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[W40K] Sous l'Aquila rouge


Swissknife

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Préambule : 

Ceci est un récit que j'ai écrit dans mon univers des Régiments de Dagaz et plus particulièrement sur le 8ème Régiment. Ce récit est là pour creuser plus en avant ce régiment particulier dans mon fluff

Il reprend aussi librement des inspirations d'un texte apparu dans des White Dwarf en 2023 qui a servit en réalité de base pour créé mon 8ème, donc qu'on retrouve ici. 

J'éditerais ce premier post au fur et à mesure, pour ajouter des "Chapitres" afin que cela donne une lecture fluide qu'on prenne en cours de route ou suive le sujet. 

Evidemment, c'est un délire un peu narcissique que de rédiger un texte et le publier, mais cela me motive aussi à poursuivre le plaisir de l'écriture.

___________________________________________________________________________________________________________

 

+++ CHAPITRE I +++

 

PERDU...

 

Perdu… 

 

Oui, totalement perdu.

 

Je ne vois pas d’autre conclusion à ma situation actuelle. Cela fait deux cycles que j’erre dans ces conduits sans fin. Des conduits d’aération de la cité-ruche de Gehenna Magna. Je m’y suis engouffré sans réfléchir, juste pour échapper à mes poursuivants. Peu glorieux, déjà… Mais en plus, j’ai couru sans logique, bifurquant au hasard. Résultat : bravo, tu les as semés, ils ne te suivent plus. Par contre, tu vas crever tout seul comme un abruti dans ces foutus conduits.

 

Et à force d’être plié en deux, faute de hauteur suffisante dans ce dédale de métal, j’ai mal au dos, à la nuque, comme un vieillard pluri-centenaire. Ajoutez à ça que je ne me suis autorisé que très peu de repos, de peur de sombrer dans un sommeil trop profond, et que je n’ai pas bu plus d’eau qu’un Tallarn en cure… je dois avoir une sale gueule. Genre vieux Grox au bout de la chaîne d’abattage.

 

Devant moi : un peu de lumière. Une sortie ? Non… un croisement, encore. De quoi me paumer un peu plus dans ce labyrinthe. Trois directions. Soit je continue tout droit en franchissant un puits qui descend. De ce puits émane la lumière, mais elle m’éblouit trop pour que je voie ce qui m’attend au fond.

 

Aucune envie de finir coincé dans les pales d’un ventilateur industriel.

 

Sinon, il y a le conduit de gauche. Ça changerait un peu de ce fichu “tout droit”. J’hésite. Je scrute chaque passage. Aucune inscription. Les techniciens du coin n’ont visiblement jamais imaginé qu’un pauvre type sans aupex ni balise finirait là-dedans. C’est sûr, il n’y a qu’un con comme moi pour s’y perdre.

 

Vingt ans d’Astra Militarum. Vingt ans de campagnes. Vingt ans à risquer de me prendre un obus dans la gueule, à collectionner les cicatrices d’éclats, de grenades, de bolts, de baïonnettes, de pelles, de coups de verre… Tout ça pour finir déshydraté, seul et oublié, momifié dans les tripes d’une cité-ruche.

 

Allez. Autant m’arrêter un moment, poser mon cul, réfléchir aux options. Quitte à crever ici, autant le faire d’une manière à peu près intelligente.
 

Je pose mon fusil-laser. Il ne me reste que la cellule énergétique déjà engagée dedans. À vue de nez, j’ai encore de quoi tirer une trentaine de coups, guère plus. Plus une seule grenade, tout y est passé sur mes poursuivants, il y a deux jours. Bon… si je me montre prudent, ça devrait suffire.

 

Allez, continuons l’état des lieux.

 

Une gourde presque vide. En me rationnant sévèrement, j’en ai peut-être encore pour deux jours. Avec un peu de chance, je tomberai sur de la condensation quelque part pour compléter. Côté bouffe, trois packs agroénergétiques. Au moins, je vais mourir le ventre plein… plein de produits chimiques, certes, mais bon. Disons que mes préoccupations diététiques ne sont plus ma priorité.

 

Je vide mes poches.


Un Medikit individuel : de quoi me soigner si je m’entaille le gros orteil ou si j’ai un mal de crâne. Trois pastilles pour purifier une eau que je n’ai pas. Et… un miroir.

 

Putain. J’ai une sale tronche.

 

Je me reconnais à peine. Quelques rides de plus. Des cheveux plus gris aussi, il me semble. Mais ce sont surtout mes yeux rouges et ce teint cireux qui ne me disent rien de bon. J’ai l’impression d’avoir pris dix ans en deux jours. Ma tignasse châtain, qui virait déjà au poivre et sel, est devenue franchement sombre… merci la crasse des conduits.

 

Mon regard fixe mon iris vert, et voilà que je dérive dans mes souvenirs.


Il y a vingt-cinq ans.

 

Ma Famille m’avait fait engager dans les levées des Régiments de Dagaz. Contrairement à mes frères et soeurs - j’étais le dernier de quatre - et probablement parce que j’avais moins d’affinité avec l’étiquette, les dîners pompeux et les salamalecs, mes géniteurs avaient insisté pour que je sois affecté au 8ème Régiment de Dagaz. Mes frères et sœurs, eux, étaient tous dans le prestigieux 1er. Les "Prétoriens", comme ils aiment à se faire appeler.

 

À l’époque, j’avais dix-huit ans, et honnêtement, j’avais la tête ailleurs. L’armée ? Les casernes d’Opalan ? J’en avais rien à foutre. J’étais surtout occupé à faire le con avec mes potes. Mes parents m’avaient pourtant prévenu : continue comme ça, et on t’enrôle plus tôt que prévu. Ils n’ont pas menti.

 

Mais me retrouver dans le 8ème…


Sérieusement. Ce foutu régiment n’avait déjà pas une bonne réputation à l’époque. Et moi, je me suis retrouvé dedans comme on tombe dans une fosse sceptique : sans prévenir, et sans aucune envie d’y rester.

Déjà, le nom… les “Gardiens Sanglants”.


Rien que ça, ça ne m’inspirait rien de bon. Un nom à la con, trop chargé, trop dramatique. Tu sais tout de suite que ça sent la boue, le sang et les ordres suicidaires. Pas les fanfares ni les médailles en velours.

 

Et puis, dans mon cercle de fréquentations - les rejetons dorés des Familles Citoyennes - on entendait des choses. Pas officielles, bien sûr, mais suffisantes pour se faire une idée. Le 8ème, c’était là qu’on envoyait les “indésirables”. Ceux qui foutaient la honte, les têtes brûlées, les rebelles, les abrutis ou tout simplement les gêneurs.

 

Un régiment à la discipline de fer, connu pour ses engagements intenses, en première ligne ou dans les pires bourbiers du secteur.


Idéal, donc, pour “soulager” une Famille d’un souci tout en servant l’Imperium avec zèle. Un tir doublement gagnant : honneur préservé, et héritiers gênants expédiés loin, au service du Trône.

On te balance dans le 8ème comme on jette une pierre dans un marécage.
Et si elle ne remonte jamais, c’est que tout s’est bien passé.

 

Vingt-cinq ans ont passé depuis.


Finalement, après quelques bons coups de savate dans la gueule administrés par les instructeurs : façon douce de te faire entrer l’Imperium dans le crâne; j’ai fini par m’adapter.

Et même plus que ça : une fois déployé, je me suis senti comme un poisson dans l’eau.  J’y ai trouvé ma place.  Quelques camarades du même monde, issus du même milieu que moi. Mais surtout, des frères d’armes qui partageaient ma vision épicurienne de la vie : profiter tant qu’on peut, rire un peu avant la prochaine rafale. Des mecs bien. Certains sont encore là… d’autres, non.

 

Mon premier engagement me semble tellement loin.
Et pourtant, quand je baisse les yeux vers mes manches, je suis toujours surpris d’y voir mes chevrons de sergent.
Qui aurait parié là-dessus, hein ? Même pas deux boutons rouillés. Pas moi en tout cas et certainement pas ma Famille.

 

Qu’est-ce que c’était, ça ?


J’suis sûr d’avoir entendu un bruit. Peut-être juste le grincement d’une conduite, l’écho lointain des combats… ou alors un de mes poursuivants ?

 

S’il y a bien une chose que ce déploiement m’a appris, c’est qu’ici, rien n’est sûr. Et que c’est la merde partout.

 

Voilà six mois que le 8ème est déployé sur Moloch-Bâl. Une foutue planète à cités-ruches. On nous avait vendu une mission de maintien de l’ordre. Le gouverneur local, une sacrée enflure celui-là, affirmait avoir "stabilisé la situation" et demandait juste un petit coup de main pour reprendre quelques cités en révolte.

 

Mon cul, ouais. Ce que notre état-major a découvert en arrivant, c’était tout sauf une situation sous contrôle.

 

À part quelques bastions impériaux, tout le reste de la planète était plongé dans l’anarchie la plus totale. Une vraie foire à la baston. Des luttes de partout, des factions inconnues, des cultes tarés, des milices locales… même une chatte n’aurait pas reconnu ses petits dans ce merdier. Y avait qu’un seul point commun à tous ces enfoirés : flinguer tout ce qui portait une Aquila ou représentait un tant soit peu une autorité.

 

Ça fait trois mois qu’on tente de reprendre Gehenna Magna. Une putain de cité-ruche, un labyrinthe monumental, en trois dimensions, à vous rendre fou.

Impossible de tracer une vraie ligne de front dans ce foutoir. Un jour, un quartier est à nous. On croit l’avoir sécurisé, et paf : une bande d’enragés déboule par l’arrière, surgis d’on ne sait quelle coursive, de quel conduit ou d’un foutu égout. Pendant ce temps, nous, on est déjà en train de se déployer vers ce qu’on pensait être le prochain objectif. Résultat : on échange les positions comme des crétins, et faut tout recommencer depuis le début.

 

Au moins, y’a un truc de simple dans ce merdier : tout ce qui ne porte pas une Aquila, tu le butes. Homme, femme, vieux, gosse… tous aussi tarés les uns que les autres. On dirait qu’ils ont tous un seul but : nous arracher la tête, même à coups de dents s’il le faut.

Je ne pourrais jamais oublier ce gosse, pas plus haut que trois pommes, qui a essayé d’égorger Massias à coups de ses pauvres chicots. On a fini par le descendre, lui et toute la bande qui l’accompagnait, mais notre bon Commissaire Mielke n’a pas voulu prendre de risque. Il a sorti son bolter et a collé une bastos dans la tête de Massias. Froid. Net.

 

Massias…
Pas le premier à crever sur cette foutue planète. J’en ai vu tomber, des frères d’armes, des vrais. Des vieux briscards qui avaient traversé les pires zones de guerre à mes côtés.
Massias. Ernst. Bilal. Caïus. Stepan. Pav’...

 

Je les revois encore. Leur rire autour d’un ragoût de ration cramée. Leurs gueules sales, leurs sarcasmes, leurs coups de coude dans les tranchées. Et maintenant, plus rien. Juste leurs noms qui résonnent dans ma caboche.

Jamais j’avais perdu autant de camarades en si peu de temps. Et surtout pas des vétérans. Autant j’étais presque résigné à voir les nouvelles têtes tomber; Des gosses, la plupart, à peine sortis de leurs terres de conscription; Mais là…
Là, ce n’est plus une guerre. C’est un foutu abattoir.

 

On dirait qu’on nous balance au front comme de la chair à canon. Sans vision d’ensemble, sans coordination. Chaque jour, un nouveau plan foireux pondu par un commandement qui ne sait même plus où est le nord. J’ai l’impression qu’on avance les yeux bandés, comme des aveugles guidés par d’autres aveugles. Et pendant ce temps, mes frères tombent un à un.

 

Et voilà.
Je perds toute ma section dans une bête patrouille d’arrière-garde. Que des bleus avec moi. Tous tombés comme des mouches, en une fraction de seconde. Rien vu venir.
Sans cette foutue conduite et cette espèce de sixième sens qui m’a sauvé la peau plus d’une fois… j’y serais passé avec eux.

 

Combien de fois j’ai frôlé la mort ? Je ne les compte plus. Mais à chaque fois, un détail, une intuition, une petite voix dans ma caboche me faisait bouger d’un millimètre. Juste ce qu’il fallait. Suffisamment pour échapper au destin.
Heureusement qu’elle m’a chuchoté de grimper dans ce conduit. Par contre, elle aurait pu me filer une carte du labyrinthe, tant qu’à faire…

 

Là, si je pouvais à nouveau l’entendre, cette saloperie de voix intérieure… juste une fois. Juste pour savoir quel foutu couloir me sortira vivant de ce merdier.

 

Et ces cinq gars…
On est tombé sur un groupe ennemi. Des civils, à première vue. Avant.
Ils se sont jetés sur nous comme des pochtrons sur une bouteille d’Amasec. Enragés.
La surprise, le nombre… en dix secondes, c’était plié.

Heureusement qu’ils ont cette sale manie de collectionner les têtes.
Sans ça, j’aurais eu toute la bande à mes trousses. Et je ne serais plus en train de parler à moi-même dans un conduit crasseux, mais à pourrir sur un tas de cadavres.

 

Voilà un petit moment que je m’étais reposé quelques minutes, le dos collé à la paroi tiède du conduit. L’air y vibrait doucement, comme si quelque chose tournait non loin. C’était presque apaisant, si on faisait abstraction de l’odeur de rance, de sueur et de moisissure qui suintait de chaque rivet. Je commençais à dodeliner de la tête quand à nouveau un bruit se fit entendre. Un  cliquetis métallique, trop régulier, me fit relever la tête.

 

Un bruit de pas ?

 

Je me fige. Mon cœur s’arrête une demi-seconde. Puis il repart comme un tambour de guerre.

 

Silence.

Et puis, à nouveau : clic-clac... clic-clac... des pas hésitants sur le métal. Un bipède ? Humain ? Impossible à dire. Trop d’échos. Trop de doutes.

 

Je me recroqueville dans une anfractuosité du conduit, je tente de contrôler ma respiration. Mon fusil pointé vers l’ombre. À cette distance, si ce n’est pas un ami, je tirerai sans sommation.

Mais si c’était un survivant ? Un gars du 8ème ? 

Et s’il est blessé ?

Et si c’était un de ceux qui m’ont traqué il y a deux jours, revenu finir le boulot ?

L’idée germe, pourrissante.

Je me rends compte que je serre la poignée du fusil jusqu’à m’en blanchir les jointures.

Puis je vois une silhouette.

Et là, je dois choisir.

Si j’attends, je perds l’initiative. Si je tire… et que c’est un frère d’arme, j’aurai du sang innocent sur les mains.
Mais s’il me repère avant moi…

Alors je bouge. Lentement. Un pas. Puis un autre. Mon épaule glisse contre la cloison, mon fusil toujours levé.
Je laisse ma voix porter, rauque, sèche, craquelée par l’humidité et la peur.

-Halte ! Identifie-toi ! Nom et régiment !

Silence.
La silhouette s’arrête. Hésite.
Puis, dans un souffle râpeux :
- C’est moi… Toma… Sergent Toma Lazić… 8ème de Dagaz…
une hésitation se ressent 

- C’est toi, Juda ?

 

Mon cœur rate un battement.

Toma. Bordel… Toma.
Porté disparu depuis six semaines dans le secteur Epsilon. On l’avait tous cru mort avec sa section. Je me souviens même de la bouteille qu’on avait vidée pour lui, ce soir-là.
Mais là, devant moi, il tient à peine debout.

 

Je m’approche prudemment. Il lève les mains lentement. Pas d’arme visible. Son uniforme est en charpie, il pue la sueur et le sang. Ses yeux… y’a quelque chose dedans.
Pas juste la fatigue. Quelque chose d’autre. De fiévreux. De brûlant.

 

— Ils m’ont encerclé. Je croyais que c’était la fin… Mais Il m’a sauvé, Juda. Il est venu.

— Qui ça, “il” ?

— L’Empereur.
 


 

Modifié par Swissknife
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+++ CHAPITRE II +++

L’EMPEREUR

 

Je regarde Toma, interloqué. Sans même m’en rendre compte, j’abaisse mon fusil-laser. Sa réponse me laisse pantois.
— Toma… qu’est-ce que tu entends par l’Empereur ?
Je vois bien à son regard que ma question le choque, comme si j’avais blasphémé.
— L’Empereur, Juda. Il n’y en a qu’un, tu le sais bien.
— Oui… bien sûr. L’Empereur est sur Terra, Il veille sur nous tous. Mais… comment dire...

Comment dire sans écraser une Foi naissante ? Toma n’avait jamais été du genre très pieux. Pas plus que moi. Et là, il me balance ça, comme une évidence. Comment lui expliquer que j’ai du mal à croire que le Maître de l’Humanité fasse un détour pour sauver son cul ?
— Franchement, Toma… j’vois mal l’Empereur bouger Ses Saintes Fesses juste pour toi. C’est quand la dernière fois que t’as dormi ? Ou bu ?
Un mélange de colère et de frustration passe sur son visage fatigué. Avant qu’il n’ouvre la bouche, je baisse mon arme. J’esquisse un geste de la main.
— Allez, viens. Pose-toi. T’as faim ? J’ai une infâme barre agroénergétique.
Sans attendre sa réponse, je lui tends la barre.

Il l’attrape et l’ouvre à la hâte, avant de s’asseoir lourdement. Il la dévore comme un rat de soute affamé, sans me prêter plus d’attention. Je l’observe.
 

Disparu depuis six semaines. On le pensait mort. Aucune trace, aucun corps retrouvé, ni lui, ni sa section. Juste des morceaux d’équipement, quelques lambeaux d’uniforme, et une rumeur : une patrouille aurait trouvé un tas de cadavres ennemis, mais aucun des nôtres. L’État-Major avait vite classé l’affaire. “Les corps ont dû être emportés par des hérétiques”, qu’ils ont dit. Pas plus d’enquête. Pas plus de questions. Foutaises.

Le visage de Toma, déjà maigre au naturel, est devenu un masque émacié. Les traits tirés, les yeux cernés. Ses rares cheveux sont en bataille. Son uniforme… à peine reconnaissable. Juste le plastron qui tient encore, couvert de sang séché.

Il finit sa barre, puis me regarde. Et dans ce regard… il y a quelque chose.
Pas seulement de la fatigue. Pas seulement le traumatisme.
Une ferveur. Une intensité. Une chaleur presque… dérangeante.
Pas le genre de regard que j’ai envie de croiser dans le noir.
 

— Merci, Juda. Par le Trône… je suis heureux de t’avoir trouvé. J’en pouvais plus. C’est Lui qui t’a mis sur ma route. Il m’a guidé dans ce labyrinthe.
— Quoi ? Qui t’a guidé ?
— Bah… Lui. L’Empereur. Qu’il nous protège.

Il tire sur la manche de son uniforme et me montre son poignet. Un bracelet grossier, en corde tressée. Fiché dessus, un petit caillou, pas plus gros qu’un gravier, taillé à la va-vite.

— J’ai trouvé cette pierre quelques jours avant la mission. Juste après notre cérémonie. Elle m’a attiré l’œil. Regarde bien.
Il défait le bracelet et me le tend.
Je prends l’objet, le pose dans ma paume. La pierre tournée vers le haut.
— Il y a une Aquila gravée dessus. Quand j’ai ramassé la pierre, j’avais toujours ma coupure rituelle à la main. Le sang a rempli les creux. C’est comme ça que je l’ai vue.
Je plisse les yeux. J’essaie de distinguer quelque chose.
Effectivement, il y a une gravure. Remplie de sang séché. Mais de là à dire que c’est une Aquila… on dirait plus un gribouillis qu’autre chose. Ça pourrait être n’importe quoi.

Je lui rends son gris-gris sans un mot. S’il en tire de la force, tant mieux. Mais à deux, avec une réserve d’eau qui fond comme neige au soleil, va falloir qu’on reste lucides. Et la lucidité de Toma… me semble pas au top.

Il remet son bracelet d’un geste nerveux, les yeux fixés sur la pierre.
— Tu sais, Juda… je te raconte pas des conneries.
Il lève les yeux vers moi, cherche une accroche.
— C’est l’Empereur qui m’a sauvé. Je vois bien ce que tu penses, que je déraille.
Il marque une pause. Sa voix tremble à peine.
— Je penserais pareil à ta place. Et même moi… parfois, je me demande si j’ai pas halluciné tout ça. Si j’ai pas perdu la boule.

Il serre les poings.
— Mais je suis vivant. Et je devrais pas l’être.

Il tourne lentement la tête vers moi, le regard chargé de souvenirs.
— Pendant la mission de reco, l’auspex s’est mis à déconner. Et tu sais comment les vox peuvent devenir foireux, surtout à certains niveaux. Je me suis paumé. Comme un foutu bleubite. J’ai emmené ma section au mauvais endroit.

Il respire lentement, son ton devient plus grave.
 On a déclenché un piège dans un couloir. Par mégarde. Une alarme. C’est Sven qui ouvrait la marche, il a pas vu le fil. Une putain de pique est tombée du plafond. Elle l’a empalé net. Traversé comme un sac d’os.
Il ferme les yeux une seconde.
— J’étais juste derrière. Je l’ai vu gigoter sur cette tige, les pieds ballants à quelques centimètres du sol. J’étais tétanisé.

Sa voix devient plus sèche.
— C’est Rek’ qui m’a réveillé. Il a hurlé que le gyrophare s’était déclenché. On avait foutu en branle tout un nid. Le temps que je donne l’ordre de recul, c’était déjà trop tard. Ils ont attaqué Nève, en queue de file. Elle a à peine eu le temps d’alerter les autres. Trois de ces tarés lui sont tombés dessus. L’ont plaquée. Égorgée sur place.

Il serre la mâchoire.
— On était coincés dans ce putain de couloir. Pas la place de manœuvrer, pas de couverture. On se gênait pour tirer. Eux ? Ils en avaient rien à foutre. Ils marchaient sur leurs propres morts, tiraient à travers leurs gars. Des fous furieux.

Il marque un temps.
Je pouvais pas avancer. Impossible de décrocher Sven du pic. On a vite balancé les fusils-laser, trop longs, trop encombrants. On a sorti les baïonnettes.

 

Il baisse la voix, presque pour lui-même.
— J’étais dos à dos avec Rek’. On se couvrait. J’ai planté, encore et encore. J’ai pas compté combien j’en ai tué. Mon bras me brûlait, mais j’ai continué. C’était pas du courage, c’était juste l’instinct. La rage de pas crever là. Je sentais à peine les entailles sur mes bras. Et puis…

Il lève la main vers sa cuisse.
— Un coup m’a taillé dans la jambe. J’ai perdu l’appui. J’ai glissé. J’ai vu Rek’ tomber à côté. Ils l’ont submergé. Je te jure, Juda… ils le mangeaient vivant. Comme des bêtes.

Un silence lourd s’installe. Puis :
— Et c’est là que c’est arrivé. Là, à cet instant. Quand j’étais au sol. Quand j’allais mourir, dévoré comme un chien par ces hérétiques… que c’est arrivé.

 

Son regard s’égare, fixe un point que je ne peux pas voir.
— Il… IL est venu à moi.

Sa voix n’est plus qu’un souffle.
— J’ai senti quelque chose… Une force. Comme une marée qui m’a traversé, brûlante et implacable. Une fureur que je n’avais jamais connue. Plus rien n’avait d’importance. Plus la douleur. Plus la peur. Rien.

Il pose une main sur sa poitrine, lentement.
— Un voile écarlate s’est posé devant mes yeux. Comme une flamme qui aurait envahi tout mon champ de vision. Et puis… c’est devenu flou. J’ai vu mes bras bouger, mes mains frapper. Mais c’était pas moi. J’étais là, mais comme spectateur. Prisonnier dans mon propre corps.

 

Il ferme les yeux, revoit la scène.
— Je pourrais pas te dire ce que j’ai fait. Les gestes. Les cris. Tout allait trop vite. Mais je les ai massacrés. Tous.

Sa voix se durcit.
— Le feu dans mes yeux. Le sang sur mes mains. Tout était rouge.

Il reste silencieux un instant. Puis :
— Et soudain… j’étais debout. Essoufflé. Mais vivant. Dans ce couloir devenu silencieux. Il n’y avait plus rien. Juste moi, seul. Les autres… morts. Ou fuis.

Il tourne la tête vers moi, et sa voix prend une intensité étrange, presque fanatique :
— Et là, dans cette brume flamboyante qui flottait encore devant mes yeux… il y avait une silhouette.

Il laisse un silence planer.

— Je sais pas si c’était une vision. Un rêve. Ou plus. Une armure… une silhouette éclatante dans un halo flamboyant, illuminant tout. Une lumière rouge comme le sang. Rouge comme le feu. Elle me regardait. Pas avec des yeux… non. Mais je sentais son regard.

Il touche sa tempe, doucement.
— Et j’ai entendu sa voix. Pas avec mes oreilles. Mais dans ma tête. Claire. Lourde. Comme un écho.

Il me fixe. Sa voix m’a dit :
— Je t’ai vu dans les ténèbres, et tu as tenu. Porte ma lumière, et nul abîme ne t’engloutira.

Il se tait. Le silence qui suit est lourd, presque pesant.

 

Je le regarde sans trop savoir quoi penser de ce récit. Il a l’air sincère, vraiment. Il croit à son histoire, à fond. Peut-être que c’est simplement un sursaut d’adrénaline, un accès de rage pour survivre, une de ces réactions primaires face à la mort…

Je l’ai jamais vu toucher aux Stimms, mais ça veut pas dire qu’il n’en prend pas. Ou alors… c’est juste un foutu psychopathe. Peut-être qu’il a vrillé, comme tous les autres tarés de cette planète. Et si je le ramène avec moi ? Qu’est-ce qui me dit qu’il va pas péter un câble et me coller une balle dans le dos ? Ou pire : contaminer les autres avec ses délires ?

 

Il continue de me fixer, attendant une réaction, mais bordel, Toma… qu’est-ce que tu veux que je fasse de ton délire mystique ?

 

En même temps… il erre seul dans ce labyrinthe depuis combien de temps ? Coincé dans ce trou, avec les cris de ses camarades morts qui lui tournent dans la tête ? J’ai vu des gars devenir apathiques après un choc, d’autres devenir incontrôlables. Ils appellent ça du stress post-traumatique. Et franchement, ça collerait. Rien d’étonnant.

 

Je me sens pas mieux, d’ailleurs. Moi aussi, je suis tendu comme un arc. Chaque bruit me fait sursauter. J’ai la main qui tremble encore autour de mon fusil. Alors qui suis-je pour juger ? 

- Allez Toma, maintenant on est deux. L’un pour l’autre. On va sortir de ce foutu labyrinthe et retrouver les autres. J’imagine déjà leurs tronches quand ils vont nous revoir. Je parie qu’ils ont déjà vidé nos cantines et descendu une bouteille d’Amasec à notre mémoire.

C’est ce qu’on a fait pour lui, après tout. Je suis sûr qu’ils font pareil pour moi en ce moment.

Toma se détend un peu. Il sourit : le premier depuis qu’on s’est retrouvés.

— T’as raison, Juda. Sortons d’ici. Et on se fera payer les verres d’Amasec qu’ils ont sifflés à notre santé.

— Bien dit. T’as une idée de la direction ?

Je désigne l’embranchement devant nous. Toma fixe les trois conduits, le visage concentré.

— Non. Aucune idée. Et pour être honnête, je ne sais même plus comment je suis arrivé là. C’est le brouillard dans ma tête.

Je le regarde. Ouais… je vais pas pouvoir trop compter sur son sens de l’orientation. Il est encore à côté de ses pompes. Je reporte mon attention sur les trois options devant nous. Tout droit. En bas. À gauche.

 

Le conduit à gauche me donne une bonne impression, il m’attire. Une intuition. Pas vraiment rationnelle, mais... mieux que rien. Le tunnel descendant, par contre, il ne me plaît pas. Trop de lumière, trop de bruit, et un souffle d’air régulier. Ça sent le puits de ventilation. Le genre à finir en steak tartare dans un ventilo géant.

 

Quoique… s’il y a un gros ventilo, y’a peut-être un accès technique. Et donc, une sortie.

 

Mais non. Ce conduit à gauche… il m’appelle, presque.

— On prend celui de gauche.

Je sursaute presque en entendant ma propre voix. Comme si j’avais parlé sans y penser.

 

Je passe en premier. Il me faut faire un sacré grand écart pour atteindre l’ouverture du conduit gauche, mais je parviens à m’y cramponner. Quelques contorsions plus tard, je me hisse jusqu’à l’entrée. Je me retourne pour aider Toma.

Il est loin d’être aussi en forme que moi… et surtout, il est plus petit. Je le vois hésiter. Je tends le bras. Il agrippe du bout des doigts et se lance. Il manque de glisser dans le vide, mais son élan suffit à le faire atterrir tant bien que mal sur moi.

On ne dit rien. On se redresse. Et on avance, en silence.

 

Ce conduit n’a rien de différent de ceux que j’ai déjà parcourus. Si ce n’est que le courant d’air y est un peu plus présent. Ça fait du bien. Ça atténue, un peu, cette sensation de soif constante.

Toma me suit sans un mot. On évite tous deux de faire du bruit. Ici, tout résonne. Le moindre son peut porter loin. On n’entend plus que nos pas lents, traînants, usés.

Les lumiglobes, espacés de manière irrégulière, jettent une lumière pâle et vacillante sur les parois. La pénombre reste omniprésente.

 

La hauteur du conduit ne me permet toujours pas de marcher debout. Toujours à moitié courbé. Toma est un peu moins voûté que moi, mais lui aussi doit se plier. Je le surveille à la dérobée, cherchant un signe de changement dans son expression ou son attitude. Rien. Il reste impassible.

 

Le conduit amorce une légère courbe vers la droite. Une lumière plus vive, blanche, commence à filtrer. Un espoir ? Une sortie ? Ou juste un cul-de-sac baigné dans la lumière crue d’une machinerie ? Je n’ose pas encore y croire.

— T’as vu, Juda ? La lumière ! C’est la sortie !

Toma, lui, a besoin d’y croire. Il y croit. Et je veux y croire aussi.

Le virage devient franc, presque à angle droit. C’est de là que vient la clarté. J’avance prudemment. Je suis aussitôt ébloui, contraint de cligner des yeux. Il me faut quelques instants pour m’acclimater à cette lumière soudaine. Je reste immobile, attendant que ma vision revienne.

Peu à peu, je distingue les contours. Le conduit débouche sur une grille. Derrière, un sol d’acier bien éclairé. Une pièce technique, baignée de lumière. Partout autour, d’autres conduits. Des marquages sur les murs. Ça sent enfin la sortie. Une vraie. Juste cette grille à dégager.

 

Je m’allonge et balance un violent coup de pied dans la grille. Elle cède dans un vacarme métallique, dégringole et vient s’écraser au sol dans un fracas assourdissant. Je me glisse immédiatement hors du conduit et me mets en position, aux aguets.

Toma me rejoint sans tarder.

 

Rien ne bouge. Personne n’a l’air d’avoir entendu. Tant mieux… Ou pas. L’absence de présence n’est pas forcément une bonne nouvelle non plus.

— Toma, pendant que je couvre la pièce, regarde les marquages. On peut savoir où on a atterri ?

Toma s’approche d’un des murs et scrute les inscriptions. Il passe la main sur les marquages, presque machinalement, comme s’il cherchait à faire resurgir un souvenir noyé dans la brume.

— Section… VM-14. Salle de ventilation secondaire… marmonne-t-il. On est dans un secteur technique d’extraction d’air. Probablement à la périphérie d’un niveau de bloc-hab ou d’un manufactorum.

Je m’avance, plus par réflexe que par intérêt. Les mots glissent sur mon esprit embrumé comme la pluie sur une armure de carapace. Mais la lumière, l’espace, l’air un peu moins vicié… Tout ça me donne l’impression d’avoir enfin mis un pied dehors.

— Y’a un accès là-bas, dit Toma en désignant une porte de service, scellée par un simple verrou mécanique. On peut tenter notre chance.

J’acquiesce d’un signe de tête. Il s’en occupe pendant que je reste en alerte, les sens tendus. Le mécanisme grince, émet un cliquetis métallique qui résonne dans toute la pièce. Je retiens ma respiration.

Silence.

 

Puis des bruits de pas.

 

Je tends le bras et plaque Toma contre le mur. Il me regarde, inquiet, mais reste figé. On attend. Le bruit se rapproche. Régulier. Méthodique. Des bottes. Pas de cris, pas de cliquetis de chaînes ou de pas précipités. Ça sent la discipline… Impériale. Du moins, je l’espère.

Une silhouette passe dans l'encadrement de la porte. Elle avance dans la lumière, arme levée. Uniforme poussiéreux, casque cabossé, épaulière marquée du 8ᵉ Dagaz. Un second soldat le suit, puis un troisième. Une patrouille.

Hé ! je lance à mi-voix, assez fort pour être entendu. Hé, ici !

Les fusils se braquent aussitôt.

Identification ! crie le premier. À genoux, mains en l’air !

Je lève lentement les bras.

Sergent Juda Drell, 3ᵉ escouade, 8ᵉ de Dagaz. J’ai avec moi le sergent Toma Lazic. On est vivants.

 

Le soldat reste figé une seconde. Les autres échangent un regard. Finalement, le premier baisse légèrement son arme.

Bordel… Drell ? C’est pas possible… Le lieutenant vous a déclarés mort. On a vidé votre cantine, même. Et on a bu une bouteille d’Amasec à votre mémoire.

Je hoche la tête, lentement. Mon regard glisse vers Toma. Il baisse les yeux.

Ouais. On est vivants. Ramenez-nous. On doit rejoindre le régiment.

Le chef de patrouille fait signe à ses hommes.

On vous escorte. Mais on passe d’abord par le point de vérification. Ordres du Commissaire. Rien ne sort de la Ruche sans passer par ses hommes et lui.

Je me crispe. Évidemment. Mielke. Je repense à Massias.

Je me mets en mouvement, le pas plus ferme, Toma dans mon sillage. Les soldats nous encadrent. L’un d’eux, à voix basse, souffle dans ma direction :

— Vous tombez bien… C’est la merde, dehors. Le commandement perd pied. On parle d’une offensive massive. Le Général Kane est sur les nerfs, et Mielke a la gâchette facile. Ça commence à être tendu entre les deux, plus que usuellement. Vous voyez le tableau.

 

Je serre les dents. Toma reste silencieux. Nous avons quitté notre bourbier de labyrinthe…

mais peut-être juste pour plonger dans un merdier plus grand encore.

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