Ghiznuk Posté(e) le 4 décembre 2019 Auteur Partager Posté(e) le 4 décembre 2019 Épilogue À la tombée du jour, je parvins enfin, trébuchant, aux pieds des murailles de Corante. Je ressentais encore le souffle de la Chasse dans mon dos, comme un malaise entre les omoplates, qui perdura bien longtemps encore après que la forêt eut disparu derrière l'horizon. Ce n'est que lorsque je me fus agenouillé devant le Duc en son donjon de pierre érigé par des mains humaines que je me crus sauvé une bonne fois pour toutes. Dix-huit mois s'étaient écoulés depuis le départ de notre funeste expédition et le trépas de tant de preux. Comme j'étais revenu à la veille de Roudastenat, sous la lueur cramoisie de la Lune de sang, certaines âmes superstitieuses dans l'entourage du suzerain me prirent pour un spectre. Mon air échevelé et mes yeux affolés ne faisaient que renforcer cette impression. Mais leurs doutes furent rapidement dissipés par mon récit, qui leur arracha des larmes de douleur et, bientôt, de colère. Le Duc lui-même fut pris de rage à entendre les souffrances infligées par les elfes. Songeant à voix haute, je me pris à mentionner la battue qui devait avoir lieu le soir-même. Je regrettai immédiatement avoir prononcé ces mots : aussitôt, la détresse générale se mua en un appel au combat. Pire, je me vis contraint d'accompagner les attaquants pour les guider jusqu'à la clairière, retournant ainsi aux geôliers auxquels je venais d'échapper. J'eus beau supplier, nul n'avisa mes paroles, qui se perdirent dans le fracas des armes qu'on rassemblait. Ainsi fut-il que quelques heures à peine après ma libération, je me trouvai chevauchant à la lueur du crépuscule, à la tête d'une colonne des meilleurs chevaliers du Duché. L'effroi emplissait mon cœur. J'espérais tout de même que la force de l'acier humain suffirait à triompher d'un groupe de veneurs elfiques. Du moins aurions-nous l'avantage de la surprise. Mais dès que nous nous enfonçâmes sous les frondaisons des premiers arbres, même ce maigre espoir s'évanouit. À nouveau cette sensation de regards invisibles… D'une voix rauque, je tentai de partager mes pressentiments, mais on m'intima de me taire. Nonobstant, dès le moment où nous posâmes le pied dans la clairière, mes pires craintes se virent confirmées : y était alignée toute l'armée des fæs, vaste cercle d'elfes et d'esprits sylvestres, qui se referma comme une nasse derrière les derniers des chevaliers. Nous étions pris au piège, et c'était moi qui, à mon insu, avait mené mes frères droit dans ce traquenard. Ce n'est que longtemps après que je réalisai finalement que chaque aspect de leur culture qu'il m'avait été donné de voir, chaque mot de leur langue qu'il m'avait été permis d'apprendre, y compris ma soi-disant évasion, avaient été soigneusement calculés par cet étrange intellect pour culminer en cet instant précis. Avisant une trouée dans le cercle de nos assaillants, deux chevaliers piquèrent des talons pour tenter de franchir leur ligne. Bien mal leur en prit : ils furent instantanément transpercés de dizaines de flèches. Le reste de notre armée forma un mur défensif autour du Duc et pria en attendant le début de l'attaque. Pendant un long moment, rien ne vint. La morne résolution de nos hommes fit peu à peu place à des chuchotements nerveux et à des regards fébriles. La tension atteignit son paroxysme : c'est alors que le Prince fit son entrée. Ce n'était plus le seigneur maniéré et guindé que j'avais connu. À présent torse nu, il était couvert de glyphes peints à même le corps et se mouvait avec une grâce féline. On eût pu le croire sur le point de représenter une des danses folkloriques dont j'avais été le spectateur, n'eût été la lame longue de cinq pieds qu'il maniait aisément d'une seule main. Le duel qui s'ensuivit donna le meilleur exemple de l'humanité. Même si j'avais tout d'abord du mal à croire que le Prince pût être vaincu, au vu du sang des deux braves chevaliers qui enduisait encore sa lame, le Duc, malgré son âge avancé, combattit en forcené. À deux reprises, son armure détourna la cruelle arme de son adversaire, et sa propre épée projetait des éclairs à la lueur des torches que nous portions. Par trois fois, il pressa le Prince au point de le mettre en grave danger, lequel s'esquivait au dernier moment. Mais le quatrième coup porta, et le sang elfique s'épancha. L'estafilade dans le flanc du Prince parut l'enflammer : il envoya une trombe de coups qui firent résonner l'écu du Duc. Le guerrier fatigué finit par flancher, imperceptiblement, ce qui créa une ouverture infime, mais suffisante pour un être aussi agile que le prince elfique, qui bondit par dessus l'homme au bouclier pour le frapper par derrière. Les deux combattants se figèrent, pris dans une ultime étreinte. Le duc Matéo ouvrit la bouche, comme pour prononcer une dernière parole. Le sang coula de ses lèvres. L'homme s'écroula, et deux guerriers elfiques le traînèrent jusqu'au rocher en forme de sanglier, où ils l'étendirent, les bras écartés. Les survivants humains fulminaient, mais que pouvions-nous faire ? Un poignard rituel fut brandi. Le Prince attendit un moment, puis fit un geste. Aussitôt, une brèche s'ouvrit dans les forces encerclantes, dessinant une route vers la liberté. Les chevaliers qui m'entouraient se sentaient déchirés entre leur désir de survie et leur devoir envers leur chef déchu. Les filets de brume qui commencèrent à envahir la clairière les décidèrent. Pris de panique, nous fuîmes comme un seul homme, une masse confuse et galopante, détalant loin de ce lieu de mort. Derrière nous, le Prince entreprit de taillader le cadavre du Duc. Un clairon solitaire retentit au tréfonds des bois, dont l'écho me fit me retourner. C'est alors que j'aperçus, pour un bref instant, les créatures les plus sauvages et les plus ahurissantes que j'aie jamais vues. Car sur les marches derrière la statue de sanglier, se dressait un être mythique. Le Roi de la Sylve, dans toute sa splendeur, avec derrière lui la Chasse sauvage qui déferlait comme un orage grondant. L'air retentit des aboiements des chiens. Ne pouvant soutenir ce spectacle plus longtemps, je me penchai sur la crinière de mon cheval. À chaque foulée, j'entendais les sabots derrière nous. Je m'attendais à ressentir à chaque instant le fer d'une lance s'enfoncer dans mon dos. Cette fois, je ne m'arrêtai pas à Corante, mais chevauchai à bride abattue, sans faire la moindre halte, jusqu'à arriver face à l'océan. Si seulement j'avais pu me douter du sort que me réservaient ces flots apaisants ! Citer Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites More sharing options...
Ghiznuk Posté(e) le 30 janvier 2020 Auteur Partager Posté(e) le 30 janvier 2020 (modifié) Jouvencelle Ne sais pourquoi Amour chancèle Branches liées Âmes, entrelacs Sur notre arbre, noms gravés Graine d'amour Qui pousse et croît Entends, et fais secours Le feu demeure Flammes et chaleur Brûlent fort toujours Où furent tes jours Ma quête de toi Sans cesse s'accroît Où brûle passion Vint affliction Comme les feuilles au temps de tomber Ton absence laisse vide le palais La forêt ne tient plus ton cœur Si loin ! me souffle le vent moqueur Mers, bruines et marées Pouvoirs, assemblée Quelle moisson tires-tu de la pierre Dans ton pâle foyer insulaire? Vagues froides, roche froide Vent sur la rade D'où fut venue Ma belle élue Un année, un gel de plus, Futur à jamais perdu Sur l'arbre gravés, refrains d'amour Couverts d'écorce pour toujours – Une complainte sylvestre, traduite par Thomas le Barde Modifié le 30 janvier 2020 par Ghiznuk Citer Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites More sharing options...
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