Shas'o Benoît Posté(e) le 28 novembre 2007 Auteur Partager Posté(e) le 28 novembre 2007 Naïf, naïf, peut-être un peu, c'est vrai. Mais bon c'est dans leur nature, hein, du moins dans l'apparence de leur nature. Et puis un détail : Lamenoire vient d'arriver dans un royaume de dryades : l'une des dix principales races mortelles de son monde ( bien qu'elles vivent plusieurs siècles ). Les Elfes Sylvains n'ont pas de filiation par le sang avec les dryades, et les considèrent avec la même condéescendance que les autres races "inférieures". Voilà général, un texte servi en temps et en heure. Bonne lecture ! De délicates colonnades enroulées en spirale soutenaient de graciles arcades de pierre, enjambant la longue allée de pierre blanche agencée en mosaïque. Les éclats de céramique, de granit et de stuc colorés formaient des spirales, des croix, des dallages s’emmêlant joyeusement dans une sarabande de couleur. Entre les colonnes aussi fines que des arbrisseaux pendaient des branchages emberlificotés, croulant sous les calices roses de fleurs épanouies. De tous côtés, les jardins multicolores, vert émeraude, blanc neige, rouge rubis et bleu saphir s’étalaient comme un tapis de merveille. Des pétales volaient dans la brise fine qui balayait le pavage aussi lisse que du velours. Une assemblée chaleureuse se tenait là, écoutant avec attention une discussion qui résonnait, vrai chant de rossignol sifflant dans le matin. On reconnaissait des dryades en robes des champs, des fleurs passées dans leurs chevelures dorées ; des hospitaliers aux yeux pers, leurs dagues passées dans leurs ceinturons ; des hernes vénérables aux barbes tombantes, mais aux corps pleins de verdeur et de vivacité ; bref, des habitants des bois en tous genres, côtes à côtes et unis par l’amitié. A l’extrémité du petit chemin couvert, qui serpentait entre les bosquets de gentianes, les parterres de lys et les cercles de lilas, une grande fontaine déversait une eau fraîche et pure. Les gouttelettes sortaient avec joie d’une grande roche sculptée sous la forme d’un cerf bondissant, et l’eau jaillissait de son front baissé, entre ses deux bois ramifiés. Un bassin s’élargissait autour de la source, et conduisait le torrent bleu hors des jardins, dans un lit de galets de nacre. Au bord de ce bassin, un hospitalier achevait sa phrase. Vêtu d’une longue tunique, de longues braies et d’un surcot damasquiné, il avait tout l’air d’un aristocrate. Pourtant rien dans son attitude ne laissait transparaître de la fierté ou de l’arrogance. Une main posée sur le rebord de pierre grise, l’autre posée sur la poignée de son glaive court, il finit son discours. Tous les souffles de l’assistance furent retenus, car Yrranie allait parler. Yrranie était assise au bord du bassin elle aussi, légèrement de trois quart. Elle était vêtue d’une longue robe ample et légère, presque évanescente. Elle était retenue aux épaules par deux broches en forme de feuilles de chêne, et décorée sur toute sa longueur par des motifs de fleurs stylisées. Elle ne portait pas de bijoux recherchés, de colliers de pierres ou de bracelets précieux ; ses cheveux flottants retombaient avec art sur ses épaules libres, et les mèches bouclées, couleur terre de sienne, ruisselaient dans son dos jusqu’à sa taille. Derrière sa silhouette mince et fluette, les nervures impalpables de quatre ailes de libellule transparaissaient. Ses jambes à moitié repliées froissaient sa robe, et laissaient voir des boucles de rubans de soie enroulés autour de ses mollets et de ses fines chevilles. Sa taille étroite était soulignée par une ceinture pourpre de tissu fin, s’enroulant plusieurs fois avant de s’achever par deux pointes flottantes. Elle avait le front large, les joues fraîches et hautes, le menton mince et bien dessiné ; son nez droit mais discret était vite oublié, car les reflets de ses yeux captaient tout de suite l’attention. Son arcade sourcilière en forme de lyre, ses longs sourcils presque dorés mobilisaient le regard, et les battements de ses cils faisaient écho aux papillonnements des élytres de demoiselle dans son dos. Ses pupilles presque dilatées tremblaient d’une émotion intérieure, entourées par les pupilles d’un bleu lumineux. Elle ne tenait pas de sceptre dans ses mains blanches, pas plus que de diadème sur son front de nacre ; la seule preuve de sa royauté était sa majesté, sa prestance naturelle. Il n’y avait rien de maniéré dans son port altier, rien de contrefait dans sa tenue. Tout simplement, elle était noble par essence, et incroyablement belle de surcroît. Elle entrouvrit ses lèvres fines, et avant même que les premiers sons mélodieux de sa voix ne vibrent jusqu’à lui, Lamenoire comprit qu’à sa grandeur et sa grâce s’ajoutait un esprit perspicace. Les mots montaient et descendaient, joyeuses trilles lancées dans l’assemblée, comme un bouquet de fleurs sauvages. Tous écoutaient la réponse de la Dame. Le rôdeur ne faisait même plus attention au sens des paroles, pour ne s’attacher qu’à la mélodie charmante des sons, des accents et des échos de ces quelques phrases. Et puis le silence se fit, et il revint à la réalité : le prince hospitalier s’était incliné avec déférence, et après trois révérences, avait rejoint le premier rang de la cour. Yrranie tourna alors la tête droit vers Gandacier, plongeant ses yeux clairs dans les siens. Le rôdeur ne put résister et tomba, un genou à terre, le front baissé. « -Relevez-vous, visiteur. » Cette invitation, c’était un ordre pour lui ! Avec une maladresse dans laquelle il ne se reconnaissait plus, il se remit debout, esquissant un salut de la tête. La Dame reprit : « -Vous venez des bordures du nord. On m’a rapporté que vous souhaitiez me voir. » Les mots coulaient plus doucement encore que les perles de rosée sur les feuilles d’un rosier, au petit matin. C’est exactement la façon dont Lamenoire les perçut, et son esprit était tout occulté par cette vision, si bien qu’il ne put que bafouiller quelques syllabes : « -Altiforge… M’avait parlé de vous. » Yrranie observait une pause. Elle voulait ménager son auditoire, car elle savait que le charme de ses paroles risquait de griser, si les mots se suivaient trop vite. Pourtant cette fois, une étincelle de curiosité éclaira ses pupilles noires : « -Altiforge dites-vous ? J’ai bien connu certain seigneur nain autrefois, portant ce nom. -Ratirk Altiforge, s’enhardit l’homme, un peu rassuré. -Vraiment ? » Une houle légère souffla sur l’assemblée, ballottée par ce va et vient de réponses dans lesquelles la reine dissimulait à peine la puissance de son esprit. Dans son dos droit, les ailes délicates s’agitaient avec légèreté. Lamenoire sentait les palpitations de la pensée de son interlocutrice, et il comprenait, avec un sentiment diffus de honte, que toute cette conversation n’avait d’abord été qu’un examen de conscience. Yrranie semblait satisfaite de cet interrogatoire, car elle finit par ajouter : « -Messire Lamenoire –et avec quelle chaleur ce mot vibrait dans sa voix !- vous mangerez à ma table, ce soir. » A nouveau, elle le regarda dans le blanc des yeux. Lamenoire ne sentit plus la même force impérieuse qu’avant, mais il tomba à nouveau à genoux, voulant lui-même prouver sa reconnaissance et son respect. Quand il rejoignit sa place dans les rangs de l’assemblée, un murmure d’incrédulité résonnait parmi les dryades et les hernes. Un intrus humain invité à la table royale, cela ne s’était jamais vu ! Yrranie quitta sa place au bord du bassin, laissant les franges de sa longue robe s’étaler sur l’herbe humide et parsemée de violettes. Elle n’avait pas besoin de faire un signe ou de donner des ordres : tous, Lamenoire et Mylnar compris, s’agenouillèrent ensemble, courbant la tête à son passage. Yrranie longea la ligne de bustes penchés, frôlant les visages des courtisans, des généraux et des conseillers. Chacun s’illuminait d’une foi en l’avenir, d’un courage et d’une joie nouvelle, quand les mains graciles passaient devant eux. Les pieds fragiles dansèrent sur le parterre emplis de parfums, les derniers plis de sa cape volèrent derrière elle. La cour se releva, elle était partie. Les groupes se dispersèrent dans les jardins et les petits belvédères, discutant de cette entrevue animée. Calis et Talaria restèrent aux côtés des deux invités abasourdis : « -Jamais une chose aussi incroyable ne s’était produite, commenta Calis, presque envieux. Vous allez manger à sa table ! -J’imagine que c’est un grand honneur, s’excusa Lamenoire. -On n’aurait pu vous en faire un de plus grand ! s’étonna Talaria, aussis surprise qu’émerveillée. Je me demande ce que vous avez dit… -En tout cas, un tel honneur, je te le laisse, remarqua Mylnar. Rien que de rester devant elle, j’étais pétrifié. J’avais l’impression d’être seul et abandonné à moi-même. C’était un cruel sentiment d’impuissance. -Il est vrai que tant de… Enfin, il y a de quoi ne pas être à l’aise. -Ouvrez les yeux, étrangers : vous avez contemplé l’un des plus nobles habitants de ce monde, leur lança Calis en croisant les bras. Alors, vous avez un ami commun ? -Ratirk Altiforge ? Je n’en sais rien. C’est quelqu’un que j’ai apprécié pour son courage et sa droiture, bien que je ne l’aie rencontré qu’il y a peu. -Et c’est donc lui qui vous a dit de nous rendre visite ? -En quelque sorte, avoua Lamenoire. Mais je ne sais pas pourquoi. -Assez de questions pour l’instant, trancha Talaria. Il sera bientôt l’heure du banquet, et puisque vous aurez l’honneur d’être à sa table, il faudra penser à vous préparer. -Je n’ai rien d’autre à me mettre, fit Lamenoire sur un ton confidentiel. -Je le sais ! rit la dryade, en secouant les épaules. C’est moi-même qui ai veillé à renouveler votre garde-robe. Non, je parlais de votre attitude. -Qu’a t-elle donc ? -Quel tempérament ! Voilà justement le genre de rebuffade qu’il faut éviter en présence d’hôtes de marque, rôdeur. -Oh, ne vous… Ne t’inquiète pas pour cela. Comme l’a fait remarquer Mylnar, impossible de garder contenance devant cette… Dame. -Je le pense bien, mais sait-on jamais, répondit doucement la dryade. Souvenez-vous de toujours peser vos paroles, et de ne vous adresser à elle que si elle vous le demande. -Et avec déférence, renchérit Calis. On prend ces choses très au sérieux, ici. Le manque de respect envers la Dame est un des pires crimes qui soient. -Je saurais faire preuve de toute la courtoisie requise, rassurez-vous. J’ai eu mes entrées à la cour du roi de mon pays, autrefois. -Nous ne parlons pas d’un roi humain, grogna Calis, mais de la Dame, c’est autre chose… -Vous m’insultez, Calis ? Un roi humain vaut bien une Dame des bois ! Ce sont deux créatures nobles et droites, s’appliquant à faire le bien de leurs peuples. Il n’y a pas de différence à mes yeux. » Calis ne répondit rien mais garda une mine sombre. Quand à la dryade, elle hocha de la tête. Décidément, cet étranger lui faisait bonne impression. Elle avait hâte de connaître son histoire, et les raisons de sa venue. L’air songeur, elle indiqua les rayons biaisés du soleil, qui tombaient en diagonales jaunes à travers les feuillages clairsemés : « -L’après-midi tire sur sa fin, messeigneurs. Le banquet sera inauguré d’ici moins d’une heure, tout au plus. Puisque nous avons un peu de temps, je vous propose une visite du palais et de ses cours, qu’en dites-vous ? -Très peu pour moi, déclina Calis. J’ai quelques compagnons à voir, et des ordres à donner. Et puis je connais l’endroit. -Je m’adressai à nos deux invités… -J’accepte volontiers, approuva Lamenoire. Et toi Mylnar ? -Je ne vais pas refuser une occasion de voir toutes ces merveilles. Et puis repérer les lieux peut m’être utile, si je veux un jour quitter ma chambre sans risquer de me perdre ! -Alors je vous laisse, conclut Calis. Mais souvenez-vous qu’ici, les murs ont des yeux. Vous êtes sous surveillance, où que vous alliez, aussi je vous recommanderai la plus extrême prudence dans vos faits et gestes. -Quoi, nous sommes prisonniers ? s’offusqua le rôdeur. -Pas du tout ! protesta Talaria. Si nous avions eu le moindre doute à votre égard, jamais la Dame ne vous aurait guéri. -Cela dit, nous ne connaissons toujours pas votre véritable but, ajouta l’hospitalier. Vous comprendrez que nous restions sur le qui-vive. -Certes, c’est tout naturel. » Calis s’inclina légèrement et les salua de la main, dans un geste sec et militaire, puis se retourna en pivotant sur son pied droit et s’éloigna, disparaissant bientôt derrière les rideaux de piliers fins. Mylnar garda un instant ses yeux fixé dans sa direction, puis remarqua : « -Il n’est pas très accueillant… Beaucoup moins que votre Dame en tout cas. -Il a plus de soupçons, c’est tout, supposa Talaria. -Et vous, vous en avez ? -Bien sûr que non ! Si vous étiez là pour de mauvaises intentions, Dame Yrranie s’en serait aperçue rien qu’en faisant glisser son regard sur vous. -Un tel pouvoir doit la mettre à l’abri de ses ennemis, s’émerveilla Lamenoire. -Vous savez, la Dame ne craint personne au monde. Mais ce n’est pas pour autant qu’elle prendrait des risques. Elle tient beaucoup à la vie de ses sujets. Cela la rend sans doute encore plus prudente. -La vie ici, vraiment… Enfin, je ne sais comment l’exprimer, avoua le rôdeur. Tout ce charme, cette sérénité, cette délicatesse presque désuète dans le protocole, bref toute la vie de ce palais est liée à la Dame ; c’est ainsi que je le ressens. J’ai une impression vague de respect pour elle, rien que pour toutes ces choses. Je suis persuadé, je ne sais pas pourquoi, mais je suis prêt à parier que tout cela tient à elle, en elle pour ainsi dire. Pardonnez-moi si je suis trop flou, mais… Bah, cela tient à mon éducation. J’avais un maître très exigeant sur les mots à employer, mais pour une fois, je ne trouve pas le terme adéquat pour exprimer ma pensée. -Tout se passe comme si la vie de se lieu tenait à sa propre vie, proposa Mylnar. -Il y a un peu de cela, approuva la dryade, en leur faisant signe de la main de passer un croisement pour s’engager dans des jardins fleuris. La Dame Yrranie est une mère pour nous tous, c’est l’âme de notre royaume. -Mais il y a bien eu quelqu’un avant elle, pour diriger ces peuples ? supposa Gandacier. -Non, pas le moins du monde. -Je ne comprends pas… -Quand mon peuple s’est établi ici, cela remonte à l’Ere d’Or, il avait subi une importante défaite. C’était un des reliquats de notre grande armée, fuyant les ravages de la Guerre Sylvanique. Après le désastre des Branches Noires, des survivants de notre capitale ravagée s’enfuirent au sud, se réfugiant jusque sous les frondaisons de ces grands bois. C’est à cette époque, il y a deux mille ans environs, que la Dame Yrranie est apparue. Elle a tout naturellement assuré la régence de ces rescapés. -Et depuis tout ce temps, elle est restée ? -Oui, immuable comme les arbres de nos sous-bois. -Si nous avions eu de tels chefs, dans les Landes Ténébreuses… -Chacun a ce que le destin lui envoie, cita Talaria. Mais je suis sûre, moi, que les rois des humains sont eux aussi irréprochables. -Pas tous, regretta le rôdeur, mais celui des Landes était un preux, dont la mémoire ne tombera pas. » *** Bon puisque ce passage est fini, un rapide topo sur les dryades : on dit une dryade, un hospitalier. Les hernes sont les membres d'un autre peuple primitif coiffé de cornes de cerf ( le féminin de herne est une herne ). Les feu-follets sont de simples esprits des bois. Quand aux fées, il y en a fort peu, dans le monde de Tü, et elles sont considérées comme des créatures quasi divines ( les fées sont l'équivalents des Seconds, c'est-à-dire des "Anges" protecteurs des Elfes, et sont au même rang psychique et "potentiel" que les dragons ). Citer Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites More sharing options...
Inxi-Huinzi Posté(e) le 29 novembre 2007 Partager Posté(e) le 29 novembre 2007 Bon ce passage est tout aussi bien qu'avant La première partie sur la description, fait un peut penser à Bisounoursland mais je pense que c'est normal. C'est fait pour montrer le contraste, tout le monde il est gentil, toutébo, ce genre de choses. Rencontre avec la reine et pour la première fois, on se rappelle ce qu'ils font ici ( quand il parle du nain, j'avais déjà zappé )On a même un rappel du début de l'histoire avec les Landes donc on se resitue et on se rappelle que c'est toujours le même récit Donc j'attends le fameux repas pour voir comment va se négocier la suite de l'histoire ! @+ -= Inxi =- Citer Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites More sharing options...
Shas'o Benoît Posté(e) le 9 décembre 2007 Auteur Partager Posté(e) le 9 décembre 2007 Ben voilà les négociations ! Bonne lecture, et accroche(z)-toi(vous) ! Ils gardèrent ensuite le silence, suivant leur hôtesse. Elle les guida à travers les sentiers semés de sable blanc, les petits bosquets de roses, les esplanades couvertes de granit poli et de buissons ornementés. Parfois, ils rencontraient une statue en bronze, perdue entre les arbres sinueux. Elles représentaient des biches en train de s’abreuver le long du petit ruisseau, ou des chasseurs hernes embusqués derrière des souches d’arbre renversées. Certains bandaient leurs arcs, d’autres tenaient leurs lances effilées à deux mains. D’autres encore étaient sculptées à l’effigie de quelque magicien d’autrefois. Graves, leurs longues barbes métalliques descendant jusqu’à leur taille, ils scrutaient leurs spectateurs, leur renvoyant leur étonnement. Ils trouvèrent même plusieurs figures d’hommes ailés, sur le point de s’arracher à la pesanteur. Talaria ne leur fournissait pas le moindre commentaire, mais se contentait de sourire en les regardant s’émerveiller. Ils franchirent le ruisseau sur un petit pont décoré de colonnades couvertes de lierre, et passèrent autour d’un belvédère ombragé. Des chênes majestueux étiraient leurs branches, cachant les rayons du soleil qui déjà déclinait à l’horizon, loin par-delà les murs verts du palais. Une musique flottait dans l’air, ils comprirent qu’un musicien jouait de la harpe dans le pavillon isolé. Ils s’approchèrent, intéressés. Un hospitalier était assis en tailleur à même le sol, pinçant les cordes de son instrument avec art. Quelques hernes et dryades l’écoutaient admiratifs, et les trois amis restèrent quelques instants, à profiter de ces accords mélodieux. Tant de merveilles s’étalaient devant eux ! Et pourtant, aux coins des bosquets, des archers conversaient entre eux ; sur les remparts de lierre et de marbre, quelques silhouettes fines, sentinelles vigilantes, observaient la ville au-delà des murailles. De par et d’autre des portes et portiques, des lanciers attendaient en silence, que leur faction soit relevée. Lamenoire songeait à tout cela : que tant de beauté cache une si grande inquiétude, de si nombreuses précautions, cela avait un je-ne-sais-quoi de dérangeant. Il fit part de ses réflexions à leur hôtesse : « -Il faut comprendre toutes ces mesures, se justifia la dryade. A plusieurs reprises, notre société a été menacée, que ce soit par les hommes du nord ou du sud, ou les peuples barbares de l’est. Ce que vous pourriez prendre pour de la paranoïa est pour nous la plus élémentaire sagesse. Peut-être les autres races ont-elles oublié les guerres d’antan, mais pour nous qui vivons de nombreux siècles, nous en gardons un souvenir vivace. Certains parmi nos rangs ont déjà eu à repousser quatre invasions en règle, et tout porte à croire que de nouvelles hordes se rassemblent dans les déserts du levant. L’ennemi extérieur n’est pas le seul à nous causer de l’ombrage : il existe plusieurs factions dissidentes au sein même de la forêt, et cette menace nous inquiète d’autant plus. Il y a de nombreux devin hernes, qui ont refusé de prêter le serment d’allégeance, des tribus dryades sauvages dans les bosquets de la côte ouest, et même des rumeurs de stryges. Vous voyez que notre branle-bas est justifié. Pour protéger nos trésors de paix et de beauté, nous sommes prêts à prendre les armes. Nous gardons toujours le flambeau allumé, car nul ne peut trébucher s’il voit l’obstacle. -Certes, je peux comprendre tout cela, approuva le rôdeur. Mon propre pays a connu un état de guerre continu durant ces dernières générations. A l’heure où nous parlons, je suis probablement le seul rescapé de mon clan, qui était pourtant l’un des plus vivaces des Landes Ténébreuses. Mais de grâce… Parlons d’autre chose. -Nous n’avons plus guère le loisir, s’excusa la dryade. Regardez ces sentinelles, elles partent chercher les flambeaux de la Marche au Banquet. Préparez-vous. » Elle s’avança en direction de l’allée centrale, où l’assemblée des nobles et notables se rassemblait. Mylnar l’imita, et demanda inquiet : « -Que devons-nous faire ? -Suivez, répondit-elle en se retournant de trois-quart, faisant voler ses cheveux dorés. Et gardez autant que possible le silence. Avant de festoyer, nous allons prier. » Les deux étrangers se placèrent juste derrière elle, dans ce qui devint l’avant-garde d’une forte troupe où se mêlaient des représentants de tous les peuples sylvains. Sur les deux flancs de l’assistance, une rangée de gardiens en armures d’apparat portait des torches enflammées. Ils attendaient la venue de la Dame. Celle-ci apparut bientôt, devant l’assistance recueillie. Nul n’aurait pu dire d’où elle était venu ; simplement, elle avait pris sa place en tête du cortège, et guida la procession d’un pas lent et solennel. Elle s’arrêta au terme d’une courte marche, sous les ramures en cercle de grands chênes couverts de gui. Entre les deux troncs, à égale distance, le ruisseau passait dans un lit de galets blancs. Au-dessus du ruisseau, un petit pont de nacre était lancé, soutenu par deux piliers courts. Yrranie se plaça au milieu du petit pont, se détachant de la foule. A travers les ramures enchevêtrées, les derniers rayons du soleil tombaient droit sur elle, entourant sa silhouette d’un halo de lumière dorée. Les paillettes de poussière et de feuilles descendaient en cascade sur sa tête et ses épaules, révélant les courbes de sa chevelure et de son corps, les battements de ses longues ailes fuselées, les mouvements de ses bras nus. Elle étendit ses mains, les imposant au-dessus du petit ru qui continuait de s’écouler, en-dessous d’elle. La lueur s’intensifia, à un tel point que l’arcade de nacre disparut dans la clarté. On aurait dit qu’elle flottait dans le ciel, ses pieds posés sur la surface des eaux froides. Sa voix de cristal monta sous les arbres attentifs : « -Toujours les eaux courent doucement Comme il était au commencement, Suivant les voies que le temps donna Dans les temps oubliés d’autrefois ; Puisse le monde en ses changements Se souvenir des anciens serments, Accomplissant jusqu’à son trépas Le destin qui le suit pas à pas. » Lamenoire cligna des yeux, très impressionné. Il s’agissait là bien sûr que d’un vœu pieux, une supplique traditionnelle et répétée chaque jour. Pourtant toute l’assemblée paraissait l’avoir comprise dans sa propre langue. Mylnar lui-même avait sursauté, et maugréa à mi-voix : « -Ce langage… Comment sait-elle s’exprimer en parler félin ? » Le rôdeur regarda la Dame avec une appréhension renouvelée. Elle avait su prononcer cette courte prière avec suffisamment de conviction, de poids et de maîtrise pour que les paroles s’adaptent aux esprits des auditeurs… Les mots s’étaient pliés par leur propre force, se conformant aux attentes de chacun. C’était, incroyable, merveilleux… C’était terrifiant. Cela remettait en cause tout ce qu’il avait appris en matière de savoir arcanique, de magie en somme. A chaque mot devait correspondre un sens précis, un rôle à jouer dans l’agencement du monde. Mais elle, cette fée, se jouait des mots comme de concepts vides, elle les muait et les transmutait en une fraction de seconde, pour obtenir l’effet recherché. C’était une virtuose libre et puissante. Avec un tel pouvoir sur la pensée, de quoi n’était-elle pas capable ? Elle aurait pu déformer des Esprits Naturels, déformer les incantations d’un mage ou fourvoyer le raisonnement du plus savant des clercs. Pourtant quand elle revint prendre sa place dans la procession, il ne décela pas le moindre soupçon de pouvoir dans son visage clair et charmant. Elle souriait, d’un sourire presque imperceptible. Il se rappelait de nombreux sourires, entrevus au cours de sa vie d’errance : celui de sa mère, Blanche, plein de douceur, celui de son oncle, Denfer, plein d’amertume ; celui de son cousin Lancevive, rayonnant d’amitié ; celui de leur mentor, emplis de sagesse et de souvenirs ; celui de son grand-père Enqueste, froid et dur comme l’acier ; celui de feu le roi des Landes, chargé de remords et de doutes ; celui de Khrôr, plein de droiture, et tant d’autres encore aperçus l’espace d’un instant, au hasard des rencontres. Celui de Siria, en qui il avait mis tous ses espoirs, mais n’avait trouvé que de la douleur… Le sourire de la Dame était tout autre. C’était comme une invitation à se dépasser, à aller toujours plus loin dans ses limites. Par ce sourire, elle riait du monde qui l’entourait, ou plutôt se félicitait de le voir sous ce jour. Elle avait compris tout ce qu’il y avait à comprendre, elle avait perçu tout ce qu’il y avait eu à voir, et avait deviné l’essence même de la Création : elle rayonnait de ces connaissances, cachées au plus profond de son cœur. Elle dispensait ce bonheur de sagesse, le distillait avec art, et les seules gouttes qui en tombaient étaient ces sourires discrets, des sourires capables de redonner du courage au plus désespéré des hommes. Mais c’était aussi le signe d’une majesté inaltérable, inaccessible. C’est dans les pas de cette reine presque irréelle que l’assemblée entra dans une nouvelle aile du palais, sous les regards de deux statues vigilantes. Le hall du banquet était si vaste que l’on n’avait pas l’impression d’être entré sous un toit. Ici, les branches des arbres composaient le plafond, et des ribambelles de fleurs et de feuilles descendaient jusqu’au-dessus des tables, portant des bougies, des chandelles et des lustres en cristal. Plusieurs soldats en livrée resplendissante portaient des torches à la main, et l’escorte se rangea à leurs côtés, le long des murs. Immobiles, ils observèrent les convives prendre place. La salle était semée de plusieurs longues tables recouvertes de nappes d’un vert émeraude moucheté de brun et d’ocre. Sur un large piédestal, derrière des rideaux translucides, une autre vaste tablée trônait au fond de la pièce démesurée. C’est vers elle que se dirigea la Dame, bientôt suivie par un essaim clairsemé de conseillers. Talaria poussa des deux mains son nouvel ami, les encourageant : « -Allez-y, messires. Ne vous faites pas remarquer. -C’est que… hésita Lamenoire. -Je sais, répondit-elle. Mais je pense que vous serez à la hauteur. -Bonne chance, sursauta Mylnar. -Venez, maître chat, lui proposa la dryade. Je vais vous montrer votre siège. » Lamenoire suivit le groupe de tête, assez mal à l’aise. Il pouvait comprendre quel privilège cela représentait : moins d’une dizaine de personnes de haut rang étaient autorisées à siéger aux côtés de la Reine. Il reconnaissait un ancêtre herne à la peau parcheminée, dont les bois ramifiés auraient fait pâlir d’envie un dix-cors ; malgré son âge canonique, le vieillard marchait avec vigueur, ne s’appuyant même pas sur sa cane sculptée. Il y avait aussi un grand hospitalier au visage fermé, peut-être plus taciturne encore que Calis, si cela était possible. Il portait une tunique en cuir clouté, et une longue cape noire ; ses cheveux sombres, eux aussi, étaient raides et flottants, mais retenus par un bandeau rouge qui entourait son front. Un autre dignitaire rivalisait de vieillesse avec le doyen herne : il s’agissait d’un être chenu, presque bossu, et disparaissant sous des robes de différentes teintes de vert clair. Il marchait les mains dans ses manches, la tête baissée, auréolée par ses cheveux blancs couronnés par un rameau de lierre torsadé. Une autre encore, une dryade au visage buriné et marqué par plusieurs estafilades, venait dans les premières, à la droite d’Yrranie. Elle portait un baudrier en cuir torsadé, auquel était pendue une longue dague en argent. Ses cheveux blonds flamboyants, presque roux, flottaient libre sur sa nuque, rappelant la crinière d’un lion. Deux sentinelles écartèrent les rideaux de soie, et les tinrent jusqu’à ce que le rôdeur soit passé en dernier. Les deux voiles se refermèrent alors sans un bruit. De l’estrade où ils étaient, ils pouvaient toujours voir le reste de l’assemblée, à travers l’étoffe légère. Mais les sons étaient ténus, étouffés. Ils ne pouvaient plus entendre les discussions des invités, et l’inverse était très certainement vrai. Le rôdeur prit note, avec étonnement. Toutes ces dispositions relevaient d’une préparation parfaite. Avant qu’il ait pu entreprendre quoi que ce soit, on lui indiqua une chaise en bois d’acajou, dont les accoudoirs avaient la forme de serpents lovés, et il s’assit sans mot dire. Le sol ressemblait à une mosaïque de bois, de racines et de feuilles tombées. Les colonnes aux murs ressemblaient à des troncs, et les rideaux à des branches tombantes. L’instant d’après, le carrelage avait pris des teintes chaudes, rouge, or et diamant, rappelant la couche de quelque dragon jaloux. Puis le dallage devint pierre et métal, reflétant l’éclat des bougies sur les coupes en bois plaqué d’or. Enfin, le plancher reprenait son apparence originelle de sous-bois, puis le décor oscillait à nouveau. Les formes changeaient et s’échangeaient, passant tour à tour de l’ambiance festive au décorum sobre et sérieux. Les autres personnages attablés n’y prenaient pas garde, et le rôdeur supposa qu’ils étaient habitués à cette mise en scène. Le banquet commença sans qu’une parole ne soit prononcée. Les convives se dévisageaient, sans ouvrir la bouche. Lamenoire fut bien obligé de croiser les yeux curieux de son voisin d’en face, le vénérable herne dont les rémiges sur son crâne semblaient vouloir embrasser le plafond. L’homme aux bois gris et duveteux lui rendit un signe de tête, et croisa ses mains. Une porte latérale s’ouvrit à travers les murs éthérés, révélant un long couloir d’où s’échappaient des arômes alléchants. Plusieurs servants s’avancèrent, portant chacun un grand plat en argent. Lamenoire reconnut Calis au premier coup d’œil. L’hospitalier avait été choisi pour proposer et découper les plats, et il savait que c’était pour lui une place d’honneur. Il présenta le premier plateau à la Dame, qui lui fit un signe d’assentiment de la main. Il s’agissait d’un couple d’oiseaux des bois, d’une espèce que Gandacier n’avait jamais vue. Ils semblaient dodus à souhait, et couverts d’une sauve appétissante. On lui servit sa part dans une grande assiette, et il attendit que la Dame prenne la parole, conscient que tous faisaient de même. Yrranie fit un rapide tour de la table de ses yeux perçants, et dit : « -Que ces mets refassent nos forces, et que ces quelques instants nouent des amitiés durables. Du reste, nous avons plusieurs sujets importants à aborder. -Ma Dame, commença l’un des conseillers, un hospitalier assez jeune qui devait aller sur ses quatre-vingts printemps, notre hôte veut-il entendre tout cela ? Il ne sent sans doute pas concerné par… » Il s’interrompit, réalisant que cela pouvait être pris comme une critique, ou pire : un reproche. Mais Yrranie l’écoutait avec calme, et aucune irritation ne transparaissait dans son apparence. L’autre s’enhardit donc : « -Par nos affaires, veux-je dire. Après tout, il vient de loin. » La Reine Yrranie fit signe aux échansons de verser les vins, et répondit : « -Je sais que Lamenoire Gandacier n’a pas pour habitude de trahir ceux qui placent leur confiance en lui. Du reste, cet humain est d’un naturel curieux, aimant comprendre le monde qui l’entoure. Je suis persuadée qu’il sera intéressé, et qu’il gardera ce qu’il entendra par-devers lui. » En terminant sa phrase, son regard glissa sur Lamenoire, et il ressentit à nouveau l’ombre de son acuité pointer sur son cœur. Il ne put qu’incliner la tête, et finalement ajouter : « -Vous résumez ma pensée… Ma Dame. Soyez-en remerciée. » Le vénérable herne se cala sur sa chaise, bien plus décontracté à présent. Il lissa sa moustache de sa main gauche, et regarda l’un des servants verser le liquide vermillon dans sa coupe, puis en but quelques gorgées en connaisseur avant de prendre la parole : « -Je suis d’accord en tout avec ma souveraine, et je commencerai donc. Sur la requête de mon peuple, certains ici s’en souvienne, j’ai demandé à ma Reine des éclaircissements sur les rumeurs qui nous viennent du sud. Je suis donc arrivé ici, et sur ses conseils, j’ai mené ma propre enquête. Revenu enfin des frontières, je suis en mesure d’apporter sinon toute la lumière, une certaine clarté sur ce point. » Il parlait avec une certaine emphase, fier de lui. Lamenoire présuma qu’il aimait s’entendre parler, non par vanité, mais bien parce que les marches dans les grands bois étaient solitaires. « -J’ai emmené avec moi quelques hernes de confiance, et j’ai tenté de savoir ce qu’il en était vraiment de toutes ces histoires. Il va sans dire que la menace que représenterait un stryge est à prendre au sérieux. Chacun sait les terribles ravages que ces monstres peuvent causer. » Lamenoire n’en avait qu’une idée diffuse. Il imaginait que ces créatures étaient une forme d’esprits des bois corrompus. Il écouta donc avec intérêt la suite du discours, que tous attendaient avec impatience. Le doyen avait ménagé son effet, et savoura un instant l’intérêt que les autres lui portaient. Même la Reine semblait intéressée. « -Finalement, conclut-il, je suis à peu près certain que tout cela n’est qu’une légende, un mythe sans fondement matériel. Il a du être forgé de toute pièce par nos ennemis. Quand je suis arrivé sur le théâtre présumé de ses méfaits, je n’ai trouvé aucun indice pour étayer l’hypothèse de sa réalité. Pas le plus petit. -Cela nous retire une épine du pied, se félicita une des conseillères. -Es-tu bien certain qu’il n’existe pas ? lui demanda la Dame. -Autant que l’on peut l’être, ma souveraine. Du reste, je suis également convaincu que si une telle ombre se jetait sur nos forêts, vous seriez la première à le savoir. -Peut-être, répondit-elle, énigmatique. Il n’empêche, j’espère que tu as fais tout ton possible pour découvrir la vérité. -Bien sûr. J’ai interrogé les habitants de la région, mené plusieurs battues. J’ai interrogé les gardiens des arbres, les vigiles de la frontière, et même nos frères animaux. Le sol et l’air étaient purs, rien ne pouvait laisser croire à une telle abomination. » Après cette première nouvelle, les conseillers se détendirent tous, et le repas se poursuivit dans la bonne humeur. La présence bienveillante de la Dame était telle que les autres convives oublièrent bientôt qu’un étranger mangeait à leurs côtés. Tour à tour, chacun prit la parole et parla de ses derniers faits et gestes. Ils discutèrent de la mise sur pied des milices des bois, et de la maintenance des postes de garde. Ils discoururent sur la nécessité d’agrandir le réseau de sentier et de relais, et sur les nouvelles communautés qui s’installaient à l’ouest, au bord de la mer. Ils parlèrent longuement des problèmes de voisinages avec les hommes aux marches du nord et du sud. Le tour de la discussion prit alors une teinte plus inquiétante, avec le discours de la dryade aux cheveux de feu. C’était une hamadryade revenue droit des territoires de l’est, où elle avait passé deux saisons entières avec sa tribu. La vie là-bas était plus dure, et plus exigeante. La pression des clans barbares progressait de jours en jours. Il ne s’écoulait plus de journée sans que le chuchotis des sous-bois ne porte les échos de profanation des frontières. Elle participa en personne à plusieurs batailles sanglantes. « -C’est un spectacle vraiment effrayant » expliquait-elle, sur un ton froid qui trahissait une colère noire. On pouvait voir ses grands yeux noirs cacher sa haine, et la violence de ses sentiments tremblait à la surface de sa peau frémissante. « -Les sous-bois sont rouges là-bas, reprit-elle, teintés par le sang des familles massacrées. Je me préparai à revenir rendre compte de la situation, quand notre groupe fut appelé à l’aide par un matin brumeux. Deux farfadets à bout de souffle venaient nous rapporter l’arrivée d’une nouvelle expédition d’étrangers, menés cette fois par un chef barbare de sinistre réputation : le Fourreau Gris. Sans perdre un instant, notre troupe se remit en marche vers le sud-est, rejoignant plusieurs bandes de fuyards et de rescapés. J’ai réussi à convaincre certains d’entre eux de nous prêter main-forte, et lorsque nous arrivâmes à la lisière, j’avais réuni près de deux milles survivants. Les gardiens des bois, les élémentaires et les esprits des bois s’étaient rassemblés dans mon sillage, si bien que les fourrés frémissaient tout autour de nous. Nous avions devant nous l’orée des Grands Bois : de larges tranchées ouvertes dans le sol, des bandes entières déboisées par la hache et le feu, des centaines de souches laissées à pourrir sur pied. Partout, les corps démembrés des sentinelles, dispersés dans la cendre. Je retrouvais de grands capitaines hospitaliers, les fils de Gulayan et d’Ambrafya, et bien d’autres encore. » Les visages de ses auditeurs étaient tirés par la tristesse et la répugnance, même Yrranie semblait choquée par ces révélations. Mais Lamenoire devina que ce qui la révoltait le plus, c’était que la dryade ait attendu le banquet du soir pour soulager son cœur lourd. « -Ils étaient tous déchiquetés par les coups d’épée ou de sabre, saignés et laissés aux corneilles. C’était vraiment… Et ils portaient tous une marque dans le creux de la main, tailladée au couteau. Un symbole terrible, dont la vue seule me procurait la nausée. A la vue de ce carnage, de nombreux survivants de mon armée décidèrent de rebrousser chemin ; les élémentaires et les dendranthropes s’enfuirent et se dissipèrent dans les sous-bois. Mais les gardiens des bois se contentèrent de faire craquer leurs bras noueux, et de secouer leurs ramures. Ils avaient soif de revanche. Nous avons continué notre marche avec ceux qui avaient encore le cœur à combattre, pour arriver devant le campement ennemi. Il s’étendait au creux d’un vallon, à quelques distances des ravages. Ils étaient nombreux, mais s’étaient installés sans imaginer que quelqu’un aurait encore l’audace de s’en prendre à eux. Les fumées de leurs feux étaient visibles de très loin, et les cris de leur camp nous parvenaient : ils nous confortaient dans notre dégoût. Nous avons donné l’assaut à la lune montante. Au début, tout fut facile. Nous courûmes sus, passant rapidement les barricades entourant leur campement. Les premières dryades décapitèrent les veilleurs, et tandis que le reste de notre troupe se dispersait pour exterminer le plus possible de dormeurs, je me ruai vers la tente de leur chef. Un garde à moitié endormi passa l’entrée, et je le saignai à blanc puis enjambait son corps ; c’est alors que je compris que j’avais commis une erreur. Le Fourreau Gris était un seigneur de guerre barbare, qui n’aurait pas commis l’erreur de dormir sur ses deux oreilles en pleine campagne. Il s’était déjà réveillé et achevait de couvrir ses épaules de sa longue cape. Je me précipitai vers lui sans un cri, mais il dégaina son glaive et para mon estocade. Cette tente était située au milieu du bivouac, et plusieurs lanciers ne tardèrent pas à venir à la rescousse. Je m’étais trop avancée, et plus personne ne pouvait me rejoindre. J’étais prise au piège. Je maniais aussi vite que possible ma longue dague, éviscérant un humain, en blessant deux autres. Je transperçai un bras et parvenait à stopper une botte du Fourreau Gris, hélas deux mains m’attrapaient déjà par-derrière. Je ruai des pieds, mordait et poignardait en aveugle. Je me retrouvai vite à genoux, les bras dans le dos, puis plaquée au sol, la joue dans la boue. Le Fourreau Gris éclata de rire, un rire que je n’oublierai jamais. Alors il s’abaissa, me tira la tête en arrière pour me regarder dans les yeux. Il avait le regard mauvais, le sourire cruel. « -Nous tenons là un bon messager, ricana t-il. Tu rapporteras à tes maîtres que leur temps est révolu. Dis-leur qu’un nouveau pouvoir est en route, et qu’il les balayera bientôt. Je n’ai pas le temps de m’occuper de toi, et c’est bien dommage. Mais quelqu’un va s’en charger pour moi, et le travail sera bien fait. » Il relâcha mes cheveux et me prodigua un coup de botte, puis quitta le pavillon. A moitié assommée, j’entendais encore le tumulte des combats, au-dehors. La tête tournée vers l’entrée, je distinguai une silhouette entrer, courbée sous une longue robe sombre. L’individu en bure ôta son capuchon, révélant un visage blafard. Il tenait dans la main un long poignard en os blanc. Il s’approcha, et je sentis mes tortionnaires devenir nerveux. L’humain s’agenouilla à côté de moi et posa une main sur mon poignet droit, avec autorité. Mon gardien le laissa faire, et il tira mon bras si fort que je hurlais de douleur. Ses doigts se refermaient sur ma main, véritable étau. Alors il approcha la pointe de son couteau… » Il arrêta son récit et retira son gant droit. C’était un long gant en tissu épais, du cuir teinté en vert foncé, qui recouvrait jusqu’à ses avant-bras. Elle jeta l’étoffe sur la table et présenta sa paume à l’assistance, doigts écartés : une profonde cicatrice encore noire zébrait sa peau blanche, entourée d’un halo bleu. La chair meurtrie était toujours gonflée, enflée. C’était un symbole inconnu, évoquant un zigzag, un cercle ou un triangle équilatéral, ou encore une pyramide à quatre degrés, ou peut-être une étoile à sept branches. C’était tout cela à la fois, dessiné par les croûtes séchées. Yrranie ouvrit grand ses paupières, et l’air sembla osciller, secoué par une bataille silencieuse. Les murs de la salle s’enflammèrent de couleurs sanglantes, puis oscillèrent entre l’ombre et la lumière. Peu à peu, un bleu pâle inonda les parois de pierre, descendant en cascades sur le sol. « -Couvrez cette marque, ordonna la Dame. Couvrez-la. » L’hamadryade obéit sans discuter, renfilant son gant par des gestes saccadés. « -J’ai reçu un coup sur le crâne, et je me suis réveillée le lendemain, au plus profond des sous-bois. Quatre hospitaliers avaient réussi à me ramener à l’abri. -Voilà donc toute l’histoire… conclut la Reine. Quant à la vérité… -Je tuerai ces monstres, ma Dame, répondit l’hamadryade ; je suis prêt à donner ma vie pour vous et nos forêts. Je suis prêts à verser mon sang, mais donnez-nous des forces ! -Bien sûr, la rassura d’une voix douce la reine-fée. Il faut que nos troupes disponibles se mettent en route incontinent. -C’est que… protesta le vieillard herne. Loin de moi l’idée de minimiser cette menace, mais nos cohortes sont mobilisées au nord comme au sud. -Nous pouvons déjà rapatrier plusieurs armées méridionale, et les faire venir à marche forcée vers l’est, proposa l’un des conseillers. -Nous prendrons toutes les mesures nécessaires, assura la fée. Il faut que des messagers préviennent tous nos généraux, sous le sceau du secret. Il faut que des détachements regroupent et reforment les blessés et les dispersés. Il faut établir une première ligne de défense. Cadriny, vous partirez avec vos propres forces défendre les Profondes Lisières. Manaloy, vous préviendrez les enchanteresses de Fondargent, Verselierre et Donnelarme. » Lamenoire attendit la fin du repas, docile. La discussion ne le concernait plus, et il avait l’impression de revivre une situation qu’il avait déjà connue… Il attendit donc, dans un calme apparent, que le banquet se termine. Calis et les autres servants enlevèrent les derniers plats, et plusieurs serviteurs débarrassèrent la grande table. Alors les conseillers, conseillèrent et généraux quittèrent leurs places. Le rôdeur les imita, et regarda la Dame se mettre debout, s’appuyant sur le dossier de son siège. Elle était ébranlée, oh ! Si peu, mais un soupçon de faiblesse l’avait frappée. Les convives s’inclinèrent d’un même élan, genou à terre, et quand les autres se relevèrent, Lamenoire était dans l’incapacité de les imiter. Il était cloué, bloqué dans cette posture inconfortable. Devant lui, il sentait le regard de la fée, et son esprit si vulnérable, si fragile, et pourtant si fier. Il entendait clairement son appel. Il comprit qu’il devait rester. Les autres nobles s’éloignèrent, écartant les grands rideaux de soie de la vaste salle. Bientôt, ils se retrouvèrent seuls. La Dame leva la main dans un geste d’accueil, et Gandacier se remit sur pieds, presque énervé. Il avait horreur de cette autorité. En dépit de cela, il attendit les prochaines paroles de la fée, avec impatience. Ses oreilles avaient soif de cette voix claire et mélodieuse. Yranie secoua la tête et se mit en marche vers le mur du fond. Ses doigts légers frôlèrent la muraille, ouvrant un passage invisible dans la paroi. Le rôdeur rassembla son courage et suivit la Dame, sans savoir où tout cela allait le mener. Derrière lui, les pans de roche, de bois, de fer, ou quoi que ce fut, se refermèrent dans un murmure. Citer Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites More sharing options...
Inxi-Huinzi Posté(e) le 12 décembre 2007 Partager Posté(e) le 12 décembre 2007 Bon ca bouge plus c'est vrai mais rien d'extraordinaire non plus hein Après tout, ça reste un dialogue ! Y a rien de fait encore et de plus, ça le concerne même pas Par contre au prochain chapitre, là ca va bouger quand la reine va lui dire quel est son role à jouer je suppose ! La première partie fait assez échos aux descriptions précédentes je trouve ensuite on a le coup de la prière ( et je sais pas en quoi ca nous avance d'ailleurs ) le fameux diner avec cette annonce importante de la guerre ( ils réagissent assez zen quand même les gens ) Voilà en gros un chtit résumé @+ -= Inxi, et la suite alors ! =- Citer Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites More sharing options...
Shas'o Benoît Posté(e) le 24 décembre 2007 Auteur Partager Posté(e) le 24 décembre 2007 Ils sont calme certes, mais c'est dans leur esprit. Je n'irais pas jusqu'à dire qu'ils sont "arbresques", mais il y a de ça. Hop hop, la suite, encore un dialogue : Il venait d’entrer dans une longue crypte basse de plafond, dont les arcs de pierre moussue vert foncé reflétaient les lueurs courageuses de plusieurs lampes à huile. Le sol était tapissé d’une moquette d’herbes parfumées, de tiges de roseau fraîches et de bouquets de fleurs épanouies. Au centre de ce lieu secret, un grand fauteuil jaillissait du sol fleuri. Il ressemblait à un hybride entre un tronc de noyer et un trône classique ; deux branches recourbées formaient des accoudoirs couverts de petits rameaux feuillus, et le dossier noueux était adouci par une ribambelle de lierre, de lianes et de fleurs. Yrranie s’assit dans le siège pour le moins curieux, qui adopta de nouvelles formes pour épouser son corps. Elle s’était laissée tomber, laissant ses jambes se balancer. Ses ailes délicates avaient disparu, fondues dans le décor. De la main droite, elle fit signe à son invité de s’installer devant elle. Lamenoire s’assit en tailleur, les mains sur les genoux, et attendit. La Dame regarda d’abord son long fourreau recourbé, et commenta : « -C’est un ouvrage elfique. -Je le pense. -Une bien belle arme. Dommage qu’elle soit destinée à tuer. -C’est vrai. -On s’évertue à rendre les armes belles, remarqua t-elle, l’esprit dans le vague. Peut-être les forgerons s’imaginent-ils que cela rendra la mort plus douce… » Elle attendait peut-être une réponse, mais l’humain ne relevait pas la tête. « -Ce n’est pas le cas, conclut-elle en baissant les yeux vers lui. La mort est toujours le pire des actes. Un mal terrible, mais hélas, parfois nécessaire. -C’est juste, approuva t-il, le front toujours baissé. -Nous pouvons nous parler à cœur ouvert, Lamenoire Gandacier. Regardez-moi. » Il avait redouté cet instant. Tant qu’il ne la contemplait pas, il pouvait faire front, mais la voir à nouveau les yeux dans les yeux, il en frémit d’avance ! Pourtant, pas d’alternative. Quel choix s’offrait à lui, quand tout ce qu’elle demandait de sa voix de cristal, il ne pouvait le refuser ? Un seul regard. C’était une gêne insupportable, qui faillit l’étrangler sur place. Ils étaient seuls, en vis-à-vis. Ytuzîr, non, le Sorcier Nommiard lui-même n’égalaient peut-être pas sa présence, sa prestance. « -Je comprends, reconnut-elle. Mais vous n’avez rien à craindre. Je ne me rends jamais où l’on me l’interdit. Je saurai respecter vos décisions, humain. Du reste, je peux apaiser vos craintes. Cela va t-il mieux ? » Il inspira un grand coup, rasséréné. Un voile s’était levé, sa vision s’acclimatait peut-être ; ou bien elle avait délibérément modifié son reflet spirituel. En tout cas, il pouvait lui parler de front. Il devinait que c’était un réel effort de sa part. Il fallait qu’elle bride sa propre nature, qu’elle réfrène sa merveilleuse existence. A présent, il n’était plus ébloui. Oh ! Bien sûr, elle restait la plus somptueuse apparition qu’il ait jamais eue, l’image de celle qu’il ne pourrait jamais avoir, et le symbole de tout ce qui peut être bon et bien sur terre. Mais c’était presque une illusion, un dessin tracé sur le sable. A la frontière de son esprit, Lamenoire sentit toujours le souffle de son interlocutrice, la respiration lente et douce de son âme, l’observation minutieuse de ses pensées ouvertes. Lamenoire n’aimait pas sentir sa présence dans son esprit. Il avait la nette impression de ne rien pouvoir lui cacher. Puis il se souvint de son expression quand l’hamadryade avait révélé sa paume scarifiée. Elle n’e s’y était pas attendue ! Elle avait été incapable de prévoir ce geste, et pourtant la cicatrice était là, à portée de main, depuis des heures, des jours peut-être. Elle n’avait même pas ressenti les pensées haineuses de la chasseuse. « -Ah, tu as découvert mon seul point faible, regretta Yrranie. Je ne suis pas omnisciente, bien que certains le croient. Quand je pose des questions, je ne joue pas un jeu. Elle n’aurait pas dû me le cacher. Si elle me l’avait montré tout de suite, j’aurais pu encore découvrir le fond de cette histoire. A présent, nous ne pouvons que conjecturer sur le sens profond de ces pratiques occultes. Du reste, elle n’avait pas à ressasser ces sombres pensées. Elle a eu tort de refuser mon aide. J’aurais pu guérir cette blessure, et soigner son âme par la même occasion. Mais elle a refusé, et elle s’est condamnée à la nuit. Je doute qu’elle retrouve jamais le sourire. Sans le savoir, elle fait le jeu de nos adversaires. -Elle n’est pas à blâmer, la défendit Lamenoire. -Permettez-moi de ne pas être de votre avis. -Pardonnez-moi à votre tour, mais j’ai connu ce genre de conflit, et je puis vous assurer que… -Que la haine est nécessaire ? Non, ce n’est pas en haïssant son ennemi que l’on peut le vaincre. Pas à mon sens. -On peut le détruire, lui faire quitter ce monde, et c’est bien assez ! -Le prix en vaut-il la peine ? -Sauf votre respect, que savez-vous de l’ennemi ? -Cela en vaut-il la peine ? » Lamenoire garda le silence. Il comprenait ce qu’elle voulait dire. « -S’aliéner soi-même, renoncer à sa propre charité pour tuer un autre être ? C’est une pure folie. Un acte insensé qui ne mène à rien de plus que la damnation. » Le rôdeur tressaillit intérieurement, mais cacha de son mieux son trouble. Il avait la nette impression qu’elle parlait aussi à son intention. Non, c’était impossible ! Ce secret là, il avait appliqué toute sa volonté à le camoufler dans ses réflexions. « -Entrer dans les manigances de l’adversaires, perdre sa propre existence, tout cela en vain. » Un pause, au cours de laquelle Gandacier attend avec impatience un mot, une phrase qui lui ferait comprendre ce qu’elle avait deviné… Mais elle n’ajouta rien d’elle-même, et cela le rassura un peu : « -Vous savez beaucoup de choses sur nous à présent, messire Gandacier. Pouvez-vous m’en dire plus sur votre voyage ? Où vous rendez-vous ? -Je ne sais pas. Je cherche le Donomâr. -Le Donomâr ; vous voulez dire la Pierre de l’Espoir ? -Vous en avez entendu parler ? -Vous aviez eu quelques allusions à l’un de vos amis, Altiforge. » Toujours cette manie de jouer avec les mots, les sons, les sens. Il grimaça : « -Oui, Ratirk Altiforge : un nain très respectable, c’est d’ailleurs de lui que je tiens tout ce que je sais de la Pierre de l’Espoir. Vous le connaissiez ? -J’ai connu son père, le brave Hulkär Altiforge. C’était une rencontre fortuite, mais mémorable. Cette histoire remonte déjà à quelques siècles. L’été avait été précoce. C’était l’année des Feux Persistants : la forêt dépérissait, assoiffée par la canicule, et plusieurs incendies l’avaient ravagée. Les ruisseaux s’étaient tous asséchés. Seule la source de Limena, que vous avez pu voir s’écouler ici, baignait encore les sous-bois de son flot. Ce n’est pas n’importe quelle fontaine : ce fut la reine-fée Limena en personne qui la fit jaillir du rocher, en plantant dans le sol le fer de sa lance, Peleka à la Pointe Tranchante. Depuis ce jour immémorial, les bassins et les lacs de ces bois ont toujours bénéficié de son cours rafraîchissant. A cette époque, les ennemis de notre royaume se montraient bien plus ambitieux qu’aujourd’hui, et moins précautionneux. Un des derniers rois géants, établi dans les Collines Eclairées, avait envoyé des émissaires aussi loin que possible, bien décidé à rassembler la plus grande légion possible pour annexer nos terres à son domaine. Du nord et de l’est, de nombreuses tribus de trolls des montagnes, d’ogres et de barbares se rassemblèrent. Tout ce monde se mit en marche au pas cadencé, droit sur nos premières marches. Les armées furent tôt convoquées, et les hernes, dryades et hospitaliers conjuguèrent leurs forces pour défendre leurs biens. Les feux follets nous servaient d’éclaireurs, repérant les mouvements de l’ennemi dans la Grande Plaine. Rapidement, plusieurs équipées de cavaliers ailés se déployèrent… » Gandacier sursauta à cette phrase, mais n’en montra rien. « -La chaleur était écrasante, expliquait encore la reine-fée. L’écorce des gardiens des arbres se flétrissait à vue d’œil, une fois privée de l’ombre des sous-bois. La faim et la soif ne tardèrent pas à tenailler les deux camps, et la bataille fut précipitée. Ce fut un combat légendaire, au cours duquel les géants de toutes sortes affrontèrent nos plus grands serviteurs. Je vis des bataillons de dryades délivrer des volées de flèches sur des hordes de guerriers assoiffés de sang. Je vis des humains armés seulement de haches et de massue courir sus à l’ennemi. Les trolls mandibulés des collines trépignaient et lançaient leurs hachettes avec une précision mortelle et une si grande force que nos boucliers tombaient en miettes. Les grands trolls fauchaient les premiers rangs des régiments à grands coups de leurs griffes géantes. Des bosquets entiers de dendranthropes retenaient les premiers adversaires, les gardiens des arbres et les élémentaires d’épine se taillaient un chemin dans la marée de corps excités. Au-dessus de cette foule combattive, les seigneurs barbares chevauchaient leurs hippogriffes, le glaive au poing, affrontant les cavaliers ailés ou les quelques stryx volontaires. Juchée sur le dos d’un grand cheveron, un chêne plusieurs fois millénaires, je consolais de mon mieux les peines de mon peuple. Chaque mouvement de mon sceptre projetait sur nos impitoyables ennemis des rideaux de flammes évanescentes. Cet arbre couvert de lierre et de mousse se faisait vieux, presque autant que notre royaume. Ses yeux tortueux clignaient d’une lueur fatiguée, mais cela n’empêchait pas ses bras ramifiés de fouetter des dizaines de combattants. Nous ne tardâmes pas à rencontrer un véritable géant de l’ancien monde : un colosse terrifiant de plusieurs dizaines de mètres de haut, dont la stature rivalisait avec celle de mon compagnon arbresque. Ce fut un duel horrible, où les coups tombèrent dru. Il me fallut user tout mon savoir arcanique pour parvenir à terrasser cet opposant titanesque. De part et d’autre, les pertes étaient sévères, et les blessés se comptaient par centaines. Sans que rien ne soit décidé, la volonté des armées se brisa, et les assaillants les premiers, en rompant leurs rangs, s’enfuirent vers l’est. A bout de force, les armées sylvaines n’eurent pas le cœur de les poursuivre, et nous plantâmes nos tentes sur place, alors même que les derniers fuyards disparaissaient à l’horizon. Un soleil fatigué se coucha sur l’orée de la Grande Plaine où le sang noir et rouge recouvrait l’herbe foulée au pied. Tandis que je descendais dans les basses branches du cheveron, pour tenter de refermer les plaies béantes dans son tronc, une hamadryade vint m’annoncer une étrange nouvelle : un contingent de nains était arrivé par la route du sud, au cœur même de la bataille. Après avoir soulagé à la hâte les blessures de mon compagnon de guerre, je me hâtais donc vers la ligne de bataille du sud. Là, le combat avait atteint des proportions malheureuses. Plusieurs chefs barbares avaient tenté de déborder la ligne de front, et de nous repousser sur notre flanc. Le combat avait redoublé de vigueur, et plusieurs étendards étaient tombés entre les mains honnies des sauvages. Quelques chasseurs sépulcraux, hurlant solennellement leurs vœux sacrés, entraînèrent alors derrière eux les hospitaliers et surprirent tant l’ennemi qu’ils purent reprendre les oriflammes. Au plus fort de la mêlée, une colonne de guerriers des Monts de Mort, de retour d’une expédition vers les pays du Sud, s’était avancée comme un coin dans la formation adverse. Prenant l’ennemi à revers, ils avaient brisé ses derniers espoirs de contourner notre ligne. Quand j’appris tout cela, je hâtai le pas vers eux. C’était le long des berges d’une rivière que nous appelons le Cours du Daim. Le sable était retourné, labouré par les innombrables pieds qui l’avaient martelé. On voyait de nombreux corps, parmi lesquels des nains aux armures à moitié brisées. De leur petit groupe, il n’en restait plus que vingt. Fourbus, couverts de sueur et de sang, ils se tenaient encore sur leurs gardes, la hache levée. Personne n’avait porté la main sur eux, tant par méfiance, que par lassitude des combats. De plus, leur courage avait égalé celui des sylvains, et cela suffit à les rendre agréable à mes yeux. Je m’avançai et les saluait, leur offrant mon hoospitalité pour les remercier de leur soutien. Ils n’avait pas songé une seconde aider qui que ce soit, mais le concours des circonstances les avait fait venir au bon moment. Leurs lieutenants avaient succombé sous le nombre, et c’est le plus âgé d’entre eux, un tout jeune nain d’à peine cent ans du nom Hulkär Altiforge, qui prit la parole pour accepter mon invitation. Nous enterrâmes nos morts, et nous nous enfonçâmes dans les forêts. Ils nous accompagnèrent dans notre repli, et profitèrent de l’abri de nos frondaisons pendant trois mois. Ils se remirent de leurs blessures, et nous appuyèrent dans les escarmouches, visant à sécuriser les frontières. Hulkär était le descendant d’une vieille lignée de son karak, et se montra fort policé. Malgré toute son intimidation en ma présence, et son mal-être dans ce pays boisé, il se montra un conseiller et un auxiliaire de poids. Nous avions tissé une durable amitié, et quand l’heure fut venue pour eux de repartir dans leurs montagnes, je le saluai comme un ami cher. Nous avions longuement parlé de nos vies respectives, et j’appris qu’il commerçait souvent avec les Gens du Repli, au sud de nos contrées. Leur route passait par l’extrême est de nos marches, et ils effectuaient ce trajet dans les deux sens tous les ans. » Son fils marchait dans ses traces, songea Lamenoire. « -La vérité était bien plus profonde, ajouta la fée. Il finit par m’avouer qu’il recherchait un très ancien artefact, le Donomâr, ainsi l’appelait-il. Cette pierre enchantée, forgée avec art par quatre maîtres artisans autrefois, devait avoir le pouvoir de restituer bonheur et espoir à son porteur, et à tous ceux qui le suivraient. Dans les Monts de Mort, les nains ont toujours soupiré après ce joyau. Tous souhaitaient le retrouver, pour pouvoir faire renaître le grand royaume des nains. Mais avec le temps, seules quelques familles s’étaient acharnées dans leurs recherches. Altiforge était de ceux là. » Tandis qu’elle parlait, les ramures de l’arbre-siège s’étaient ployées sous le poids de leurs feuilles, formant un cocon protecteur autour d’eux. Les lampes à huile baignaient dans les rivières de pétales et de corolles, tandis que les branches, attentives, buvaient les paroles de leur souveraine. Lamenoire observait tout cela, et écoutait de tout son être. Cette histoire avait un fond de tristesse et de réconfort, un mélange savamment distillé. « -Qu’est devenu le père de Ratirk Altiforge ? -Je ne l’ai jamais revu, avoua t-elle. Pas depuis cette dernière rencontre sur la rive du Cours du Daim, là même où nous nous étions vus pour la première fois. Qui sait dans quelle bataille il a expiré, ou si son cœur repose sous la roche, dans le caveau de ses ancêtres ? Aujourd’hui, il a certainement trépassé. Les amis meurent, mais les histoires demeurent. Pourquoi voulez-vous retrouver la Pierre d’espoir ? -C’est la dernière planche de salut pour mon pays. Les Landes Ténébreuses ont été envahies après plusieurs années de nuages sombres à l’horizon. Nommiard… -Ne prononcez pas trop souvent ce nom ici. N’y pensez pas trop, messire Gandacier. J’ai eu vent de tout cela, au sens propre comme au sens figuré d’ailleurs. Inutile d’en parler plus long. -Comme vous voulez. Vous comprenez donc mon but. -Seulement en partie. Si les nains ont échoué… -Je me dois d’essayer, selon les derniers conseils de mon mentor. C’est ma raison de vivre. -Mais pas celle de votre venue ici. -Ratirk m’a parlé de vous, avant de mourir. Il a été tué il y a quelques mois, sur le Fleuve Vert. Mais avant de partir dans le repos éternel, il a murmuré votre nom. Je suis sûr qu’il voulait que je vous retrouve. Il pensait que je pourrais vous aider. -Comment pouvez-vous l’affirmer ? -Je l’ai senti. Quand j’ai vu ses paupières se fermer, j’ai compris qu’il m’avait adressé ces mots, à moi et à moi seul. -Je ne voudrais pas vous décevoir, messire, mais je ne sais pas grand chose à ce sujet. Je pourrais vous parler de la version de la légende, que nous racontons ici, mais je doute que vous appreniez quoi que ce soit de nouveau. -Vous voulez dire… -Hulkär cherchait la Pierre d’Espoir dans les terres au sud d’ici. Je ne peux rien dire de plus. Mais votre étape en ces lieux n’aura pas été vaine. Vous aviez bien besoin de repos… D’ailleurs, c’est toujours le cas. Vous allez rester quelques jours ici, puis vous repartirez courir après vos chimères. -Je ne vous permet pas… -Je ne veux pas t’enlever tes illusions, je cherche simplement à découvrir le fond des choses. Il y a trop de rancœur et de déception en toi, Lamenoire. L’espérance que tu mets dans la renaisance de ton pays me paraît être un faux semblant. -C’est à moi d’en juger. -Non. Ce sera au temps d’en juger. » Citer Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites More sharing options...
Inxi-Huinzi Posté(e) le 27 décembre 2007 Partager Posté(e) le 27 décembre 2007 Très bien ! Trop cassé notre héros à la fin du passage mdr !! Il devait pas s'attendre à trop se faire rembaler par la reine des elfes ! Au moins c'est mieux, ca casse de la gentille reine qui redonne le moral ! Au moins, ca prouve que ton héros à de la force de caractère !!! Et ca, ca manque parfois ! Bon c'est bien donc, on resitue la quête principale et on en est peut etre plus près que ce que l'on croyait ! Alors tout ce que je demande là, c'est une suite ! @+ -= Inxi =- Citer Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites More sharing options...
Shas'o Benoît Posté(e) le 27 janvier 2008 Auteur Partager Posté(e) le 27 janvier 2008 Waah, que des commentaires encourageants et appréciatifs, cette fois ! Désolé pour le retard, le texte était prêt mais le warfo y a pas mis du sien non plus cette semaine... Voili voilou : Elle se leva de son siège, et Lamenoire l’imita. La discussion semblait close, et elle se tourna vers le fond de la salle. Les pans de roche, de lierre ou de fer, ou quoi que ce fut, s’écartèrent à son passage et révélèrent un autre couloir bas de plafond, où les ailes de la fée étaient à l’étroit. Ils ne tardèrent pas à sortir de ces tunnels obscurs, arrivant sur une large terrasse en plein air. Un dais de feuilles sombres s’étalait au-dessus de leurs têtes, une rambarde de bois sculpté courait le long de l’espace découvert, ménageant un passage en escalier de pierre. Une volée de marches menait aux jardins occupés par les trilles des rossignols. La nuit était tombée, mais la lune tardait à monter. Seules quelques étoiles, pâles flambeaux de lumière, éclairaient le ciel. Les torches des veilleurs dansaient au loin sur les remparts, mais des lampes à huile suspendues à intervalles réguliers projetaient leurs lueurs dorées sous les frondaisons frémissantes. Yrranie se dirigea vers une table en ébène, ou dans un autre bois aussi noir et dur. Sur un plateau d’argent, une carafe de cristal attendait que l’on daigne s’en servir. Elle renfermait un liquide transparent, qui ressemblait à de l’eau sans en avoir l’arôme impalpable : une odeur de suc, de miel et de violette s’en dégageait. Deux grands hanaps étaient posés tout contre, bien sages. Elle en prit un et le remplit aux deux tiers, laissant le liquide léger et volatile remplir la coupe translucide. « -A qui allez-vous boire ? demanda t-elle, animée par une curiosité presque perceptible dans le battement de ses ailes invisibles. Lamenoire hésita, puis se rappela la discussion dans les jardins, à propos des rois des hommes, et déclama : « -A la mémoire du seigneur Ipogax, roi des Landes Ténébreuses, du clan Chassecri ; puisse sa gloire être immortelle ! » Calis tiqua, gêné par cette tirade. Quoi, cet humain mettait à l’honneur un roi de sa race, en présence de la Souveraine Yrranie ? C’était plus qu’il n’en pouvait supporter ! Du moins, c’était ce qu’il croyait, jusqu’à ce que ses yeux enflammés tombent sur l’image calme de la Dame, son corps reposé, et son visage presque amusé. Toute velléité de combat quitta ses veines soudain refroidies, et il se contenta d’hausser les épaules. Si la Dame le tolérait, alors il ne ferait rien. Mais cet humain ne manquait décidément pas de témérité ! Il attendit donc, tapi dans les bosquets, au pied des escaliers. Il serrait dans sa dextre le manche torsadé de son épée d’acier, et restait accroupi, un genou en terre, recouvert de sa longue cape noire. Chose étrange, son visage anguleux plus blanc que neige ne ressortait pas dans le décor ténébreux des buissons. « -Vous venez des Landes Ténébreuses, Messire Gandacier. J’aimerais que vous me parliez de la vie là-bas, demanda la fée. -C’est-à-dire… La vie de tous les jours… -La vie ces dernières années. L’histoire de votre peuple, de votre clan… De vous. -Je croyais qu’il ne fallait pas remuer tout cela, résista t-il. -Je l’ai dit, mais il faut aussi savoir libérer son âme de tristes pensées. -Il n’y a pas que cette raison. -J’ai le sentiment que je pourrai mieux vous comprendre, si je vois par quoi vous êtes passé. -Soit. Les Landes Ténébreuses… Par où commencer ? Je suis orphelin de père et de mère, et je n’ai connu aucune famille où le père a pu voir tous ses fils grandir jusqu’à l’âge d’homme. Ce ne sont pas le froid, la faim ou les maladies qui nous déciment : ce sont nos ennemis. Descendant de la côte, les pirates vikingar razzient les cités côtières, les villages de pêche et les petites fermes isolées. Ils ont de grands vaisseaux longs à fond plat, dont la proue représente les Dragons marins qu’ils considèrent comme leurs protecteurs. Leurs larges boucliers et leurs haches sont des armes redoutables, et l’écume salée des flots lave leurs longues barbes rousses quand ils débarquent sur la plage, entre les brumes de la côte. Descendant du nord-est à travers le pays Fenri ravagé, des hordes d’orques et de peaux-vertes saccagent nos tribus, tandis que les hordes noires du Nécromancien, arasant le sol et les collines, tuent tous ceux qu’elles rencontrent dans leur marche vers le sud. Les Landes ont été érigées en Royaume il y a plusieurs siècles, à la suite d’une guerre contre les nains. Ce fut une guerre assez rude, livrée pour la souveraineté sur les Falaises Ardentes, où les nains des Monts de Mort avaient de nombreuses forteresses et colonies. Des humains vivaient déjà sur les grandes crêtes auparavant, chassées au cours d’un premier conflit. Le retour de notre peuple sur sa terre a été le sujet d’une violente guerre, et les nains se sont battus avec l’énergie du désespoir. Mais avec les descendants des premiers autochtones, d’autres vagues de tribus s’étaient rassemblées. A l’époque, sept familles menaient l’insurrection humaine. Les Madrier étaient les premiers à avoir organisé la révolte, et à avoir mené les hommes au combat. Ils avaient organisé les clans, les tribus et les villages en caravanes itinérantes, et avaient orchestré la grande marche vers l’ouest. Les Guibranche leur prêtèrent main forte ; ils descendaient d’anciens rois de la Côte, à l’époque de l’ère de Vermeil. Leur patriarche devint l’un des plus fidèles amis du chef des Madrier, et ils combattaient souvent côte à côte, se protégeant mutuellement de leurs blasons. Les Chassecri étaient originaire de l’est, pour leur part. Ils venaient d’au-delà des Monts de Mort, et ils appartenaient à un peuple d’hommes lentement refoulé hors des territoires revendiqués par les Fenris. Il n’y avait que quelques centaines de rescapés de leur exode, mais ils devinrent les partisans les plus acharnés de la cause. Ils se lancèrent à l’assaut de la forteresse de Barbe-de-fer, et la prirent en une nuit sans l’aide des autres tribus. Puis ils tinrent trois mois un long siège, en attendant les renforts. Leur chef était un grand homme musclé, dont le regard laissait transparaître autant de sagesse que ses épaules de puissance. Il était capable de soulever des blocs de pierre de plusieurs dizaines de kilogrammes à bout de bras, mais aussi de mettre au point des plans de bataille formidables. Il avait un visage aquilin, au sens propre : un faciès crochu, avec un bec de faucon, des sourcils de plumes, une chevelure en panache, de courtes plumes noires et brunes. Ses joues, son menton, son cou portaient un duvet couleur crème, ses yeux de verre incisifs et acérés brillaient de la clarté de l’or. On l’appelait le Faucon. Les autres familles prenaient ses coups de main pour de la folie, mais les Froidemesne, menés en cela par leur principal chef, un devin astrologue, décidèrent de lui prêter main forte. Les Froidemesne avaient pris la tête d’un clan de pêcheurs persécutés déjà à l’époque par les pirates, et dont les assauts des nains n’étaient qu’un malheur de plus. A vrai dire, un fléau de trop, qui avait réveillé leur combativité. Lentement, le cours de la guerre passa des mains des Madrier à celles des Chassecri. Leurs fils furent placés auprès de chaque conseil de clan, apportant les avis du Faucon, et très souvent leurs remarques tombaient juste. Sur ces entrefaites, les familles Gandacier émergèrent de la foule. Une grande colonne avait été prise en embuscade dans un défilé des Falaises, et tous les capitaines avaient été tués. C’est alors qu’un homme prit les choses en main, repoussa le flanc nord des nains et parvint à tailler un passage à travers l’armée ennemie. Une autre caravane d’environ deux mille âmes se dirigeait vers l’est, après la grande campagne d’hiver. Elle était composée de blessés, de femmes et de vieillards, d’enfants et de nouveaux-nés. Elle représentait l’avenir de notre peuple, et elle s’éloignait des conflits pour hiverner sous le couvert des bois d’Ytuzîr. Malheureusement, ils tombèrent sur une expédition de kobolds remontant de la Mangrove de Souffre. La faible escorte fut elle aussi rapidement débordée. Les femmes durent prendre les armes pour défendre leurs enfants, et ce fut l’une d’entre elles qui prit le commandement. Quand la colonne revint au printemps rejoindre les autres contingents, elle et sa famille, les Ardentcourroux, furent reconnus comme le sixième clan des Landes. Les Porteglaive étaient les descendants d’une ancienne famille aristocrate de Sinoplie, qui avaient apporté un fort soutien sur la fin de la guerre. Ils avaient été chassés de leur patrie au cours d’une guerre civile, et s’étaient enfuis vers le nord, à bord d’une flottille d’environ vingt vaisseaux, dont un bâtiment de ligne à six mats. Ils débarquèrent à l’improviste, et la nouvelle de leur venue suffit à décourager les pirates des ports du nord. Ils débarquèrent et entrèrent rapidement en contact avec le Faucon en personne, qui vint les accueillir sur la côte. Ils devinrent ainsi le septième clan, et apportèrent armes, flèches et hommes en suffisance pour achever la guerre. Le Faucon emmena son peuple s’installer dans la grande plaine, à l’abri des ombres des montagnes comme des falaises. Il dit que les Falaises avaient vu trois guerres meurtrières, et que tant de sang y avait coulé qu’elles étaient maudites. Ils avaient vaincu les nains et dispersé leurs descendants, mais ils n’auraient pas le droit de s’installer sur leurs terres ! Tout n’était cependant pas perdu. La plus grande menace qui ait jamais plané sur notre grande nation venait de disparaître. Le Faucon fonda la cité de Malzar, au cœur de son nouvel état, tandis que les Porteglaive édifiaient les jetées de la baie où ils avaient posé pied, et appelèrent leur cité Raturn. Elles devinrent les deux piliers de la nation des Landes. Chaque Clan reçut la prépondérance sur chaque circonscription, en fonction de ses mérites et de ses origines. De nombreuses autres tribus avaient aussi le droit à la parole dans les conseils, mais les aînés de chaque clan majeur étaient considérés comme les chefs du pays. Le Faucon gouverna avec sagesse, bienveillance et fermeté. Le peuple l’adulait et l’ovationnait, voyant en lui son sauveur. Certain des grands chefs avaient gardé de la rancœur à son égard, mais ils l’oublièrent bien vite en voyant quelle paix il nous avait apportée. Il vécut de nombreuses années, dispensant justice et bonheur. Ce fut un règne prospère et serein, qu’une seule ombre voilait : le Faucon refusa la couronne royale qu’on lui proposa, et ne prit jamais de femme, prophétisant que ses héritiers ne seraient pas de son sang mais de son cœur. Au jour de sa belle mort, il laissa un royaume solide et bien organisé, mais un siège vacant. Un conseil extraordinaire des sept seigneurs fut réuni en catastrophe, et la nuit de l’enterrement solennel, ils décidèrent de fonder l’Ordre du Faucon. Ce texte fait partie des grands écrits de nos Landes, second fondement après l’édit de Fondation. Il concrétise les rêves de nos anciens, planifie les règles de notre confrérie et désigne l’aîné des Chassecri comme le roi légitime. Le premier couronné fut donc le neveu du Faucon. Les circonstances de la naissance de notre royaume explique de quelle manière on vit chez nous, dans les Landes. La brève période de quiétude que nous connûmes sous le règne du Faucon fut rapidement balayée par les conflits incessants aux marches et aux frontières. Des postes de guet continuels, des surveillances sur les collines, des raids préventifs dans les forêts du nord, des ambassades grinçantes avec les nains des Monts de Mort. Voilà la vie de nos familles, de nos hommes, de nos femmes et de nos enfants, depuis toutes ces années. Ma propre existence n’est qu’une illustration de tout cela. -Décrivez-moi votre vie, répéta la fée. Messire Lamenoire. » Elle insistait, et il comprit qu’il n’y couperait pas. Avec un peu d’agacement, il reprit : « -Je suis né il y a de cela quarante-cinq ans, non loin des forêts d’Ytuzîr, dans le campement de mon clan. Depuis un moment déjà, les villages où nous vivions avaient été dévastés, et notre famille se déplaçait d’année en année, suivant l’évolution des frontières. A ce moment, nous ne savions pas que le Sorcier Nommiard était à la source de toutes nos douleurs. Mon grand-père, Enqueste Gandacier, était un brave combattant. Il ne descendait pas en droite ligne du premier de notre famille, mais le devint par alliance avec une cousine du chef du clan de l’époque. Ils eurent d’abord une fille, Merveille, puis deux fils qui prirent pour nom Duravaincre et Denfer. Ils avaient une petite maison dans un village, non loin du Dédale de Pierre, au nord des Landes. Ils y vivaient heureux, malgré les rumeurs de guerre. Quand une tribu populeuse d’orques s’aventura dans la région, l’une des bandes barbares parvint à s’avancer jusqu’à cette bourgade. Enqueste se battit bravement, et participa à la bataille désespérée aux portes de la ville, tandis que sa femme et sa fille aînée emportaient ses fils, trop jeunes alors pour combattre. Les enfants et les vieillards s’étaient réfugiés sur les hauteurs, mais une cavalerie de loups et de wolfens survint depuis les bois et bosquets alentours, et ils les rattrapèrent. Quand les survivants vaincus de la bataille se replièrent vers le sud, ils ne trouvèrent que quelques rescapés. Enqueste passa trois jours à errer dans les plaines brumeuses, à la recherche de sa famille. Il finit par retrouver ses trois enfants, abrités au pied d’un vieux sapin tordu. Il ne revit jamais sa femme.Duravaincre et Denfer n’avaient que douze et dix ans, et ils furent profondément marqués par cette cruelle séparation. Enqueste n’avait pas fait partie de l’Ordre du Faucon avant ces événements. A trente-neuf ans, il demanda à être intronisé, et ses deux fils furent ensuite incorporés dans la confrérie avec toute sa bénédiction. Ils devinrent des rôdeurs redoutables, traquant les sauvages pendant des mois avec une ténacité légendaire. Merveille, la sœur aînée, s’établit dans une petite ville du sud-est, et y vécut plusieurs années. Cette région était sous la juridiction des Ardentcourroux, et ceux-ci l’accueillirent avec une amitié toujours croissante. A mesure que les récits des chasses de ses frères revenaient dans les chaumières, la gloire des Gandacier s’accroissait. Ebloui par sa beauté et par l’honneur qui s’attachait à sa famille, l’un des Ardentcourroux demanda bientôt sa main, et elle la lui accorda. Avec le temps, ses frères s’apaisèrent un peu. Ils prirent moins de goût à massacrer leurs ennemis, comprenant qu’une vie n’y trouverait jamais satisfaction. Ils prirent chacun une femme du pays. Ainsi Duravaincre, mon père, s’établit à son tour dans un village non loin d’Ytuzîr avec son épouse, Chantencoeur. Elle n’était pas de noble extrace, mais elle respirait la bonté, le courage et la fierté de notre peuple. Un cousin m’était né, car Merveille et son mari s’étaient installés à quelques jours de marche. Cinq années s’écoulèrent, un temps de répit dans notre existence. Nous allions souvent rendre visite à nos parents, chez qui nous rencontrâmes un honorable vieillard qui portait le même nom que les bois de la région. Il joua avec nous, alors que nous n’étions que des nourrissons, et nous aima comme un grand-père. Bien sûr le mien n’était pas mort, mais il guerroyait au loin. Enqueste avait très mal pris le repli de ses fils, considérant cela comme une trahison à la mémoire de sa femme disparue. A l’aube de mon cinquième printemps, une nouvelle invasion en règle surgit dans les landes. Une armée de glore, aussi aveugle qu’enragée, traversa le pays du nord au sud. Aucun bataillon ne parvint à endiguer leur marche. Mon père fut appelé de nouveau par les combats, et se mit en marche avec son beau-frère et son cadet pour défendre tout ce qui lui était cher. Il embrassa ma mère et me prit dans ses bras, me disant simplement : « -Erer mon fils, si je ne reviens pas, trouve ton nom, et vis pour ton clan et les Landes. » Il s’en alla, sa lance sur son épaule, disparaissant entre les troncs des arbres, et ne revint jamais. Nous n’eûmes plus jamais l’occasion de revoir mon oncle, car le bruit courut qu’il partit avec sa femme et ses deux enfants se réfugier plus à l’est, au pied des montagnes de Mort. Je me retrouvait donc seul avec ma mère. Elle m’éleva de son mieux, avec toute la fermeté que l’on pouvait attendre d’elle. Elle m’aimait profondément, mais les heures difficiles que nous connaissions ne laissaient pas beaucoup de temps pour s’attendrir. Mes seuls moments de joie étaient les visites de mon cousin Lancevive accompagné de ses parents. Merveille, ma tante, avait beaucoup de compassion à mon égard, et quand ma mère s’éteignit dans sa trente-quatrième année, vaincue par la maladie et la fatigue, les Ardentcourroux m’accueillirent dans leur foyer comme leur propre fils. Je passai plusieurs mois avec mon meilleur ami Lancevive, et nous écoutions souvent les conseils du vieux sage Ytuzîr, quand il venait nous rendre visite. Un soir, mon Grand-père Enqueste arriva dans notre pauvre maison. Je ne l’avais jamais vu auparavant. Il posa ses eux broussailleux sur moi, et déclara que je lui revenais de droit. « -Il est un Gandacier, que je sache. Vous l’élevez chez les Ardentcourroux, et bientôt il oubliera son sang ! -Ce n’est pas vrai ! criais-je, bouleversé. Jamais je n’oublierai mon père ! -Alors viens avec moi, fils, cette demeure n’est pas pour toi. Un vrai guerrier des Landes ne reste pas sous le couvert des bois, mais traque le monstre dans la plaine. » Mon père adoptif et ma tante refusèrent de me laisser partir avec lui, et il s’en alla en proférant de terribles imprécations. Je crois que la perte de sa femme le tourmentait encore, et qu’il cherchait un nouveau compagnon, un rejeton de sa chair à qui se confier, et avec qui épancher sa peine dans la guerre. Ses paroles me marquèrent en profondeur, et je résolus d’entrer dans l’Ordre du Faucon. J’étais encore trop jeune, mais le destin me força la main. Une nouvelle bataille survint, et je fus bien obligé de défendre ma vie avec une épée qui me tombait sous la main. Ce sabre à lame noire… Je le perdis le jour même, mais je compris que cette arme avait fait de moi un tueur, un vrai rôdeur. Je pris donc le nom de Lamenoire. J’entrai dans l’Ordre avec mon cousin, et nous combattîmes des années durant, côte à côte. » Lamenoire poursuivit son récit, qui relatait vingt années de guerre incessante. Les seules pauses dans cette succession de combats étaient le mariage de Lancevive, et la mort de sa femme et de son fils dans un guet-apens ; tout le reste n’était que marches forcées, leçons données par Ytuzîr au cours des hivers rigoureux du nord, et campagnes sanglantes à la belle saison. C’est dans le sang noir des glores que les deux cousins gagnèrent leur mérite, et le monologue se poursuivit jusqu’à la narration de la grande invasion de l’hiver dernier, et le siège tragique de Malzar. La mort de Lancevive et d’Ytuzîr. La fuite vers le sud. Le terme de quarante années de souffrance physique et morale, quatre décennies à courir dans la neige, sous le vent, le blizzard, les mains occupées à tuer ou à enterrer les morts dans le sol gelé. 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Inxi-Huinzi Posté(e) le 27 janvier 2008 Partager Posté(e) le 27 janvier 2008 Et ben il es gloque ce passage ! Mais au moins, ca fait un résumé bienvenue ! On reprend tout depuis le début et même s'il a pas rappelé les causes de sa quête ni ce que c'était d'ailleurs, ca m'a remis quelques noms et quelques souvenirs en tête. En tout cas, il a une bonne mémoire ! T'en profites même pour parler de ton monde sans m'ennuyer, chose qui est assez rare quand les gens developpent leur monde par des explications molles ( làje sais pas, c'est interessant ! Bravo! ) Bon tout pour dire une suite parce que en fin de compte, ben.. il se passe rien là ! @+ -= Inxi =- Citer Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites More sharing options...
Shas'o Benoît Posté(e) le 14 février 2008 Auteur Partager Posté(e) le 14 février 2008 La suite pour vous rappeler que j'oublie pas... Même s'il ne se passe toujours pas grand chose... L'action fait une pause, et va redémarrer progressivement vers le dernier Livre... Tous deux gardèrent le silence un long moment, tout imprégnés de ces paroles dures et amères. Enfin la fée s’ébroua en battant des ailes, secouant une fine pellicule de rosée, et déclara : « -La nuit est bien avancée, messire Gandacier. J’espère qu’une bonne nuit de repos vous aidera à apaiser votre âme. » Elle fit un signe de la main pour l’enjoindre de reprendre la route. Cette fois ils descendirent les escaliers, passant devant les buissons secoués par la brise nocturne. Ils longèrent les murs du palais, empruntèrent une longue allée flanchée de colonnades et passèrent deux chemins à étages, s’enjambant les uns les autres par un jeu d’arches de pierre, de volées de marche et de pentes sablonneuses. Sans qu’aucun signe n’ait été donné, une sentinelle les rejoignit bientôt, portant son arc dans sa main gauche et une torche dans sa droite. Ils s’arrêtèrent à un petit pont qui enjambait le ruisseau, et la Dame de dire : « -Nos routes se séparent ici ce soir, messire. Que la lune vous soit favorable. -Que le soleil vous sourie demain, ajouta Lamenoire en s’inclinant avec révérence. -Je l’espère aussi. Ce gardien vous ramènera jusqu’à votre chambre, et demain, nous verrons tout cela d’un œil frais. » Quand le soleil enflamma les sous-bois baignés de rosée, Lamenoire sortait juste de sa chambre, et s’avançait le long d’un couloir à toit ouvert. Les branches couvertes de fleurs jaunes et de feuilles se balançaient, accueillant d’un doux murmure le réveil de leur visiteur. Le rôdeur observa un moment le ballet des rameaux nonchalants, puis se mit en marche. Il ne savait pas s’il se dirigeait dans la bonne direction, et suivit le chemin de pierre jusqu’à un carrefour ombragé. Deux ormes gigantesques surplombaient la croisée des chemins, et des postes de guet s’arc-boutaient dans le creux de leurs branches maîtresses. Il repéra sans peine les quatre sentinelles qui y étaient affectées, assises ou debout au milieu des ramures. « -Ola, vigilante garde, les apostropha t-il, où se rend t-on pour la tablée ? -Si vous voulez participer au deuxième service, répondit l’un des hospitaliers en faction, suivez cette voie jusqu’au Palais des Saisons, puis prenez la grande allée. -Merci, sentinelle. Bonne chasse ! » Il emprunta le chemin indiqué, et ne tarda pas à reconnaître la vaste silhouette du palais central. La demeure d’Yrranie était bâtie comme une ville champêtre, avec des bosquets en sus et place des pâtés de maisons. Les grands édifices des sanctuaires, des pièces de la maisonnée et des postes de garde en jaillissaient tels des îlots de civilisation dans une mer de nature sauvage. Partout des animaux des bois passaient, à peine effarouchés par son passage : des écureuils, des renards rapides, et des chevreuils un rien méfiants, s’arrêtant à sa vue puis reprenant leur promenade bondissante. Mylnar l’attendait au pied des grandes marches de pierre de l’escalier principal. Il portait lui aussi une livrée aux couleurs printanières, tissée dans une matière douce et flexible. Mais sa fourrure suffisait à lui tenir chaud, et il avait négligé pourpoint et manteau pour ne garder qu’une paire de braies et une tunique ample, serrée à la taille par sa ceinture. Il avait laissé ses hachettes dans sa chambre, sans doute sur les conseils de ses hôtes. « -Quel plaisir de vous revoir, Lamenoire. J’ai bien cru que vous dormiriez jusqu’au nouvel an, par ma foi ! Salut à toi, Mylnar. Mais tu ne crois pas que tu exagères ? -Oh, si peu ! -L’heure est-elle si avancée ? -Hé ! On approche du milieu de la matinée ! -Allons, messire homme-chat, notre ami avait bien besoin d’un peu de repos ! » Tous deux se retournèrent, et fixèrent Talaria avec surprise. Elle les rejoignit à grandes enjambées, vêtue de son inséparable costume d’un vert émeraude. « -Cela ne se fait pas d’écouter les conversations des grandes personnes, jeune fille ! se moqua Lamenoire, en faisant un signe de tête en guise de bienvenue. -Oh, je ne suis plus une jeune fille en comput humain, je vous l’assure. Et je n’ai surpris que la fin de votre discussion, j’arrive à l’instant du premier tour de garde. -Nous les féligènes, nous nous levons de bonne heure, que nous soyons usés ou frais et dispos ! grommela Mylnar, faussement vexé. -Mais vous dites que vous faisiez un tour de garde ? s’étonna Lamenoire. -C’est la règle, reconnut Talaria. Puisque je ne suis plus en service aux frontières, il faut bien que je me rende utile. -Mais qui craignez-vous dans les parages ? -Lamenoire, faire le guet est une occupation saine pour le corps et l’esprit, que nous soyons en danger imminent ou non ! Il faut prendre de bonnes habitudes. -Cela me rappelle quelque chose… Une manière d’appréhender le discours, que m’enseigna mon maître. -Vraiment ? -C’est une longue histoire, et… -Nous aurons tout le temps de la raconter. Mais mettons-nous en route, ou le second service sera passé avant que nous soyons arrivés. » Ils gravirent donc les escaliers et passèrent la terrasse sans s’arrêter. En effet, ils empruntèrent un sentier qu’il n’avait pas deviné la veille, et qui contournait l’imposant bâtiment. Longeant des colonnades et des galeries à ciel ouvert, leur route les conduisit jusqu’aux rives du ruisseau. Là, des volières et des grandes arches de pierre couverte de lierre les abritaient par intervalles des assauts du soleil. « -La vie ici semble bien réglée, remarqua Gandacier. -Pas à un tel point, refusa Talaria. Chacun de nous doit faire une garde de deux heures, selon un horaire défini pour la semaine. Le reste de la journée, nous faisons selon notre bon plaisir, dans la limite des règles du palais. Pour être franche, nous avons toute latitude pour nous occuper, qu’il s’agisse de chasse, de poésie ou d’équitation. Il faut juste se souvenir que chaque repas n’est proposé qu’à deux services : le déjeuner à deuxième et à la troisième heure du jour, le dîner à la sixième et à la septième heure du jour, le souper à la douzième heure du jour et à la première heure de la nuit. -En effet, ce n’est pas très contraignant. -En fait, si ! Je peine toujours à me souvenir de ces horaires, alors que je suis en pleine promenade ou au cœur d’une partie de chasse ! » Lamenoire sourit, mais Mylnar secoua la tête en soupirant : « -C’est de l’humour dryade, je suppose. -Le sens de la plaisanterie est-il si différent selon les peuples ? demanda la forestière. -Aucune idée, avoua l’homme-chat. Mais le sens de l’appétit, aucun doute ! » Ils arrivèrent sur une esplanade précédant une longue salle sans mur, délimitée simplement par des colonnes et des balustrades. Un grand frontispice les séparait encore de cette place, où de nombreuses tables étaient dressées. Sur des nappes blanches, un couvert généreux était posé. Des servants apportaient des plateaux fumants, des chaudrons de boissons chaudes ou fraîches et des corbeilles pleines de galettes, de fruits juteux et de pâtisseries. Une foule nombreuse se rassemblait sur des tabourets en bois, ou bien bavardait autour du banquet en petits comités, ou bien encore allait et venait par les grandes allées de sable, bavardant sur un ton léger. On y reconnaissait quelques vénérables doyens hernes aux longues barbes grisonnantes, plusieurs officiers de la cour en armure de cuir et de nombreux conseillers en grande tenue. Ils franchirent le portique, mais une main se posa sur le bras droit de Lamenoire, et il s’arrêta, pour tourner la tête vers son propriétaire : Calis les attendait. Il portait toujours son inséparable costume noir en velours et en cuir, complété d’un pourpoint couvert de mailles fines articulées. Son baudrier était passé par-dessus et retenait le fourreau de son sabre, dont la poignée acérée jaillissait telle une flèche. Il esquissa une révérence. « -Messire Gandacier, nous sommes partis sur de mauvaises bases. Si je me suis montré irrespectueux, je m’en excuse. -J’accepte vos esxcuses, et je vous présente les miennes. -Il y a assez de mal en ce monde pour que les bonnes volontés évitent de s’entre-déchirer. -Je suis bien d’accord. -Voilà qui est parfait ! s’enthousiasma Talaria. Nous pouvons donc nous rendre à la table tous ensemble, sans plus tarder. -J’allais le proposer, renchérit Mylnar, qui jeta encore un coup d’œil méfiant au chasseur hospitalier. Il ne faudrait pas faire attendre les autres. » Citer Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites More sharing options...
Inxi-Huinzi Posté(e) le 15 février 2008 Partager Posté(e) le 15 février 2008 tout imprégnés de ces paroles dures e Je crois que faut revoir le 'tout' Bon le fond, comme tu le dis toi même, l'action est un peu au ralenti dans cette partie du texte mais y a quand meme du changement avec le fait qu'ils finissent par se faire plus ou moins accepter et se font même de nouveaux amis ! Je dirai que ça me parait facile et qu'atre chose doit etre en jeu alors j'attends de voir @+ -= Inxi =- Citer Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites More sharing options...
Shas'o Benoît Posté(e) le 10 mars 2008 Auteur Partager Posté(e) le 10 mars 2008 Et voilou la souite : Ils s’installèrent les uns à côté des autres, au milieu de la joyeuse compagnie. L’atmosphère était conviviale, presque familiale. Les échansons passaient et revenaient en versant dans les cornes des breuvages colorés et sucrés, légèrement alcoolisés ; les aides des cuisiniers apportaient les plats alléchants et les posaient sur les nappes blanches, tout en échangeant quelques paroles aimables avec les convives. Le rôdeur prit quelques fruits et les observa, essayant de reconnaître leurs formes, mais y renonça bientôt. Il y en avait de plusieurs sortes, certains à la chair ferme et acidulée, d’autres à la pulpe molle et imbibée d’eau, certains débordant de suc caramélisé, d’autres composés de quartiers remplis de petits pépins. Toute cette flore reflétait les nombreux individus rassemblés autour de lui, certains étranges, d’autres curieux ou amusants, les uns charmants et les autres intrigants. Mylnar lui, mangeait l’esprit libre de toutes ces considérations, croquant à pleines dents dans les galettes croustillantes. Il réprima un sourire en remarquant le manège d’un doyen herne, qui touchait à peine à son assiette : le vieillard avait un petit sac en toile à sa ceinture, dans lequel il puisait de petites sphères d’un brun blanchi, et il les enfournait dans sa bouche. Il semblait apprécier particulièrement ces sucreries plus dures que la pierre, qu’il gardait un long moment entre ses mâchoires, attendant que la salive face son office. « -Ce repas… Me rappelle les tablées de ma jeunesse, avoua Lamenoire, en hochant de la tête. Cette fraternité, c’est un trésor que les Landes ont perdu. -Prions pour que ceux qui la connaissent encore la conserve, décréta Calis. -Encore faudrait-il qu’ils se rendent compte de ce que cela représente… Comment les peuples de ces bois en sont-ils venus à ce genre de vie ? -Je n’en sais trop rien, répondit Talaria. Je pense qu’il en a toujours été ainsi, dans cette région en tout cas. -J’ai peine à croire que la paix ait régné perpétuellement ! -Oh ! Bien sûr, les Hernes ont connu plusieurs batailles entre chefs rivaux, et même les dendranthropes et les Cheverons se sont combattus ; mais jamais de l’ampleur qu’on a pu connaître de par le vaste monde, aux époques lointaines des Grandes Guerres. -Ces temps-là ne sont pas si lointains, je pense. -Il est vrai que le Nord se réveille en grondant, regretta Calis. Mais pour ce qui est du reste du monde, les nouvelles sont poussiéreuses. -Qu’avez-vous appris sur les conflits de l’est ? » Calis crut d’abord qu’il s’agissait d’une critique, mais en relevant la tête il vit que la question de l’humain était sincère. Il haussa les épaules : -Rien de précis, la Barbarie nous sépare d’elles. L’Empire du Fordaur est toujours debout, je suppose. On entend parfois des aèdes vanter les mérites de tel ou tel général, mais nous ne retenons pas ces noms exotiques. -Mais vous, renchérit la Dryade, vous avez peut-être d’autres nouvelles depuis les caravanes des Monts de Mort ? -Il n’y a plus de caravanes qui y passent régulièrement, néanmoins de rares voyageurs nous ont appris les derniers grands événements. L’empereur est toujours sur le trône, du moins un empereur y est, bien que la dynastie ait connu de graves dissensions –c’est du moins ce que l’on prétend. Difficile de se forger une opinion ; pour cela, il faudrait traverser les Plaines et les Monts de Mort, et de là remonter à travers le Désert Blanc jusqu’au Royaume Primordial Fenri. C’est une des plus vastes civilisations du monde à ce qu’on dit, mais aussi l’une des plus méfiantes. Le droit de passage n’est pas accordé à la légère sur leurs terres verglacées. Et à partir de leurs frontières commencent l’inconnu. Seuls eux ont les cartes reproduisant le relief et les routes de leurs domaines, et quelle distance exacte nous sépare des premiers avant-postes des marches de l’Empire est impossible à déterminer. -C’est une chose presque… Folle que de penser à cela, murmura Calis… Le monde est si vaste que des pays entiers n’ont jamais fait parler d’eux ici. Peut-être que des dynasties entières, des merveilles architecturales dantesques et des peuplades florissantes disparaîtront avant même que l’on ne les croise. Et dans des siècles, des millénaires peut-être, des explorateurs intrigués découvriront quelques tessons brisés. » Lamenoire ne répondit rien, mais songea aux tunnels qu’il avait empruntés dans les Marais de Soufre. Il avait trouvé là des glyphes elfiques presque immémoriales, et dans les recoins les plus sombres des grottes qu’il avait traversées, il avait vu des piliers recouverts de symboles indéchiffrables, des portes de formes circulaires ou des linteaux taillés en triangle, et d’autres curiosités plus que troublantes. Et tous ces vestiges étaient peut-être dors et déjà inaccessibles, noyés sous la boue et la tourbe. Ils passèrent le reste de la matinée tous les quatre ensemble, jusqu’à ce que Calis soit appelé à son tour pour exercer son tour de garde. Il salua donc ses nouveaux amis d’un brève révérence et les abandonna à eux-mêmes au cœur des jardins du palais. Tous les trois cheminèrent un moment en silence, observant les jeux d’eau et de lumière sous les courbures vertes des arbres bruissants. L’homme-chat respirait à pleins poumons, profitant des effluves dispensées par les fleurs dispersées aux pieds des troncs. Même Lamenoire se laissa gagner par la béatitude des lieux, presque ravivé par ce pays enchanteur. Il pouvait presque sentir ses blessures se refermer et tout son esprit se dénouer. « -Ces terres fleurent la vie et la quiétude, remarqua t-il. Nous sommes loin des gastes prairies de ma patrie, et combien ne donnerais-je pas pour les voir refleurir de la sorte ? » Talaria ne répondit pas tout de suite. Elle observa un moment l’humain, puis demanda soudain de sa voix de cristal : « -Vous parlez comme un noble, Lamenoire, et pourtant vous venez du Nord… Oh, je ne voulais pas dire que les gens du nord sont des frustres, mais… -Vous avez raison de penser ainsi. Même si l’on excepte les pillards vikingars, qui n’ont plus grand chose d’humain, on peut trouver les hommes de mon pays quelque peu rustiques. J’ai eu la chance d’avoir un bon… Un excellent précepteur. -Un sage, donc mais de quel genre ? Il y a de nombreuses voies pour tendre à la sagesse. -Pour lui, il n’y en avait qu’une : l’acribologie. -L’acribologie ? répéta t-elle, étonnée. Pouvez-vous m’en donner un exemple ? -C’est très facile. Vous voyez ces galets, au bord du ruisseau ? Il y a de quoi inspirer le plus ignorant des sages, car leur vue seule suffit à remplir ma mémoire de concepts, de sensations et de discours. Caillou ; en écoutant les sons doux, larmoyants de ce mot, on oublierait presque le premier signe de dureté : le caillou sur les bords des routes n’est-il pas malheureux de son sort ? La pitié effleure notre esprit face à cet objet miniature, et pourtant digne de compassion. Caillasse en dérive, mais évoque davantage encore, tant que cela est possible, une idée de petitesse, d’insignifiance. On n’éprouve plus la moindre pitié : ici le dédain s’empare de notre cœur, on regarde de haut ces graviers miséreux, relégués au rang de détail. Comme la vinasse, la crasse ou la populace, la caillasse gît dans le mépris. Pierre est un mot usuel, presque banal, dans la bouche de tout un chacun. C’est un outil, comme les moellons d’une tour, les briques d’une maison. La pierre est taillée, sculptée, au service de l’homme. Il l’utilise et la prononce en usurpant le sens des mots de la même lignée : la pierre est dans toutes les conversations. Il devient galvaudé et perd de son propre sens en tentant de gagner celui des autres. Comment définir une pierre ? Elles n’ont plus de forme, d’essence. Rocher ; le rocher racle notre gorge, et cela seul suffit à prouver toute sa force et sa violence ; il est rugueux, résistant, redoutable. Un rocher est fait pour écraser, broyer, exploser. Mais ce n’est pas un outil, non, le rocher est un élément rebelle de la nature, une des forces du monde primitif et haineux des anciens temps. Le rocher se détache de la montagne et emporte tout sur son passage, entraînant les passants dans la mort. Roc exprime davantage la dureté par sa rapidité d’élocution, sa brièveté efficace, presque tranchante, sa dureté intransigeante dans son articulation, son intonation : il y a là une force concise et précise, d’où émane une impression de défi : c’est un combattant solitaire affrontant les forces de la nature, vents, marées, tempêtes ; il y a dans ce mot quelque chose de courageux, de preux, quasi épique. Le roc est un héros sans peur et sans reproche. Comme l’oiseau du même nom, il vole bien au-delà de ses semblables, sur son piédestal venteux, guerrier solitaire, endurci, invincible. -C’est assez impressionnant ! -On peut prendre tout cela pour des fadaises, mais je vous jure que l’utilité de cette science m’a été démontrée de nombreuses fois. Elle a fait ses preuves : elle permet de se concentrer, de réfléchir avec rigueur, et de structurer sa pensée. C’est une gymnastique formidable. -Un talent admirable, renchérit-elle. -Au prix d’un destin moins heureux, conclut le rôdeur. -Que voulez-vous dire ? -Si j’avais eu… Enfin si mes parents avaient vécu, j’aurais pu… Jamais je n’aurais eu Ytuzîr en tant que maître à penser. Je ne l’aurai peut-être jamais rencontré. -Votre vie a donc connu tant de douleurs ? -Elle a eu de bons côtés… Mais d’autres… » Il serra les mâchoires, tourmenté par des souvenirs lugubres. « -Les Landes… Ma… Ce n’est pas comme ici ! finit-il par lâcher. Non, vraiment je n’ai pas vécu dans le même univers. -Nous appartenons tous au même monde, essaya t-elle de le consoler. Peut-être un jour… -Pourquoi les Landes ont-elles été dénaturées comme il en est aujourd’hui ? C’est vrai qu’elles n’ont jamais eu cette beauté envahissante, cette splendeur infinie, mais enfin elles avaient leur propre charme, et c’était mon pays, le sang de ma chair. -Toi au moins as-tu une patrie, lui reprocha Mylnar, moi je n’ai rien à quoi me raccrocher, à part la confiance qui nous lie et notre amitié. -Bienheureux es-tu d’avoir oublié ! lui répondit Gandacier, sur un ton si dur que le férigène se tut et ne répondit plus rien. Moi je me souviens, et je peux te dire qu’il est des jours où j’en pleurs d’amertume ! » Talaria s’arrêta net de marcher et posa ses mains sur ses épaules, sourcils froncés : « -Il ne faut pas, protesta t-elle. Ne vous rendez pas malade avec des images du passé. Il faut vivre, Lamenoire, à commencer par aimer la vie. -Ce que j’aimerai le plus, c’est donner la mort à certain sorcier de mes connaissances… -Il faut d’abord que vous aimiez les vôtres pour souhaiter la mort ! -Bien sûr que j’aime les miens. Plus que ma vie. -Votre vie est tout ce qui vous reste, Lamenoire. Ne la risquez pas inutilement. » Lamenoire sursauta, interpellé. Par moment, elle lui rappelait Yrranie. Mais non, elle n’avait pas du tout la même façon de marcher, de poser sa main sur son bras. Et ses yeux clairs, d’un bleu presque gris, lui renvoyaient ses émotions. « -Vous avez encore de la famille, dans vos terres froides du Nord ? -Du frère de mon père, mes deux cousines sont mortes ces deux dernières années, et mon cousin est parti au sud sans donner de nouvelles. De la sœur de mon père, mon cousin Lancevive est mort, son épouse et ses deux fils ont trépassé avant lui. Nul autre ne reste, parmi ceux qui respiraient encore les bourrasques libres de la plaine venteuse. -Qui vous retient donc en ces sinistres latitudes ? -Mais mon sang, Talaria ! Et l’amour de mon roi, et la mémoire de mon peuple… -Mais tout cela est enterré, à présent. Tu veux combattre des fantômes, pour défendre d’autres fantômes. L’amour de la patrie a un sens quand celle-ci vit toujours. -Si son cœur doit cesser de battre, je veux le ranimer ou m’éteindre avec. -Et si le tiens s’essouffle, qui le ranimera ? s’écria t-elle. -Je n’en sais rien, avoua t-il. Il faut que je le fasse. -Tu n’es tenu à rien. Les royaumes se font et se défont. Si une cause est perdue, pourquoi se sacrifier ? Il y a d’autres combats à mener, d’autres vies à défendre. Tu l’as sans doute vu, ici même ; partout dans le monde, le bien manque. Nous avons toujours besoin d’alliés. -Les forêts d’Yrranie ne sont pas mon foyer. -Il ne tient qu’à toi d’en faire le tien. » Le rôdeur ne répondit rien, mais se dégagea et s’écarta d’eux à grands pas, cherchant la solitude dans les sous-bois. « -Non, laisse-le, demanda Mylnar en retenant Talaria. Il en a besoin… Il faut le laisser trouver le repos intérieur. Tant qu’il n’aura pas fait taire ses démons, il ne pourra pas prendre de décision. -Nous ne pouvons pas le laisser se tourmenter ! -Et toi, tu es injuste de lui faire la morale. Tu ne sais pas par quoi il est passé. Moi je l’ai accompagné durant une infime parcelle de ses combats, et je pense avoir compris. Il se reproche toujours de vivre, de respirer alors que tant de ses compagnons sont morts. C’est à lui de se raisonner, moi, je ne me permettrai pas de lui faire quelque remarque. -Il faut bien que quelqu’un le fasse. -Oui… Sa conscience. » Citer Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites More sharing options...
Inxi-Huinzi Posté(e) le 10 mars 2008 Partager Posté(e) le 10 mars 2008 Bon, ben c'est pas mal ! Un grand moment de naïveté au départ ! Enfin je sais pas mais ça fait des dialogues bizarres, je me demande vraiment si un dialogue réaliste peut vraiment être si soutenus. M'enfin, la naïveté au départ allait être mon défaut mais en continuant de lire, j'ai remarqué qu'en fait, ca contraste bien avec ce que pense le héros et ca m'est en avant sa misère et sa pensée donc tout est ok ! Un bon passage ! @+ -= Inxi =- Citer Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites More sharing options...
Invité chaos rulez Posté(e) le 4 avril 2008 Partager Posté(e) le 4 avril 2008 et bien franchement shas'o cette histoire est plus qu'enlevante tes descriptions sont excellente tu nous tien dans le suspense JADORE!!!! une chose m'intrigue c'est de savoir si le passer de l'homme chat a une influence quelconque dans l'histoire. et tu décris très bien l'univers de tu( le tien quoi!) alors vivement la suite car lire toute cette histoire ma bien pris deux apres-midi a+ chaos rulez qui aime bien ton histoire Citer Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites More sharing options...
Celt Posté(e) le 13 avril 2008 Partager Posté(e) le 13 avril 2008 Bon, j'ai tout mis sur Word. Le temps que ça passe à l'imprimante et que je le lise, dans quelques jours, tu auras une critique détaillée et tout et tout... Mais j'ai d'ores et déjà une remarque (j'aurais pas posté, sinon ), qui a son importance. Je te montre le sommaire que j'ai fait en première page : Sommaire :- Bref aperçu du monde de Tü :……………………..…………………………………………p.2 -- Carte :……………………………………………………………………………………………………………………………p.4 - Livre I : les Landes ténébreuses :…..……………………………………………………………………p.5 -- Prologue :………………………………………………………………………………………………………………………………………p.5 -- Chapitre premier : La ville-mère :…………………………………………………………………………………………………p.5 -- Chapitre second : De rouge et de blanc :……………………………………………………………………………………p.8 -- Chapitre troisième : L’abîme :……………………………………………………………………………………………………p.11 - Livre II : les forces brisées :…………………………………………………………………………….p.15 -- Chapitre premier : Une mission :…………………………………………………………………………………………………p.15 -- Chapitre second : Sursaut d’espoir :…………………………………………………………………………………………p.17 -- Chapitre troisième : Derniers feux :……………………………………………………………………………………………p.20 - Livre III : Le sombre exil :………………………………………………………………………………..p.23 -- Chapitre premier : Le fleuve en crue :………………………………………………………………………………………p.23 -- Chapitre second : Le tunnel effondré :………………………………………………………………………………………p.26 -- Chapitre troisième : Le village menacé :……………………………………………………………………………………p.34 - Livre IV : Le chemin ardu :………………………………………………………………………….......p.51 -- Chapitre premier : La haine :………………………………………………………………………………………………………p.51 -- Chapitre second : Pays des rives :………………………………………………………………………………………………p.60 -- Chapitre troisième : La ville sur le fleuve :…………………………………………………………………………………p.64 Bon, sachant que l'ensemble fait 228 pages (en Verdan 9 et avec un minimum de mise en page), tu comprends mon problème : tout est dans ce fameux dernier chapitre 3 du livre IV Donc, si tu pouvais m'indiquer les endroits de changement de livre/chapitre, j'en serais garndement honoré et satisfait. Merci d'avance. *Celt, plus qu'à lire le médaillon des Quatre, après !* Citer Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites More sharing options...
Shas'o Benoît Posté(e) le 25 mai 2008 Auteur Partager Posté(e) le 25 mai 2008 (modifié) Ah ! Si j'avais oublié de le préciser, j'en suis confus ! Nous sommes dans le chapitre I du Vème livre, à savoir Livre V : Dans les terres du Sud Chapitre premier : le pays des arbres Désolé encore une fois, je le rajoute. Cela dit, oui, la majorité de l'intrigue se déroule maintenant. Pourtant, chaque livre et chapitre correspond à une localisation à peu près équivalente en terme de distances. C'est que l'histoire de densifie ! Plus le conte avance, et plus les chapitres gagnent en longueur. Là, on atteint la taille de croisière, je pense. Bref, tout ça pour introduire un nouveau passage, une piètre compensation pour 45 jours d'interruption : Lamenoire Gandacier marcha longtemps sous les branches silencieuses de la grande forêt. Les troncs rouges et terre de sienne des vastes conifères restaient muets, prêts à écouter ses confidences, mais aucun son ne sortait de ses lèvres scellées. Pourtant il mourait d’envie de crier sa colère, sa douleur et sa frustration. Il croyait en avoir fini avec ses démons intérieurs, avoir apaisé ses tourments au long de son voyage. Et voilà que la torture le reprenait, lancinante. Une fois de plus, il était perdu. Perdu entre le passé et l’avenir, le trépas et les espoirs d’un futur meilleur. Que pouvait-il espérer de la vie, sinon la Pierre d’Espoir ? Il voyait en elle une dernière chimère à laquelle se raccrocher. Peut-être pourrait-il reprendre goût à la vie avec cet orbe entre ses mains. Peut-être le globe lui ferait-il comprendre des vérités qu’il n’avait pas comprises, des possibilités qu’il n’avait pas vues. Peut-être pourrait-il faire refleurir ses Landes bien-aimées. Si,si, si. Il savait que de telles espérances avaient peu de chances de se concrétiser. Maître Ytuzîr lui avait toujours répété que dans le doute, il fallait se rattacher aux certitudes et non aux folies. Les certitudes, voilà tout ce qui comptait. Trouver le Donomâr, oui, mais où ? Il savait que la sphère existait, mais dans quelle partie du monde ? Au sud brûlant, ou dans les terres oubliées de l’Est, que plus personne n’a vues depuis des millénaires ? Comment savoir ? Plus personne n’avait conservé la trace des quatre orfèvres, et jusqu’à leur souvenir avait disparu de la surface de la terre. Il erra ainsi dans les campagnes boisées, pour finalement retomber sur le petit ruisseau scintillant. La source prenait racine sous les troncs droits du palais, loin là-bas, et laissait ses eaux s’écouler jusqu’à ses pieds. Il se pencha au bord de l’onde, et observa longuement son reflet dans le courant. Il était rasé de près et blanchi, mais incroyablement fatigué. Les quelques mois passés l’avaient plus usé que trente années de guerre. Il laissa s’échapper un soupir, enfin, et passa une main tremblante sur son front soucieux. « -Nous y voilà, marmonna t-il. Je n’ai plus d’indices, à présent. Altiforge est mort, Ytuzîr est mort, alors qui pourra m’éclairer ? » Quelques rossignols commençaient leurs trilles vespérales, passant de branches en branches autour de lui. Il constata que le soleil déclinait rapidement, embrasant les sous-bois de reflets ambre. Il eut un sourire amer : « -J’ai même perdu Doubleserre. Mylnar est là, Ksandrot soit loué, pour me fortifier. Mais j’ai perdu en quelques saisons toute une vie d’amitié. Il est normal que je sois ébranlé… C’est bien le mot juste, le mot exact. Ebranlé. » Il se laissa tomber sur le tapis d’herbe douce, songeur. Il posa machinalement sa main sur le pommeau de son sabre, et poursuivit son monologue : « -Reste à prendre une décision. Je ne peux pas continuer à m’enfoncer vers le sud sans plus de raisons. Et pourtant je me sens pressé. Quelque chose dans mes veines bout, rugit et tempête. Je le sens bien, le temps m’est compté. La nuit, quand la lune monte dans le ciel, et que ses rayons doux et apaisants caressent mon visage, je me souviens du regard d’albâtre de ma mère, de ses mains de marbre blanc veinées de bleu, et je frémis… La lune là-haut, au firmament, me rapporte des souvenirs oubliés. Et je me rappelle de ces nuits obscures que j’ai passées entre la vie et la mort, après ce combat contre le minotaure. » Entre les branches courbées des arbres, par une trouée percée dans le feuillage, il aperçoit soudain l’astre argenté, disque étincelant, immaculé, qui monte déjà dans le ciel violacé. Les yeux du rôdeur sont grands ouverts, brillants de netteté et d’intelligence. Son esprit tourne à vive allure, se remémorant ces heures d’angoisse, les décortiquant pour les comprendre : « -Réfléchir plusieurs heures chaque nuit pour comprendre ce phénomène… Oui, et je crois commencer à entrevoir la solution. Une sorte de survie primitive de l’esprit, un refus de mourir si vivace qu’il se projette vers ceux et celles qui pensent le plus à lui… Voilà ce qui m’est arrivé. Et mon âme à volé jusqu’à lui. » Ses doigts se crispent sur la poignée de son long sabre d’acier noir. Il ne sait pas de qui il s’agissait, mais il se rappelle du dégoût froid et visqueux de son esprit. Le contact mental avec cette créature avait été abject, voilà tout. Et une autre conscience, bien plus puissante encore, était survenue. Les mots de cette troisième monade avaient finalement brisé l’harmonie de fait, l’association psychique qui avait lié le rôdeur à son hôte involontaire. C’était une expérience unique dans toute l’histoire de la sorcellerie, à sa connaissance. Jamais personne n’avait réussi à s’infiltrer tout entier dans les pensées d’autrui, à s’y installer corps et âme pour ainsi dire. Personne n’aurait eu l’idée d’essayer, et il avait fallu un accident funeste pour y arriver. Il ne savait pas s’il devait en être fier. « -Ainsi la personne au monde qui pensait le plus à moi en ces instants était un monstre dont la proximité seule suffit à me révulser ! Voilà qui est bon à savoir. Qui était cette bête, et ce qu’elle voulait faire, il pouvait le deviner : elle suivait la même piste qu’elle. Si elle était sur ses traces, seul quelqu’un de haut placé dans les armées du Sorcier aurait pu l’y lancer. En fait, un seul pouvait : Nommiard lui-même. Seul lui avait pu deviner le nom du dernier capitaine des Landes encore vivant, celui qui avait levé l’ultime insurrection. Mais si Nommiard avait dépêché un de ses sbires sur les traces d’un ennemi en fuite, il n’avait pu confier cette tâche qu’à ses meilleurs assassins : les spectres. Or de tous les spectres, seul un pouvait garder à la fois assez d’indépendance pour organiser une chasse pugnace, tout comme une servilité à toute épreuve, capable de maintenir sa cohérence physique si loin de son seigneur et maître. Il s’agissait forcément de Zyichyas, le tristement célèbre monstre de l’ombre. C’était évidemment lui qui avait tué Altiforge. Eh bien soit ! Il tuerait cette créature infernale, dès que l’occasion s’en présenterait ! « -Lamenoire ? Vous êtes là ? » Le rôdeur sursauta, mais reconnut bientôt la silhouette souple de Talaria entre les branches basses des épicéas ; ses pieds glissaient sur le tapis d’herbe ou sur les pommes de pin, sans les faire crisser. Lamenoire se releva, un peu gêné : « -Il se fait tard, et je crois m’être égaré. Comment m’avez-vous retrouvé ? » La jeune dryade sourit, amusée, et se plaça à côté de lui, un brin moqueuse : « -Allons, je vous ai retrouvée grâce à mon flair : je suis bien meilleure limière que Mylnar ! -Je regrette de vous avoir causé du soucis… -Vous plaisantez ! Nul ne s’est inquiété pour vous, je ne pense pas que ce soit nécessaire. Y a t-il quelque chose qui vous fasse peur en ce monde ? D’ailleurs, on ne risque rien dans ce pays de paix. » Elle lui tendit la main, souriante : « -Pour être franche, je vous ai retrouvée grâce aux feux follets. -Les feux follets ? Les esprits malins des bois ? -Espiègles plutôt que malins, à mon sens. Oui, vous ne les avez sans-doute pas remarqués, mais eux vous ont vu passer tout au long de votre route. Je vous ai retrouvé facilement. -Je suis pourtant parti depuis plusieurs heures. -Je vous ai laissé seul… Mylnar était d’avis que cela vous ferait du bien. Moi, je n’en sais trop rien, à vrai dire. J’aurais préféré ne pas vous lâcher ! -Ah, vraiment ? -Oui, d’ailleurs demain on se quittera pas : une grande chasse va être organisée, on ne vous l’a pas dit ? Il ne faudrait pas que vous ratiez cela, pour rien au monde ! » Gandacier ne répondit pas, mais il suivit la chasseresse avec docilité, jusqu’à revenir aux vastes halls du palais. Là, il prit congé d’elle, la salua d’une révérence impeccable, quoiqu’un peu raide et martiale, et regagna sa chambrée. Cette nuit là, son esprit était serein, apaisé, et malgré toutes ses appréhensions, il avait le sentiment vivace que son destin n’était pas encore joué. Il se jura bien de tout faire pour l’infléchir dans le bon sens. Modifié le 7 juin 2008 par Shas'o Benoît Citer Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites More sharing options...
Invité chaos rulez Posté(e) le 29 mai 2008 Partager Posté(e) le 29 mai 2008 alors cette "suite" apres 45 jour me laisse réelement sur ma faim jespere que ton prochain post va etre prochainement!!! ce chapitre est court, mais cela nous remet les idées en place vivement la suite pour savoir qu'elle est cette grande chasse! ciao from quebec city B) chaos rulez officielement en vacance Citer Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites More sharing options...
Inxi-Huinzi Posté(e) le 30 mai 2008 Partager Posté(e) le 30 mai 2008 le trépas et les esoirs d’un futur meilleur. Que pouvait-il e Hop la petite faute pour le quota Bon c'est parti pour le commentaire: J'aime bien ce chapitre rien que pr le 2eme paragraphe et le rappel de la quête. A force d'aventure et de rencontre, on oublie pratiquement qu'elle existe et c'est quand même le fil conducteur de l'histoire !! Deuxième point : La bête, je l'avais oubliée ! Bien de se rappeler qu'elle est à ses trousses et qu'il est mal barré. Voyons voir a quel moment celle ci décidera d'attaquer ! Peut etre pendant la chasse ! @+ -= Inxi =- Citer Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites More sharing options...
the rabbit Posté(e) le 30 mai 2008 Partager Posté(e) le 30 mai 2008 Bah tiens pour le coup j'ai rattrapé un peu mon retard . Bon ben ça avance... lentement, vais devoir me relire le tout une fois, histoire de me rimprégner de tout ce délice . (bref, un post certes pour pas dire grand chose si ce n'est pour me servir de marque-page et dire que je suis toujours, mea culpa ) Citer Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites More sharing options...
Pasiphaé Posté(e) le 6 juin 2008 Partager Posté(e) le 6 juin 2008 (modifié) Bon bah c'est fait, j'ai tout lu ... Et comme je l'es fait d'un coup, je vais me permettre des remarques "sur l'ensemble" : -Le style varie en fonction du moment de l'histoire. Le début à un "style parfait" dans le sens où il est celui des conteurs moyennageux, avec évidemment ces défauts, mais qui sont expliqué par le style. La fin n'est pas un "style parfait", mais reste du domaine du roman et pas trop mal écrit... Par contre le milieu, le passage de l'un a l'autre est indigeste...Faudrait peut être retravailler sa... -Bien trop souvant, on send bien ce coté chimérique, un peu naïf, et pas que chez un individue ou un autre! Disons que l'on send 2 choses : ta volonté de garder un monde cohérent et pas tout rose (la méfiance est omniprésente...Un peu trop d'ailleur, ya presque pas de xénophobie ou haine inter race! Pour cette dernière, le seul cas un peu violent que j'ai relevé, c'est le nain qui a voulu tuer lamenoire...En gros, tu as les bonnes proportions de cette part de "méchanceté", mais faut diversifier tout cela!) -La fin marque bien sa souffrance, mais avant cela... -Autre critique : tu as la description facile, ce qui est très bien...Mais comme certain des personnages décris ne ré-apparaisse pas, sa donne un peu de confusion : dans les histoires classiqes, chaque chose donné l'est pour une raison précise dans le récit...La perfection, c'est pas quand on a plus rien a ajouter, mais quand on a plus rien a retirer... En gros, et pour résumer toutes mes critiques en unes : tout cela est très bien, ta façon d'écrire permet de s'adapter au mode d'expression (par envoie régulié sur forum)...Mais sa casse aussi la continuité de ton récit! Dans l'idéale, faudrait que tu relise à chaque fois au moins 1 page de word de ce que tu as écris avant, pour gommer cette irrégularité... Pasiphaé, mais à mon sens tu es largement au niveau pour éditer du vraie bouquin (même si le style fantasy n'aide pas trop AMHA pour un vraie livre) . Modifié le 6 juin 2008 par Pasiphaé Citer Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites More sharing options...
Shas'o Benoît Posté(e) le 7 juin 2008 Auteur Partager Posté(e) le 7 juin 2008 Merci pour la critique globale, et il est vrai que le style est très inégal. Comme tu l'as souligné, le début n'est pas vraiment dans le même ton. Il faut voir aussi que plusieurs années ont passé, et c'est mon écriture tout entière qui s'est améliorée. C'est une critique tout à fait justifiée, et on le voit très bien aussi dans mes autres textes au long cours. Un des problèmes majeurs est le découpage : l'histoire prend de l'ampleur et de la profondeur avec l'âge, si bien que les premiers chapitres sont ridicules de longueur comparés aux derniers. Et je sais bien qu'un vrai auteur passe 1h à écrire, et 10h à corriger, remanier, raccourcir... Le problème ici c'est que j'ai tant à dire, alors j'ai du faire le choix de laisser la qualité de rédaction au second plan, ce qui est très préjudiciable à l'oeuvre en général. Toutes proportions gardées, après réflexions, c'est le problème du Silmarillion : des textes lisibles pour des fans, mais un ensemble qui ne peut pas être lu comme un roman classique. Evidemment, Tolkien est encore à des années -lumières de perfection comparé à moi... Enfin bref, tout ça pour poster le message suivant, bonne lecture à vous, club fidèle de lecteurs : Ce furent bien des cors de chasse qui résonnèrent dans l’air vibrant du matin, tirant le rôdeur de ses rêveries grises et moroses. Il sauta de son lit, presque inquiet, puis se rappela que ces appels d’oliphant ne tonnaient pas pour la guerre, mais pour une traque au cerf. Il s’habilla à la hâte, boucla sa ceinture et referma la boucle de sa cape usée, presque heureux. Combien de fois avait-il déjà entendu ce son singulier, le cri sonore et joyeux des trompes sylvaines dans les brumes de l’aurore ? Deux fois, trois peut-être. Cela remontait à sa plus tendre enfance, dans les forêts d’Ytuzîr. Quand il était jeune et innocent, et que son vieux mentor avait encore quelques cheveux gris restés dans ses longues tignasses neigeuses, le candide enfant qu’on appellerait plus tard Lamenoire Gandacier avait entendu résonner le souffle des dryades partant en chasse. A l’époque de sa jeunesse insouciante, elles n’avaient pas encore quitté les derniers bois des Landes Ténébreuses. Même un certain soir, il avait pu apercevoir au loin une chevauchée tumultueuse, plus rapide qu’un renard, s’échapper vers l’horizon. Toutes ces années de combat lui avaient fait oublier ces instants si rares et si précieux, ces souvenirs doux d’une vie plus heureuse. Mais avec les appels retentissant qui venaient des fenêtres de sa chambrée, c’était un coup de balai sur la poussière, un dernier coup de rabot passé sur la planche de sa vie, une remise à neuf de sa peau et de son esprit. Les réminiscences de courses éperdues dans les plaines avec ses camarades de jeu, les plaisanteries espiègles de la jeunesse, et les adages anciens comme le monde que maître Ytuzîr assenait de sa voix âgée, et pourtant si fraîche. Il alla vite rejoindre ses compagnons, presque impatient. Il les trouva aux tablées de la veille ; Mylnar, Talaria et Calis l’attendaient, tous trois adossés aux colonnes enfleurées des portiques de lierre. L’homme-chat fut le premier à le saluer : « -L’homme du nord se réveille enfin ! miaula t-il, enjoué. Je t’attends depuis l’aube, Lam’. -Que n’as-tu profité du sommeil, mon pauvre ami ! -Eh, que veux-tu ! La vie de galérien m’a habitué à me lever aux premières lueurs… -Il n’est pas question que qui que ce soit vive en forçat parmi nous ! protesta Talaria. Aujourd’hui est un jour de fête, messires. -Je pense que nos amis s’en doutent, supposa Calis. Bien, attablons-nous avant que l’équipée s’ébranle. Le départ est pour bientôt. -Comment pourrons-nous participer ? demanda Lamenoire. -Rassure-toi, lui sourit la dryade. Vous aurez un plus beau rôle que celui des rabatteurs. -La Reine, poursuivit Calis, a ordonné que deux de ses meilleurs destriers vous soient octroyés pour participer à cette chevauchée. C’est un grand honneur, mais vous le méritez. -Monter à cheval ? s’étonna le Férigène. Par ma fourrure, je n’ai jamais fait d’équitation, moi ! Comment m’en sortirais-je ? -Rassure-toi, nous te donnerons une monture docile qui t’ira comme les moustaches à ton visage. Nous avons dans nos écuries les cabales les plus téméraires, et les chevaux les plus débonnaires. Tu n’aura qu’à choisir. -Mais dites-moi, s’enquit le rôdeur, vous parliez tantôt de montures ailées… Vous faisiez référence à des… -Des pégases, il est vrai, approuva Talaria. Mais ils ne sont guère à leurs aises dans les courses-poursuites sous les arbres. Nous ne les enfourchons que pour de longs voyages aux marches du pays, ou vers d’autres contrées plus lointaines. -Vous avez des chevaux volants ? s’émerveilla le rôdeur. Je donnerai cher pour voir tel prodige, par ma foi ! -Et moi donc, ajouta Mylnar, entre deux bouchées. Ce pays regorge de merveilles ! D’abord la bonne chère, et ensuite ça ! -Vous ne manquez pas d’à-propos ! rit le capitaine Hospitalier, en levant son verre. Je bois à la spiritualité des Férigènes ! Puissent les Hommes-chats ne jamais dépérir ! -Merci à vous, et de même pour vous ! répondit Mylnar, en esquissant une révérence. -Je vous montrerai nos pégases ce soir, au retour de la chasse, proposa la dryade. Nous aurons tout le temps de vous montrer comment dresser et monter ces splendides créatures. -Je vous en saurai gré, la remercia Gandacier. -Et maintenant, assez bavardé ! acheva Calis. Concluons ces agapes, ou nous serons laissé en arrière ! La traque n’attend pas ! » En fait, nombre des gens de la cour en étaient encore aux préparatifs, et ils eurent tous le temps de se familiariser avec leurs montures. Lamenoire et Mylnar reçurent chacun les rênes d’un magnifique étalon noir, et rejoignirent les rangs d’une troupe colorée et joyeuse de nobles et de dames des bois. Ils y retrouvèrent plusieurs capitaines Hospitaliers, des chasseresses dryades expérimentées vêtues de longues tuniques d’émeraude, des chefs de famille hernes aux longs bois torsadés, et même un dendranthrope dont l’écorce encore verte et jeune lui permettait de chevaucher un destrier. Aussi peu accoutumé à l’équitation que l’homme-chat, l’arbre vivant se crispait sur ses étriers et serrait fort de ses doigts ramifiés le licol de son cheval. La troupe s’écarta en cercle quand Yrranie les rejoignit, assise en amazone sur une jument dont la robe pure reflétait les reflets translucides de sa maîtresse. La reine portait une longue robe d’égale blancheur, mais dont les franges étaient ornées de frises dorées. Sur un signe d’assentiment de sa tête, la chasse fut lancée. Les cavaliers et cavalières partirent au petit trot, répartis en petites bandes de cinq ou six. A bonne distance sur les flancs de la formation, on pouvait voir les rabatteurs des bois, courant presque aussi vite à pied. Quelques aboiements canins résonnèrent, repris par les souffles des cornes. Toute la forêt se réveillait dans cette débauche de sons et de couleurs, cette symphonie presque parfaite entre la nature et les hommes. Le grand jeu de la proie et du chasseur rejaillissait, aussi immuable que les saisons. C’était toute cette beauté que le rôdeur comprenait et appréciait, loin des traques rébarbatives et cruelles organisées dans les royaumes humains. Tout en passant entre les taillis, à la recherche d’une cible, les chevauchées devisaient calmement des dernières nouvelles ou des futures décisions à prendre. Yrranie restait un peu en retrait, menant sa jument au pas, escortée par plusieurs lancières, en grande conversation avec ses plus proches conseillers. Les buissons passaient devant les yeux du rôdeur, lui cachant parfois ses compagnons de route : Calis qui se retournait souvent, pour jeter un regard confiant et docile vers la reine, ou bien Tanaria qui chaque fois lui répondait par un sourire, ou encore Mylnar qui avait vaincu sa peur et qui poussait son cheval à sauter par-dessus les souches d’arbre, au lieu de les éviter. Soudain le cri fusa, rapide et enthousiaste : « -Un cerf ! Un grand cerf ! » La silhouette apeurée d’une bête splendide passa en un éclair devant les chasseurs, disparaissant dans les fourrés. Les cors de chasse s’activaient, anxieux. Les chiens grondaient et aboyaient, impatients de prouver leurs valeurs. « -La bête est aux abois, lança Calis. Maintenant, que le meilleur gagne ! » Le cervidé courait à une vitesse folle, comprenant bien vite que sa seule chance de salut résidait dans la fuite. Plusieurs chiens furent découplés, puis lâchés sur sa piste. Les piquiers essayaient de refermer la nasse, de cerner la bête, mais lui parvenait toujours à s’échapper, exploitant la moindre trouée, fonçant à la vitesse de la lumière vers les brèches dans la nasse. Derrière lui, toute la cavalerie pressait, exaltées. Tous frappaient des éperons, maniant déjà leurs lances avec nervosité. Plusieurs capitaines tentèrent d’atteindre le cerf d’un tir de javelot rapide, mais les traits avaient chaque fois manqué leur cible. Talaria s’était penchée sur la croupe de son cheval et pointait son regard vers l’insaisissable proie, qui continuait de fuir droit vers l’est. « -Il ne s’épuisera donc jamais ? haleta t-elle. Il va falloir le suivre ! -Si tant est que cela soit possible ! » protesta Mylnar. Foncer au grand galop sur un cheval ne lui plaisait vraiment pas ; arc-bouté sur sa selle, mal à l’aise, il tenta de se raccrocher aux rênes de son cheval. Ce-dernier bondit au-dessus d’un tronc renversé et couvert de mousse. Effrayé, Mylnar tenta de se tenir au cou de sa monture, mais il sortit ses griffes par instinct. Surpris, l’étalon rua des quatre fers et envoya son maître rouler dans l’herbe. « -Oooh, freina Lamenoire. Mylnar, tu n’as rien ? -Continuez sans moi ! grogna le chat, en crachant des feuilles mortes. Et ramenez-moi sa tête effrontée ! » La course-poursuite continuait, intense, ardente. La plupart des capitaines avaient renoncé, et laissé leurs malheureux chevaux se reposer un peu, laissant les rabatteurs finir seuls l’encerclement. Seuls quelques audacieux poursuivaient, sûrs de leurs chances de victoire. Calis était de ceux-là, serré de près par Talaria et Gandacier, ainsi qu’une poignée d’autres aventureux. Le cerf, lui, ne présentait pas le moindre signe de faiblesse, et avait échappé aux chiens avec sa rapidité déconcertante, son habileté à changer de direction en plein milieux de ronciers touffus, ou ses bonds rapides en zigzag. Lamenoire sentait le vent faire claquer sa cape dans son dos, l’haleine palpitante de son cheval frôler ses joues en même temps que les branches basses des arbres, les feuilles arrachées passer dans ses cheveux et son cœur battre la chamade. La tache blanche de sa proie montait et descendait, se cachait et jaillissait hors du labyrinthe de verdure, bourdonnant de repaires en ornières, dansant de ses quatre sabots sur le terreau poudreux des sous-bois. Et il ne vit pas le temps passer dans cette course après un but invisible, fugitif et mystérieux, qui se dérobait à chaque instant, alors qu’on le croyait proche, pour mieux se retrouver et s’enfuir trente mètres plus loin. Puis le cerf, enfin, commit une erreur. Une étourderie fatale, qui risquait bien de lui coûter la vie : emporté par son élan et sa peur panique, il s’était engouffré dans une combe basse et encaissée, entre les rangs de hauts pins épais, espérant bien que ses poursuivants le n’y suivraient pas. Mais déjà les rabatteurs qui avaient fait le grand tour revenaient par les autres côtés, et surveillaient les issues du petit vallon. Il était impossible de sonder les profondeurs de cette longue bande d’épines, de ronces et de buissons noirs, mais la bête s’y terrait, elle n’avait plus d’issue possible. Les premiers chasseurs arrivés se regardèrent, le souffle court, le visage rougi par la cavalcade effrénée, et mirent pied à terre, l’arme au poing. Ils étaient quatre encore à ne pas avoir renoncé : Calis et un autre capitaine Hospitalier, un gringalet fluet mais têtu, Lamenoire ensuite, et enfin un doyen Herne, un vieil homme encore vigoureux au visage grisâtre, à la longue barbe feuillue, et dont les deux bois noueux encadraient son front tels une auréole de chêne. Nul signe des autres poursuivants, et s’ils voulaient profiter de leur avantage, il fallait aller sus sans plus attendre. Calis passa en premier dans la combe encaissée, descendant la pente poussiéreuse avec précaution. Les quatre hommes se serraient de près, tenant leurs armes respectives avec fermeté, essayant de l’autre main de se raccrocher aux rares rochers affleurants. Un silence s’était fait, troublé encore par instants ; les chiens avaient perdu de leurs voix et tentaient quelques jappements encourageants, une ou deux cornes soufflaient encore, rameutant le reste de l’équipée. Mais tous les oiseaux s’étaient tus, spectateurs attentifs de l’assaut final. « -C’est là sa retraite, marmonna l’Herne, en courbant la tête pour passer sous une treille de ronces. Nous sommes sur son terrain… Soyons prudents. -La proie n’est jamais plus dangereuse qu’acculée à la mort » approuva Calis. Lamenoire hochait de la tête, et soudain réalisa qui les accompagnait : quoi, un doyen du peuple Herne ? Un de ces êtres sylvains qui respectaient et protégeaient les cerfs, et dont la rumeur disait même que certains allaient jusqu’à l’idolâtrer ? « -Vous le chassez avec nous ? s’offusqua t-il. Que représente pour vous cette chasse ? -Il ne s’agit pas tant de la mise à mort du roi de la forêt, répondit le vieux sage, mais du symbole du son trépas dans le cycle de la nature. -J’avoue avoir du mal à comprendre. » Calis et son collègue, qui marchaient en tête, leur firent signe de se taire, un brin exaspérés par leurs bavardages. Ils avaient commencé tous quatre à s’aventurer dans le dédale d’épines et de fougères, et la noble bête pouvait se retrouver à tout instant devant eux. « -Le cerf perd ses bois chaque année, chuchota le vieux Herne, en écartant un rameau de mûrier de son chemin du manche de son bâton. Chaque année ils repoussent. De même notre chasse renouvelée est un honneur à la renaissance perpétuelle des beautés du monde… Un hymne renouvelé à la survie du monde. » Tous s’immobilisèrent, fascinés. Le cerf était devant eux. Royal, planté sur une petite butte, cerné par des remparts de piquants noirs, il les regardait, la tête haute, le cou relevé, ses deux yeux charbon brûlant de lumière. Sa fourrure d’un brun parfait, légèrement argentée sur le dos, luisait de sueur, et la vapeur de ses naseaux nimbait son buste altier d’un voile évanescent. Ses longs bois ramifiés, deux bras d’os et de corne, écartaient leurs doigts innombrables vers un ciel caché sous les frondaisons. C’était un dix-cors, un antique monarque, aussi vif qu’ancien, musculeux, sculptural, vibrant de regrets et d’espoirs, de crainte et de confiance. Il les regarda tour à tour, tournant à peine ses yeux rapides, et bondit en avant, d’un saut majestueux. Calis tenta un coup d’épée, mais fut obligé de reculer précipitamment. L’autre capitaine élevait sa lance mais dut la lâcher se jeter à terre pour ne pas être piétiné. L’Herne eut un cri de douleur quand la tête boisée de la formidable créature le frappa de plein fouet et le projeta sur le côté. Avant qu’il ait pu poursuivre sa charge, Lamenoire avait frappé de son sabre, en plein poitrail. Un sang rouge rubis teintait l’herbe drue du val ombragé, et l’ancien roi des bois poussa un dernier brame avant de s’effondrer, le flanc déchiré. Citer Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites More sharing options...
Inxi-Huinzi Posté(e) le 9 juin 2008 Partager Posté(e) le 9 juin 2008 Tu n’aura qu’à choisir Hou ! Elle est vilaine celle-là ! ou nous serons laissé en arrière Bon ben se passe rien dans ce chapitre mis à part.. heu... J'allais dire un approfondissement de ton monde mais même pas parce que finalement, il se passe pas grand chose lors de cette chasse. Le chat sait pas monter à cheval et on apprend pourquoi ils aiment la chasse malgré leur harmonie avec la nature !!! Du bon donc suite @+ -= Inxi =- Citer Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites More sharing options...
Shas'o Benoît Posté(e) le 21 septembre 2008 Auteur Partager Posté(e) le 21 septembre 2008 Argh tant de temps écoulé... Je suis navré, et je comprendrais si plus personne ne se sent l'âme de laisser un commentaire. Le fait est que je n'ai plus eu internet pendant un mois, précédé d'un mois et demi de stage qui ne me laissait pas plus de 2h de temps libre par jour... Fin bref, voilà la suite pour ceux qui lisent encore : Lamenoire prêta peu d’attention à la suite des événements. La compagnie de chasse s’était regroupée autour du défilé, d’où on avait sorti avec peine la dépouille du glorieux gibier. Les Devins Hernes présents vinrent au pied du cheval de la Reine, lui demander le temps d’apaiser l’esprit de la bête. Bien entendu, Yrranie leur octroya bien volontiers cette faveur. Alors chacun tour à tour vint s’agenouiller devant la superbe prise, et poser la main sur ses yeux fermés. Après quoi, le gibier fut chargé sur le dos d’un palefroi, et la procession reprit le chemin du palais. Les discussions calmes, presque respectueuses du trépas du dix-cors, éparpillaient la chevauchée en petits groupes de trois ou quatre cavaliers. Lamenoire restait avec ses nouveaux compagnons, silencieux. Il pensait à la mort de ce serf, tué sans qu’il en ait su les raisons, traqué jusque dans les plus sombres recoins de la forêt. C’était un sort peu enviable. Le même sort que celui qui avait frappé les Landes Ténébreuses. Ce fut Mylnar qui le tira de ses rêveries : « -Lamenoire, par mon pelage, on dirait que tu t’es laissé glisser dans un monde de mirages ! -Heu, plait-il ? demanda le rôdeur, surpris. -Depuis que nous avons repris la route, tu n’as plus dit un mot. -C’est que je pensais à ce noble gibier, que nous avons occis… -Il a eu une belle mort, commenta Calis. Il n’y a pas à se plaindre pour lui. -Sans doute, convint Gandacier. Sans doute… -On dirait que cette chasse ne vous a pas enchanté, nota Talaria. -A vrai dire… -Eh ! Quoi ! s’étonna le capitaine Hospitalier. Vous n’avez jamais tué avant ce jour ? -Vous n’avez pas idée, répondit Lamenoire. -C’aura été ma dernière traque avant mon retour en mission, dit Calis. Pour ma part, ce fut une bonne journée. -Vous repartez en mission ? Quel genre ? -Il y a toujours du grabuge aux frontières Sud et Est de la forêt, répondit l’Hospitalier, évasif. Il ne s’écoule pas un jour sans que des messagers ne nous apprennent de nouvelles incursions de tribus orques ou phacanthropes. -Je repars demain moi aussi, regretta Talaria. J’escorterai votre compagnie avec ma propre ligne de bataille. -Vraiment ? s’étonna Calis. Voilà longtemps que nous n’étions plus partir de concert à la guerre. -Je souhaite seulement que ce ne soit pas pour la guerre, regretta la Dryade. -Vous vivez donc en état de siège permanent ? demanda le rôdeur. -C’est tout comme, reconnut Calis. Notre forêt n’est pas bien grande… -Elle l’est tout de même bien plus que toutes celles que j’ai vues ! -Je ne dis pas le contraire ; mais une invasion de peaux-vertes ou de créatures plus rustiques encore aurait tôt fait de la réduire en cendres, exposa le capitaine. En dehors de la garde du palais, la plupart des citoyens vont et viennent, d’une région à l’autre, assurant la protection de l’orée des bois. » Lancé sur son terrain de discussion favori, Calis entreprit de décrire les quelques vingt-cinq campagnes auxquelles il avait participé, depuis qu’il avait pris les armes pour la première fois, trois siècles plus tôt. C’étaient des récits grandiloquents, plein de fureur et de combats à l’épée, des duels épiques contre des chefs orques, des khans centaures et autres leaders de créatures barbares, des histoires parfois tristes, parfois glorieuses, toujours violentes et tentées de mélancolie. Derrière cette façade de combats et de vaillance, on devinait en effet la lassitude qui commençait d’envahir le capitaine. Ayant atteint un âge raisonnable qui le faisait entrer dans la seconde partie de sa vie, il savait avoir vécu plus qu’il ne vivrait. Et en regardant derrière lui son passé bouillonnant, il se demandait quand il pourrait goûter enfin à une vie plus simple et apaisée. Lamenoire se sentit pour la première fois proche de ce combattant d’un autre peuple, parce qu’il ressentait lui aussi cette crainte. La cavalcade revint sur ses pas, à un pas mesuré. Aucune halte n’était prévue, mais l’heure s’avançait déjà, et le soleil au zénith dardait ses rayons. La cavalerie se rassembla donc sous les grands pins et les chênes majestueux, pour un repas champêtre. La compagnie s’égailla dans les clairières et les bosquets, allumant deux grands feux pour y rôtir le menu gibier pris le matin par les rabatteurs : petits volatiles, lièvre des bois et deux renards. Dépecés et coupés par des mains expertes, les quartiers de viande rôtirent bientôt au-dessus des flambées. D’avisés servants passèrent de cercle en cercle, proposant aux convives des plateaux de pain frais, des galettes ou des petits pains garnis de fruits secs. Des gourdes de jus fruités et des outres d’eau passèrent de main en main, et désaltérèrent les assoiffés. « -Par mes moustaches, grogna l’homme-chat en mordant dans un longuet brillant de sucre, cette course-poursuite m’a mis en grande faim ! -A moi aussi, reconnut Calis, mais voilà de quoi nous rassasier. -Cette tablée vient fort à propos, admit Lamenoire, en tartinant son tranchoir de fromage de chèvre. L’intendance fait plaisir à voir. -Quand la Reine est de chasse, tout est préparé avec minutie, se félicita le capitaine Hospitalier. Il en va de notre devoir. -Il est plaisant de voir votre souveraine, malgré toute sa majesté, partir ainsi en chasse avec sa cour. Le roi des Landes ne l’avait plus fait, depuis des générations. » Le rôdeur jeta un coup d’œil du côté d’Yrranie, et soutint le regard de la fée quelques secondes. Elle était assise au pied d’un grand orme et semblait en grand entretien avec le doyen Herne qui avait assisté à la mise à mort du cerf. Plusieurs autres conseillers les écoutaient, assis en tailleur dans l’herbe. La dépouille du dix-cors gisait à portée de main. Talaria suivit le regard de l’humain et exposa : « -Ils discutent de la manière dont il sera préparé ce soir, à la table royale. -Un animal si magnifique mérite d’être traité en met de choix, et servi à la table la plus somptueuse du pays, reconnut Calis. J’espère être digne de servir à nouveau Dame Yrranie, et qui sait, de trancher moi-même pour elle cette bête admirable. » Après cette halte revigorante, ils reprirent la route, en une ribambelle toujours plus étirée. Les piétons suivaient la file, bavardant entre eux. Certains cavaliers mirent pied à terre pour reposer leurs chevaux, et discutèrent avec les lanciers. Ils arrivèrent bientôt aux portes du palais, sous une petite pluie froide qui ruisselait des branches des arbres. Les frondaisons murmuraient au-dessus d’eux, couvrant un orage colérique qui bouillait, par-delà les branchages. Les gouttelettes tintaient sur les plaques d’armure des sentinelles, dans un clapotis joyeux. Talaria observa le jeu de lumière à travers l’ondée, et déclama : « -Chaque fois que la pluie Descend sur notre terre, Et vient chasser la suie Des grands feux de la guerre, Je me souviens encore De mes forêts chéries Où ma famille s’endort Sous les branches brunies. Là-bas est mon pays, Foyer de mes ancêtres, Entre les troncs vieillis Des chênes et des hêtres ; C’est là que les miens vivent A l’abri des feuillages, Dans la lumière vive Des bois de nos lignages. De saison en saison Les larmes des nuages Ont lavé nos maisons Et les arbres sans âges ; Coulant de feuille en feuille Jusqu’au terreau mousseux, Elles chassent mon deuil, Elles lavent mes yeux. Le ciel gémit pour moi, Pour moi verse ses larmes, Et le cœur en émoi, Je peux prendre les armes. Jamais je n’oublierai Le jour où ces maudits Passèrent les futaies, Tuant le paradis. Comme le ciel aussi, Nous pleurerons toujours La mort des miens occis Et les trépas d’un jour ; Bien des pluies tomberont Sur les arbres courbés, Jamais nous n’oublierons Les corps de ceux tombés. -Cette chanson là n’a rien de réjouissant, regretta Mylnar. -C’est une chanson triste, reconnut Talaria. Une vieille chanson de chez nous. -Dont on a d’ailleurs tout oublié, remarqua Calis. -C’est vrai, nul ne sait plus ni le nom du compositeur, ni qui il pleurait. C’est une chanson qui fait partie de notre histoire, depuis plusieurs millénaires à tout le moins. -Cela ne remonte qu’à quelques générations pour vous, nota Lamenoire. Comment avez-vous pu oublier si vite ? -Le temps passe aussi vite pour vous que pour nous, et notre mémoire n’est pas plus vivace que la vôtre, dit la Dryade. C’est d’ailleurs un lourd fardeau pour nous autres, car passé les quatre siècles, nos souvenirs s’étiolent, se fanent et se dispersent. Les Elfes conservent en leur esprit le moindre événement qui leur est survenu au cours de leur vie immortelle, mais nous sommes un peuple mortel. -Parfois je frissonne, reconnut Calis, en réalisant que ma jeunesse et mon premier siècle sont déjà presque totalement effacés de ma mémoire. -C’est une chose qui laisse plus d’un perplexe, expliqua Talaria. Il paraît que seuls les sentiments et les actions les plus fortes marquent assez pour que l’on se les remémore, un demi-millénaire plus tard. -Cet effacement irrémédiable a certes de quoi glacer le sang, avoua Calis. -En de telles conditions… » conclut Lamenoire, laissant sa phrase en suspens. La grande chasse regagna le palais par petits groupes, certains repartant déjà pour les villes voisines, d’autres se dispersant dans les vastes jardins boisés. Les quatre cavaliers ramenèrent leurs montures aux grandes écuries du palais, où d’obligeants palefreniers les menèrent à leur place. Ils sortaient des dépendances quand Calis les salua d’une révérence maladroite : « -Il me faut vous fausser compagnie, à présent ; je dois préparer mes bagages pour demain, rassembler mes hommes et leur donner mes dernières directives. -Il faudrait vous hâter alors, ironisa Talaria. Pour ma part, c’est chose faite. J’ai mis à profit la journée d’hier pour distribuer mes ordres, et je suis prête à prendre la route à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit. -Votre célérité fait plaisir à voir. Bonne soirée à tous. » Mylnar s’étira les bras, ébroua son pelage et déclara à son tour : « -Si cela ne vous fait rien, je vais rôder du côté des cuisines royales. Toute cette chevauchée m’a mis en appétit… -As-tu encore faim, glouton ? railla Gandacier, amusé. -Sans doute, et crois-tu que quelques tranches de viande et du pain me suffisent ? J’ai besoin d’un peu plus ! Sur ce… » Mylnar s’éloigna à grands pas, de sa démarche souple et féline. Il ne savait pas exactement s’il avait raison de mentir. Il sentait seulement que son ami et compagnon avait peut-être une chance de trouver un foyer, dans ces forêts pleines de vie, de joie et de tristesse. C’était un univers qui lui rappelait sa jeunesse, et où il aurait sans nul doute aimé passer sa vieillesse. Restait à savoir s’il y trouverait sa place. L’homme-chat n’était certain que d’une chose : il se sentait de trop avec Lamenoire et Talaria. « -Tout de même, pensa t-il, je vais tâcher de retrouver les cuisines. Si je peux chaparder quelque saucisson, ce ne serait pas pour me déplaire. Croient-ils que la farine est la nourriture préférée d’un Férigène ? J’ai des crocs et des canines, moi ! » Citer Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites More sharing options...
archaonjr Posté(e) le 21 septembre 2008 Partager Posté(e) le 21 septembre 2008 et bien l'attente fut longue mais elle en valait la peine, mais se ne sont que de menue broutilles que tu fait part dans le texte j'ai bien hate de voir lamnoire continuer sa quete mais à la fin les interrogation du férigène m'on intrigué va-t'il rester avec Lamenoire ou bien le quitter alors vivement la suite et qu'elle arrive avant octobre ps: est-ce que tu continu encore Navregen parceuqe sa fait un bout que tu n'a pas poster de texte?? Citer Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites More sharing options...
Inxi-Huinzi Posté(e) le 22 septembre 2008 Partager Posté(e) le 22 septembre 2008 Je suis navré, et je comprendrais si plus personne ne se sent l'âme de laisser un commentaire. Le fait est que je n'ai plus eu internet pendant un mois, précédé d'un mois et demi de stage qui ne me laissait pas plus de 2h de temps libre par jour... Tu es inexcusable ort, commenta Calis. Il n’y a pas à se pl Ca me fait penser à la guerre des serpents maintenant !! Pour le texte, y a de la quantité mais on apprend pas grand chose. On étoffe le background de la région en parlant du passé, de l'état guerrier permanent maison apprend rien sur la suite du texte. Sauf que Lamenoir va peut être s'attarder !!! @+ -= Inxi =- Citer Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites More sharing options...
Shas'o Benoît Posté(e) le 21 novembre 2008 Auteur Partager Posté(e) le 21 novembre 2008 Presque un mois jour pour jour, avant de poster la suite. La voici donc : La dryade regarda le chat disparaître sous les arcades de lierre, puis sourit au rôdeur : « -Tu as là un excellent compagnon, reconnut-elle. -Sa compagnie est rafraîchissante, avoua Lamenoire. Il est toujours joyeux, malgré les épreuves terribles qu’il a dû endurer. -Son existence à lui aussi fut donc pénible ? -Aucun de nous deux ne sait vraiment comment fut sa vie avant notre rencontre. Je l’ai retrouvé à moitié mort, et tout ce que nous savons, c’est qu’il fut galérien dans une flottille de bacrophages. -Ce fut sans doute de sombres moments, en effet. Mais le destin n’a pas permis qu’il y épuise toute sa vie ! Viens à présent, je vais te montrer les pégases. -Volontiers ! » Elle l’entraîna dans les jardins, le guidant à travers les sous-bois parsemés de fleurs sauvages. De temps à autre, un buisson d’aubépine ou des touffes de fraises des bois éclairaient le tapis d’herbe sombre. Les troncs rouges des grands séquoias rehaussaient le cadre vif de la forêt. Talaria tenait son hôte par la main et expliquait : « -Nous allons remonter le cours du ruisseau jusqu’à sa source. La Fontaine Blanche est un spectacle merveilleux, et tu dois le contempler au moins une fois ! C’est d’ailleurs près de là que nous élevons nos montures ailées. -Tout ici est déjà beau, comment pourrait-ce l’être davantage ? -Tu es seul juge… Tu sais Lamenoire, je me souviendrai encore de toi, dans un demi-millénaire. -Merci… J’aimerais pouvoir en dire autant ! Qui sait si les souvenirs survivent en nos âmes, passée l’heure de notre mort ? -J’en suis certaine. Tout cela ne saurait disparaître ! -Je n’en sais trop rien… Parfois j’ai l’impression que le Faucon nous a oubliés. -Je suis sûre que non. Mais il est mort, et il ne peut sans doute plus grand chose. » Lamenoire hocha de la tête, pensif : « -Je suppose… Mais combien de pégases se trouvent dans ces bois ? -Plusieurs centaines, je pense, répondit Talaria, heureuse de le voir changer de sujet de conversation. Leur peuple n’est pas très nombreux, mais nous en prenons grand soin. Nous les chevauchons rarement à la guerre, car nous n’aimons pas exposer leurs vies. Nous avons établi avec eux de profonds liens d’amitié, depuis de nombreuses générations. Une amitié profonde et sincère, un peu comme celle qui te lie à Mylnar, ou celle qui nous unit. -Je n’en doute pas… Et cette amitié avec les pégases remonte à si loin ? -A la vérité, je crois que leur venue dans nos forêts remonte au tout début du règne d’Yrranie. Peut-être même à la Rein-Fée d’avant. Je ne l’ai pas connue. Quoi qu’il en soit, j’ai toujours vu des pégases vivre ici, au palais. Il y a quelques autres fontaines sacrées où leurs troupeaux viennent se désaltérer et se reposer, mais la plupart vivent ici, ou dans les environs. » Ils gravirent une volée de marches lavées sur leur bord par le cours rapide mais joyeux du ruisselet, et passèrent une nouvelle haie de buissons fleuris pour entrer dans une clairière à l’herbe tendre. Les ramures des arbres rouges s’écartaient pour laisser entrer de larges flaques de lumière chaude dans les sous-bois. Au centre de la trouée, la Fontaine Blanche carillonnait et fredonnait sur les cailloux polis. L’eau sortait avec impétuosité d’une faille au plein milieu d’un large menhir, sur lequel étaient gravées plusieurs glyphes ; Gandacier n’arrivait pas à les déchiffrer, mais elles avaient tout l’air d’être de l’elfique exotique. Il observa attentivement les dénoués des lettres, les spirales des cursives, et la dryade s’amusa de son air intrigué : « -C’est de l’annurwenhor. -Ah ! C’est bien de l’elfe, se félicita le rôdeur. -Oui, de l’elfe sylvain, précisa t-elle. Mais je serais bien incapable de le lire. -Qui saurait… -La Reine-Fée très-probablement, et peut-être quelques doyens Hernes. Certains sont très savants, et se sont penchés sur les mystères des langues. Mais quelle importance ? -Curieux, ces tracés… J’ai toujours été fascinés par les secrets du langage, le rôle de la pensée dans la création des mots et vice-versa. -Vraiment ? s’étonna Talaria. -Oui, mon maître, Ytuzîr, paix à son âme, disait que j’avais une sorte de don… Je n’ai jamais bien compris. Car enfin, parler aux animaux, c’est impossible pour un être humain ordinaire. -Mais tu parles aux animaux ? -Aux oiseaux en particulier ; ce n’est pas immédiat bien sûr, il me faut un temps d’adaptation à leurs stridulations, leurs intonations. Les passereaux surtout ont des trilles endiablées bougrement difficiles à déchiffrer ! -C’est formidable ! -N’exagérons rien… Toi-même, tu peux communiquer avec les esprits follets des bois. -Oh, mais cela n’a rien d’exceptionnel. Tu le pourrais aussi, si on t’apprenait leur langue. -Cela est valable aussi pour le langage des oiseaux. -Je n’en suis pas si sûre. -Je peux faire mieux que te persuader. Je peux t’apprendre. -Mais je ne demande que cela ! -très bien sourit Lamenoire, le plus important pour commencer, c’est de bien utiliser sa langue. -Tu veux lire mon dialecte ? -Non ta langue, celle que tu as dans ta bouche. Il faut bien observer l’animal avec lequel tu veux converser, et il te faudra contorsionner ta langue pour y parvenir. La position de la langue par rapport aux dents et au palais influe sur le son qui sort de ta gorge, plus que toute autre chose. -Je vois… -Par exemple, pour parler avec un aigle, un busard ou un grand rapace, il faut darder la langue entre ses mâchoires, tout en la gardant bien dans sa bouche, et ne laisser qu’un léger sifflement sortir. Inspirer avec profondeur, puis expulser tout l’air que l’on peut. Le sifflet doit sortir au moment exact où la pointe de ta langue doit se relever. » Talaria essaya la manœuvre, mais ne parvint qu’à un chuintement incongru. Lamenoire rit de bon cœur, et lui releva le menton : « -Il ne faut pas juste y mettre de la force, mais aussi du cœur ! -Je m’y mets de tout mon cœur, Lamenoire. » Le bruit d’une chevauchée les tira de leur tête-à-tête, et le rôdeur s’éloigna aussitôt de son élève de chant, pour voir d’où venait ce galop. Il tourna la tête, étonné, mais ne put voir les cavaliers. Talaria rit à son tour, et lui fit lever les yeux : « -Regarde au ciel, voyons ! » Trois pégases descendaient sur eux, en traversant les hautes branches des arbres. Ils ne martelaient pas le sol, mais foulaient les épines des résineux ! Leurs ailes écartées, ils traversaient l’épaisse futaie, esquivant les branches traîtresses. Ils semblaient planer avec grâce, mais leurs sabots cognaient sur l’écorce à chaque mouvement. Ils descendirent en spirale, frôlant les buissons alentour, et se posèrent en douceur de l’autre côté de la clairière. Ils replièrent leurs vastes ailes blanches, et opinèrent de la tête, en guise de salut. « -Ils sont superbes… marmonna Gandacier, pantois. -N’est-ce pas ? Mais approche-toi donc ! » Ils s’avancèrent assez près pour pouvoir flâter leur encolure, caresser leurs fronts éclatants de blancheur. Les magnifiques bêtes accueillaient ces marques d’affection avec plaisir, et donnaient du museau pour récolter quelque morceau de pain. « -Je n’ai rien pour vous ce soir, bande d’affamés ! rit la dryade, en repoussant la bouche avide d’une jument effrontée. -Ils ne portent pas de liens, remarqua l’aventurier, en posant la main sur l’une des cabales. Comment… -Il suffit de les monter à cru, répondit Talaria, nul besoin de selle ou de rênes quand la confiance unit cavalier et cheval. -Tout de même ! En plein vol… -Même au beau milieu des voltiges, l’assura t-elle. Vois par toi-même ! » Et plaquant ses deux mains à plat sur le dos de la jument, elle sauta d’un bond et se hissa sur sa croupe. L’animal répondit par un petit hennissement de surprise, mais commença aussitôt de trottiner autour de la fontaine, tout heureux. « -Tu vois ? rayonna la dryade. Il n’y a rien de plus aimable que ces créatures pacifiques. Et pourtant elles ne craignent pas la furie des éléments ou la tourmente des combats. Nous refusons cependant de les utiliser en bêtes de guerre. En fait, rares, sont les occasions où nous recourons à leurs services. -L’équitation n’a jamais été mon fort, regretta Lamenoire. -Il faudrait plusieurs jours, pour qu’ils s’accoutument à ta présence. D’ici une semaine, tu seras prêt à chevaucher les vents ! -Si le destin le veut… Mais il se fait tard, et je m’en voudrais d’importuner plus longtemps ces magnifiques bêtes. -Tu as raison, l’heure du repas approche, et les convives vont s’interroger sur notre absence, admit-elle. Nous remettrons ton entraînement à une autre fois… » Elle se laissa glisser à terre et salua les chevaux d’une révérence rapide, puis tous dirent empruntèrent le sentier qui menait au palais. « -Si vos messagers chevauchent ces montures, les missives doivent arriver vite à vos frontières. -Cela est vrai ! Ces coursiers sont capables de battre de longues distances, et de couvrir plus de terrain que n’importe quel autre cheval en trois jours. -Même une cabale elfique ? -Sûrement ! Les hérauts de notre forêt arrivent toujours à temps pour prévenir les postes de l’orée, ou porter les lettres de la Reine-Fée à toutes les cités forestières de ses domaines. La célérité est nécessaire, car même en connaissant ces bois, un voyage à pied prendrait bien plus de délai. Et pressés comme nous le sommes par nos ennemis, une rapidité d’action est nécessaire à notre survie. » L’air du soir se chargeait des senteurs des fleurs sauvages, à mesure que la nuit grandissait. Les ombres croissaient sous les arbres sombres, chargées par l’humidité fraîche du crépuscule. Au milieu des bosquets de roses et d’aubépine, des bandes de feux follets voletaient avec douceur, répandant un nimbe doré sur les pétales recroquevillées. On pouvait voir un écureuil gambader de branches en branches, un esprit des bois glisser entre les troncs, ou une Fataline, presque invisible, trahie par ses yeux luisants, se couler entre les branches raides des sapins. Les figures immobiles des sentinelles postées aux coins des remparts, ou au sommet des arbres-tours, veillaient sur la ville assoupie. Une quiétude bienvenue régnait sur le pays, égayée par le son d’une harpe. Un barde devait s’exercer, non loin, et les cordes pincées faisaient vibrer l’air du soir. Les deux amis retrouvèrent sans peine la salle du banquet, et prirent place sous les grandes arches de verdure ; les invités et les hôtes venaient des couloirs du palais, revenaient des jardins voisins ou attendaient auprès des tables que tous soient arrivés. On aurait pu s’attendre à plus de fraîcheur, mais de nombreuses torches accrochées aux arcades assuraient une tiédeur agréable, et deux feux allumés dans des foyers de pierre ronflaient avec ardeur. Au-dessus, on avait suspendu des chaudrons débordant d’une soupe épaisse. Mylnar était déjà au milieu de l’assistance, et se disputait avec deux jeunes Hospitaliers quant à la possession d’une chaise. Il abandonna aussitôt la partie en apercevant son ami : « -Lamenoire ! Tu tombes à pic, j’ai besoin d’un guerrier costaud comme toi pour châtier ces chenapans, qui me contestent cette place. -Tu es bien assez grand pour te défendre ! sourit le rôdeur. -Mais je me suis laissé dire que tu serais plus pédagogue que moi. -Alors, bande de va-nu-pieds, vous tourmentez mon compagnon d’armes ? gronda Gandacier, l’air revêche. Vous allez voir ce qu’il en coûte ! -Pitié messire, glapit l’un des gamins, on le refera plus ! -Hum ! Cela va pour cette fois… Mais où vas-tu, Mylnar ? -Heu ! Je viens de me rendre compte, que le potage est bien loin d’ici. Venez, trouvons une position plus stratégique. -Quel pitre ! pouffa Talaria. -J’espère au moins qu’il y a de la bonne viande, dans cette pitance ? -Soyez rassuré, lui répondit un serveur qui passait par là. Vous y trouverez du gibier en abondance, messire. -Allons tant mieux ! » Ils s’assirent entre une joyeuse bande de dryades et d’hommes des bois, qui bavardaient chasse et se racontaient leurs plus fameux exploits, et un groupe de trois vieux druides qui conversaient dur sur une histoire de « protection des éléments cycliques dans la renaissance florale ». Tous trois n’y comprenaient goutte, mais s’amusaient de ces discussions savantes, et de ces vénérables sages qui s’interpellaient sans méchanceté, mais avec beaucoup de conviction cependant. Les échansons apportaient des vasques combles d’un nectar doré, des cruchons emplis d’eau claire et des amphores de vin épicé. Des fontaines de cidre coulaient dans les gobelets, des verres de jus de fruit étaient servis à la ronde au milieu du fracas des verres. Un tonnelet fut apporté, et mi en perce ; il en coula un liquide d’un orange foncé, presque rouge, qui sentait l’écorce, et que les serveurs appelaient le Macérat : « -Il vous faut y goutter, voyageurs, précisa l’un des aides. Nous le tirons de la sève même des arbres, à la belle saison. Son goût résineux et sucré est tempéré par des herbes aromatiques. -Voyons cela, approuva Lamenoire, en tendant son verre. Encore une curiosité de la région digne d’intérêt ! -La richesse des forêts est inconnue des étrangers » renchérit l’hospitalier. Deux artistes s’exerçaient à la flûte et à la vielle, égayant volontiers la soirée de leur duel musical. Les bavardages allaient bon train, et la soirée s’écoulait dans la félicité la plus complète. La tablée resta là jusqu’assez tard dans la nuit, puis quand la lune fut haute dans le ciel de velours, ils se séparèrent. Lamenoire et Mylnar prirent congé de Talaria d’un salut courtois, puis ils regagnèrent chacun leur chambre. Lamenoire, épuisé mais heureux, s’effondra sur son lit sans prendre la peine de se dévêtir, et s’abandonna au sommeil. Il espérait se reposer quelques heures, pour pouvoir vivre avec joie le jour suivant. Il eut à peine fermé les yeux qu’une angoisse sourde l’étreignit à la gorge. Des images se bousculaient dans son esprit, des souvenirs se mélangeaient à des rêves sans sens. Des formes et des couleurs passaient dans son esprit, des rouges violents, des pourpres éclatants, des violets décrépis. Une appréhension bouillonnait en lui, un signal d’avertissement ; il avait soudain peur, oui peur d’il ne savait quoi, mais la sueur coulait le long de son échine. Il se retourna en grognant, dans son demi-sommeil, et se réveilla aussitôt en étouffant un cri de douleur. Quelque chose lui avait entaillé le flanc. Il se redressa, alarmé, et porta la main à sa blessure. Un sang rouge coulait de la plaie et tachait sa tunique. Il serra les dents, réalisant que son ancienne blessure s’était rouverte, tranchée à vif par une lame aiguisée. Qui l’avait donc… Son sabre traînait sur son matelas, la lame nue. Il posa aussitôt ses doigts poisseux sur son fourreau. Impossible ! La rapière y était restée toute la journée. Comment avait-elle pu… ? Il se leva, mais fut frappé aussitôt de vertige. Peut-être avait-il trop bu. Il ne se souvenait pas. Bon sang, l’hémorragie s’aggravait. Il posa ses deux paumes contre la meurtrissure et murmura quelques paroles de soin. Un halo argenté scintilla contre ses doigts écartés, et la lésion se referma presque. Voilà qui paraît au plus pressé. Mais comment diable cette arme avait-elle pu glisser hors de son baudrier ? Cela n’avait pas de sens ! Il vérifia l’étui, l’inspecta d’un bout à l’autre. Nulle trace de déchirure ou de faille. Il fallait admettre que ce sabre savait voler ! Il le prit à plat sur ses mains, et l’examina avec attention. Peut-être qu’un examen de son écho dans la dimension des Vents l’aiderait ? Lamenoire cilla, agacé. Peut-être était-il ivre, peut-être se faisait-il des idées. Peut-être après une bonne nuit de sommeil, les choses seraient plus claires. De plus, voilà longtemps qu’il n’avait plus exercé son esprit à étudier la magie inhérente des choses. Il balaya toutes ses excuses sans plus attendre. S’il avait retenu une chose de son défunt maître Ytuzîr, c’est qu’il fallait toujours se tenir à ce que l’on croyait devoir faire. Il ferma donc les yeux et ouvrit son âme, attentif à tous ses souvenirs. Il revit tous ces infimes instants où sa rapière avait eu un semblant d’existence. Ainsi, la seconde où Calis l’avait observée, lors de leur première rencontre. L’instant où elle avait tué la cheftaine Serpentide. Ou bien encore… Ce moment fatidique où il avait prononcé un certain serment… Et les mots lui revinrent, précis et sans appel : Je suis Lamenoire Gandacier, et je n’ai qu’une parole ! Je jure sur les corps de mes compagnons disparus, et sur tout ce qui m’a été cher, sur mon honneur même, de constamment chercher à racheter ces crimes, et de venger la mort de tant de braves, ici et à Raturn ! Notre patrie a été saignée, elle se meurt, mais moi vivant, je chercherais toujours un moyen de détruire Nommiard et son emprise sur les Landes ténébreuses ! Je n’aurais de répit que le pouvoir du Sorcier Noir ne soit abattu, et que je n’ai racheté le sang des innocents de Malzar ! Puisse ma propre épée m’ôter la vie si je faillis à ce serment. Puisse ma propre… Lamenoire s’étrangla de honte et de colère. Comment avait-il pu ne pas comprendre ? « -Comment ai-je pu oublier ! se morigéna t-il. Sois béni, ô sabre ténébreux. Ta mémoire est meilleure que la mienne, ton cœur plus ferme que le mien, et ta volonté plus solide. Tu préférerais boire mon sang que me laisser le gaspiller. » Il essuya sa lame avec le pan de sa cape, rengaina l’arme et rassembla son paquetage. Quand il eut rangé dans son sac à dos toutes ses possessions, il ouvrit en grand la porte de sa chambre et s’enfonça dans les couloirs silencieux du palais. Citer Lien vers le commentaire Partager sur d’autres sites More sharing options...
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