vie. »
Raphaëlle était recroquevillée en chien de fusil, sur le sol froid et humide de la grotte qu’elle occupait depuis une semaine. Une semaine rude, qui avait suivi son exil de Bordeleau. La nuit qu’elle avait passé dans la chambre du Baron laisserait à tous les deux un souvenir vivace, et tout semblait s’être déroulé selon le plan de Raphaëlle.
Mais Madame la Baronne avait réussi, d’une façon ou d’une autre, à avoir vent de leur petit secret nocturne, et, folle de jalousie car il y a bien longtemps qu’elle ne partageait plus le lit de son mari, avait fait exiler la demoiselle. Comble de l’ironie, Raphaëlle n’avait pas conçu. La Dame n’avait pas daigné répondre à ses requêtes, et l’avait laissée aussi infertile qu’à sa naissance.
Et depuis une semaine, abattue par cet échec, elle se morfondait et priait à qui voulait bien l’entendre de lui accorder un enfant.

Malheureusement pour elle, sa requête finit par être entendue par la mauvaise oreille…

 


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Les égouts de Port-Céleste

Révélation

    Ulfrik souffla un mot de pouvoir, et leurs habits séchèrent rapidement, mais devinrent raides, pris dans une gangue de vase et d’immondices asséchés. Pour pénétrer incognito dans la cité de Port-Céleste, ils avaient dû passer par les égouts. Beaucoup avaient râlé en apprenant ceci, cars ils avaient dû laisser leurs montures dans les bois à l’extérieur de la ville. Messire Edmond avait beau avoir accepté de leur servir de garde avec Grut, les chevaliers qu’ils étaient répugnaient à se déplacer à pied.
    « C’est par ici » leur indiqua Ulfrik en empruntant le tunnel de droite. Il avait envoyé un essaim en reconnaissance, et il connaissait désormais le chemin exact pour atteindre les caves de l’Étude Icelienne, où les attendait - à son insu -  le sage Berthod. Jusque là, tout s’était bien passé dans leur expédition, et il espérait qu’il en allait de même pour ses gens qu’il avait laissé à Violecée-la-Plaine.
Il entendit bougonner derrière lui. Visiblement, Édouard n’appréciait guère que son garde-manger soit passé par les eaux usées… la volaille allait avoir un sale goût.
    
    La troupe s’arrêta , et fit cercle autour de leur guide. Visiblement, la bouche d’égout qui allait leur permettre de pénétrer à l’intérieur était juste au dessus d’eux. Ulfrik accéléra la corrosion qui rongeait déjà les bords de la grille métallique, et en quelques minutes, la grille se décrocha dans un crissement sinistre, et tomba dans le liquide crasseux à leurs pieds, éclaboussant largement la troupe. On entendit un tintement dissonant, auquel Ulfrik répondit d’un grognement « Range ta lame, Énieul, imbécile. Comment comptes-tu comptes grimper avec ça ? »
Penaud, le chevalier rengaina sa rapière rouillée.
« Ou alors tu me tiens compagnie ici ? » ricana Édouard d’un rire gras sous le regard furieux de Messire Énieul. « Moi, les gars, je ne passe pas par ce trou. Je vous garde le passage dégagé. »
« Et bouffer un ou deux rats, non ? » sourit Monseigneur Gérald
« Nan, c’est dégueulasse un rat. Ça pue la morve comme viande. »

    Ulfrik mit fin à la discussion en leur intimant de monter. Ils se trouvaient dans un cellier plein de victuailles. Gérald émit un long sifflement en voyant ça. « Édouard ! Trouve de quoi faire un radeau avec les merdes qui traînent dans les égouts, on refait notre stock de bouffe au retour ! »
    « Bon, maintenant silence. Plus un mot. Celui qui l’ouvre, je lui coud les lèvres » Tous savaient que lorsqu’il avait cette intonation, Ulfrik ne plaisantait pas. La partie sérieuse commençait. Il ne s’agissait pas d’alerter toute la Garde Noble de l’Étude, ou ils risquaient d’avoir de sérieux ennuis.

 

 

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Bérégond et le Tristan

Révélation

    Deux potes. Deux amis de longue date, inséparables. La seule chose qu’ils n’avaient jamais faite ensemble, c’est coucher. Bêtises de gamins, méfaits d’adolescents, tout y était passé… Et pour le coup, on pouvait le dire : ils avaient même gardé les cochons ensemble. Ceux du père Merbisse. Chaque automne, dès qu’ils furent assez grands, ils les amener glander dans les chênaies de la Butte. Pendant que les cochons se remplissaient la panse, Bérégond et le Tristan cherchaient des champignons. Ils en revendaient une partie le soir même à l’épicier du village, et se gardaient les plus beaux pour eux.
    Le jour où le héraut du banneret local était passé dans le village, vendant avec ferveur la conscription volontaire, ils avaient signé ensemble leur acte d’engagement, les yeux pleins d’étoiles. Ils seraient des soldats, des héros pour le village, et feraient la fierté de leurs mères. Qui n’avaient finalement pas été si fières que cela. Ou trop inquiètes pour le montrer. La semaine suivante, ils rassemblaient leurs maigres affaires et s’en allaient au château local. Leur seigneur était encore jeune, et avait renoncé à une longue quête du Graal pour passer ses années de chevalerie à administrer une place forte. C’était un ancien du village, et il avait décidé d’y bâtir son domaine. Il avait racheté les terres au seigneur qui les possédait, et avait entrepris de construire son fief. C’était un maigre fort de bois aux premiers jours, mais qui faisait la fierté des paysans qui s’y référaient comme « le château. » Puisant dans ses deniers personnels et achetant le bois aux plus proches, bûcherons, le seigneur Meldric avait rapidement été apprécié de ses nouveaux sujets.

    Lorsque Bérégond et le Tristan étaient arrivés au « château, » le fort tout de bois n’était pas si loin : à l’exception du donjon flambant neuf qui était en pierre de taille, et la muraille nord qui commençait à s’élever, fière et raide, les premières oriflammes à la fleur de lys claquants aux vents, le reste était encore principalement des palissades en grume de hêtre ou de chêne.
Ils passèrent de nombreuses années au service du Seigneur Meldric, qui n’était pas un mauvais maître. Ils ne connurent pas grand-chose d’autre que la garnison et les patrouilles de routine, paradant avec fierté dans leur uniforme lorsqu’ils passaient dans leur village. Puis, le domaine s’étant bien développé, il fut lui-même sujet à conscription pour les armées royales. Ce qui arriva bien vite, le royaume ayant sans cesse besoin d’hommes pour assurer l’intégrité de ses frontières. Bérégond et le Tristan furent réquisitionnés, et quittèrent pour de longues années leur région natale car ils se rendirent compte que servir dans les armées du Roy leur faisait voir du pays.

    Ils survécurent tant bien que mal, mais finirent par connaître le sort de nombreux soldats : ils tombèrent au combat. Une menace naissait dans la forêt d’Arden, et les Ducs de Gisoreux, d’Artois et de l’Anguille avaient appelé à l’aide le Roy, car ils ne réussissaient pas à contenir seuls une recrudescence chaotique au sein des bois. La peste menaçait les villages en lisière, et nul ne s’aventurait plus dans les profondeurs. Le Duc d’Artois, en particulier, voyait ses troupes et ses caisses saignées à blanc, car les paysans refusaient d’exploiter la forêt — principale ressource de son duché — et ses soldats peinaient à maintenir un périmètre de sécurité autour des principales villes forestières.
    Après une campagne qui dura tout un été, la menace des hommes-bêtes fut anéantie avec la destruction d’un monolithe nauséabond, qui semblait constitué d’un mélange d’argile et de vase gravé de runes iridescentes malsaines. Les pertes humaines furent énormes, mais ceux-ci furent chanceux… Nombreux furent ceux qui survécurent, mais qui se retrouvèrent affublés de tares ou de mutations si ignobles qu’ils furent laissés sur place par les commandants de l’armée royale, qui se faisant, plantaient les graines d’une nouvelle menace chaotique pour les années à venir. Car s’ils avaient brisé les hardes monstrueuses et jeté bas leur idole impie, ceux-ci n’étaient que les symptômes d’une corruption qui perdurerait au sein des soldats maudits. Bérégond et Tristan n’eurent cette fois pas le même sort, mais furent tout de même de ceux-ci. Bérégond fut le premier à tomber. Il se fit agresser par une sorte de ver ou de sangsue géante, qui s’était accrochée à son dos une nuit. Il avait peu à peu perdu l’esprit, et son corps avait dépéri, mais refusait de mourir. Tristan avait regardé, impuissant, son ami devenir un automate dirigé par cette bête monstrueuse qui pendait de son dos. Il avait bien essayé de la lui ôter ou de la couper, mais cette chose s’accrochait bien plus qu’une tique, et avait une peau élastique d’une résistance incroyable. Les hurlements qu’il arrachait à Bérégond à chaque fois qu’il touchait à la sangsue avaient fini par lui faire abandonner ses tentatives. Au bout de quelques semaines de campagne pendant lesquels Bérégond avait été parqué avec les autres humains déchus à l’écart des campements, il était probablement décédé, mais son corps, mû par la sangsue qui jouait aux marionnettistes, semblait encore vivant.
    Tristan vu son sort scellé lors de son plus grand moment d’héroïsme. Il avait mis fin à l’existence d’une parodie d’humanoïde qui marmonnait une incantation dont les seuls mots vrillaient les oreilles des hommes alentours. Mais ce faisant, le trop-plein de magie que la créature avait accumulé sans avoir l’occasion de l’utiliser avait fusé à travers la lame, foudroyant sur pied le pauvre Tristan, qui, souffrant le martyre, avait vu son corps se boursoufler et se déformer de façon ignoble en quelques minutes. Il avait sauvé une bonne partie des hommes, mais en avait payé le prix.
Laissé sur place avec les morts, il avait refusé de passer le restant de sa vie à errer dans les bois comme une bête, et, prenant ce qui fut son ami de toujours sous son aile, se mit en quête d’un nouveau foyer. Désabusé sur leurs chances d’être acceptés au sein de la civilisation, il n’avait pas hésité une seule seconde lorsqu’il avait croisé la route d’Ulfrik et de sa troupe. Ceux-ci avaient vu en Bérégond une curiosité à étudier, et les avaient invités à rejoindre leur communauté.

 

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Marcelin

Révélation

De bon matin Le Marcelin cueillait du thym,
Pour agrémenter son civet de lapin,
Quand soudain surgit au loin,
Le paysan par delà le champ de lin.
 Le Marcelin-lin-lin !
 Le Marcelin-lin-lin.

 

De fureur le paysan saisit sa faux,
Celle-là qui coupait le seigle et son ergot,
Apeuré le Marcelin fuit aussitôt,
Mais aussi lent qu’un escargot
 Le Marcelin-lin-lin !
 Le Marcelin-lin-lin.

 

Hurlant aux corbeaux et agitant sa faux
Le fermier beuglant comme un veau,
Rattrapa le Marcelin bientôt,
Et de sa faux lui retailla le museau !
 Le Marcelin-lin-lin !
 Le Marcelin-lin-lin.

 

Depuis ce jour le Marcelin, ayant perdu son tarin,
A juré de le plus jamais marauder de thym
Pour agrémenter son lapin
Près d’un champ de lin !
 Le Marcelin-lin-lin !
 Le Marcelin-lin-lin.

 

     Chanson composée par la troupe le soir où Marcelin leur a révélé pourquoi il n’avait plus de nez. Nul ne savait si c’était dû à une contamination à l’ ergot ou un contrecoup psychologique, mais depuis ce jour, Marcelin avait des crises d’hystérie régulières. C’est la raison pour laquelle on lui avait confié un arc comme arme : lors de telles crises, il devenait incapable de s’en servir autrement que comme une arme contondante, et c ‘était bien moins risqué pour tout le monde que s’il maniait autre chose !
Ce qui est sûr, cependant, c’est que depuis le jour où son nez avait été tranché à la faux, la blessure n’avait pas cicatrisé et lui laissait une plaie suppurante en plein milieu du visage, qu’il dissimulait sous un bandage disgracieux.

 

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Le Claude

Révélation

Né affublé d’u syndrome de nanisme, le Claude avait assez bien vécu jusque ses dix ans. Quand ses compagnons de jeu avaient commencé à grandir et pas lui, sa vie s’était nettement compliquée. Il s’était rapidement aigri, et avait voleté à droite à gauche, acceptant n’importe quelle bassesse pour avoir une place dans un groupe. Il avait tour à tour été assassin de fortune, prostitué dans une maison close à réputation excentrique, larbin d’écurie… Il disait oui à tout ce qui était, sans jeu de mots, à sa porté, et qui lui rapportait quelques piécettes et de la compagnie.
Mais invariablement, on finissait par se moquer de lui et de sa taille. Sauf dans la Maison close du Chêne Rouge. Là il avait une bonne situation, une paie correcte, et une reconnaissance tant de ses patrons et collègues — tous affublé d’une particularité leur ayant un jour où l’autre valu moquerie — que de ses « clients » et « clientes, » qui venaient en ce lieu uniquement pour ce genre d’excentricités de luxe. Il n’avait pas à se préoccuper d’un logement, pas à se préoccuper des repas, ni du linge (qui n’y était, de toute façon, pas trop d’usage) : Le Chêne Rouge était sa maison.
Néanmoins, bien que cette période fut la meilleure de sa vie, il finit par s’en lasser. Non pas de son activité en tant que telle, ni du lieu, mais surtout du fait d’être, là aussi, même bien considéré, une bête de foire. Il était malin, très malin, et il aurait pu finir par en devenir le gérant, et il n’aurait plus alors eu ce genre de problème. Il était resté pas loin de dix ans au Chêne Rouge, et avait gravi les échelons au fur et à mesure. De « simple attraction » travaillant toute la semaine, il avait fini par avoir la confiance de ses supérieurs, et s’était vu attribué petit à petit la gestion d’un couloir, puis un étage, gagnant une demi-journée de repos à chaque fois. Au bout de dix ans, il gérait toute l’aile gauche du Chêne Rouge. Sous sa direction, elle avait pris de l’ampleur, car il ne tombait jamais à court d’idées, plus incongrues les unes que les autres. La compétition aile droite-aile gauche, qui animait le personnel et ravissait les clients avait été écrasée trois années consécutives. La réputation d’excentrique du Chêne Rouge, déjà très importante, avait grandi d’autant, car si vers l’aile droite on dirigeait les clients les moins aventureux, on conseillait la gauche à quiconque cherchait un frisson plus… inhabituel.
    Et pourtant, s’il ne travaillait plus dans les chambres qu’une demi-journée ou une demi-nuit par jour, sa grogne sous-jacente allait croissante. Vint un jour un noble de la cour impériale, qui, ayant entendu grand bien de cet établissement, avait souhaité fréquenter cet établissement pour le faire figurer à l’index de son « Grand Guide des Maisons Closes, de Norsca à Tilée, à l’usage de la Noblesse d’Altdorf. »
    Il avait passé une semaine entière au Chêne Rouge, payant un forfait minimum, mais ayant accès à toutes les attractions qu’il souhaitait. Hautain, acerbe et prétentieux, il semblait croire que rédiger un guide revenait à faire remarquer les points négatifs du lieu à tout bout de champ. Un seul commentaire positif était sorti de sa bouche de tout son séjour, quand il ne pouvait se départir de son sourire satisfait à la sortie de la chambre des trois « R. »
    À la fin de son séjour, alors qu’il profitait une dernière fois d’une attraction offerte par la maison, Le Claude avait ouvert son carnet de notes en toute discrétion. À la rubrique Chêne Rouge, il n’y avait qu’une seule ligne : « Leur nain est trop grand. » Cela avait mis le Claude dans une fureur aveugle. Toute la rancœur qui était montée en lui ces dernières années rejaillit d’un seul coup. Il beugla dans les couloirs, ouvrit des portes en les claquant, fit ses valises en coup de vent, et quitta le Chêne Rouge sans même demander son dernier solde, pour ne plus jamais y remettre les pieds. Dans l’ambiance de l’aile droite, le ramdam qu’il fit passa inaperçu sur le coup, mais on regretta longtemps son départ.

    Il avait pris la route, et au bout de quelque temps, ayant épuisé son pécule, se décida à vivre en ermite dans les plaines tiléennes. Ça ne dura pas. Le calme le rendait encore plus fou que les remarques vaseuses de ses concitoyens quant à sa taille. Suite à une après-midi rocambolesque, il s’engagea dans une troupe halfling en garnison à proximité. Il y passa quelques mois à supporter les estomacs sur pattes qui lui servaient de compagnons d’armes, puis déserta après avoir volé la réserve de safran en compagnie de son ami Théosfratus. Leur méfait avait été repéré trop rapidement détecté, et il ne tenait pas à en payer les conséquences. Pour un vol de safran, chez des bouffeurs de potage, cela pouvait être terrible. Tant pis pour Théosfratus, après tout, cela avait été son idée à lui.
    Il avait donc fui vers le nord, et la civilisation, se cachant régulièrement sous les buissons pour échapper à l’escadrille des Vols-au-Vent lancés à sa poursuite avec leurs ailes mécaniques, et esquivant prudemment les odeurs de peau-verte que lui apportait le vent. Désespéré à l’idée d’avoir le choix entre errer dans l’espoir de trouver de quoi vivre ou retourner au Chêne Rouge, il avait croisé la troupe des lépreux un soir, alors qu’il cherchait un endroit où passer la nuit à l’abri des sangliers qui pouvaient se révéler monstrueux dans la région. Édouard ayant — encore — fait trop à manger, ils l’avaient invité à partager leur repas. Le Claude hésita un instant à la vue de leur mauvaise santé apparente, mais son ventre, qui n’avait grignoté que du rat ces derniers jours, avait décidé pour lui. La grillade sentait trop bon.
    La troupe d’Ulfrik lui avait paru somme toute assez sympathique. Ils puaient la mort, ne semblaient pas connaître la douche, ni l’hygiène corporelle, mais bon… ce n’était pas pire que les chambres de la cave de l’aile droite du Chêne Rouge. Sous l’impulsion d’Édouard, ils l’avaient invité à rester en leur compagnie : un ex-militaire dans un régiment halfling, cela vaut son pesant d’or en tant que conseiller culinaire. Et puis certains autres chevaliers — hommes ou femme — étaient intéressés par certains points de ses expériences précédentes…

 

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Amiral Sigismund Toquet

Révélation

« Minima de Malis »… De deux maux le moindre. C’était sa devise, et ce qui l’avait poussé à rejoindre la troupe d’Ulfrik. Il s’y faisait, mais espérait bien trouver une situation moins embarrassante un jour. Ceci dit, ses chances étaient infimes, et il le savait. Foutue foi, ça vous perdait des hommes !

Tout avait commencé en mer. Amiral de la flotte du Roy Louen, réputé pour son sens de la stratégie et sa capacité à trancher rapidement des dilemmes tactiques ardus, félicité pour sa finesse d’esprit et de lame… Il fut une haute figure de Bretonnie. Le temps qu’il passait à terre, il le passait à la cour du Roy, et il n’hésitait pas à défaire en duel tout chevalier qui moquait son activité manquant de charges épiques.


Et pourtant, les charges épiques, bien qu’il eut du mal à se le reconnaître lui-même, ça lui manquait. Il en avait marre de la finesse, marre de l’ennui en pleine mer pour quelques heures de combat naval tout aussi ennuyant, mare de l’immobilité sur le pont, et marre du fleuret, seule arme blanche autorisée sur les navires bretonniens.
Il finit donc par donner sa démission au Roy, et se fit chevalier de la quête. Il acheta un cheval robuste avec sa prime de fin service, embarqua son paquetage sur son dos, et se mis en quête d’un gros marteau. Il trouva son bonheur chez un marchand de la ville, ravi de se débarrasser de cette arme dont personne, ici, ne voulait. Puis il prit la route, et nul n’entendit plus parler de lui. Personne ne s’en étonna, car il était monnaie courante de ce genre de faits : peu des chevaliers qui partaient à la quête du Graal et de la Dame revenaient de leur périple.


Et pourtant, il survécut aux dragons, pourfendit des hybrides ignobles, à mi-chemine entre le bouc et l’humain, pique-niqua des fruits et des noix avec les elfes de la forêt (éblouit par les histoires des grands chevaliers de son enfance, il ne se rendait pas compte de l’honneur que ceux-ci lui avaient fait), et se baigna dans la Cascade aux Sylves sans se faire écharper par celles-ci.
Nombreux sont ceux des chevaliers ayant suivi la même voie que lui qui avaient péri plus tôt, ou qui auraient rêvé d’un tel conte.
Au bout de cinq ans d’errance, solitaire, mais héroïque, il crut avoir trouvé la consécration de sa Sainte Mission dans les eaux d’un étang au miroir parfait. Attiré vers les eaux, il mit pied à terre et s’y agenouilla, tandis qu’une forme s’élevait de la surface que nulle onde ne troublait. Prostré, ému, et en pleine communion avec lui-même et avec sa foi, il ne leva même pas la tête quand on lui tendit un gobelet ruisselant d’un liquide plus clair encore que de l’eau de roche, comme baignée d’une lumière interne. Il y but longuement. « Jusqu’à la lie » racontaient les histoires. Jusqu’à la lie il boirait. Et il essaya. Mais il avait déjà vidé au moins quatre fois le volume du calice, et celui-ci ne semblait s’arrêter de se vider. Sa foi vacillant au fur à mesure que son estomac lui demandait pitié, il ouvrit les yeux, pris d’un doute. Ulfrik se tenait à ses côtés, un petit sourire au coin de ses lèvres. La main tendue pour récupérer l’objet.


« L’eus-tu voulu, tu n’aurais pas pu le vider. Rends-le-moi, maintenant. Je te promets de te le prêter à nouveau bientôt. »
Sigismund émit un glapissement en découvrant le visage de son interlocuteur. Bouffi et vérolé, il était à l’opposé de ce qu’il imaginait pour sa Dame.
« Ma Dame, murmura-t-il, que cela signifie-t-il donc ?
Ta Dame ? lui répondit Ulfrik en partant d’un grand rire. Ta Dame ? Vous avez entendu ça mes amis ? » À sa remarque narquoise répondit le rire gras d’une bonne dizaine de personnes, hors du champ de vision de Sigismund.
« Mon pauvre, reprit Ulfrik, ta Dame, en me mettant sur ton chemin, t’a probablement abandonné, tant soit peu qu’elle existe. Mais si tu veux continuer à m’appeler “ma Dame” pendant les longues années que nous allons passer ensemble, je suppose que ça nous donnera matière à quelques rires bienvenus. »
En pleine désillusion, l’ancien amiral tenta de s’offusquer de ce que lui disait Ulfrik, mais la colère et l’humiliation bloquèrent les mots dans sa gorge.
« Je sais ce que tu vas dire… tu ne vois pas pourquoi tu nous suivrais, et tu ne sais même pas ce qu’on te veut. Et bien pour la seconde question, c’est assez simple : tu nous as semblé bien sympathique, même si encore un peu naïf, et il se trouve que nous venons de perdre un compagnon… On s’est dit que tu ferais l’affaire. Pour la première question, le calice pour lequel tu as mis tant d’abnégation à essayer de le finir sécrète une eau qui te sera désormais vitale… Si cela peut te rassurer, nous sommes tous logés à la même enseigne de ce point de vue là. Cependant nous ne t’obligerons à rien, le choix sera tien. Mais si tu veux vivre, tu nous suivras. »
Minima de Malis… Minima de Malis.

 

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Joan

Révélation

La vie de Joan avait été bien glorieuse et remplie. Arbalètrière du Roy surdouée, elle avait eu une carrière militaire éclatante. Congédiée pour son âge avancé, suite aux manigances de plus jeunes qu’elle briguant son poste, et non pour ses capacités déclinantes, elle avait refusé de déposer les armes, et s’était faite mercenaire. Ses enfants déjà grands, la vie les ayant éloignés de leur mère, elle n’avait plus d’attaches et avait rejoint diverses compagnies au fur et à mesure des années. Elle avait été amenée à travailler pour des mercenaires loyaux à la couronne tout comme pour des bandits de grand chemin. La seule chose qui comptait pour elle était de pouvoir se servir de son arbalète.

La dernière en date était une compagnie de chevaliers dévoyés, et elle se sentait bien parmi ces hommes tout autant en disgrâce qu’elle l’était elle-même, et si pour le moment elle avait refusé de boire à la coupe d’Ulfrik, une petite voix dans sa tête lui disait qu’elle y tremperai bientôt les lèvres de son plein gré.

 

Acte III

(écrits à l'occasion du CDA Les 7 Mercenaires)

 

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La jeunesse de Sir Grégoire

Révélation

Sir Grégoire était né noble, promis à la chevalerie, et en guise de cadeau de naissance, on lui avait entre autres offert une gigoteuse aux armoiries de sa famille... Comment s’étonner alors que lui, fils unique et prodige, ait pu devenir quelqu’un d’autre que le chevalier imbu de lui même, présomptueux et hautain, mais faisant figure de parangon de vertu ?
Et pourtant, ses premières années ne révélaient pas trop ce caractère : il était un enfant joueur et amical, dont le plus grand méfait était de prendre par surprise chaque jour le jardinier du château pour lui faire pousser un glapissement aigu. « Méfait » dont, à vrai dire, le jardinier en question n’aurait pas aimé se passer, car il appréciait le jeune Grégoire et considérait cette habitude comme une marque d’affection réciproque — ce qu’elle était, en réalité.
Sur le coup des sept ans, alors que l’on commençait à instruire sérieusement l’enfant au maniement des armes de bases et à l’art de la lutte, sa mère vint à décéder de maladie. Ni les clercs ni les magiciennes du Royaume n’avaient pu la sauver, et elle partit, sans souffrir, mais bien trop jeune, et surtout, bien trop tôt aux yeux de Grégoire. Sa mère l’avait elle-même allaitée plutôt que de recourir à des nourrices, avait toujours été là pour panser ses blessures, et même ses sermons étaient tolérés par Grégoire.
À la mort de Dame Élianne, le jeune seigneur perdit le sourire un temps. Il se croyait coupable de son décès, pour une raison qu’aucun de ses précepteurs ne réussit à découvrir. Et bien qu’au bout de quelques mois il n’évoquât plus sa responsabilité, nul n’était dupe sur ses pensées à ce sujet... d’autant plus qu’il lui arrivait d’en pleurer et d’en parler durant son sommeil.


Il passa de plus en plus de temps à l’entraînement. Il avait grandi dans un château résonnant d’histoires héroïques où la lame et le courage semblaient pouvoir résoudre n’importe quel problème. Bercé par ces douces illusions, il s’acharna à devenir un bretteur hors pair, et fit la fierté inavouée de son père aigri et bourru. À l’âge de douze ans, ayant grandi très rapidement, il eut droit de monter de vrais chevaux. Fougueux et impétueux, ceux-ci lui firent ravaler sa fierté en l’envoyant au tapis à de nombreuses reprises les premières semaines. Entre les chevauchées tranquilles des poneys auxquels il était habitué jusque là et les ruades vigoureuses des purs-sangs bretonniens, il y avait plusieurs mondes d’écarts.
Il trouva sa première monture personnelle en une bête d’un noir de jais qu’il nomma Victoire. C’était une jument récalcitrante et agressive, qu’il réussit à dompter à force de volonté. Lorsque personne ne pouvait l’entendre, Victoire avait un autre surnom... « Mère. » Le précepteur qui découvrit ceci fut fortement inquiété pour la stabilité mentale du jeune homme. Lorsqu’il évoqua ce fait en privé au seigneur et père de l’enfant, celui-ci ne le crut pas. Pire, il l’accusa de diffamation, et le chassa de son territoire.
Et en secret, l’enfant continua de parler à sa jument comme à sa mère. Les fièvres du souvenir et de la confusion s’emparèrent lentement, mais irrémédiablement de son esprit. Il était suffisamment alerte et lucide pour savoir qu’il ne devait jamais laisser transparaître son plus grand secret, car personne ne le croirait : il savait que sa mère était encore vivante. Quand bien même tout le monde avait vu sa dépouille, quand bien même le cortège mortuaire avait déambulé plusieurs heures dans les faubourgs de la ville. Il était convaincu qu’elle avait survécu, quelque part, et cette idée tenace, ce poison de l’esprit, devait définir le reste de sa vie.

À la mort de son père, il hérita du titre et de ses terres. Chevalier depuis quelques années déjà, il avait acquis une solide expérience du combat, mais était novice dans tout ce qui avait trait à la politique. Il eut la présence d’esprit de s’entourer de conseillers avisés, et il réussit à maintenir la paix à grands coups de charges de cavalerie, ainsi qu’une certaine prospérité sommaire sur ses terres.


L’illusion qu’il donnait d’un seigneur de Bretonnie sain de corps et d’esprit était parfaite. Les rares personnes qui avaient su ses errements à propos de sa mère étaient décédées depuis longtemps, et nul ne le soupçonnait de nourrir un projet plus tiraillant, plus viscéral et plus égoïste que la protection de ses gens : il voulait retrouver sa mère. Et ce mal qui le rongeait resta longtemps en retrait. Il avait eu beau chercher dans les premiers temps, aucun indice, aucune trace ne le mit sur la piste inexistante qu’il recherchait. Alors patiemment il attendait son jour, administrant sa cité et son duché durant les heures de soleil, méditant et cultivant son souhait le plus cher aux heures des lunes.

 

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La Révélation de Grégoire

Révélation

C’est lors d’une nuit claire d’été qu’il eut une illumination. Il avait maintenant plus de trente ans, et toutes ses années avaient modelé son esprit, reconstruit ses souvenirs, l’avaient pétri de certitudes erronées et instillé des idées qui auraient pu lui valoir l’asile si quiconque l’en avait soupçonné.
Alors qu’il méditait, étendu sur sa couchette en duvet d’oie, une soie aux armoiries de sa lignée recouvrant à demi son corps transpirant dans l’étouffante chaleur nocturne, il comprit qu’il n’avait jamais eu de mère. Qu’il était né du néant, enfant prodige, miracle vivant, et que la mère qu’il avait appelée mère n’avait été qu’un parent d’adoption, afin de camoufler sa véritable origine. Cette nuit là, à cet instant précis, la brume de ses pensées nébuleuses, qui formait derrière ses yeux mi-clos la trame d’une fresque dont il ne réussissait pas à percevoir le sens s’évanouit, pour ne lui laisser plus qu’une seule idée, enfin révélée à lui. Il était fils de la Dame.
À l’instant même où cette pensée se cristallisait avec des mots dans son esprit, ses yeux s’ouvrirent brusquement, et il resta allongé, stupéfait par sa prise de conscience, à fixer de ses yeux bleus profonds le baldaquin qui le surplombait. Puis il se leva, le contact de ses pieds nus contre la pierre rafraîchie le vivifiant, et se mit à errer dans ses appartements. À la fois perdu, surexcité, terrorisé et confus, il ne savait plus ce qu’il faisait. Il s’était à moitié habillé — à l’envers — avant d’aller à son écritoire pour essayer de trouver quelque chose à manger. Écritoire qu’il retourna de frustration lorsqu’il se rendit compte qu’il ne contenait, logiquement, que des feuilles de parchemin, quelques plumes usagées et un fond d’encre dans un pot en terre émaillée. Il finit par se rouler en boule sur le sol, dans la pâle flaque de lumière lunaire qui filtrait de ses rideaux, rendue verdâtre par la prédominance en cette période de l’année de Morrslieb.


Lorsqu’on le retrouva le matin, il dormait encore au même endroit. On s’inquiéta pour lui, et les médecins le déclarèrent souffrant, lui enjoignant une journée de repos. Il prit bien soin de ne pas les contredire à ce sujet. Une journée chargée s’annonçait pour lui. Bientôt, il céderait à l’Intendant les rennes du duché, et prononcerait ses vœux pour partir en quête de la Dame et du Graal… sa mère, et son héritage légitime.

La folie peut s’étendre dans l’esprit de n’importe quel homme, mais lorsqu’elle s’empare d’un homme de pouvoir, les conséquences peuvent s’avérer encore plus dramatiques. Et lorsque cette folie est latente, invisible pour qui ne sait la voir, son insidieux poison peut faire plus de dégâts encore que la haine la plus virulente. Le château fut en liesse lorsque le Duc Grégoire prononça ses vœux en grande pompe dans le temple de la ville. Ce geste simple — choisir le temple de la ville plutôt que celui du château — avait eu le pouvoir de laisser impuissantes les rares personnes désapprouvant le choix de Grégoire de partir : porté par la liesse populaire, leur seigneur était intouchable. Bien que la plèbe ne soit pas très sensible au culte de la Dame, la ville avait toujours eu ses héros, ses défenseurs, et ses hommes adulés. Mais Grégoire partait en quête du Graal… une nouvelle légende locale naissait de leur vivant.


Il fut porté par les vivats, prononça ses vœux dans un silence saint et respectueux. L’énonciation des vœux était protéiforme, et s’adaptait en fonction des circonstances. Nul besoin de cérémonial, un simple murmure prononcé pour soi-même, tombé à genoux dans l’herbe grasse sous le coup d’une révélation, n’était pas moins valable que ceux prononcés dans le saint-sacre de Courrone. Mais Grégoire était seigneur en ses terres, et la cérémonie fut assez longue. Il en passa la plupart à genoux, à écouter d’une oreille le sermon de la demoiselle le sacrant, mais l’esprit tout à l’organisation de sa quête.
Quand vint le moment pour lui de prononcer son vœu, il faillit s’étrangler d’émotion. C’est la voix rauque qu’il énonça :
« Je dépose ma lance, symbole de devoir, je quitte mes bien-aimés,
Je me départis de toute chose hormis des outils de ma quête.
Aucun obstacle ne me retiendra, aucun appel à l’aide ne m’échappera.
La Lune ne me surprendra jamais deux fois en un même lieu.
Je me donne, cœur, corps et âme à la Dame que je cherche »


« Ainsi soit-il, et puissiez-vous vous montrer digne d’Elle et de Ses Dons » clôtura la demoiselle en l’enjoignant à se lever. Lorsqu’il amorça le geste, elle le repoussa symboliquement, au sol, et il se laissa choir, avant de se relever. Il était prêt. Il fit demi-tour, et remonta l’allée centrale du temple, afin de rejoindre les vivats qu’il entendait poindre à l’extérieur.

 

 

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Révérence et Solidarité

Révélation
Révélation

Lorsqu’il passa le porche, aveuglé par la lumière du jour faisant suite à la pénombre du temple, il mit un moment avant de se rendre compte que six chevaliers lui faisaient une haie d’honneur. Son cœur fit un bond… leur présence ici, en ces circonstances, ne pouvait signifier qu’une seule chose. Sa dévotion et la prononciation de ses vœux avaient fait des émules. Il allait avoir des compagnons de route, qu’il le souhaite ou non. Sa quête ne serait pas solitaire, mais de groupe. C’était un évènement rare… ses six chevaliers-suivants allaient prononcer leurs vœux de soutien immédiatement après lui. Il ressentit un mélange de fierté, de soulagement et de déception en ingérant l’information. Fierté d’avoir été un modèle et d’avoir déclenché des élans de dévotion pour sa mère chez d’autres que lui. Soulagement de savoir qu’il n’allait pas être rongé par la solitude, mais déception que cette quête — sa quête — ne serait plus tout à fait la sienne à part entière. Il ressentit également une pointe de jalousie, à l’idée qu’il n’était pas le seul à chercher Mère, et à l’idée que de nombreux, avant lui, depuis Gilles, avaient reçu sa bénédiction.


Ses yeux se réhabituant peu à peu à la lumière, il détailla les visages des six hommes en armure d’apparat. Deux d’entre eux étaient de ses proches : Messire Jolinard, avec qui il avait partagé une bonne partie de son enfance. Fils de Gontrand Jolinard, mort à la bataille de Clairbois face aux peaux-vertes, il avait été pupille du Duché, et faisait donc pratiquement partie de la famille de Grégoire. En face de lui se tenait Monsieur de Moussac, un vétéran qui n’avait pas eu une vie très exaltante, et cherchait probablement autant le frisson de l’aventure qu’une pommade atténuant l’échec de sa vie. Grégoire ne connaissait pas les deux visages suivants. L’un des deux hommes semblait riche, au vu des étoffes exotiques et travaillées qu’il arborait, tandis que l’autre avait tout d’un courtisan de Couronne, guindé et dont l’armure de bataille avait tout l’air d’être aussi chargée de fioritures que sa propre armure d’apparat.
Parmi les deux derniers hommes, il connaissait le visage et le nom d’un seul : celui que l’on surnommait le Palefrenier. Amoureux des chevaux, il disposait d’un troupeau complet de pur-sang. Lorsqu’il n’était pas occupé par ses affaires d’État, il les élevait et faisait commerce des poulains et des saillies. C’était un homme complet, que la passion et le travail avaient rendu riche.


Grégoire ne connaissait pas le dernier homme, mais il lui devinait un esprit troublé et une histoire en dents de scie. Il ne s’attarda pas à faire connaissance, et continua à marcher vers la foule, tandis que dans un concert de cliquetis huilés, les six hommes entrèrent dans le temple pour y prononcer leurs vœux.

 

 

 

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Le cordonnier Gillebois

Révélation

Victor Gillebois renâcla à son établi, se reculant brusquement en arrière. Décidément, il se demandait parfois si être le meilleur cordonnier de toute le royaume était une fierté ou un fardeau... Entre les admirateurs oisifs et obséquieux, les confrères jaloux, et les imbéciles lui demandant les lunes, il en avait soupé de sa condition. Mais il se plaisait dans son art, donc il faisait avec. Il secoua la tête, et retourna à son travail, dégouté de la tâche qu'il devait s'abaisser à accomplir pour un riche client. Coudre du tissu d'or sur du beau cuir pleine fleur ! Quelle aberration ! D'autant plus que le client avait exigé que le harnachement de sa monture soit du meilleur cuir, gravé sur chaque centimètre carré, quand bien même l'ensemble ne serait pas visible sous la couche de riche étoffe qui confinait au ridicule. Non mais vraiment ! Victor fulminait... mais il n'avait pas le choix. Il pouvait suffire d'un seul client mécontent et influant pour ruiner la réputation de son échoppe, et il n'y tenait pas particulièrement.

Il se remit à l'ouvrage en marmonnant à voix basse sur l'air d'une chansonnette à boire graveleuse :

"Arléïs, Arléïs, ton harnais je te le pisse !

Mon Hector, mon Hector, ton harnais je te le mord !"

 

 

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La Quête de la compagnie de Grégoire - Partie 1

Révélation

Leurs sept montures les attendaient, attachées docilement à la herse de la Porte des Boucs, l’entrée sud du bourg. Trois jours s’étaient écoulés, trois jours d’une intensité incroyable pour Sir Grégoire. Ses six compagnons de route passaient leur temps en bain de foule, ou en profitant pour la dernière fois avant bien longtemps des plaisirs de la ville… peu importait que ceux-ci soient compatibles ou non avec leurs vœux d’ores et déjà prononcés, c’était une incartade généralement admise et tolérée pour les vertueux héros en devenir. Mais pour Grégoire, l’affaire était toute autre. Pour ainsi dire, le seul moment de sommeil qu’il avait eu était complètement involontaire : il s’était assoupi en mangeant sur le pouce, entre deux réunions d’état-major, pour préparer ses années d’absence. Son intendant avait déjà pris ses fonctions, mais s’il était très efficace pour la gestion des affaires courantes, il n’avait jamais été instruit des projets futurs pour la ville ni de certaines relations politiques qu’il se devait de connaître pour la suite.


Ces trois jours passés à expédier les dernières affaires courantes, préparer son absence et instruire son suppléant à la tête du Duché avaient été éreintants. Mais, alors que ses pas le portaient vers la sortie du bourg, où une bonne partie de la population était amassée, il se sentit revivre, tandis qu’une énergie nouvelle était insufflée dans chacun de ses membres. Il était le dernier à arriver, tout le monde l’attendait. Les lances de cavaleries, prêtes pour la Cérémonie d’Abandon, étaient dressées hautes, fanions claquants au vent.


Un murmure se propagea dans la foule lorsque Grégoire rejoignit sa monture, et, saisissant les mains de ses deux plus proches compagnons, pour former une chaîne avec les sept membres que comprenait leur équipée, il prit la parole d’une voix suffisamment forte pour que tout un chacun l’entende.
« En ce jour, nous renonçons à nos privilèges, à nos devoirs et à nos droits.
En ce jour, nous vivons pour la Dame,
En ce jour je ne vis plus que pour Mère, pensa-t-il
En ce jour, nous laissons nos lances, et leur préférons l’espadon
En ce jour, nous vous faisons nos adieux,
Puissiez-vous être là pour notre retour. »
Lâchant les mains de leurs compagnons, chacun des chevaliers décrocha la fière lance de cavalerie, et la posa au sol, avant de monter en selle.
Puis ils partirent, et à les voir s’éloigner par l’arche de pierre de la porte, on eut pu croire que celle-ci, comme la bouche immense d’un monde sans foi, venait d’avaler les sept preux chevaliers.

 

Grégoire s’ennuyait ferme. Il avait vu sa quête comme une exaltante chevauchée vers l’accomplissement de sa destinée, au lieu de quoi il passait la majeure partie de son temps à vagabonder sans but. Il n’avait toujours pas eu de vision susceptible de le mettre sur la voie de Mère. Il errait donc, suivit de ses six compagnons, de bourg en bourg et de val en val, tentant tant bien que mal de tuer le temps. La quête d’un chevalier est unique, et s’il lui arrive de combattre de monstrueuses créatures, la pire d’entre elles à vaincre est lui-même. Durant deux années pleines, Grégoire et sa troupe errèrent pour porter secours, offrir leur aide, et vaincre des monstres locaux… qui la plupart du temps n’existaient même pas, ce dont ils se gardaient bien de révéler à quiconque.
Ils crurent leur quête prendre sens à la mort du dragon Sharok, dont le dernier souffle leur sembla être un soupir venu de la Dame Elle-même. Il n’en fut rien.
Et plus le temps passait, plus le doute s’installait dans l’esprit de Grégoire. Sa logique imparable lui semblait friable, il n’était plus certain de ses prétentions généalogiques. La folie, ayant de moins en moins de grain à moudre, cédait du terrain à la raison, qui luttait d’arrache-pied pour reconquérir l’esprit du Duc. Sa personnalité troublée, jusqu’ici correctement dissimulée, était de plus en plus décelable. Lunatique et dépressif, les élans optimistes le cédaient bien souvent aux retombées moroses. S’il ne s’en rendit pas compte, il dut la vie à ses compagnons, qui par leur seule présence l’empêchèrent de tomber si bas qu’il aurait été au-delà de tout espoir de survie à court terme.

 

Lassés des campagnes et des bourgades, ils décidèrent d’explorer les forêts, et de bouter la vermine cornue hors de celles-ci. Cela leur valut de hauts faits, et redorèrent leur fierté écaillée, mais l’aura d’insanité qui émanait des rejetons du chaos étaient trop forte pour la raison renouvelée, encore trop faible, de Grégoire. Ils virent des choses ignobles, et entendirent des voix que nul mortel ou immortel ne devrait entendre. La parodie grotesque et macabre de société humaine que formaient les hardes difformes étaient une vision au-delà de toute bienséance.


Le pire n’était pas dans leurs agissements et leurs pratiques malsaines. Ni dans leur hygiène de vie, ni dans leur langage guttural, ni, encore moins, dans leur apparence odieuse et révoltante. La chose la plus ignoble que pouvaient faire ressentir aux humains les maudits hommes-bêtes, c’était d’avoir l’impression de se voir dans un miroir. De se dire que si ignobles soient ces êtres, n’importe quelle communauté pourrait tendre vers cette aberration si les digues de la civilisation, et de toutes les valeurs qui portent l’humain vers le meilleur venaient à céder.


Et bien que tout son instinct lui intima d’éradiquer ces créatures, ce qu’il fit avec une joie sauvage, les mécaniques paranoïaques qui avaient perdu du terrain dans son esprit se remirent en branle, de façon plus insidieuse encore, car elles se développèrent et étendirent leurs tentacules à tous les niveaux de son construct mental, juste sous le seuil de la conscience. Et alors qu’il se sentait libre et avait la sensation de respirer à nouveau l’air pur après avoir passé de trop nombreuses années la tête sous l’eau, son esprit se montait contre lui-même, sapant ses propres défenses, sabotant sa logique, n’attendant plus que la pichenette qui le ferait basculer définitivement dans l’ombre et la démence.


Ce fut une période heureuse pour lui, ses suivants, et sa quête. Une lucidité nouvelle s’était emparée de lui, et il était désormais persuadé que la Dame n’existait qu’au travers des actions que l’on menait en son nom. Ils lancèrent de nombreuses charges, et débusquèrent quantité de boucs bipèdes en train de se vautrer dans toutes les débauches imaginables. Ils ne comptèrent bientôt plus le nombre de bûchers qu’ils allumèrent au pied des pierres gravées dressées afin de brûler les cadavres de leurs victimes cornues. Ils étaient adulés par les villageois qu’ils délivraient des menaces, et s’ils avaient été malhonnêtes, ils auraient sans le moindre doute pu faire fortune en vendant leurs services. Une aura de gloire les entourait, et aucun d’entre eux ne doutait qu’ils recevraient bientôt un signe leur indiquant que leur quête touchait à sa fin.

 

 

 

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La Quête de la compagnie de Grégoire - Partie 2

Révélation

Aucun d’entre eux n’avait explicitement évoqué l’absence de signes depuis leur départ. Ils étaient tous conscients que leur quête était un abandon de leur être à la Dame, et la vanité ou l’orgueil qu’ils pouvaient éprouver à recevoir un signe rapide n’étaient qu’autant de freins à leur réussite.


Pourtant, ce soir-là, Messire Vassily de Vives-Épines brisa le tabou pour la première fois. Ils s’étaient installés pour la nuit en haut d’une butte, en plein milieu d’une humide forêt de conifères. Le sol graniteux ne leur avait pas laissé beaucoup de choix, mais au moins, ils seraient en sécurité. Leur feu de camp dressait hautes et vives ses flammes orangées. Le repas était fini depuis un petit moment, et c’était le moment de la journée où ils avaient pris l’habitude de tenir leurs discussions sur la suite à donner à leur périple.


« Mes amis, je crois que nous touchons au but. Sans présumer de notre réussite, ce que nous avons accompli ces derniers temps est digne d’éloges. Nous avons purifié de nombreux sites du royaume, et on ne compte plus les villageois que nous avons sauvés d’un danger certain ! » Il n’avait pas dit ça sur un ton présomptueux, pourtant il n’eut pour réponse que des grognements teintés d’acerbité. Chacun, en son for intérieur, pensait comme lui, mais aucun n’osait le reconnaître. Ceux ayant reçu la bénédiction de la Dame n’évoquaient jamais leur quête ni les faits qu’ils avaient accomplis lors de celle-ci. Nul ne savait, hormis ceux sanctifiés par leur douce divinité, ce qui méritait l’insigne honneur de pouvoir boire dans ses paumes opalescentes une fraîche gorgée d’eau. Et il était monnaie courante de penser qu’évoquer ceci portait malheur.


Chacun y alla de son argument, de sa maxime ou de sa désapprobation. La discussion allait bon train : le sujet leur tenait trop à cœur pour qu’ils l’évitent maintenant qu’il avait été abordé. L’un arguait qu’aussi hauts que fussent leurs faits, ils n’étaient que de menues actions aux yeux de la Dame, sans envergure, et donc peu digne de ses attentions. L’autre répondait que c’était en menant de petites actions insignifiantes, et sans rechercher l’honneur que l’on accédait à celui-ci. Et jusque tard dans la nuit ils discutèrent, sinuant entre les souhaits et espoirs de leurs actions futures et la remembrance de leurs actes passés. Seul Sir Grégoire ne disait mot. Perdu dans ses pensées, un tourbillon de doute, d’espoirs et d’émotions l’avait envahi depuis l’intervention de Messire Vassily.


Cette nuit-là, le dos coincé entre deux racines sinueuses de pin, il dormit profondément. Parmi ses rêves et songes nocturnes, par delà les barrières de la conscience, se glissèrent des murmures évanescents, chuchotés d’une voix si douce qu’il lui était impossible de se souvenir du mot précédant celui qu’il entendait. Bercé par cette mélodie soyeuse, son esprit s’apaisa, et il passa le reste de la nuit à dormir d’un sommeil sans rêve, que seuls meublaient ces susurrements, porteuses d’un message sans équivoque, directive latente, mais impérieuse : « Va à l’Est. »

 

 

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La Quête de la compagnie de Grégoire - Partie 3

Révélation

Le matin, pris d’une fébrilité qu’il ne s’expliquait pas, l’air ailleurs, mais déterminé, le Duc Grégoire décréta que leur troupe irait vers la direction du soleil levant. Habituellement, ils choisissaient ensemble leur destination, et jamais l’un d’entre eux n’avait décidé seul de leur orientation. Mais face à l’attitude étrange de l’initiateur de leur quête, les six hommes s’inclinèrent, sentant que quelque chose avait changé. Tous avaient encore en mémoire leurs échanges de la veille, et si le sujet ne fut pas évoqué de nouveau, les regards lourds de sens et teintés de fierté qu’ils se jetaient mutuellement valaient tous les discours : Messire Grégoire avait reçu un signe. Si certains le jalousaient, la plupart acceptaient le fait que tous ne reçoivent pas les premiers signes en même temps. Après tout, auraient-ils osé se lancer dans un tel périple sans la foi contagieuse du Duc Grégoire ? Ne méritait-il pas plus qu’eux-mêmes de recevoir la première Illumination ? Ils patienteraient : leur attente ne serait plus longue désormais.

 

Pourtant, leurs certitudes s’écaillèrent au fur et à mesure que les jours passaient. Sir Grégoire, s’il maintenait la direction de l’Est, ne leur avait pas parlé d’un signe quelconque. En fait, il ne leur avait pas beaucoup parlé, et à part ceci, rien ne semblait avoir changé… L’esprit de Grégoire était confus. Il sentait qu’il devait aller à l’Est, mais il ne comprenait pas pourquoi. Il espérait que ce soit un appel de sa mère, mais quelque chose, au fond de lui, le retenait d’en parler à ses camarades. Ses nuits étaient étranges, il dormait d’un sommeil profond, mais il s’en éveillait au matin sans se sentir reposé. Comme si son esprit ne s’arrêtait pas. Et puis un jour, alors qu’il émergeait, cassé et fourbu, d’une nouvelle nuit pourtant paisible, il sut. Au moment où ses yeux s’ouvrirent, les restes noircis de leur foyer de la veille au soir remplaçant peu à peu dans son esprit les chimères éthériques de ses rêves, il se souvint. Il se souvint de cette voix douce l’appelant. De ces murmures incessants. Et de cet ordre insistant : « Va à l’Est. »  Va à l’Est… « et trouve le Lac aux Papillons. »


Il s’assit, repoussant les couvertures qui lui avaient servi de seul abri pour la nuit. Il était encore tôt, l’aube perçait à peine entre le feuillage des hêtres, éclairant d’une chaude lumière dorée leur campement encore endormit. Les premiers insectes étaient déjà au travail : il les voyait, attendri, bourdonner et butiner paisiblement, parmi les fines volutes de poussière illuminées des premiers rayons du jour.


Il était encore légèrement hagard, l’esprit ailleurs, lorsque le Seigneur ElCarré se réveilla à son tour. « Messire, cela ne va pas ? » lui demanda-t-il à la vue de son air absent.
« Si, mon cher Lawrence, si… cela va très bien. Nous avons une direction désormais. Nous irons au Lac aux Papillons. »
Le Seigneur ElCarré, tout de joie contenue, cherchant la confirmation de ses espérances, l’incita à poursuivre. « Monseigneur ? »
« Le Lac aux Papillons… » murmura Grégoire. « C’est donc là que prendra fin notre quête, Lawrence. J’ai eu une révélation. Depuis plusieurs jours, je ne savais pourquoi, mais quelque chose avait changé… Et aujourd’hui, je le sais. La Dame me parle les nuits, Lawrence. La Dame me parle. » Il tut ce qui l’avait troublé. Aussi loin que remontent ses souvenirs, que ce soit les douces caresses comme les pires remontrances, sa mère avait toujours eu cette voix particulière qui savait l’apaiser et lui donner confiance. Il ne l’avait plus entendue depuis des années. Et cette nuit, elle lui avait parlé. Il avait entendu sa mère dans ses songes. Il savait que ce n’était pas le produit de son imagination. Il avait souvent revécu en pensé les conversations avec sa mère. Il s’était longuement remémoré les histoires qu’elle lui racontait. Et à chaque fois qu’il se savait en tort, il se remémorerait les corrections qu’elle lui imposait dans ces situations. Mais son imagination ne produisait que de pâles copies des sonorités et intonations de sa mère. Et cette nuit, ce n’était pas une copie fantasmagorique de son esprit. C’était sa voix, la vraie voix de sa mère.


Toutes les constructions démentielles que son esprit avait peu à peu réussi à écarter, toutes les illusions que son imagination avait drapé autour de sa raison pour l’étouffer lui revinrent ce matin-là. Les maigres mécaniques de défense que son esprit avait su rebâtir sur les ruines de sa folie refoulée furent balayées par des émotions trop puissantes. Et pourtant, il savait qu’il ne devait pas en parler. Il savait qu’ils le prendraient pour un fou s’il évoquait ses certitudes. Alors il se tut. Il ne dit rien de plus à Lawrence ElCarré que cet appel insistant, et leur direction.


Sir Grégoire était pétri d’optimisme désormais, et cela se voyait. Son visage semblait irradier d’une clarté intérieure, et tous ses compagnons le virent comme illuminé. Plus aucun doute n’était permis : leur destinée lui avait été révélée. Ne restait plus qu’à localiser ce Lac aux Papillons, dont nul n’avait entendu parler. Et pour cause, si les rumeurs lui étant associées étaient fort répandues dans les ragots de la populace, celles-ci n’atteignaient pas les oreilles hautaines des chevaliers. Ainsi, leur seul indice était cette direction de l’Est. Ragaillardis par ces nouvelles encourageantes, ils levèrent une nouvelle fois le camp.

La Bretonnie n’est pas un vaste pays, mais à dos de cheval, lorsque l’on ne sait pas où chercher, trouver un petit lac méconnu peut s’avérer ardu. Pendant une semaine, ils cherchèrent seuls. Les deux jours suivants, ils se résignèrent à se renseigner auprès des paysans. Le dixième jour ils en connaissaient l’emplacement exact, et se mirent en route pour la dernière partie de leur longue errance. Ce furent des journées heureuses que celles-ci. Chevauchant gaiement, les discutions allaient bon train, oscillant entre solennité pompeuse et grivoiseries coupables. Sir Grégoire leur décrivait désormais ses songes nocturnes — omettant toujours de préciser ce qui avait trait à ses liens de parenté avec la Dame — et son enthousiasme contagieux éveillait leur imagination… et fragilisait d’autant leur raison. Ils se mirent eux aussi à entendre des murmures nocturnes. Rêves induits ou véritables messages, ils ne se posèrent même pas la question : ils étaient fiers de recevoir la visite nocturne de l’esprit de la Dame.


En apprenant qu’il n’était plus seul à entendre l’appel de sa mère, Sir Grégoire conçut une certaine jalousie. Pourquoi donc ne s’adressait-elle pas uniquement à lui ? Quels mérites avaient les autres pour recevoir cette bénédiction ? D’ailleurs, comment avait-elle pu, sa mère, encenser d’autres chevaliers avant lui ? Sa jalousie grandissante s’approchait peu à peu des limites de la rage contenue lorsque le Palefrenier, à son insu, désamorça la situation avec une remarque anodine : « Vous savez, j’ai l’impression que cette voix ressemble à celle de Demoiselle Éliane… c’était prophétesse à la cour de mon Baron. C’est curieux… »
Et tous les autres d’évoquer une personne différente concernant l’appartenance de la voix qu’ils imaginaient. Puis, ils essayèrent de trouver un terrain d’entente, une explication à ce manque de cohérence. Certains émirent l’idée que la Dame s’adressait à eux par l’intermédiaire de l’image d’une personne connue, et appréciée, afin de mieux les toucher. D’autres que la Dame n’existait que par l’intermédiaire des preuves d’affection, d’où le fait qu’elle s’incarne différemment pour chacun. Certains, enfin, estimaient qu’ils étaient bien peu de chose pour oser imaginer pouvoir se représenter la Dame, et que leur esprit raccrochait cette voix immatérielle à une personne chère, pour ne pas sombrer dans la folie.

 

 

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Paradigmes Théologiques

Révélation

« Voyez-vous mon bon monsieur, je pense que vous n’avez pas bien appréhendé les réflexions transmatérialistes de Messire Joliac de l’Étude Icelienne… à vous écouter, nous comprenons clairement que ses arguments à propos de la fragmentation spirituelle des entités subdivines »
« Monsieur, je ne vous permets pas ! Oseriez-v… »
« Monsieur, je vous arrête ! Il n’est pas question d’oser ou non, mais d’éclairer des faits. Ce n’est pas un avis personnel que d’affirmer que vous n’êtes pas apte à les entendre. C’est une évidence logique, nos compagnons, j’en suis certain, abonderons en mon sens, et croyez bien que j’en sois désolé » assena Monsieur de Moussac en esquissant une révérence du mieux que le permettait sa situation de cavalier.
Hector Arléïs n’en menait pas large. Le manque de soutien de la part de ses compagnons était sans équivoque, il avait fait une erreur en abordant le sujet. Pourtant l’idée lui avait paru bonne, et l’auteur peu connu… manifestement il s’était trompé. Plutôt que d’essayer de répliquer, il abdiqua d’un signe de tête. Messire Jolinard, laissant passer un court silence, repris la conversation :
« Poursuivez, Monsieur de Moussac, poursuivez. Pourriez-vous développer votre argumentaire en faveur de la fragmentation spirituelle ? »
« Et bien voyez-vous, il est assez courant, en fait, de constater la fragmentation spirituelle sur des entités immatérielles. Nous ne parlons pas ici, mes amis, d’entités subdivines, mais d’esprits et de démons mineurs. Les recherches de l’Étude Icelienne ont montré que lorsqu’un tel esprit, qu’il soit anima malis ou anima bonis, c’est-à-dire animé de bonnes ou mauvaises intentions à l’égard du corps et de l’esprit qu’il investit… »


« J’émets quelques réticences à ce sujet… » tenta de l’interrompre Vassily de Vives-Épines, en faisant volter sa monture, mais sans succès, car Monsieur de Moussac poursuivi sans daigner s’arrêter : « Je vous en prie, Monsieur, nous ne débattrons pas, si vous le voulez bien, du fait que la possession en soi puisse être essentiellement considérée comme anima bonis ou non, là n’est pas le sujet. » Le Seigneur de Vives-Épines inclina la tête. « Poursuivez, Monsieur, poursuivez. Veuillez me pardonner cette impromptue interruption. »
« Monsieur » fit le chevalier Moussac en signe de pardon. « Comme je le disais donc, l’Étude Icelienne a montré que lors de telles possessions, l’esprit en question n’investit pas, comme l’eau pourrait remplir un pot, l’esprit — ou le corps — qu’il s’est attribué. En réalité, nous pouvons constater que l’anima possesseur se fragmente. Oui, messieurs, il se scinde en deux. Une partie, seulement, s’occupe de ce que l’on appelle couramment la possession, et cette partie n’est pas en soi consciente. En fait, il s’agit principalement d’impulsions spirituelles et sentimentales émises par l’anima, une sorte de noyau reprenant ses inclinaisons principales. »
Arléïs profita d’un petit silence pour faire avancer sa monture à hauteur de Monsieur de Moussac, et l’interpella : « Monsieur, veuillez me faire amende honorable, je me repends pour ma maladresse de tout à l’heure… pourriez-vous me détailler ce que vous entendez par non consciente ? Est-ce à dire que ce fragment, en soi, est incapable d’agir ? Ou qu’il peut agir, mais sans… préméditation, pour ainsi dire, de ses actes ? »
« Monsieur, bien entendu je vous pardonne pour votre maladresse, ainsi que vous la nommez », lui répondit Monsieur de Moussac avec un petit sourire satisfait. Il prit un temps de réflexion, et inspira longuement avant de répondre. « Et bien pour faire simple, il peut agir — et il agit — sans préméditation, sans plan et sans volonté. Si d’aventure l’esprit possesseur était anéanti sans que la possession prisse fin auparavant, son hôte serait libre de son contrôle. L’esprit n’étant plus, il lui est évidemment impossible de contrôler la personne en question. Toutefois, ce noyau que j’évoquais, nommé sentimentalis corris par les chercheurs de l’Étude ne disparaît pas de l’hôte. Il reste implanté au plus profond de son âme, et continue d’émettre des impulsions sans cohérence, qui vont conditionner les actes de l’hôte. Ainsi, bien qu’il ne soit plus sous le contrôle de l’esprit, il n’est pas totalement maître de ses actes pour autant. Cela donne, au mieux, des êtres particulièrement impulsifs et lunatiques, et au pire, des aberrations que l’on considère généralement comme des fous. Lorsque cela se produit, la durée de vie de l’hôte est extrêmement courte : soit ses actes finissent par être dangereux pour lui-même, soit il est tout simplement dangereux pour autrui, et bien souvent lynché par les populations, condamné à mort ou écroué. »


Il jeta un regard à ses compagnons, tentant de déceler ceux parmi eux qui n’avaient pas compris. L’art du débat lui était cher, et en bon stratège, il tentait toujours de savoir quelles étaient les faiblesses et les forces de ses opposants. Il fut déçu de constater qu’aucun d’entre eux ne semblait perdu. Soit ils étaient déjà au fait de cette explication sommaire, soit ils n’avaient pas eu de difficulté à suivre ses paroles. Respirant à nouveau profondément, il flatta l’encolure de sa jument, puis reprit son exposé.


« Pour la suite, je vais devoir prendre un exemple un peu honteux, et j’espère que vous pardonnerez de penser à de tels actes peu honorables… En la matière, je n’ai, malheureusement, pas réussi à trouver plus parlant. Aussi j’espère que l’un d’entre vous me donnera une comparaison meilleure. Car voyez-vous, je vais évoquer les actes fourbes et peu honorables que sont l’espionnage et la manipulation. » Une petite comédie de murmures offensés surjoués éclata.
« Messieurs, messieurs, veuillez m’excuser… Voyez-vous, comme je le disais donc, je vais devoir évoquer espionnage et manipulation. Car le sentimentalis corris est bien ceci : un espion et un manipulateur quasiment infaillible. C’est une sorte d’avant-poste dans l’esprit de l’hôte, qui à la fois transmet toutes les pensées de celui-ci à l’anima, et lui permet de faire agir son hôte en émettant des impulsions sentimentales ou spirituelles au cœur même de l’âme de celui-ci. Ainsi, ce que nous appelons couramment possession n’est rien d’autre qu’une fragmentation d’un anima en deux parts distinctes : le sentimentalis corris d’une part, et l’anima minoris d’autre part. Comme nous l’avons vu, s’il ne subsiste que le sentimentalis corris, l’hôte devient incontrôlable. Mais si l’hôte est détruit alors qu’il est encore sujet à possession, le sentimentalis corris s’évanouit avec lui, piégé par l’effondrement de la demeure mentale de l’hôte. Ne subsiste alors plus que l’animalis minoris qui est amoindri, incapable de quitter le monde matériel et qui erre sans ressentit, au hasard, un peu à la façon d’un hôte dont l’anima minoris aurait été détruit avant la fin de la possession. Voilà, messieurs, ce que je peux vous dire en ce qui concerne la fragmentation effective des entités immatérielles mineures. »


Une salve d’applaudissements polis et respectueux ponctuèrent la fin de son discours. Quelques félicitations pour sa clarté d’élocution, et sa maîtrise du sujet fusèrent, lui tirant un sourire de fierté non dissimulée. Ils chevauchèrent ainsi quelques minutes durant, silencieux, essayer d’appréhender tout ce qui venait de leur être dit, et préparant leur contre-argumentation pour ceux d’entre eux qui n’adhéraient pas à cette vision des choses, et qui remettaient en doute le bien-fondé des recherches de l’Étude Icelienne à ce sujet. Hector Arléïs méditait lui aussi à ce propos. Il se rendait bien compte de son ignorance en la matière, et s’en voulait d’avoir commis l’erreur de vouloir paraître instruit du sujet. Pour autant, il était vraiment curieux de voir comment Monsieur de Moussac allait étendre le sujet aux entités subdivines… Plutôt que de lui demander de poursuivre, il choisit une approche détournée. Tandis qu’ils pénétraient dans un sous-bois peu lumineux, il lança à voix haute, afin que chacun puisse l’entendre : « Tout de même… Je n’ose imaginer de quelle façon les chercheurs de l’Étude ont obtenu ces preuves qu’ils avancent. Comment ont-ils conduit leurs études ? Pas par la pratique, bien évidemment ! » s’esclaffa-t-il d’un air faux. Aucun ne s’y trompa : il accusait bien les chercheurs d’insanité, et de perversion érudite qui les avait amenés à expérimenter des possessions sur plusieurs sujets. « Comment font-ils en ce qui concerne les entités subdivines ? Vont-ils les disséquer également ? En ont-ils une bonne poignée sous la main à sacrifier sur l’autel du savoir ? » poursuivit le chevalier, sarcastique.

 

« Monsieur, j’entends bien votre inquiétude en la matière, » répliqua Monsieur de Moussac. Je n’approuve pas toutes leurs méthodes, mais je me fie à leur grande connaissance et à leur sérieux. Concernant les entités subdivines, il s’agit uniquement de modèles théoriques, bien évidemment… Et ces modèles théoriques, à vrai dire, rendent impossible dans ce qu’ils avancent l’expérimentation pratique comme c’est le cas pour les entités immatérielles mineures. »


«  La belle affaire » ricana Vassily. « Ils sont effectivement très forts, ces chercheurs… »


« Monsieur, un peu de respect, je vous prie. Vous n’adhérez peut-être pas à leurs argumentaires, ils n’en demeurent pas moins des êtres respectables » répliqua le Seigneur ElCarré. « Et ils ne sont pas les seuls à soutenir cette théorie. Bien que par des voies et des mots différents, les érudits arabiens ont des pensées similaires en la matière, il me faudra vous les exposer ce soir, assurément. »


Vassily fit un signe de tête repentant : « Monsieur, » tandis que Monsieur de Moussac reprenait son exposé, avide de les voir boire ses paroles. « Maintenant que vous comprenez les principes d’anima minoris, et de sentimentalis corris, laissez-moi vous parler de leur conception des entités subdivines. Messieurs, vous n’êtes pas sans savoir que c’est un sujet qui divise… dans notre équipée, bien entendu, mais également dans l’ensemble du monde érudit. Je vous prie donc de m’accorder votre écoute respectueuse, et de ne point m’interrompre dans mon exposé. Cela est un peu ardu, aussi je préférerai que nous gardions votre argumentation pour après. Je vous prie également de garder à l’esprit que je ne ferai pas part ici de mes convictions personnelles, mais que je vous exposerai simplement l’état actuel des recherches Iceliennes. »
Ses compagnons lui donnèrent leur parole solennelle qu’il ne serait pas interrompu. Satisfait, il commença donc la seconde partie de son exposé. « La manipulation par le biais d’une entité immatérielle n’est donc possible qu’en présence d’une fragmentation d’un anima. La possession ne peut donc pas avoir lieu si seulement l’une des deux parties subsiste, car ni l’hôte ni l’anima n’en sortiraient indemne. C’est donc dans ce lien entre les deux fragmentations qu’existe le contrôle. Les entités subdivines, dont fait partie, selon certains érudits, notre Dame… Messieurs s’il vous plaît. Vous m’aviez promis… Je disais donc que dans le cas des entités subdivines, bien que le modèle soit une extrapolation de celui des entités mineures, il faut procéder à une nouvelle qualification. Il ne s’agit pas d’entités mineures plus puissantes, bien que cela existe, évidemment. Il n’y a pas de comparaison possible entre des entités subdivines et des anima, que cela soit dans leur être ou dans leur puissance. Certaines entités mineures sont plus puissantes que certaines entités subdivines, et vice-versa, tout comme certains poissons sont plus puissants que certains hommes.
Une entité subdivine, selon la position officielle de l’Étude Icelienne, est une entité fragmentaire. Cependant, sa fragmentation n’a pas lieu par amputation, pourrait-on dire, comme dans le cas sentimentalis corris - anima minoris, mais par fragmentation démultipliante, ou fragmentation additive. Rien de paradoxal dans ces deux expressions, vous allez le comprendre sous peu. Le principe est qu’une entité subdivine existe uniquement sous forme de sentimentalis corris. »
Un bruissement de murmures étonnés vint l’interrompre.


« En effet » reprit-il. « En effet : uniquement sous forme de sentimentalis corris. Une entité subdivine est, selon cette théorie, un ensemble non-conscient d’impulsions sentimentales ou spirituelles. Imaginez-vous, mes amis, quelle conviction il faut pour oser ne serait-ce qu’imaginer que la Dame puisse être une entité décérébrée et non-consciente ? Pour cela je prête foi aux dires des chercheurs. Aucun esprit sain ne pourrait lancer une telle idée sans être absolument sûr de ses dires… »
« Mais voyez-vous, si nous considérons ceci uniquement comme des anima, nous tomberions dans le cas d’une possession interrompue. Or, ce n’est pas le cas. J’ai parlé de fragmentation additive, il me faut maintenant vous détailler cette expression. Sachez que deux écoles de pensée existent à ce propos… Voici la première. L’idée est qu’une entité subdivine est composée d’une multiplicité de sentimentalis corris. Un ensemble d’impulsions sentimentales ou spirituelles partagé par un nombre potentiellement infini d’êtres, formant un tout cohérent sans perdre l’indépendance de chaque fragment. Dans cette version, une entité subdivine naît du partage de sentimentalis corris identiques entre plusieurs individus. C’est donc par le partage de valeurs communes, de pensées communes et de sentiments communs entre des êtres distincts qu’une telle entité apparaît. Pardonnez-moi de la prendre ici en exemple, mais prenons le cas de la Dame. Elle apparut pour la première fois à Gilles le Breton, loué soit-il, au moment où un sentiment d’honneur et d’unité latent flottait sur les terres qui sont nôtres aujourd’hui. D’où la notion de fragmentation additive. Selon cette théorie, la Dame serait née de ces sentiments partagés par un nombre grandissant de personnes. Amenée à l’existence, cette entité non-consciente… Messieurs ! S’il vous plaît ! Cette entité non-consciente, disais-je, acquiert une certaine autonomie. Elle tire sa force du nombre de sentimentalis corris la constituant, et cette force lui permet à la fois de faire naître ces sentiments chez autrui, et de s’exprimer plus fortement chez certaines personnes particulièrement réceptives, en leur inspirant, par exemple, des quêtes comme la nôtre, ou des visions, des rêves, qui n’émaneraient donc pas d’une conscience extérieure, mais bien d’une exacerbation de sentiments présents au cœur de nos âmes. Si je puis m’exprimer ainsi, selon cette théorie, nous sommes tous la Dame. Car par nos actes et nos pensées, nous formons cette force qu’elle possède. Toujours selon cette théorie, une nouvelle entité subdivine peut donc apparaître à tout moment, ou disparaître si plus personne ne partage les sentiments la constituant. Elle peut tout à fait reparaître lorsque l’époque et les esprits seront revenus vers ce qui la constitue. »
Vassily de Vives-Épines bouillait. Ce qu’il entendait n’était que blasphèmes, et il lui fallait mobiliser tout l’honneur de la parole donnée qu’il possédait pour se retenir de provoquer en duel son compagnon immédiatement. La mâchoire serrée et les oreilles sifflantes, il préparait déjà en pensée son discours afin de provoquer le duel dès la fin de l’exposé de Monsieur de Moussac.


« Venons-en à la deuxième version de cette théorie. Plutôt que de considérer qu’une entité subdivine est constituée par le partage de sentiments communs, et donc former une entité non-consciente mais puissante, cette thèse propose la position inverse : il s’agit bien d’une entité consciente, qui a la possibilité de se fragmenter en un nombre illimité d’éclats, chacun réceptacles de la totalité de l’esprit subdivin. Il ne d’agit donc pas d’une fragmentation destructrice, mais plutôt d’une démultiplication unifiante — comprenez, messieurs, qu’à chaque fragmentation ne “naît” pas une nouvelle entité équivalente : il s’agit bien de la même. D’où l’expression usitée de fragmentation démultipliante. La conséquence première est que l’entité subdivine, consciente, souvenez-vous, dans cette hypothèse, a capacité de posséder — ou de manipuler — ses hôtes par cette démultiplication. Chaque fragmentation sera donc consciemment réalisée, dans un but précis, probablement en premier lieu l’extension de sa sphère d’influence. Pour autant, cette capacité à se démultiplier est limitée. En effet, nous supposons — toute-puissante que soit dans notre idée une divinité — qu’il y a nécessairement besoin d’une certaine proximité entre un être d’ores et déjà hôte, et l’être qui va recevoir une fragmentation. Quelle échelle de proximité est nécessaire, nous n’en savons rien : contact physique, quelques mètres ? Peut-être même que la distance évolue en fonction de la puissance de la divinité, ce qui pourrait expliquer les différences notables d’aires d’influence de celles-ci. »


« Comme vous pouvez le constater, les deux théories sont proches, mais sont deux paradigmes fondamentalement différents. Pour autant, un courant de pensée en vogue pencherait pour accepter les deux théories simultanément, arguant le fait que si l’une d’elles décrit les divinités, l’autre décrirait les entités subdivines. Ces derniers, issu en ligne directe de l’école de pensée de St Maximin de Pers — qui a vécu il y a déjà plus de deux cents ans — estiment que les entités divines sont non conscientes, c’est-à-dire qu’elles correspondent au premier cas que je vous ai exposé, tandis que les entités subdivines seraient conscientes, et donc au fait de leurs actes, plus proches, à ce titre, des anima que nous évoquions il y a quelque temps, plutôt que les déités. Si cela peut sembler étrange de prime abord, un petit temps de réflexion nous permet de constater qu’une entité divine est bien au-delà de l’idée d’influence, de possession ou encore de persuasion, instincts bassement mortels liés à une temporalité réduite d’action, et qu’à ce titre, elle n’a pas a agir, simplement à être. Exister, par delà nos chairs, et grâce à nos chairs. »


« Monsieur » articula lentement Vives-Épines « Je ne saurai tolérer un mot de plus de votre part ce jour. Vos hérésies mériteraient le bûcher, quand bien même vous vous protégez derrière l’objectivité scientifique douteuse de l’Étude Icelienne de Port-Céleste, les proférer suffit à leur porter crédit, et donc à mériter d’être occis proprement. Un mot, encore, et je vous défie. La seule raison qui m’empêche de vous abattre sans remords est votre présence en ce groupe, et le fait que je crois que nul ne peut embrasser une telle quête sans être profondément et intimement pieux. »
La bouche de Monsieur de Moussac s’étira en un mince sourire, mais il ne dit mot. Il était fier de son discours, et comprenait que cela ait heurté l’esprit de son compagnon d’armes. De toute façon, le sujet n’était pas clos, et il aurait bien le temps de revenir sur certains points. Le silence se fit, et chacun méditait à l’écoute du pas des chevaux et des oiseaux gazouillants.


« Mais, Messieurs… » commença le chevalier Arléïs « Une chose m’échappe. La Dame est-elle donc une divinité ou une subdivinité ? »
Vassily de Vives-Épines hurla de rage, tandis que leurs compagnons partaient d’un grand rire, sous le regard penaud d’Arléïs.

 

 

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La Quête de la compagnie de Grégoire - Partie 4

Révélation

Leurs échanges théologiques durèrent toute la journée. Les arguments et contre-arguments allaient bon train. Les tirades passionnées et érudites recevaient quelques applaudissements polis, et chaque chevalier avait plusieurs fois changé de camps dans les oppositions d'arguments. Et à la fin, tous étaient convaincus, et chacun s’était tacitement mis d’accord sur un fait : lui seul était le vrai dépositaire de la Dame, les autres se fourvoyaient ou imaginaient. Ainsi, l’orgueil démesuré des chevaliers et leur mépris pour moins dignes qu’eux-mêmes réussi à clore le débat. Sir Grégoire, peu actif dans cette discussion passionnée — qui fut proche de voir les lames tirées — s’était rapidement fait à cette idée. À vrai dire, il en avait été certain, et soulagé, dès l’instant où ses compagnons avaient évoqué l’appartenance des voix qui s’adressaient à eux. Tout s’éclairait à présent. Si d’autres chevaliers avaient pu recevoir la bénédiction avant lui, c’était pour préparer la coutume avant sa naissance. Si sa mère avait daigné leur accorder une étincelle de sa sagesse, c’était pour que lui-même, lorsque le temps serait venu, embrasse la voie d’un Chevalier de la Quête. Mais aucun d’entre eux n’avait connu Sa véritable voix. Aucun d’entre eux n’avait été bercé par les bras doux et protecteurs de son incarnation physique. Et aucun de ses compagnons actuels n’avait même reçu d’appel de la Dame. Ils le suivaient en quête de gloire et d’honneur, seule monnaie que ces mercenaires faussement vertueux, mais complètement hypocrites acceptaient. Ils avaient au moins cela pour eux : la lucidité d’avoir reconnu en lui quelqu’un d’exceptionnel, et de lier leur destinée à suivre ses traces.

 

La forêt bruissait de mille fourmillements d’un bestiaire minuscule. Milles-pattes, cloportes, coccinelles fourmi et autres insectes se partageaient les frondaisons, tandis que mulots et écureuils furetaient, les uns dans les feuilles mortes, les autres en haut des cimes, à la recherche de graines à rapporter à leur progéniture. À chaque pas des chevaux, une nuée de minuscules moucherons et d’insectes sauteurs s’enfuyaient à quelques mètres, crissants, bruissant et grésillant, agacés d’être ainsi dérangés. La frondaison au début éparse ne laissait désormais plus que rarement filtrer un rayon de soleil doré entre les feuillages, mettant en valeur la vie qui s’épanouissait dans ces bois.


Le Duc Grégoire ouvrait fièrement la marche, mais grommelait intérieurement de ces dizaines de toiles d’araignée tendues entre les arbres qu’il arrachait en passant. Il n’y avait rien de glorieux à s’essuyer sans cesse le visage pour se débarrasser des filins collants et, comble de l’infamie, bien souvent gorgés de moucherons empêtrés. Pourtant, il allait sans hésiter. Ils approchaient, il n’allait pas gâcher cet instant de grâce en se plaignant de vulgaires arachnides.
L’absence de sentier marqué mettait un frein à leur progression, mais ils finirent par arriver à une partie de la forêt qui s’éclaircissait. Ils aperçurent sous les branchages lointains un espace dégagé… une clairière, sans doute, et se dirigèrent vers la lumière. Après quelques dizaines de mètres, le Duc Grégoire émit un gargouillis étranglé. « Messieurs… j’aperçois un reflet ! C’est une étendue d’eau ! »


Il avait du mal à contenir son excitation, et sa voix était étrangement haut perchée. Il y eut des vivats derrière lui, et il accéléra légèrement le rythme. Ils arrivèrent bientôt à un magnifique étang. Vision idyllique s’il en est. L’eau calme n’était troublée que par la danse infernale des gerris sur ses rives où poussaient de nombreux joncs et roseaux. Ils mirent pied à terre, et s’enfoncèrent de dix bons centimètres dans la mousse humide. Aucun son ne sortait leur bouche, muets d’émotion qu’ils étaient. Leur plus grand rêve, le plus grand rêve de n’importe quel noble bretonnien était en train de se réaliser pour eux. Le Duc Grégoire se retourna et regarda ses compagnons, les yeux brillants de larmes. La gorge serrée, il leur adressa un signe de tête, et fit à nouveau face à l’étendue d’eau plate qu’une carpe venait de troubler, et avança de quelques pas.


Il ferma les yeux, et respira toutes les senteurs de la forêt, se laissa envahir par toutes les sensations que son ouïe et son odorat pouvaient recueillir. Puis il fit le vide dans sa tête. Perdu dans l’obscurité de ses yeux clos, il fit défiler le film de leur quête à toute vitesse. Puis ce fut le vide complet. Il ne pensait plus, ne ressentait plus rien. Il ne pensait même plus à ce qui l’avait conduit jusqu’ici.


Il ressentit une présence.
À la fois proche, et lointaine.
Familière et étrangère à la fois.
Ses yeux étaient toujours fermés, pourtant il avait l’esprit plein de lumière.
« Grégoire… Grégoire… »
Il ne répondit pas, terrifié et anxieux d’être enfin jugé pour tous ses actes passés.
« Grégoire… » continua de susurrer la voix à l’intérieur de sa tête.
Il entrouvrit la porte de son esprit, essaya d’apercevoir la source de la voix.
« Grégoire… »
La voix lui rappelait quelqu’un.
« Grégoire… »
Une voix familière. Venue des tréfonds de sa mémoire. C’était comme… comme sortir d’un rêve. Se raccrocher à un élément issu d’un monde oublié pour un temps, et que se rappelle à vous. Les cloches du temple par exemple, qui carillonnent le matin, vous tirant d’un rêve où ni cloches, ni temple, ni rien de tout ce qui vous est connu n’existe, et qui, pourtant, vous y sont familiers.
« Grégoire… »
C’était la voix d’une personne disparue depuis longtemps.
Une personne aimée.
Une personne chérie.
Une personne… qu’il a cherché toute sa vie.
« Grégoire… »
Une larme coula sur sa joue.
« Grégoire… »
Il baissa la garde de son esprit, l’ouvrant complètement.
Tout lui revint. Sa quête. La raison de sa présence ici. Il se souvint de l’être disparu. De qui elle était. De ce qu’elle était.
« Mère ! » cria Grégoire larmoyant en tombant à genoux, les yeux grand ouverts.
« Si tu veux »

 

Acte IV

(écrits à l'occasion du CDA Et il ne doit en rester qu'un)

 

 

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Des Démons

Révélation

Si nos contrées ne les connaissent pratiquement que de légende, des racontars de soldats revenus des fronts du nord, ou, en de très rares occasions, par leur apparition sous nos latitudes, les démons sont bel et bien une réalité. Et j’insiste sur « une » réalité, car venant d’un autre plan, ils n’appartiennent pas vraiment à la nôtre.
Il existe une infinité de démons différents, car ils naissent de nos noires pensées ruminées et inavouables. Certains spécialistes estiment que chacun d’entre nous serait responsable de la naissance de plusieurs démons. Tout comme les elfes, les nains et autres créatures reconnues intelligentes - même les orques dans leur primale pensée ! Cela représente donc un nombre incalculable d’entités, le plus souvent néfaste, bien que cela ne soit pas systématiques. Je cite (brièvement, car là n’est pas notre sujet) les recherches de l’Étude Icelienne, qui assimile les démons et certaines formes de divinités à la même catégorie d’êtres.


Parmi ces millions de démons, chacun est une entité propre, et aussi simple que complexe. Complexe car elle est un miroir de l’être qui l’a créée. Simple car ce miroir accentue très nettement un seul de ses traits de caractères, caricaturant l’être originel. Ces démons, forts heureusement, ne naissent pas dans notre plan. Leur essence s’assemble ailleurs, dans un espace-temps nommé le Warp, et laisse tranquille le monde - notre monde - des vivants.


Alors pourquoi arrive-t-il d’en croiser ? À quoi sont dues ces invasions que relatent les récits guerriers ?Nul ne le sait vraiment, et les recherches sont toujours en cours. Par contre, il existe deux moyens pour un démon de se matérialiser dans notre monde : avec un support physique, ou sans support physique. Un support physique facilite nettement la venue de l’entité dans notre réalité : son essence a juste à envahir la matière concernée. Nous parlons de possession lorsqu’il s’agit d’un corps vivant, ou d’enchantement - bien que biaisé soit ce terme - lorsqu’il s’agit d’un objet inanimé. Par objet inanimé, nous pouvons y associer les cadavres, auquel cas nous parlons couramment de réanimation, bien que cela soit en tout point un enchantement tel que sus-cité. Cette dernière forme est la plus courante des invasions démoniaques dans nos contrées, en témoigne les nombreux heurts avec les lisières de la Sylvanie honnie. Lorsqu’un démon apparait sans support physique, nous parlons alors d’incarnation.


La différence fondamentale entre Possession et Incarnation se trouve dans la liberté du démon à agir à sa guise, et sa stabilité dans le monde physique. Une possession (ou un enchantement) nécessite une intervention extérieure : le démon doit être appelé dans le corps par un esprit présent dans notre monde : magicien, vampire, ou autre démon, par exemple. Cet acte est pour lui bien plus aisé qu’une Incarnation (intérêt majeur d’une Possession), et surtout, bien plus sûr : un démon enfermé dans un objet sera plus docile (intérêt majeur d’un Enchantement.)


Extrait du Liber Horribilus, Chapitre IV-3 §421, ouvrage de la bibliothèque de Violecée-la-Plaine

 

Ulfrik releva la tête de l’ouvrage qu’il feuilletait à la recherche d’informations. Depuis la veille, quelques uns de ses fidèles avait détourné leur esprit de la communauté. Ils restaient auprès du Démon du Lac au Papillon, le suivant partout, semblant égarés et perdus, comme des phalènes tournoyant désespérément autour d’une lanterne la nuit.
Il rumina un instant. C’était mauvais signe. La situation lui échappait depuis que le démon était apparut avec sa troupe de chevaliers pour rejoindre sa communauté. Et depuis hier, il en était maintenant sûr, le démon commençait à tirer certains de ses semblables des limbes du Chaos et les envoyait hanter le corps et l’esprit des membres les plus faibles de la communauté. Tout n’était pas pour autant perdu : s’il procédait ainsi, c’est qu’il n’était pas encore assez puissant pour les incarner sans support physique. Ou que les sortilèges lancés par Ulfrik l’en empêchait efficacement.


Mais comment n’avait-il pas sentit venir la renaissance du démon, à quelques lieues à peine de leur campement ! Il se fustigea une énième fois pour son manque de vigilance, et, le cœur serré à l’idée qu’il était responsable de l’arrivée de ce démon dans ce monde.

Il n’avait jamais voulu ça.

 

 

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L'arrivée des 7

Révélation

Cela avait commencé par des rumeurs. De simples racontars de paysans et de gueux auxquels ni Ulfrik ni les chevaliers qui le suivaient n’avaient prêté attention. Leurs suivants de moins noble stature et d’éducation limitée, par contre, avaient multiplié les prières dès les premiers soupçons.
Le Lac aux Papillons et ses terribles habitants avaient fait parler d’eux bien au-delà des frontières de leur forêt.
Puis, un chevalier de Brionne se lança dans une quête pour les éradiquer. On découvrit son cadavre mutilé et exsangue dans une bourgade proche de l’étang. Ce jour-là, Ulfrik eut un mauvais pressentiment. Et si des années de sorcellerie plus ou moins empirique lui avaient bien appris une chose, c’est qu’en matière de magie, les pressentiments et toute autre forme d’intuition n’étaient pas à prendre à la légère.


Puis au bout de quelques longs mois, les rumeurs cessèrent brutalement. Plus d’enlèvements, plus de macabs exsangues trouvés au détour d’un chemin, plus rien. Les villages en liesse fêtèrent dignement la fin d’une période de terreur, et aucun évènement malheureux ne vint perturber leur légèreté. C’est à ce moment-là qu’Ulkrik commença à être effrayé pour de bon. Pas parce que des tueries avaient cessé non loin de là, mais pour ce que cela voulait dire. Le mal ne disparaît pas d’un claquement de doigts ni sans raison. Il en savait quelque chose. Si les tueries avaient cessé, c’est parce que ce qui les perpétrait était parti ailleurs. Et Ulfrik sentait que quoi que cela soit, cela venait à Violecée-la-Plaine. Il en était convaincu. Intimement convaincu.


Il ordonna sur-le-champ d’inspecter les maigres défenses mises en place par sa communauté et de les améliorer immédiatement du mieux possible.

Devant l’inquiétude de leur seigneur, les membres de la communauté ne discutèrent pas un ordre bien plus direct que ceux auxquels ils avaient été habitués jusque là. Ulfrik s’enferma pour le reste de la journée dans la bibliothèque, comme il le faisait à chaque moment de crise. Il y trouvait sérénité et apaisement, nécessaires à sa médiation. Féru de lecture, il trouvait bien souvent la solution à ses problèmes en feuilletant un ouvrage au hasard.
Les maigres barricades, qui servaient plus à délimiter l’espace commun de l’espace extérieur, furent renforcées de pieux, de rocs et de débris de maçonnerie. On vérifia la stabilité des quelques miradors bricolés sur les seconds étages des habitats toujours à l’état de ruine, et on piégea la zone avec des méthodes rudimentaires, mais toujours efficaces. Pièges à ours, fosses et pieux enterrés… à la fin de la journée, quelques petites surprises attendaient d’éventuels visiteurs aux endroits stratégiques.

C’est le lendemain qu’ils arrivèrent. Les pressentiments d’Ulfrik s’étaient faits de plus en plus précis, et pressants. Il avait eu la nuit des rêves éveillés d’une clarté qui le laissait encore tremblant. À l’aurore, il avait quitté sa retraite au milieu des ouvrages anciens, de la poussière et des chandelles de suif pour aller se placer à l’entrée nord du village. Il s’assit sur un tonneau éventré qui gisait là, et se mit à attendre.


Quelques-uns de ses fidèles les plus matinaux l’avaient rejoint en silence. Une tension palpable planait au-dessus du hameau. Les plus modestes de la communauté avaient cessé leurs activités, et, le corps agité de tics nerveux, sursautaient au moindre croassement de corbeau, et à la moindre herbe soufflée par le vent.
Des bruits de sabot se firent entendre. Ils provenaient de la forêt toute proche, en direction du sentier. Sans être particulièrement bruyants, nul ne pouvait douter que les choses approchantes n’essayaient pas d’être discrètes. Un hennissement retentit, suivit par deux autres. À travers la brume matinale, ils aperçurent une poignée de cavaliers. Des chevaliers du Royaume de Louen Cœur de Lion. Sept, pour être exact. Non, six. Le septième avançait sur un étrange chariot à voile. En l’absence de vent, un de ses compagnons avait attelé cette étrange chose à sa monture, qui visiblement peinait à suivre le rythme des autres équidés.

 

La troupe approchant ne semblait pas menaçante, mais un curieux sentiment se dégageait de celle-ci. Les compagnons d’Ulfrik oscillaient entre malaise et soulagement, sans qu’aucun ne puisse dire pourquoi.
Un des chevaliers qui attendait avec le sorcier de Violecée-la-Plaine eut un hoquet de surprise. « Monseigneur… à moins que mes yeux ne me trompent, ou que ma mémoire ne me fasse défaut, à la vue de ces armoiries si particulière, je peux vous affirmer que je connais au moins une des personnes approchant, il s’agit de Messire Jolinard, un des proches du Duc Grégoire ! »
À cette annoncent tous se raidirent. Si les chevaliers du Royaume de Bretonnie entraient dans Violecée, il fallait s’attendre à un combat féroce.
Ulfrik ne s’émut pas de cette remarque, et en grogna entre ses dents : « laissez-les entrer. »

 

Lorsque les chevaliers atteignirent les barricades, ils ne firent pas mine de s’arrêter, et poursuivirent leur chemin jusqu’à la place centrale. Les yeux ébahis, les habitants du village les regardèrent passer : croulants, malades à en crever, certains infestés de bubons et de mouches, ils faisaient pitié à voir, mais aucun ne doutaient qu’il ne s’agissait pas d’ennemis, mais bien de leurs alter ego.
L’un des chevaliers stoppa sa monture en face d’Ulfrik. C’était celui avec la plus haute stature, et une aura fondamentalement malsaine irradiait de son corps. Lorsqu’il ouvrit la bouche, tous eurent le sang glacé au timbre de la voix, qui n’avait rien d’humain.
« Où logerons-nous ? » demanda-t-il d’une voix aussi stridente que basse, aussi grave qu’aiguë.
Ulfrik leva les yeux et soutint son regard perçant.
« Vous n’êtes pas les bienvenus ici. Toi, du moins. Va-t’en, démon. »
Le chevalier eut un gloussement, et répondit dans un sifflement méprisant :
« Nous n’avons fait que suivre ton invitation. Je pourrais presque te considérer comme mon père en ce monde ».
« Bien à mon insu. Vous n’êtes pas les bienvenus ici. Vous logerez en dehors de l’enceinte du village. Il y a une masure délabrée de bûcheron, à quelques dizaines de mètres. Vous avez dû la croiser en arrivant. »


Le chevalier possédé par le démon sourit de toutes ses dents. Briser Ulfrik allait être un jeu amusant. Puis il prendrait le commandement de cette troupe de bric et de broc. Il laissait son imagination vagabonder parmi les possibilités que cela lui offrirait pendant quelques instants, puis fit demi-tour et partit en direction de la bâtisse en ruine. Ses compagnons firent de même sans qu’aucune parole n’ait été échangée, ce qui en laissait supposer long de l’emprise qu’avait sur eux le Démon du Lac aux Papillons.

 

 

+++++

Réunion secrète

Révélation

Le feu crépitait dans un recoin de l’abbaye de Violecée-la-Plaine. La nuit était avancée, et dans la noirceur de celle-ci, les quelques brindilles qui flambaient semblaient être un soleil au milieu du néant, illuminant colonnes, débris, poutres et la cabane de bric et de broc qui faisait la « demeure familiale » de Énieul du Chêne, ex-Seigneur de Castel-Graal, et premier parmi les suivants d’Ulfrik.
Il se leva du torse de statue brisée qui lui servait de siège, et, faisant le moins de bruit possible, entra dans son cabanon. Il jeta un œil à sa nouvelle épouse, une paysanne qui avait su toucher son cœur desséché et égaré. Son esprit simplet était aveugle et elle ne semblait pas avoir remarqué que Sire Énieul n’avait plus sa raison depuis bien longtemps. Après quelques secondes d’hésitation, il ceint sa lame au côté gauche, et enfila son énorme veste de cuir, puis sortit sur la pointe des pieds.


Ce soir était un grand soir.
Il allait renaître.

La nuit était fraîche, et le ciel étoilé. Le chevalier déchu pris une inspiration profonde. L’air froid chargé des odeurs de l’hiver approchant s’infiltrat avec difficulté dans ses narines obstruées de bubons douloureux, lui apportant un brin de lucidité. Il prit d’un pas vif la direction de l’ancien moulin de Violecée, où Isabelle de Barbouin-Bestu avait établi son domaine.


La roue à aubes reposait brisée et à moitié carbonisée dans le cours d’eau jouxtant la demeure, le moignon d’axe pourrissant dépassant du mur de pierre. Le toit avait été réparé avec les moyens du bord : bardeaux, chaume… Aucun des membres de la communauté ne savait faire ça, mais un petit groupe composé du Jean, du Charles et même de Messire Edmond le Bon s’était dévoué à cette cause, et avait entrepris de réparer du mieux qu’ils le pouvaient les toits des bâtiments utilisés. Et ils y étaient plutôt bien parvenu, puisque personne ne se plaignait d’infiltration d’eau démesurées. Quelques gouttes lors des fortes pluies, mais rien que de très normal quand nul ne pouvait se permettre d’avoir un toit de tuiles ou de lauses.
Énieul s’arrêta devant la porte et toqua discrètement. On vint rapidement lui ouvrir, et il entra dans la pièce réchauffée par un feu de bois crépitant. Le serf de Madame de Barbouin-Bestu s’écarta la tête penchée pour le laisser passer, mais Énieul ne lui accorda même pas un regard, et sans attendre l’invitation de la maîtresse de maison, alla s’installer sur un des lourds fauteuils près de la cheminée.

Il jeta un coup d’œil aux alentours. Il n’avait jamais eu l’occasion d’entrer ici, Barbouin-Bestu étant très solitaire et très protectrice de ses prérogatives, peu de membres de la communauté d’Ulfrik avaient eu l’autorisation de pénétrer sa demeure.
Ce n’était certes pas un château, mais c’était assez bien aménagé et confortable. La dame était d’un goût certain, apprécia le chevalier, qui soudain pris d’une crise d’urticaire se mis à se gratter frénétiquement les avants bras. La dame de maison arriva et le salua d’un ton froid.


« Bonsoir Énieul. Vous êtes en avance. »
« Madame », salua ce dernier en esquissant une révérence, à demi relevé de son fauteuil. « J’eusse espéré un accueil plus chaleureux ! »
Elle ignora superbement la remarque déçue de son interlocuteur et se détourna pour ordonner d’un geste vif à son domestique d’apporter des boissons et une collation. Après une dizaine de minutes qui pour Messire Énieul du Chêne semblèrent des heures, mal à l’aise et outré de sembler si insignifiant à cette dame, qui ne lui adressa pas une seule fois la parole, une autre personne toqua à la porte. Le domestique légèrement vouté se précipita pour aller ouvrir. Trois anciens seigneurs de Bretonnie firent leur apparition dans la pièce.


« Énieul ! » s’écria Édouard de la Dent en écartant les bras du mieux que lui permettait sa corpulence volumineuse. Il se précipita pour serrer son compagnon de quête dans ses bras comme si cela faisait des années qu’ils ne s’étaient pas vu. Énieul n’appréciait pas cet étalage d’affection, mais il rendit son étreinte à Édouard, heureux malgré tout de la voir, puis jaloux en voyant le large sourire qu’il échangea avec Isabelle en allant la saluer. Tous deux avaient toujours été très proches, au grand dam d’Énieul. Vinrent ensuite les frères Blachbouq, Messire de Valroux, et Vassily de Vives-Épines. Un silence prononcé s’installa à son entrée dans la pièce. Tous savaient la raison de sa présence, mais aucun n’était à l’aise ni avec lui, ni avec le fait qu’un des Sept soit présent au cœur de Violecée-la-Plaine. On les y voyait rarement. Ils s’étaient installés en bordure, et restaient généralement entre eux. Mais depuis quelques temps, ils semblaient vouloir se rapprocher des habitants du hameau sans en avoir réellement envie. Une distance étrange restait entre eux et les membres de la communauté, même ceux dont ils étaient les plus proches.
La porte se referma dans un grincement discret.
La réunion allait pouvoir commencer.

 

 

+++++

Gloire à Ma Dame

Révélation

Puisses-tu toujours me guider,
Puissé-je toujours te servir,

 

Ô ma Dame
Toi qui éclaire mon chemin
Toi qui illumine mon esprit
Tu es l’étincelle qui tue la peur
La Flamme qui illumine la nuit
L’amour qui guide mes pas

 

Ô ma Dame
Permet moi de t’approcher,
Permet moi de te regarder de mon esprit nu
Et accorde-moi, ô ma Dame,
De toucher de mes doigts ton corps sacré
Et de tes fluides m’oindre

 

Ô ma Dame
Toi qui m’a choisi,
Accorde-moi la Grâce,
Accorde-moi ton Graal,
Que de mes vœux j’appelle
Que de mon être impatient j’attends

 

Ô ma Dame, ici je suis agenouillé,
Prêt à recevoir ta bénédiction
Ici je resterai
Jusqu’à ma mort

Ou mon sacrement

 

 

+++++

Fertilité

Révélation

D’un geste de la main répand mille vies,
De son souffle des millions.
Fertilité.

 

En son sein nous nous reposons,
De sa chair nous nous restaurons,
Abondance.

 

Dans son sillage nous naviguons
En son fanal nous existons
Amour.

 

+++++

Acte IV : Épilogue

Révélation

Le démon du Lac aux Papillons bouillait d’impatience. De longues années d’errance immobile piégé qu’il était dans les reliques du lac l’avaient rendu irascible au possible. Les malheureux à qui il devait son salut lui avaient soit juré allégeance, soit étaient tombés sous sa coupe bien malgré eux.
Il lui avait fallut de nombreux mois pour émerger de sa gangue éthérée, pour reprendre ses forces et acquérir la matérialité nécessaire en ce monde pour agir à nouveau de son plein gré.
Le sorcier à qui il devait les premières étincelles de son éveil s’était dressé contre lui, il avait sans doute perçu le danger qu’il représentait pour sa communauté. Un lâche parjure. Ce mage de pacotille avait joué avec des forces dépassant son entendement. Ils avaient un temps servi le même maître, mais cet humain s’en était détourné.
Le démon avait entrepris de récupérer les suivants d’Ulfrik, mais celui-ci avait réussi à tisser des liens aussi solides qu’improbables dans sa communauté de réprouvés. Beaucoup avaient résisté à son emprise, ce qui l’avait fait enrager encore plus que de normal. Il avait cependant réussi à exercer son influence sur une bonne partie d’entre eux, et avec leur soutient, par une journée morne, avait mis à sac la communauté pestiférée de Violecée-la-Plaine.
Ulfrik n’était pas dupe, et il savait que le combat était perdu d’avance. Plutôt que de chercher à lutter, il avait préparé sa retraite, et entrepris de protéger de sa magie ses suivants les plus fidèles, ceux animés des meilleurs sentiments envers leur communauté, et dont il savait que leur présence serait utile à leur survie.
Son plan était prêt, il ne restait plus qu’à le mettre à execution. Lorsque le démon passa à l’acte, il activa le sortilège qu’il avait mis de longues semaines à tisser, et s’enfuit avec ceux qu’il avait pu sauver vers le littoral de Bretonnie, direction la Baie des Selkies, ou un navire de la marine du Roy Louen faisait une escale forcée après avoir rencontré une tempête au large. Cela serait leur sauf-conduit.
Un billet vers de nouveaux rivages, loin du Démon du Lac aux Papillons.

 

La suite au fur et à mesure que les protagonistes feront leur apparition :)

(le post sera édité au fur et à mesure des avancées, je mettrai des liens vers le post là à chaque ajout !)

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Ajout de fluff
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Double-post pour cause de post dédié au fluff :)

 

 

Ton début de peinture est comment dire ...... Juste pas mal (lol) un jour dans mes rêves je pourrais peut être dire ça.

 

Tu sais, un jour après avoir peint un garde noir (passablement moche) j'étais persuadé d'avoir atteint mon maximum et de jamais pouvoir faire mieux... Depuis que je me suis rendu compte que je m'étais déjà un peu amélioré quelques mois après à peine, j'ai progressé nettement plus vite ! Donc on sait jamais, il suffit parfois d'un déclic :wink:

 

 

Salut à toi camarade Lorrain et bonne chance pour ce CDA

 

Je ne sais vraiment pas quoi dire, tes conversions sont bien faites, ta peinture est tellement à des années de moi, maintenant je suis pressé de voir la suite.

 

Merci camarade Lorrain :wink: Et du coup, en parlant de suite, voilà mon boulot d'aujourd'hui !

J'ai commencé à réfléchir à sire Énieul, mais pour le moment je trouve rien qui me convainque parfaitement. Son dada avance, par contre, parce que lui, je sais ce que je veux :)

J'ai décidé que mon arlequin serait le Paladin Brun, je trouve ça assez marrant, et j'ai justifié ça par un petit bout de fluff dans mon post précédant ! Du coup il fera partie de ma première session.

 

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Voilà mes quelques pistes pour Énieul. J'ai fait une tête inspirée de la Bouche de Sauron, à partir de trois têtes : portepeste, chevalier de l'empire, et chevalier bretonnien... mais je trouve que ça ne lui va pas vraiment, vous en pensez quoi ? Ça fait un peu trop caricature, surtout que ça colle pas avec sa petite histoire, où c'est celui qui ressemble le plus à un chevalier...

Du coup j'hésite à le convertir assez peu, ou discrètement, et bosser sa corruption à la peinture par la suite...

@ Kele : maintenant je comprend ta difficulté à assembler des têtes sans que ça tire trop en hauteur ><

 

Pour le dada, la pièce d'armure est là pour vous montrer d'où sont issus mes blason-mouche : un coup d'instant mold, un peu de résine et pouf, multiclonage de mouches :D

C'est plus chiant à enlever que ce que je pensais les blasons en relief sur les robes des canassons...

 

ZibZee

(qui retourne chercher pour Énieul)

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Oui en effet on progresse vite car on peint souvent c'est pour ça que je me suis inscrit au CDA

Question technique: pour tes fondu dans le frais tu mélange ta peinture a un meduim ralentissant le séchage ou pas???

Sinon un petit tutoriel sur la peur au de ton zombie m'intéresse et peut être les copain aussi

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Pour la peinture dans le frais, non, pas de ralentisseur du tout, par contre une palette humide pour garder les peintures fluides. En fait je bossais au pif, donc c'est venu tout seul, j'avais rien prévu (j'aime bien faire ça, on découvre des trucs parfois, la preuve).

Du coup, en gros, ce que je faisais à la fin, c'est que j'avais 3-4 couleurs sur ma palettes, et avec le même pinceau je voletais de l'une à l'autre. Là j'utilisais pour la première fois une peinture Scale 75 (la Light Skin). J'ai l'impression qu'elle sèche plus lentement que les peintures gw, ça a peut-être joué ?

Pour la suite, la Light Skin Scale 75 est la même couleur que le Elf Flesh (ancienne GW, je connaîs pas d'équivalent actuel...), mais c'est une gamme de peinture eu rendu très mat (c'est 'achement chouette pour les peaux !)

 

Pour le tuto, ça viendra, promis ! Pour le moment, je vais me contenter de décrire un peu tout ce que j'ai fait. C'est pas que je ne veux pas, mais comme j'ai travaillé brouillon et au pif, il y a pas encore vraiment de "tuto" que je puisse donner... Surtout que c'est pas encore bien clair dans ma tête :wink:

Je mets donc toutes les étapes que j'ai effectuées sur mon piéton, mais je pense que la partie 1 n'a aucun impact, ou très peu, sur le final, vu comme ça a évolué ensuite :

 

Partie 1

-sous-couche noir

-figurine entièrement peinte au Rhinox Hide à peine dilué

-peinture un peu bourrine au blanc sur les arrêtes, les zones de lumière, et autour des détails. J'ai essayé de travailler en posant des traits de peinture côte à côte plutôt que peindre des surfaces (je sais pas si je suis clair)

-je reprend un peu sur le même principe au Light Flesh S75 dilué légèrement. Et là je dois multiplier les couches pour obtenir un truc potable >< J'en profite dégrader un peu au fur et à mesure.

 

Partie 2

C'est à partir de ce moment que je change de technique :

-Je commence par un mélange Light Flesh S75 + une pointe de Blood red pour avoir un rose pas trop pétant. Je passe ça dans les creux et certaines zones susceptibles d'être irritées. Je pose ça un peu bourrin, là encore.

-Avant que ça ne sèche, je prend un peu de Light Flesh pur, et je viens atténuer les bords des zones roses.

-Ensuite j'ai un mélange Light Flesh + pointe de Blood red + double pointe de Teclis Blue pour avoir un violet pale (presque lilas foncé). Je passe ça dans certains creux, autours des pustules, en guise d'ombrage... bref un peu partout, mais avec parcimonie.

-Je viens atténuer ça avant que cela ne sèche soit avec du Light Flesh, soit avec du mélange rose, selon la zone où j'ai posé mon violet (càd light flesh s'il y avait du Light Flesh en dessous du violet, et rose si c'était du rose)

 

Là où c'est un peu compliqué à expliquer, c'est que j'ai pas peint de façon linéaire du tout : sur ma palette humide, j'avais mes trois peintures (Light Flesh, mélange rose, mélange violet), et je jonglais avec, la plupart du temps sans laver mon pinceau systématiquement. Idem, je jonglais d'une partie à l'autre de la figurine (genre un demi-bras, puis la fesse gauche, le haut du dos, etc, selon là où je voyais que ça pouvais être amélioré. Ce qui veut aussi dire que je pouvais très bien travailler des zones d'ombres assez précises, puis aller reprendre mon Light Flesh et colorier comme un bourrin ailleurs...

 

Partie 3

Dernières étapes : les veines, réhauts en bleu et éclaircissement final. Il s'agit d'un mélange Blood+Teclis+Light flesh, histoire d'obtenir un espèce de bleu cobalt à peine plus violacé.

-Pour les veines : avec un pinceau fin, je dessine les veines avec ce mélange très dilué. J'essaie de me concentrer sur les "grandes" zones plates : les fesses, le cou, le torse... Je rajoute aussi des veines autour du ventre bien ouvert. Pour celles-ci, c'est à mi-chemin entre des veines, et la poursuite des craquelures de la peau de la figurine.

-Pour les réhaut en bleu : j'accentue un peu les dernières ombres, ou zones foncées.

-éclaircissement final avec un mélange 1:1 de Ulthuan Grey et de Light Flesh : les zones en lumière, les bords des blessures, les pustules, grosso-modo. Ça permet d'unifier un peu le tout.

 

 

EDIT : Voilà les étapes en image !

J'espère que ça donne une idée un peu plus claire que mon charabia du dessus, et dès que je peins une nouvelle peau, je fais un tuto digne de ce nom :)

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A+

ZibZee

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J'avoue qu'un tuto un peu plus développé m'intéresserait beaucoup! J'aimerais bien avoir cette même teinte sur la peau de ma fig de Nurgle :)

 

Quelques questions quand même:

-Pourquoi être parti sur un rhinox?

-Le travail au trait WS, c'est pour quoi? Parce que tes couches de Light Skin finissent par masquer le travail au WS non?

-Le Light skin recouvre bien? au niveau du pigment, ça donne quoi par rapport à un gw?

 

Le tuto photo est top, avec les zooms; mais j'vois mal les transitions. Mais ça peut être moi ça ^^

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J'avoue qu'un tuto un peu plus développé m'intéresserait beaucoup! J'aimerais bien avoir cette même teinte sur la peau de ma fig de Nurgle :)

 

Quelques questions quand même:

-Pourquoi être parti sur un rhinox?

-Le travail au trait WS, c'est pour quoi? Parce que tes couches de Light Skin finissent par masquer le travail au WS non?

-Le Light skin recouvre bien? au niveau du pigment, ça donne quoi par rapport à un gw?

 

Le tuto photo est top, avec les zooms; mais j'vois mal les transitions. Mais ça peut être moi ça ^^

 

Rhoooo il est top ce tutoriel !!!!
Ça donne envie de tester
Les traits au white scar, c'est très intrigant, mais l'étape suivante est bien classe !
Merci beaucoup

 

 

Comme je l'ai dit, je suis parti avec une idée en tête, et elle a évolué, donc la partie 1 "sert à rien", mais je l'ai décrite quand même dans les étapes.

D'où :

-Le Rhinox : c'est la base pour mon métal, donc je me suis dit que ça pourrait être pas mal d'en mettre partout pour lier l'ensemble de la figurine dès le début. Finalement ça sers pas forcément, vu comme j'ai traité la peau. Je sais pas encore si je garderai ou pas, mais pas sûr.

-Les traits blancs : j'ai expérimenté au plus haut point :D L'idée de départ, c'était d'avoir un truc avec des peintures très marquées, et pas du tout fondues. Finalement vu que j'ai bifurqué entre-temps, cette étape est un peu inutile aussi (sauf que ça m'a permis de "lire" un peu la figurine avant de peindre vraiment). Par contre au moment où j'avais juste traits blancs + les couches de Light Flesh, le rendu était encore assez proche de ce que je pensais, et les différences entre traits blancs et zones laissées brunes était suffisamment marquées (mais la photo a un poil écrasé ça)

 

Pour les transitions du tuto photo, j'ai fait avec ce que j'avais ^^Donc non, on voit pas forcément les transitions, mais je rectifierai avec un tuto propre à ma prochaine peau peinte !

 

Le Light Skin recouvre pas mal, beaucoup plus que le elf flesh gw en tout cas :D Il se se travaille très très bien pur. Les premières couches au Light Skin, j'avais un peu trop dilué ma peinture, du coup niveau couvrance, c'était pas top, surtout que j'avais un fond en partie sombre (normal quoi).

Je découvre la gamme Scale 75, et je pense que des nouveaux pots viendront rapidement rejoindre les deux que j'ai acheté pour tester :)

 

@Ludmar : bah, tu auras toujours l'occasion de tester ça sur une autre figurine un de ces quatre ;)

 

Et sinon, je signale que mon Paladin Brun avance, ainsi que Messires Énieul et Edmond LeBon ! Je posterai des photos ce soir, quand j'en aurai prises !

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Merci Tueur nain :) Je peindrai peut-être un peu demain pendant que la résine de mes autres pingouin sèchera !

 

Les avancées du jour :

Pour Sire Énieul, je cherche toujours, mais ça commence à me plaire : qui répond au stéréotype Chevalier Noir, mais sans s'éloigner trop de son apparence de Bretonnien. Finalement je laisse de côté la tête que j'ai bricolée pour le moment, ça lui donne un air sadique pas trop approprié. Elle servira peut-être à un autre pinpin. Le canasson est pratiquement fini ! (il lui manque juste les pustules)

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Messire Edmond LeBon est achevé ! Lui ça a été du rapide, quelques conversions simples :

-main de l'épée remplacée par une main de portepeste

-tête de portepeste arrangée en guise d'épaulette droite (sera peinte en métal)

-bouclier de pesteux (putrid blightkings je crois)

-récupération de la lame que tenait la main de portepeste pour faire une "corne de licorne" au cheval (rappel du casque d'Edmond).

(me reste plus qu'a pustuler le cheval en lui-même) Bon, par contre, j'ai un soucis... Je vois pas comment faire tenir Bzut sur le socle. Je vais peut-être le mettre sur un petit socle à part, et si ça va pas pour le défi horrible petite bête... bah entre les nurglings et vers de compagnie géants, j'en trouverai bien un qui sera apte à valider :D

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Et le Paladin Brun (celui qui sera mon arlequin) suis son cours. J'ai triché, j'ai pris une tête de cheval sans tissu pour lui (les losanges sur les zones courbes, ça me fait peur à peindre ><). Il sera assez vite fini, je pense. La panse de sa monture sera bien enflée et laissera voir les entrailles par transparence (bweeerk !) Je suis sensé lui ajouter une mutation aussi, mais je vois pas trop quoi... mes idées de départ se sont butées à un problème que je n'avais plus depuis quelques temps : ça rentre pas sur le socle ?

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V'là !

A+

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Salut !

 

Je consulte ton sujet depuis le début et te tire mon chapeau bas  :good:

Le fluff est un vrai plaisir à lire et les conversions sont nickels !

Le premier gus est bien parti vu la chouette peinture de la peau.

Hâte d'en voir plus !

 

Bonne continuation ^^

Kony

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Doucement ! Tu post trop et trop vite, pas le temps de tout lire^^

Non sérieusement je prévois de lire ton fluff de chacun car j'ai beaucoup aimé celui de départ, mais j'ai pas encore pris le temps...

 

J'ai décidé que mon arlequin serait le Paladin Brun, je trouve ça assez marrant, et j'ai justifié ça par un petit bout de fluff dans mon post précédant ! Du coup il fera partie de ma première session.

 

@ Kele : maintenant je comprend ta difficulté à assembler des têtes sans que ça tire trop en hauteur ><

 

C'est plus chiant à enlever que ce que je pensais les blasons en relief sur les robes des canassons...

Bon bah finalement l'arlequin sera en free-lance chez chacun, ce sera plus simple au final. Je pense que je le ferai au feeling en continu pour ma part...

Pour les têtes, je pense que le plus simple c'est d'en garder une entière comme base, quitte à lui limer la face pour en coller une autre.

Pour les canassons, prends les anciens, y'avait pas de blasons.

 

Bon, par contre, j'ai un soucis... Je vois pas comment faire tenir Bzut sur le socle. 

 

Et le Paladin Brun (celui qui sera mon arlequin) suis son cours. mes idées de départ se sont butées à un problème que je n'avais plus depuis quelques temps : ça rentre pas sur le socle :/

 

- Sire Enieul : L'épaulette et l'armure apporte suffisamment de "chaotisation" à l'ensemble selon moi. La tête sobre donne la prestance propre aux grands, aux vrais (surtout sur la vue de la première photo) genre "pas besoin de tout çà, je brille par mes faits d'armes pas par mes ornements !"

- Messire Edmond : Bonne harmonie, sympa l'épaulette portepeste... Pour Bzut, je dirais à l'arrière droit du cheval, en "lévitation" avec un fil nylon rigidifié à la colle transparente ?

- le paladin brun : J'adore l'imaginer en arlequin et çà me donne vraiment hâte de le voir peint !!! Et je suis très pressé de voir le rendu sur la panse du cheval...

 

Pour faire rentrer sur le socle, tu fais un soclage en hauteur qui s'élargi comme ceci ou comme cela et çà passe tout seul  ;)

 

Au plaisir !

 

Kele

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Elle sont vraiment magnifiques tes conversions ! On sent bien ton inspiration et tes recherches, j'aime bien quand une figurine est le fruit d'une vraie réflexion, et chez toi, ça transpire (suinte ?) l'étude et la recherche

Je suis hyper fan ! 

J'adore ne particulier le casque du cheval que tu a modifié : le symbole de mouche, les oeillères, c'est magnifique ! 
J'avoue que j'en attends encore plus maintenant que j'ai vu ça :p

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Les avancées du jour :

Pour Sire Énieul, je cherche toujours, mais ça commence à me plaire : qui répond au stéréotype Chevalier Noir, mais sans s'éloigner trop de son apparence de Bretonnien. Finalement je laisse de côté la tête que j'ai bricolée pour le moment, ça lui donne un air sadique pas trop approprié. Elle servira peut-être à un autre pinpin. Le canasson est pratiquement fini ! (il lui manque juste les pustules)

 

Messire Edmond LeBon est achevé ! Lui ça a été du rapide, quelques conversions simples :

-main de l'épée remplacée par une main de portepeste

-tête de portepeste arrangée en guise d'épaulette droite (sera peinte en métal)

-bouclier de pesteux (putrid blightkings je crois)

-récupération de la lame que tenait la main de portepeste pour faire une "corne de licorne" au cheval (rappel du casque d'Edmond).

(me reste plus qu'a pustuler le cheval en lui-même) Bon, par contre, j'ai un soucis... Je vois pas comment faire tenir Bzut sur le socle. Je vais peut-être le mettre sur un petit socle à part, et si ça va pas pour le défi horrible petite bête... bah entre les nurglings et vers de compagnie géants, j'en trouverai bien un qui sera apte à valider :D

 

Et le Paladin Brun (celui qui sera mon arlequin) suis son cours. J'ai triché, j'ai pris une tête de cheval sans tissu pour lui (les losanges sur les zones courbes, ça me fait peur à peindre ><). Il sera assez vite fini, je pense. La panse de sa monture sera bien enflée et laissera voir les entrailles par transparence (bweeerk !) Je suis sensé lui ajouter une mutation aussi, mais je vois pas trop quoi... mes idées de départ se sont butées à un problème que je n'avais plus depuis quelques temps : ça rentre pas sur le socle :/

 

Hello,

 

-Pour sire Enieul, il lui manque une épaulette gauche non? Sinon, sa chaotisation sera complète après un joli free hand sur le bouclier. Perso je le trouve bien comme ça.

-Pour Bzut, un point de colle sur la queue, ou bien tu "agrandis" le socle avec un bout de décor, etc...

-Le paladin brun en arlequin? :D

 

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Fallait les mettre sur des socles ronds *tousse* *tousse*

Ah non j'ai dit une connerie ;) Perso si le MDA n'y voit pas un inconvénient moi je le mettrai sur un socle à part, il est tellement cool Bzut qu'il merite sont propre socle!

 

Pour le reste bah que dire à part que c'est au top, franchement ça envoit du rêve comme dit part Thanatos, on sent que ça fait un bout de temps que tu réfléchis sur tes conversions et que rien n'est laissé au hasard. :)

 

Par contre va falloir se calmer sur la vitesse d'execution mon brave monsieur, car j'ai du mal à tout suivre :p

Ou sinon va falloir nous rajouter plein de bonus tellement c'est beau!

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