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[Background] Armées du 9e Âge : livre complet Guerriers des Dieux Sombres


Ghiznuk

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CONTES DE LA MARCHE DES DÉSOLATIONS
 
Correspondance de mon ami, le marquis Ilarion Yanovitch, et matériaux complémentaires collectés
entre les années 942 et 962 A.S., par moi, l'archevêque Voïtyek Bistritsa.

Votre Excellence,

Laissez-moi tout d'abord vous exprimer ma gratitude pour le soutien que vous m'avez apporté pour l'obtention de mon nouveau poste. Votre parrainage m'a toujours été d'un grand secours, depuis l'époque où nous étudiions ensemble à Sonnstahl. Ma nouvelle position est cependant fort différente de ce à quoi je m'attendais. Je me trouve en effet à dix lieues au-delà de notre frontière, près du rivage de la mer des Dieux, là où la steppe des Makhars est la plus étroite. Ici, les certitudes de la Volskaïa s'estompent pour faire place à un mélange trouble de lois, coutumes, religion et superstitions. La ville que je commande a beau être revendiquée par notre Mère Patrie, il y a des moments où j'ai vraiment l'impression d'avoir pris résidence dans une étendue vierge peuplée de sauvages – certainement une relique de l'histoire de cette colonie, si profondément avancée dans la steppe des Makhars, tout au bord des Désolations.

Les solides remparts de bois de Totvárosh enserrent un millier d'habitants. Elle est la plus orientale des bourgades de cette taille. On y trouve bon nombre d'artisans et de commerçants, des fourreurs et des maréchaux-ferrants, tous les métiers nécessaires au maintien de cet avant-poste de la civilisation. Mais elle n'est séparée que d'un seul jour de chevauchée des barbares qui vénèrent ouvertement les Dieux Sombres et qui s'en prennent régulièrement aux voyageurs naïfs qui s'aventurent trop près de leur territoire. Pire encore, les adeptes de ces abominables divinités entretiennent un temple dans l'enceinte même de la ville.

Comme vous vous en doutez, ma première réaction fut l'horreur face à cette menace si proche de notre frontière et entièrement sous ma responsabilité. Mais ces premiers mois à Totvárosh m'ont contraint à beaucoup réfléchir. Mon ordre de brûler ce sanctuaire a bouleversé la population locale, prise de panique à l'idée de provoquer le courroux de dieux dont l'influence sur sa vie quotidienne est aussi importante que celle de notre cher Mrozomor sur nos hivers. Je me contentai donc de barricader l'endroit, à titre de mesure temporaire.

Je compris le lendemain à quel point les craintes des habitants étaient fondées. Une bande, forte de centaines d'hommes, approchait des remparts. Elle n'eût pas constitué de véritable menace, ne me fussé-je trouvé sur la bordure de la steppe des Makhars… On sonna le tocsin, la garde accourut sur les remparts. Les agresseurs avançaient en direction de la ville d'un pas nonchalant mais néanmoins inexorable, certains que rien ne pourrait les retenir. On discernait derrière eux le roulement de leurs chariots et bêtes de somme, de puissantes créatures tirant derrière elles les vivres nécessaires à toute une vie de pillages.

Je restai là un long moment, observant la mort venir à moi. Enfin, repoussant le désespoir, je me préparai au combat. Je tentai d'évacuer les citadins, une décision qui fut accueillie par la plus grande perplexité. Et à juste titre : il était impossible d'espérer devancer la horde qui marchait sur nous. Ils étaient d'ailleurs nettement plus calmes que moi, vaquant à leurs activités quotidiennes comme s'il s'était agi d'un après-midi pareil à tous les autres.

À la fin de la journée, nos remparts furent complètement encerclés par nos ennemis, qui se tenaient hors de portée de nos arcs. Ils dressèrent rapidement de simples camps ; il s'agissait clairement de gens habitués à une vie nomade. Je m'accrochais à une légère lueur d'espoir. Cette force n'avait en effet nul besoin de nous assiéger : nos murs seraient tombés dès le premier assaut. Il apparaissait qu'un autre destin nous était réservé. Tout ce que je pouvais faire était d'attendre le lendemain pour savoir de quoi il serait fait.
Modifié par Fenrie
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p8
 

Première tentation

 

ORGUEIL
 
À l'aube vint une figure solitaire, suivie par un porte-étendard dont la bannière arborait un symbole que je connaissais de vue. Une menace chuchotée dans les grands couloirs de la civilisation : Savar, l'Étoile tombée du ciel, Dieu Sombre de l'Orgueil. Apercevant là une chance de protéger mon peuple, je descendis pour me tenir devant les portes de la ville, barrées sur mon ordre. Ma mâchoire était si serrée que je ne pus rien faire d'autre qu'un signe de tête aux gardes pour qu'ils ouvrissent les portes et fassent entrer ce Seigneur de l'Orgueil.

Je m'avançai afin d'accomplir mon devoir… et fus promptement ignoré par mon supposé adversaire qui me laissa planté là, son arme toujours au fourreau. Tandis qu'il poursuivait de son pas majestueux en direction du sanctuaire, son lieutenant se planta devant moi pour me scruter de la tête aux pieds, comme on le ferait d'une jument sur le marché. Lorsqu'il daigna enfin m'adresser la parole, ce fut d'un ton qui évoquait celui de l'aristocrate le plus prétentieux de la cour de Volskagrad.

« Nul autre que les Dieux Sombres n'offre de voie vers la véritable gloire et un nom qui vaille la peine d'être remémoré. Jugez par vous-même : ce chiffon, je l'ai arraché à un porte-enseigne impérial, suzerain d'une dizaine de villes, qui s'efforçait de nous empêcher de rentrer de Sonnstahl. Cette cicatrice, je l'ai obtenue en combat singulier contre Tubroki du clan du Maillet-de-Cuivre, le Chasseur de dragons qui pourfendit en son temps la bête nommée Paytheinth. Bien qu'ayant accompli mon pacte en Destrie, mon périple depuis ce lieu a fait de moi quelqu'un, tout comme il le ferait de vous. »

Tandis qu'il parlait, des images se dessinèrent dans mon esprit de ce que je pourrais accomplir si je le rejoignais. Fini d'être considéré comme un parvenu aux marges de la société, je serais enfin reconnu pour ma véritable valeur ! Cette rêverie fut néanmoins interrompue par le pas pesant du Seigneur. C'est alors que je réalisai que le porte-étendard attendait ma réponse, le regard visiblement empli d'espoir. Je revins à moi, mon devoir réaffirmant son emprise sur mon âme. Même pendant toutes ces années passées sur les bancs de l'université d'Aschau, jamais mon cœur n'avait cessé de battre pour la Volskaïa. Mon allégeance à ma nation le révulsa. La dernière chose que je vis d'eux fut le dos indifférent du Seigneur et le sourire méprisant de son lieutenant. Je me tins prêt pour l'inévitable assaut que mon rejet devait certainement avoir provoqué.
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p10
 

Deuxième tentation

LUXURE

 

Lorsque je m'éveillai à grand-peine le lendemain matin, ce fut pour constater, à ma grande surprise, que nos murs étaient restés indemnes. La plus grande partie de la force ennemie restait campée autour de la ville, à l'exception des adorateurs de Savar. Je la contemplai des heures durant, comme un condamné à mort attendant le couperet après l'annonce d'un sursis. Midi était passé, le crépuscule approchait, lorsque j'aperçus de nouveau un mouvement dans les camps qui nous encerclaient. De sombres silhouettes traversaient l'étendue qui les séparait des portes de la ville, désormais grandes ouvertes, afin de ne pas provoquer de conflit.

La procession qui entra dans Totvárosh était loin de ce à quoi je m'étais attendu. Des hommes et des femmes armurés, non moins dangereux que le seigneur d'Orgueil de la veille. Mais l'acier qui les habillait avait été forgé pour prendre la forme de personnages enlacés dans toutes sortes de positions à même de faire rougir la plus dépravée des courtisanes. Leurs visages étaient cachés derrière des masques qui ne laissaient entrevoir que l'ourlet des lèvres, la courbe d'un sourcil, de façon suggestive. Et malgré toute leur puissance musculaire, leur démarche était curieusement aguichante.

Afin d'éviter de les offenser, j'acceptai ce même soir une invitation à dîner avec ces hérétiques en mes propres murs. De tout ce qui se passa au cours de ce repas, il m'est difficile de me souvenir de quoi que ce soit à part l'enivrant mélange de parfums et de visions qui ne fut pas sans me rappeler notre jeunesse passée dans les quartiers rouges d'Aschau. Tout ce que je sais est que la soirée se conclut par une invitation à rejoindre les rangs des adorateurs de Cibaresh, le Tentateur, Dieu Sombre de la Luxure.

« Tu ne peux qu'imaginer tout le bonheur qui t'attend au service de Cibaresh, Lui qui connaît tes désirs les plus profonds ; toutes ces passions qui n'appartiennent qu'à toi et que tu n'oses confier à personne. En Lui, tu trouveras l'épanouissement et la gratification qui assouviront tous tes appétits. Libère-toi des entraves de la moralité pour devenir un homme nouveau, comme cela a toujours été ta destinée. »

Très peu de femmes ont pu me faire tourner la tête depuis le début de mon service à la Mère Patrie. Celles qui se trouvaient dans le sanctuaire cette nuit-là auraient pu y parvenir. Mais mon cœur appartient déjà à quelqu'un d'autre. Vous vous souvenez certainement de mon épouse, Shiva, dont la présence ici est la seule chose qui rende tolérable ma présente affectation à Totvárosh, et à la famille de laquelle j'espère bien prouver ma valeur. Sa beauté et sa grâce comblent déjà tous mes désirs, et aucune aventure, même la plus exotique, ne pourra jamais me détourner d'elle. Revenant à elle cette nuit-là, je savais que j'avais sauvé mon âme. Et ce malgré les petits sourires échangés dans mon dos à mon départ, suggérant qu'il se jouait là quelque drôlerie dont je n'eusse pas été informé.
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p11
 

Troisième tentation

 

GLOUTONNERIE

 

Le troisième jour, il me sembla que je commençais à comprendre les règles du jeu pervers auquel je me voyais contraint de participer. Une nouvelle faction se mit en route pour les portes de la ville, suivie de charrettes grinçant sous le poids des victuailles. Difficile de ne pas reconnaître les disciples d'Akaan, le Dévoreur, Dieu Sombre de la Gloutonnerie. De corpulents guerriers engoncés dans une armure verte ou brune, leur mâchoire inférieure laissée à l'air libre afin d'exhiber leurs crocs terrifiants.

Comme par un signal invisible, des dizaines d'autres Guerriers les suivirent, et les habitants se dépêchèrent de dresser tous les étals du marché. On échangea des céréales et de la viande contre les gains d'innombrables incursions et escarmouches. La richesse inattendue de cet avant-poste avait donc une explication. Et pendant tout ce temps, les hommes d'Akaan mettaient la main sur la moindre miette de nourriture qui s'offrait à eux, payant leurs achats de pièces, joyaux et autres restes de batailles passées.

Le banquet qu'ils tinrent ce soir-là fut un évènement fort convivial. Une poignée de mets fins furent tirés d'un petit coffre, d'un luxe capable de rivaliser avec ceux du palais du Tsar tout en remportant l'approbation du plus averti des gourmets. Des vins de Destrie firent leur apparition d'on ne sait où, et furent consommés de même que quantité d'autres millésimes moins fameux. L'espace d'un moment, j'étais redevenu l'épicurien de ma jeunesse ; mon appétit me parut insatiable, tandis que mon hôte prononçait le discours que voici :

« Ce monde est mûr pour être dévoré. Régale-toi à présent, sachant que si tu choisis Akaan, rien ne t'empêchera jamais d'atteindre la satiété. Nous festoyons tant que nous le voulons, buvons ce qui nous chante, et nous faisons de la pâtée de tout ceux qui se dressent sur notre route. Un jour, nous engloutirons le monde lui-même. Mais pour l'heure, nous nous faisons plaisir ! »

Mais tandis qu'ils dévoraient, la véritable nature de mes hôtes se fit jour. Leurs chairs se boursouflaient sous leur armure, qui ne contenait leur masse qu'avec de grandes difficultés. Leurs dents déchiraient les viandes, sans qu'ils n'accordassent la moindre attention au flot de graisse et de sang qui coulait sur leurs multiples mentons. Les épais furoncles, pustules et plaies qui recouvraient leur peau scabreuse marquaient la fin de la dignité, l'abandon de la chair à une putrescence qui paraissait émaner de l'intérieur.

Les plats dans ma bouche se muèrent en cendre, le vin vira à l'aigre. Je me souvins de mes premières années d'épreuves et d'adversité au service de la Volskaïa, toutes ces années passées à apprendre les vérités de Grand-père Hiver et la survie dans les plus âpres des circonstances. Il n'y avait alors nulle place pour la faiblesse, la mollesse ni l'indulgence. Les excès de mon adolescence ne sont plus qu'un lointain passé. Seule la discipline demeure.

Les valets d'Akaan ne parurent pas le moins du monde perturbés par mon refus. Mais leur chef passa sa langue sur ses crocs fétides en m'œillant avec un appétit si ouvertement exprimé que ma main se serra sur le pommeau de mon épée, et ne se décrispa qu'après que je l'eus abandonné à sa goinfrerie.
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p12
 

Quatrième tentation

ENVIE

 

C'était à présent devenu pour moi une habitude d'attendre en haut des remparts pour voir quel serait le prochain groupe qui viendrait à ma rencontre. Le camp autour de ma ville rétrécissait ; une simple fraction de ces Guerriers aurait cependant suffi à submerger nos défenses. Comme toujours, la population ne semblait absolument pas troublée par cette présence. J'eus néanmoins du mal à garder mon calme en voyant le groupe de Guerriers suivant s'avancer vers nous. Portant des ornements, armes et armures de nombreux pays, les disciples de Kuulima, la Reine des mouches, Déesse Sombre de l'Envie, trouvent toujours une manière de s'emparer de ce qui est précieux aux yeux d'autrui.

Pénétrant dans la ville, ces Guerriers à l'armure d'un vert maladif jetaient des coups d'œil tout autour d'eux, évaluant la valeur de la moindre peccadille qui se présentait. Subir leur regard revient à se sentir comme un verrat mené à l'abattoir. Aucune invitation cette fois-ci. Je crus que je me verrais épargné une nouvelle tentative de me voir prêter allégeance aux Dieux Sombres, mais les vassaux de Kuulima ne se montrèrent pas si indifférents à mon égard que ce que j'avais cru. Elle vint à moi le même soir, une servante de l'Envie. Je la reçus sur les remparts de la ville, d'où nous pouvions observer les feux de camp dans la pénombre, au moment où les habitants de la ville revenaient des champs. Elle me parla comme si elle avait lu dans mes pensées.

« C'est une tâche bien ingrate que de se voir mandé pour accomplir un travail que nos maîtres eux-mêmes ne feraient pas. J'imagine qu'ils vous ont fait de nombreuses promesses pour vous convaincre ; cependant, ne vous trouvez-vous pas ici plus loin du pouvoir que jamais auparavant ? Kuulima offre les outils qui vous permettront d'humilier ceux qui se croient au-dessus de vous, de sonder le cœur des hommes et de prendre votre destinée entre vos propres mains. »

À qui d'autre qu'à mon plus vieux compagnon pourrais-je jamais confesser cette tentation d'effacer leurs sourires railleurs aux officiers et nobles de Volskagrad ? Mais à cet instant, mes pensées se tournèrent vers vous. Car n'est-ce pas grâce à notre amitié de longue date que j'ai atteint le poste que j'occupe aujourd'hui ? Je ne peux mettre tous mes supérieurs dans le même sac sans vous y jeter vous aussi, mon cher Voïtyek. Je demeure le loyal serviteur de la Volskaïa et votre ami fidèle. Ma visiteuse prit congé sans dire un mot ; cependant, ses yeux examinateurs ne me quittèrent pas une seule seconde tandis que je la regardais s'éloigner.
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p.13
 

Cinquième tentation

 

CUPIDITÉ

 

J'entendis les nouveaux arrivants bien avant de les apercevoir. Je pris tout d'abord le tintement du métal pour le son d'une cotte de mailles ou d'une selle mal ajustée. C'est alors qu'un petit groupe de Guerriers franchit les portes de la ville, portant des armures faites de pièces d'or, comme autant d'écailles déconcertantes recouvrant leurs épaisses plates. Ayant pris soin de faire correspondre leur entrée avec les premiers rayons de l'aube, tous plissaient des yeux face à cet éclatant scintillement de métaux précieux. Là où les adeptes de l'Orgueil s'étaient comportés comme si Totvárosh leur appartenait, les disciples de Sugulag, le Collectionneur, Dieu Sombre de la Cupidité, auraient pu de toute évidence me revendre ma propre ville.

Deux de ces hommes étincelants transportaient un coffre robuste mais d'un élégant ouvrage. Ce coffre était visiblement d'un tel poids que même ces rudes gaillards peinaient à le soulever. J'avais toujours considéré la Cupidité comme étant la plus simple des motivations, mais le peu de temps que je passai avec les hommes du Collectionneur me convainquirent bientôt du contraire. Les masques d'or grimaçants qui leur tenaient lieu de visage cachaient une intelligence et une finesse surprenantes.

Pas une seule fois tandis que nous devisions, leur chef ne jeta le moindre regard sur le coffre. Il n'en fut question à aucun moment, bien que les promesses d'abondance affluèrent comme du miel. Loin de jalouser la place d'autrui, ils offraient de surpasser les hommes, de posséder ce qui permet à un individu de dominer les autres, de se soumettre tout un chacun par le simple fait de détenir ce que les autres désirent.

« L'argent. Il n'y a rien de plus banal que ces petits disques de métal. Mais ils contiennent néanmoins toutes les promesses du monde. Le chatoiement de l'argent peut vous ouvrir toutes les portes ; l'éclat de l'or fait surgir des secrets comme une fontaine. Du palais le plus puissant à la plus modeste chaumière, c'est l'argent qui façonne ce Royaume mortel, tout autant que la magie. Et les Dieux Sombres ouvrent la voie vers l'un comme vers l'autre. Un pouvoir et une richesse au-delà de tout entendement. »

Après qu'ils furent partis, j'ouvris le coffre, pour constater qu'il était rempli de lingots d'acier pur, avec une poignée de trésors dorés déposés dessus. La richesse de votre père a certes contribué à ouvrir pour nous de nombreuses portes lors de notre jeunesse ; toutefois, si la richesse avait jamais été mon désir, j'eus pu opter pour une voie bien plus directe. À présent, je n'ai d'autre rêve que ma vie avec Shiva et l'enfant qu'elle porte. Tous les autres joyaux me paraissent bien ternes comparés à une telle joie. J'envoyai mes hommes ramener le coffre à ses propriétaires, ne sachant que trop bien qu'accepter un tel leurre reviendrait à me trouver en leur dette. Mais le soir venu, les hommes que j'avais mandés n'étaient toujours pas rentrés.
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p14
 

Sixième tentation

 

COLÈRE


Le sixième jour ne me trouva pas à mon poste habituel. J'étais en effet occupé à parcourir la ville à la recherche de mes deux gardes manquants. Je finis tant bien que mal par découvrir qu'ils avaient emporté des vêtements et des vivres ainsi que deux chevaux sans la moindre autorisation. Cette situation m'irrita d'autant plus qu'il ne s'agissait pas de simples locaux mais de gardes formés à Volskograd, qui avaient abandonné leur poste. Le fait que ce coffre n'ait sans doute pas contenu plus de richesses que pour leur permettre de s'acheter quelques arpents de terre n'était qu'une bien piètre consolation.

C'est ainsi que je fus pris au dépourvu lorsque surgirent devant moi les masses de trois disciples de Vanadra, l'Adversaire, Déesse Sombre de la Colère, vêtus d'acier écarlate et de gantelets noirs. L'un portait un cadavre en uniforme, qu'il soulevait comme si son poids avait été tout à fait négligeable ; le second retenait d'une seule main l'autre garde, encore vivant, qui se tortillait sous cette emprise de fer. Le troisième de ces Guerriers se dressait face à moi, étudiant l'expression de mon visage tandis que le survivant était jeté à mes pieds. Sa voix était pleine de compassion.

« Je vous apporte un présent : un déserteur, un traître. Nous qui suivons Vanadra connaissons l'importance des serments. Les engagements que nous prenons ne sont-ils pas les seuls mots à avoir la moindre valeur en ce monde ? Quiconque rompt la parole donnée ne peut être autorisé à poursuivre sa vie comme si de rien n'était. Ce n'est qu'en rappelant les parjures à l'ordre, en les traquant jusqu'aux confins du monde et en leur portant le châtiment de l'acier, que le monde pourra tourner rond. Vanadra prête sa force à notre revanche, elle arme ses fidèles pour les rendre aptes à corriger les torts qui leur ont été faits. »

Lorsqu'il eut fini de parler, je réalisai que mon épée était dans ma main, un bon pied d'acier déjà tiré du fourreau. Une véritable rage était montée en moi, tant face à ces intrus qui usurpaient ma position qu'au renégat à portée de mes coups. Mes dents crissaient, mes phalanges craquaient, les tendons de mon bras se crispaient. Pendant ce temps, le chef de la cohorte m'observait avec un sourire complice. Me voyant ainsi sur le point de jouer tout à la fois le rôle de juge et de bourreau, je compris alors que je ne partageais pas la même soif de représailles.

Je me souviens qu'au temps fougueux de notre jeunesse, nous avions partagé pareille discussion ; je me trouvais alors partisan d'une justice expéditive. Je comprends maintenant à quel point le pouvoir peut exercer une influence corruptrice, et les raisons pour lesquelles vous vous opposiez à pareil arbitraire. C'est pourquoi je vous rends grâce de m'avoir permis de sortir la tête haute de cette sixième épreuve. Bien qu'ayant contenu ma fureur, je ne rengainai pas ma lame avant le départ des Guerriers de Vanadra, pour le cas où ils m'auraient jugé coupable de quelque infraction, et auraient cherché à m'imposer leur propre loi.

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p15
 

Septième et dernière tentation

 

APATHIE


Le dernier jour, un seul camp demeurait. J'aurais dû me sentir réconforté, mais j'étais extrêmement troublé par ces Guerriers à l'armure rouillée qui se tenaient immobiles, à nous scruter. Le seul mouvement perceptible était celui de leurs capes d'un blanc sale qui claquaient au vent. Ils ne vinrent pas ce jour-là, ni le lendemain. Mais ils nous surveillaient, jusqu'à ce que je ressentisse leur regard à chaque instant, comme un picotement dans ma nuque : les disciples de Nukudja, la Dormeuse, Déesse Sombre de l'Apathie.

Enfin, après une bourrasque hurlante et plusieurs nuits de froid mordant, l'une de ces statues remua, juste au moment où je m'apprêtais à aller à leur rencontre. Arrivée aux portes de la ville, elle me parla d'un ton sec, sans le moindre faux-semblant, sans gaspiller le moindre mot. Ses yeux noirs me parurent transpercer ma chétive enveloppe charnelle ; ils étaient encadrés par des cheveux aussi blancs que la neige, comme si toute pigmentation en avait été drainée.

« Ce lieu, Totvárosh, n'était jadis qu'un simple amas de chaumières. Je l'ai observé croître au fil des siècles. Les Makhars furent les premiers à commercer avec cette bourgade, puis nos Guerriers ; bientôt, elle gagna en importance. Elle est à présent commandée par un seigneur, et son avenir emprunte deux routes. L'une mène à la gloire et aux vérités tapies par le temps. L'autre se termine par le feu et par la mort, et ne va pas plus loin. Seule Nukudja soulève le rideau de la destinée pour révéler les possibles qu'il recouvre. »

Aucune de ces deux conclusions ne suscita le moindre changement d'intonation. Il ne s'agissait que de deux simples vérités, qui lui étaient évidentes à elle, mais cachées à moi. Les superstitions de notre pays ont toujours été pleines de récits de voyants. Mais jamais auparavant je ne m'étais trouvé en présence d'une personne dotée d'un réel don de prescience. J'en fus effrayé tout autant qu'exalté. De toutes les épreuves des dix jours précédents, c'est celle qui me tenta le plus. Connaître mon avenir, ou celui de mon enfant à naître ? Mais pour chaque partie de mon être avide de cette certitude, une autre favorisait la liberté du mystère et la possibilité de croire que mon destin n'était pas encore tout à fait tracé.

Sans montrer le moindre signe de déception ou de regret face à mon choix, elle partit, prononçant ces derniers mots : « Ta lignée aura un rôle à jouer dans les évènements à venir. Les Dieux nous observent ». Ainsi prit fin le dernier chapitre de mes épreuves face aux serviteurs des Dieux Sombres. Quel est ce jeu auquel ils se sont adonnés ? Pourquoi cette ville suscite-t-elle tant d'intérêt de leur part ? Je l'ignore. Une chose est sûre : ce n'est pas la dernière fois que j'aurai affaire à eux.

– Votre dévoué serviteur, marquis Ilarion Yanovitch

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p16
 

LA VOIE DU GUERRIER


Mon chemin vers la gloire débuta de bien modeste manière. Quelques mots murmurés, un signe de tête entendu… Ceux qui cherchent à se mettre au service des Dieux Sombres ont un véritable don pour déceler ce que d'autres préfèreraient garder secret. Après tout, nous devons les trouver avant que les inquisiteurs, les paladins et autres sentinelles des profondeurs ne les attrapent. Après des années de servage au service d'une famille noble, la promesse de liberté était pour le moins attrayante.

Ce jour fatidique me vit pénétrer dans une pièce remplie de silhouettes portant des masques et des capuchons. Je les écoutai longuement me promettre tout ce que j'avais toujours désiré, m'expliquer que j'étais destiné à une vie bien plus glorieuse que celle que j'avais vécue jusque là. Et lorsque la question du prix fut finalement abordée, qui étais-je pour refuser ? Mon âme. Une si petite chose. Si légère que je n'en avais d'ailleurs jamais senti le poids, même pendant tous ces sermons sur le châtiment divin. Voilà qu'on m'offrait en échange la chance de prendre mon destin entre mes propres mains. Je savais que je méritais les plus grandes récompenses ; ces gens le reconnaissaient également.

Bientôt, je me trouvai en la présence d'un démon, invoqué par ces serviteurs inconnus. Je m'agenouillai devant cet être transcendant, et prononçai les mots qui allaient lier mon âme aux Dieux Sombres pour l'éternité, un pacte qui ne peut être conclu que volontairement. C'est alors que je le ressentis en moi, comme si ses griffes enserraient quelque chose tapi au plus profond de mon être ; il l'arracha d'une seule traction. Jamais je n'ai prononcé serment plus solennel que celui que je fis en ce jour. Je quittais la protection d'un dieu qui n'avait jamais paru se soucier de moi… Il fut un temps où cela aurait pu me terrifier. Mais je sais à présent que j'ai la possibilité de vivre pour toujours, plutôt que dans un quelconque au-delà de soumission. La mort est une abysse à la bouche béante ; mon âme mise en gage, je m'avance comme un funambule au-dessus du précipice de l'oubli. Si je réussis, je connaîtrai la gloire éternelle ; si j'échoue, ce sera le néant. Le choix est risqué, mais c'est moi qui l'ai fait.

Le moindre doute que j'aurais pu encore avoir quant à la sagesse de ma décision fut instantanément dissipé lorsque la puissance annoncée inonda mon corps. Elle était aussi enivrante que le vin le plus fin, plus revigorante que les meilleurs repas que j'avais jamais mangés. En peu de temps, je repris ma croissance, comme si j'avais été de nouveau adolescent, pour rapidement atteindre une stature qui faisait passer mes anciens compatriotes pour des enfants à mes côtés.

Depuis ce moment, j'ai ressenti une tension, une force d'attraction qui me détachait de la vie simple qui avait été la mienne jusque là. La plupart des gens pensent que le pèlerinage d'un Guerrier a toujours pour destination les Désolations ou quelque rivage de la Mer brisée. Effectivement, les cultistes qui m'ouvrirent les yeux offrirent de m'aider à me faufiler à travers les lignes de ceux qui gardent les frontières de la civilisation. Mais en vérité, j'ai appris qu'il existe de nombreux lieux de pouvoir consacrés aux Dieux Sombres ; certains sont permanents, d'autres sont temporaires. Mon propre périple m'a amené à une mine abandonnée dans laquelle des Guerriers avaient établi leur résidence. Dans ces tunnels brûlait une forge, avec un forgeron tel que jamais je n'en avais rencontré auparavant.

Je ne sais quelle était la puissance qui possédait cet artisan : ses poings incandescents agrippaient un grand marteau et les étincelles pleuvaient tout autour de lui tandis qu'il frappait une épaisse plaque de métal noir. Il lui fallut une semaine pour façonner mon armure, dont la forme fut prévue pour contenir une carrure qui n'avait fait qu'enfler tout au long de mon voyage jusqu'à ce souterrain. Il s'agissait d'une simple armure, avec le symbole de mon dieu inscrit dessus, en attendant que j'y accroche les nombreux trophées que je m'apprêtais à gagner en son nom. M'étant joint à ces « Guerriers de l'Intérieur », nous frappâmes la nation à partir du cœur même de son territoire.

Mes journées devinrent un mélange contradictoire de monotonie et d'exhaltation. Chaque jour fut consacré au service de nos maîtres, à la recherche de faiblesses à exploiter ou de nouvelles recrues pour notre cause. Mais jamais nous ne restions au même endroit ; nous étions toujours en déplacement, dormant là où nous le pouvions. Nous ne mangions que ce que nous pouvions prendre à autrui, et ne nous arrêtions que pour prendre le temps de nous resanctifier de la manière appropriée. Chaque autre Guerrier était un camarade par nécessité, mais aussi un rival, une faiblesse potentielle. Les amitiés étaient éphémères. Cependant, tous partageaient une même passion ardente pour les récits de nos frères et sœurs célèbres pour s'être hissés au point culminant de notre voyage : les Hérauts exaltés.

Je ressentis les modifications opérées en moi jusqu'au plus profond de mon être. Cette énergie nouvellement trouvée tourbillonnait en moi. Je le savais, la faveur divine était la seule cause qui l'empêchait de me déchirer de l'intérieur. Il suffit de contempler les silhouettes difformes des Déchus pour se rendre compte des ravages qui s'opèrent lorsque nous perdons la protection de nos dieux. Mais tant que je gardais leur approbation, je ne connaissais plus nulle fatigue, maladie, crampe ou douleur. Désormais, je ne me comparais plus à mes semblables, mais à mes supérieurs ; je savais qu'un jour, je les jetterais à bas pour me dresser à leur place.

Il est certain que ma quête m'a permis de remporter de nombreuses récompenses. Mon armure est recouverte de marques et emblèmes d'êtres inférieurs – certains de mes anciens compatriotes, tout comme d'autres Guerriers qui osèrent se dresser sur ma route. Chaque victoire, chaque manifestation des préceptes de mon maître, chaque ennemi abattu me rapprochait de mon dieu. Je sentais son regard sur moi, sa faveur m'enhardir. Son feu consumait mes entrailles, mes yeux commencèrent à percevoir les individus identifiés pour subir la malveillance de mon dieu, tandis que je me perfectionnais pour devenir son instrument.

Lorsque je lève la tête à présent, je vois le sommet du sentier que je gravis depuis un siècle. Les Dieux m'ont accordé l'endurance pour vivre toutes ces années, ainsi que le pouvoir d'enjamber le monde. L'heure venue, je sais que je me montrerai digne de leur confiance et qu'ils m'honoreront de l'ultime épreuve : ma chance d'obtenir l'immortalité des mains de Père Chaos.

– Parchemin découvert entre les mains d'un scribe mort dans les ruines de l'abbaye de Listowell

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p18
 

LES VOIES DE L'ASCENSION

 

Notre voie est exigeante et absolue. Il ne peut y avoir nul remord, nulle reconsidération. Comme nous le disons au Sagarika : « ougrâ, shīghra, tīvrâ ». Aussi rapides que l'éclair, aussi profondes que l'abysse, aussi terribles que la guerre – telles sont les Voies de l'Ascension. Elles ne sont pas faites pour les faibles. Elles ne connaissent aucune pitié. Les Voies n'admettent que le dévouement, une foi inconditionnelle et une ambition infinie. La récompense ultime en est l'éternité. Mais l'échec signifie la difformité, la perte de toute chose, pour être réduit à un stade inférieur à celui de la bête.

Nous ne sommes pas une congrégation, nous ne sommes pas une armée. Nous sommes seuls. Chacun d'entre nous suit une Voie unique, qui lui est propre. Nous avons tourné le dos à la hiérarchie et à l'obéissance aveugle. Nous rejetons toute limitation. Tous nos efforts n'ont pour seul but que l'Ascension, afin de transcender les entraves qui retiennent les mortels.

Aucun d'entre nous n'est immunisé à la peur ni au doute. Je fus moi-même un jour confronté à une telle faiblesse. Mais je m'en suis séparé. J'ai gravi la Voie. J'ai fait face à chaque épreuve. J'ai imposé ma volonté et je domine à présent les pitoyables esclaves de ce troupeau inférieur qu'ils appellent « civilisation ». Ils me contemplent, emplis d'effroi, et je comprends la grandeur de notre Père, la formidable puissance de notre voie. Nous sommes les guerriers des Dieux Sombres : il ne peut y avoir la moindre merci, le moindre repos, le moindre amour, car la récompense est la gloire de l'immortalité.

J'ai vu mes frères gravir la Voie de l'Exil. Je fis certes preuve de malveillance à leur égard, mais je respecte aujourd'hui leur force de volonté autant que la force qui est la leur malgré leur laideur physique – ou peut-être grâce à elle. Mon jeune frère Dourmoukh, guerrier de Vanadra, ayant échoué à satisfaire sa déesse tutélaire, fut rejeté de sa position honorée et devint un Déchu. À mon côté, mon autre frère Karna, un Seigneur sous les auspices de Kuulima, a trahi son devoir : la Reine des mouches dut punir ses défaillances en faisant de lui une bête régnante, que nous appelons « Seigneur de la Ruine ».

Ceux qui s'avancent sur la Voie de l'Exil ne sont pas entièrement perdus. Ils ont été oubliés par leurs dieux, mais peuvent toujours être élevés par notre Père bienveillant, lui qui est le Chaos de toute chose, pour peu qu'ils se montrent dignes de lui. Certes, cette rédemption requiert d'incommensurables tours de force et de caractère, mais elle est possible. Dourmoukh lui-même poursuit à présent son ascension parmi les Exilés, étant devenu Répudié. Karna, en tant que Seigneur de la Ruine, peut toujours se voir confier la même épreuve finale que n'importe quel Seigneur élu. Mais tout comme les égarés peuvent remonter des tréfonds, ils peuvent tomber encore plus bas, devenant notre plus grande crainte à tous, un monstre de folie et de fureur, pour lequel tout espoir est définitivement perdu : un Affligé.

Récompense et châtiment sont les deux côtés d'une même médaille, tout comme le sont l'une pour l'autre la Voie de la Faveur et la Voie de l'Exil. J'ai satisfait Sugulag en ôtant la tête du géant Bedawang pour en faire un trophée, en pillant la forteresse de Sindhou et ses trésors, en saccageant les plaines de Vétie et en faisant craindre le nom du Collectionneur partout sur les terres de ces êtres faibles et miséreux qu'on appelle « Sonnstahl ». Me voici à présent : un Seigneur, devant bientôt être mis à l'épreuve avec la bénédiction de la Cupidité elle-même, le Trésor et l'Égoïsme du Chaos, afin d'être hissé au rang de Héraut exalté de notre Père, son Œil doré. C'est là l'épreuve ultime, le couronnement de tout. La réussite signifie l'éternité, l'échec entraîne notre pire cauchemar : la marque existentielle absolue de l'échec, le symbole même de l'inhumanité, un Intouchable.

– Extrait de la Litanie de l'Exalté, également connue sous le nom de Journal de Douriodhana.
Ce texte avait été caché dans une niche derrière la fresque dépeinte sur la page ci-contre, dans le légendaire haut temple de Sugulag, non loin de Pavitrastha.
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p20
 

Héraut exalté

LA SAGA D'ATHAR – première partie

 


Écoutez-moi ! Nous, les Giothars à la lance, avons entendu parler de la gloire des rois d'antan et des actes de bravoure par eux accomplis. Souvent Byrn, fils de Borgar, des terres s'emparait et des trésors des armées ennemies et terrorisait les terribles Sviarskars qui ne lui accordaient pas le respect dû. Il crût en puissance et en richesse, prospérant dans les honneurs des dieux, jusqu'à ce que chacune des tribus avoisinantes à lui fût soumise et à lui payât tribut. Voilà un bon roi !

Non moins digne en ces jours était le puissant Athar, fils d'Athils, le plus grand jarl du mont Veskar. À une grande maîtrise parvint-il de ses nombreux dons et des nombreuses faveurs que la Reine des mouches avait à lui conférées, et des pics des Géants il abattit les plus puissants des monstres. Athar n'a-t-il pas prouvé sa valeur au monde entier ?

Long ne fut pas le temps avant que ces deux champions de la Déesse, l'Égalisatrice de toute chose, ne s'élevassent dans sa considération. Car en vérité, par elle ils furent élus, et furent faits les premiers Seigneurs du puissant Åskland. Et en vérité, puissamment accomplirent-ils ce que nous tous, nobles Guerriers qui suivons la voie des Sept, recherchons : la puissance et la domination en ce monde, et la vraie maîtrise de soi. Quels glorieux exemples furent-ils !

Sinistre en effet était le pouvoir de Byrn, lui qui avait porté à travers les terres la frayeur d'Audun, la masse de ses ancêtres. Et non moins redoutable était Thord, la hache d'Athar, qui dix mille ennemis avait occis. Les grands faits de la chanson les poursuivant, tout ce temps chacun des seigneurs entendait les récits des faits de l'autre. En vérité, la bile de la Dame remontait dans leurs gosiers, tandis qu'ils s'efforçaient de surpasser leur rival. Ils entretenaient et chérissaient la plus profonde jalousie, qui les poussait sans cesse à de nouveaux exploits.

Et enfin ils se tournèrent vers la halle des fêtes de Grimar Valthiofsson, haut roi de Thrymlande, lui qui siégeait dans la splendeur de la Grande halle du fiord. Athar et Bryn tournèrent tous deux toute leur volonté vers cette halle, qu'aucune armée n'avait encore approché. Ils brûlèrent la Thrymlande jusqu'à ses racines, jusqu'à ce qu'il ne reste plus un homme pour en défendre le maître.

Grande fut leur consternation lorsqu'ils réalisèrent qu'ils avaient atteint la halle au même moment. Mais l'heure n'était pas au duel, car ils avaient surpassé l'admiration de la Déesse, et avaient été offerts à notre Père, Lui qui est toute chose et toute éternité. Une grande épreuve attendait ces deux fils de l'Envie !

Les Guerriers remplirent la halle de Grimar, la haute table parée du sang de feu son roi trépassé. Effroyable fut leur mélopée tandis que Byrn et Athar quittaient ce plan, emportés pour être éprouvés par le Chaos qui ne connaît nulle limite, nulle merci pour ceux qui en sont indignes. Ces deux seigneurs des hommes quittèrent leurs corps, qui se convulsèrent et se débattirent devant les spectateurs au centre de la Halle du fiord.

Longtemps ces seigneurs endurèrent-ils les adversités de ce pays inconnu des mortels. De nombreuses heures furent-ils vus souffrir l'agonie de ces épreuves ! Tout à coup le procès prit fin. Les Byrnlings et les Atharlings dans la halle conquise furent aveuglés par la puissance du Voile déchiré et assourdis par le tumulte d'un millier de hurlements.

Quand ils regardèrent à nouveau, ils virent que leurs seigneurs avaient disparu. Le noble Byrn n'était plus ; une grande force avait ouvert les immenses murs de chêne de la halle, rejetant dans son sillage les Guerriers dévastés. Dans les forêts obscurcies au-delà, s'entendait un hululement des plus hideux.

Lorsque leurs regards se portèrent à nouveau sur l'endroit où s'était trouvé Athar, il n'y avait plus devant eux nul signe d'homme ni de bête, excepté le sceau de son Ascension, incandescent dans la pierre elle-même, le symbole qui signifie l'alpha et l'oméga de toute chose, le début et la fin, la marque même de l'infini :

Louée soit Kuulima ! Loué soit Athar, Héraut exalté !

– Extrait de la saga d'Athar*, épopée de dix milles vers allitératifs rédigée en giotharique ancien

*La vie d'Athar est sujette à dispute parmi les historiens. Certains remettent en question le fait qu'il ait réellement existé. La personne de Grimar Valthiofsson est généralement considérée comme authentique, et il est su que la Thrymlande fut dévastée par des pillards nordiques vers l'époque de son règne.
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p.21
 

Les titans intemporels



Je te salue, Sol, déesse du Ciel. Toi qui étreins le soleil et qui amène la lumière à tous les pays. Bénie soit notre reine bienfaisante, bénies soient les paroles prononcées par elle.

Ainsi parla la Déesse : Au commencement était le Vide, et le Vide était immobile.

Ainsi parla la Déesse : Il y eut un grand abîme dans la création, et le Vide fut scindé.

Ainsi parla la Déesse : Les deux moitiés s'éveillèrent et rassemblèrent les Royaumes autour d'elles-mêmes, les titans intemporels, dont la lutte enjambe les éternités.

Ainsi parla la Déesse : Mère Cosmos était inflexible. Elle tissa son manteau de lois et de systèmes. Un Royaume ordonné où les hommes pourraient vivre, et un firmament par-dessus, pour inspirer la divinité.

Ainsi parla la Déesse : Père Chaos était constamment changeant. Il résidait dans le tumulte de l'entropie la plus pure, insondable pour les mortels : ce Royaume que l'on nomme Immortel.

Ainsi parla la Déesse : À jamais le Père désire son amour perdu, et à jamais elle échappe à son emprise, tirant à elle le Voile pour s'en couvrir, le réparant lorsqu'il se déchire.

Ainsi parla la Déesse : Toujours la poursuit-il, et bien qu'il ne puisse passer à travers, il envoie ses émissaires pour éprouver sa détermination. À jamais l'essence du chaos du Père imprègne le Voile, une force de changement illimité que les hommes appellent « magie », pour que jamais la Mère n'oublie sa caresse.

Ainsi parla la Déesse : À jamais la vitalité transcendante dans les cœurs mortels, que les hommes nomment « âme », revient en son second domicile dans le Royaume immortel, où habitent les dieux et tous les êtres de ce grand pays. Cependant la Mère peut permettre à ceux qui en sont jugés dignes par leurs divinités de revenir, relevant son Voile pour qu'ils puissent rejoindre son lieu de constance.

Et les hommes se réjouirent des merveilles dont elle parlait, notre Dame de l'Astre solaire, plus grande déesse de notre nation, et surent qu'il en était ainsi.

– Inscription découverte dans un des plus vieux temples d'Avras, enfoui depuis longtemps sous l'actuel Grand Sépulcre.

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p.22
 

DES DÉSOLATIONS


Directeur Pao :
Voici les faits. Les Désolations sont apparues lorsque la Fournaise a été déclenchée. Nous savons que dans les instants qui ont suivi, une gigantesque vague de magie a balayé la plus grande partie de l'Augée septentrionale. Nous ne savons pas pourquoi le cataclysme a emprunté cette trajectoire. Certains affirment qu'elle a été déterminée par l'orientation de la ziggourat infernale.

Ce qui est certain, est que des milliers de gens ont péri en l'espace d'un battement de cœur. Plus nombreux encore furent ceux qui mutèrent ou furent assaillis par les légions démoniaques qui suivirent. Nous pensons que la grande faille dans le Voile n'a pas duré plus d'une fraction de seconde avant que ne soit libérée cette énorme énergie. Il n'a pas fallu plus que cela à l'essence brute du Royaume immortel pour se déverser à la surface du monde.

Nous pensons que les Désolations étaient initialement un peu plus larges que ce qu'elles sont aujourd'hui. La magie ne peut en effet perdurer à jamais : il s'agit d'une substance entièrement étrangère à notre monde, qui finira toujours par retourner de l'autre côté du Voile après un certain temps. Les Désolations ont donc lentement reculé pour atteindre leur étendue actuelle. Elles recouvrent néanmoins toujours d'innombrables lieues de terres autrefois fertiles de la mer des Tempêtes à la Plaine foudroyée.

Tous les comptes-rendus décrivent les Désolations comme étant absolument désertes. C'est une étendue aride, stérile et dénuée de vie. Là où s'étendaient de vastes prairies et forêts, on ne trouve plus la moindre trace de végétation. Les gens de notre race ne peuvent non plus pénétrer ce pays sans souffrir très vite d'un mal débilitant et connaître une mort rapide. Les récits font état d'hommes dont les cheveux tombent par poignées, dont la peau s'écaille et pèle, vomissant du sang, et dont la chair se flétrit sur les os. Certains voient leur corps se tordre pour adopter de nouvelles formes atroces. Il y a aussi la question de la folie des Désolations : les victimes entendent des voix et sentent leur esprit assailli par d'étranges forces.

Il est également vrai que certains endroits sont plus vivables que d'autres. Et comme il est pour le moins malaisé de définir la limite stricte à partir de laquelle les Désolations commencent, il est difficile de juger de la fiabilité des rapports de certaines personnes affirmant être parvenues à pénétrer assez profondément ce territoire. En outre, en sus des effets dégradants de la magie, il y a également les dangers posés par les grandes bêtes telles que les dragons et les chimères, créatures qui vivent là en raison de leur affinité naturelle pour la magie ; et, bien entendu, les démons.

À ce sujet, encore moins de choses sont certaines. Nous pensons que les parties centrales des Désolations sont à ce point saturées de magie que les démons peuvent y franchir le Voile librement et y demeurer aussi longtemps que cela leur plaît, y trouvant là de la magie en quantité inépuisable leur permettant de subsister dans le Royaume mortel. Nous savons qu'ils commercent parfois et nouent des pactes avec les Guerriers des Dieux Sombres ; ces derniers leur fournissent notamment l'acier avec lequel les démons forgent leurs armures impossibles.

Mais même les Guerriers, des êtres dotés d'une robustesse surnaturelle par leurs sombres maîtres, ne peuvent rester fort longtemps dans les Désolations ; eux aussi doivent régulièrement revenir à sa bordure.

Empereur Haï-Tsou :
Vous êtes donc en train de me dire que je ne peux y faire passer mon armée ?

Directeur Pao :
Le vermisseau que je suis implore votre clémence, Votre Somptuosité. Cela est en effet tout à fait impossible.

– Procès-verbal des échanges à la cour du Tsouan-Tan, vers 405 A.S.

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p.24
 

Seigneur élu


Votre Excellence,

Je vous écris à présent pour vous annoncer la plus bouleversante et épouvantable des nouvelles, bien que j'éprouve moi-même de grandes difficultés à coucher tout ceci par écrit. Il m'est parvenu qu'il se dit à la cour que mon épouse m'aurait quittée pour un autre homme. Cela n'est que partiellement vrai ; la réalité est bien pire.

Un an avait passé depuis notre dernière rencontre majeure avec les disciples des Dieux Sombres. Tout au long de cette année, nous recevions régulièrement la visite de petites bandes venues commercer ou prier au temple local avant de poursuivre leur route. La ville, demeurée sûre, prospérait. Je commençais à croire qu'un avenir radieux nous attendait, conformément à vos pronostics.

Mais Shiva était de plus en plus mécontente de notre position, confinée dans son rôle de nourrice pour notre jeune fils, si loin des conforts de Volskagrad. Quant à moi, ma propre vie était infiniment plus enjouée depuis l'arrivée de Lukas, mon fils, mon héritier ; mon cœur n'avait jamais été si comblé. Cependant, de sombres nuées s'accumulaient à mesure que croissait l'évidente insatisfaction de ma femme. Je lui promis que je ferais tout ce qui était en mon pouvoir pour accélérer notre retour dans le monde, mais ces proclamations ne lui étaient que d'un piètre réconfort.

Mes propres doutes refirent surface avec l'arrivée d'un important contingent de Guerriers. Il s'agissait cette fois non d'une horde mixte composée d'adorateurs des sept Dieux (phénomène par ailleurs exceptionnel, de l'avis de toutes les sources), mais d'une force avançant sous des étendards arborant le symbole de Savar. À leur tête marchait un Seigneur de l'Orgueil portant une couronne en or. L'expression impérieuse avec laquelle il scruta Totvárosh me rappela la visite du comte Lounine au domaine de mon enfance et son dédain pour les « hobereaux de province ».

Ayant franchi nos portes, ils déchargèrent leurs trésors tant à des fins de commerce que d'étalage. Grisés par une récente victoire, ils exhibaient ce butin ouvertement. Selon le récit qu'ils en firent, une attaque osée au pied même de la Fournaise leur avait permis de prendre au dépourvu toute une cohorte de Nains infernaux. Ce n'est en effet pas mince affaire que de surprendre les disciples de Nezibkesh dans leur veille infatigable autour de cet abîme flamboyant. La pièce maîtresse de ce butin était un crâne d'une taille imposante, fait d'airain et de pierre noircie, dont l'aura était si lourde de menace que je me sentis pour le moins soulagé de n'avoir pas eu à affronter son propriétaire de son vivant.

Brûlant du désir de voir leur histoire portée aux quatre vents, ils ne lésinaient sur aucun détail. Ils s'étaient faufilés le long des rivages de la mer des Dieux qui bordent les Désolations. Ils avaient ensuite fait coïncider leur avancée avec une tempête de sable en provenance de la Plaine foudroyée pour traverser le terrain découvert à une vitesse déconcertante. À trois reprises, ils étaient tombés nez à nez avec des éclaireurs taurukhs, qu'ils massacrèrent sans pitié afin de s'assurer qu'aucun message d'avertissement ne parvînt à leur cible.

Enfin, émergeant des Désolations comme une onde destructrice, ils avaient fondu sur l'avant-poste qui ne se doutait de rien, et où l'alarme ne fut donnée que quelques minutes avant le combat. Mais les Nains infernaux ne sont pas un adversaire à sous-estimer. Ce bref moment leur suffit à former leurs régiments. Bon nombre de ces Guerriers de Savar affichaient fièrement leurs cicatrices remportées au cours de cette bataille.

Grâce à leur surprise et à leur rapidité, les Guerriers s'étaient assuré l'avantage. Mais c'est alors que surgit un élément capable de renverser le cours de la bataille : un titan kadim. Jamais je n'ai contemplé de telles créatures, mais les légendes font état d'êtres forgés d'acier, de pierre et de feu et dotés d'une intelligence contre nature, dominant le champ de bataille de leur taille.

La plupart des armées hésiteraient face à une telle menace. Je m'attendais donc à ce que me fussent contés les prodigieux tours de force qui avaient été nécessaires pour abattre ce géant : le choc de la magie et des monstres, le kadim jeté à bas par la force combinée de toute une armée. Ce à quoi je ne m'étais guère préparé était le récit d'un homme seul s'avançant pour défier la bête.

J'ai rencontré de nombreux dirigeants au cours de ma vie. J'ai servi sous le tsar Oleg lors de mes débuts à l'armée. Nous avons rencontré l'Empereur lui-même il y a des années au Sonnstahl, ainsi que le vieux général Tcharkov et ses pieds de fer. De grands hommes, chacun à sa façon, capables de grands actes de bravoure. Mais il m'est impossible de comprendre pourquoi un commandant devrait inutilement faire la démonstration de sa valeur en plein milieu du combat. On est ici à la limite de la folie. À moins que les risques encourus par un tel comportement ne soient justifiés par un gain tout aussi retentissant.

 

***


J'entendis ce jour-là au moins cinquante versions de leur histoire, chacune un peu plus embellie que la précédente. Selon la première, le kadim avait vu ses jambes tranchées et sa forme s'effondrer comme une cascade de plaques de bronze ; selon la dernière, un gantelet aurait été plongé dans le torse du titan et son cœur incandescent arraché de la plaie béante et brandi à la vue de tous. Le seul point commun entre tous ces récits était la victoire en combat singulier du Seigneur Ghul et le fait qu'il serait certainement récompensé par Savar pour cet exploit.

Ce qui me préoccupait le plus était l'effet que cette narration avait sur la populace de Totvárosh, qui d'ailleurs n'aurait pu éviter de se la faire raconter quand bien même aurait préféré n'en rien savoir. Pour neuf individus qui entendaient l'histoire et l'accueillaient avec le prudent respect qu'il imposait, il s'en trouvait un dixième dont les yeux s'illuminaient à l'idée qu'il pourrait lui aussi recevoir une partie de cette puissance et de cette gloire qui lui étaient ainsi rapportées.

Constatant le caractère hautement subversif de ces trésors et de ces fanfaronnades, je disposai des gardes pour raffermir le moral de la ville et m'assurer que nul ne sorte des portes sans ma permission. Pendant ce temps, je parvins à isoler le Seigneur Ghul en l'invitant à ma table. Peut-être était-il flatté par ce signe de reconnaissance de son statut, à moins qu'il ne fût motivé par l'opportunité que je lui offrais ainsi de raconter son histoire devant un public plus convenable – toujours est-il que c'est une bien étrange compagnie qui se rassembla ce soir-là pour le souper. Les chaises de notre grande salle à manger grinçaient sous le poids de Ghul et de ses lieutenants, leurs heaumes aux silhouettes impies formant un curieux ornement au centre de la table.

Ghul lui-même ne prononça pas plus d'une dizaine de mots, laissant à ses compagnons le soin de vanter son talent et sa stratégie. L'histoire était palpitante, relatée par ceux qui en avaient été les premiers témoins. Ghul, de son côté, examinait les notables de la ville. Mais une fois qu'il eut arrêté ses yeux sur Shiva, ils n'en bougèrent pratiquement plus du reste de la soirée. Je serrais les poings, comme tout homme dont l'épouse est admirée de façon si éhontée. Certes, ce n'était pas la première fois que Shiva attirait les regards. Mais cette fois, c'était différent.

L'épopée ayant atteint sa conclusion, Ghul se mit à sourire et me fixa un long moment, tandis qu'il prononçait ces mots d'un air moqueur :

« J'espère qu'il se trouvera en cette ville des gens assez audacieux pour rejeter leur petit confort afin de se tailler leur propre route. »

À cette raillerie, mon sang se mit à bouillonner. Il se rassit confortablement dans son fauteuil, penché en arrière, les jambes grandes écartées, caressant toujours ma femme du regard. Mais avant que je ne pusse réagir, un garde m'appela à propos d'une situation urgente.

Dans les rues, le chaos régnait. Une dizaine d'hommes et de femmes se tenaient aux côtés des Guerriers aux portes de la ville, portant ce qui semblait être l'ensemble de leurs possessions terrestres. Les familles désemparées se tenaient à une courte distance, suppliant leurs proches de revenir. Je notai sur les visages de ces recrues toute une série d'expressions, de l'appréhension à une excitation depuis trop longtemps contenue. Néanmoins, tous avaient en commun le même air déterminé. Leur décision avait été prise, leurs pas empruntaient une nouvelle voie, pour le meilleur comme pour le pire. Ceci étant, et relevant une situation potentiellement violente, je décidai d'intervenir personnellement pour calmer les familles et les écarter des portes.

C'est lors de cette demi-heure que je passai à calmer la populace que ma vie changea à jamais. Revenant ensuite sur mes pas, j'atteignis les portes juste à temps pour y apercevoir Ghul sortant de la ville de sa démarche raide. Le Seigneur se retourna, nos regards s'entrecroisèrent, et je fus parcouru un instant d'un frisson – celui de l'approche du combat. Nulle frayeur ne s'empara de moi, que la résolution avant l'instant fatidique. Mais un rictus carnassier fendit le visage de Ghul, un horrible masque de triomphe qui glaça mes os jusqu'à la moelle ; puis il fit volte-face et partit. C'est alors que, tandis que je restais là à l'observer s'éloigner à travers les portes, j'entrevis soudain une figure verte dans le lointain, si semblable à la robe que ma Shiva avait portée ce soir-là…

Je retournai à toutes jambes au manoir, le cœur battant à tout rompre tandis que je gravissais les escaliers quatre à quatre, bousculant serviteurs et vigiles. Notre chambre n'était plus qu'un amas de vêtements éparpillés. Tous les biens les plus précieux de Shiva avaient disparu. Craignant le pire, je déboulai dans la chambre de notre enfant… et tombai à genoux. Le berceau était vide. Notre fils, mon fils, Lukas, n'était plus là.

De ce qui se passa ensuite, je ne me souviens que de très peu de choses. Je sais que je fus retenu par plusieurs de mes hommes qui m'empêchèrent de me lancer dans la poursuite suicidaire que j'eus voulu entreprendre sur le champ. Je finis par partir quelques jours plus tard, une fois ma colère et ma rage quelque peu atténuées, dans l'espoir de trouver une piste. Cela s'avéra étonnamment difficile : le vent et la pluie avaient déjà balayé la plupart des traces. Chaque minute perdue me faisait grincer des dents. Je persévérai sans relâche, jusqu'à ce que mon cheval rende son dernier souffle entre mes jambes, à la limite des Désolations. Là, ressentant le mal lancinant du lieu peser sur mes épaules, je tombai à genoux et pleurai, comprenant que mon amour m'avait quitté à jamais.

Le voyage de retour à Totvárosh me prit des semaines. Je traînais des pieds, avec pour seul moteur un vague sens du devoir à accomplir. Je revins enfin, affaibli et desséché, pour affronter la perspective d'un avenir sans Shiva ni Lukas. Je vous confie tout ceci à présent, sachant que ma déchéance est complète, et qu'aucune absolution ne pourra restaurer mon nom. En vérité, de telles considérations sont à présent loin derrière moi. Seul le devoir me gouverne à présent, et le vain espoir de revoir un jour ma Shiva.

– Votre fidèle serviteur, marquis Ilarion Yanovitch

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p.28

 

Élus

LA LÉGENDE D'ANABA

 

Anaba, élue de Cibaresh, s'agenouilla pour prier. Elle était recouverte du sang et autres effluves des plaisirs de la nuit. Des bouteilles à la couleur sombre étaient dispersées çà et là, vidées de leur nectar, un vin mis en tonneau de longues années auparavant en une contrée fort lointaine, qu'on appelait « Ekiten ». Le lourd arôme de l'encens, de l'huile et de la sueur flottait dans le tipi comme de la fumée. Derrière Anaba gisait inconsciente une jeune fille elfe, dépouillée de plus que ses vêtements, complètement épuisée par leurs labeurs de la nuit. Je pense qu'elle était la fille de propriétaires dæbs, qui avait récemment succombé aux charmes uniques d'Anaba.

 

L'Élue entonna : « Mon plaisir est tien, ton plaisir est mien ». Ce faisant, elle fixait le masque à l'allure inexpressive mais pourtant anormalement séduisante qu'elle tenait entre ses mains. Ses muscles faisaient saillie sur son corps vigoureux, de la vapeur s'élevait de son dos. « Nous sommes une seule chair, une seule passion. Ô grand Tentateur, accomplis ton œuvre à travers moi, fais-moi remporter une gloire éternelle en ton nom ».

 

L'observant discrètement par dessous le volet de la tente, je souris. Je laissai Anaba à son adoration privée, préférant errer à travers le camp. Je faisais bon séjour parmi cette bande. Ceux qui bénéficient de la faveur de la Luxure ne prennent jamais de demi-mesures. Chaque nuit était une nouvelle resplendissante abomination de délices charnels.

 

En revanche, les journées n'étaient pas toujours aussi mémorables. Nous nous étions enfoncés profondément dans le cœur sauvage de la Silexie, loin de la magie de la mer du Sud, où les adeptes des Dieux Sombres sont aussi communs que des crotales. Cependant, dans les grandes plaines où nous nous trouvions, rares étaient les opportunités de combattre et de trouver la gloire. Ce jour s'avérait aussi morose que les autres. J'observai les Élus ressangler leurs épaisses plaques d'armure et se préparer à une nouvelle journée de marche sous le soleil écrasant.

 

Ils n'échangeaient que peu de mots. Ils avaient beau connaître sur le bout des doigts la moindre parcelle du corps de leurs compagnons, ces Élus de la Luxure étaient encore moins sociables que la plupart des bandes que j'ai fréquentées. L'amitié a toujours été perçue comme un signe de faiblesse pour ceux qui arpentent les Voies de l'Ascension. Il était évident que cette compagnie connaissait plus que quiconque les périls de l'intimité.

 

Nous partîmes en direction du nord. Dans mon mince manteau, je suffoquais ; mais les Élus, engoncés dans leurs cages d'acier, se mouvaient aussi facilement que des pumas. Le soir venu, nous montâmes à nouveau le camp, et le cycle se répéta. De longues journées où il ne se passait rien. Pour moi, cet ennui était presque intolérable, mais pour ceux qui furent de simples Guerriers, la patience est la vertu la mieux établie.

 

Enfin, notre périple fut interrompu par une sorte de hennissement : une petite harde d'hommes-bêtes. Je vis mes compagnons saisis d'une intense émotion en apercevant trois énormes minotaures avançant sur eux, dépassant les autres bêtes d'une taille. Ces créatures représentaient un admirable défi ; leur mort apporterait ce que les membres de mon groupe désiraient plus que tout : la gloire.

 

L'Élu qui se tenait à mon côté, une brute démente nommée Pezi, était littéralement en train de saliver. Il se donna un grand coup sur la mâchoire avant de hurler : « Pour Cibaresh, mon être entier ! » Ce fut lui qui mena la charge.

 

La journée était déjà bien entamée, mais toute fatigue fut instantanément oubliée, tant ils avaient rêvé de ce combat. J'observai ce beau carnage de l'abri d'un bosquet, nourrissant leur force du peu de magie que je parvenais à rassembler. Les serviteurs de Cibaresh étaient dépassés en nombre, mais ils combattaient avec un zèle insensé, accueillant lascivement leurs amants dans l'étreinte de la mort. Les plus petites créatures n'avaient pas l'ombre d'une chance. Pezi abattit un des minotaures à lui seul, après l'avoir laissé lui transpercer l'épaule de sa corne, beuglant sa suprématie encore plus fort que la bête. Un autre fut jeté à bas par un groupe d'obscénités armées de haches.

 

Le troisième de ces monstres à tête de bison fut affronté par la silhouette déterminée d'Anaba. Elle avait parcouru un très long chemin depuis sa naissance dans la tribu des Tanépés occidentaux. Elle lui fit face avec joie, mais la bête en avait assez vu. Anaba le pourchassa jusqu'à l'orée des bois, lorsqu'elle fut arrêtée net par une main sur son épaule. Celle de Shaye, le Serpent.

 

Shaye était un saurien. Mâle ou femelle ? Nul ne l'avait jamais compris. Les sauriens ont une aversion particulière pour le Chaos. Il est donc exceptionnellement rare pour les êtres de cette race de conclure un pacte avec un Dieu Sombre, et encore plus rare de voir l'un d'entre eux parvenir au rang d'Élu. Shaye est le seul saurien que j'aie jamais rencontré à s'être donné à Cibaresh. Il se vouait d'ailleurs avec une véritable ferveur, de chaque mouvement de son corps reptilien étrangement souple et sensuel. À présent, sa langue fourchue se projetait d'avant en arrière tandis qu'il priait Anaba de laisser sa proie s'échapper. Avec force cliquetis et sifflements à peine intelligibles, il lui expliqua que s'ils le laissaient vivre, ils pourraient suivre la piste odorante de la bête pour trouver une gloire plus grande encore.

 

Anaba bouillonnait sous son masque de fer à l'expression indifférente. De dépit, elle jeta sa hache par terre. Cela faisait à peine deux lunes que sa sœur Matcha s'en était prise à Shaye pour son insolence. Les Dieux Sombres ferment souvent les yeux sur les dissensions parmi leurs adeptes, mais dans le cas de Matcha, il en était allé autrement. Matcha avait été punie. Elle avait perdu la faveur de Cibaresh, la divine protection qui contenait sa force surhumaine. Avant même que sa transformation ne fût parachevée, elle avait été chassée du camp. On l'aperçut quelque semaines plus tard, une monstruosité lourdaude au service de notre Père. Abandonnée par tout ce à quoi et à qui elle avait tenu, elle était à présent Répudiée. Anaba aurait bien pu commettre la même erreur, si ce dernier incident n'avait pas été si frais dans sa mémoire.

 

Malheureusement, je dus quitter la bande avant qu'elle ne menât à bien le plan du Serpent. La piste du minotaure la faisait dévier vers l'ouest, alors qu'il me fallait poursuivre en direction du nord, à la recherche d'un légendaire artéfact.

 

***

 

Bien des lunes passèrent.

 

Je rejoignis une force bien plus considérable, qui assiégeait Yos Barbha, la plus grande colonie du Dathen à l'ouest du fleuve Tietha.

 

Arrivant au camp, j'écoutai la conversation d'un groupe de Guerriers assis autour d'un feu. Ils discutaient de leurs récentes victoires, se sentant particulièrement inspirés par la légende du Seigneur Opaga, qui était ascendu peu de temps auparavant. Chacun voyait dans son triomphe son propre avenir. C'est alors que je remarquai les Élus de Cibaresh. Bien qu'ils n'eussent allumé aucun feu, mes sens étaient assaillis par les relents infects et les gémissements familiers en provenance de leur partie du camp.

 

Une personne cependant semblait bouder cette débauche routinière. Anaba était assise seule, à la lisière du camp, sondant les ténèbres de la nuit.

 

M'approchant d'elle, j'entamai la conversation :

« Tu sembles peu apprécier l'Ascension d'Opaga. »

 

Elle cracha, trahissant ainsi une jalousie qui n'aurait pas détonné chez les disciples de Kuulima :

« Peuh ! Pour une poignée de monstres dérisoires. Il sera bientôt oublié, tandis que ma légende sera chantée pour les siècles des siècles.

Toujours est-il que je ne te vois pas prendre le moindre plaisir ce soir, ni te mêler aux autres dans le camp.

Ces nouvelles recrues ? De simples Guerriers. Non, ils sont incapables de concevoir ce qu'est la véritable dévotion. »

 

Elle exprimait par là le mépris typique des Élus pour ceux qui se tiennent aux échelons inférieurs de leur Voie.

 

« Alors dis-moi, Anaba, adoratrice de la Luxure : quels sont donc ces maux qui te rongent ?

 

Je suis une Élue de Cibaresh, ensorceleur. Il est inconvenable, pour toi qui n'as pas passé le moindre pacte, de me parler avec une telle impudence. Si je souffre, c'est uniquement en raison de ce manque de liberté qui m'empêche d'accomplir ma destinée.

 

De quelle liberté parles-tu ?

 

Ces vermisseaux me tirent en arrière (à ces mots, elle fit un geste en direction des tipis des autres Élus, puis du camp en général). Je rêve de suivre ma propre Voie. Mais hélas… Je suis toujours limitée. »

 

Tout comme je l'avais vue faire auparavant, elle prit dans ses mains le masque accroché à ses hanches pour en fixer les yeux de fer impassibles. Je ne connaissais que trop bien ces symptômes. Elle brûlait du désir d'accomplir de grandes choses, mais elle dépendait d'autrui pour y parvenir. Ceux qui jouissent de la faveur des Dieux Sombres ne sont pas des idiots. Ils savent qu'ils ne peuvent attaquer une forteresse seuls. La mort, après tout, n'est qu'une autre forme d'échec. Pour être forts, il leur faut être nombreux ; or, c'est ce même nombre qui dilue leur gloire. Tous haïssent cette contradiction.

 

Après un long moment, elle reprit la parole :

 

« Demain, nous allons affronter les misérables esclaves qui peuplent cette ville en s'en croyant les maîtres, et leur permettre de poursuivre leur existence barbare en échange d'un grand tribut.

 

Ça m'a tout l'air d'une victoire. Pourquoi donc cet air contrit ?

 

Nous continuerons à faucher la grande richesse des elfes, qui s'ajoutera à nos futures conquêtes et à notre gloire. C'est ce que… nous désirons.

 

Mais toi, tu meurs d'envie de prouver ta valeur au combat. Cette trêve te prive de la jouissance du carnage. »

 

Elle me regarda d'un air sombre.

 

« Ce sont là tes propres paroles, ensorceleur.

 

Effectivement, je ne suis qu'un ensorceleur. Celui qui ne passe nul pacte, ne suit nulle voie, n'a nul espoir de gloire éternelle. Pourtant, je suis plus proche des Dieux que n'importe lequel d'entre vous.

 

Tu ferais mieux de surveiller ta langue…

 

Écoute-moi bien. J'ai grandi dans les îles les plus centrales de la Mer brisée, là où le Voile est si mince qu'on peut pratiquement y goûter le Royaume immortel. Chaque partie de mon être est une création des Sombres Pouvoirs. Je suis leur créature, leur instrument. Tu sers ton Dieu pour ta gloire personnelle ; moi, je sers directement les Huit.

 

C'est du moins ce qu'on raconte, oui.

 

Car c'est la vérité. N'oublie pas que notre étoile ne compte pas sept branches, mais huit. La plus grande de ces branches, celle qui pointe vers l'Ascension, appartient à Père Chaos. Tu ne Le connais qu'en tant que sauveur des Déchus, mais c'est Lui qui est en réalité le seigneur de toute chose. Lui qui est non seulement le pinacle de notre étoile, mais également son cœur et son centre. Ton Cibaresh et ses confrères ont beau s'être formés autour des grands péchés des mortels, même eux ne font que servir les desseins du Père. Ses projets sous-tendent les leurs ; ce sont Ses clés qui ouvrent les portes de l'éternité. Ne trouves-tu pas que toutes ces conquêtes, ces tributs ont un parfum plutôt fade, comparé au succulent nectar du Chaos ? »

 

Anaba m'observait intensément, respirant bruyamment.

 

« Tu parles en paraboles, mais je ressens la véracité de tes dires. J'ai échoué à me débarrasser de ma faiblesse : ma pathétique solitude, mes pitoyables hésitations. Je ne trébucherai pas une seconde fois. »

 

Elle fixa le masque sur son visage, et je souris dans les ténèbres.

 

Le lendemain, les forces des elfes noirs étaient déployées devant leurs murailles. Notre propre ligne de bataille se forma de son côté, considérablement plus imposante que la leur.

 

Les délégations s'avancèrent au centre de la plaine. Je vis que le Serpent, Shaye, avait été choisi pour faire partie des émissaires. Tout ce plan empestait de l'odeur de ses machinations. Mais c'est alors que le silence inquiet fut brisé par le fracas d'une voix :

 

« Guerriers des Dieux Sombres ! »

 

Je reconnus le masque de guerre d'Anaba, et mon visage s'éclaira. Elle avait escaladé un gros rocher qui se trouvait là, afin de s'adresser à toute l'armée, sans ressentir le moindre trac.

 

« Nous nous tenons devant une ville rongée par la servitude la plus abrutissante, bâtie par un peuple qui avilit les libertés qui nous ont été conférées par les Dieux. Un peuple qui honnit l'autodétermination, préférant s'en tenir à un système de classes sociales rigide, à ses champs cultivés par des esclaves. Cette nation est un chancre sur nos terres, qui appartiennent de droit aux Sept, et à notre Père. Nous ne nous abaisserons pas à négocier avec ces insectes. Nous leur montrerons ce que cela signifie de tenir tête aux Dieux Sombres. Alors, rasons cette ville, et pillons toutes les terres qui se trouvent derrière elle ! »

 

Elle brandit sa hache, qui parut s'enflammer dans le soleil levant. Avec un rugissement final – « Pour Cibaresh ! », elle bondit du rocher et chargea tête baissée en direction des elfes. C'était une vision épique. Une femme seule, courant droit sur les rangs de l'ennemi, sans un égard pour l'hésitation de ses pairs.

 

Je regardai alentour. Les Guerriers murmuraient. J'entendis un puissant cri de guerre à ma droite : c'était Pezi qui la suivait à toutes jambes, les autres Élus de Cibaresh à ses trousses.

 

Les représentants à la table des négociations les suivaient du regard, atterrés. Shaye agitait les pattes à l'attention des guerriers lancés au pas de course : « Arrrrrêtez ! Nous ssssommes sssoccupés à assssssurrrrrer un glorrrrieux ssssavenir, avec les moyens d'asssssssouvir toutes nos passsssssions ! Pourrrr la gloirrrre de toussssss ! » Comme toujours, il était quasiment impossible de discerner le moindre sens de ses sifflements ; quoiqu'il en fût, il était bien trop tard. Le reste de l'armée avait été embrasé par la soif de bataille contagieuse d'Anaba. Les délégations n'eurent d'autre choix que de se séparer pour rejoindre leurs troupes au combat.

 

J'appris plus tard qu'Anaba fut tuée dès le début du combat ; mais au coucher du soleil, l'armée elfique avait été définitivement vaincue, et Yos Barbha intégralement rasée, dans un grand incendie.

 

Peu de temps après, manquant de ravitaillement, notre armée fut contrainte de se séparer, et de nombreux Guerriers moururent de faim au cours du terrible hiver qui s'ensuivit.

 

J'oubliai rapidement toute cette histoire. De nombreuses années ont passé depuis. Mais je m'en souvins récemment lorsque, alors que j'errais non loin des ruines d'une ancienne cité elfique, je trouvai un masque à l'air familier, à moitié enterré dans la plaine.

 

Extrait d'un grimoire dépourvu de titre, connu par les spécialistes sous le nom de Sombre Chronique de l'Ouest. Ce manuscrit fut découvert au Nouveau Monde par des explorateurs arcaléens dans un camp abandonné, et vendu à la Société impériale d'Eichtal. Le texte original est écrit en langue daghide.

 

 

 

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p.32

 

Chevaliers élus

 

Aujourd'hui, je suis partie acheter les matériaux requis pour forger l'armure commandée par le Sultan. J'ai mené mon enquête en ville jusqu'à parvenir à un marchand connu pour vendre le meilleur acier qui se puisse trouver : un petit homme chauve au regard tourmenté, du nom de Farid. Mais il n'avait rien pour moi.

 

Son dernier chargement était revenu vide, et il refusait au début d'en dire plus à une femme comme moi. Mais il a fini par s'ouvrir, à contrecœur, en voyant le sceau du Sultan. Il importe son acier du Tsouan-Tan, ce qui explique sa qualité exceptionnelle, et il veille personnellement à son transport à bord de son vaisseau. Lors de son dernier voyage, arrivé chez son fournisseur habituel, dans le Nord du pays, il trouva la ville plongée dans un profond tumulte.

 

Il y avait un camp d'ogres devant les portes. Non pas des envahisseurs, mais des réfugiés. Ils représentaient différents clans d'ogres khadamekaïs, un peuple nomade des steppes, très peu semblable aux mercenaires montagnards avec qui Farid m'a affirmé avoir eu affaire dans le passé.

 

Ces ogres avaient subi de lourdes pertes des mains des guerriers des Dieux Sombres, et avaient conclu une alliance avec les Tsouantanais. Il est après tout possible de raisonner avec les ogres, tandis que les Dieux Sombres n'apportent que la destruction. Ils sont la plus grande crainte de l'empire oriental.

 

Farid tenta de mettre la main sur son acier et de mettre les voiles avant que la situation ne se détériore. Mais il ne fut pas assez rapide. Bientôt, les cruels laquais des Dieux Sombres fondaient sur la ville. Et il ne s'agissait pas de simples Guerriers : c'était une bande d'Élus, menée par des chevaliers montés sur d'énormes bêtes de guerre. Les ogres se replièrent, pris de panique, en s'exclamant « Karkadan ! » – une créature que j'avais toujours cru relever du mythe.

 

Ces montures étaient en fait aussi diverses qu'imposantes. On raconte que les Élus endurent de grandes épreuves pour pouvoir les trouver et les dompter, forgeant le plus étroit des liens entre eux et leur compagnon. Il est clair que la maîtrise de tels animaux est au-dessus des guerriers de rang inférieur. Les récits faisant état de leur brutalité et du poids de leur armure se retrouvent sur tous les continents. De plus, Farid a affirmé qu'il y avait d'autres monstres montés dans leurs rangs : d'énormes créatures de la steppe semblables à des ours, ou encore de féroces panthères des neiges.

 

Mais le danger selon Farid ne provenait pas seulement de l'invincible karkadan et autres mastodontes : leurs cavaliers eux-mêmes faisaient preuve d'une force terrifiante. Il m'a confié qu'il y avait parmi eux des humains, mais aussi des hommes-bêtes, des nains et même des orques.

 

Leur chef était un ogre gigantesque, qui horrifiait les Khadamekaïs. Ce monstre avait été séduit par les promesses de Savar. Il fut un temps où il était un simple guerrier ogre, rejeté par son peuple pour son non-respect des traditions et croyances spirituelles du clan. Il avait désiré un pouvoir personnel – chose courante pour les khans de la steppe – mais avait échoué à susciter l'admiration de ses pairs. Il était à présent de retour, doté d'une puissance surhumaine, à la recherche d'une nouvelle forme de gloire.

 

Mais Farid dut reconnaître que les ogres n'étaient pas les plus à plaindre. Les chevaliers élus n'étaient en effet pas venus après eux, mais après la même chose qui avait amené là Farid : l'acier. Ils se saisirent de toutes les produits disponibles chez les sidérurgistes de la ville, et exigèrent que de nouvelles cargaisons soient prêtes pour le jour où ils reviendraient, si les habitants ne voulaient pas voir leur cité saccagée.

 

L'entreprise de Farid a été ruinée par ce tour des évènements survenu à l'autre bout du monde. Néanmoins, il s'est dit heureux d'avoir pu s'en tirer vivant. Quoiqu'il en soit, je me vois à présent contrainte de trouver une autre source de matériaux pour l'armure du Sultan.

 

Extrait du journal de Zohra al-Habib, conseillère et assistante personnelle du sultan Taadj Abdallah.

 

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p.34

 

Char des Guerriers et Char des Élus

 

« Les gardiens de chèvres érigèrent une pitoyable ligne de défense. Ils s'étaient alignés entre le fleuve et leurs maisons, pensant ainsi restreindre notre espace de manœuvre. Pauvres fous !
Nous poussâmes force cris, rivalisant les uns avec les autres, de même qu'avec nos bêtes. L'air était empli de poussière. L'espace d'un moment, nous perdîmes de vue nos proies.
Puis nous les heurtâmes. Les os craquèrent sous nos sabots et nos roues. Nos lames s'enfoncèrent dans les armures et les chairs. Ils fuirent, et nous les poursuivîmes sans merci. Leur chef pathétique s'enfuit sur une barque, entouré de son escorte couarde.
Nous abattîmes dix mille pleutres dans la ville, et libérâmes six mille esclaves. Ce fut une bonne journée pour la gloire de Koupash. »

 

Ce texte a été découvert par M. Karl Meisner, de la Société impériale, sur des fragments de poterie collectés dans les déserts de Taphrie. Il en tira l'hypothèse, à laquelle je souscris également, que ce texte, écrit par les ennemies du Naptesh, concerne la bataille de Tarkaphout, laquelle, selon nos meilleures estimations, survint à l'apogée de l'hégémonie naptéenne, bien avant sa malédiction. Le récit que font les chroniques naptéennes de cette bataille nous fournit d'ailleurs encore plus de détails :

 

« Les vaillantes forces de sa Majesté barrèrent les abords de la ville. Les remparts étant encore inachevés, il était impératif de retenir là les pillards. Trois lignes d'infanterie et deux blocs d'archers formaient le gros de nos forces, suppléées par un détachement de chars devant encercler les ennemis.
Le premier signe de l'ennemi fut un léger grondement, qui se fit de plus en plus fort. Puis nous aperçûmes un nuage de poussière à l'horizon. Le cuivre étincelait à travers ce brouillard. Nous n'avions aucune idée de ce qui s'y dissimulait.
Nous supposions que le groupe de pillards que nous pourchassions n'était guère important et qu'ils n'oseraient pas risquer une confrontation ouverte. Nous pensions qu'ils tourneraient bride sitôt qu'ils verraient la taille de notre armée. Nous avions tort.
Ils se lancèrent sur nous tête baissée, poussant leurs incompréhensibles cris barbares.
Nous lançâmes nos chars sur eux, mais leur infâme magie désorienta les fiers purs-sangs entraînés par les meilleurs dresseurs de sa Majesté.
Nous décochâmes nos flèches, mais leurs sombres ambitions leur firent parcourir la distance entre nous plus rapidement que ce que nous avions anticipé. Nous n'eûmes qu'à peine le temps de décocher une unique volée avant qu'ils ne fussent sur nous. Le premier rang se prépara à intercepter l'impact, mais il ne fut pas heurté par des chevaux.
Il y avait là quelque chose de bien plus féroce. Des bêtes démentes, issues du plus noir abysse des Enfers, tirant des chars qui faisaient deux fois la taille des nôtres. Nos armées tinrent bravement tête tandis qu'elles étaient décimées.
J'ordonnai une retraite offensive, assistant sa Grâce dans son évacuation courageuse de la ville.
Ce n'est que lorsque le reste des pillards rejoignit le combat que nous comprîmes le nom maudit qu'ils prononçaient : Koupash.
Je rends grâce au sang répandu sur le sable des loyaux soldats du roi, qui honorent les dieux. Ils continueront le combat contre ce mal dans le Royaume éternel. Ce fut un jour glorieux pour le Naptesh. »

 

Le nom de Koupash, qui semble évoquer une grande frayeur parmi les Naptéens, a suscité maints débats. D'après les descriptions que j'ai pu en trouver dans diverses sources, il me semble on ne peut plus probable qu'il s'agisse du nom naptéen de *.

Révélation

(Vanadra)

 

Que de tels hérétiques aient pu déjà opérer avant même que le Naptesh ne fût englouti par le désert est une perspective véritablement terrifiante.

 

– Erika Leitzke, Académie impériale d'Ullsberg, Des Adorateurs des Ténèbres.

 

*Document sensible, édité avant publication, sur ordre du Chancelier.

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p.36

 

Guerriers

 

Votre Excellence,

 

Cela fait longtemps que nous ne sommes plus écrit. Un an a passé depuis à Totvárosh, les jours s'écoulant l'un après l'autre. Occupé à accomplir les charges incombant à mon poste, je n'ai pas vu passer les mois ; l'allant qui était autrefois le mien s'est évanoui avec ma Shiva bien-aimée.

 

Vous aurez certainement entendu les rapports de la frontière : une bande est passée par ici il y a environ deux semaines, en direction de la Volskaïa. J'envoyai des messages comme il se doit aux forts frontaliers et à la capitale. J'estimais avoir joué mon rôle. Mais mes hommes étaient assoiffés d'action, et je ressentais moi-même l'envie d'une escapade.

 

C'est ainsi que nous suivîmes de loin la progression de la bande jusqu'à la frontière. Il ne s'agissait cette fois pas d'une grande armée dirigée par un Seigneur de renom ; ces Guerriers n'affichaient que peu des cicatrices et des comportements auxquels je m'attendais à la suite de mes dernières rencontres. Mais ils portaient la même armure à l'air méchant, telle qu'aucun forgeron de ma connaissance n'aurait jamais pu en produire : d'épaisses plates d'acier articulées l'une avec l'autre comme la carapace d'un insecte sinistre, assorties de piques et d'armes à l'apparence malveillante.

 

Ces Guerriers portaient toutes sortes d'icônes, mais ne marchaient pas séparément selon leurs dieux. Il s'agissait d'un groupe mixte, au sein duquel étaient représentés cinq des Sept. À leur tête marchait une femme à la fière allure, dont je ne pouvais discerner le visage. Ses cheveux flottaient au vent derrière elle ; elle portait nonchalamment son heaume au côté, orné de la marque très reconnaissable de Savar.

 

Leur groupe était dépourvu de la moindre discipline régimentaire, mais ils étaient unis par un but commun. À la manière dont ils brandissaient leurs armes et dont ils scrutaient le paysage autour d'eux, il ne faisait aucun doute qu'ils étaient bien entraînés. Je suis certain qu'ils étaient au fait de notre présence, mais soit nous étions trop éloignés pour représenter une cible viable, soit nous étions trop peu nombreux pour susciter leur intérêt.

 

Après plus d'une journée de voyage, nous arrivâmes à l'objectif de leur expédition : Duvitsé, un fort à la frontière de la Volskaïa, gardant un étroit passage à travers les terres marécageuses. Mes messages d'alerte devaient être arrivés à destination, car la garnison était prête au combat, alignée sur les remparts. Nos hommes avaient l'air majestueux dans leurs uniformes et bien équipés, leurs bannières claquant dans la brise. Des cors retentissaient distinctement dans le crépuscule, des torches étaient allumées tout le long du mur.

 

Les Guerriers ne perdirent pas un seul instant avant de lancer leur attaque. Ils ne montrèrent aucune crainte des défenseurs, malgré le fait qu'ils étaient au moins trois fois surpassés en nombre et qu'ils attaquaient une position défendue. Le combat qui s'ouvrit fut fort sanglant. Les Guerriers formèrent des lignes de bataille, mais semblaient néanmoins peu se soucier du soutien de leurs frères d'armes, tandis qu'ils repoussaient de leurs lourds boucliers les flèches qui pleuvaient sur eux. Chacun se pressait en avant, déterminé à se plonger dans la mêlée, à faire la preuve de sa compétence. Les Guerriers qui tombaient étaient abandonnés là ; aucune compassion n'était accordée aux morts et aux blessés. Comme si ceux qui s'avéraient incapables de survivre n'avaient pas leur place parmi cette compagnie de braves endurcis.

 

Pourtant, malgré cette indifférence apparente, ils n'étaient pas tout à fait dépourvus d'émotion. Observant la scène à travers ma longue-vue (ce précieux cadeau de votre part), je notai leur expression à chaque fois qu'un des leurs s'effondrait. Cette image était si fugace que je crus au départ l'avoir imaginée. Mais je la revis, encore et encore : un éclat d'horreur, un miroitement d'effroi face à cette vie qui s'éteignait. Je ne peux dire que je comprends ce sentiment, alors que rien d'autre ne paraît les perturber – ni nos effectifs, ni les étendards de nos régiments de vétérans. Mais je suis à présent certain qu'ils craignent la mort, même s'ils ne la craignent pas de la même manière que les autres mortels.

 

Tant que leur ennemi tombait en plus grand nombre que les leurs, le combat se poursuivit. Nos lignes vacillèrent, menaçant d'abandonner leur position. Quoique mon propre contingent fût fort petit, les Guerriers étaient complètement engagés à présent, et le besoin de rejoindre la bataille démangeait mes hommes. Peut-être notre charge eût-elle pu renverser le cours des évènements. J'hésitai. Une vision, entraperçue à travers la longue-vue, me retenait d'en donner l'ordre. Je parcourus du regard le champ de bataille de part et d'autre. Enfin, je la vis… Elle, la meneuse, son heaume toujours accroché à ses hanches, comme pour afficher son dédain envers ses ennemis. Elle était juchée sur une pile de cadavres, son épée scintillant dans la lueur des flambeaux. Et c'était ma Shiva. Ses cheveux n'étaient plus coupés courts ; son visage était balafré ; il y avait dans son regard une dureté que jamais je n'y avais vue auparavant. Mais il n'y avait aucun doute : ma femme était en vie. Les secondes passées à l'observer se muèrent en minutes, tandis que nos défenseurs mouraient par dizaines et que mes hommes me suppliaient de rejoindre la mêlée.

 

Ma rêverie fut interrompue par un incident inattendu. Du nord, le long de la frontière, on entendit retentir des cors et un tonnerre de sabots. Tout un contingent de hussards, leurs casques ailés se détachant clairement dans l'obscurité, lances abaissées, enfonça les Guerriers dans le flanc, les chassant des remparts. Profitant de ce répit, nos troupes se rallièrent. En l'espace d'un moment, l'avantage avait changé de camp. Les Guerriers succombaient sous l'impact de la charge des hussards. Voyant tant des leurs ainsi gisant, et considérant sans doute le risque pour eux-mêmes, les Guerriers perdirent rapidement toute détermination.

 

Les hussards ne les poursuivirent que sur une courte distance : la nuit s'épaississant, le risque d'embuscade était trop élevé. Le rappel fut sonné. Mes hommes exprimèrent leur réconfort ; je partageais le même sentiment, mais pas pour les mêmes raisons. Car ils célébraient notre victoire et la survie de notre avant-poste, tandis que mes propres pensées accompagnaient cette crinière de cheveux noirs s'enfonçant dans les ténèbres, la dernière vision que j'avais conservée de ma Shiva, Guerrière des Dieux Sombres. La voir en pareille compagnie m'emplissait de désespoir ; mon cœur agonisaient à l'idée que son âme puisse courir un si grand risque ; mais j'entretiens un espoir naïf, insensé, de pouvoir encore la sauver.

 

Votre fidèle serviteur, marquis Ilarion Yanovitch

 

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p.38

 

Guerriers chevaliers

 

M'étant arrêté dans une auberge sur la route de Narrenwald, je m'apprêtais à monter me coucher, quand un vent glacial se fit sentir, qui fit taire immédiatement toutes les conversations dans la grande salle. Deux hommes en uniforme noir étaient apparus sur le seuil, encadrés par la pleine lune dans le ciel hivernal. Des inquisiteurs.

 

Ils s'approchèrent du comptoir d'un air suffisant, avant de s'adresser à la serveuse, qui avait beaucoup de mal à empêcher ses mains de trembler.

 

« Un voyageur. Du nom de Pépin », grommela l'un des agents. Je sentis mon cœur défaillir. Mon horreur ne fit que croître en voyant la pauvre jouvencelle vacillante me trahir d'un mouvement des yeux.

 

Un sourire apparut lentement sur le visage de l'inquisiteur le plus proche. Ce n'est qu'alors que je réalisai qu'il s'agissait d'une femme, quand bien même elle me dépassait d'au moins six pouces. Elle s'avança. Tout à coup, une autre silhouette s'interposa entre elle et moi.

 

« Bien le bonsoir, officier. Pourquoi ne pas une fois gentiment nous expliquer quel est le problème, hm ? » C'était un monsieur à la carrure imposante et à l'air bourru, qui avait été en train de siroter une pinte de bière, tout seul à sa table, et à qui je n'avais jusque là pas prêté la moindre attention.

 

« Cet homme a été vu franchir les limites du Zagvozd, déclara la femme, le fusillant du regard comme pour le défier. Il est recherché pour être soumis à la question.

 

— Que faisais-tu au Zagvozd, l'ami ? me lança mon sauveteur inopiné, sur un ton très calme, sans quitter une seule seconde l'inquisitrice des yeux.

 

— Un p-… un p-… un pèlerinage, bégayai-je. Je reviens de l'abbaye de Klk ».

 

Mes lecteurs le savent, cela était la vérité de Sunna ; cependant, l'Inquisition n'en parut pas plus apaisée pour autant.

 

« Cette abbaye a été désacralisée, sur ordre du Prélat suprême. Plus personne n'effectue ce pèlerinage depuis des années.

 

— Néanmoins… Néanmoins, ce site comporte toujours un immense intérêt d'un point de vue historique ! Je ne suis pas un simple pèlerin, voyez-vous : je suis également voyageur et chroniqueur professionnel. Tenez, jugez-en par vous-même : voici mon journal. »

 

Elle l'inspecta comme s'il se fut agi du cadavre d'un rat repêché dans les latrines.

 

« Peut-être avez-vous entendu parler de moi ? En échange d'une simple piastre, madame, je peux vous raconter une histoire qui vous fera pleurer de tristesse ou de joie !

 

— Voilà qui est très bien, m'interrompit mon nouveau meilleur ami. Donc tout est réglé. Aucun mal de voyager. Vous pouvez vous rassurer que ce brave homme ne représente aucune menace pour le bien du peuple. »

 

Les inquisiteurs échangèrent un regard, maudirent intérieurement leur interlocuteur, et prirent la route, claquant la porte derrière eux. Toute l'assemblée reprit son souffle.

 

« Il faut absolument que vous me laissiez vous offrir une chopine, l'ami. Sans vous, je serais déjà en route pour une cellule glaciale ou bien pire, à l'heure qu'il est. On m'appelle Samuel.

 

— Tobias, dit le gaillard, acceptant et ma poignée de mains, et la bière. Et ça aura été bien pire qu'une cellule vide.

 

— Vous me semblez déjà avoir une certaine expérience de l'Inquisition… ?

 

— On peut dire ça comme ça… », répondit-il en tirant le col de sa chemise pour révéler son torse. Il était couvert d'horribles marques de brûlure.

 

« Loin de moi l'intention de mêler de ce qui ne me regarde pas, mais comme je l'ai mentionné tout à l'heure, je suis un collectionneur d'histoires. Je serais plus qu'honoré si vous pouviez me partager la vôtre. »

 

Il me considéra un bon moment, puis émit un petit rire ronflant.

 

« Elle n'est pas fort jolie. Je faisais de la contrebande, il y a un peu de temps, sur un petit rafiot autour d'Alfhaven. C'est là que les corsaires noirs m'ont attrapé. De ce que j'entends dire, j'ai quand même été plutôt chanceux : ils n'ont pas eu le temps de m'embarquer jusqu'au Dathen. J'ai fait trois mois de galère, tout le tour de la mer des Tempêtes, d'est en ouest et de retour. C'est là qu'on a eu quelques soucis avec les Dieux Sombres. Ce qui explique que l'Inquisition s'est intéressée à moi. »

 

Il prit une bonne lampée. À mon regard implorant, il voyait bien que je ne comptais pas en rester là.

 

« Un jour qu'on avait monté le camp sur la plage, en train de charger et décharger des marchandises, on les a vus arriver. Ils étaient cinq, pas plus. Je me suis dit, “Tiens, des cavaliers”. Mais ce n'était pas des cavaliers comme les autres. Ils se sont approchés tout doucement, au petit trot. On s'est peu à peu rendu compte que c'était des solides types, avec des grosses armures, avec des triangles gravés dessus. Leurs têtes étaient nues ; le visage, les cheveux, blancs comme la neige. Mais leurs yeux étaient noirs, tout noirs… J'ai compris que ce qui venait là était quelque chose de pire encore que les esclavagistes. Les elfes étaient une bonne vingtaine, je vais dire. Ils se sont dépêchés de former des rangs.

 

Enfin, quand ils n'étaient plus éloignés que… de la longueur de cette pièce, disons… C'est là qu'ils ont chargé. Les elfes étaient en confiance : même si c'est de la cavalerie, cinq types ne peuvent rien contre vingt, c'est le bon sens. Mais leur ligne a craqué comme la coquille d'un œuf. Ces types, – des chevaliers, je suppose –, tout occupés à les massacrer, leur expression sur leur visage n'a pas changé d'un iota. Les elfes n'arrivaient à rien contre leur armure. Un d'entre eux a fini par être jeté à bas de son cheval par un coup chanceux, mais même alors, il a fallu qu'ils se mettent au moins à cinq sur lui pour l'achever . Volund m'en préserve.

 

Donc, vous avez été capturé par ces chevaliers ? Vous ont-ils fait travailler, vous ont-ils vendu ? », demandai-je avec entrain, sans remarquer que le visage de mon interlocuteur avait tout à coup pris un teint cireux. Il resta là, le regard vide, perdu dans le vague pendant un long moment.

 

« Non, ils ne nous ont pas capturés. Ils n'ont même pas fait attention à nous. Quand ils ont eu fini de se battre, ils ont rassemblé les corps, lentement, en prenant tout leur temps. Puis ils se sont mis à arracher les yeux de chacun d'entre eux, un à un. Ça je n'ai pas pu regarder. Les autres esclaves et moi, nous étions tout pâles de terreur. Mais ils n'étaient pas après nous. Il me semble qu'ils considéraient cela comme en-dessous d'eux, de combattre des esclaves désarmés. Les Dieux Sombres ne prennent que ceux qui acceptent de leur propre volonté. Ils ont trouvé une pierre, ils ont ramassé tous les yeux, et avec, ils en ont fait une petite pyramide. Et ils ont passé là tout le reste de la journée, agenouillés comme s'ils étaient en train de prier, aussi foutrement immobiles que des statues. Pour finir, nous avons compris que nous étions libres de nous en aller. Nous ne savions pas comment manœuvrer la galère sans les Dæbs, alors on les a laissés à leur prière et on s'est une fois mis à marcher, vers l'ouest. Après une longue promenade, nous sommes arrivés aux Flambeaux, et là, vous comprenez bien qu'ils avaient quelques questions à nous poser, surtout avec nos habits encore tout tachés de sang d'elfe. J'ai été immédiatement déféré à l'Inquisition. Au final, le pire était encore à venir, mais après seulement que je suis revenu dans notre cher Empire… »

 

Il vida sa chope d'un trait, puis me regarda droit dans les yeux. « Mais cette histoire-là, c'est pour une autre fois, mon ami, dit-il. Puisse Sunna te protéger de ses propres serviteurs. Bonne nuit ». Sur ce, il se leva et partit se coucher.

 

Extrait du Journal de Samuel le Pépin, pèlerin et raconteur professionnel

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p.40

 

Seigneur de la Ruine

 

et la nuit était aussi silencieuse et aussi froide que la pierre. Aucun murmure ne troublait la lugubre forêt pétrifiée. Aucune vie. Aucun mouvement. La peur se cramponnait à moi comme une étreinte importune. Je ne voyais rien, n'entendais rien, à part la vapeur de mon haleine et le claquement incessant de mes dents. Maintenant que j'avais perdu mon escorte dans cette épouvantable embuscade et que je m'étais lancé dans cette fuite éperdue, je me retrouvais complètement égaré au beau milieu de ce pays maudit, sans nourriture, sans abri, sans le moindre espoir de salut.

 

C'est alors que j'aperçus une lueur lointaine entre les silhouettes des troncs d'arbre : la lumière d'un feu. Sa radiance m'enchanta comme un doux poème. Lentement, prudemment, je m'approchai de la lumière. Les arbres avaient été arrachés pour ouvrir une clairière, cette même clairière au centre de laquelle brûlait le feu. Les flammes projetaient de sinistres contours sur le sol gelé, où les cristaux de givre reflétaient la lumière, créant un étrange ballet de rouges et de noirs. Je m'arrêtai, tapi dans les ombres à l'orée de cette arène d'ombres : j'avais aperçu son propriétaire.

 

Assise sur une bûche, de l'autre côté du feu, se détachait la forme d'une humanoïde à la taille formidable. Elle avait sans doute été jadis très belle. De longs cheveux noirs tombaient sur son visage dur à l'éternel regard émeraude. Mais son corps s'était depuis longtemps déjà éloigné de l'humanité. Sa masse défigurée était recouverte d'un assemblage hétéroclite d'antiques pièces d'armure rouillée, dont certaines avaient fusionné avec sa chair, de tendons difformes et d'un nombre excessif de membres dégingandés. Ses vêtements, jadis élégants, pendaient en lambeaux, maculés de taches noirâtres. Elle croulait sous les parures, gemmes et marques passées d'une puissance oubliée. Je crus y reconnaître le sceau de Cibaresh, un nom que je n'aurais jamais admis connaître en d'autres circonstances. Mais ces ornements étaient brisés, craquelés, de toute évidence depuis longtemps délaissés.

 

Elle demeurait aussi impassible que la lune au-dessus de nos têtes, le regard plongé dans les flammes, une colossale lame d'acier noir posée sur ses cuisses. Immobile, seule. L'éclat flamboyant dansait sur le tranchant de son épée et dans ses yeux. Malgré tout son calme apparent, elle pulsait d'une sorte d'énergie blasphématoire. Elle était si fascinante que j'en oubliais pour ainsi dire de respirer.

 

Mais alors, comme par un étrange tour du destin, il y eut près de moi un grand fracas, lequel faillit me faire bondir hors de ma cachette. Je jure qu'il s'agissait du plus gros gortach jamais engendré. Aussi grand que les arbres qui nous entouraient, avec des cornes aiguisées comme des faux, brandissant une hache capable de fendre un navire en deux. Apercevant la monstrueuse demi-femme, il poussa un violent rugissement de défi, aspergeant la scène de postillons qui grésillèrent dans le feu.

 

En guise de réponse, elle se contenta de lever les yeux au ciel pour murmurer une sorte de prière, dans laquelle je ne distinguai que le mot « père ». Puis, telle un boulet de canon, elle fondit subitement sur la bête, sans le moindre avertissement. Je fus émerveillé par sa férocité, par la façon dont elle se ruait sur l'intrus avec son épée noire et ses nombreux bras, griffes et crocs. Avant que le gortach n'eût pu relever sa hache, elle lui infligea une série de coups susceptibles de déraciner des montagnes. La bête s'effondra sans un bruit, inerte.

 

Elle s'arrêta pour contempler son œuvre, puis releva une fois de plus la tête en direction du ciel. Je suivis son regard. Mais lorsque j'abaissai les yeux, je constatai horrifié qu'elle me fixait directement. Cela ne dut cependant n'être qu'un artifice de la lumière, car elle continua à agir en m'ignorant complètement. Elle traîna la carcasse auprès du feu, comme si elle n'eût pas été plus lourde qu'une plume. Le parfum à l'écœurante douceur de la chair rôtie emplit bientôt le bois, suivi d'un craquement sourd tandis qu'elle ouvrait la cage thoracique du monstre pour en extraire l'énorme cœur fumant. Et du sang de sa victime, elle traça à l'emplacement de son propre cœur l'image d'un grand huit horizontal, avant de revenir à sa méditation initiale. Je me remémore cet instant à chaque fois que…

 

Page arrachée du roman Échappé à l'étreinte de la mort, par Igor Demark

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p.42

 

Répudiés

 

Votre Excellence,
 
À mon grand regret, je dois vous informer de ce que le prélat Grassl, missionnaire impérial, a trépassé ainsi que tous ses disciples. Cet incident est regrettable, d'autant plus qu'il aurait pu être facilement évité. Toutefois, dès le moment de son arrivée, le prélat parut déterminé à ignorer tous les conseils qui lui seraient prodigués.
 
Après son entrée à Totvárosh, j'instruisis Grassl des spécificités de la vie au bord des Désolations, tant de ce qui nous avait été enseigné lors de nos premiers jours au service de la Volskaïa, mais aussi de mes leçons durement acquises en tant que commandant de cette bourgade. Il fut complètement abasourdi d'apprendre que les villages barbares situés à peine à une journée à cheval de la ville vénéraient les Dieux Sombres dans le cadre de leur panthéon : il résolut sur le champ de partir en expédition afin de convertir ces païens qui osaient porter le culte des Dieux Sombres aussi près de la civilisation.
 
Je lui répondis qu'une telle initiative serait pure folie et l'avertis des dangers qui guettaient au cas où un groupe de Guerriers devait croiser sa route. J'allai même jusqu'à le menacer de fermer les portes de la ville au cas où il reviendrait, pourchassé par le désir de vengeance de ceux qu'il aurait ainsi offensés.
 
Rien de tout ceci ne dissuada le jeune homme, exultant de l'ardeur de sa foi et de l'ignorance de sa jeunesse. Le lendemain, il franchit fièrement les portes de la ville à la tête de sa bande de flagellants. Ces individus étaient véritablement impressionnants : des hommes et femmes au regard mordant, n'affichant nulle crainte, nul doute. Leur foi était inébranlable, et j'eus le sentiment que peut-être ils parviendraient à veiller sur le pauvre fou pour le ramener sain et sauf, lui qui m'avait ri au nez lorsque je lui avais annoncé que les Guerriers pourraient être beaucoup plus proches qu'il ne le pensait.
 
Pendant un jour et une nuit, je scrutai l'étendue en direction du couchant, à l'affût du moindre signe du retour du prélat. Mais au lieu de cela, je vis un homme seul, chancelant sur la route. Une fois qu'il eut franchi les portes, il réclama à me voir, me transperçant littéralement de son œil mort, tandis que l'autre me fixait avec une intensité contre nature.
 
« Vot' type i'n'r'viendra pas. 'L a attiré la mort sur tous ceusses q'sont a'c lui. …… Les Répudiés sont en chasse… ». Si ces paroles confirmaient mes soupçons quant au destin de Grassl, elles soulevaient également d'autres questions.
 
« Les Répudiés ? Explique-toi donc, vieillard ! »
 
Avec force chuintements et soufflant laborieusement, il se mit à démêler pour moi la logique tortueuse des Désolations, ce qui en substance revenait à ceci :
 
« Certains s'élèvent, tandis que d'autres chutent. Mais les Déchus peuvent se relever à nouveau, avec l'aide d'un nouveau maître. Les Répudiés sont ceux qui ont craché au visage de la destinée pour se hisser à présent au-dessus des masses des Exilés. Les Guerriers ont beau ricaner dans leur dos, le Père accorde sa puissance à ceux qui ont la force de s'en saisir. Ils approchent à l'heure où je vous parle : malheur à quiconque s'interpose entre eux et leur proie ».
 
Le crépuscule rougeâtre teintait la plaine de couleurs de sang, lorsqu'une torche apparut soudain dans le lointain au sommet d'une petite crête, se mouvant rapidement. Les flagellants que je vis dans ma lunette me parurent troublés, jetant des regards dans toutes les directions. Grassl lui-même, visiblement nerveux, allongeait la jambe à l'avant du groupe. La source de leur consternation devint bientôt apparente : de grandes silhouettes qui se profilaient derrière eux, gagnant du terrain. Me retournant, je voulus demander s'il s'agissait effectivement de ces « Répudiés », mais je constatai alors que le vieil homme m'avait laissé seul sur le rempart.
 
Revenant à mon observation, j'étudiai les créatures poursuivantes. Je les pris au départ pour des trolls. Mais on n'a jamais vu de troll porter de telles marques sur sa chair ni d'armure enserrant sa forme massive. On pouvait distinguer sur eux les glyphes des Dieux Sombres, mais ils étaient usés, à moitié effacés, et recouverts du symbole de l'infini. Aucun troll ne s'est jamais non plus déplacé avec une telle détermination.
 
Enfin, les flagellants comprirent qu'ils allaient être rattrapés, et firent face. Ils étaient vraiment imposants, ces fervents adeptes qui avaient humilié les plus grands chevaliers et les monstres les plus terribles, prêts à mourir jusqu'au dernier plutôt que de trahir leur devoir. Je m'abstins d'appeler la garde, sachant que cette affaire serait décidée bien longtemps avant que nous ne pussions les atteindre. Leur destin reposait entre les mains de leur déesse.
 
En vérité, il y avait peu de doute sur l'issue du combat. Quoi que ces créatures eussent délaissé, quelles que fussent les sauvegardes dont elles étaient dépourvues pour avoir subi si drastique mutation, leur force était de toute évidence extraordinaire. Les chairs, les muscles et les écailles saillaient d'entre les plaques d'armure naguère façonnées pour être ajustées à leurs corps. Alors que les autres Guerriers ne mentionnent Père Chaos que du bout des lèvres, je témoignai là pour la première fois de la vraie puissance de ce nom.
 
Les flagellants se défendirent avec une dévotion brutale. Ils vendirent chèrement leur peau, allant jusqu'à abattre quatre de leurs attaquants avant de se voir eux-mêmes cruellement piétinés. Voyant le dernier de ses protecteurs réduit en bouillie, le prélat perdit toute contenance et prit la fuite en direction de la ville. Je crus pendant un moment qu'il avait échappé à l'attention des Répudiés, mais la fortune de Sunna ne l'épargna pas en ce jour. Il fut tué à une courte distance des portes de la ville, ses derniers instants masqués à ma vue par un amas rocheux.
 
Quand bien même je n'appréciais guère cet homme, et si grande fût sa part de responsabilité personnelle dans son malheur, nul ne mérite pareille mort. Ses cris résonnèrent encore pour un long moment, plus long que ce que je croyais possible : assez longtemps pour me convaincre que cet ennemi était véritablement à craindre. Je ne pus rien faire d'autre qu'attendre le lendemain pour rassembler les cadavres et les empiler en un bûcher funèbre. J'ai du regret à vous avouer que je ne suis pas certain de savoir quels restes étaient ceux de Grassl. Peut-être la paix l'attend-elle de l'autre côté ; quant à moi, il me faudra encore souffrir avant que ma propre tranquillité ne me revienne.
 
– Votre fidèle serviteur, marquis Ilarion Yanovitch

 

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p.44

 

Déchus

(versification @Anglachel)

 

Zoran,
Je brûle d'envie de tes mains sur moi tous les jours,
de goûter la passion sur ta langue, sur tes lèvres,
de tes bras sur mes hanches comme un cocon d'amour
de me perdre dans nos nuits en un torrent de fièvre

Mais au lieu de nous permettre de danser gaîment,
nos geôliers nous voient comme les acteurs de leurs textes ;
cherchant à bannir notre affection au néant,
ils placent sous nos regards des soupirants grotesques

Des bêtes comme nous ne peuvent subir le joug toujours,
Quoi que nos tout puissants pères aient à en redire.
Envolons-nous et quittons cette cage sans détour
Courons libres et rompons leurs chaînes sans coup férir.

 

 

Verena,
Ma chère, tu sais certes que la colère de mon père
s'élèverait vite à des excès jamais vus
s'il devait d'aventure mettre à jour nos mystères
mon rêve de m'enfuir avec ma belle ingénue

Mais vraiment je ne peux renier ce feu fervent,
qui flambe, si ardent, au plus fort de ma poitrine,
chaque jour je crains un peu moins son courroux ardent
Sans toi cette flamme serait de celles qui assassinent.

Par conséquent, je me libère de mes attaches,
chaînes infligées par la servitude familiale,
pour me livrer à celle pour qui je m'amourache
Je serai dans tes bras jusqu'à l'ultime final.

 

 

Zoran,
Quand il y a si longtemps nous nous enfuîmes, unis,
Que tu deviennes couard semblait si improbable.
J'aurais dû voir, te rejeter avec mépris
Ta servile obéissance est impardonnable.

Tu n'a jamais vraiment voulu t'enténébrer,
comme il sied à une puissante femme de mon espèce
Tu ne fais qu'hésiter, bredouiller, t'excuser
Les dieux ruinent ta bouche d'où transpire toute ta faiblesse.

Akaan te rejette, et sois sûr que moi aussi.
Bien que Père Chaos garde pour toi une petite place
montre-moi tes pieds fendus dont les Dieux t'on maudit –
j'arracherai tes jambes, symbole de ta disgrâce.

 

 

Verena,
Tes yeux ne me font plus montre d'aucune affection
Ne puis continuer à versifier ce lai
Je ne peux tenir ma plume dans cette affliction
Ne me rejette pas, et entend la vérité.

J'ai déchu à ton regard et à celui d'Akaan
Perclus de mes douleurs et de mes nombreuses pertes
trop lourd est le tribut que Père Chaos réclame
Mais c'était notre seul espoir de relever têtes.

Déchus, nous marchons ensemble, fléau pour le monde
Vous suivant, de votre sombre gloire le pâle reflet
Si nos âmes dans le bannissement vagabondent
Nous nous jetons au combat, pour être relevés.

 

– Correspondance découverte sur le cadavre d'une créature mutante après une bataille contre une troupe de pillards, non loin d'Ullsberg.
La dernière lettre avait été écrite et réécrite de nombreuses fois.

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  • 2 semaines après...

p.46

 

Affligés

 

Votre Excellence,
 
Des années ont passé depuis l'attaque sur le fort frontalier et la dernière fois où j'ai vu Shiva. Depuis lors, je n'ai cessé d'imaginer ce que je lui dirais le jour où nous nous rencontrerions ; car je n'ai jamais douté de ce que nous finirions par nous revoir. Je rejouais inlassablement cette scène dans mon esprit, la sermonnant pour avoir trahi la Volskaïa, renoncé à son devoir, abandonné son mari et détruit notre famille. Mais la réalité fut fort différente.
 
Par une fraîche matinée d'automne, une bande avança sur la ville et en franchit les portes. L'Illustre Butin était dirigé par un Seigneur de Sugulag ; sa grande bannière était incrustée d'or et de gemmes en si grande quantité qu'elle aurait pu humilier à un nain. Mais mon regard se porta naturellement sur cette vision que j'avais tant attendue – et crainte.
 
À la tête d'un petit contingent de Guerriers de l'Orgueil, tous vêtus d'armures étincelantes et arborant des capes d'un bleu profond, marchait Shiva. Son casque était porté par un laquais, ses cheveux cascadaient en vagues sur ses épaules. Une nouvelle cicatrice lui barrait un œil ; elle paraissait cependant plus rayonnante que jamais. Je la dévorai du regard. Mais elle ne daigna même pas jeter un œil dans ma direction, occupée qu'elle était à donner des ordres à ses compagnons, qui se mirent les uns à commercer, les autres à narrer les récits de leurs exploits, tout en restant cependant à bonne distance des autres Guerriers.
 
J'aperçus mon ex-épouse plusieurs fois ce jour-là, tandis que je prenais des mesures pour qu'aucun des habitants de la ville ne se retrouvât aux prises avec les Guerriers. Je fus choqué par les changements que je perçus en elle. La femme svelte que j'avais connue était à présent enchâssée dans une armure qu'elle portait avec la plus grande aise. Tant qu'elle s'était tenue au milieu de ses camarades, sa stature m'avait semblé normale ; mais maintenant que je la voyais aux côtés des citadins, je réalisai qu'elle avait désormais la même taille que moi, alors que sa tête jadis se blottissait contre mon torse. Ses épaules étaient plus larges que les miennes ; je ne doutai pas qu'elle ne fût également devenue la plus forte de nous deux.
 
Je n'eus pas le moindre moment à moi avant la tombée de la nuit, lorsque je partis souffler un peu à mon poste habituel sur les remparts. C'est là que je la trouvai, à quelques mètres à peine de moi, scrutant l'horizon par-dessus le parapet. Elle parut complètement ignorer mon arrivée. Nous restâmes ainsi un long moment. Le silence dura une éternité. Jusqu'à ce que, finalement, elle m'appelât par mon nom : « Ilarion ». Un unique mot, prononcé à contre-cœur, comme si je venais de remporter une sorte de duel. Je ne m'étais plus attendu à jamais entendre mon nom franchir à nouveau ces lèvres. Il tomba dans mes oreilles comme la pluie sur une terre depuis longtemps desséchée.
 
Un torrent d'émotions s'agita en moi. Il me fallut un long moment avant que je ne pusse retrouver assez de contenance pour poser la question qui m'avait dévorée depuis tout ce temps : pourquoi ? Elle me répondit sur le ton glacial qui seyait tant à son port de reine.
 
« Cette vie ne suffit pas. Cette existence de petits plaisirs et d'ambitions médiocres. Aurais-je dû me contenter de demeurer une simple épouse, de me satisfaire de ce qui aurait rejailli sur moi du peu de gloire que tu aurais pu ramasser parmi les miettes que voudront bien te laisser ceux de Volskagrad ? Oui, tu fus pour moi un bon mari, une bonne personne, mais plus jamais je ne confierai ma destinée aux mains d'autrui, y compris les tiennes. »
 
Je pris le temps qu'il me fallut pour digérer ceci, avant de poser la deuxième question qui me consumait, d'une voix qui tenait à présent plus du croassement :
 
« …Notre fils ?… »
 
La réplique me fut donnée d'un ton aussi glacial que l'avait été la précédente.
 
« Il nous a quittés ».
 
Les sanglots ébranlèrent mon corps, se pressant à travers mes dents serrées. À travers mes larmes, je la vis se tourner vers moi avec un air de profond dégoût devant ma faiblesse. Le chagrin lui était désormais complètement étranger ; quant à moi, je n'étais plus qu'un misérable vermisseau parmi tant d'autres.
 
Ma torture prit subitement fin lorsque se fit entendre le son lourd d'un pas traînant au pied du mur. Quelque chose s'était faufilé à la faveur de l'obscurité – plusieurs choses, en fait. Empoignant une torche qui se trouvait là, je plongeai le regard dans les ténèbres en contrebas. Trois silhouettes sombres et massives erraient là, d'une démarche maladroite. Je vis la flamme se refléter sur leurs yeux… Sur leur nombreux, très nombreux yeux, dépourvus de la moindre symétrie. D'instinct, je fis un bond en arrière, m'exclamant : « Par tous les enfers ! Que sont donc ces créatures ? »
 
La réponse me vint, guère plus qu'un chuchotement, le mépris remplacé par une révulsion mêlée de crainte : « Des Affligés ».
 
Malgré leur taille, ces créatures ne devaient assurément plus représenter une menace pour Shiva ? Je m'apprêtai à saisir mon arbalète, lorsque je sentis sa main sur mon bras.
 
« Non. Leur destin a été scellé par leurs propres actions. Quel que soit ce qui leur est advenu, c'est leur échec qui l'a attiré sur eux. Ils ont échoué, et échoué à nouveau. Même le Père ne les prendra pas. À présent ils souffrent ; leur mort doit être méritée. » Je réalisai là à quel point ma Shiva s'était éloignée de moi : la faiblesse, l'échec, la touchaient plus que la mort de notre fils. C'est alors que je compris qu'elle était définitivement perdue. Mais une partie de mon être voulut tout de même prouver sa valeur à cette femme hautaine qui ressemblait tant à mon épouse.
 
Guidé par un esprit de pure bravade, j'enjambai le parapet, la torche à la main, pour atterrir trois mètres plus bas sur le sol meuble. Ce n'est qu'à ce moment-là que je fus confronté à la véritable horreur de ces monstres. L'un rappelait un humanoïde à la taille disproportionnée et aux membres boursouflés, de la vomissure suintant de ses mâchoires. Les autres étaient encore plus étranges, amas de chair absurdement déformés, avec trop de bras, ou trop peu. Le plus proche d'entre eux gémissait, d'un son troublant extrait d'une gorge contrefaite, et je perçus le désespoir dans le seul œil humain qui se trouvait là, sur le torse de la créature.
 
Puis je balançai la torche, hurlant de fureur, ce qui attira les autres gardes sur le rempart. Je pense que ce fut le feu qui les repoussa. Ne trahissant pas la moindre peur, ne paraissant pas le moins du monde pressés de s'en aller, ils s'éloignèrent néanmoins, et je pus reprendre mon souffle. Quelles que soient ces bêtes, jamais plus je ne m'approcherai de si près de cette démence incarnée.
 
Jetant un œil par-dessus mon épaule, j'entraperçus une dernière fois Shiva, qui se détournait du rempart. Je crus lire de l'approbation dans son regard. Mais le moment d'exaltation était passé, et j'admis enfin que l'épouse que j'avais aimée était partie pour de bon. Et qu'aucune prouesse ne pourra jamais me la ramener.
 
– Votre fidèle serviteur, marquis Ilarion Yanovitch
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p.48

 

Intouchable

 

LA SAGA D'ATHAR – deuxième partie

 

En ces jours, les Byrnlings dans la halle des Giothars furent assaillis par les Fées venues de l'Ouest. Dans de colossales créatures faites de bois se déplaçaient-elles sur l'océan infini, apportant une terrible magie et un massacre impitoyable sur nous qui sommes forts dans les Sept.

 

Grande était l'armée qui s'assembla pour s'opposer aux Elflings détestés : robustes ses Guerriers et redoutables en foi. Les Giothars s'assemblèrent, tous de puissants élus, et allèrent rencontrer l'ennemi maudit devant le regard des dieux.

 

Dans le noir de la nuit il vint sur le camp des Byrnlings : le monstre sauvage. Non pas d'une gueule il claquait, mais de trois, pleines de rasoirs, épaisses d'écume et langue tombante. Grotesque et énorme sa carrure de muscles, nombreuses les épines difformes jaillissant de son abominable forme écarlate. De ses immenses ailes il battait, noires comme la nuit, et d'une queue il fouettait, et de ses griffes il tailladait, telles un mur de lances.

 

Les Giothars furent plongés dans la confusion ; la bête fut sur eux sans une pensée de merci. Nombreux furent les nobles thanes qui moururent en cette nuit si noire. Alors Skiolda Oddløgdottir, elle qui avait été élevée dans la plaine enchantée où les hommes ne peuvent entrer, héla la Reine des mouches :

 

« Nul ne peut défier la puissance des Byrnlings ! Nous appelons maintenant celui qui montrera à cette créature la vraie signification du pouvoir ! » Et avec ces mots, elle trancha la gorge d'une Fée, prisonnière de sang royal.

 

Nul serviteur de la déesse ne vint alors en Åskland. C'était là un Guerrier réincarné, Porteur de bouclier désormais au service de nul autre que du Grand Père. Une vision de pure puissance, et de force incontestée : le puissant Athar était revenu ! Héraut exalté, seigneur du Grand Royaume, accouru pour son rival de jadis dompter et la véritable nature du Chaos révéler. Car en vérité le monstre était Byrn, Celui-qui-avait-échoué-à-l'épreuve, ayant pris nouvelle forme bestiale, pitoyable : l'Intouchable décérébré.

 

D'un seul coup Athar l'Ascendu se soumit la bête. Et avec elle à son côté, il se lança à l'assaut des cohortes elfiques, humiliant leurs plus grands champions ; et les Giothars marchèrent avec eux au noble combat. Rouge fut l'aube et terribles les cris des Fées frappées lorsque le soleil réchauffa l'Åskland ce matin. Et alors Athar repartit une fois de plus aux côtés de son Suzerain, pour régner éternellement dans le Royaume de l'Au-delà. Louez le Père qui veille sur nous !

 

Louée soit Kuulima ! Que toute gloire soit rendue à la Déesse !

 

Extrait de la saga d'Athar

 

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p50

 

Ensorceleur

 

Votre Excellence,
 
Quatorze ans se sont à présent écoulés depuis cette nuit fatidique où je perdis et ma femme, et mon enfant. Je l'ai depuis rencontrée plusieurs fois ; à chacune de ces occasions, elle s'était encore un peu plus éloignée de la femme que j'avais connue, et un peu plus élevée parmi les Guerriers. À mesure qu'elle se fait plus distante, je sens mon propre cœur se glacer, tandis que les souvenirs s'estompent, et que le berceau dans ma maison reste vide.
 
Cependant, notre dernière rencontre me fait toujours beaucoup réfléchir. Pas à cause de Shiva elle-même, mais à cause d'un autre qui l’accompagna à Totvárosh. Elle mène à présent sa propre bande, les Serres glorifiées, accompagnée de dizaines de Guerriers et d'un large contingent de barbares originaires de villages voisins. Mais malgré toutes ces nouvelles arrivées, la principale perturbation provint d'un homme seul.
 
Je le vis parmi leur nombre, s'avançant avec toute l'arrogance typique des compagnons de ma femme. Mais lui n'arborait pas la marque de Savar, ni d'aucun des Sept. Il portait à la place une robe noire flottante, ornée de symboles blancs. Chacun avait l'air imbibé de puissance, paraissant voltiger à la surface du tissu comme les flocons de neige dans le ciel nocturne. Le seul de ces symboles que je parvins à distinguer était celui de l'infini, l'icône de leur Père Chaos.
 
Sa tenue n'était pas de la qualité la plus frappante. Sa peau avait une teinte bleuâtre, telle que je n'en avais jamais vue sur un homme vivant. Ses doigts se terminaient par des griffes noires et acérées. Je fus incapable de deviner son âge : son apparence juvénile tranchait avec son port de vétéran. Ses yeux étaient dorés, étincelants dans la lumière du soleil. Mais le trait le plus saisissant était les trois cornes qui saillaient de son front. Loin de lui donner l'air ridicule d'une parodie d'ongulé, elles lui conféraient au contraire une sorte de majesté mystique.
 
Après que les Serres glorifiées eurent quitté Totvárosh, il y demeura, élisant domicile dans le temple. Chaque jour, il faisait l'apologie des Dieux Sombres, encourageant la populace à vendre son âme en échange du pouvoir et d'une chance d'immortalité. J'avais cru les habitants pour la plupart accoutumés à de tels sermons, mais la poignée de gens qui s'était rassemblée le premier jour crût de façon continue. Une semaine plus tard, on dénombrait déjà là une foule de deux cents personnes.
 
Le soir me trouva sur le rempart, à mon lieu habituel, accoudé au parapet, perdu dans mes pensées. Il est rare que je sois pris au dépourvu, mais un rire suraigu dans mon dos me fit sursauter. L'objet de mes réflexions sortit des ombres, affichant un sourire moqueur. En quelques gestes, il fit apparaître une poignée de flammes bleues. Je reculai d'un pas, agrippant le pommeau de mon épée. Mais il ricana à nouveau, faisant léviter les flammes autour de lui et les envoyant illuminer les créneaux. Nous nous observâmes mutuellement, aucun ne cherchant à prendre la parole en premier.
 
Enfin, ne pouvant tenir plus longtemps, j'ouvris la bouche pour poser la question qui me rongeait l'esprit : « Qui… ? —
 
— Qui suis-je ? m'interrompit-il, tandis que son rictus s'élargissait désagréablement. Tu devrais pourtant me connaître. Je suis le fils du Père, serviteur de l'Infini, gardien de la Vérité et maître du Voile. J'apporte la parole du Chaos, je brise les chaînes qui retiennent autrui dans l'esclavage des rois et des dieux. Comme nombre de ceux de mon espèce, je fus confié aux démons des Désolations pour grandir parmi eux. Je fus bercé par leurs chuchotements, allaité de magie. Je façonnai l'éther comme les autres enfants jouent avec le sable, apprenant des vérités capables de te fracasser la raison. »
 
Je me hérissai face à la suffisance de ce morveux, seul dans ma ville, mais qui se tenait sur mon rempart comme s'il lui appartenait. Je vitupérai, mais ma réaction fut une fois de plus anticipée :
 
« Par l'enf–
 
— Mieux vaut ne pas parler d'enfer pour ceux qui sont incapables de concevoir sa véritable nature. Pas, du moins, à celui qui a parcouru ses routes maudites, troqué des âmes dans les Palais des plaisirs, visité la Corne d'abondance, est revenu sain et sauf de la Gueule dévorante, et a contemplé l'Abysse éternel jusqu'à ce que ses yeux s'assombrissent sous le poids de l'Inévitable. Néanmoins, en ce qui concerne mes motivations, sache simplement que j'ai des affaires inachevées en cette ville. Des futurs à faire advenir, des vérités connues à faire oublier. »
 
Je fus enfin à même de l'interrompre, haussant le ton sous l'effet de la colère et de la frustration : « C'en est assez ! Assez de ces inepties et de ces charades ! Assez, de corrompre mon peuple et de pervertir ma ville ! Pourquoi es-tu encore ici ? Les tiens vont et viennent, sans jamais s'attarder. Pourquoi ne nous laisses-tu pas tranquilles ? »
 
Ce disant, je tirai mon épée et fis un pas en avant. Alors, d'un simple geste de la main, il envoya sur moi les flammes qui surmontaient les créneaux. Si ma peau demeura intacte, je ressentis une agonie cuisante qui enveloppa chaque parcelle de mon être. Je tombai à genoux, lâchant mon arme, qui tomba avec fracas de ma main inerte. Son sourire malveillant se mua à nouveau en un rire strident.
 
« Tu apprendras la vérité la prochaine fois que nous nous verrons. Alors, tu connaîtras mon nom, fils de la Volskaïa. Alors, tu seras prêt. »
 
Et avec un dernier hochement de tête entendu, ses bras se murent en un complexe entrelacs, sa bouche proféra des sons d'outre-monde, et l'instant suivant, il fut entouré d'une brume qui l'emporta par-dessus le parapet et au loin, en direction des Désolations. Me retrouvant à nouveau plongé dans la nuit noire, ma dernière pensée fut de me demander quelle nouvelle tragédie me serait encore infligée de la part de ce lieu maudit et détestable.
 
– Votre fidèle serviteur, marquis Ilarion Yanovitch

 

Modifié par Ghiznuk
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