Aller au contenu
  • advertisement_alt
  • advertisement_alt
  • advertisement_alt

Les aventures de Jason | Le donjon des mystères


zazasan

Messages recommandés

Bonjour à tous.

Je voudrais vous partager mon récit intitulé Le donjon des mystères, qui fait partie des aventures de Jason l'elfe-nain. Je sors un nouveau chapitre chaque mois.

N'hésitez pas à commenter pour me donner votre avis ou vos suggestions. Le cours de l'histoire n'est pas encore figé...

 

Chapitre 1 : À l’aventure compagnons !

« Je suis à la recherche de compagnons pour me rendre au donjon des mystères ! »

Interloqué, je levai le nez de ma bière et jetai un œil à l’homme qui venait de parler. Au seul ton de sa voix, je m’étais imaginé un colosse de près de deux mètres, musculeux et au regard torve. Au lieu de cela, je découvris un vieillard de taille moyenne et à la silhouette longiligne. Une interminable barbiche blanche suivait les mouvements de son menton et descendait jusqu’à son nombril. Son vêtement, bien que constitué d’une simple robe et d’un chapeau pointu, n’en restait pas moins de qualité. Des motifs ornementaux cabalistiques se trouvaient brodés par endroits. Le fil vert émeraude utilisé sur un tissu mauve faisait ressortir avec élégance ces signes à la signification obscure pour un non initié comme moi.

« Qui parmi vous sera assez valeureux pour rejoindre mon groupe et braver les dangers de cette quête ? Parce que oui, cette aventure ne sera pas sans périls. Nous devrons prendre garde aux pièges, affronter des monstres ! Tout le monde ne reviendra pas… »

À nouveau, je fus frappé par ces paroles prononcées d’une puissante intonation, presque menaçante, par cet humain à l’apparence si frêle. Il possédait une prestance qui ne manquait pas de faire forte impression auprès des spectateurs alors même qu’il nous annonçait souffrance et mort. Qui pouvait se révéler assez fou pour accepter ce genre d’offre ? Et d’abord, c’était qui ce gars ?

Comme s’il avait lu dans mes pensées, il se présenta alors :

« Je me nomme Darken… »

À ces simples mots, des murmures de stupeur s’élevèrent. Parmi eux, je crus distinguer « l’empoisonneur ».

« … Certains d’entre vous ont sans doute entendu parler de moi, continua-t-il sans prêter attention aux bavardages indiscrets. Vous devez ainsi savoir que je n’en suis pas à mon coup d’essai. J’ai déjà conquis bon nombre de donjons, non moins dangereux. J’ai vaincu des ennemis plus redoutables que vous ne pourriez l’imaginer. J’ai participé à l’émergence de royaumes ! »

Son long éloge dit, il scruta l’assemblée qui s’était tue.

« Alors, personne ? Je me serais attendu à plus de témérité de la part des Iolcosiens ! »

Dans sa main, le bâton de mage qu’il tenait frappa le sol en signe de défi. Je parcourus la salle des yeux. Autour de moi siégeaient une douzaine d’êtres de toutes origines. Tous conservaient leur attention tournée vers l’homme, mais aucun ne paraissait décidé à répondre à sa demande. Ils fuyaient d’ailleurs son regard lorsque celui-ci pointait sur eux.

Je détournai les yeux et les reportai sur la chope de bière largement entamée devant moi. Voilà plus d’une heure que je la sirotais en silence. Je savourais chaque gorgée tandis que le liquide se trouvait chaud et s’était éventé. Quelle atrocité ! Mais je n’étais pas en mesure de me plaindre. Les dernières pièces de cuivre que mon père avait daigné m’octroyer, en même temps qu’un coup de pied au derrière ne représentaient plus que peau de chagrin. Je disposais bien encore de la bourse offerte par ma mère en cachette au moment de mon départ, mais j’espérais ne pas avoir à m’en servir. De fait, si je ne voulais pas rentrer chez mes parents honteux, je me voyais dans l’obligation de dénicher une occupation rémunératrice et digne.

« J’ai entendu dire que la tour renfermerait une salle remplie d’or et de pierres précieuses ! Relança le mage en guise d’appât. Évidemment, les richesses que nous pourrions trouver lors de notre périple seront réparties de façon égale entre ceux qui auront survécu. »

Je me retournai sur mon tabouret. Il avait fait mouche. L’assistance commençait à s’agiter sur son siège, avide de fortune. Le poisson était ferré.

« J’en suis ! »

Sans grand étonnement, plusieurs voix s’élevèrent alors pour signifier qu’elles feraient partie de l’aventure. Une surprise déclencha néanmoins une série de battements incontrôlables dans ma poitrine : je venais de me résoudre à participer ! Certes, je me trouvais au pied du mur. Sans ressources, je ne disposais pas d’autre choix que de me faire engager pour quelque mission que ce soit. De là à aller crapahuter dans les couloirs sombres et infestés de créatures hostiles d’un donjon…

À tout hasard, je regardai autour de moi. Peut-être qu’aucun son n’avait en réalité franchi mes lèvres ? Ou peut-être que personne n’avait entendu ? Hélas, devant les yeux moqueurs fixés sur moi, je compris que ma langue n’avait pas remué dans le vide.

« Bien ! Messieurs, dames, je vous propose que nous nous retrouvions demain matin ici même. Nous partirons avant l’aube. Ne soyez pas en retard, nous ne vous attendrons pas. »

Avec un sourire de contentement, l’homme finit par déserter les lieux, et les discussions interrompues un peu plus tôt purent reprendre bon train.

Un grand gaillard qui s’était levé avec convoitise à l’annonce de la récompense de quête et avait manifesté son adhésion à la mission au même titre que moi, ne me quittait pas des yeux. Sa musculature laissait peu de place au doute : c’était un combattant. Il mesurait pas loin de deux mètres. Son visage oblong aux arêtes saillantes présentait des cicatrices d’anciennes blessures, dont l’une qui lui avait arraché une partie du nez. Cela lui donnait un aspect mauvais et le rendait particulièrement laid.

L’air narquois sur la figure, il délaissa sa tablée pour venir à ma rencontre. De ses larges épaules, il se fraya sans mal un passage entre les serveuses aux plateaux bien remplis et s’approcha du bar où je me tenais accoudé. Je feignis l’ignorance tandis qu’il me toisait sans vergogne.

« Alors comme ça tu veux participer à l’aventure le nabot ? Finit-il par lâcher.

— J’suis pas un “nabot” !

— Quelqu’un qui fait un mètre douze, chez moi, on appelle ça un nabot !

— D’abord, je mesure un mètre cinquante ! Ça fait de moi un nain plus grand que la moyenne, dis-je fier. Et je ne suis pas un nain, je suis un elfe-nain !

— Un elfe-nain ? »

Contre toute attente, il s’esclaffa. Mes paroles ne me semblaient pourtant pas si drôles.

Durant des secondes qui me parurent une désagréable éternité, il pouffa. Les bruits qu’il émettait me firent penser à ceux d’un auroch poilu en train de cracher des bourres de laine. À cette image, je fus tenté de l’imiter, mais je m’abstins.

Pour l’obliger à cesser, mon côté nain s’apprêta à casser sur son crâne mon verre de bière. Tant pis pour le breuvage devenu de toute façon tout juste buvable. Mais, ma moitié elfe parvint à retenir son geste et je me contraignis à attendre impatient qu’il stoppe ses dérangeants vagissements.

« J’ai jamais rien entendu d’aussi ridicule ! reprit-il, de minuscules larmes aux coins des yeux. Quoiqu’il en soit, je veux pas apercevoir ta sale tête demain matin le minus ! aboya-t-il en me crachant au visage son haleine chargée d’alcool.

— Il ne me semble pas qu’il ait limité l’accès aux seuls humains écervelés, lançai-je en manière de défi.

— De quoi tu me traites le gnome ? répliqua-t-il en tapant du poing sur le comptoir.

— Il n’a rien à voir avec un gnome ! »

Il venait de poser sur mon torse un index menaçant quand il fut interrompu.

Cette voix ! Féminine, légèrement aiguë. Je l’avais déjà entendue. Elle avait accompagné les nôtres à l’instant de l’acceptation de la mission. Je me remémorai alors les dernières paroles du mage employeur : « messieurs, dames, je vous propose que nous nous retrouvions demain matin ici même… ». Elles suggéraient sans ambiguïté la présence d’une femme.

Tous deux nous tournâmes vers celle qui venait de parler. Je dus baisser le regard.

« C’est pas vrai, voilà qu’une naine s’en mêle ! railla l’homme.

— Je ne suis pas une naine, je suis une lutine, rectifia-t-elle sans animosité. Et maintenant, je crois que vous devez aller vous coucher. »

Elle effectua un étrange mouvement du poignet qui sembla hypnotiser le guerrier.

« Quoi ? Qu’est-ce que… oui, je commence à avoir sommeil ! »

L’homme, sans demander son reste, fit volte-face et retourna s’attabler avec ses compagnons de beuverie. Puis, sous leurs yeux grands ouverts, sa tête tomba comme une masse dans son assiette, et il se mit à ronfler.

Satisfaite, la lutine grimpa sur le tabouret à côté du mien et commanda un verre de lait…

Quelle curieuse créature ! Elle ne mesurait pas un mètre. Elle ressemblait à une jeune humaine d’à peine six ou sept ans. Seule sa tête, légèrement disproportionnée par rapport à son corps, affichait des traits plus âgés et permettait de la distinguer de cette autre race. J’en rencontrais une pour la première fois.

« Je m’appelle Séraphine Mains fines, m’annonça-t-elle après avoir avalé une longue gorgée de sa boisson blanche.

— Ah, t’es tisserande ?

— Mais non, c’est mon nom : Séraphine Mains fines. Et toi ?

— Je suis Jaaranisson Tête d’enclume.

— Jaa…

— Jaaranisson Tête d’enclume !

— Jaaranisson, répéta-t-elle bredouillante. Quel drôle de prénom pour un nain !

— C’est parce que je ne suis pas un nain. »

Elle m’observa d’un œil dubitatif.

« Tu présentes pourtant de nombreux traits physiques caractéristiques de cette race. Tu es petit…

— Je suis plus grand que toi ! grognai-je.

— … Trapu…

— Je suis musclé, nuance !

— … Et irascible. En fait, il ne te manque que la barbe ! Comment se fait-il que tu n’en aies pas d’ailleurs ? Tous les nains ont une barbe !

— C’est ce que je me tue à vous expliquer ! Je ne suis pas un nain ! Tiens, regarde ! »

Je coinçai mes cheveux roux derrière mon oreille droite et lui présentai cet appendice.

« Ben quoi ? Dit-elle sans comprendre mon manège.

— Tu ne remarques rien ?

— Hormis que tu as plus de cire dans l’oreille qu’il n’y en a sur une bougie, non.

— Mais non, pas ça ! Elles sont pointues ! »

La lutine se pencha vers moi comme si cela pouvait faire une différence.

« Non, elles ne le sont pas.

— Mais bien sûr que si !

— Admettons… Qu’est-ce que ça fait ?

— Ça montre que je suis un elfe-nain.

— Un elfe-nain ? Ça existe ça ?

— Bah oui, la preuve, répondis-je en écartant les bras.

— Je pensais que les elfes et les nains ne s’entendaient pas très bien.

— Pourquoi ?

— Bah, sans vouloir te vexer, les elfes sont plutôt du genre hautain et les nains bourrus. Les deux ne font généralement pas bon ménage.

— Je ne sais pas… Hormis mon père et ma mère, je n’en ai pas rencontré beaucoup. Et eux ne se disputent jamais ! Faut dire que ma mère se montre très arrangeante en toute occasion… Au fait, c’est toi qui as fait ça ? »

D’un doigt potelé, je désignai le grand dadais désormais esseulé à sa table, la tête toujours dans son ragoût de sanglier.

« Je le trouvais un peu trop arrogant ! se justifia-t-elle.

— Comment t’as fait ? T’as versé un truc dans son assiette ?

— Ben non ! Je lui ai jeté un sort de sommeil !

— Parce que t’es magicienne ?

— Quoi, tu n’avais pas deviné ? »

Elle sauta à bas de son tabouret et tourna sur elle-même.

« Quoi ? T’as fait tomber quelque chose ? l’interrogeai-je sans comprendre à quoi tout cela rimait.

— Mais non, tu ne vois pas ma tenue ? »

Je la détaillai. Elle portait des bottes de cuir marron qui montaient jusqu’à ses genoux, une robe blanche qui elle s’arrêtait au-dessus, et une longue cape rouge maintenue par une broche en forme d’œil recouvrait ses épaules. Sur sa tête reposait un chapeau pointu de la même couleur.

« Alors ? insista-t-elle.

— J’sais pas moi, j’y connais rien en frusques ! J’suis pas tisserand moi !

— Et moi non plus ! explosa-t-elle. Je suis magicienne !

— Pas la peine de s’énerver, suffisait de le dire. Ça ne serait pas plutôt Séraphine la susceptible ? La chambrai-je.

— Bah et toi alors, qu’est-ce que t’es ? »

Tandis qu’elle s’installait à nouveau sur son siège, je descendis du mien. Moqueur, je reproduisis son petit manège.

« T’es un guerrier ?

— Bah non, pourquoi tu penses ça ?

— Tu portes une épée courte au côté.

— Oh, ça ? Rien à voir, c’est juste pour faire plaisir à mon paternel. Essaie encore ! »

Elle demeura silencieuse un moment, se tenant le menton en signe de grande réflexion.

« Je m’avoue vaincue, je ne sais pas, conclut-elle finalement.

— Quoi ? Cela me semble pourtant évident ! Annonçai-je en décrochant un trousseau de clefs de ma ceinture et en les faisant tinter sous son nez.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Ben, des clefs !

— Oui, je vois bien que ce sont des clefs, mais en quoi sont-elles censées m’indiquer ton rôle dans la mission ?

— Je suis un voleur ! m’exclamai-je désappointé.

— Un voleur ?

— C’est bien ça m’dame.

— Avec des clefs ?

— Malin !

— Tu ne devrais pas plutôt avoir des limes, des griffes, des pinces ou des trucs du genre pour crocheter les serrures par exemple ?

— Pff, c’est de la perte de temps ! En plus, j’ai jamais réussi à me servir de tous ces trucs. Au moins avec une clef tu ne te prends pas la tête.

— OK, et ça fait longtemps que t’es un voleur ?

— Ce sera ma première mission !

— Tu m’en diras tant… Et toutes ces clefs, elles viennent d’où ? Ce sont des passes universels qui permettent d’ouvrir toutes sortes de verrous ?

— Oh ça ? Non, ce sont toutes les clefs que j’ai récupérées chez mes parents ! Il y a celle du buffet, du coffre à bijoux de maman, de la forge de papa… lui révélai-je en les lui montrant une à une.

— Par la barbe de Sarouine, je crois qu’il me faut un verre ! Tavernier, une bière pour moi et remettez la même à mon ami l’elfe-nain. C’est moi qui régale ! »

À ces paroles si douces à mes oreilles, je me sentis revigoré.

« Alors, qu’est-ce qui amène une magicienne dans le coin ? repris-je après avoir dégusté une bonne rasade de ce nectar si suave sur mon palais.

— Sans doute comme tout le monde : la soif de l’aventure !

— Oui, bien sûr…

— Et toi ?

— Oh, pareil… Et sinon, tu en as déjà fait beaucoup des donjons comme ça ?

— Disons que j’ai pas mal étudié les ouvrages qui traitent de ce genre de constructions. C’est fascinant de découvrir tout ce qui est mis en œuvre pour attirer les badauds. Les concepteurs promettent fortune et gloire à ceux qui parviendront à franchir tous les obstacles et ressortir vivants…

— C’est ton premier ?

— Oui. Mais si tu crains pour ta vie, tu n’as aucun souci à te faire puisque nous voyagerons avec Darken.

— D’ailleurs, c’est qui lui ?

— Quoi, tu ne connais pas Darken l’empoisonneur ?

— Je devrais ?

— Bien sûr ! Il a conquis des donjons, vaincu des ennemis redoutables…

— … et participé à l’émergence de royaumes, oui, j’avais bien compris son laïus. Mais pourquoi on l’appelle l’empoisonneur ?

— C’est son domaine de prédilection en tant que mage.

— Quoi ?

— Ceux qui maîtrisent la magie n’utilisent pas tous les mêmes sorts. Certains choisissent de se spécialiser. Par exemple, un nécromant sera un expert en manipulation des morts. Les élémentaux eux ne se servent que de sortilèges liés à l’eau, au feu, etc. On trouve aussi des illusionnistes, comme moi, et des empoisonneurs comme Darken. J’ai entendu dire qu’il serait venu à bout d’une armée entière de gobelins juste avec un nuage toxique !

— Oh… Alors t’es une prestigi… Une prestita…

— Une prestidigitatrice, oui !

— Ça sert à quoi en fait ?

— Comment ça, ça sert à quoi ? s’emporta soudain Séraphine. Tu le sauras si tu survis suffisamment longtemps !

— Allez, faut pas s’énerver ! »

Je fis signe à l’aubergiste de remplir à nouveau nos verres. Puis, une fois nos gobelets pleins, je le levai :

« À une association qui je suis sûr, sera longue et fructueuse ! »

 

 

« Par tous les dieux d’Ohorat, non ! »

Était-ce un rêve ?

« Jaa… son ! Réveille-toi, vite ! »

Une détestable petite voix hurlait, hystérique à mon oreille. Sans prendre la peine d’ouvrir un œil, j’optai pour un repli stratégique : je me retournai sur ma couche.

L’agréable chaleur du soleil déjà haut dans le ciel vint me chatouiller le visage… Sans toujours daigner m’éveiller, je fronçais les sourcils et réfléchis une seconde à cette simple pensée. Le soleil déjà haut dans le ciel… Cette fois-ci, je me réveillai.

De la station couchée, je passai d’un bond à celle debout. Un léger étourdissement me prit, mais je réussis à conserver mon équilibre. Une soirée bien arrosée ne pouvait venir à bout d’un nain !

Devant moi, Séraphine s’agitait comme un moustique que l’on cherche à écraser. Elle bondissait d’un coin à l’autre de l’étable où nous avions trouvé refuge pour la nuit. Elle rassemblait ses affaires qui se trouvaient éparpillées sur le sol. D’une main, elle ramassa son manteau, prenant tout juste le temps de l’épousseter pour retirer la paille qui s’y était accrochée avant de l’enfiler. D’une autre, elle récupéra son chapeau pour l’enfoncer sur son crâne. Ses cheveux ébouriffés témoignaient de la dure nuit passée dans le foin.

Toute cette effervescence me fit de nouveau tourner la tête.

Je tentai de me remémorer la soirée de la veille. En compagnie de ma nouvelle amie, nous avions veillé tard tout en partageant quelques chopes de bière…

« Mais dépêche-toi un peu ou ils vont partir sans nous ! »

Modifié par zazasan
Lien vers le commentaire
Partager sur d’autres sites

Chapitre 2 : Sur la route

« Le tavernier m’a confirmé : voilà deux bonnes heures que le groupe est parti. Il y avait même l’autre abruti ! Mon sort de sommeil a cessé de faire effet juste quand le mage et sa troupe ont débarqué, grogna Séraphine. Alors, qu’est-ce qu’on fait ? »

L’esprit encore embrumé après un réveil précipité, je bâillai sans retenue.

« Ben, je crois qu’il ne nous reste qu’une chose à faire : retourner se pieuter et attendre la prochaine mission !

— Tu ne parles quand même pas sérieusement ? Imagine ce que les gens vont dire s’ils nous voient rentrer à l’auberge maintenant ! Sans compter que je n’ai même plus de quoi nous offrir un petit-déjeuner. J’ai dépensé la quasi-totalité de mon pécule en boisson hier soir…

— Il était bien maigre, bougonnai-je, car je sentais déjà les effets de la gueule de bois se dissiper, et mon estomac réclamait sa pitance.

— Pour ton information, il représentait tout ce que j’avais économisé ces derniers mois en me mettant au service d’un ensorceleur aux manières détestables ! Rien que d’y penser j’en ai la chair de poule, brrr… »

La lutine se pétrifia un instant, puis se secouant la tête pour la vider de ces sombres images, revint au présent.

« T’aurais dû lui demander plus, lui lançai-je sans le moindre tact. On n’a même pas pu coucher dans l’établissement !

— C’est normal ! Vu les litres de bière que tu as descendus, je n’avais plus assez pour payer une chambre. Le tavernier a d’ailleurs été bien gentil de nous autoriser à passer la nuit dans son écurie. Et estime-toi heureux que j’aie accepté que tu dormes avec moi !

— T’aurais pu prévoir le coup.

— Et comment je pouvais deviner qu’un nain au gosier plus profond que l’Abîme de Freth me dépouillerait jusqu’au dernier sou ?

— Tout le monde sait bien qu’il ne faut jamais inviter un nain à boire, à moins de posséder un royaume.

— J’espérais que ton côté elfe contrebalancerait ton penchant pour l’alcool… Tout ça pour dire que nous n’avons plus d’argent et que si nous restons ici, nous n’aurons bientôt plus de réputation non plus.

— Ah, parce que t’en avais une ?

— Façon de parler… Alors, qu’est-ce qu’on fait ? On retourne à la taverne voir s’ils n’auraient pas une autre mission pour nous ou est-ce qu’on essaye de rattraper le groupe qui se dirige vers le donjon des mystères ?

— Ça ne peut pas attendre qu’on mange un bout ? Marmonnai-je la main sur le ventre.

— Bien sûr que non ! Plus on passe de temps ici, moins on a de chance de les rejoindre avant qu’ils n’atteignent la tour ! Et pour la dernière fois, on n’a plus un rond !

— Parle pour toi, révélai-je en dévoilant l’escarcelle bombée offerte par ma mère.

— Quoi ? Tu avais une bourse pleine et tu nous as laissés dormir dans la paille en compagnie de ces chevaux puants !

— Leur odeur ne me dérange pas à moi.

— Sans doute parce que tu as la même… Bien ! Cet argent change la donne… Songea alors Séraphine.

— S’cusez-moi mes p’tits amis ! » L’interrompit une voix que nous ne connaissions pas.

La lutine et moi nous tournâmes vers l’homme qui venait de parler. S’il mesurait vingt centimètres de plus, il possédait la même carrure que moi, la taille bedonnante en prime. Il présentait un crâne ovoïde avec des cheveux courts en bataille. Sa large mâchoire laissait entrevoir des chicots jaunâtres pour la plupart, noirs pour d’autres, dont l’alignement rappelait celui d’un orque qui aurait reçu une massue en pleine tête.

« J’pas pu m’empêcher d’entendre vot’ conversation, reprit-il tandis que nous continuions à le dévisager. Vous v’lez vous rendre au donjon des mystères, c’bien ça ?

— Oui… confirma Séraphine dans l’expectative.

— Parce qu’avec ma carriole on passe juste d’vant. Donc si vous v’lez, j’peux vous y conduire ? »

D’un mouvement du bras, il nous désigna sa charrette. Constituée de deux roues, elle se trouvait attelée à un âne gris. Sur l’avant, une planche qui s’étendait sur toute la largeur du véhicule servait de siège au cocher. Elle pouvait sans difficulté accueillir deux personnes. À l’arrière, malgré un chargement recouvert par une bâche qui occupait une bonne partie de l’espace, je pouvais sans difficulté imaginer qu’une troisième s’y installe.

Mon amie resta muette. Elle tourna son regard sur moi et exécuta un geste presque imperceptible du menton. Je ne répondis rien. Elle accentua ses mimiques.

« Ça ne va pas ? lui demandai-je sans comprendre.

— Bien sûr que si ! gronda-t-elle sans que j’en saisisse encore la raison. J’essayais de savoir ce que tu en penses !

— Ah ! C’était pour ça tes grimaces ?

— Mais oui ! Bon, laisse tomber. Qu’est-ce que tu en dis alors ?

— Ben, moi j’ai toujours faim !

— Non, mais je rêve ! Pourquoi a-t-il fallu que je m’acoquine avec un nain ?

— Un elfe-nain, rectifiai-je.

— Zut ! Conclut la lutine en me tirant la langue.

— Si vous v’lez, j’transporte quelques fromages… intervint le marchand.

— Ah ben pourquoi vous l’avez pas dit plus tôt ? Dans ce cas, allons-y ! m’exclamai-je en m’élançant vers la carriole.

— Vous ne savez pas dans quoi vous vous embarquez… » souffla à l’homme mon amie.

 

 

Notre petit convoi s’ébranla. Séraphine s’était vue inviter par Karl notre conducteur, à monter avec lui sur le siège avant. De mon côté, je me cramponnais à l’arrière dans une position pour le moins inconfortable. Car les cahots du véhicule manquaient de me jeter par-dessus bord à chaque fois, rendant le trajet des plus dangereux. La route n’était pas la seule à blâmer de cela. Si elle présentait nombre d’imperfections, je soupçonnais nos roues de ne pas afficher un diamètre semblable et l’essieu de n’être qu’une branche récupérée au hasard d’un bois et même pas rectiligne.

Je me trouvais donc ballotté de droite à gauche et je commençais à regretter ma décision de monter à bord. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, je glissai ma main sous la bâche qui dissimulait la cargaison du marchand. J’espérais y découvrir les fromages promis, et ainsi contenter mon estomac où tournaient encore des restes de boisson. Hélas, mes doigts ne rencontrèrent pas le mets escompté. À la place, je butai sur des objets métalliques. Agacé de ne rien trouver à me mettre sous la dent, je dégageai le tissu et fouillai du regard le tas de pièces d’armures et armes qui reposaient là.

« Dites donc vous, m’exclamai-je en soulevant une escarcelle remplie de bijoux dont certains présentaient des traces sanglantes. Vous ne vous payeriez pas notre tête par hasard ? »

L’apostrophe fit se retourner notre conducteur sur son siège. Il ouvrit de grands yeux en apercevant toute sa marchandise à l’air libre.

« Qu’est-ce que c’est que tout ça ? s’étonna à son tour Séraphine qui avait pivoté en même temps. On dirait que… »

Elle ne finit pas sa phrase. La lame d’un poignard venait d’apparaître et pressait avec malveillance sa jugulaire.

« Assez joué les deux marioles ! Toi l’nabot, tu vas descendre de là tout doucement !

— Non, mais pour la centième fois, je suis un elfe-nain ! m’emportai-je.

— Fais c’que j’te dis ! Et toi la magote, pas un mot ou ça va mal se passer !

— Comment vous savez que c’est une magicienne ? m’étonnai-je content de délaisser mon inconfortable siège.

— Quoi ? Ça se voit à sa tenue. »

Tandis qu’il m’expliquait cela, il poussa mon amie hors de la carriole et atterrit à sa suite. Il conservait sa lame levée, pointe entre les omoplates de la lutine.

« Ah, vous êtes tisserand vous aussi ? repris-je maintenant que nous nous trouvions face à face.

— Euh, non…

— Pourquoi tu dis “vous aussi” ? L’interrompit Séraphine oubliant au passage l’avertissement du marchand. J’espère que tu ne t’imagines pas encore que je suis tisserande ?

— Pff, bien sûr que non… bredouillai-je confus.

— Oh, je le crois pas ! Je pensais que le sort de sommeil t’aurait convaincu que j’étais une magicienne ?

— Ben, le gars paraissait pas très frais de base…

— Alors il aurait eu l’idée tout d’un coup d’aller faire un roupillon dans son assiette ?

— Bah, les humains peuvent se montrer bizarres parfois.

— Il n’y a pas qu’eux, je t’assure ! s’emporta mon amie.

— Hey, vous deux, nous coupa Karl. J’vous rappelle que j’suis là ! Allez, fini de discuter, vous allez m’ donner tout vot’ argent maintenant !

— Oh ! Un collègue-voleur ? me réjouis-je. Je me disais bien que vous n’aviez pas la tête d’un fromager. D’ailleurs, je voulais savoir, vous les avez cachés où vos fromages ?

— Non, mais je crois que tu n’as pas bien saisi, m’expliqua Séraphine. Notre ami Karl t’a raconté qu’il transportait des fromages, simplement pour te faire monter dans sa charrette. Et il n’a rien à voir avec un voleur. Ce n’est qu’un vulgaire malandrin de grand chemin.

— Ouais, c’est ça… Un quoi ? … Ça suffit maintenant, tu vas me filer ta bourse ! s’énerva le brigand en appuyant un peu plus son arme dans le dos de la lutine.

— Vous allez être déçu, nous n’avons pas un rond !

— M’prends pas pour un demeuré ! Et la bourse que l’nabot exhibait tout à l’heure ? T’crois p’t-être que j’l’ai pas vue ?

— Ah, non ! Il n’est pas question que je vous la laisse ! Refusai-je d’emblée.

— Le blé ! insista le cocher.

— Donne-lui, gronda Séraphine qui sentait une piqûre de plus en plus marquée dans son dos.

— C’est ma maman qui me l’a offerte, tentai-je de protester.

— Donne-lui ! s’entêta-t-elle encore.

— Oui, bon ça va ! »

Bougonnant sans retenue, je fouillai dans mes braies à la recherche du seul argent qui subsistait des fonds obtenus auprès de mes parents. Je venais à peine de m’en saisir que Karl me l’attrapait des mains avec un sourire carnassier réjoui.

« Maintenant l’nabot, t’vas prendre la corde dans ma carriole et attacher mam’selle à c’t’arbre. »

Je m’exécutai. Je dénichai comme indiqué un rouleau de corde de plusieurs mètres de long et m’attelai à lier Séraphine. Une fois fait, ce fut au tour du marchand de me ligoter à son côté.

« J’préfère vous r’tenir au cas vous voudriez m’suivre.

— Vous n’allez tout de même pas nous abandonner là comme ça ? S’offusqua la lutine. On se trouve au milieu de nulle part et rien ne nous dit que quelqu’un d’autre passera nous délivrer avant la nuit !

— Y’a rien d’personnel, mais faut bien que j’vive moi aussi. Allez, j’vous laisse mes cocos.

— Non, attendez ! poursuivit Séraphine sur un ton de panique extrême. Et si des bêtes sauvages arrivent, comment pourra-t-on se défendre si vous nous abandonnez là ? »

Karl n’écoutait pas. Peu concerné par le sort qui nous était réservé, il remonta sur sa charrette et reprit sa course. Il démarrait à peine que déjà Séraphine s’acharnait à détacher mes liens.

« Hein ? Comment t’as fait pour te libérer ?

— Sans vouloir te vexer, tu n’es pas doué pour faire des nœuds non plus, me lança-t-elle.

— Alors tout ton petit numéro, c’était pour quoi ?

— Juste pour lui faire croire que nous étions désespérés. Allez, viens vite, nous devons le rattraper avant qu’il ne s’éloigne trop ! M’enjoignit-elle tandis qu’elle me débarrassait de mes entraves.

— Laisse tomber, pas moyen que je coure derrière ce chariot !

— Quoi ? Tu oserais renoncer à la bourse que ta mère t’a offerte ?

— C’est qu’un bout de tissu au final.

— Un bout de tissu qui renferme nos dernières économies ! s’emporta la lutine. Quel désastre cette première mission ! Non seulement je ne suis pas fichue de me lever à temps pour partir avec le groupe, mais en plus je n’ai plus un sou en poche…, se lamenta-t-elle. Mon maître avait raison, je ne suis pas faite pour la vie d’aventurière… Je vais devoir retourner servir cet ensorceleur sans talent pour le restant de mes jours… »

Séraphine s’assit au pied de l’arbre où nous avions été ligotés, le menton sur les genoux.

« C’est bon, tu as fini ?

— Laisse-moi déprimer toute seule ! ronchonna-t-elle.

— Et si je te dis que nous n’avons pas tout perdu dans l’histoire.

— Qu’est-ce que tu veux dire ? Et elle leva vers moi des yeux pleins d’espoir.

— Contemple un peu ça ! »

Sous son regard sidéré, je sortis de ma veste une escarcelle plus bombée encore que celle cédée. Je l’ouvris. Des bijoux de toutes sortes apparurent alors : colliers, chevalières, bagues aux pierres étincelantes, un bracelet gravé aux motifs floraux, une clef argentée avec un point d’interrogation sur la tête.

« Je le crois pas ! s’extasia Séraphine. Tu lui as subtilisé son butin ! En fin de compte, tu n’es peut-être pas un si mauvais voleur que ça !

— Je ne sais pas comment je dois le prendre…

— Tiens, qu’est-ce que c’est ? »

La lutine fouilla parmi les divers joyaux et saisit une petite broche dorée.

« C’est quoi ? Un objet magique super puissant ?

— Non, je la trouve juste jolie, annonça-t-elle en l’accrochant à son vêtement.

— Hey ! C’est mon trésor !

— Quoi c’est ton trésor ? On forme une équipe maintenant donc c’est notre trésor.

— Puisque c’est comme ça, je prends ça ! »

À mon tour, j’attrapai la clef aperçue dans le lot et l’intégrai à mon trousseau.

« Bien, on ferait peut-être mieux de déguerpir, suggéra la lutine en ramassant son bourdon que le brigand n’avait pas jugé bon d’emporter. Si Karl se rend compte qu’on l’a volé, il risque de faire demi-tour et nous tomber dessus.

— Sauf que je dois récupérer la bourse de ma mère, lançai-je alors en accrochant mon larcin à ma ceinture.

— Quoi ? Mais tu viens de dire que ça n’était qu’un bout de tissu.

— Peut-être, mais c’est ma mère qui me l’a donné. »

Comme si elle ne saisissait pas le lien sentimental qui m’unissait à l’objet en question, elle leva les mains en l’air, sourcils froncés.

« Alors, que proposes-tu ?

— On va lui tendre une embuscade ! révélai-je fier de mon idée.

— Et comment comptes-tu t’y prendre au juste ? Interrogea ma compagne sur un ton qui indiquait sans le moindre doute possible qu’elle se méfiait de mon plan d’attaque.

— On va commencer par creuser un trou au milieu de la route. Ensuite, on le recouvrira de branches et de feuilles pour le camoufler. Quand notre fromager passera, il tombera dedans et on pourra récupérer la bourse de ma mère.

— J’ai un peu peur de demander, mais tu as bien saisi qu’il n’était pas réellement fromager ?

— Évidemment ! Je n’ai pas trouvé le moindre morceau de fromage dans toute sa cargaison !

— Tu sais la taille que devrait faire ton trou pour que cela fonctionne ? Sans compter le temps nécessaire pour le creuser ?

— Je suis un nain, la tâche ne m’effraye pas !

— Ah, parce que tu caches une pelle dans tout ton barda ? »

Je réfléchis un instant à sa remarque…

« À supposer que tu aies le matériel, le temps et les capacités pour creuser le sol, reprit Séraphine qui avait vraisemblablement décidé de tuer dans l’œuf mon idée, il faudrait être demeuré pour ne pas voir un tel piège au beau milieu de la route ! Il est de plus probable que d’autres que notre détrousseur passent par ce chemin et tombent de façon malencontreuse dans ton trou… Mais, imaginons tout de même que tu aies le matériel, le temps, les capacités…

— Oui bon, ça va ! m’emportai-je. On a compris que tu trouvais mon plan nul. Alors et toi, qu’est-ce que tu proposes ? »

Séraphine sourit.

 

 

Le crissement de roue de la charrette nous avertit du retour de Karl bien avant de l’apercevoir. Lorsqu’enfin il apparut au loin, son âne avançait à une faible allure. Il jetait des coups d’œil tout autour de lui, comme à la recherche de quelque chose.

« À quoi il joue ? murmurai-je interloqué par son attitude.

— Ça se voit, non ? Il essaye de retrouver où il nous a abandonnés. Maintenant chut ! Il arrive…

— Alors les deux marioles, vous avez voulu jouer au plus malin, hein ? sourit-il en stoppant sa carriole. Vous pensiez m’voler et partir avec l’butin tranquillement, c’est bien ça ? Il sauta à terre et s’approcha de l’arbre où se tenaient ligotés la lutine et son acolyte elfe-nain. Sauf qu’vous êtes toujours attachés là comme deux bouseux…

— C’est le moment, m’annonça Séraphine dans un murmure.

— Alors, c’parce que vous avez raté vot’ coup qu’vous restez silencieux ? poursuivait Karl tandis que Séraphine et moi nous élancions à pas de loup vers son véhicule. Oh ! J’vous cause les deux abrutis ! Vous allez me révéler où est-ce que vous avez caché mon butin ! … »

La rage bouillonnait en notre cocher. Face à lui, ses deux interlocuteurs demeuraient figés et muets. Il dégaina sa dague qu’il leva, intimidante.

« J’vous préviens, si tu m’dis pas où c’que t’as planqué mon argent, j’plante ta copine ! » hurla-t-il.

Il n’attendit pas bien longtemps avant de mettre sa menace à exécution. Devant l’immobilité de l’elfe-nain, il pressa la pointe de sa lame sur l’épaule de la lutine dans l’espoir de faire réagir l’un ou l’autre. Quand d’un coup, ils s’évaporèrent.

« Qu’est-ce que c’est qu’ce bordel ? »

Médusé face à cette disparition imprévue, il demeura comme deux ronds de flan. Lorsqu’il comprit enfin qu’il venait de se faire avoir, sa charrette et son âne se trouvaient déjà loin.

Modifié par zazasan
Lien vers le commentaire
Partager sur d’autres sites

  • 4 semaines après...

Chapitre 3 : Téléportation


 

« On l’a bien eu avec ton truc là ! m’exclamai-je ravi en apercevant au loin notre faux fromager lancer des imprécations à notre encontre. Comment t’as fait d’ailleurs ?

— Mon “truc” comme tu dis, s’appelle une illusion. J’ai créé une image de nous deux et lui ai fait croire que nous étions toujours attachés à cet arbre, sans défense.

— Brillant ! Je n’aurais pas fait mieux ! Il ne s’est douté de rien. On a eu juste le temps de monter dans sa charrette et de filer. À ce propos, je voulais savoir : comment on conduit un machin pareil ?

— Quoi, comment on conduit ? Si tu n’en as aucune idée, pourquoi c’est toi qui tiens les rênes ?

— Je trouvais ça stylé. Mais en fait, je n’y connais rien en canasson.

— C’est un âne.

— Qu’est-ce que je te disais ?

— Donne-moi ça ! S’emporta la lutine en m’arrachant les rênes des mains.

— Hey ! Parce que tu sais faire avancer ce machin toi ?

— Ça ne doit pas être bien compliqué de mener une bourrique où l’on veut.

— Ah ? Donc tu as des talents de dressage maintenant ?

— Figure-toi que j’ai eu un chat à une époque !

— Et qu’est-ce qu’il est devenu ?

— Aucune idée. Un jour, il a disparu…

— Rends-moi ça ! »

Je tentai de lui récupérer la bride, mais elle s’écarta de moi, tirant de côté et contraignant l’âne à tourner la tête. Il stoppa sa marche et, se voyant ainsi maltraité, donna un violent coup d’encolure. Séraphine manquant tomber de la charrette, lâcha les rênes qui allèrent pendre libres sur le dos équin. Plus soumis à aucune tension, l’animal reprit sa route du même pas tranquille, mais assuré.

« En fait, ça sert à rien ces machins. Il avance tout seul !

— Peut-être, mais qui sait où il nous conduit ?

— Si ça se trouve, il nous emmène au donjon des mystères !

— Curieusement, j’en doute… »


 


 

« Ah ben c’est malin ! Cette bourrique nous a ramenés en ville ! gronda Séraphine en apercevant à une centaine de mètres devant nous, l’immense palissade entourant la cité d’Iolcos. Une matinée de perdue tout ça pour retourner à notre point de départ.

— Comme ça, on va peut-être pouvoir manger un bout ? J’ai toujours les crocs moi ! lançai-je de concert avec mon ventre.

— Tu crois vraiment que nous avons le temps pour ça ? Darken et son groupe ont pris une avance considérable, maintenant. Peut-être même qu’ils sont déjà arrivés au donjon !

— Et ta magie, elle ne peut pas nous aider par hasard ? »

Avais-je proféré une ineptie ? La lutine fixa ses grands yeux verts sur moi. De longues secondes durant elle resta immobile.

« Eh oh, il y a quelqu’un ? demandai-je en agitant ma main devant elle.

— Tu sais que ce que tu viens de dire n’est pas bête et pourrait bien nous sortir du pétrin, s’enflamma-t-elle soudain.

— Ah bon ?

— Mais oui, réfléchis ! Il suffit de se téléporter jusqu’au donjon !

— D’accord… Et tu peux faire ça toi ?

— Euh, non. La téléportation est un sort d’un niveau un peu trop élevé pour moi, avoua-t-elle en se prenant le menton entre deux doigts à la recherche d’une solution. Mais on pourrait se servir d’un parchemin de téléportation !

— Et en quoi un bout de papier peut nous aider ?

— Ça n’est pas qu’un simple bout de papier. Les parchemins de magie s’avèrent très utiles pour les êtres dépourvus de pouvoirs.

— Et pour ceux qui n’ont pas le niveau, la raillai-je.

— Oui bah, je fais ce que je peux ! s’emporta-t-elle aussitôt. Tout ça pour dire que ces “bouts de papier” permettent à tous d’exécuter des sortilèges parfois très complexes.

— D’accord, mais alors où est-ce qu’on trouve ça ?

— Oh, toutes les boutiques de magie dignes de ce nom en vendent. Seul souci, ça n’est pas accessible à toutes les bourses…

— Pour ça, pas de problème. Il suffit d’aller écouler tout notre attirail.

— Il n’est pas question que je cède mes affaires à qui que ce soit ! S’offusqua aussitôt Séraphine.

— Mais non, pas les tiennes. Les siennes ! »

Du doigt, je pointai notre charrette remplie d’armes et pièces d’armure en tous genres.

« Tu ne comptes quand même pas vendre des objets volés ?

— Et pourquoi pas ? Après tout, je suis un voleur moi aussi !

— J’ai encore un peu de mal à y croire… De toute façon, nous n’avons pas trop le choix, finit par lâcher la lutine. Allons-y ! »


 


 

« Comment ? Cinquante pièces d’or seulement pour l’ensemble ? explosai-je hors de moi.

— En même temps, c’est qu’un tas de ferraille, confirma Séraphine que le prix proposé par le marchand ne semblait pas offusquer.

— Assassin ! Vous savez le temps qu’il nous a fallu pour amasser tout cet équipement ? Tout ça pour quoi ? À peine de quoi nourrir les petiots !

— Euh, tu n’en fais pas un peu trop quand même ? Me murmura la lutine. Cinquante pièces d’or c’est déjà pas mal pour ces vieilleries. Surtout que ça ne nous a pas coûté grand-chose de nous les procurer.

— J’suis prêt à monter jusqu’à cent pièces d’or avec la charrette et l’âne, reprit le marchand fin négociateur.

— Ah non !

— Quoi, mais pourquoi ? s’étonna la lutine.

— Je commençais à m’y attacher à Karl.

— Karl ? Tu as donné un nom à l’âne ? Mais quand est-ce que… oh et puis zut ! Laisse-lui le tout, récupère l’argent et qu’on n’en parle plus ! » S’emporta mon amie.

Marmonnant dans mon absence de barbe, je tendis la bride au commerçant qui me remit une bourse bien pleine, et nous nous éloignâmes.

« Je crois que c’est la première fois que je tiens autant d’or dans mes mains ! m’exclamai-je ébloui par le métal jaune. Avec ça, on pourrait se la couler douce à l’auberge pendant au moins un mois !

— Range-moi ça tout de suite ! gronda soudain Séraphine en refermant à la hâte l’escarcelle. Tu ne devrais pas montrer nos richesses de façon aussi ostentatoire, poursuivit-elle en jetant des coups d’œil à la ronde pour s’assurer que personne ne faisait attention à nous. Notre mésaventure de ce matin ne t’a donc rien appris ?

— Si ! Qu’il ne faut jamais faire confiance à un fromager qui n’a pas de fromage !

— … De toute façon, cet argent doit nous permettre d’acheter un parchemin de téléportation, pas de flemmarder pendant des jours ! Viens, la boutique de magie se trouve par là. »

L’illusionniste me traîna à travers plusieurs ruelles avant d’en rejoindre une où se croisait une foule d’êtres en robe. Ils entraient et sortaient des différents commerces représentés, dans un flot incessant de chapeaux pointus.

Après avoir pris le temps de détailler chaque devanture, Séraphine s’arrêta face à la plus sombre et poussiéreuse du quartier. Elle leva le nez en l’air pour s’assurer que nous nous trouvions à la bonne adresse, puis poussa la porte d’entrée et pénétra dans le magasin. Je la talonnai, légèrement intimidé par tant de mages dans un périmètre si restreint.

« Atchoum ! »

À l’intérieur de l’échoppe, une violente odeur de renfermé assaillit mon nez et me fit éternuer. Aussitôt, les deux autres personnes présentes se retournèrent, l’air courroucé par mon infinie indélicatesse. À leur taille fine et leurs oreilles pointues, je reconnus d’emblée des elfes. Le premier, installé derrière son comptoir, du fait de ses traits tirés, m’apparut assez âgé. Il me dévisageait, montrant sans la moindre honte que je n’étais pas le bienvenu. Je ne réussis pas à détailler le second qui s’empressa de vider les lieux à mon approche.

« Vous désirez ? demanda sans entrain le vendeur-elfe.

— Nous voudrions acheter un parchemin de téléportation s’il vous plaît », lança Séraphine que les manières du marchand ne semblaient pas offusquer.

L’elfe nous toisa d’un air dédaigneux. Il observa ma tenue puis celle de ma compagne avant de reprendre :

« Un parchemin de sort n’est pas un jeu. Vous savez comment cela fonctionne ?

— Bien sûr, je suis moi-même versée dans les arcanes, affirma mon amie.

— Vous n’ignorez donc pas qu’un parchemin de téléportation coûte extrêmement cher ? poursuivit le vieux mage.

— Oui, je suis parfaitement au courant, confirma la lutine. Nous devons nous rendre rapidement dans un endroit.

— Si vous devez y aller tous les deux, reprit-il en pointant un doigt méprisant sur nous, il vous faudra plutôt un parchemin de téléportation de groupe.

— Oh ! S’étonna Séraphine ignorante visiblement de ce détail. Est-ce que cela change quelque chose ?

— Le prix. C’est plus cher.

— Nous avons de l’argent pour payer, annonça Séraphine confiante en attrapant notre bourse rebondie. À combien cela revient-il ?

— Cela fera quinze mille.

— Quinze mille pièces de cuivre ? Cela équivaut à cent cinquante pièces d’or… C’est un peu plus que ce que j’espérais, mais on doit pouvoir s’arranger, réfléchit Séraphine tout haut.

— Non, je crois que vous n’avez pas compris. Je voulais dire quinze mille pièces d’or, la corrigea l’elfe.

— Quinze mille pièces d’or ? explosai-je en entendant le prix. C’est une blague, n’est-ce pas ?

— Pas du tout, dit le marchand sans broncher. Un parchemin de téléportation simple ne coûte pas moins de cinq mille pièces d’or. Pour téléporter tout un groupe, c’est quinze mille.

— Allez, pour un ami elfe, lui susurrai-je, vous ne pourriez pas faire un effort ?

— Non, répondit-il implacable sans prendre le temps de la réflexion.

— Tiens, je vous aime bien, ça me désolerait de devoir me rendre chez vos concurrents, tentai-je encore.

— Vous pouvez bien essayer dans toutes les boutiques, le prix sera le même. Maintenant, je vous demanderai de bien vouloir sortir. Vous faites fuir ma clientèle. »

Avant que je n’aie le temps de m’emporter, Séraphine m’attrapa par le col et me tira dehors. Nous visitâmes plusieurs autres magasins, mais comme nous l’avait annoncé l’elfe, le tarif restait dans des proportions similaires.

« C’est pas demain la veille qu’on pourra se payer un parchemin de téléportation ! Déclarai-je à mon amie qui n’avait pas ouvert la bouche depuis la déconvenue sur le prix. On ferait mieux de retourner à l’auberge se commander un bon repas ! …

— J’ai peut-être une solution… murmura Séraphine.

— Quoi ?

— Il y a un autre moyen d’obtenir ce que l’on souhaite.

— Un bon repas ?

— Mais non, le sort de téléportation !

— Oh. Et comment tu comptes t’y prendre sans tunes ?

— On va le voler !

— Quoi ? Tu veux cambrioler la boutique d’un de ces vieux enchanteurs ? Elles doivent être bourrées de protections magiques qui nous transformeront en poussière à peine le pied posé à l’intérieur !

— Mais non, on ne va pas s’introduire dans leur magasin. Tu te souviens, je t’ai raconté que j’avais bossé pendant un temps chez un ensorceleur ?

— Ça me dit vaguement quelque chose, déclarai-je alors que cela n’était absolument pas le cas.

— Il possède un grimoire dans lequel il note tous ses sorts. Une fois, il l’avait laissé ouvert et je crois bien y avoir lu un sort de téléportation. Si on parvient à pénétrer chez lui et si je peux retranscrire le sort, on n’aura alors plus qu’à s’en servir pour se rendre au donjon des mystères !

— Et comment tu vas rentrer chez lui ? Tu vas frapper à la porte pour lui demander de bien vouloir nous autoriser à recopier son bouquin ?

— C’est un peu l’idée. Mais nous ne lui demanderons pas la permission, car aucun être doté de pouvoirs n’accepterait de partager son savoir avec n’importe qui… Attends-moi là ! »


 


 

« Tu as bien compris ce que tu devais faire ? Me demanda Séraphine.

— Mais pourquoi c’est moi qui dois le distraire ? Lançai-je alors que nous arrivions devant la porte d’entrée de l’ensorceleur.

— Pour la dernière fois, parce que de nous deux je suis la seule à connaître les runes magiques et à pouvoir les retranscrire. Mais si tu veux le faire, libre à toi !

— Non, c’est bon. Et on peut savoir ce que tu as fait dans cette boutique tout à l’heure ?

— J’ai été acheter des parchemins pour pouvoir recopier le sort plusieurs fois. Comme ça on en aura plusieurs exemplaires. Bon, tu as compris ?

— Oui, c’est bon », marmonnai-je.

Séraphine frappa. Nous attendîmes plusieurs minutes sans réponse et, alors que la lutine s’apprêtait à donner un nouveau coup sur la porte, celle-ci s’ouvrit, laissant apparaître un lutin. Des cheveux blancs en bataille recouvraient de façon sporadique son large crâne. Dessous, son front semblait tomber devant ses yeux, les masquant à demi. Ses longs sourcils se chargeaient d’en camoufler le reste.

Il battit des paupières. Comme si cela lui avait rendu la vue, il discerna enfin mon amie. Aussitôt, il sourit.

« Séri ! exulta-t-il.

— Séri ? l’interrogeai-je amusé.

— Oui, bon ! Il trouvait ça plus “mignon”… » Grogna-t-elle à mon intention.

Puis, se retournant :

« Maître Firzin, comment allez-vous ?

— Oh, tu sais ce que c’est, la vieillesse ! Mais, ne restez donc pas planté dehors, entrez ! »

Maître Firzin s’écarta et nous invita à pénétrer dans sa demeure.

« Tu ne m’avais pas dit que c’était “un ensorceleur aux manières détestables” ? murmurai-je. Je le trouve tout à fait sympathique, moi.

— Ne te laisse pas berner par ses faux airs de lutin sénile… me répondit-elle dans un chuchotement.

— Comme je suis content que ma meilleure apprentie vienne me voir ! s’exclama maître Firzin en appuyant sa déclaration d’une claque sur les fesses de la lutine.

— Tu comprends maintenant ? me murmura mon amie.

— Je crois bien, acquiesçai-je.

— Alors tous les deux, reprit l’ensorceleur sans prêter attention à nos messes basses, que me vaut l’honneur de votre visite ?

— Et bien si vous voulez tout savoir maître Firzin, Jason est un…

— En fait, je m’appelle Jaaranisson…

— Jason est un nain, me coupa Séraphine, qui…

— Je suis un elfe-nain en réalité…

— Jason est un nain, gronda-t-elle sans prendre en compte mes remarques, qui affectionne les pierres. Je lui racontais que vous possédiez sans aucun doute la plus grande collection de cailloux de tout Ohorat, alors évidemment il a eu envie de venir la découvrir, si cela ne vous dérange pas ?

— Je comprends, malheureusement… »

À ce mot, je sentis la déception dans le regard de ma compagne. Son stratagème pour l’occuper tandis qu’elle se chargeait de recopier la formule du sort de téléportation n’avait pas pris et nous allions devoir trouver une autre ruse.

« … je n’ai pas préparé suffisamment de thé pour trois ! Et pour bien apprécier chaque détail de ma collection, il va nous en falloir ! Attendez-moi un instant, je reviens de suite ! »

Enjoué par la présence de mon amie et par celle d’un soi-disant amateur de cailloux, il quitta la pièce pour aller faire chauffer de l’eau chaude.

« Qu’est-ce que vous avez tous avec votre thé ? lâchai-je une fois qu’il eut disparu. Pour passer un agréable moment, rien de mieux qu’une bonne bière !

— Et avec ce genre de remarques, tu te dis toujours “elfe-nain” ? … Allez, profitons-en pour chercher la formule magique !

— Elle est où ?

— Elle doit se trouver dans un de ses grimoires… »

Je regardai autour de nous. Le domicile de maître Firzin s’étendait sur deux niveaux. Au rez-de-chaussée où nous nous tenions, en dehors d’une table centrale qui croulait sous les tubes à essai et autres fioles remplis de liquides aux couleurs douteuses, s’étalaient sur chaque pan de mur des étagères pleines de livres. Il y en avait de toutes les tailles, avec des dorures ou sans, aussi épais que ma cuisse ou plus fins que mon auriculaire…

« Il va falloir être un peu plus précise que ça ! lançai-je devant cette profusion livresque.

— C’est un énorme tome à la couverture rouge avec des pages en parchemin.

— Cela en élimine quelques-uns…

— Là ! »

La lutine s’empressa d’attraper l’ouvrage en question et le déposa au milieu des récipients sur la table. Puis, elle l’ouvrit et commença à le feuilleter.

« Alors, c’est lequel ? l’interrogeai-je avec curiosité.

— Un peu de patience ! Grogna-t-elle tout en continuant à lire. J’ai besoin de me concentrer pour déchiffrer ces runes.

— Quoi, mais tu m’as dit que tu maîtrisais ce charabia ?

— Pas du tout, j’ai simplement dit que de nous deux, j’étais la plus à même de recopier la formule…

— J’espère que je ne vous fais pas trop attendre ? cria soudain l’ensorceleur-lutin depuis la pièce attenante.

— Non, non, lui répondit Séraphine en levant le nez. Prenez votre temps surtout ! »

Elle replongea dans le grimoire, tourna une nouvelle page, mais ne trouvant pas ce qu’elle cherchait passa à la suivante…

« Là ! Je l’ai ! lâcha-t-elle d’un coup en pointant du doigt une série de signes au sens abscons pour moi.

— Voilà, voilà, j’arrive ! » Lança au même instant maître Firzin.

Séraphine se figea les yeux grands ouverts. Je décidai alors d’intervenir. Tandis que le lutin apparaissait dans la pièce, je me jetai au-devant de lui.

« Par hasard, est-ce que vous n’auriez pas pour accompagner ce thé, quelques biscuits aux graines de pavot et à la farine complète d’avoine ? demandai-je en entourant de mon bras ses épaules pour l’obliger à se retourner. Si nous voulons user de tout le temps nécessaire pour juger de la qualité de vos pierres, cela me semble indispensable. »

Maître Firzin s’arrêta. Il transportait un plateau avec trois tasses et une théière. Il fronça les sourcils et se mit à me dévisager.

« Mais bien sûr ! lâcha-t-il alors. Où avais-je la tête ? Je reviens tout de suite avec cela !

— Oui, ne vous pressez pas surtout ! »

Au petit trot, je retournai auprès de mon amie qui avait repris son travail de recopiage.

« Des biscuits aux graines de pavot et à la farine complète d’avoine ? m’interrogea-t-elle sans s’interrompre.

— Bah quoi ? J’ai simplement dit que je n’aimais pas le thé ! …

— Je m’excuse monsieur Jason, mais je n’ai que des fèves amères de Léthir » repartit le lutin.

Une nouvelle fois, la porte de la pièce s’ouvrit et il apparut, son plateau toujours en main, mais avec un bocal remplit de gros haricots verts en plus.

« Pas le temps de le recopier, tant pis ! »

Séraphine d’un geste sec arracha la page de sort du grimoire, vint se coller à moi et se mit à réciter la formule magique présente sur son bout de parchemin déchiré. Avant que maître Firzin n’ait eu le temps de lever les yeux vers nous, toute la pièce autour et lui avec, avaient disparu.

« Que s’est-il passé ? demandai-je après un long moment de silence.

— Je crois que je nous ai téléportés, annonça la magicienne d’un ton incertain.

— Regarde ! On est devant une porte ! J’ai l’impression que tu as réussi, nous sommes sûrement face à l’entrée du donjon des mystères ! jubilai-je.

— Bah, c’était pas si compliqué que ça, se contenta-t-elle modeste.

— Tiens c’est bizarre, cette porte me dit quelque chose… »

Je m’approchai pour l’examiner, quand elle tourna sur ses gonds.

« Ah vous êtes là ! Si vous n’aimez pas les fèves amères, je peux aussi vous proposer du raisin de mer… »

Lien vers le commentaire
Partager sur d’autres sites

  • 1 mois après...

Chapitre 4 : Le cheval Mulet


 

« Bon alors, est-ce que maintenant on pourrait retourner à l’auberge pour prendre un vrai repas ? Je me sens ballonné… En plus, ces fèves m’ont laissé un goût amer dans la bouche ! fis-je en tirant la langue.

— Je ne saisis pas ce qui a pu arriver…

— Je peux comprendre. En même temps, passer une après-midi complète à écouter un fanatique te parler de cailloux, ça en déboussolerait plus d’un !

— Mais non ! Pourquoi la formule a échoué ?

— Oh… Bah elle n’a pas raté ! C’est juste que tu t’es trompée de porte !

— Pourtant j’avais bien pensé au donjon… Ou peut-être que pour fonctionner il faut connaître au préalable la destination ?

— On pourra toujours réessayer après un bon dîner ! proposai-je.

— Malheureusement non, dit-elle dépitée en me présentant le bout de parchemin arraché.

— Ben, ils sont où tous les machins dessus ?

— Ils se sont effacés une fois la formule prononcée…

— Donc ça règle la question. Allons manger !

— C’est tout ce que ça te fait ? s’emporta la lutine. On a manqué notre ultime chance de rejoindre Darken et son groupe sans perdre complètement la face, et tout ce qui t’importe c’est ton ventre ? »

Je la fixai un instant sans rien dire. La journée touchait à son terme et elle n’avait pas été de tout repos. Cela se voyait sur mon amie. Son chapeau qui pointait droit aux premières heures de la matinée piquait désormais vers le sol. Ses cheveux qu’elle avait pris soin de nouer en natte à son réveil, ressortaient de plus en plus ébouriffés. L’exaspération sur son visage… restait la même qu’au petit jour.

« Mon ventre au moins il sait quand faut s’arrêter, déclarai-je. On pourra rien faire de plus ce soir, donc autant aller becqueter un morceau et boire une bière ! »

Séraphine regarda tout autour de nous. Les boutiques fermaient les unes après les autres et les gens commençaient à déserter les rues.

« Je me demande si…

— Si on ne devrait pas se diriger vers la taverne ? Mais oui, allez, viens ! m’exclamai-je en la poussant doucement dans le dos pour ne pas la rebuter.

— Mais alors pas plus d’une bière, hein ?

— C’est d’accord. Allez…

— Et demain, pas question de faire la grasse matinée !

— C’est compris. C’est par là… »

À force d’encouragements, nous arrivâmes finalement devant l’établissement que nous avions fréquenté la veille. Une nouvelle fois, je la poussai délicatement, et nous pénétrâmes dans le bâtiment.

Nous retrouvâmes près du comptoir nos tabourets respectifs.

« Tiens, qu’est-ce que… ? »

En m’installant sur mon siège, j’avais ressenti une gêne en haut de la cuisse. Je fourrai ma main dans la poche de mon pantalon et en délogeai l’objet incommodant pour le poser sur le bar devant nous.

« Qu’est-ce que c’est ? M’interrogea Séraphine en découvrant la petite pierre.

— Ben, c’est le donjon ! » Répondis-je simplement, car cela allait de soi. Pourtant, les yeux qu’elle me fit en retour m’apprirent le contraire.

« Mais si, tu sais ! Ton maître Firzin, il nous a présenté ce caillou comme provenant du donjon des mystères…

— Tu lui as chapardé un caillou ?

— Bien obligé ! Parce que c’est absolument pas possible qu’il soit issu du donjon des mystères. Ça, ça vient de chez moi !

— Qu’est-ce que tu racontes ?

— Tu vois cette couleur un peu ocre-rouge, comme un mélange de canaris jaunes écrasés ? C’est typique des monts roussis.

— Tu es sûr de ce que tu avances ?

— Certain. J’extrayais ce genre de cailloux avant même de savoir marcher.

— Mais alors, tu te rends compte de ce que cela signifie ?

— Ah ben oui ! Que ton soi-disant spécialiste n’est qu’un charlatan !

— Ou alors que le donjon des mystères se situe dans les monts roussis, donc à quelques heures de route à peine d’ici ! »

Je la regardai descendre de son tabouret sans comprendre.

« Où est-ce que tu vas ?

— Au donjon des mystères ! Me lâcha-t-elle à son tour comme si cela semblait évident.

— Quoi ? Je pensais qu’on oubliait ce fichu donjon pour la soirée et qu’on se prenait une bonne bière, moi !

— Je vois pas pourquoi t’as cru ça.

— Non. À la réflexion, moi non plus », fis-je d’un ton las en abandonnant moi aussi mon siège pour partir à sa suite.

Je récupérai l’objet, source de ma sobriété actuelle, et nous quittâmes l’établissement.

« Dépêche-toi ! On va chercher Karl ! Me lança à peine sortie la lutine en s’élançant dans une direction.

— Quoi, le fromager ?

— Mais non, l’âne !

— Oh… »

Nous arrivâmes juste à temps. L’homme à qui nous avions cédé tout l’attirail de Karl, le brigand sans le moindre fromage, ainsi que le chariot et Karl, le bidet, finissait de remballer son étal.

« Attendez ! cria Séraphine à son intention. On a besoin de récupérer notre charrette.

— Pas de problème. Cela fera cent pièces d’or.

— Non, vous n’avez pas compris, on ne prendrait que la charrette et l’âne, lui précisa mon amie.

— Ah, vous voulez l’âne aussi ? Cela fera cent cinquante pièces d’or alors.

— Quoi ? Mais tout à l’heure, vous nous avez acheté le tout pour cent pièces d’or, et il y avait toutes les armes et pièces d’armures en plus !

— Hum, fit-il.

— Vous vous souvenez ?

— J’me rappelle bien, mais qu’est-ce que vous voulez ? C’est ça les affaires ma p’tite dame ! Et faut bien que je nourrisse les petiots », railla-t-il sans retenue.

Tandis que Séraphine tentait de négocier avec le marchand, je m’approchai de son commerce. Il avait pignon sur rue, pour la bonne raison qu’il prenait place au beau milieu de l’artère principale d’Iolcos. Il se trouvait constitué d’un étal en bois sur lequel se tenait entreposée une grande partie des bibelots à vendre. Le reste s’entassait durant la journée sans attention à même le sol. Les objets s’avéraient aussi divers et variés que les moisissures sur le mjorl, un fromage d’origine gazie. Rien que d’y penser j’en avais l’eau à la bouche… Pour l’heure, toute la marchandise avait été empilée dans le véhicule que nous lui avions cédé. Karl y était toujours attaché et conservait tout son flegme malgré la charge qu’il s’apprêtait à tirer.

Je me glissai à côté de lui.

Mon amie poursuivait ses palabres alors que le vendeur semblait ne pas l’écouter. D’une oreille distraite, il se curait les ongles à l’aide d’un poignard aussi long que l’avant-bras. J’en profitai pour dételer Karl et…

« Cours Séri ! »

D’un geste brusque, je tirai sur le mors de Karl, prêt à fuir en compagnie de l’animal. Quand je fus stoppai net dans mon élan. Karl n’avait pas bougé d’un pouce malgré la chance de liberté que je venais de lui offrir.

Le marchand qui avait cru un instant que j’allais lui voler son âne, se retourna vers la lutine.

« Finalement, ça sera trois cents pièces d’or ! » annonça-t-il les mains sur les côtés.


 


 

« On peut savoir ce qui t’a pris de faire ça ?

— Quoi ? Comment j’aurais pu deviner que cette bourrique ne bougerait pas d’un pouce ?

— D’un sabot.

— Quoi ?

— Un âne, ça a des sabots, pas des doigts, et donc pas de pouce… Quoi qu’il en soit, ça n’était pas très malin ! J’étais en train de négocier pour obtenir un prix…

— Me paraissait pas franchement bien engagée ton affaire… lançai-je.

— C’est sûr que ton intervention nous a aidés ! Résultat des courses, on se retrouve sans moyen de transport, à devoir se taper toute la route à pieds.

— D’ailleurs, ça aurait pas pu attendre demain matin ?

— Pourquoi est-ce que j’ai l’impression que tu n’as rien suivi depuis le début ? Se lamenta la lutine une main sur les yeux. Si on veut espérer entrer dans le donjon des mystères avec Darken et son groupe, on ne doit plus traîner. À l’heure qu’il est, ils se sont sans doute arrêtés pour la nuit. Donc c’est le moment pour rattraper un peu notre retard. Alors, autant en profiter !

— Je ne comprends pas très bien pourquoi il faut absolument qu’on y pénètre en leur compagnie, fis-je las d’entendre toujours le même refrain.

— Je ne suis pas certaine que tu mesures toutes les conséquences qu’implique une mission dans un donjon. Pour faire simple, les donjons sont des bâtiments édifiés la plupart du temps par des mages aux pouvoirs immenses ! Ils y enferment leurs artefacts magiques les plus puissants, et la dernière chose qu’ils souhaitent c’est que le commun des mortels vienne les leur dérober. Alors ils les construisent tels des labyrinthes et les truffent de pièges de toutes sortes. À nous deux, nous n’avons aucune chance d’en ressortir vivants.

— Tu oublies qu’en ma qualité de voleur, je suis capable de déjouer tous les pièges !

— Et tu fais ça comment ? Avec ton trousseau de clefs ? fit-elle et je sentis une touche d’ironie dans son ton. Même si tu parvenais à détecter et désamorcer tous les pièges, on trouve bien d’autres choses dans un donjon. Il y a des monstres, et je ne parle pas de ridicules petits rats, mais de basilics énormes qui te changent en statue d’un simple regard, de minotaures, ces créatures à corps d’homme et tête de taureau, de gargouilles… Il est parfois aussi nécessaire de résoudre des énigmes pour ouvrir des portes.

— Une porte, ça m’a jamais arrêté, surtout s’il faut utiliser sa tête ! lançai-je sans honte.

— Rappelle-moi ça quand on sera dans une telle situation…

— N’empêche qu’on n’était peut-être pas obligés de partir en plein milieu de la nuit ! Pestai-je en écartant une nouvelle fois une branche d’arbre qui venait de me fouetter le visage.

— Te plains pas, t’es nyctalope toi au moins ! » Répondit-elle en se tournant vers moi, et je m’esclaffai en découvrant ses gigantesques bésicles qui lui donnaient l’air d’une chouette. Cet objet lui permettait d’y voir aussi bien que moi malgré les ténèbres.


 

Nous avions quitté la ville d’Iolcos depuis un moment déjà. Après avoir suivi pendant plusieurs heures un chemin en direction du nord, nous avions fini par bifurquer vers les monts roussis. Nous avions alors pénétré dans une forêt dense de sapins et j’avais beau les distinguer, il y en avait toujours un pour me jeter ses piquants à la figure.

« Saleté de nature ! fulminai-je en m’extrayant dans la douleur d’un buisson épineux.

— En tant qu’elfe j’aurais cru que tu demeurais en toute circonstance en parfaite harmonie avec le monde qui t’entoure, me lança la lutine moqueuse.

— Du moment qu’il reste loin de moi, aucun problème…

— Tiens, qu’est-ce que c’est ? »

Enfin débarrassé des ronces qui s’étaient agrippées à mon sac, je levai le nez dans la direction indiquée par mon amie. Nous étions arrivés à la lisière de la forêt. Au-delà s’étendaient les monts roussis.

Malgré l’invisibilité de la lune, trop occupée à jouer à cache-cache avec les nuages, grâce à ma vision dans le noir, je pouvais sans mal me rendre compte de la pente grimpante qui nous attendait. La végétation, si elle n’était pas absente, se trouvait là très clairsemée. L’essentiel des monts roussis se composait de cette pierre d’un ocre rouge, particulièrement friable. L’ascension promettait d’être sportive. Mais ça n’était pas la topographie du terrain qui avait attiré l’œil de ma compagne.

À la limite de ma vision, je discernai une forme. Je fronçai les sourcils, mais cela n’améliora pas le rendu. Je décidai alors d’approcher.

« Qu’est-ce que tu fais ? murmura Séraphine.

— Ben, je vais voir !

— Quoi ? Et si c’était une créature prête à nous dévorer au moindre mouvement ?

— Une créature ? Comme quoi ?

— J’ai feuilleté une fois un livre sur les créatures qui sortent pendant la nuit, chuchota la lutine en se collant derrière moi. Je me souviens avoir lu que certaines ont le pouvoir de se métamorphoser en loup ou en chien, et qu’elles se repaissent des voyageurs qui ont le malheur de rencontrer leur chemin.

— Oh, un genre de ganipote ? Oui y en a un qui se balade dans les monts, mais il est parfaitement inoffensif. Tout ce qu’il peut faire c’est se transformer en mouton et bêler comme un damné ! Remarque, si on le croise on pourrait en faire un méchoui ! »

Tandis que je tentais de rassurer Séraphine, la forme bougea. J’eus soudain l’impression qu’elle nous observait. Elle ne ressemblait pas à un mouton. Elle semblait bien plus haute et large.

J’avalai ma salive. La main sur le pommeau de mon épée courte, j’amorçai un premier pas dans sa direction, quand les cailloux sous mon pied se détachèrent et je tombai sur un genou.

« Ah ben bravo la discrétion ! » Lâcha alors la lutine.

Je ne répondis pas, me contentant de grogner sans retenue en me relevant. À ma grande surprise, la créature que nous distinguions se tenait toujours au même endroit.

« Soit elle est complètement sourde, soit elle n’a pas peur de nous et cela veut peut-être dire que c’est nous qui devrions nous méfier d’elle, souffla mon amie.

— Quoi que ce soit elle est sur notre chemin. Donc, à moins que tu ne préfères attendre qu’elle déguerpisse, nous allons devoir nous approcher.

— Nous n’avons pas le loisir de perdre du temps… » reprit Séraphine sans grande conviction.

Je tirai mon épée. Séraphine serra à deux mains son bourdon qu’elle tint devant elle. Lentement, nous commençâmes à gravir ce premier relief. Prenant garde à où nous posions nos pieds et faisant en sorte de ne pas faire de mouvements brusques, nous ne fûmes bientôt plus qu’à une dizaine de mètres de la créature.

« Mais… Je rangeai ma lame dans son fourreau. C’est qu’un canasson !

— Quoi ? C’est un cheval ?

— Ben oui, regarde, fis-je en m’approchant encore. Oh la chance ! Il est sellé et bridé !

— C’est bizarre, tu ne trouves pas ? Lança la lutine en me rejoignant au côté du magnifique animal à la robe blanche. Il doit bien appartenir à quelqu’un. Je me demande comment il est arrivé là ?

— Tu te poses trop de questions ! L’arrêtai-je en insérant mon pied dans l’étrier.

— Qu’est-ce que tu fais ?

— Ça se voit, non ? Je monte dessus ! lâchai-je en grimpant tant bien que mal sur la selle.

— Mais il n’est pas à toi !

— Et alors ?

— C’est du vol !

— Seulement s’il appartient à quelqu’un. Or il n’y a personne d’autre que nous dans le coin. Et ça n’est pas toi qui voulais arriver le plus vite possible au donjon des mystères ?

— Si, mais…

— Allez, dépêche-toi ! J’aimerais bien y être avant la fin de la nuit et roupiller un peu, surtout si on doit combattre des monstres.

— Je ne suis pas sûre… bredouilla la lutine tout en me tendant néanmoins le bras. Tu ne trouves pas qu’il nous regarde bizarrement ?

— Mais non, c’est qu’un canasson ! Et je la tirai derrière moi. De façon surprenante c’est assez confortable, repris-je une fois bien installés en saisissant les rênes.

— Et maintenant, demanda au bout d’un long moment d’immobilité Séraphine.

— Je ne sais pas, avouai-je. Je n’ai toujours pas appris à conduire ces engins…

— Essaie quelque chose !

— Hue cheval ! » Tentai-je, mais sans résultat.

Face à l’absence totale de réaction de notre monture, je lui donnai des coups de talons comme je l’avais déjà vu faire par des humains. Il ne s’en émut pas plus.

« C’est bien notre chance, un canasson qui avance pas ! pestai-je.

— C’est sans doute pour ça qu’il a été abandonné…

— Ouais, bah c’est pas ça qui va nous amener au donjon des mystères… »

Sans que je n’aie fait le moindre geste, l’animal bondit soudain en avant, nous jetant presque à terre tant son départ fut brusque. En un rien de temps, il passa du simple trot au galop.

« Qu’est-ce qui arrive ? hoquetai-je. Pourquoi il s’est élancé d’un coup ?

— J’ai l’impression que c’est parce que tu lui as donné notre destination, supposa mon amie.

— Tu veux me faire croire que ce canasson a compris ce que j’ai dit ?

— Ça me rappelle une légende d’ailleurs. C’est celle d’un cheval qui apparaît en pleine nuit aux voyageurs fatigués. Lorsqu’ils l’enfourchent, l’animal part et ne s’arrête qu’au petit matin. Là, il jette à terre son cavalier et le piétine à mort…

— Dans ton histoire, ils précisaient si ses yeux émettent une lueur ?

— Oui, effectivement. Tu la connais ?

— Non, mais regarde ! » fis-je en pointant du doigt la tête de notre monture. Mon amie se pencha sur le côté et constata le phénomène étrange. Ses yeux brillaient, répandant sur plusieurs mètres devant lui, une lumière diffuse, mais bienvenue.

« Du coup, on n’a plus qu’à attendre ! lançai-je ravi, même si l’allure effrénée du cheval m’obligeait à me cramponner à la selle.

— Attendre ? s’exclama aussitôt la lutine qui elle s’agrippait à moi sans paraître plus à l’aise.

— Ben oui ! Il va nous conduire au donjon. C’est bien ce que tu voulais, non ?

— Il va surtout nous piétiner à mort ! Il faut absolument qu’on trouve une solution pour descendre de là sans finir en compote sous ses sabots.

— Et on fait ça comment ?

— Je suis presque certaine qu’il y avait un moyen de l’arrêter… réfléchit Séraphine. Ça y est, je me souviens ! Ils disaient qu’on devait lui donner une “rançon du voyage”.

— Qu’est-ce que ça veut dire ?

— Jette-lui une pièce !

— Quoi ? Non, mais ça va pas ? Pas question que je jette de l’argent à un canasson !

— Même si ça peut t’éviter de mourir écrabouillé ? »

Je ne répondis pas, me contentant de grogner de façon sonore pour indiquer ma désapprobation. En parallèle de quoi, une main toujours agrippée à la selle pour ne pas risquer d’être éjecté du dos de notre monture, je délassai la bourse de ma ceinture. J’attrapai alors une piécette, hésitai une seconde, et la lançai en avant du cheval. S’il la vit, il ne fit pas mine de s’y intéresser et poursuivit sa folle course au cœur des monts roussis.

« Je le savais que ton idée était stupide ! lâchai-je énervé de cette perte inutile.

— Tu lui as jeté quoi ?

— Une pièce de cuivre.

— Une pièce de cuivre, c’est tout ? Tu crois vraiment qu’une simple pièce de cuivre suffirait à le satisfaire ?

— Quoi, je vais quand même pas jeter une pièce d’or ! … Non, il n’en est pas question !

— Dépêche-toi, je commence à avoir la nausée à force d’être ballottée dans tous les sens… »

À contrecœur, j’obtempérai. En essayant de ne pas trop y penser, je saisis une pièce d’or entre deux doigts et, fermant les yeux, l’envoyai à la suite de la première.

L’animal courait toujours.

« Lances-en une autre ! » M’obligea la lutine.

Une deuxième pièce d’or quitta le giron de mon escarcelle pour finir sous les sabots de notre destrier fou. Une troisième rejoignit bientôt les précédentes, puis une quatrième…

« Stop ! hurlai-je tandis que Séraphine me conjurait d’en abandonner une nouvelle. Il n’est pas question que je lance une pièce de plus ! Tu n’as qu’à trouver un autre moyen de l’arrêter !

— Il y avait bien une seconde manière de faire… annonça-t-elle après un temps de réflexion agité par les soubresauts du cheval démoniaque.

— Qu’est-ce que c’était ?

— Si je me souviens bien, il est possible de s’en sortir si on lui présente une “croix de sorcier”.

— Une “croix de sorcier” ? Qu’est-ce que c’est ?

— C’est un bijou en forme de croix que les sorciers utilisent pour prendre possession de toute créature vivante. Les êtres maléfiques en ont une peur bleue ; ils pourraient être forcés de faire de bonnes actions.

— Et t’en as une ?

— Non, mais peut-être que je peux créer une illusion ! Mais il me faudrait un petit objet sur lequel lancer mon sort, comme un médaillon, une pièce…

— Ou une broche ? fis-je à tout hasard.

— Oui… Non ! Pas ma broche !

— Tu viens de me faire jeter cinq pièces, maintenant c’est à ton tour ! »

Comme moi quelques minutes plus tôt, elle émit un long grognement d’insatisfaction, mais finit par se résigner. Avec précaution, elle me lâcha et je la sentis dans mon dos s’agiter. Elle était certainement en train de dégrafer la broche dorée que nous avions récupérée le matin même dans la bourse de Karl le brigand. Puis, je l’entendis prononcer ce qui devait être une formule dans un langage que je ne comprenais pas.

« Faites que ça marche » l’entendis-je murmurer derrière moi, et elle lança le bijou transformé devant la tête du cheval.

L’effet fut immédiat et brusque. Notre monture se cabra en apercevant l’objet, nous jetant à terre. Enfin, pris de panique, elle repartit au galop, nous laissant ainsi, le nez dans la poussière rouge.

« Est-ce que tu repères ma broche ? Me demanda pleine d’espoir Séraphine après que nous nous soyons relevés.

— Tiens, qu’est-ce que c’est ça là-bas ?

— Tu l’as retrouvée ? »

Mon amie abandonna le sol du regard et vint s’installer à côté de moi. Je pointai le doigt devant moi. Au loin, le soleil se levait, dispensant sa faible lueur sur Ohorat, nous dévoilant une immense tour à quelques pas de nous.

Lien vers le commentaire
Partager sur d’autres sites

  • 2 mois après...

Chapitre 5 : Le donjon des mystères


 

« Je le crois pas ! Cet enragé de canasson a fini par nous conduire à destination ! M’étonnai-je.

— J’ai l’impression que le cheval Mulet vous a fait passer un sale quart-d’heure ! » Lança une voix tandis que nous approchions, quelque peu fourbus.

Un vieil homme était là, que nous n’avions pas vu plus tôt. Il se tenait assis sur un rocher. Ses mains reposaient sur une canne qu’il tenait droite devant lui. Celle-ci semblait n’être qu’une branche ramassée au hasard. Un nœud constituait le pommeau et un bois à la courbure prononcée, la canne. Malgré sa rusticité, une certaine épaisseur attestait de sa solidité.

Le vieillard était à l’image de sa canne. La simplicité le définissait. Il portait pour tout habit un caleçon long gris, une chemise blanche trop large pour son corps émacié et une paire de savates noires.

« Le quoi ? Demandai-je sans m’étonner de sa présence.

— Mais oui, c’est ça ! S’exclama Séraphine sans permettre à l’homme de s’expliquer. Le cheval Mulet ! C’était ça le nom de cette créature démoniaque ! Je connaissais son histoire, mais impossible de retrouver son nom.

— Je comprends mieux, reprit le vieillard. Vous saviez comment l’arrêter. C’est qu’il n’y en a pas beaucoup qui survivent ! Mais une fois qu’on sait qu’il suffit de lui jeter cinq objets pour qu’il stoppe sa course, il peut devenir une monture très efficace au quotidien. Même s’il pourrait faire quelque chose pour éviter ce largage… finit-il en se massant le postérieur d’un air entendu.

— Attendez, quoi ? Vous venez de dire qu’il suffisait de lui jeter cinq objets ?

— C’est cela.

— Cinq objets, quels que soient ces objets ?

— Oui, bien sûr.

— Des billes, des fléchettes, des boutons… ?

— Des pennes de flèches ou des cailloux, oui.

— Des pièces de cuivre, des pièces d’or ?

— Il faudrait être incroyablement riche, ou complètement stupide pour jeter au cheval Mulet de l’argent dont il n’a que faire ! Confirma le vieillard et je me tournai vers mon amie qui tentait de se faire toute petite.

— Et sinon, dit-elle pour détourner la conversation, vous venez ici souvent ?

— Assez oui. C’est un peu comme si je vivais ici. J’aime venir m’installer sur les hauteurs et observer le paysage. »

Il reporta ses yeux si fins qu’ils semblaient fermés, sur le panorama et je l’imitai.

Surréaliste ! Voilà le premier mot qui me vint à l’esprit en observant avec attention pour la première fois le bâtiment. Elle s’élançait haut vers le ciel telle la cheminée d’une forge naine. La pierre ocre-rouge avec laquelle elle avait été érigée s’inscrivait de manière impeccable dans le paysage, car elle était plantée au bord d’une falaise qui plongeait vers le désert d’Ecroth. Une impression de malaise s’en dégageait.

Carrée, elle mesurait une vingtaine de mètres de côté, et d’après les rares ouvertures qui donnaient sur l’extérieur, elle devait compter cinq ou six étages. Au rez-de-chaussée, le seul accès visible était matérialisé par une vulgaire porte en bois au loquet rond et métallique. Pas le moindre indice ne transpirait quant à la nature de ce qui nous attendait à l’intérieur.

Ce donjon portait bien son nom.

« La vie c’est comme une boîte de chocolats, on ne sait jamais sur quoi on va tomber ! » dis-je pensif en m’avançant jusqu’au bord du talus où nous nous tenions.

La construction s’élevait à une centaine de mètres, en contrebas par rapport à nous.

« Et pour sûr, tu t’y connais en boîtes de chocolat », reprit Séraphine d’un ton empreint d’ironie en s’immobilisant à son tour près de moi. Je repérai sur son visage un air de dégoût face au paysage.

— Pour ta gouverne, si je suis courtaud ça n’a rien à voir avec mon côté gourmet, répondis-je en retournant à ma sinistre contemplation. Si je suis ainsi c’est uniquement parce que je suis un nain !

— Alors t’es un nain maintenant ? Je croyais que t’étais un elfe ?

— Je suis un elfe-nain : j’ai hérité de la classe des elfes et de la carrure athlétique des nains.

— Ben voyons… Elle leva les yeux au ciel. Et sinon, peut-on savoir d’où t’es venue cette réflexion philosophique ?

— Ça me paraissait approprié vu ce qu’on s’apprête à faire.

— Quoi ? Pénétrer dans un donjon ?

— On ne va pas seulement pénétrer dans un donjon ! C’est le début d’une merveilleuse aventure qui pourrait nous conduire à la gloire !

— Tiens donc ! Maintenant c’est devenu « une merveilleuse aventure » ? Toi qui renâclais à venir, quel changement !

— Je ne reniflais pas ! J’avais faim !

— Et ça n’est plus le cas ?

— Disons que la puanteur des lieux a mis mon estomac au repos. »

J’observai la tour. Son pourtour sentait la mort. Pas un brin d’herbe visible. À la place, on distinguait par-ci, par-là des cadavres en état plus ou moins avancé de décomposition. L’un d’eux semblait d’ailleurs fraîchement tombé. Du moins, les couleurs criardes de ses vêtements ressortaient sur le sol désolé. Son corps lui, ne se composait plus que d’ossements d’un blanc surréaliste. Comme s’ils avaient été récurés.

« À la bonne heure ! Souffla mon amie. N’empêche, je ne pense pas que “merveilleuse” soit le terme qui convienne le mieux à cette aventure. Et plutôt que la gloire, elle pourrait nous amener tout droit vers la mort. Faut pas négliger le fait qu’on risque de se retrouver nez à nez avec d’horribles monstres ou des criminels en tous genres, et je ne te parle même pas des pièges tant magiques que mécaniques forcément présents et disséminés un peu partout.

— On dirait que c’est toi maintenant qui renifle à y aller !

— Renâcle !

— Peu importe. N’oublies pas les fabuleux trésors qu’on pourrait y découvrir !

— Darken a mentionné une salle remplie d’or et de pierres précieuses uniquement pour appâter les crédules. Personne ne nous dit que cette salle existe bel et bien ; personne n’en est jamais revenu vivant pour en témoigner.

— Justement, si nous réussissons là où tous les autres ont échoué, nous deviendrons de véritables héros ! Les gens salueront notre force et notre courage…

— Ça, c’est si nous en sortons, et pas les pieds devant, cela va de soi.

— Par ma barbe…

— Tu n’en as pas !

— … Aurais-tu peur ?

— Disons plutôt que, comme tu l’as si joliment fait remarquer, nous n’avons pas la moindre idée de ce qui nous attend une fois à l’intérieur.

— J’ai fait ça, moi ?

— Donc je réfléchis simplement au gain que nous pourrions en tirer par rapport au danger que cela représente, et je me demande si cela en vaut vraiment la peine.

— Qu’est-ce que nous risquons ?

— De perdre la vie par exemple !

— Oui, mais à part ça ?

— De finir au fond d’un précipice hérissé de piques, de se faire dévorer par un groupe de gobelins cannibales, d’être coincés dans un labyrinthe, incapables de retrouver la sortie, et on aura tellement faim qu’on s’entre-tuera, moi en te broyant les os avec mon sort de force et toi en m’empalant sur la lame de ton épée…

— T’arrives à dormir la nuit ?

— Oui, pourquoi ?

— Non, comme ça… Mais alors comment on fait pour entrer dans ce donjon en diminuant les…

— Les chances d’être zigouillé par le regard meurtrier d’un basilic ?

— J’allais dire, les imprévus…

— Oh ! Pour commencer, il faudrait qu’on recrute un spécialiste pour détecter les traquenards, crocheter les serrures, ouvrir les coffres sans déclencher les pièges…

— Mais non ! Pour ça, je suis là ! déclarai-je bombant le torse.

— Ah oui, c’est vrai… Séraphine me toisa des pieds à la tête, l’air incrédule. T’es sûr de toi ? Parce que t’es quand même un nain !

— Et j’ai les doigts habiles d’un elfe !

— Et la discrétion d’un nain ! insista-t-elle. Un géant des montagnes passerait inaperçu dans une boutique de potions comparé à toi.

— Toute façon, ça sert à rien d’être furtif dans un donjon ! Tu l’as dit toi-même, ce qu’il faut c’est être assez adroit pour désamorcer des pièges et déverrouiller des serrures, et moi, c’est mon domaine ! »

Séraphine souleva un sourcil sceptique.

« Admettons… Mais alors c’est quoi ça ? demanda-t-elle en pointant du doigt ma hanche.

— Ben, c’est mon épée ! dis-je en la tirant de son fourreau.

— Oui, merci, je sais ce que c’est qu’une épée ! Non, ce que je tente de comprendre c’est pourquoi tu en as une si tu es un escamoteur ?

— J’suis un guerrier-escamoteur !

— Moi, j’ai déjà du mal à me concentrer sur une unique discipline, et toi tu joues sur deux tableaux ?

— À la base moi ce que je voulais c’était être serrurier, avouai-je presque honteux. Mais mon père espérait que je devienne un combattant comme lui, alors pour lui faire plaisir j’ai fait quelques entraînements à l’épée.

— Quand tu dis “quelques entraînements”, tu en as fait combien au juste ?

— J’en ai fait un, et encore pas en entier parce que quand j’ai dégainé mon arme je me suis filé un coup dans le nez et je suis tombé dans les pommes !

— C’est pas gagné… Bon, passons. Nous aurons également besoin de quelqu’un pour guérir nos blessures.

— Tu peux pas le faire ? »

Mon amie me regarda interdite. On aurait dit que j’avais proféré la pire insulte qui soit.

« Je suis une magicienne…, fut sa seule réponse, comme si cela réglait la question.

— Donc tu peux lancer des sorts de soin ? insistai-je profane en la matière.

— Non ! Sinon on n’aurait pas besoin d’un guérisseur !

— D’accord… fis-je sans avoir vraiment saisi. Et avec tes pouvoirs, tu ne pourrais pas nous dire ce qui se cache à l’intérieur de la tour ?

— Je ne suis ni une devineresse ni un oracle, dit-elle de manière sèche et définitive.

— Mais, tu ne peux même pas faire ce truc avec ce machin ? (Je sentis à son regard interrogateur que je devais préciser ma pensée.) Tu sais, comme elles font ces bonnes femmes qui te chopent dans la rue et qui te lâchent jamais ? Elles te disent qu’elles ont aperçu des choses dans leur espèce de boule de gomme.

— Je suppose que tu veux parler des voyantes et de leur boule de cristal ?

— Ah ben ça je ne sais pas, ça dépend du matériau utilisé pour la fabriquer.

— Que ce soit bien clair : je ne suis ni une voyante, ni un augure, ni une prophétesse. Je ne reçois aucun message des dieux, je ne peux pas lire dans une boule de cristal ni dans les feuilles de thé… Je suis une magicienne ! s’emporta-t-elle.

— J’ai compris, c’est bon, on se calme ! Ben, tu devrais peut-être essayer les feuilles de thé quand même, ça te déstresserait un peu ! D’accord, donc l’expert en chausse-trappes et verrous on a ! récapitulai-je.

— C’est toi qui le dis…

— Il nous manquerait un doc, et quoi d’autre ?

— Si on part du principe que tu joues aussi le rôle du guerrier, avec moi en tant que magicienne, ça serait déjà un début… Mais, j’y pense… Vous n’auriez pas croisé un groupe d’aventuriers venu conquérir le donjon par hasard ? Questionna-t-elle le vieil homme resté tout entier à sa contemplation.

— Oh, des aventuriers, ça n’est pas ce qui manque dans ce coin ! Pourriez-vous être plus précise ?

— Eh bien, nous estimons qu’ils ont dû arriver hier dans l’après-midi. Il devait y avoir un mage pas très grand, avec une longue barbe blanche parmi eux. Et un humain à l’air écervelé.

— Ah ! Je vois de quel groupe vous voulez parler ! Ils sont entrés dans le donjon il y a à peine une heure je dirais. »

Avec une vigueur insoupçonnée, Séraphine se retourna vers moi. Ses yeux scintillaient, pleins d’espoir.

« Dépêchons-nous alors ! Si nous pouvons les rattraper, cela devrait largement diminuer les « imprévus » ! Lança-t-elle prête à partir sus au donjon.

— Si j’étais vous je me méfierai… » lança le vieillard.

La lutine ne fit pas un pas de plus et se retourna.

« Pourquoi dites-vous cela ?

— Voyez par vous-mêmes ! »

Il leva sa canne et la pointa en direction de la porte d’entrée de la tour.

« Quoi ? Qu’est-ce qu’elle a cette porte ? Demandai-je sans comprendre.

— Je crois que ce n’est pas la porte qu’il faut regarder, m’interrompit Séraphine. Avant la porte…

— Hein ? C’est rien qu’un vieux cadavre tout desséché !

— Et ça ne t’intrigue pas ? Et cette odeur fétide, d’où est-ce qu’elle peut bien venir ? »

Mon amie et moi laissâmes le vieil homme sur son caillou et descendîmes au niveau du donjon. Une centaine de mètres à peine nous séparaient encore de lui.

Séraphine s’apprêtait à aller examiner la carcasse ensablée.

« Attends ! Criai-je aussitôt. La nature du sol n’est pas la même à partir de là. Je pointai la zone juste devant la lutine et jusqu’à la tour. C’est aussi à partir d’ici que commence vraiment cette infection.

— Oui, je vois. Ça sent la magie à plein nez !

— Ça sent plutôt l’œuf pourri si tu veux mon avis.

— Il faudrait qu’on arrive à déterminer comment agit le sortilège, réfléchit la lutine à voix haute. Jette quelque chose !

— Ah non ! Tu ne vas pas recommencer ! M’emportai-je au souvenir de l’argent abandonné durant la nuit.

— Mais non. Tiens, prends cette pierre et jette-la par là. »

J’exécutai la manœuvre : je ramassai la pierre désignée et la lançai en direction du corps décomposé. Rien.

« Bon. Au moins, on sait qu’on peut pénétrer dans la zone sans risquer de recevoir la foudre ou une météorite sur la tête. Donc cela signifie que c’est autre chose qui a tué ces pauvres bougres… »

Soudain, mon amie s’attrapa la tête dans les mains. Son visage d’ordinaire hâlé venait de virer au blanc.

« Ça ne va pas Séri ? M’enquis-je.

— C’est bizarre, mais je me sens soudain nauséeuse… Je comprends ! Ça n’est pas la zone qui tue, mais l’odeur ! Vite, il faut trouver un moyen pour qu’elle ne nous atteigne plus ! L’idéal serait un parfum plus fort pour la couvrir.

— Tiens, essaye ça », dis-je en lui tendant un bout de tissu sorti tout droit de mon sac de voyage.

D’une main ferme elle plaqua le textile sur son nez et sa bouche.

« Oh, mais quelle horreur ! Qu’est-ce que c’est ?

— Mes chaussettes.

— C’est pire que tout !

— C’est ce que tu voulais, non ? De quoi masquer la puanteur de la zone.

— Oui, mais l’idée c’est quand même d’en ressortir vivant !

— Allez, ça n’est pas si atroce que ça. »

Tous deux affublés de notre chaussette sur le visage, nous traversâmes l’étendue qui nous séparait du donjon. Enfin, nous atteignîmes la porte. Comme par enchantement, la pestilence disparut.

« Je trouve qu’on se débrouille pas mal tous les deux ! Fis-je ravi d’avoir évité notre premier piège.

— Avant de te jeter des fleurs, je te ferai remarquer que nous n’avons même pas encore franchi la porte ! Grogna la lutine en m’envoyant ma chaussette à la figure.

— N’empêche que moi, cette petite odeur n’a pas failli me tuer !

— Sans doute que tu as tellement l’habitude de vivre dans la puanteur que cela ne t’affecte plus.

— Euh, excusez-moi ! »

Séri et moi nous retournâmes.

Un homme, un paladin à en juger à son armure de plates et à son épée longue qui pendait à son côté, se tenait derrière nous. Il finissait d’ôter le foulard qui lui avait permis d’arriver jusque-là sans tourner de l’œil. D’un rouge pâle, il exhalait une puissante odeur parfumée. J’imaginai une jeune humaine le remettre à son fiancé en guise de preuve de son amour.

« Vous permettez ? J’ai un donjon à conquérir ! Lâcha-t-il simplement.

— Mais je vous en prie ! »

Nous nous écartâmes. Il passa. Sûr de lui, il fit tourner la poignée de la porte et s’engagea dans la bâtisse. Il n’eut pas l’occasion d’y poser son deuxième pied.

Une sphère enflammée de la taille d’un boulet de canon se précipita sur lui. Elle lui explosa à la figure, à la suite de quoi des projections incendiaires fusèrent en tous sens. Malgré son équipement, le feu se faufila jusqu’à ses vêtements qui s’embrasèrent. Les bras en l’air, il se mit à courir autour de nous, hurlant de douleur. Puis, dans un élan de lucidité, il se jeta au sol et se roula dans la poussière pour tenter d’éteindre le brasier.

« Tu vois, si on avait eu un guérisseur on aurait pu l’aider, me dit avec un flegme incroyable Séraphine.

— Je savais pas qu’ils piégeaient aussi les portes d’entrée dans les donjons… »

Lien vers le commentaire
Partager sur d’autres sites

  • 3 semaines après...

Chapitre 6 : Nabot le ninja


 

« C’est étrange…

— Je ne te le fais pas dire. Qui aurait pensé qu’un humain grillé aurait la même odeur qu’un cochon passé à la broche ?

— Mais non ! Le piège était amorcé, or nous savons que Darken et son groupe sont entrés dans le donjon il y a un peu plus d’une heure.

— Et alors ?

— Il y a quelqu’un qui a remis ce piège en marche entre le moment où ils sont passés et notre arrivée…

— Ou alors ils sont entrés par une autre porte !

— Oh ! Oui, tu as sans doute raison. Sinon, cela impliquerait que le maître du donjon n’est pas loin…

— Bon alors, qu’est-ce qu’on fait ?

— Quoi, qu’est-ce qu’on fait ? On entre bien sûr ! »

Séraphine avait décrété cela en jetant un œil au paladin calciné. Durant la folie qui l’avait étreint il s’était jeté dans le sable de la zone empoisonnée par la magie et avait fini par s’éteindre. Difficile de savoir du feu ou de la puanteur ce qui l’avait tué.

Sur le dos, ses yeux hagards fixaient dans une immobilité définitive le ciel. Les parties de son corps non recouvertes par son armure avaient noirci et s’étaient craquelées, donnant l’impression d’une peau de dragon.

Maintenant, le maléfice semblait faire son œuvre. Les effluves mortelles s’agglutinèrent autour de son corps. Invisibles jusqu’à présent, leur extrême concentration les rendit tangibles. Telles de l’acide, elles mangèrent la chair, les muscles, les organes, jusqu’à la moelle de l’homme. Ne resta bientôt plus que les os d’une blancheur surréelle. Et elles s’évaporèrent de nouveau. Mais, même sans les voir je sentais toujours leur présence.

Je détournai les yeux et reportai mon attention vers l’intérieur de l’édifice. Face à l’entrée se dressait un mur. Idem sur la gauche. Nous étions ainsi contraints de prendre à droite. De façon circonspecte, je me penchai par l’embrasure de la porte.

Notre unique possibilité ressemblait à un simple corridor qui bifurquait après une dizaine de mètres sur la gauche.

« Tu es sûre de toi ?

— Que fais-tu de ton rêve de gloire et de célébrité ?

— Bah, ça pourra attendre demain !

— Certainement pas ! Allez !… »

En disant cela, mon amie fit un premier pas dans le donjon, non sans avoir au préalable examiné chaque recoin de la porte. D’un pas léger elle posa son pied sur une dalle en terre rouge. Elle attendit quelques secondes qu’aucun « clic » ne retentisse et finit par pénétré toute entière.

« Allez, viens ! Me sermonna-t-elle.

— S’il faut faire attention à chaque pas que l’on fait, on n’est pas sorti ! Grognai-je.

— T’es pressé ?

— Ben, j’ai toujours pas mangé !

— Je croyais que tu n’avais plus faim ?

— Ça, c’était à cause de la puanteur dehors, mais maintenant, mon estomac a retrouvé l’appétit. »

Comme pour valider mes propos, un gargouillis sonore se fit entendre.

« Si tu pouvais dire à ton ventre de faire moins de bruit, cela nous faciliterait peut-être la tâche.

— Ça n’était pas le mien ! Protestai-je.

— Si ça n’était pas le tien, c’était celui de qui ? »

Sa question resta en suspens tandis que nous cherchions à percevoir le moindre mouvement nous alertant d’un danger. Mais pour l’heure, rien ne semblait bouger.

Nous finîmes par nous décider à avancer. Consciencieusement Séraphine appuyait du bout de son bourdon sur chaque dalle devant nous. De mon côté, j’avais tiré mon épée et moulinais dans le vide. L’un comme l’autre nous efforcions de détecter les pièges. Nous n’avions clairement pas envie de finir carbonisés comme un certain paladin. Pour l’heure, nous n’avions pas déniché le moindre petit mécanisme qui pourrait nous causer une funeste blessure.

« Si j’avais su que c’était aussi fatiguant de partir à l’assaut d’un donjon, je me serais davantage entraîné ! Décrétai-je au bout d’un moment en cessant mes gesticulations pour souffler.

— Et ce n’est que le début, m’annonça la lutine. Regarde ! »

Je me retournai. Nous n’avions parcouru en tout et pour tout que trois mètres.

« Bon, je pense qu’il faut changer notre technique !

— Où est-ce que tu vas ? »

Sans explication, je revins sur nos pas et sortis du bâtiment. Un coup d’œil à gauche puis à droite, je repérai ce dont j’avais besoin. Je pris une profonde inspiration, retins mon souffle et m’élançai. En deux enjambées je me retrouvai au niveau du paladin. Encore quelques autres et j’atteignis un second cadavre, puis un troisième. Bientôt, je pus revenir sur le seuil du donjon et retournai à l’intérieur.

« Mais qu’est-ce que tu as fait ? »

Mon amie n’avait pas bougé d’un pouce pendant mon absence.

« Et qu’est-ce que c’est que tout ça ? »

Les bras chargés de pièces d’armures et d’ossements humains et autres, j’allai de nouveau me planter à côté d’elle.

« Tu vas voir. »

Tout en disant cela, je balançai mon pesant chargement le plus loin possible devant nous. Puis, avant que l’ensemble n’ait eu le temps de retomber, je tirai Séraphine par l’épaule et nous nous allongeâmes face contre terre sur le sol. Les mains par-dessus la tête, nous attendîmes patiemment que tout mouvement cesse. Enfin, nous levâmes les yeux et contemplâmes mon œuvre.

Des crânes, des tibias et autres os jonchaient le dallage. De la même manière, des heaumes, genouillères ou cubitières s’étaient répandus dans l’ensemble du couloir.

« C’est bon, tu es content ? Maintenant tout le monde est au courant que nous sommes là ! Gronda la magicienne.

— Vu les cris d’agonie de l’autre tout à l’heure, tout le monde le savait déjà, répliquai-je.

— C’est pas faux.

— Au moins on est sûrs qu’il n’y a pas de piège dans cette zone ! Lançai-je fier de moi.

— C’est une façon de faire qui ne manque pas d’originalité.

— Je vais prendre ça pour un compliment. Allez, on peut avancer. »

Nous nous remîmes sur nos pieds et marchâmes quelques mètres de plus. Là, le corridor marquait un tournant sur la gauche.

« Attends ! Et j’indiquai à Séraphine de s’arrêter.

— Quoi encore ? Ne me dis pas que tu comptes à nouveau lancer tout ton fatras ?

— Chut ! M’insurgeai-je à voix basse en approchant à pas feutrés de l’angle.

— On peut savoir ce que tu fais encore ? Retenta mon amie d’un ton plus bas.

— Je vais essayer de voir si personne ne nous attend au coin, murmurai-je.

— Et explique-moi pourquoi tu te mets à quatre pattes ?

— C’est évident ! Si quelqu’un est prêt à nous cueillir, il aura les yeux rivés vers le haut et ne se rendra pas compte que je l’observe par en bas. C’est une technique que j’ai lu dans Nabot le ninja !

— Tu es au courant que c’est un livre de fiction ? Il n’y a jamais eu de nain ninja dans toute l’histoire d’Ohorat ! »

Je ne pris pas la peine de répondre à mon inexpérimentée d’amie et avançai la tête. Doucement. Tout doucement.

« Et que fais-tu s’il s’agit de quelqu’un de petite taille ? »

La lutine finissait à peine sa question que je me retrouvai nez-à-nez avec une créature à l’air amphibien. Surpris, je me jetai en arrière, évitant de justesse sa langue de grenouille. Sur les fesses, je reculai aussi vite que cette position inconfortable me le permettait.

« Attention à sa langue ! » Cria Séraphine.

Tandis que je cherchais à m’éloigner, l’organe buccal s’élança à nouveau dans ma direction. Il allait m’atteindre. Quand il rencontra juste avant d’impacter ma joue, le heaume du paladin calciné que mon amie avait eu la brillante idée de jeter.

Je me remis sur pieds et m’installai, épée en main, au côté de Séraphine. Elle, tenait son bourdon tendu devant elle.

Pendant que la créature était occupée à mastiquer, sans doute pour faire passer la douleur, je l’observai. Menue, sa taille avoisinait celle d’un chat. Sa posture quant à elle, rappelait celle d’une grenouille. Pourtant elle portait sur le dos une carapace à l’image d’une tortue et possédait un bec tel un oiseau. Dernière caractéristique qui me frappa : son crâne se présentait creux et entouré de cheveux noirs d’encre. Dans la cavité crânienne se mouvait un liquide à l’air aqueux.

« Qu’est-ce que c’est que ce machin ? Pestai-je à l’instant où elle terminait de se remettre du coup reçu.

— Il me semble qu’il s’agit d’un kappa. Un monstre des marais réputé pour attirer toute créature dans l’eau afin de la noyer.

— Alors on n’a rien à craindre : il n’y a pas l’ombre d’une étendue d’eau dans le coin !

— Elle a également la capacité de paralyser avec sa langue et adore ensuite dévorer ses victimes alors qu’ils sont encore conscients

— Oh… »

Soudain, le batracien bondit. D’une seule impulsion il parcourut les trois mètres qui nous séparaient de lui. À nouveau pris au dépourvu, je ne réagis que trop tardivement lorsque sa langue s’échappa de sa bouche dans ma direction. Par chance, mon amie parvint à me pousser juste à temps pour que l’attaque rate. Qu’à cela ne tienne, le kappa n’avait pas dit son dernier mot. Sa langue rangée, il sauta sur Séraphine qui tomba à la renverse. Aussitôt il en profita pour venir lui griffer le visage.

Je décidai d’intervenir. L’épée maintenue fermement à deux mains, je tranchai l’air horizontalement. Mon coup n’eut pas l’effet escompté. Ma lame rencontra la carapace du monstre. J’aurais frappé dans une pierre que le résultat aurait été le même : je ne parvins pas à briser son armure naturelle. Néanmoins, le choc l’éloigna de ma compagne d’aventure qui, libérée, put se relever.

Cependant, le kappa ne nous laissa pas de répit. Utilisant la puissance de ses pattes arrières, il bondit une nouvelle fois et atterrit dans mon dos. À peine venais-je de tourner les talons, que l’animal me lançait ses membres postérieurs dans les reins. La violence de son offensive me renvoya à terre. J’aperçus sur le côté Séraphine tenter une attaque directe avec son bâton de mage, mais il s’était déjà envolé vers une autre position.

Furieux d’être ainsi malmené par une si petite créature, je saisis un tibia qui traînait sur le sol à portée et le lançai. Comme j’aurais pu m’y attendre, l’os ne rencontra que l’air. Le kappa changeait de place plus vite qu’une puce d’hôte.

« Est-ce que tu aurais une idée par hasard de comment nous débarrasser de ce truc ? Questionnai-je sans détourner mon attention de notre adversaire toujours en mouvement.

— Sauf erreur, il faut que nous parvenions à lui faire baisser la tête.

— Oh, tu veux qu’il se tire la langue dessus et qu’il se paralyse lui-même ? Bonne idée !

— Mais non ! Il faut faire en sorte que tout le liquide qu’il a sur le crâne tombe. Car c’est la source de sa vitalité.

— Quoi, cette substance qui a l’air toute visqueuse ?

— Oui.

— Et comment veux-tu que nous fassions si nous n’arrivons même pas à le toucher ? »

Tandis que j’interrogeai la lutine, le kappa s’élançait encore. Une envolée à droite, un saut à gauche, devant, derrière… Il n’essayait pas de nous attaquer, se contentant de nous faire tourner en bourrique.

Dans le même temps, je taillais de ma lame en tous sens. Je n’affrontais que le vide.

Séraphine ne rencontrait pas plus de réussite. Une main tendue en avant, son bourdon dans la deuxième, elle jetait de petits sorts qui explosaient à un rythme soutenu. Pourtant, rien ne semblait pouvoir atteindre l’animal sauteur.

Quand soudain, je partis à la renverse. Agacé par la situation, je n’avais pas prêté attention à la jambière qui gisait sur le sol. Reculant, je m’étais pris les pieds dedans. Dans ma chute je lâchai mon arme qui, par un hasard qui n’arrive qu’une fois dans sa vie, alla heurter la créature en train de bondir. Touchée au menton, elle pencha la tête de côté avant de retomber sur les dalles. Une infime portion du liquide présent sur son crâne s’échappa alors. Il n’en fallut pas plus.

Le kappa hésita une seconde, mais finit par reprendre sa danse aérienne, avec une intensité bien moindre. Il semblait d’un coup complètement impuissant. Ses bonds avaient perdu en vigueur. Il ne parvenait plus à passer par-dessus nos têtes et se contentait de nous esquiver de côté. De la même manière, ses mouvements se faisaient plus lents. Sa langue qui sortait de temps à autres cherchant à nous tétaniser, ne parvenait plus à me surprendre. Malgré mes déplacements un peu lourdauds, j’esquivais l’organe sans plus de difficulté.

Séraphine et moi nous regardâmes d’un air entendu. Nous retrouvions espoir.

Nous repartîmes à l’assaut. Mon amie prit l’initiative de l’offensive. Sa magie éclatait de plus belle tout autour du malheureux batracien. Bientôt, il se retrouva acculé contre un mur. Il chercha bien à s’échapper de ce traquenard, mais chacune de ses tentatives se soldait par une nouvelle charge surnaturelle.

Et son énergie se déversait petit-à-petit hors de son contenant.

Je profitai du fait qu’il soit coincé. Je pris un humérus à deux mains. Un peu d’élan. Je le frappai de toutes mes forces. Il reçut l’attaque en plein bec. Assommé, il s’effondra tandis que les dernières gouttes de sa vitalité se répandaient sur le sol froid.

Au-dessus de lui, j’attendis encore quelques secondes pour m’assurer qu’il ne nous causerait plus de soucis.

« Voilà une bonne chose de faite ! Lançai-je ensuite en me débarrassant de ma matraque. Finalement, il n’était pas si redoutable que ça !

— Dit-il alors qu’il a failli mourir dévoré

— Oui, bah comment je pouvais savoir qu’il pouvait paralyser avec sa langue ? D’ailleurs, comment tu connais tous ces trucs sur les monstres ?

— Je lis des livres, moi !

— Quoi ? Moi aussi ! J’ai lu toute la série des Nabot le ninja ! C’est très instructif. J’ai appris plein de choses grâce à lui.

— Oui ben la prochaine fois, garde tes techniques pour toi…

— Au fait, ton Darken et ses petits copains, ils ne sont finalement pas si forts que ça ! Sinon, comment expliques-tu qu’ils aient laissé s’enfuir une grenouille ?

— Peut-être parce qu’ils en avaient déjà tué deux douzaines ? »

Je ne compris pas de suite ce que voulait dire la lutine. Parti récupérer mon épée, je ne la rejoignis qu’une fois après avoir tourné à l’extrémité du corridor.

« Par tous les nains ! »

Je demeurai bouche-bée devant le spectacle qui se présentait à nous. Comme l’avait indiqué mon amie, une vingtaine de kappas gisait là. Cependant, impossible de savoir précisément combien se trouvaient étendus, car des membres sans corps traînaient partout. De tous côtés, les dalles avaient pris une teinte rouge sombre et des éclaboussures étaient venues entacher les murs. Seul un coin avait été épargné par l’hémoglobine, carbonisé par un sortilège de feu. Trois créatures aussi mal en point que notre vaillant paladin, s’entassaient là.

« Si mon dernier repas n’avait pas été si loin, je l’aurais probablement recraché ! » Avouai-je en examinant cette scène sanglante.

Séraphine ne répliqua pas, mais son visage blême en disait suffisamment.

« Continuons d’avancer », proposa-t-elle après un temps.

Je n’objectai rien, trop content de quitter ce théâtre de désolation.

Lentement, nous entamâmes notre avancée parmi les cadavres de kappas. Tandis que la lutine enjambait les membres désormais immobiles, zigzaguant entre les corps, je filai en ligne droite, insouciant de ce sur quoi je posais les pieds.

« Qu’est-ce que c’était ? Hurla soudain mon amie.

— Quoi ?

— J’ai marché sur quelque chose ! S’affola-t-elle sans oser bouger davantage.

— C’est juste une langue, la rassurai-je. D’ailleurs, ça me donne une idée ! »

Dans la pénombre, car la lumière du jour ne nous parvenait plus aussi clairement à force de nous éloigner de l’entrée, je la rejoignis. De mon sac, je sortis un tissu légèrement brûlé.

« Qu’est-ce que c’est ? Ne me dis pas que… Tu as récupéré le foulard du paladin !

— Je ne pouvais quand même pas labandonner comme ça ! Quelque part une pauvre malheureuse attend probablement le retour de ce type. La moindre des choses que l’on puisse faire, c’est de lui rapporter son foulard.

— Alors c’était vrai ? Il y a bien une part elfique et sensible sous cette carapace de nain bourru !

— Pfff ! Fis-je et j’utilisai le tissu afin d’emballer l’organe buccale.

— Ah non… Beurk, mais c’est dégoûtant ! Qu’est-ce que tu fais ?

— Ça peut toujours servir, me contentai-je.

— Attends une minute, tu as l’intention de te servir de cette langue pour paralyser qui ? Et comment comptes-tu t’y prendre ? Tu vas la jeter sur les gens ? Sourit-elle. As-tu conscience que le kappa est la créature la plus basique que l’on puisse trouver dans un donjon ? Déjà dans la bouche de son propriétaire, donc avec toute la vélocité possible, cette langue n’atteint que les enfants et les vieillards ! Alors j’ai un peu de mal à voir quel monstre ou individu pourrait se faire avoir par une telle arme…

— On verra bien », et je conclus la discussion en rangeant le mouchoir dans ma poche.

Nous reprîmes notre marche. Séraphine avec une prudence extrême. Moi, indifférent.

J’atteignis le premier la fin du charnier, et du corridor. Dans le mur devant moi, je repérai une porte que je n’avais pas vu jusque-là. Elle se trouvait dans le coin calciné et avait pris la couleur de la zone.

Mon amie mage me rejoignit une minute après. Elle avait rechaussé ses lunettes de vision dans le noir.

« Je crois que nous n’avons pas d’autre choix », annonça-t-elle en s’approchant.

J’opinai et, à pas prudents, nous allâmes jusqu’à la porte. Elle n’était pas fermée. Une dizaine de centimètres laissaient entrevoir l’encoignure d’une pièce. De notre position, aucun mouvement ne nous apparaissait.

Cette situation me rappela une scène de Nabot le ninja contre les draugar. Tandis qu’il venait de s’introduire dans le repère de ces êtres vampiriques, il s’était retrouvé contraint de traverser leur salle d’armes. Or il savait, pour les avoir entendues se mettre en place, que sitôt la porte d’accès ouverte, ces viles créatures le transperceraient de leurs carreaux. Ni une ni deux, il avait enfoncé la porte et effectué une roulade. Surprenant ses adversaires, il s’était retrouvé au milieu d’eux. Les traits tirés passèrent bien trop haut pour l’atteindre. Il n’avait eu alors plus qu’à pourfendre ses ennemis au moyen de ses dagues.

Je fis signe à la lutine.

« Quoi ? »

Je réitérai mon geste.

« Mais quoi ?

— Recule ! » m’emportai-je.

Elle s’écarta, et soudain, je donnai un violent coup de pied dans la porte. Avant que celle-ci ne heurte le mur, je m’élançai dans la pièce. Je posai mes mains sur les dalles, rentrai la tête et poussai sur mes jambes pour réalisé un roulé-boulé. Malheureusement, loin d’être aussi entraîné que Nabot le ninja, je terminai ma culbute sur le dos.

J’étais sans défense, incapable même de saisir mon épée si besoin. Quand une forme se pencha au-dessus de moi.

Lien vers le commentaire
Partager sur d’autres sites

  • 2 mois après...

Chapitre 7 : La fée du logis


« Dar… ken ! »
Le monstre venait de surgir d’un coup. La surprise m’empêcha de réagir à temps à l’appel de mon nom. Et j’eus soudain l’impression que la scène s’était ralentie, comme si l’univers souhaitait que je savoure en pleine conscience toute l’horreur de celle-ci. Avec une insupportable lenteur, je vis la créature ouvrir sa large gueule, pencher légèrement la tête sur la gauche, et planter ses interminables crocs dans notre éclaireur. Puis tout s’accéléra de nouveau.
Roldo lâcha son arbalète en poussant un hurlement qui se répercuta dans la salle tandis que le naga lui arrachait les entrailles. Un geyser écarlate arrosa aussitôt le félin marin. Le protecteur des lacs, plus gros qu’un ours, possédait à la fois une tête et des pattes avant léonines, couplées à un corps de marsouin. Ses canines étaient semblables à celles d’un tigre à dents de sabre. Ainsi, malgré  le fait que Roldo porte une armure de cuir,  le naga n’avait eu aucun mal à atteindre les boyaux de l’homme, ses dents transperçant le plastron comme du papier.
Le museau de l’animal, d’ordinaire bleu gris, apparut soudain rouge. Entre ses mâchoires pendait l’intestin du rôdeur dont une extrémité lui demeurait reliée. Et l’homme, comme si cela pouvait changer quelque chose, tentait d’empêcher le flot de ses viscères. Ses yeux exorbités et pleins d’épouvante ne les quittaient pas. De sa bouche légèrement ouverte, s’écoulait un filet de bave mêlé de sang.
L’animal ne lui laissa aucune chance de salut. D’un coup de griffes, il acheva sa proie en lui sectionnant la jugulaire.
Les yeux de Roldo roulèrent, dévoilant leur blanc laiteux, et il tomba à genoux avant de terminer face dans l’eau.
Il ne s’était écoulé que quelques secondes entre l’apparition du naga et la mort de Roldo, aucun des autres membres de notre groupe n’eut le temps de réagir.
C’est alors que le regard noir du monstre aquatique se posa sur nous. Les babines retroussées, il nous montrait ses crocs ensanglantés avec un feulement provocateur. Et de ses longues moustaches dégouttaient avec mollesse voire provocation, le fluide vital du rôdeur.
Quand il plongea sous la surface des eaux, ne générant à peine plus qu’une petite vaguelette. Abandonnant sa première victime, le naga nagea tel un dauphin jusqu’à l’autre bout de la pièce où se tenaient les autres membres de notre groupe. En une poignée de secondes seulement, grâce à sa nageoire caudale, il parcourut la distance qui nous séparait. Soudain, il bondit hors de l’eau dans une giclée qui nous éclaboussa tous.
Alors que nous reculions d’un pas, il atterrit, pattes en avant, sur Mallirk. Le prêtre ne se laissa pourtant pas impressionner par sa carrure. Il encaissa le coup en fléchissant ses jambes pour réduire l’impact. Car si l’animal se montrait imposant, le nain, courtaud et en armure lourde, ne l’était pas moins. De plus, malgré une barbe noire taillée et peignée à la perfection, son nez cassé et surtout sa balafre sur la joue, lui donnaient l’air féroce d’un orque. À son tour il émit un grondement rageur tandis qu’il luttait pour repousser l’assaut ennemi.

Tout cela me donna à réfléchir. Malgré sa corpulence, la célérité du naga était parvenue à surprendre Roldo, pourtant toujours en alerte lorsqu’il occupait la position d’éclaireur. Comment était-ce possible ? Comment le meilleur pisteur de la région d’Evéapia que j’aie jamais rencontré avait-il fait pour ne pas repérer ce pachyderme ? Certes, le naga possédait une étonnante vélocité dans l’eau. Mais cela n’aurait pu suffire à tromper notre compagnon, capable, lorsqu’il était en chasse, de décocher un carreau sur sa cible avant même qu’elle n’ait pu faire un mètre. Il devait y avoir une autre explication…
Je me remémorai les derniers instants de l’homme qui se chargeait d’ouvrir la voie pour notre groupe. Dans le cadre de cette exploration, il ne progressait qu’une vingtaine de mètres devant nous, se chargeant de repérer pièges et monstres. Pourtant là, son don que je pensais infaillible, n’avait pas fait son œuvre. Cela ne pardonnait pas… Quelques secondes avant sa mort, il s’était figé. Etait-ce la peur lorsqu’il avait senti le naga approcher qui avait paralysé ses membres ? Non, car le félin marin n’avait rien d’extraordinaire. Nous avions déjà eu l’occasion de rencontrer des menaces bien pires, et jamais il n’avait flanché face à elles. Sans compter qu’il avait prononcé mon nom, comme s’il s’agissait d’un effort suprême à l’aube de son trépas…
Je connaissais Roldo depuis longtemps. Ensemble, nous n’étions pas à notre première aventure. Des années plus tôt, j’avais fait partie d’un groupe composé de près de dix membres. Spécialiste des pièges, voleur aux doigts agiles, guérisseur expérimenté, épéiste de talent, guerrier bourrin, archer à l'œil de faucon, mage et pisteur. Notre mission consistait à rechercher, et piller, la tombe d’un sorcier elfe dans une zone depuis des siècles inexplorée de la forêt d’Unarith. C’est à cette occasion que j’avais rencontré Roldo. Et si notre mission se solda par un échec, car la puissante liche du sorcier défunt ne nous laissa pas pénétrer dans sa dernière demeure, nous parvînmes à notre but, au cœur d’une végétation luxuriante, grâce au génie du rôdeur. Par la suite, me lançant moi-même à la conquête de terrains inconnus, je n’hésitai pas à faire appel à ses précieuses compétences. Il était capable de remonter la piste de n’importe quel être, vivant ou mort. Il savait déterminer avec précision à partir d’une empreinte à quelle créature elle appartenait et depuis combien de temps elle avait été faite. Dans un donjon, il n’avait pas son pareil pour détecter les embûches. Le remplacer pour mes prochaines explorations allait se révéler ardu. Mais ce n’était rien face à la difficulté que nous allions maintenant rencontrer sans ses compétences pour terminer l’exploration de cette tour.

Ne prenant pas la peine de venir en aide à Mallirk, car j’avais confiance en ses aptitudes pour avoir déjà eu affaire avec lui aussi, je commençai à regarder autour de nous. J’en avais parcouru des donjons. À plusieurs reprises déjà, je m’étais aventuré dans des cryptes, des souterrains, des forteresses, et bien d’autres lieux infestés de monstres et pièges. Tous ces lieux se présentaient plus alambiqués les uns que les autres. Pourtant, je ne me souvenais pas avoir déjà vu pareil endroit dans un bâtiment : l’étage complet était un bassin dont j’estimai la profondeur à près de quatre ou cinq mètres. Je comprenais mieux le nombre de marches que nous avions dû grimper pour arriver là. Cette pièce se révélait bien plus haute que les autres ; peut-être équivalente à un double niveau.
Sur le pourtour, une simple margelle d’un mètre cinquante de large permettait d’atteindre l’escalier conduisant aux étages supérieurs. Là encore, il se composait d’une trentaine de degrés, car le plafond s’élevait à six mètres de haut.
Un ensemble de végétaux fleurissait sur les berges. Des simples herbes, aux arbres les plus imposants, le tout se montrait luxuriant. D’ailleurs, il cachait avec merveille un tertre de plusieurs mètres carrés situé au milieu du plan d’eau. Ces éléments reproduisaient à la perfection un environnement lacustre.
J’observai d’ailleurs avec une attention particulière la zone centrale. Au cours de mes voyages, j’avais acquis une expérience non négligeable de tous les types de terrains. Je savais également reconnaître quand une créature n’agissait pas seule. Car ce félin marin n'avait pas pu se jouer de notre rôdeur. Malgré sa vitesse impressionnante sous l’eau, pour un animal de cette masse, il paraissait impossible qu’il ait pu surprendre Roldo. À moins d’avoir bénéficié d’une aide extérieure capable d’annihiler les sens affutés du rôdeur…

Près de moi, Mallirk était parvenu à écarter la menace léonine. Son armure de plates l’avait protégé des griffes et son pesant marteau lui avait permis d’infliger une première charge à l’animal. La puissance du coup lui conféra un avantage certain, car il avait pu éloigner le naga et se remettre en position. Il s’apprêtait d’ailleurs à lancer une nouvelle offensive et acculer un peu plus son adversaire. Mais la créature marine ne lui en laissa pas l’occasion.
Alors que le prêtre approchait, arme au-dessus de la tête, il ouvrit une large gueule. Une vomissure verdâtre s’en échappa qui fondit en direction de la figure naine. Dans un mouvement réflexe, Mallirk intercala son pavois. Le crachat s’écrasa sur la gravure de marteau qui ornementait le bouclier et coula sur celle d’enclume située en-dessous, emportant à la fois la peinture et une partie du métal. La gravure, symbole d’Adrin le dieu des forgerons, se retrouva méconnaissable. Nul doute qu’en plus grande quantité, le puissant acide ne se serait pas contenté de grignoter que l’acier du bouclier. Il l’aurait traversé de part en part. Je n’imaginais pas les dégâts si Mallirk n’avait pas interposé l’écu devant son visage… Mais cette pensée, s’il l'eût, n’arrêta pas celui qui avait juré de faire valoir la puissance nanique en toute occasion. Le danger ne le freinait pas, dès lors que la gloire l’attendait au bout. Or participer à cette quête représentait pour lui la chance d’élever encore la renommée de sa race. Devenir un des seuls à ressortir de l’épreuve derrière ce donjon le galvanisait. Il n’en avait pas fallu plus pour convaincre le prêtre de participer à cette expédition.
Replaçant son pavois, Mallirk para un coup de patte du naga. Puis, avant que celui-ci n’ait eu le temps de se replier, il lui administra une frappe qui le cueillit sur la joue. Le félin fut sonné. C’est alors que, profitant du léger étourdissement ennemi, Sylorin sortit de l’ombre naine et lui lança coup sur coup quatre dagues, qui toutes s’enfoncèrent dans son épiderme. Puis, furtif grâce à sa courte stature et sa sveltesse, il retourna se tapir dans un coin à distance du danger. Si le demi-elfe ne m’inspirait pas confiance, je devais avouer qu’il se révélait particulièrement redoutable avec ses armes de jet. Il m’avait été recommandé lors de mon passage à Port-Lunaé, une ville de voleurs et coupe-jarrets, pour sa discrétion et ses dons en matière d’assassinat. A priori cette compétence ne devait pas être utile dans un donjon, mais je préférais parer à toute éventualité.
Les courtes lames meurtrières s’étaient plantées jusqu’à la garde, à divers endroits sensibles : au niveau de la nuque, autour du cœur et à l’aine.
Le naga émit un rugissement de douleur.
Broc s’approcha à son tour, menaçant du haut de son mètre quatre-vingt et sa carrure athlétique. Il était prêt à l’achever. Le guerrier leva sa hache qu’il tenait d’une main ferme. Quand, il se mit à secouer la tête. Il recula d’un pas, chancelant, comme pris d’un vertige soudain. Je reconnus là le phénomène qui avait immobilisé le pisteur d’Evéapia quelques minutes plus tôt.
D’un mouvement rapide, je reportai mes yeux au centre du bassin. Car l’animal ne possédait pas  le pouvoir de faire perdre ses sens à un être. Le sort avait été lancé par quelqu’un d’autre.
Enfin, je la vis, juste au moment où elle quittait le tertre et plongeait dans les profondeurs du lac. Une nymphe. De taille moyenne, mince quoique plantureuse, elle était comparable d’un point de vue physique à une elfe. Seules différaient ses oreilles. Bien que pointues également, celles d’une nymphe recouvraient des branchies qui lui permettaient de respirer aussi bien dans l’eau qu’à l’air libre.
Sans émettre la moindre vague, elle émergea au côté de l’animal blessé, pas le moins du monde gênée d’apparaître nue devant nous. Ses yeux noirs brillaient d’une lueur intense et captivante, et pourtant farouche et froide. Nous fûmes tous aussitôt comme subjugués par sa beauté. Elle exploita notre faiblesse. Avec une prestesse incroyable, elle ordonna aux roseaux qui longeaient les bords, de nous attaquer. Les végétaux mus par la magie de la fée, tels des fouets, s'élancèrent aussitôt dans notre direction.
Broc fut le premier atteint. Encore passablement hébété par le charme émis par la nymphe, il ne bougea pas face à la menace. L’offensive florale le cingla au niveau du torse, envoyant le vigoureux guerrier avec violence contre le mur derrière lui. Il retomba assommé sur le sol de pierre, une lézarde sanglante en travers du corps.
De façon similaire, Mallirk, lourdaud avec son armure, fut percuté en pleine poitrine par les roseaux. Mais son équipement soutint la charge et il n’en fut pas le moins du monde déstabilisé. Elle le sortit d’ailleurs de sa torpeur. Contre-attaquant alors, il abattit son marteau à maintes reprises sur les armes végétales avant que celles-ci n’aillent retrouver leur position normale en piteux état, vaincues.
De notre côté, Sylorin et moi fûmes les seuls à réagir suffisamment tôt. Si l’assassin choisit d’esquiver les piques végétales d’une pirouette adroitement réalisée, je préférai riposter. Habitué des situations de combat, je répliquai sans attendre. D’un mouvement circulaire de la main, je fis apparaître devant moi un nuage empoisonné. À son contact, les lianes furent infectées dans l’instant, cessant leur avancée. Puis, je mimai une poussée du bras et le venin se mit à grignoter les végétaux. Comme consumés par le feu, ils se rabougrirent et devinrent entièrement noirs avant de tomber en lambeaux.
Aussitôt, je reportai mon attention vers la nymphe. La haine qu’elle nous portait pour avoir pénétré en son domaine et blessé son animal de compagnie, transpirait de tout son être. Jouant de sa grâce surnaturelle, elle réitéra son offensive psychique et chercha à me déstabiliser. Néanmoins, préparé, je lui opposai une volonté d’acier qu’elle ne réussit pas à faire vaciller.
Tirant profit du fait qu’elle soit concentrée sur moi, Sylorin tenta une sortie. Il jeta deux dagues sur elle. Malgré la situation complexe, je me demandai combien de ces courtes lames le demi-elfe possédait cachées sous son armure de cuir noir. Mais cette question s’évapora brusquement tandis que ces menues armes tombaient inertes, arrêtées dans leur élan par une vague d’eau produite par la nymphe. Même s’il s’en était fallu de peu qu’elle ne soit touchée, elle avait, à mon grand étonnement, surpassé la vitesse d’exécution de l’assassin pourtant vif.
Elle contre-attaqua. Exécutant une gestuelle dont elle seule en connaissait la signification, elle commanda à l’eau de foncer dans notre direction. Une houle furieuse déborda alors du bassin. Le niveau monta en quelques secondes à peine jusqu’à nos genoux. Les remous semblaient s’agripper à nos mollets pour nous aspirer vers le fond du lac. Bien campés sur nos jambes, nous tentions de résister à la force du courant. Quand, une immense vague s’éleva plusieurs mètres au-dessus de nos têtes.
Tout à la fois impressionné par la puissance dont disposait cette frêle créature aquatique, et effrayé de constater que mes sorts ne me permettraient pas d’échapper à l’inévitable, je voulus fermer les yeux. C’est alors que je sentis la lourde poigne de Mallirk me saisir par le bras.
Soudain, le tsunami s’abattit sur nous avec une violence inouïe.
Enfermé dans une terrible onde, je me raccrochai à ce lien physique qui m’unissait au prêtre, tandis que mon esprit semblait ballotté au rythme du reflux.
Enfin, l’eau se retira et retrouva son lit et son calme. Lessivé, je constatai avec un profond étonnement que je me tenais toujours sur la margelle. Je regardai autour de moi. Mallirk venait juste de lacher mon bras et souriait, comme si nous ne venions pas de frôler la mort.
Je compris comment nous avions survécu à cette catastrophe. Pendant que le demi-elfe et moi cherchions en vain à atteindre la nymphe, le prêtre avait anticipé une manœuvre de la sorte. Il avait alors récupéré la corde qui pendait à son paquetage d’aventurier pour en attacher une extrémité à la poignée en fer de la porte d’accès à cet étage, l’autre lui enserrant la taille. Enfin, le moment venu, il avait agrippé d’une main Broc, de l’autre, mon bras. Sylorin avait lui empoigné le lien de vie au dernier moment.

Je jetai un œil à l’endroit où s’étaient tenus la nymphe et le félin marin quelques secondes plus tôt. Hélas, ils n’étaient plus là. Ils avaient profité de la distraction causée par le raz-de-marée pour retourner s’abriter au fond du bassin.
D’un claquement de langue je pestai de n’avoir pas détecté la présence féérique plus tôt. Cela m’aurait laissé une chance de lui faire goûter à mon nuage toxique. L'îlot au centre de la pièce se trouvait suffisamment rapproché pour que mon sort l’atteigne. J’aurais ainsi pu me venger de la perte de Roldo. Et certainement que, sans sa maîtresse pour lui donner des ordres, le monstre léonin aurait lâché l’affaire. Sans compter que cela nous aurait évité une douche froide.
« Faut-il tenter de les rattraper ? »
Je plongeai mon regard dégoulinant sur la surface désormais plate du bassin. Broc, soutenu par Mallirk, reprenait ses esprits. À mon côté, Sylorin attendait mes instructions, deux nouveaux poignards en mains.
« Non. Dans l’eau, nous n’aurons aucune chance face à elle. Son charme-personne et ses pouvoirs nous conduiraient à coup sûr à la noyade. Autant continuer à avancer. »
Car éliminer toute menace de ce donjon ne représentait pas ma priorité. Mon but était tout autre. En effet, ce donjon encore invaincu recelait un trésor qui pourrait faire de moi le mage le plus puissant des Royaumes ! Même Sarouine le sage ou Den-malor le fou, ne pourraient rivaliser contre moi.
Bien entendu, si nous pouvions nous débarrasser d’un maximum de ces créatures hostiles, cela nous faciliterait la tâche lorsque nous devrons quitter les lieux. À moins bien sûr d’utiliser un autre moyen pour s’extraire de là. J’avais anticipé plusieurs scénarii.

Le demi-elfe prit tout naturellement la tête de notre troupe et, sans quitter des yeux le bassin, nous longeâmes le bord jusqu’à l’escalier suivant.
« Que fait-on de lui Darken ? fit-il en atteignant la dépouille sanglante de Roldo.
— Il n’y a plus rien à faire. »
Je récupérais le matériel encore en bon état du rôdeur, puis du talon, je poussai sa carcasse dans les eaux calmes et les observai prendre une teinte rouge viciée. Enfin, nous nous élançâmes vers l’étage suivant.

Lien vers le commentaire
Partager sur d’autres sites

  • 1 mois après...

Chapitre 8 : Coup de massue


« On peut savoir à quoi tu joues ? »
Rassuré de constater qu’il s’agissait seulement de mon amie Séraphine qui s’était penchée au-dessus de moi, je me remis sur pieds après ma cascade quelque peu ratée.
« Non, laisse-moi deviner : Nabot le ninja ? » reprit-elle en levant les yeux en l’air.
Je ne répondis pas, me contentant de grogner de mécontentement et évitant à tout prix son regard que je savais moqueur.
« Bien, qu’avons-nous là ? »
Une sombre pièce s’ouvrait devant nous. Une atmosphère fraîche et humide s’en dégageait, comme si nous nous trouvions dans une grotte souterraine. D’ailleurs, les cloisons n’étaient pas faites de pierres entassées les unes sur les autres. Il s’agissait tout bonnement des parois brutes d’une caverne dont la plupart apparaissaient recouvertes de mousse.
« Le concepteur de ce donjon a bien fait les choses, s’émerveilla Séraphine. Il a reproduit l’habitat des kappas. Regarde, il a même fait creuser un petit bassin ! »
Je suivis son doigt des yeux. En effet, dans le coin droit se trouvait une fosse remplie d’une eau fangeuse et agrémentée de plantes des marécages. Au fond, deux cailloux renvoyaient une lumière diffuse qui accentuaient l’impression boueuse.
Le reste de la pièce était plongé dans l’obscurité. Mais cela ne me dérangeait pas. Contrairement aux lutins obligés de s’équiper de ridicules lunettes de vision dans le noir, les nains étaient nyctalopes. Cette caractéristique s’avérait relativement utile pour mon peuple adepte des mines, et je m’en rendais compte maintenant, pour moi dans cette situation.
Comme l’avait indiqué mon amie, tout avait été fait pour reconstituer la tanière des crapauds-tortues. Des stalactites et stalagmites de tailles variables, tombaient ici, montaient là, et allaient jusqu’à former par endroits des serpentins de roche. Des gouttes d’eau ruisselaient du plafond sur les parois et le sol pour finir leur course dans le bassin.
« On dirait qu’il y a des fuites à l’étage… »
En face de la porte, je repérai un pan de mur d’un mètre à peine de large, construit en briques et mortier. Sur la gauche, une ouverture devait conduire vers la suite du donjon. Avec précaution, pour ne pas me retrouver une nouvelle fois sur les fesses, j’avançai dans cette direction. Séraphine me talonnait.
« Qu’est-ce que c’est que ça ?
— Vu tous ces petits os par terre, je dirais que c’est la salle à manger des kappas !
— Oui, ça j’avais remarqué, fis-je sans cacher mon agacement. Mais elle est où la porte ?
— Quelle porte ?
— Ben, la porte pour sortir de là et continuer notre aventure ! Ne me dis pas que ça y est, nous avons atteint la fin du donjon et nous n’avons plus qu’à faire marche arrière et nous en aller ?
— Hum, je suis aussi perplexe que toi. Peut-être que nous avons manqué une porte dans le couloir ? Cela ne serait pas étonnant ! Entre notre combat et ces horreurs que nous avons vu… »
Tandis que Séraphine revenait sur nos pas, j’examinai la grotte. De temps à autre, j’aposais ma main sur la paroi espérant détecter une anomalie. Cependant, je ne remarquai rien. Cette reproduction se révélait parfaite.
En pleine réflexion j’allais me pencher au-dessus du plan d’eau.
« C’est certainement Darken qui a jeté un sort de lumière sur ces deux cailloux pour se rendre compte de la profondeur, m’informa la mage qui m’avait rejoint. Je n’ai pas déniché de porte dans le couloir, conclut-elle.
— Tu sais nager ?
— Bien sûr, pourquoi ?… Oh ! Tu penses que nous devons plonger là-dedans pour atteindre la suite ? C’est vrai que les pierres ont été arrêtées par ces aspérités sur les bords de la fosse, et on ne distingue pas le fond.
— Alors ?
— Alors, je n’ai pas très envie de mettre les pieds là-dedans !
— Je crois que nous n’avons pas trop le choix si nous voulons continuer.
— On y va ensemble ?
— Le passage est trop étroit alors, les dames d’abord ! »
Ce fut au tour de Séraphine de se mettre à râler. Pourtant, elle finit par se résigner. Avec une mauvaise volonté évidente, elle rangea son chapeau et ses bottes dans son sac et y accrocha son bourdon. Puis, elle se jeta à l’eau ! Du moins, elle trempa ses doigts de pieds dans la vase.
« Elle est gelée ! Il n’est pas question que je plonge ! On trouvera un autre… Aaahhh ! »
Tandis qu’elle cherchait à se défiler, j’avais pris l’initiative de… la pousser. À la suite de quoi elle disparut d’un coup sous la surface pendant plusieurs secondes avant d’émerger, folle de rage et couverte de vase.
« Non, mais ça va pas de pousser les gens comme ça ? Tu n’as jamais entendu parler du phénomène d’hydrocution ? J’aurais pu mourir…
— Tu te souviens que nous sommes dans un donjon et que nous sommes sensés rester discrets ?
— Quoi ? C’est toi qui me parles de discrétion ? De toutes façons avec toi, cela fait belle lurette qu’ils nous ont repéré !…
— Maintenant que tu es mouillée, peut-être que tu pourrais aller jeter un coup d’œil au fond pour voir s’il y a un passage ? »
La lutine me lança encore quelques injures, puis finit par se décider à plonger.

« Alors ? Questionnai-je quand elle remonta à la surface.
— J’y vois rien !
— Comment ça tu n’y vois rien ? Mets tes lunettes !
— Mais non, je n’y vois rien parce que c’est plein de particules verdâtres qui flottent. Je n’arrive pas à garder les yeux ouverts… En même temps, tu n’as peut-être pas tort. »
Les bésicles qu’elle avait rangé dans son sac refirent leur apparition sur son nez, et elle retourna dans l’eau. Elle y demeura près d’une minute. Je la vis d’abord fureter près des cailloux lumineux. Elle en saisit un puis s’enfonça plus profondément…

« Tu as trouvé un passage ?
— S’il y en a un, je ne l’ai pas vu, non. Par contre, j’ai trouvé ça au fond ! »
Entre ses doigts couverts de vase, un anneau doré apparut.
« C’est joli ça ! Dis-je et je lui arrachai des mains.
— Rends-moi cet anneau ! Protesta-t-elle en cherchant à le récupérer.
— C’est qu’il a l’air précieux. Tu as vu ces symboles gravés à l’intérieur ?
— Non, je n’ai pas vraiment eu le temps pour ! Allez, rends-le moi ! »
Penchée par-dessus mon épaule, la lutine dégoulinante d’eau et de limon me pressait pour récupérer le bijou. Sans ménagement, je la repoussai quand, un mouvement brusque me fit perdre l’équilibre sur ce sol passablement glissant. Je lâchai l’anneau. Celui-ci tomba sur la pierre humide sur la tranche, et roula sur une dizaine de centimètres avant de disparaître dans le mur de brique.
« Il vient de se passer quoi, là ?
— J’ai l’impression que… »
Séraphine ne termina pas sa phrase. Elle ne m’aida pas plus à me remettre sur mes pieds. Au lieu de cela, elle essora sa robe, replaça son chapeau sur sa tête, ses bottes à ses pieds, puis se dirigea vers l’ouvrage de maçonnerie. Hésitante, elle approcha sa main, qui passa à travers !
Sans m’attendre, elle traversa toute entière. Je ne m’attardai pas plus. Manquant de tomber à nouveau, je partis à sa suite et la retrouvai de l’autre côté du mur. Elle avait récupéré l’anneau.
« Qu’est-ce que c’était ?
— Une simple illusion.
— Quoi ? Comment se fait-il que tu ne l’aies pas détectée ? Je croyais que tu étais une prédatrice !
— Une prédatrice ? Oh, une prestidigitatrice ?
— C’est ce que j’ai dit. T’en es pas une ?
— J’ai seulement dit que l’illusionnisme était mon domaine de prédilection. Parce que ce sont les sorts que je maîtrise le mieux…
— Et ton sort là, pour dormir ?
— Disons que mon taux de réussite n’est pas parfait.
— T’es en train de dire qu’on a eu de la chance l’autre jour à l’auberge ?
— Oui. Mais si cela n’avait pas fonctionné j’avais prévu de lui casser ta chope sur la tête et de partir en courant.
— Heureusement que ça a marché alors… En tout cas, nous sommes passés !
— Oui, mais moi je suis trempée !
— Pas ma faute si tu ne détectes pas la magie… »
Séraphine maugréa de façon sonore en me jetant un regard meurtrier. Je détournai aussitôt les yeux comme si je n’avais rien dit et observai l’endroit où nous avions atterri. Il se montrait similaire à ce que nous avions rencontré à l’entrée du donjon : des murs et un sol de pierre ocre-rouge. Encore un couloir.
« Tu as vu, on dirait qu’il y a eu du grabuge ici ! Fis-je en pointant du doigt une série de flèches entassées dans un coin.
— Oui, mais ce qui est étrange c’est qu’il n’y a pas de cadavres.
— Peut-être que le maître du donjon a là aussi déjà nettoyé la scène ?
— Non, il n’y a pas non plus de sang frais, c’est autre chose… »
Pensive, elle s’avança vers le tas de flèches pour les examiner.
« Clic ! »
Séraphine n’avait fait que deux pas. Pourtant, cela avait suffi pour déclencher le mécanisme. Une volée de flèches se rua dans sa direction. Elle n’eut pas le temps de réagir…
« Euh, ça va Séri ? »
Mon amie ouvrit un œil circonspect. De nouvelles flèches s’étaient amassées autour d’elle dont une plantée dans son chapeau. La main tremblante, elle ramassa son couvre-chef et le remit à sa place.
« Cela répond à nos interrogations ! Soufflai-je moi aussi soulagé. Le piège doit s’enclencher dès que quelqu’un marche sur ces dalles. Les flèches sont tirées d’un côté et rebondissent sur le mur opposé à moins de rencontrer un corps. Par chance, elles partent toutes en ligne droite… Heureusement que tu es petite ! Si ça avait été moi… »
Je ne terminai pas ma phrase, trop conscient du fait que je venais d’échapper à la mort. En effet, les traits ne touchaient a priori que ceux qui mesuraient plus d’un mètre. La lutine ne les atteignait pas, contrairement à moi…
« Allons-nous en » bredouilla mon amie encore sous le choc.
Ignorant combien de flèches le mécanisme pouvait encore lancer, je m’accroupis et rampai sur le sol, m’assurant que nulle-part ailleurs il n’y ait d’autres de ces projectiles. Séraphine en fit de même.
Nous progressâmes ainsi sur une dizaine de mètres, jusqu’à arriver à l’entrée d’une salle sans porte. De menues fenêtres par lesquelles pas même un gnome ne pourrait se faufiler, et situées à plusieurs mètres de hauteur, laissaient pénétrer une lumière sporadique tant les vitres se montraient sales. L’endroit se trouvait à première vue inoccupé. En son centre, un immense pilier carré occupait l’espace. Sur le côté droit, des caisses en bois et des sacs de toiles y étaient entreposés. À gauche, une ouverture, là aussi sans porte.
Je m’aventurai jusqu’aux ballots de marchandises.
« Qu’est-ce que tu fais ?
— Je le savais ! »
Sans explication, je jetai de côté plusieurs paquets, puis à l’aide de mon épée, ouvrit l’un des coffres.
« Il me semblait bien que je connaissais cette odeur ! Lançai-je en tirant de là un jambonneau.
— Ma parole, tu ne penses vraiment qu’à manger ?
— C’est exact ! Et je mordis sans remords dans la pièce de porc.
— Et il ne t’est pas venu à l’esprit que ces denrées pourraient être empoisonnées ?
— Impossible ! Ça, c’est l’authentique odeur et le vrai goût du cochon ! Tu en veux un morceau ?
— Non, ça ira. Nous ferions peut-être mieux de poursuivre notre chemin avant que quelqu’un d’inamical nous trouve ici.
— Attends, une seconde ! »
Trop content de ma trouvaille, je coinçai le jambonneau entre mes dents et laissai tomber mon sac à dos. J’y déposai plusieurs sachets de viande séchée ainsi qu’un morceau de fromage au fumet enivrant.
« C’est bon, allons-y. »
Je venais à peine de remettre mon balluchon sur mon dos que quelqu’un se présenta par la porte de gauche. Je reconnus sans mal un gobelin. La menue créature portait sur son épaule un imposant sac similaire à ceux déjà stockés dans l’entrepôt. Le nez au sol tant sa charge paraissait lourde, il passa près de nous sans nous remarquer, car nous avions profité de ce qu’il soit occupé à sa tâche pour nous cacher derrière le pilier. Il se dirigea vers le fond de la pièce. Soudain il s’arrêta, surpris de constater quel bazar j’avais laissé derrière moi. En alerte, il abandonna séance tenant son paquetage et  allait se tourner et nous découvrir quand, m’approchant, je lui donnai un coup de jambonneau à l’arrière du crâne. À mon grand étonnement cela n’eut pas l’effet escompté : le visage du gobelin m’apparut alors très contrarié. Un grognement de colère vibra entre ses petits crocs acérés. De la même manière, ses sourcils froncés marquèrent sans doute possible que mon agression ne lui avait pas plu.
D’un bond je reculai et tirai mon épée en même temps que lui saisissait dans la caisse ouverte un saucisson. Avant d’avoir eu l’occasion de lui demander de se calmer, il me jeta son arme improvisée à la figure et en attrapa une nouvelle similaire. Il réitéra son offensive une seconde fois, puis une autre… Toute la charcuterie y passa. Les saucisses, les boudins et les saucissons en tous genres échouèrent tous à mes pieds. Il s’apprêtait même à lancer un jambon qu’il tenait à deux mains au-dessus de sa tête quand je hurlai :
« Ta mère ne t’a jamais dit qu’on ne joue pas avec la nourriture ? »
Interloqué, le gobelin stoppa son geste.
« Euh, tu parles gobelin, toi ? s’étonna Séraphine.
— Ben oui. À l’école j’avais le choix entre apprendre une troisième langue et jouer de la mandoline… Si tu ne lâches pas ce jambon tout de suite, c’est moi qui vais te transformer en charcuterie ! »
À coup sûr impressionné par mon ton persuasif, la petite créature aux oreilles démesurées et pointues, reposa l’aliment qu’il tenait en main et, sans nous quitter des yeux fila par la porte d’où il était arrivé.
« Ça alors ! Je n’aurais jamais cru que je dirai ça un jour, mais tu m’impressionnes ! Tu as réussi à le faire fuir… Mais… Qu’est-ce que tu fais ?
— On ne va quand même pas laisser toute cette nourriture par terre ?
— Je retire ce que je viens de dire, tu es un cas désespéré…
— Tu ne voudrais pas mettre ces boudins dans ton sac ?
— Non !
— Oh, pas la peine de s’énerver ! Mais ne viens pas te plaindre si tu es un jour à court de vivres…
— … Poursuivons. »
Dépité, car je n’avais pas réussi à ranger l’ensemble de la charcuterie dans mes affaires, j’abandonnai amer les restes et partis à la suite de Séraphine. Sans prendre la moindre précaution, elle s’aventura hors de l’entrepôt, dans les pas du gobelin.
« Est-ce qu’on ne devrait pas faire attention aux pièges ? »
La lutine se figea. Du bout des doigts elle serra son chapeau. J’imaginai que la scène des flèches lui était revenue à l’esprit. Pourtant, contre toute attente, cela ne la ralentit pas.
« Pas besoin. S’il y en avait eu un ici, ton petit ami l’aurait déjà déclenché. »
Soudain, elle s’arrêta de nouveau et se mit à tendre l’oreille. Nous avions traversé un couloir et venions d’atteindre une pièce similaire en taille à la précédente. Cependant, à la différence de l’autre, celle-ci se trouvait plongée dans une obscurité relative, car ne possédant pas d’ouvertures vers l’extérieur. Un bric-à-brac semblable y était entreposé, mais à la place de caisses de bois, il s’agissait de cages de tailles et formes diverses.
« Vite, à couvert !
— Quoi, des couverts ? Tu as faim finalement ?
— Mais non. Dépêche-toi de te cacher ! »
Sans comprendre, je me glissai à la suite de la mage derrière une cage aux épais barreaux de fer. Je n’eus pas longtemps à attendre avant de comprendre ce que nous fabriquions là. Le gobelin que j’avais effrayé revenait armé d’un gourdin hérissé de clous tordus et avec du renfort. Un immense basajaun venait à sa suite. La créature grognait tandis que son acolyte lui racontait notre rencontre. Armée d’une massue plus grande que moi, il semblait évident que nous allions passer un sale quart d’heure si elle nous mettait la main dessus.
Immobile, je priai tous les dieux que les battements de mon cœur ne trahissent pas notre présence. Je n’avais jamais rencontré de basajaun jusqu’à présent, mais mon père m’avait décrit ces monstres et mis en garde contre eux. Semblables à des gorilles par leur aspect poilu et leur carrure, ils possédaient une musculature dessinée à la perfection et dont ils savaient faire usage. Leur côté animal et brutal représentait une caractéristique très recherchée lors des batailles. Eux, se prêtaient d’ailleurs volontiers au jeu du massacre. Par contre, ils se montraient vite ingérables en dehors de ces périodes de guerre et se voyaient même cantonnés à l’extérieur des camps afin d’éviter les débordements. À côté, les orques se révélaient des êtres réfléchis.
Enfin, les deux créatures disparurent et je libérai l’air bloqué dans mes poumons, soulagé.
« Ne restons pas là, ils pourraient revenir » suggéra la lutine, et je ne me fis pas prier pour la suivre.
Sans bruit, nous abandonnâmes notre cachette pour nous diriger vers la suite du donjon et nous éloigner de la menace basajaun.
« Ils sont là ! »
Séraphine n’eut pas besoin de comprendre les mots du gobelin pour savoir que nous étions repérés. Elle partit en courant. Et malgré la terreur qui m’avait envahi à l’idée que le géant nous avait découverts, la fuite de mon amie me montra la voie et je l’imitai aussitôt.
Moins leste, je suivais plusieurs mètres derrière elle et perdais même du terrain. Derrière, j’entendais les pas lourds du basajaun de plus en plus distincts. D’après les bruits que je percevais, le gobelin ne nous poursuivait pas. J’imaginais que, se trouvant entre nous et le gorille, ce dernier l’avait gentiment écarté d’une bourrade du bras. Et si cela éliminait une menace pour nous, je n’étais pas encore tiré d’affaires.
Je filais dans un nouveau couloir. Devant moi, Séraphine avait disparu à un angle, et je me retrouvais seul, un point au côté et à bout de souffle. Le basajaun m’avait presque rattrapé. Je discernais trop distinctement sa respiration, et je pris peur.
Inconscient, je tournai la tête vers mon agresseur. Il se tenait au-dessus de moi, sa massue levée.

Lien vers le commentaire
Partager sur d’autres sites

  • 9 mois après...

Chapitre 9 : Semé d’embûches

 

Aux aguets, nous considérâmes les possibilités qui s’offraient à nous : à gauche un couloir, à droite un couloir…

« Bon Darken, on ne va peut-être pas y passer la journée, marmonna Mallirk en s’asseyant sur les dalles. Surtout que nous avons déjà perdu pas mal de temps entre les monstres et les pièges.

— Malheureusement, si nous voulons rester en vie, nous n’avons pas le choix », répondis-je moi-même impatient d’en finir.

Tandis que Sylorin tentait de détecter un quelconque traquenard supplémentaire, je pris une profonde inspiration et prononçai quelques paroles mystiques. Autour de nous, je ne perçus pas de traces de sortilèges.

« La voie est libre. »

Le demi-elfe revenait de son inspection à l’instant où je finissais moi-même ma détection. Nous étions arrivés à la même conclusion après avoir pris encore près d’une dizaine de minutes.

« Cela ne nous dit pas quel côté emprunter, nous interrompit le nain. Une idée Darken ? »

Je pris un instant supplémentaire de réflexion.

« Prenons par la gauche, lançai-je enfin.

— Une raison particulière à ce choix ? demanda Mallirk.

— Quel que soit le chemin que nous suivrons, nous aurons toujours les mêmes épreuves à traverser.

— Donc nous nous en remettrons à la chance », ironisa le prêtre en se relevant.

Sylorin prit la tête de notre groupe. Derrière lui venait Broc, resté jusqu’à présent silencieux et que je sentais de plus en plus nerveux, surtout depuis notre rencontre avec la nymphe. Il serrait dans ses mains son imposante hache si fort que ses ligaments ressortaient d’une blancheur sordide. J’avançais à sa suite et Mallirk fermait la marche, prêt à défendre nos arrières à la moindre attaque ennemie.

Au contraire du niveau précédent où pénétrait la lumière du jour à travers de grandes ouvertures, ici, il y régnait une atmosphère inquiétante où la nuit dominait. Si cela ne dérangeait pas notre éclaireur et notre arrière, Broc et moi nous trouvions handicapés. Même en jetant un sort afin de disposer d’une source de rayonnement, un feu follet qui se déplaçait à mon rythme, nous ne voyions pas à plus de deux ou trois mètres autour de nous. Intervenir à distance se révélait dans ces conditions toujours plus compliqué. Je devais alors me reposer sur mes coéquipiers pour qu’ils m’indiquent avec précision dans quelle direction émettre mes projectiles.

Nous avancions dans le silence. Notre progression se montrait lente, car Sylorin qui avait repris le rôle de Roldo en tant qu’éclaireur, veillait à inspecter toute zone suspecte. Il nous évitait ainsi de tomber dans des pièges. Pour l’heure rien n’était venu entraver notre progression, quand le demi-elfe nous signifia l’arrêt. Du doigt il nous indiqua son oreille, nous invitant à l’écoute. Je compris rapidement ce qui l’avait alerté. De petits cris presque imperceptibles, mais innombrables, rompaient la tranquillité des lieux. Ensemble, Sylorin et moi levâmes les yeux. Même si je ne pouvais les distinguer, je savais qu’une nuée de chauves-souris grouillait au-dessus de nos têtes. Sans doute la flammèche que j’avais invoquée l’avait éveillée, et elle ne tarderait pas à nous assaillir. Je ne me trompais pas. Avant d’avoir pu entamer l’incantation d’un nuage toxique, les bestioles prirent leur envol et fondirent sur nous. Lançant malgré tout mon sort, je réussis à en tuer instantanément plus d’une et à nous donner un peu de répit. Aussitôt, je sentis l’excitation du combat m’étreindre alors que la panique face à la multitude s’emparait de Broc. Incapable de se maîtriser, il se mit à donner de larges coups de hache en tous sens. S’il parvint à en atteindre certaines, les chauves-souris ne ralentirent pas et se jetèrent sur lui, assoiffées de sang. Rapidement il fut couvert d’entailles et se vit obligé de se protéger le visage de ses bras, abandonnant son arme à terre.

Sylorin lui aussi avait opté pour une tactique d’évitement. Muni de ses seules dagues, il avait d’emblée compris qu’il ne lui servait à rien de s’échiner à droite et à gauche. Alors, toujours aussi prompt dans ses actions, il avait dégrafé la cape qui lui servait d’ordinaire de couverture et qui se trouvait accrochée à son sac à dos, pour s’en recouvrir. Recroquevillé au sol, il devenait inatteignable pour les chiroptères qui ne se souciaient d’ailleurs pas de lui.

Mallirk quant à lui, équipé de pied en cap de son armure, apparaissait le moins ennuyé par les volatiles, d’autant qu’il arrivait en dernier. À mon grand étonnement il rangea son marteau à son côté, mais je compris vite quelle en était la raison lorsqu’il attrapa à deux mains son pavois. Ce dernier, plus large, lui donnait la possibilité de frapper davantage de chauves-souris d’un coup. Et il ne se montrait pas avare en énergie. En moins d’une minute, tandis que mes gaz chargés de toxines débarrassaient toutes les vermines du plafond, il vint à bout de celles qui nous tournaient autour. Il n’épargna pas Broc, comptant sur sa résistance, ou trop heureux de pouvoir lui flanquer une raclée, car il assomma bon nombre des créatures nocturnes directement sur le dos du malheureux.

Si quelques-uns de ces volatiles suceurs de sang s’échappèrent, nous parvînmes néanmoins à assainir l’espace proche. Broc, déjà bien retourné, montrait de plus en plus de signes de lassitude. Même après les soins que lui prodigua le nain et qui firent disparaître totalement ses vilaines griffures, il demeura dans un état d’agitation mental assez inquiétant pour la suite de notre visite. Néanmoins, je ne pouvais me permettre de faire marche arrière pour un seul blanc-bec qui avait mésestimé ses forces.

Sylorin, Mallirk, mais c’était le cas également de feu Roldo, étaient rompus à l’aventure. L’exploration de donjons n’avait plus de secrets pour eux. Ils savaient gérer la tension inhérente à celle-ci, parfaitement conscients qu’un piège, une créature ou un maléfice pouvait leur tomber dessus à tout instant. A contrario, Broc ne possédait aucune expérience du terrain, quoiqu’il ait pu avancer au moment de son recrutement. Néanmoins, s’il ne valait pas un bon guerrier senior, il disposait de l’avantage de se trouver présent. Aussi faible soit-elle, sa contribution pouvait nous permettre d’aller plus loin, et je regrettais qu’il fût le seul à s’être présenté à moi. J’avais espéré dénicher des talents supplémentaires dans la ville de Iolcos. Pourtant, malgré même la mise en avant de trésors à déceler, le guerrier se montra le seul intéressé. Je doutais d’ailleurs qu’il se soit décidé à la suite de ma promesse de richesses. Pour moi, ses motivations tenaient plutôt dans la réputation qu’il espérait acquérir en sortant de là. Encore fallait-il qu’il en sorte… 

« Il y a encore quelque chose là-haut », murmura soudain le demi-elfe.

À cette annonce, une goutte de sueur perla sur le front de Broc. Les émotions ne tarderaient plus à le submerger, j’en aurais mis ma main à couper. Pour l’heure, je plongeai mes yeux dans le recoin obscur désigné par l’assassin. Hélas, toute ma concentration fixée sur ce point, je ne parvenais pas à distinguer quoi que ce soit. Quand l’impression d’un mouvement m’alerta et je décochai un nouveau trait de feu. Le sort qui s’élança droit comme une flèche illumina la zone d’une lueur verdâtre avant d’exploser au plafond sans rien atteindre. La créature tapie là quelques secondes plus tôt affichait une vivacité impressionnante pour l’avoir esquivé.

Mes camarades et moi tentâmes de suivre son déplacement, mais elle demeurait dissimulée dans l’ombre, et nous ne réussîmes qu’à nous faire surprendre lorsqu’elle s’abattit sur nous. De ses pieds aux doigts crochus comme des serres, la stryge chercha à saisir le nain par les épaules. Peut-être désirait-elle l’emmener pour se repaître de sa chair, ou encore s’envolant à bonne hauteur elle l’aurait alors précipité vers une mort certaine ? Par chance, elle n’accrocha que le métal et ne trouva pas de prise. Et même sans cela, le poids de Mallirk l’aurait très probablement découragée dans ses projets.

La bête se présentait sous une forme humanoïde, à la différence près que des ailes similaires à celles des chauves-souris lui donnaient la possibilité de voler. En outre, quoique avec un faciès féminin avenant, ses grands yeux comme des billes noires, ses canines vampiriques et son incapacité totale à émettre autre chose que des cris stridents, ne la rendaient pas sympathiques.

Malgré son échec, elle réitéra son offensive en changeant de proie. La hache de Broc et les poignards de Sylorin durent la dissuader de les prendre pour cible. À son grand malheur, elle choisit ainsi de s’élancer sur moi. Elle posa ses pattes de chaque côté de ma nuque et ses griffes s’enfoncèrent profondément dans mon dos. Malgré la douleur, et parce que je m’y étais préparé, je saisis de mes mains nécrosantes les chevilles de la stryge. En effet, vaporiser des toxines ne représentait pas ma seule capacité d’empoisonneur. Si je préférais les attaques à distance, je disposais également d’une panoplie de sortilèges de corps-à-corps.

Très vite l’air fut empli d’une odeur de chair en décomposition. Car la créature eut beau tirer dans tous les sens pour s’extraire du piège que je lui avais tendu, je ne lâchai pas prise. Même les charges de ses serres dans mon dos, ne réussirent à me faire abandonner. Quand elle décida de m’emmener avec elle dans les airs.

Mes pieds quittèrent le sol. Cependant, mes compagnons ne lui laissèrent pas le champ libre. Sylorin, prenant de l’élan, sauta, ses deux lames dans les mains. Sa formidable détente lui permit de planter ses fers juste au-dessus des ailes de la stryge. Sans lâcher les manches, il pesa lui aussi de tout son poids sur elle. La charge et les maux lui firent aussitôt perdre de l’altitude et je retrouvai le sol tandis que Broc et Mallirk en finissaient avec elle.

Cette simple victoire, si elle obligea à nouveau le prêtre à user de ses soins et dépenser un peu d’énergie supplémentaire sur moi, remonta la confiance du guerrier qui en avait besoin.

Nous reprîmes notre marche toujours à pas de loup. Après avoir passé dix minutes pour progresser d’une cinquantaine de mètres à peine, nous dûmes une nouvelle fois nous arrêter. Une porte en bois agrémentée de renforts en fer nous bloquait l’accès.

« Alors là, nous allons avoir un problème, annonça Sylorin.

— Comment cela ?

— Dans ma profession nous avons l’habitude de repérer les souricières et autres embuscades, mais je n’ai aucune compétence en matière de crochetage de serrure. Je ne saurais pas non plus désamorcer un éventuel piège s’il y en a un.

— Donc quoi ? On tire à la courte-paille celui de nous qui va tourner la poignée et peut-être se recevoir une pluie de météorites ou une coulée d’acide ? ironisa Mallirk.

— Malheureusement, nous n’avons pas beaucoup d’autres choix, fis-je. Reculez ! »

Mes trois compagnons ne se le firent pas dire deux fois. Tous mirent plusieurs mètres de distance entre la porte et eux, se plaquant même contre les murs du couloir.

Je joignis alors mes mains. Dans un mouvement rapide je les frottai l’une sur l’autre et prononçai dans le même temps une incantation. Mes mains devinrent au bout d’une dizaine de secondes chaudes, presque brûlantes. Après encore autant de temps, une moiteur qui n’avait rien à voir avec de la sueur, apparut. Rapidement, pour ne pas perdre l’effet momentané du sortilège, j’apposai mes paumes autour de la poignée de la porte. L’acide que je venais de produire se mit aussitôt à l'œuvre et rongea bois et métal en moins d’une minute. La poignée tomba sur les dalles dans un bruit strident et ouvrit une brèche vers la suite de notre aventure. Me penchant en avant, je tentai de percevoir ce qui s’y trouvait. Mais là aussi, l’obscurité régnait.

« Et maintenant ? demanda Broc d’une voix mal assurée.

— La serrure n’est plus un problème. Maintenant, reste à ouvrir la porte…

— Bougez pas, je m’en charge ! proposa Mallirk en s’approchant, marteau en mains. Vous feriez mieux de vous éloigner », me conseilla-t-il.

Je fis quelques pas en arrière, et signifiai au nain qu’il pouvait se lancer. Positionné de côté, il leva son arme et d’un coup l’abattit sur le panneau. Une avalanche de bois fut alors dispersée dans toutes les directions. De la taille d’épines de porcs-épics, les fragments qui ne provenaient pas de l’explosion de la porte, mais bien d’un piège, nous frappèrent avec violence.

Mon nuage empoisonné ne produisit pas le moindre effet face à ces échardes inanimées. Je reçus donc plusieurs de ces projectiles de plein fouet. Par bonheur, si l’un se planta sur cinq centimètres dans mon bras, les deux autres qui me touchèrent, m’entaillèrent à peine la peau. L’un à la joue, l’autre à l’épaule. Broc compta autant de chance avec une épine qui lui transperça la main gauche, une enfoncée dans sa cuisse et une dernière qui avait ricoché sur la lame de sa hache. Quant à Mallirk, quoique le plus proche, il fut le moins touché, car situé dans un angle-mort de l’ouverture et porteur d’une armure lourde.

Hélas, Sylorin joua de malchance. Emmitouflé dans sa cape que je découvris être ignifugée, il baignait dans son sang. Un trait s’était fiché dans sa gorge, un second dans son œil, pénétrant tout entier jusqu’à son cerveau. Tous les trois penchés sur sa dépouille, nous restâmes silencieux un instant.

« Comment on va faire maintenant ? demanda Broc, conscient que nous perdions notre dernier expert en découverte de pièges.

— Prenez la tête », répondis-je sur un ton qui ne souffrait aucune contestation.

Le guerrier ne répliqua pas. Il passa devant une fois nos blessures pansées. Car Mallirk avait déjà dépensé beaucoup de son énergie magique pour nous soigner, et avait besoin de repos avant de pouvoir en faire à nouveau usage. Nous nous étions ainsi contentés d’extraire les piquants et stopper les écoulements sanguins.

Pour plus de sûreté, je pris la peine d’invoquer un second esprit follet qui devait se déplacer entre trois et cinq mètres devant Broc, l’autre demeurant à proximité immédiate. De cette manière, même sans être nyctalope, il se trouvait plus à même de détecter un éventuel danger. Malgré cela, notre avancée se montra encore ralentie.

Roldo était un pisteur. Un maître en la matière. Ses compétences, il les avait gagnées au cours de ses nombreuses explorations, n’en ressortant pas toujours indemne. Il lui avait ainsi fallu des années pour les acquérir. Mais son expérience précieuse avait fini par faire de lui un expert. Il avait même développé comme un sixième sens qui lui faisait pressentir un traquenard avant même de le voir. Il savait repérer quels endroits s’avéraient parfaits pour cacher une souricière. Il pouvait dire avec précision quelle dalle allait déclencher quel piège, et d’où proviendrait la menace. En mon for intérieur je pestais encore qu’il ait pu se faire avoir si bêtement. Perdre ses moyens face à une nymphe ne s’avérait pas digne de lui.

Sylorin ne possédait pas les mêmes aptitudes. Si un assassin se devait de pouvoir détecter d’éventuels risques l’empêchant d’accéder à sa cible, cela restait limité. Son rôle se voyait d’ailleurs rarement mis en avant lorsqu’il s’agissait de découvrir une zone géographique ou un bâtiment tel que le donjon des mystères. Sa mission résidait dans le meurtre, pas dans la fouille à la recherche de trésors. Quelque part, sa disparition me soulageait un peu, car je n’étais pas totalement sûr qu’il ne nous aurait pas tous égorgés une fois notre but atteint. Cependant, elle signifiait aussi une plus grande vulnérabilité aux prochaines épreuves. Pourvu que notre guerrier les localise à temps, ou au moins qu’il nous serve de bouclier. Car Broc n’était en réalité utile qu’à cela.

Avec une lenteur exaspérante, il mettait un pied devant l’autre, tâtant au passage chaque dalle, et cherchant d’une main à découvrir sous chaque aspérité du mur un trou d’où pourraient s’échapper des projectiles. L’envie de lui flanquer une grande tape dans le dos pour le faire avancer me taraudait, car impatient d’arriver au bout. Néanmoins, je calmai mes ardeurs et progressai dans son sillage. Mallirk fermait toujours la marche, et j’entendais dans ses profondes expirations ce qu’il lui en coûtait aussi.

Nous traversâmes une salle à première vue vide, à l’exception de flambeaux qui brûlaient de chaque côté des portes. Nous ne nous attardâmes pas et poursuivîmes vers un nouveau corridor qui nous obligea à tourner sur la droite. Rien ne semblait habiter cette zone, et je pestais intérieurement, car persuadé que nous perdions notre temps pour rien. Quand Broc nous somma de nous arrêter, et nous le vîmes s’agenouiller. Nous positionnant à sa hauteur, nous aperçûmes presque stupéfaits, un fil tendu en travers du couloir. En fin de compte, notre patience et la minutie incroyable du guerrier, allaient nous éviter des problèmes.

Au ralenti, nous enjambâmes le cordon l’un après l’autre et reprîmes notre marche. Devant nous, à moins de dix mètres, deux nouvelles torches allumées se trouvaient accrochées au mur de gauche, de part et d’autre d’une ouverture. En face, le couloir se prolongeait jusqu’à un coude qui donnait sur la droite.

« Super, encore un choix à faire, ronchonna le nain. Alors Darken, par où va-t-on ?

— Il me semble que le chemin en face de nous doit nous ramener au seuil de l’étage, d’où nous venons. Je propose donc que nous nous engagions par cette porte. »

La porte en question, bien éclairée, nous apparut similaire à la précédente qui avait vu la mort de l’un des nôtres.

« Bien, reculez. »

De la même manière, je créai entre mes mains un liquide acide prêt à corroder le mécanisme de fermeture. Néanmoins, la seule application de ma paume sur la porte la fit s’entrouvrir légèrement, et je réalisai, un peu bête, l’absence de serrure.

Les doigts sur le panneau de bois, je poussai doucement et il tourna sur ses gonds dans un crissement sinistre qui ne manqua pas de réveiller la bête.

Lien vers le commentaire
Partager sur d’autres sites

Chapitre 10 : Désillusion

L’arme s’abattit. Focalisé sur elle, à moitié tourné tandis que je poursuivais ma course vers l’avant, je m’emmêlai les jambes et chutai en roulant de côté. Trop proche de moi, et entraîné par son élan, le basajaun ne put s’arrêter à temps. Sa massue, rien de moins qu’un tronc d’arbre débarrassé de ses quelques branches et racines, passa bien au-dessus de ma tête, tandis que lui s'empêtrait les pieds sur moi pour finir sa course dans le mur.

Sans manquer l’occasion, je me montrai prompt au rétablissement et relançai mon échappée.

« Dépêche-toi Jason, par ici ! »

Je levai les yeux du sol. Séraphine me hélait depuis la porte d’une salle dans laquelle elle disparut au moment où je la rejoignis.

« Vite, montons ! »

Les mains sur les genoux dans l’espoir de retrouver un semblant de souffle, je suivis mon amie du regard tandis qu’elle empruntait un escalier. Désespéré face à l’effort qui m’attendait encore, un coup d'œil au géant approchant me remotiva, et je m’élançai à mon tour dans les marches.

En quatre ou cinq degrés à peine, je sentis tout le poids de ma condition m’écraser. Mes cuisses me brûlaient, mes pieds lourds s’élevaient avec difficulté et je transpirais à grosses gouttes sous mon barda.

Si la pesanteur me ralentissait, la présence indéfectible de mon poursuivant monstrueux me maintenait en constant mouvement. Mais la hauteur anormale des marches m’épuisait, et je m’attendais à tout instant à recevoir un coup de l’énorme massue.

« Encore un effort ! »

Ces mots d’encouragement de mon amie sonnèrent comme une bénédiction à mes oreilles. Pourtant, en relevant la tête, je ne vis rien qui puisse justifier cela, si ce n’était un palier signifiant la fin de mon calvaire ascensionnel. La lutine guettait mon arrivée, cramponnée à la porte ouvrant sur le prochain niveau et prête à la refermer derrière nous.

Enfin j’atteignis le haut de l’escalier. Puis, quoique conscient qu’une simple porte de bois n'arrêterait pas un basajaun, je plongeai en avant et atterris pesamment sur le ventre. Aussitôt, Séraphine claqua la porte derrière moi et y colla son dos. En l’absence de verrou, elle espérait sans doute faire obstacle et bloquer l’accès. Mais je savais qu’il suffirait d’un coup d’épaule au géant pour l’envoyer voler plus loin, et j’attendis sans impatience ce moment. À ma grande stupeur, il ne vint jamais. Le basajaun se contenta de hurler sa rage de l’extérieur. Interdits, nous finîmes par l’entendre redescendre.

Je me relevai surpris. Séri et moi nous entre-regardâmes.

« Tu crois qu’il a lâché l’affaire ? s’étonna mon amie.

— Je ne vois pas pourquoi. À moins que… »

Je détournai les yeux pour embrasser du regard l’endroit où nous avions fait irruption. L’étage tout entier n’était qu’un immense étang végétalisé avec un îlot central caché par la verdure.

« À moins que quoi ? reprit la mage,

— À moins qu’une créature plus terrible encore que lui ne se terre ici, finis-je sans cesser de scruter les alentours, à l’affût.

— Regarde, là-bas !

— Qu’est-ce qu’il y a ? m’enquis-je la main sur le pommeau de mon épée.

— On dirait… Une femme ! »

En effet, dix mètres plus loin, sur la margelle qui faisait le tour du bassin, se tenait une femme. Assise sur le rebord, les jambes dans l’eau, elle nous tournait le dos. Ses longs cheveux sombres teintés de vert tombaient en cascade sur ses épaules et jusqu’à son bassin. Son aspect, mouillé et nu, me mit sur mes gardes. Autant que son chant, douce lamentation qui s’insinuait dans nos entrailles.

« Fais attention Séri, cette plainte a comme un effet hypnotique. »

Malheureusement, mon avertissement intervint trop tard. Mon amie, les yeux et la bouche grands ouverts, ne quittait pas la créature du regard.

Réalisant d’amples gestes devant elle, je tentai de lui faire retrouver ses esprits, en vain. Soudain, attirée, elle se mit en mouvement. Faisant comme si je n’étais pas là, elle se dirigea à pas lents jusqu’à la femme. Je la laissai faire, me préparant néanmoins à tout instant à dégainer mon arme. Car même si l’air enivrant sonnait paisible et amène, je préférais me méfier. Ce ne serait pas le premier piège que nous rencontrerions dans ce donjon.

À quelques pas derrière elle, j’avançai moi aussi vers cette femme qui semblait ne pas nous avoir perçus, ou que notre présence n’intéressait pas. Enfin, Séraphine arriva à sa hauteur. Elle ne bougea pas davantage. Ne montrant aucun signe de surprise, j’eus alors la preuve qu’elle nous avait bien détectés. À mon tour, je stoppai tout mouvement, un peu en retrait, et observai la scène.

Celle que j’avais pris pour une femme était en réalité une nymphe des marais, et mon coeur accéléra. J’en rencontrais une pour la première fois, mais les histoires sur ces êtres féériques ne manquaient pas en Évéapia. Quoique de nature bonne, elles n’en demeuraient pas moins farouches et n’hésitaient pas à attaquer quiconque se montrerait menaçant. Pour l’heure, elle ne semblait pas hostile à notre égard, trop absorbée par le monstre agonisant devant elle.

L’animal ressemblait à un félin. Il possédait d’ailleurs la taille et l’aspect antérieur d’un tigre à dents de sabre. Cependant, la queue d’un marsouin se trouvait en lieu et place de ses pattes arrières. Sa tête reposait sur les genoux de la nymphe. Tout son corps s’étalant sur le rebord de pierre. Sa respiration se faisait douloureuse et bruyante. Il était recouvert de profondes blessures.

Toujours en proie aux cris de complainte émis par la fée, Séraphine esquissa un mouvement en direction de l’animal marin. Aussitôt, je saisis ses poignets entre mes mains et stoppai son geste. Avec toute la lenteur de sa torpeur, elle releva alors la tête vers moi et m’interrogea d’une voix que je compris être celle de la nymphe :

« Pourquoi m’empêches-tu de soigner cette pauvre bête ?

— Parce que tu es une mage et que tu ne possèdes pas le pouvoir de soigner. En plus, il a été empoisonné, fis-je en pointant du doigt le sang verdâtre qui s’échappait de ses plaies. Si tu le touches, tu risques de t’empoisonner à ton tour.

— Et pourtant nous ne pouvons le laisser ainsi, poursuivit-elle.

— Je peux l’aider. »

De la même manière que mon amie l’avait fait quelques secondes plus tôt, la nymphe leva sans diligence son regard sur moi, interrogateur.

J’avalai ma salive. Ce que je m’apprêtais à faire n’allait certainement pas lui plaire. Je redoutais une violente réaction.

J’observai le félin marin soudain pris de convulsions, et me décidai enfin. D’une main ferme je tirai mon épée et sans plus tarder portai l’estocade à la bête. La pointe pénétra dans sa nuque et s’enfonça sur plusieurs centimètres jusqu’à rencontrer une résistance au niveau de la colonne vertébrale. Je retirai la lame en même temps qu’il fermait les yeux définitivement.

Malgré cet acte que je venais de commettre, et la crainte de représailles, je replaçai mon arme à mon côté avant de me tourner vers la nymphe. Ses grands yeux noirs me fixaient, durs et remplis de haine. Pourtant, elle n’eut pas un geste agressif. Sans me quitter du regard, elle déposa la tête de l’animal sur la pierre et se leva pour me faire face. À nouveau, elle parla à travers la bouche de la lutine.

« Merci. »

Enfin, elle fit volte-face et plongea dans les profondeurs du bassin et je la regardai disparaître.

Comme si elle se réveillait, mon amie sortit au même instant de sa torpeur pour rejoindre notre réalité. Elle observa le tableau devant elle de ce monstre bleuté mort.

« Que s’est-il passé ?

— Tiens, prends ces chaussettes et mets-les sur tes mains.

— Quoi ? Mais pourquoi je ferais ça ?

— Aide-moi à le tirer plus loin. Il ne faudrait pas que le poison qui s’échappe de ses veines viennent polluer le lac. Et ces chaussettes te protégeront également. »

Malgré la difficulté à trouver une prise et le poids du félin, nous réussîmes à le déplacer de telle sorte qu’il ne menace plus l’intégrité de l’étendue d’eau.

« Voilà une bonne chose de faite. Tiens, qu’est-ce que c’est que ça ? »

Revenant près du bord je saisis dans une main une paire de bésicles et dans l’autre un insigne monté en broche. Il ressemblait à une algue verte.

« Ça n’était pas là à l’instant ! remarqua Séraphine. 

— Non, confirmai-je.

— Tu crois que c’est la nymphe qui nous a fait des cadeaux ?

— Possible… Tiens, fis-je en lui tendant les lunettes. Je n’en ai pas besoin.

— Pas très utile comme cadeau, j’en ai déjà une paire… Et ça, qu’est-ce que c’est ?

— Aucune idée… »

Ne souhaitant pas offenser notre bienfaitrice, nous emportâmes nos présents respectifs. Moi, j’accrochai la broche à ma tunique et la lutine posa ses lunettes sur sa tête. Puis, avisant un escalier qui menait à première vue au prochain niveau, nous quittâmes les lieux.

« Même si l’expérience y fut déplaisante, cet étage aura au moins eu le mérite d’être rapidement franchi ! » Lançai-je en jetant un dernier coup d'œil au cadavre du naga.

« Droite ou gauche ? » demanda mon amie une fois les marches grimpées.

Nous venions de rejoindre un nouveau palier et devions maintenant choisir quelle direction prendre.

« Dans un labyrinthe, faut toujours tourner dans le même sens ! lançai-je plein d’assurance.

— Mais on n’est pas dans un labyrinthe, on est dans un donjon. Alors c’est quoi ta théorie pour ce genre d’endroit ?

— Bah, je suppose que la règle s’applique ici aussi… 

— Donc… ?

— Droite !

— Pourquoi ? On n’a tourné qu’une fois à droite depuis qu’on est entrés.

— C’est comme ça, faut pas demander.

— Le sixième sens du nain, je suppose ?

— Je ne suis pas un nain ! »

Quoique piqué au vif, je ne pris pas la peine de lui rappeler, encore, ma nature d’elfe-nain.

« Bizarre… »

Alors que je m’apprêtais à poser un premier pas dans le couloir désigné, Séraphine me coupa dans mon élan.

« Quoi ?

— Ces bésicles ne servent pas à voir dans le noir, m’expliqua-t-elle tout en testant les objets offerts par la nymphe.

— À quoi elles servent alors, sinon ?

— Aucune idée. »

Je haussai les épaules. Cela ne me concernait pas, mes origines jouant à mon avantage. Je m’élançai dans le couloir d’un pas décidé.

« Euh, tu te souviens qu’il y a peut-être des pièges dissimulés un peu partout ? Est-ce qu’on ne devrait pas avancer plus prudemment ?

— Tu te souviens que je suis un voleur capable de détecter et désamorcer les pièges ?

— Permets-moi de te corriger : tu aimerais devenir un voleur capable de ce genre de prouesses, mais pour le moment tu n’en es pas un. Tu n’as même pas d’outils de crochetage !

— Je n’en ai pas besoin…

— Oui, je sais, tu as ton trousseau de clefs… »

Dans son ton, je saisis une pointe de raillerie et me tus. En même temps, je ralentis l’allure. Elle avait raison, mais cela me coûtait de l’admettre, et je ruminais ses propos intérieurement.

Le couloir tourna sur la gauche. Sans nous poser de questions, nous poursuivîmes, mais une drôle d’impression me frappa soudain. Était-ce les ténèbres, soudain devenus plus profonds ? Ou le plafond se trouvait-il plus bas que dans le reste du bâtiment ? Je ne parvins pas à déterminer l’origine de mon malaise, mais je perçus dans les murmures de mon amie une nervosité inhabituelle.

« Dommage que ces bésicles ne permettent pas de voir dans le noir, parce qu’avec cette obscurité, deux paires n’auraient pas été de trop ! Tu ne sens pas quelque chose d’étrange ici ?

— Bof… répondis-je, mais sans conviction. »

La lutine replaça ses lunettes de départ sur ses yeux, les autres sur son front.

« On dirait un opossum brun à quatre yeux ! lançai-je aussitôt dans l’espoir de me détendre.

— Au lieu de te moquer, ouvre-nous cette porte.

— Quoi ? »

Concentré sur l’air ridicule de mon amie et l’atmosphère étouffante qui régnait, je ne remarquai qu’à l’instant la porte. Ou le pan de mur. Car rien n’indiquait que nous pouvions poursuivre dans cette voie, en dehors d’un trait de peinture qui symbolisait grossièrement l’encadrement d’une porte.

« Regarde, il y a quelque chose d’écrit au-dessus.

— “Passez ou restez”.

— Qu’est-ce que ça veut dire ?

— Je ne sais pas. On dirait un genre d'énigme. Je suppose qu’en la résolvant la porte s’ouvrira.

— Alors qu’est-ce qu’on fait ?

— Ça n’est pas toi qui disais, je cite “une porte, ça m’a jamais arrêté, surtout s’il faut utiliser sa tête” ? Alors utilise ta tête !

— C’est parti !

— Hein ? »

J’expirai un bon coup, et m’élançai. Le sommet du crâne en avant, je n’avais pas pris le temps d’hésiter. L’impact était imminent. Et je passai à travers la pierre.

« Non, mais je rêve ! Tu aurais vraiment défoncé cette porte avec ton crâne ? s’emporta Séraphine en me rejoignant.

— C’est toi qui m’as dit de me servir de ma tête !

— Pour te dire de réfléchir !

— Oh… N’empêche que si on avait fait selon ta méthode, on y serait encore !

— C’est sûr que si on attend que quelque chose sorte de ta caboche…

— En attendant, qui du mage ou du voleur a encore détecté l’illusion ?

— Félicitations, tu auras le droit à une médaille…

— Allez, te fâche pas ! »

Tout en disant cela, je lui flanquai une bonne claque dans le dos qui fit tomber sa seconde paire de lunettes sur la première.

« Qu’est-ce que c’est que ça ?

— Oups, désolé, fis-je en attrapant à deux doigts ses bésicles tombés pour lui remettre sur le front.

— Non, attends ! »

Me les arrachant des mains, elle les repositionna sur les premières et se mit à regarder tout autour de nous.

« Je le crois pas !

— T’es sûre que ça va ? J’ai l’impression que sans le vouloir ma tape t’a complètement chamboulée. Je ne maîtrise pas ma force.

— Mais non, ça n’est pas ça ! Ce sont ces lunettes.

— Quoi, qu’est-ce qu’elles ont ces lunettes ?

— Vois par toi-même. »

Séraphine retira les objets de son nez et je les passai à mon tour. Comme elle, je regardai le couloir, le plafond, l’ouverture dans le mur…

« Oh ! m’exclamai-je soudain.

— Tu as remarqué ?

— Avec ça, tu n’as plus besoin de développer tes sens pour la détection des illusions, la taquinai-je. Elles te les dévoilent toutes seules !

— Oui, merci de me rappeler que je ne suis encore qu’une mage débutante… »

Ses deux paires de lunettes campées sur ses yeux, ce qui ne manqua pas de me faire sourire, nous reprîmes notre avancée plus enjoués.

« Tu crois que ma broche est capable de cracher du feu ? lançai-je enthousiaste à cette idée.

— Dans ce cas, elle aurait plutôt eu une forme de flamme, pas de feuille verdâtre.

— Tu as raison… Si ça se trouve elle me permet de lancer des lianes pour attaquer mes ennemis !

— Je n’ai jamais entendu parler d’un objet qui donnerait un tel pouvoir. S’il s’agit vraiment d’une broche magique, il faut sans doute un mot de pouvoir pour actionner son effet… Mais à mon avis, ça n’est rien de plus qu’un simple bijou.

— Non. Il y a forcément une raison pour que la nymphe m’ait offert cette boucle.

— Dommage qu’elle n’ait pas pris la peine de nous l’expliquer… »

À un angle, nous tournâmes sur la gauche. À une dizaine de mètres de notre position, sur la droite, deux flambeaux brûlaient accrochés à un mur et entourant une porte. Si la peur du noir ne m’atteignait d’ordinaire pas, même dans des endroits particulièrement exigus comme les galeries d’une mine, dans ce donjon où les plafonds s’élevaient pourtant à plus de trois mètres de hauteur, et en particulier dans ce dernier couloir, l’obscurité se révélait oppressante. Comme si toutes les particules présentes dans l’air avaient pour mission de nous écraser. En voyant ces seules flammes, faibles et pourtant agitées et pleines de vie, je sentis mes poumons s’emplir d’un souffle nouveau. L’atmosphère pesante s’écarta, comme laissant enfin la place à l’aura invisible qui m’entourait.

« Qu’est-ce qui vient de se passer ? s’étonna Séraphine.

— Je ne sais pas. J’ai l’impression d’être plus léger. Et ça n’est pas lié à ce jambonneau que j’ai mangé plus tôt. »

La magicienne se retourna vers le couloir d’où nous venions. Les ténèbres y occupaient tout l’espace tels de l’eau dans un bassin.

« Je crois que j’ai compris. Quelqu’un a certainement jeté un sort de pesanteur obscure. Il permet d’accroître l’opacité d’un lieu et de la rendre écrasante. Parfait pour quelqu’un qui serait claustrophobe, mais peu utile en dehors de ce cas. Surtout qu’une simple torche permet d’en dissiper l’effet.

— Et qu’est-ce qui se passerait si quelqu’un de claustrophobe venait à pénétrer dans cette zone ?

— Oh, il serait aussitôt pris de panique. Incapable de bouger il finirait par suffoquer et mourrait.

— Pas très réjouissant comme fin… »

Quoique non affectés par cette magie nous nous écartâmes sans tarder, savourant notre complète liberté.

Nous progressions vers la lumière. Face à nous, le couloir se poursuivait. Nous stoppâmes notre avancée à quelques pas de la porte.

« Tu as entendu ? murmurai-je.

— Oui, répondit la lutine sur le même ton sourd. On dirait des bruits de métal… Des explosions aussi.

— Et des hurlements ! Il y a un combat qui est en train de se dérouler là-dedans ! On ferait peut-être mieux d’attendre que ça se calme.

— Mais peut-être qu’il s’agit de Darken et son groupe ? Si ça se trouve, ils ont besoin de notre aide !

— D’après ce que j’ai cru comprendre, ce Darken, ça n’est pas de la bleusaille. Alors s’il a besoin d’aide, je ne vois pas très bien ce que nous pourrions lui apporter…

— N’empêche qu’on ne peut quand même pas rester là à attendre et les écouter se faire massacrer.

— Et pourquoi pas ?

— Non ! Allez, on y va ! »

Séraphine tendit le bras pour saisir la poignée de la porte. Quand celle-ci s’ouvrit à la volée, laissant s’échapper un homme que nous reconnûmes sans difficulté, pour être celui de la taverne de Iolcos. Il n’eut pas un regard pour nous et fila comme une flèche dans la partie du couloir que nous n’avions pas explorée. Et soudain “clic”...

Lien vers le commentaire
Partager sur d’autres sites

Chapitre 11 : Insensé

Nous ne pouvions plus reculer. La porte béait, inerte, mais ce qu’elle renfermait ne l’était pas. Immense masse gélatineuse couleur chair de près de deux mètres de diamètre, elle avait tourné ses deux petits yeux noirs qu’elle fixait sur nous, incapables de cligner. Nous apercevant, elle ouvrit une large bouche nous dévoilant des centaines de petits crocs pointus. Triangulaires à l’image de ceux des requins et positionnés sur plusieurs rangées, ils apparaissaient courts. Ce qui n’enlevait rien à leur dangerosité.

Un liquide translucide coula sur ses épaisses lèvres roses avant de tomber sur le sol. Le monstre, un blob géant, salivait à notre vue.

« Darken ? Faut-il vraiment que nous affrontions cette abomination ? me demanda Mallirk, marteau bien en mains.

— J’en ai bien peur. Regardez ! »

Du doigt j’indiquai à mes deux derniers compagnons, ce qui se cachait au fond.

« Ça doit être l’escalier qui mène au niveau suivant.

— Je craignais que vous disiez cela, souffla encore le nain. Alors, comment procède-t-on ? »

Je réfléchis. Je rencontrais une telle créature pour la première fois. D’ordinaire, elles vivaient dans les rivières souterraines. Leur existence n’avait d’ailleurs été relatée que par les témoignages d’elfes des ténèbres qui s’étaient retrouvés face à elles, et en avaient réchappé.

Je n’imaginais pas qu’ils puissent s'accommoder d’un donjon. En dehors des ténèbres qui baignaient les lieux, il n’y avait pas d’eau. Sans doute n’en avait-il pas besoin pour survivre. De la même manière, je ne voyais pas comment il se déplaçait. Deux minuscules nageoires pointaient de chaque côté de son corps, mais qui ne reposaient pas sur le sol. Un vrai poisson hors de l’eau. Ce qui ne paraissait pas le déranger.

Je scrutai les lieux. Le blob se tenait au centre d’une pièce à peine plus grande que lui. Tout autour, l’interstice avec les murs s’avérait juste assez large pour permettre à une personne de se faufiler. Mais cela signifiait passer à la portée de ses mâchoires.

L’animal ne semblait pas pressé. Il avait retrouvé une immobilité parfaite. Sa bouche s’était refermée sur une moue, et ses yeux continuaient de nous observer. Nous reculâmes de quelques pas et les coins de sa bouche s’étirèrent davantage vers le bas de mécontentement. Son déjeuner allait-il lui filer entre les doigts ?

Je réfléchis. Je savais que mes sorts ne nous seraient d’aucune utilité face à lui. Même si je n’en avais jamais rencontré, j’avais pris la peine de me renseigner sur les monstres des abysses, dont le blob faisait partie. Une exploration précédente devait me conduire au cœur d’un gouffre situé dans la forêt d’Unarith. La galerie, creusée un millier d’années plus tôt par les elfes des profondeurs lors de la Marche des ténèbres, ne représentait pas qu’un moyen pour eux de rallier la surface. Avant de parvenir à remonter à l’air libre, le peuple bafoué de l’Endogène avait passé plusieurs siècles à excaver le sol. Or des groupes, las de ce dur labeur, avaient choisi de s’établir dans certaines grottes et y développer des cités. Mon but alors, était de retrouver l’une de ces villes désormais abandonnée, afin d’y dénicher de puissants artefacts magiques.

En préparation à ce voyage, j’avais déniché dans une bibliothèque elfe, un ouvrage traitant des créatures infestant le sous-sol ohoratien. Je l’avais étudié avec attention. Types de monstres, capacités, dangerosité, forces et faiblesses, je n’avais rien laissé au hasard.

Je découvris alors le blob géant. Espèce de poisson spécifique des abysses, son apathie apparente n’en faisait pas moins un animal redoutable. À tel point que les témoignages relatant les rares rencontres avec eux, l’étaient encore plus. En dehors d’un vague croquis dégageant les caractéristiques physiques principales du blob, et un menu exposé de ses particularités, ses aptitudes n’étaient pas développées. À l’inverse d’autres espèces plus communes et plus largement répandues, qui possédaient une page descriptive plus détaillée, le blob n’avait droit qu’à un court paragraphe. J’y avais néanmoins appris que sa peau présentait une substance sur laquelle les attaques magiques non perforantes, glissaient sans lui occasionner le moindre dégât.

Hélas pour moi, mes sortilèges ne nous seraient d’aucune aide, sauf à lui faire écarter ses larges mâchoires ou à le blesser et lui inoculer mes toxiques par ce biais. Voilà une idée !

« Si vous pouviez l’obliger à ouvrir la bouche, je pourrais alors l’empoisonner, murmurai-je à mes camarades.

— À mon avis, il n’attend que ça, d’ouvrir la gueule pour nous avaler ! » marmonna Mallirk en resserrant néanmoins sa prise sur le manche de son lourd marteau.

Le prêtre jeta un coup d'œil à Broc. L’anxiété transpirait par tous les pores du guerrier. Son regard paniqué passait du nain à moi dans l’espoir que nous n’allions pas faire appel à lui. Sa demande muette sonnait vaine à mes oreilles, et je fronçai les sourcils pour le lui faire comprendre.

Il déglutit et saisit sa hache à deux mains. Au côté de Mallirk, il attendit un signe, puis tous deux s’élancèrent, arme au-dessus de la tête. Le blob en profita aussitôt pour passer à l’offensive. Alors que mes compagnons chargeaient, il dévoila un long appendice caché à l’arrière de sa tête qui s’agitait telle la queue d’un chat. Avec une vivacité surprenante, le membre s’abattit sur le nain et lui délivra une décharge électrique qui l’assomma sur le coup. Voyant cela, les nerfs de Broc finirent par lâcher. Avant que je n’aie eu le temps d’intervenir, il abandonna sa hache, tourna les talons et s’enfuit par où nous étions arrivés. Je me retrouvai seul face au blob.

Séraphine tendit le bras pour saisir la poignée de la porte. Quand celle-ci s’ouvrit à la volée, laissant s’échapper un homme que nous reconnûmes sans difficulté, pour être celui de la taverne de Iolcos.

Le guerrier n’eut pas un regard pour nous. Nous comprîmes à l’horreur qui transparaissait sur son visage qu’il fuyait. Quelle terrible épreuve nous attendait qui avait pu l’amener à un niveau de stress si élevé ?

Il fila comme une flèche dans la partie du couloir opposée à celle d’où nous venions.

Et soudain “clic”. Incohérent, incapable de réfléchir et prendre le temps nécessaire à la détection des pièges, il venait d’en déclencher un. Un filament tendu en travers du couloir se rompit à son passage, déclenchant l’ouverture d’une trappe par laquelle il chuta.

Il ne hurla pas. Il n’en eut pas le temps. Tout juste émit-il un hoquet de surprise à l’heure de son trépas. Au fond de la fosse située à trois mètres de profondeur, se trouvaient plantés des pieux de bois sur lesquels il alla s’empaler.

« Dommage, je l’aimais bien, fis-je en me penchant par-dessus le trou.

— Ben voyons, souffla la lutine.

— Quoi ? C’est pourtant vrai ! Sous ses airs d’abruti, je suis certain qu’il y avait un habile combattant.

— Possible, mais dans un donjon ça n’est pas forcément les plus doués qui s’en sortent le mieux. S’il avait eu un peu plus de cervelle, il aurait peut-être pu s’en sortir… lança-t-elle en me jetant un regard de reproche.

— Oui, j’ai compris, je ferai plus attention aux pièges ! En attendant, si lui est là, cela veut sans doute dire que ton Darken n’est pas loin lui aussi.

— Exact ! Dépêchons-nous ! Enfin, tout en faisant attention où nous mettons les pieds… »

Nous retournâmes près de la porte qui s’était refermée derrière le fuyard, et d’une main quelque peu hésitante, nous l’ouvrîmes.

Là, dans une pièce qui m’apparut trop réduite pour ce qu’elle abritait, un monstre à l’aspect gélatineux se démenait pour atteindre de son antenne, le mage empoisonneur, Darken. L’homme, malgré son apparence chétive, se montrait plutôt adroit à esquiver. Il sautait à droite, frappait de son bâton l’appendice, avant de repartir à gauche. D’un coup, il se précipita dans ma direction, le membre aussi.

Et voilà, j’étais mort. Du moins, c’est ce que j’imaginais. Pas que je sache à quoi cela ressemblait, mais c’était bien là l’idée que je m’en faisais.

Qu'est-ce qui avait bien pu mal tourner ? En même temps, il fallait bien que cela arrive un jour ou l’autre. Et visiblement, la fin avait choisi aujourd’hui. Je l’avais bien cherché, et en même temps, quelle poisse ! Comment est-ce que j’en étais arrivé là ? Pas moyen de m'en rappeler...

En attendant je flottais. Je flottais comme tant d’autres sur une morne étendue plane, grise, vide et insipide. Comme quoi la mort, cela n'avait rien de réjouissant.

Errant telle l’âme en peine que j’étais, j’aperçus soudain au loin une lumière. Et si elle représentait pour moi, le salut ? M’y rendre s’avérait la seule façon de le savoir ; je n’avais de toute manière pas grand-chose d’autre à faire. Je me mis en route… Enfin, j’essayai…

Je ressemblais aux autres âmes du coin, petite flammèche de couleur bleue avec un joli dégradé qui tirait vers le blanc sur le bout des flammes. Pas besoin de préciser donc que niveau mouvement je me trouvais très limité.

La traversée me parut durer une éternité, mais impossible d’accélérer la cadence. L’impression de m’être métamorphosé en un têtard à la nageoire caudale atrophiée ne me quittait pas, tant je peinais à avancer. Pas étonnant sans jambes ! D’un elfe-nain vigoureux, j’étais devenu une simple âme sans corps.

Je finis tant bien que mal par parcourir la distance qui me séparait de ce minuscule point lumineux. Plus je m’approchais, plus je me rendais compte qu’il ne s’agissait pas que d’un point lumineux. J’atteignis une ridicule petite masure en bois à peine assez grande pour y contenir des commodités, avec d’un côté une porte et d’un autre une fenêtre d’où émanait cette lumière que j’avais aperçu. Autour de moi, pas âmes qui vivent. Je pénétrai dans la cahute sans prendre la peine d’ouvrir la porte ; je ne possédais de toute façon pas de bras pour.

À mon grand étonnement ce qui ressemblait à l’extérieur à une vieille bicoque en bois miteuse, s’apparentait à l’intérieur à une majestueuse et chaleureuse pièce de vie aux murs de pierres. La salle, unique, présentait d’immenses fenêtres qui apportaient une lumière semblable à celle perçue un jour d’été. Rien à voir avec la grisaille régnant à l’extérieur. En son centre, je repérai la petite flamme vacillante qui avait attiré mon regard. Elle se trouvait postée en haut d’un lampadaire dont le support tordu servait également de support à des panneaux de signalisation. À côté, étaient installés un fauteuil et son repose-pieds. Ils flamboyaient d’un rouge fascinant, et étaient brodés de motifs floraux simples, mais qui ajoutaient une touche de raffinement au tableau. Au-dessus pendait un curieux parapluie tout aussi élégant, mais qui rendait l’ensemble pittoresque.

« Est-ce que je peux vous renseigner ? »

Sans que je comprenne d'où il venait, un être diabolique apparut soudain devant moi.

« Dîtes donc, c’est d’enfer ici ! » Raillai-je, car cette créature, quoique d'apparence humanoïde, présentait une longue queue qui se balançait derrière elle, comme mue par une vie propre, d'immenses ailes semblables à des ailes de chauves-souris, et des cornes noires pareilles à celles d'un vieux bouc. Complètement nue et visiblement asexuée, sa peau se teintait d'un rouge sang qui faisait ressortir l'orbite blanc laiteux de ses yeux.

« De mon point de vue, je trouve tout cela d’un ennui mortel, me répondit-il d'un air malicieux.

— Vous m’en direz tant !... Dis-je quelque peu mal à l'aise devant cet être qui me dévorait du regard, une canine bien en évidence. Qu’est-ce que c’est ? Le questionnai-je en pointant du doigt le réverbère, histoire de lui faire penser à autre chose.

— C’est un lampadaire directionnel qui oriente vers les différents plans d’existence, lâcha-t-il sans y prêter le moindre intérêt.

— Cela n’a pas de sens, ils pointent tous vers le poteau !

— C’est un sens unique.

— Un sens unique qui ne mène nulle part ?

— Vous espériez aller quelque part peut-être ? ironisa-t-il tandis que je comprenais enfin de quoi il retournait.

— C’est brillant ! m'exclamai-je soudain.

— Merci, mais je n’en suis pas l’auteur. Moi je ne suis là que pour indiquer le chemin.

— Non, je parlais du lampadaire, dis-je passant du coq à l’âne.

— Oh ! Il attire les âmes égarées.

— Je ne savais pas qu’il y avait des états d’âmes ?

— Seulement quand on l’a rendue !

— Et à quoi peut bien servir ce parapluie ?

— À protéger de la pluie sans aucun doute, répondit-il avec un manque d'assurance flagrant.

— Il pleut souvent ici ?

— Jamais ! Remarquez, il pourrait tout aussi bien s’agir d’une ombrelle...

— Le soleil tape fort dans le coin ?

— Pas un seul de ses rayons ne pénètrent ici.

— Vous disiez que vous étiez là pour indiquer le chemin ? Repris-je après un moment d'hésitation, car la conversation virait à l’absurde. Lequel ?

— Tout dépend ce que vous cherchez.

— Toutes ces âmes par exemple, est-ce qu’elles restent ici pour l’éternité ?

— Non, nous ne sommes ici que sur le plan de Fugue. Celles qui ont été fidèles à une divinité de leur vivant rejoignent le plan de celle-ci. Les autres sont envoyées à la cité du Jugement où elles sont pesées avant de gagner la cité des morts où elles subiront leur châtiment éternel.

— On ne risque pas de s’ennuyer au moins… Vous avez appelé ce plan, le plan de Fugue ? Y a-t-il des âmes qui cherchent à s’échapper ?

— Oui, mais elles se font quasi systématiquement rattrapées par mes confrères et moi-même.

— Et si je voulais partir, quelle direction est-ce que je devrais prendre pour regagner le plan des vivants ? Demandai-je à tout hasard.

— Vous ne préféreriez pas vendre votre âme au diable plutôt ?

— Cela a l’air douloureux… Dis-je en m’imaginant faire une moue dégoutée, car je n’avais plus de visage pour la mimer.

— Cela fait en effet, un mal de tous les diables ! Mais vous avez l’éternité pour vous en remettre, fit-il avec ce que je supposais être un sourire qui le rendait encore plus abominable.

— Je me sens drôlement tenté… Ironisais-je, mais il ne parut pas s’en rendre compte.

— Comme dirait l’autre, le seul moyen de se délivrer de la tentation, c'est d'y céder ! Répondit-il comme si l’affaire était conclue.

— Mettons cela de côté pour l’instant ! Vous disiez que certaines âmes parvenaient à s’enfuir ?

— Oui. Il arrive parfois que des dieux ou déesses décident d’accorder une seconde chance à une âme. Elle peut alors regagner son plan d’existence d’origine… Où allez-vous ?

— Je rentre chez moi ! Dis-je déjà hors de la bâtisse et pestant intérieurement contre cette forme qui me ralentissait.

— Vous ne pouvez pas partir, nous n'avons pas encore évoqué les clauses de notre pacte ! Poursuivis le démon volant à mon côté de façon lourde et brutale, mais néanmoins naturelle et certainement plus efficace que moi.

— Pas intéressé ! » Répondis-je, l’envoyant au diable.

C'est alors que je sentis plus que je n'entendis, une petite voix qui me susurrait des paroles à l'oreille ; en imaginant que j'aie des oreilles. J'arrêtai soudain ma course pour mieux écouter. Mon ami infernal stoppa aussi sec sa poursuite en ouvrant de larges ailes.

« Je vois que vous avez changé d'avis ?

— Chut ! J'essaie d'écouter ! » Le coupai-je brutalement.

Comme je l'aurais fait moi-même si cela avait été possible, il tendit l'oreille et leva les yeux en l'air dans l'expectative.

« Réveille-toi... murmurait la voix.

— Moi je n'entends rien, marmonna le diable vexé d’être mis à l’écart.

— Réveille-toi... » répétait la voix.

C'est alors qu'une nouvelle lumière apparut devant moi. Elle brillait d’une lueur nettement plus vive et éclatante que la bougie faiblarde de la maison en bois.

À mon côté, la créature démoniaque levait les yeux dans une tentative vaine d’apercevoir ce que je voyais. J’avais les « yeux » rivés sur cette nouvelle source lumineuse qui m’attirait comme un papillon sur une torche.

« Oh non, pas encore... » Entendis-je l'être cornu baragouiner derrière moi.

Comme pour me sortir de ma torpeur, il agitait ses bras musculeux devant moi et tentait de m’arrêter.

N'y prêtant pas attention, je me mis en route et, intangible, passai à travers lui à mon allure de poisson estropié. Puis, je me mis à avancer de plus en plus rapidement. De simplement attiré, je fus bientôt aspiré au centre de cette lumière dont l'intensité et la taille grandissaient au fur et à mesure que j'approchais.

« Réveille-toi ! » hurla la voix à mon oreille.

Aussitôt j'ouvris les yeux. Le diable cornu avait disparu, tout comme les innombrables autres petites flammèches bleutées. Un coup d’œil vers le bas me rendit mes jambes. J’allongeai devant moi mes bras… Je me trouvais de retour sur le plan des vivants ! Les yeux grands ouverts, heureux de n'être pas une âme, je pris quelques secondes pour regarder autour de moi.

Et je me rappelai pourquoi j'étais mort…

Le monstre rosâtre à la chair flasque se tenait au centre de sa pièce, son appendice penché au-dessus de moi. Tel un nez, il pendait à quelques centimètres de mon corps. Il semblait renifler ma redingote.

Agrippée à mon bras, Séraphine, à l’origine de mon retour par ses insistantes supplications, demeurait immobile dans l’espoir sans doute que l’animal nous oublierait. Contre toute attente, c’est précisément ce qu’il fit. De sa place, le blob souffla de déception puis, avec la lenteur de la déception, son antenne retourna se poser à l’arrière de son crâne . Darken, tout aussi étonné que nous, attendit quelques secondes avant de s’aventurer à bouger pour porter main-forte à un nain qui semblait dans les vapes. Mais le poisson-gelée ne s’intéressait plus à nous. Il avait les yeux grands ouverts, mais son immobilité et sa lente et régulière respiration me donnèrent à penser qu’il s’était endormi.

« Que s’est-il passé ? questionnai-je mon amie en me remettant sur pieds.

— Je ne sais pas trop. Après t’avoir assommé avec sa décharge électrique, il a approché son tentacule avec l’intention de te finir, j’en mettrais ma main à couper ! Pourtant, quelque chose l’a arrêté au dernier moment, et voilà… Certainement l’odeur !

— Il a dû voir quel gâchis ce serait de m’éliminer !

— Ben voyons… 

— Il faut que je te raconte ce qu’il vient de m’arriver !

— Une autre fois. Regarde, nous avons rattrapé Darken et son groupe.

— Son groupe ? Tu veux dire, ce qu’il en reste. »

Après l’avoir secoué comme un prunier pendant de longues secondes, Darken parvint à tirer le nain de sa torpeur. Ils nous rejoignirent et ensemble, nous pûmes passer à côté de ce que j’appris être un blob géant, sans que celui-ci ne daigne vouloir nous avaler. Nous quittâmes ce niveau en vitesse, avant qu’il ne change d’avis. De nouvelles épreuves ne manqueraient pas de nous rendre l’ascension toujours plus compliquée.

Lien vers le commentaire
Partager sur d’autres sites

Chers lecteurs et lectrices,

 

Merci d'avoir lu les premiers chapitres des aventures de Jason dans Le donjon des mystères.

 

Votre intérêt pour leur quête, vos émotions partagées et votre immersion dans ce monde fantastique ont été les moteurs qui ont donné vie à cette histoire.

Si vous avez trouvé dans ces lignes de quoi nourrir votre imagination, je vous invite chaleureusement à laisser un commentaire, une réflexion ou simplement vos impressions. Vos retours sont pour moi une lumière dans l'obscurité de l'écriture, et ils encourageront d'autres explorateurs de l'imaginaire à se joindre à notre aventure.

 

N'hésitez pas à partager ce récit avec vos amis, vos proches, et même ceux qui rêvent encore d'embarquer dans un monde où la magie et l'amitié forgent le destin. Votre partage peut être le portail qui conduira de nouveaux voyageurs vers Le donjon des mystères.

 

Merci du fond du cœur pour votre soutien, votre lecture et votre présence à chaque ligne lue. Et pour que notre aventure ne s'achève pas ici, je vous invite à découvrir mes autres histoires sur https://isabelle-allegre.com/.

 

À bientôt pour de nouvelles aventures,

Isabelle Allègre

 

8fps.png

Modifié par zazasan
Lien vers le commentaire
Partager sur d’autres sites

Rejoindre la conversation

Vous pouvez publier maintenant et vous inscrire plus tard. Si vous avez un compte, connectez-vous maintenant pour publier avec votre compte.
Remarque : votre message nécessitera l’approbation d’un modérateur avant de pouvoir être visible.

Invité
Répondre à ce sujet…

×   Collé en tant que texte enrichi.   Coller en tant que texte brut à la place

  Seulement 75 émoticônes maximum sont autorisées.

×   Votre lien a été automatiquement intégré.   Afficher plutôt comme un lien

×   Votre contenu précédent a été rétabli.   Vider l’éditeur

×   Vous ne pouvez pas directement coller des images. Envoyez-les depuis votre ordinateur ou insérez-les depuis une URL.

×
×
  • Créer...

Information importante

By using this site, you agree to our Conditions d’utilisation.