Bobbyfromthesky Posté(e) le 4 mars Partager Posté(e) le 4 mars (modifié) Bonjour à tous, Le retour de Old World était un bon prétexte pour me remettre à écrire après une longue pause. J'ai donc construit une liste d'armée Compte vampire et j'avais envie de narrer l'histoire de son leader sous forme d'une nouvelle. Le texte était aussi pour moi un exercice pour écrire "à la manière" de Clark Ashton Smith (autant que faire se peut avec mes capacités, car c'est compliqué ^^), un auteur américain de fantasy macabre dont j'admire énormément le travail. _________________________________________________________________________________________________________________________________ La chaîne de montagne qui entourait Chaûmehourg nous avait toujours protégés des vents, des murmures et des horreurs qui peuplent notre monde en trop grand nombre. Les échos des tragédies nous avaient semblé hors de portée, tant la ceinture rocheuse nous enlaçait de ses bras protecteurs. Enclavé en un point stratégique de cette partie du monde, Chaûmehourg était à la croisée des destinations qui suscitent l’envie de voyager et de commercer. Tout aventurier ou marchand qui désirait faire fructifier ses ambitions ne manquait pas de s’y arrêter. Ici, le repos avait mérité sa réputation. Les ombres du mal ne s’étaient que peu immiscées dans le sommeil des voyageurs. La bonhomie des marchands et des artisans n’avait jamais été entamée, et nos mémoires n’avaient pas gardé traces d’affaires occultes. Même la lune, parfois curieusement bouffie par les vents de magie environnants, donnant à la terre ce reflet vert de gris scintillant, ne nous avait pas accablé outre mesure. Désormais, même les neiges éternelles les plus douces, l’odeur des pins les plus délicats, et les oiseaux majestueux du sud qui survolent la lande ne peuvent apaiser nos âmes, dont suintent des affres que personne n’aurait pu croire habiter ce lieu. Comme mes paroles peuvent sembler naïves maintenant que je les prononce, notre monde n’a jamais été un éden. D’aussi loin que remontent les écrits et les mémoires, la guerre fait partie du quotidien, comme l’impétuosité est inhérente aux orques. Les guerres vampiriques furent parmi les plus récentes et les plus proches dévastations. Nous pouvions presque sentir l’odeur des vents mortifères et la soif de sang des lignées maudites marcher sur les villes environnantes. Il a été stupide de penser que la malédiction de la non-vie s’éteindrait après ça. La nécromancie avait corrompu trop d’adepte, souillée trop de forêt, et la perversion de la mort s’était imprégnée dans des esprits avides d’une immortelle conquête. * Je faisais partie des visages les plus anciens de cette petite ville. Mon nom est Hélion, bourgmestre depuis trente ans, fils unique de Keira, précédente bourgmestre qui décéda d’une maladie venant du nord lointain, là où se propage des abominations dont nous préférons oublier l’existence. Ma mère fut enterrée loin de la ville, par peur que son fléau ne se transmette, chose qui aurait été bien pire que la mort. Le mal, lorsqu’il se présenta à Chaûmehourg, avait revêtit sa tenue la plus discrète et la plus élégante. Dans notre cas, celle du voyageur ordinaire, cherchant le repos ainsi qu’une bonne bière. Nous lui offrions, avec toutes les commodités offertes par un bourg dont l’accueil n’avait plus à être prouvé. Il gardait son visage caché dans une grande cape d’un vert sombre et terne, et le bâton qui lui servait d’appui lui donnait l’allure d’un ancien savant. Une étrange gemme lapis lazuli pulsait d’une faible lueur à son extrémité. Nous étions habitués à croiser des personnages hétéroclites se pavanant de divers objets magiques, cette babiole n’attira donc pas notre attention. Pas plus que son accoutrement, synonyme d’une volonté de discrétion que nous respections. Sur recommandation du tavernier, le voyageur vint à ma rencontre dès le lendemain et se présenta sous le nom de Hathorr. Il souhaitait s’installer parmi nous afin de poursuivre ses expériences en herboristerie, et par la même occasion, faire profiter de son art les habitants et les voyageurs. N’y voyant aucune objection et par manque de cette discipline, j’accédai à sa requête en le logeant dans l’ancien dépôt de la mine de sel, désormais à l’abandon après une attaque surprise et fulgurante d’une horde de gobelins de la nuit. L’accès à la mine avait depuis longtemps été condamné, provoqué par un effondrement volontaire. Cette décision, qui fut la mienne, me tourmenta indéfiniment. J’avais condamné par la même occasion les gobelins ainsi que les âmes innocentes des centaines de mineurs pris au piège des cavernes sans fonds. Mais je considère pourtant que sans l’inflexibilité et le sang-froid dont je fus preuve, Chaûmehourg aurait été massacrée par la marée gobeline, sans autre témoin que la lune moribonde déversant ses raies moqueuses sur nos corps sans vie. De nombreuses années s’écoulèrent sans qu’aucun incident ne vienne entacher la réputation du nouvel herboriste. Ravie, la population s’entichait joyeusement de ses remèdes, élixirs et infusions. Hathorr n’endurait aucuns reproches hormis ceux d’être taciturne et énigmatique. Une attitude normale pour un être de sa caste, répliquais-je à ceux qui s’adonnaient aux commérages. Cependant, des événements nouveaux allaient me contraindre à prendre au sérieux les récentes complaintes des habitants de Chaûmehourg. Certains affirmaient que depuis plusieurs semaines, des odeurs nauséabondes provenaient du laboratoire d’Hathorr, ainsi que des émanations de brume laiteuse qui s’échappaient de ses murs la nuit. Aussi, tous s’accordaient sur le malaise qu’ils ressentaient en sa présence. Apparemment, Hathorr portait sans interruption un masque d’or lisse, ne laissant entrevoir qu’une infime partie de ses yeux, qui luisaient tels des rubis extraits d’une catacombe maudite. L’herboriste était devenu plus soucieux et scrutait avec une avidité nouvelle les clients. Mais le plus troublant fut la détresse du forgeron Sebastian, un ami proche, qui affirmait avoir vu ses trois filles filer de nuit chez l’herboriste sans en être revenues depuis. « Mes pauvres filles, si douces et si pures, jamais entachées d’une seule pensée impure. Bénies dès la naissance par les dieux des Hommes, toujours à l’heure pour le souper et veiller sur leur pauvre mère. Si jamais ce maudit magicien leur a causé le moindre tort, je n’hésiterai pas à rendre la justice de mes mains. Et tu le sais, mon ami, qu’elles sont rudes et peuvent mettre à mal le plus costaud des nains ». Je savais Sebastian superstitieux envers la plus infime forme de sorcellerie. Sa détresse fut l’élément déclencheur qui me poussa à investiguer en direction de la crête, vers celui que j’avais accueilli parmi nous quelques années auparavant. Toutefois, j’y allais sans ressentiment à son égard, car rien ne pouvait supposer que l’absence de ses filles était liée à Hathorr et ses activités. Je dois confesser qu’en dehors de son temps de travail, lui et moi entretenions un rapport jovial et presque amical, absent de toute trace d’animosité. Avant cela, ma dernière rencontre avec lui remonta à deux mois. Je fus poussé par mon devoir de bourgmestre, afin de prendre de ses nouvelles et m’assurer que ses affaires se déroulaient sans encombre. N'ayant pas d’affinité particulière avec le monde des plantes et des potions, je ne m’attardai pas plus que nécessaire. Cela l’arrangeait aussi, visiblement très occupé, farfouillant frénétiquement dans ses grimoires aussi vieux que la forêt primordiale qui flanquait son antre. Si des odeurs déplaisantes m’avaient chatouillé les narines, je les avais sûrement associées à ses décoctions et ses marmites, dans lesquelles s’échappaient des fumerolles verdâtres aux courbes serpentines. Son repaire sentait la terre, les herbes et la pourriture. Des effluves qui me paraissaient indissociables de son activité. C’est d’ailleurs en connaissance de cause que j’évitais soigneusement de lui rendre trop souvent visite. Ces arômes âcres et puissants, qui accompagnent les magiciens, me dégoutent au plus haut point. Quand je montais la pente douce qui menait chez Hathorr, bien décidé à résoudre le mystère de Sebastian, la lumière déclinante du soleil enveloppait les pins d’ombres trop profondes, et la flamboyance cuivrée de leurs épines me menaçait de plus en plus à mesure que j’avançais. Le sous-bois autour de sa demeure semblait se consumer d’une rage étouffée, prête à exploser. Ce mal être, je ne l’avais pas ressenti la dernière fois, et rien de tel de m’avait enserré le cœur depuis de nombreuses années. Mais je fus instantanément soulagé quand je vis surgir de l’entrée les trois filles de Sebastian. Soulagé n’est peut-être pas le mot juste, car je discernais dans leur attitude une grâce et une aisance qui ne leur étaient pas familière. Elles bougeaient et souriaient férocement, comme détentrices d’une attitude subtilisée à une entité maléfique. D’un ton enjoliveur, elles me pressaient de rentrer afin de me faire découvrir les dernières trouvailles d’Hathorr. Quel lien les filles de Sebastian pouvaient-elles avoir avec l’herboriste, et surtout, depuis quand cette branche de la science magique les intéressait-elles ? Depuis leur tendre enfance, le façonnement du métal les émerveillait peut-être encore plus que leur père. Du moins, c’est ce que j’avais retenu des propos de Sébastian. Je le croyais volontiers car on ne les voyait que rarement sortir de la forge ; leur sérieux et leur calme focalisés et sur les braises et les lames fumantes plutôt que sur la moindre forme de vie sociale. Les voir ainsi me troublait, et lorsqu’elles m’exhortèrent à les suivre dans le laboratoire souterrain, leur euphorie accentua mon malaise. Dans l’escalier en ruine, l’odeur devint écœurante, une mousse jaunâtre et hideuse gonflait et se rétractait sur les parois, libérant ce remugle de nécropole. Seule une torche chétive en bronze éclairait l’escalier, et je priais pour qu’elle tienne le coup afin de ne pas briser ma nuque sur les angles tranchants des pierres de silex. En bas, Hathorr se tenait debout, le dos courbé au fond de la pièce, face à ses athanors, ses fioles et ses nombreuses herbes. Lorsqu’il détourna le regard sur moi, la gêne de son apparence vint s’ajouter à celle déjà présente des émanations et de l’obscénité des filles du forgeron. L’herboriste s’approcha de moi ; les reflets mouvants de son masque d’or me donnèrent la nausée, comme si je me fus retrouvé en pleine mer, malmené par une tempête surnaturelle. Il ne faisait aucun doute que ce qu’il se tramait dans ce sous-sol n’avait rien de réconfortant, et la suite, je le devinais, ne promettait guère plus d’enchantement. Sa cave contrastait de façon scandaleuse avec la boutique à l’étage qui accueillait le chaland. Il était aisé de croire que depuis tout ce temps, Hathorr trompait les apparences et se servait du dépôt pour ses sombres machinations. Des murs décrépis s’échappait cette fameuse brume laiteuse aperçue par mes concitoyens. Sa source provenait de chair humaine sanguinolente se balançant sur des crochets rouillés. Les fumées des braseros aux couleurs améthyste laissaient entrevoir de minuscules démons diamantins, parodiant avec démence je ne savais quel tango inhumain. Je tentai d’ouvrir la bouche mais un léger mouvement de son bâton me contraint au silence et me força à écouter son discours extatique. « Mon cher Hélion, je t’attendais. Tout d’abord, je dois te remercier pour ton accueil chaleureux lorsque je me fus présenté à toi, et encore plus pour m’avoir légué ce dépôt. Je n’imaginais pas qu’une ancienne mine de sel pouvait recéler tant de merveille. » Hathorr sentit que ses paroles directes et sibyllines me troublèrent. « Mes premières intentions furent louables et honnêtes, l’herboristerie me parut une discipline respectable que je désirai approfondir. Mais l’honnêteté et le respect que j’ai pour toi m’obligent à la confidence. Car tu le mérites, tu m’as fait place dans ta communauté sans hésiter et sans jugement. En somme, l’herboristerie, c’est harassant et ennuyant. Différencier, classer et inventorier les plantes était un calvaire et cela m’irritait. Je pense même que j’avais fini par les abhorrer, car, soit elles ne poussaient pas, soit elles ne produisaient pas l’effet escompté. Le vivant était si difficilement manipulable et j’en étais épuisé. J’étais victime d’un manque de sommeil causé par mon acharnement stérile. Mais j’ai découvert une nouvelle forme d’art, plus élégante, silencieuse, obéissante et respectueuse. Malgré certaines lacunes que je dois encore combler, je me sens plus vivant et je m’épanouis tel un agave ! » « Dites-lui maître, dites-lui ce que vous avez trouvé dans la mine ! » ajoutèrent les trois sœurs, hilares et impatientes. La scène que je vivais était déplaisante et virait à la tragédie. Mon anxiété faisait déferler par vagues des supplices dans mon corps endolori. « N’avez-vous aucun respect les filles ? Ne vous est-il pas venu à l’esprit que cette histoire n’intéresse peut-être pas Hélion ? » De nouveau, un léger mouvement de son bâton appliqua sur ma tête une force irrépressible, qui provoqua contre ma volonté un hochement affirmatif. « N’avais-tu vraiment aucune idée de ce qui se trouvait dans ces mines ? Je pense que les gobelins furent attirés par un artéfact d’une grande puissance, mais l’effondrement que tu provoquas coupa court leur recherche, ainsi que la vie de tes sujets, mais ça, tu le sais déjà. Fort heureusement, l’ambition des gobelins de la nuit n’était pas aussi puissante que leurs champignons. » * Un soir d’ennui après une longue journée à distribuer des philtres à ses clients, Hathorr voulut se dégourdir les jambes sous les lueurs diaphanes de la lune, parmi les pins centenaires et la roche recouverte de mousse aux reflets célestins. C’est en allant chercher sa cape rembourrée dans le fond de son laboratoire qu’il ressentit d’étranges vibrations par-delà le mur de pierres brutes. Un léger relent caverneux filtrait dans les interstices et détourna brutalement Hathorr de sa motivation première, à savoir prendre l’air. Dès lors, contre toute attente, il aspirait à explorer les profondeurs de la terre. Il ignorait ce qui le poussait à entreprendre une mission si périlleuse, mais en tant que magicien, il savait que le vieux monde regorgeait de charmes dotés d’un pouvoir d’attraction étourdissant. Lassé de vendre des placebos et des infusions pour le mal de dos, il embrassa avec ferveur la perspective d’une aventure périlleuse, voire mortelle, du moment qu’il pouvait s’affranchir, le temps d’une nuit, de son statut actuel. Aidé d’un familier qu’il avait invoqué, Il déblaya sans mal l’ancien accès à la mine, dont la pente de terre sinueuse filait sur plusieurs kilomètres sous la roche d’ébène. Il avança vivement, excité, éclairé par son bâton serti de la pierre lapis lazuli qu’il enchanta d’un sort mineur de luminosité. Au terme d’une longue marche dans un silence d’éternité, dans lequel nulles torches n’avaient brillé depuis l’effondrement, Hathorr senti de nouveau l’odeur qui l’avait attiré ici-bas. Cette fois-ci se mêla aux relents de souffre un parfum étrangement sucré. La sensation le perturba et les particules de cet air nouveau ébranla sa perception du souterrain. Le chemin se rétrécissait-il ou alors s’élargissait-il comme le ventre boursouflé d’une abomination du Chaos ? Au paroxysme de son hébétude, il trébucha sur un promontoire depuis lequel il put contempler l’immensité caverneuse qui s’étendait sous lui et jusqu’à un kilomètre de haut. Hathorr examina avec terreur et fascination l’ampleur de l’abîme. L’ancienne mine aurait pu abriter le plus faste des palais, sur lequel pourraient s’appuyer des tours d’ivoires, dont même les géants qui accompagnent les peaux-vertes ne pourraient en atteindre le sommet. Des volutes pourpres embrumaient la grotte à perte de vue. Elles virevoltaient dans une danse éthérée partant du sol jusqu’au firmament ténébreux. II le savait, cette fantasmagorie n’était rien de moins que des vents nécromantiques. Les morts de la mine rayonnaient d’une magie amarantine et hypnotisante. Une peur naturelle le fit douter, mais une curiosité surnaturelle le guida vers le fond nébuleux, là où les centaines de cadavres semblaient attendre leur futur maître. La pierre du bâton d’Hathorr irradiait plus intensément à l’approche des lambeaux de peaux pourrissant et des ossements séculaires. Son bleu profond évolua vers un turquoise aux reflets maladifs de tourmaline. Se croyant seul dans les profondeurs violacées, Hathorr avançait vers la direction désignée par son bâton. Il ignorait que celui-ci pouvait réagir à cette magie, tout comme il ignorait ce qu’il adviendrait de lui une fois arrivé là où il le guidait. La voile nécromantique se densifia et les vapeurs sucrées lui permettaient à peine de distinguer ses pieds. Pendant que les lueurs d’outre-tombe tournoyaient autour de lui ainsi que dans son corps, Hathorr perdit momentanément connaissance, incapable de supporter plus longtemps ce flux magique. Il s’écroula sur les dépouilles osseuses, qui craquèrent si fort qu’une résonnance extraordinaire se propagea dans les cavités insondables. Dans sa semi-conscience, ses oreilles distinguèrent un autre bruit que celui de sa chute sur la mer d’ossement. Par-dessus l’écho des os, il entendit d’horribles et indicibles rugissements. Hathorr avait longuement voyagé dans le vieux monde, mais jamais il n’avait pu rencontrer ce qui bondissait vers lui tels des chiens du Chaos enragés. Trois horreurs des cryptes se tenaient face à lui, les nasaux fumant d’une férocité prête à démembrer ; la bave dégoulinante sur des dents prêtes à dévorer. Dans un acte stupide et désespéré de survie, Hathorr brandit sa lumière vers les créatures informes et musculeuses, qui, contre toute attente, s’immobilisèrent. Il était certain maintenant que son bâton n’avait rien d’ordinaire et contenait un pouvoir qui dépassait sa compréhension. Parmi les trois horreurs, une se distinguait des autres par sa plus forte corpulence. Dans sa bouche pendait mollement un bras déchiqueté, dont le sang perlait sur le tapis d’os blanchis par le temps. La créature, par des pantomimes désarticulées, fit comprendre à Hathorr de la suivre, tandis que les deux autres émirent des grognements l’enjoignant à ne surtout pas décliner, sous peine de finir comme les mineurs et les gobelins gisant sous ses pieds. Les gigantesques goules guidèrent Hathorr encore plus loin sous la surface, là où la pale clarté nécromantique continuait de s’amplifier, offrant aux yeux épuisés d’Hathorr une phosphorescence nécessaire pour ne pas tomber. Ils progressèrent durant des heures, dans un silence seulement troublé par le craquement des os et le bruissement gluant de cadavres encore frais. De toute évidence, les horreurs trainaient leurs proies jusqu’ici pour les manger. Cela signifiait qu’il existait quelque part une autre entrée que celle auparavant condamnée, seulement connue des trois monstres. Enfin, ils firent face à une alvéole creusée dans la paroi rocheuse. Les goules firent halte, visiblement incapables d’avancer vers le trou qui flamboyait d’une lumière plus prodigieuse que tout ce pouvait sécréter la folie. Contre sa volonté, la pierre de son bâton siphonna en une fraction de seconde l’iridescence nécromantique, et plus rien ne fut visible dans l’alvéole hormis un livre grotesque, relié d’un assemblage de peaux mouvante. Dessous, gisait une ignoble main osseuse aux articulations démesurées. * C’est ainsi qu’Hathorr me narra toute ses découvertes impies. Le bâton qu’il possédait depuis son voyage dans les forêts de l’empire se révéla être le sceptre de Jacques De Noirot, un nécromancien qui n’avait pas réussi à contenir les morts qu’il avait réveillés de leur tombe. Les zombies l’avaient dévoré puis s’étaient répandu dans le village, ne laissant qu’un horrible charnier avant d’être anéantis par des chevaliers. J’avais mentionné qu’Hathorr portait un masque d’or ; il m’expliqua que la déflagration qui succéda l’absorption nécromantique le défigura outrageusement, l’obligeant désormais à se cacher derrière la froideur de ce métal bruni. Mais la plus épouvantable de ses découvertes fut celle du livre. Il m’informa que ce tome maudit appartenait à une plus vaste collection, celle des neufs livres de Nagash, le plus grand nécromancien de tous les temps. Hathorr possédait l’une des plus puissantes reliques de notre monde, et il comptait bien s’en servir. Les trois horreurs qui l’avaient accompagné se dévoilèrent, dociles mais excités à l’idée de m’avaler. Au même moment, munies d’une célérité surnaturelle, les filles de Sebastian s’approchèrent chacune d’une des grosses goules pour les cajoler comme des chiens domestiques. Elles les avaient respectivement nommées Clatto, Verrata et Nicto. Ce détail me fit frissonner, car ses noms auraient pu être une formule maléfique écrite dans le livre du grand nécromancien. Pendant ce temps, Hathorr m’exposa avec une étonnante chaleur ce qu’il comptait faire de ce nouveau pouvoir. « Hélion, tu dois penser que je suis devenu une personne abjecte et que la lecture de ce tome interdit à nui à ma raison ; que je souhaite dans un élan de fureur réduire le monde à feu et sang. Il me faut admettre que je dois lutter intérieurement avec une partie de mon âme pour ne pas me laisser submerger. Mais je sais ce qu’il est advenu des nécromanciens fous par le passé, et je ne compte pas suivre leur exemple. Maintenant que le livre et le sceptre m’ont permis de maitriser l’art sombre à une vitesse impensable, je compte l’utiliser de la plus belle des façons, en partie pour te remercier. Je me rends compte que j’ai toujours trouvé plus raffinées les plantes qui vivaient leurs derniers instants, les herbes sur le point de se faner, et les arbres capituler face à l’automne écarlate. Dans ce relâchement, cette abnégation face au poids de la vie, j’y ai toujours vu une forme de libération ; pour enfin cesser de lutter face au bouillonnement de l’être qui nous écrase et nous oblige à combattre sans cesse. » Sur un ton plus froid, il continua. « Tu diras aux habitants de Chaûmehourg et aux voyageurs que rien d’anormal ne se passe ici, que l’herboriste travaille actuellement sur des remèdes innovateurs, d’où les émanations brumeuses ainsi que les odeurs. Je vais réhabiliter la mine grâce à ma nouvelle main d’œuvre fraichement ressuscitée. Car oui, les mineurs que tu avais condamnés remarches à nouveau et creusent sans aucune fatigue les filons depuis longtemps à l’abandon. Comme au temps jadis, vous disposerez d’une quantité de sel illimitée. Tes affiliations marchandes devraient s’en réjouir, toute comme cela participera à la prospérité de Chaûmehourg. Je demande simplement en échange des ouvriers réguliers, que tu choisiras de la façon qui te semblera la plus honnête, éthique ou que sais-je. Dans cette tâche tu seras aidé par Camilia, Candide et Grayce, à qui j’ai sublimé la vie en leur offrant un philtre de sang. Je te présente les premières vampires de Chaûmehourg, proches de l’ancienne lignée de la grande reine Neferata. Leur nouveau pouvoir de séduction devrait aisément te faciliter les négociations afin de convaincre les individus et les guerriers itinérants de me rendre visite. De là je m’occuperai de leur cas afin qu’ils rejoignent mes rangs infatigables. Il n’y a pas que le sel qui m’intéresse, j’ai aussi besoin d’une abondance d’âmes pour la création de ma Mortis Engine, un palanquin à la hauteur de mon pouvoir et de la beauté mes princesses. » « Si jamais l’on me rapporte une quelconque tentative de trahison, tu devras en payer le prix fort. Je connais l’emplacement de la tombe de ta mère, les supplices que j’infligerai à ta chair ne seront rien en comparaison de ce je pourrais lui faire. Je n’hésiterai pas à lui offrir les tourments éternels, même par-delà le voile de la mort. » * La vanité et le pouvoir ont toujours obstrué la raison et lénifié les angoisses de l’échec. Pour Hathorr, il en oublia jusqu’à l’essence même de la magie. Elle est instable, capricieuse et souvent insaisissable, même pour les hauts elfes D’Ulthuan. Les années qui suivirent, Hélion souffrit en silence, jugulant son besoin d’appeler à l’aide afin de mettre un terme au poids de la malédiction qu’il portait seul. Sous la servitude exigée par Hathorr, il en perdit la raison et fut rongé par une mélancolie si profonde qu’elle aurait pu se matérialiser physiquement, voilée d’un million de peine, telle une veuve errante parmi les tombes. En peu de temps, la magie de la mort suppura de tous les coins de Chaûmehourg, et malgré les promesses pleines de bonnes volontés, Hathorr peina à contenir l’essence nécromantique toujours plus grandissante. D’étranges apparitions nocturnes s’entraperçurent derrières les sous-bois et les valons rocheux, des volatiles inconnus planèrent singulièrement au-dessus des toits de chaume, se fracassant sans raison sur les cheminées de briques fondus. L’éclat du soleil diminua, et le flux magique initialement contenu dans la mine ruissela jusque dans les encoignures les plus sombres. Le fléau pourpre brisa le moral du peuple, qui déclina en rythme avec celui d’Hélion, telle une chorale funeste suivant consciencieusement son chef d’orchestre en dépression. Le savoir d’Hathorr devint encombré et sa capacité d’adaptation se cristallisa. Ce qu’il ne sut pas, comme beaucoup trop de chose en ce monde, fut la volonté maudite encore emprisonnée dans les cadavres de la mine. Les morts-vivants avaient gardé en eux le souvenir de leur tragédie passée. Les mineurs savaient que le responsable de l’effondrement respirait toujours à la surface, et la destruction de leur corps réclamait justice pour leur âme. Lors d’une nuit froide de pleine lune aux couleurs méprisables, les cadavres sortirent de terre et dévorèrent tout ce qui respirait, mus par une colère et une injustice qui continuaient de les consumer. De la terreur et du sang mêlés en résultèrent de longues heures d’agonies, accompagnées de cris plus désespérés que ceux des banshees. Des hommes, des femmes et des enfants, il ne resta plus rien. Hélion fut le dernier à périr, avalé et déchiqueté morceau par morceau, lentement, si lentement qu’il eut la malchance d’imprimer dans son dernier œil tombant, toujours accroché à sa peau, les premiers rayons chauds du soleil matinal. Dans sa démence grandissante, Hathorr en éprouva une tristesse sincère, car il perdu Hélion, qu’il avait appris à respecter et apprécier, à la manière d’un nécromancien capable d’aimer un vivant. Il le ressuscita et lui offrit en récompense l’honneur de porter sa grande bannière, créée à partir d’un amalgame de peau de nouveaux nés. Sa Mortis Engine était depuis peu terminée, il décida donc de partir, accompagné de ses trois vampires. Durant le massacre, Camilia, Candide et Grayce avaient offert à leur père la chance d’échapper à la morsure des zombies. Sebastian fut forcé par ses filles à boire un élixir de sang stryge, un sang perverti qui convenait mieux à la rudesse et la force de ses membres. C’est ainsi qu’Hathorr, maître nécromancien, fuyait vers le refuge de la Sylvanie avec son armée, suivant les traces de ses homologues qu’il avait raillés dans son excès d’arrogance. Modifié le 2 juin par Bobbyfromthesky Citer Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites More sharing options...
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