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La saga dela Francesca


Invité Mr Petch

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Francesca s’était assoupi sur son lit

C'est la seule faute de forme que j'ai noté ! Et c'est au tout début :P Pour te rassurer, soit tu te deconcentres et te reposes sur tes lauriers soit c'est moi qui ait bien regardé :P Ou un melange des deux ! En tout cas, relis toi bien ! Sinon, le reste de la forme est très bien, description et ambiance !

Le fond est bien aussi mais si on n'oublie un peu les raisons de la dispute, tu gagnerais à le glisser à un endroit. Sinon, la grande rencontre reunit tous les protagonistes et recalibre les relations et une partie du futur ! C'est bien ! Allez, suite !

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-= Inxi =-

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Invité Mr Petch

Juste une précision : j'ai changé le nom de Nadir en Malik ! Allez, la suite :

Onatti s’était levé de la table sans regarder Francesca et avait commencé à ranger les verres alignés sur la table en bois. La jeune femme l’avait regardé faire en silence, puis s’était avancé, et avait dit d’un air penaud :

« - Je suis désolée Beppo… Je n’ai pas pu me retenir…

Onatti ne la regardait pas. Il continuait son rangement.

- Tu as raison, ce n’est pas une bonne idée de les inviter… Je suis vraiment désolée…

Il y avait presque des sanglots sincères dans sa voix. Maintenant que l’orage était passée, elle se sentait stupide dans sa belle robe rouge, et la honte commençait à l’envahir. Comme si elle se rendait compte de ce qu’elle venait faire, comme si d’un coup, sa haine était partie au galop. Elle attendit bêtement la réponse d’Onatti.

- Au contraire… commença-t-il. Je pense que ça pourrait être une idée.

Francesca, surprise, leva la tête. Elle ne s’y était pas attendue.

- Oui, continua Onatti. Après tout, s’ils ont besoin d’un logement… Et je te l’ai dit, la petite ferait une bonne camarade pour les jumeaux. Il n’y a pas beaucoup d’enfants de leur âge à Gilliano.

Francesca s’était assise dans le grand fauteuil, écoutant Onatti qui parlait de sa voix calme.

- Tu… tu ne m’en veux pas… ?

Onatti était calme, étrangement calme. C’était une tranquillité gênante pour Francesca, car elle ne la comprenait pas.

- T’en vouloir ? Non, je ne crois pas. Pourquoi je t’en voudrais ?

- Je… je ne sais pas. »

Onatti disparut dans la cuisine, la laissant seule dans le fauteuil. Il ne lui en voulait pas… Etonnant se dit-elle. Rapidement, elle se leva et remonta dans sa chambre.

*

Le capitaine Portazar devait en être à sa huitième pinte de bière de maïs. Il reposa le godet en verre sur la table en rotant ostensiblement. Il avait les yeux encore alertes, et son compagnon de tablée, un certain Manolete, s’étonna d’une telle résistance à l’alcool.

« - Alors vous avez visité les mers loin au nord ? C’est impressionnant, ça dites donc !

- Et comment que c’est impressionnant mon garçon. Des mers… Si froides… Si hostiles… Rine comparé à ici ! ici, c’est doux, y a pas de vent, tranquille quoi. Alors que là-bas… Et puis les îles de glace flottantes qui dérivent ! Capable de te trancher un navire en deux.

- Vous devez être fatigué après tous ces voyages…

Manolete commanda de la main une neuvième pinte de bière. Le patron du bar l’observa d’un air mauvais mais obtempéra. Il était assez tard et les clients commençaient à partir. Il ne restait que Manolete, le capitaine Portazar, deux marins et un vieil homme silencieux. Peut-être à cause de ce grand roux violent qui consommait sa réserve de bière. Pendant ce temps, Manolete continua à parler :

- Dites, ça vous dirait une bonne nuit avec une fille sympa ?

Il avait presque chuchoté, sachant que le patron n’aimait pas trop qu’il vienne faire du racolage ici. Mais avec la baisse fréquentation du port, les hommes de main de Lupo étaient obligés de pousser jusqu’aux comptoirs plus « officiels » que les bouges de marin du port.

Portazar regarda en forçant les paupières l’homme qui lui parlait. Il renifla, caressa doucement sa moustache, et déclara d’un ton monocorde :

- Une fille…

Manolete acquiesça de la tête, mais se tut rapidement car le patron venait apporter la neuvième pinte. Dehors, le soleil était bien couché, et il n’y avait presque plus aucune lumière au port. De là où il était, Manolete pouvait voir la lune se refléter dans l’onde. Une lune pleine et bien ronde glissant à la surface des flots. Il soupira. Il était bien trop tard, Lupo allait l’engueuler s’il revenait sans personne.

- Alors ? relança-t-il.

A cet instant, la porte s’ouvrit dans le bar. Les six regards se tournèrent vers les nouveaux arrivants. Il s’agissait du commandant Pizzi, il était accompagné par un jeune homme brun aux cheveux longs. Le vieillard se dirigea tout de suite vers le comptoir et salua cordialement le patron.

- Je te présente mon petit-fils, annonça-t-il fièrement. Il s’appelle Malik. Il vient d’Arabie !

Il se rengorgea devant l’effet qu’avait provoqué son annonce. Evidemment, ici, personne ne connaissait l’Arabie. Le patron le salua quand même et prit la commande de Pizzi.

- Hé commandant ! s’écria Portazar sur qui l’alcool commençait à faire effet. Venez donc à ma table !

Manolete lui lança un regard désespéré. C’était fichu pour ce soir, il allait revenir bredouille. Pizzi se tourna vers le Diable Rouge, et s’avança vers sa table.

- Jaime Portazar… Vieille fripouille va ! Mais je suis bien content que tu te sois rangé du bon côté.

Portazar éclata de rire :

- Un bon côté ? Parce que toi, tu crois qu’il y a un bon côté ? Dire que t’as pas changé depuis notre dernière rencontre.

Il envoya une bourrade contre le vieil homme qui chancela un peu de la chaise sur laquelle il était assis et se mit à rire de plus belle, puis rota en faisant trembler ses moustaches.

- Tu t’en souviens, Pizzi ! C’était sur… sur Il Dragone dei mare. La frégate d’un prince de Remas, je crois.

- Tu as bonne mémoire.

- Un bon butin, je dois dire, ça nous avait rapporté gros…

Pizzi profita de ce que Portazar avalait sa pinte pour répondre :

- Ne fais pas trop le fier, Portazar. A mon avis, tu as plutôt intérêt à le cacher ton passé…

La voix du capitaine changea. Il essuya la mousse sur sa moustache. Manolete, en face d’eux se tenait aussi silencieux que le jeune arabien qui ne disait mot.

- Mouais… En fait c’est triste mais tu as raison, même en Estalie il faut que je me taise…

Puis, lissant sa moustache ébouriffée, il continua :

- On a fait une escale à Remas avec La Trinidad. J’ai préféré rester sur le bateau, il y a trop de gens qui me connaissent là-bas. C’est pour ça que j’aime bien venir dans les colonies du Nouveau Monde, je suis moins connu.

- Pourquoi tu as quitté la piraterie ? Tu ne vas pas me dire que ça ne marchait pas…

Portazar le regarda dans les yeux, comme s’il hésitait. Manolete était pendu à ses lèvres. Il ignorait qu’il était en face d’un grand pirate.

- Ils m’ont pris. Des foutus estaliens. Il savait que j’étais un dur, un roi de la survie. Ils m’ont proposé un marché : soit on te pend par les pieds jusqu’à ce que mort s’en suive, soit tu prends le commandement d’une expédition dans la jungle de Lustrie.

Pizzi déglutit bruyamment. C’était le mot jungle qui l’avait fait réagir. Manolete frissonna. Il savait que la quasi-totalité des expéditions dans la jungle ne revenait pas. Il avait face à lui un homme bientôt mort.

- En effet, c’est un choix difficile… fit Pizzi. Mais pourquoi tu ne pars pas à la première occasion ?

- Je suis peut-être un pirate, mais je suis avant tout un capitaine. Je ne me permettrais de perdre trente hommes en mer. Aucun d’eux ne sait naviguer.

- Je ne savais pas que tu avais une conscience morale…

- Il n’y avait pas de canot sur La Trinidad. Pour que je ne m’enfuis pas, bien sûr. Et tous les hommes sont des soldats violemment attachés à leur chef, le sergent Delaiglesia. Bref, pas question de m’enfuir.

Il regarda son verre vide, et lança un coup d’œil glaçant à Manolete qui commanda encore une bière.

- Et puis bon… Je t’avouerais que j’ai entendu parler de ces histoires de lézards humains qui vivraient dans la jungle et j’aurais bien envie de les rencontrer.

Pizzi se recula un peu. Il murmura :

- Tu fais une grosse erreur, à mon avis.

Portazar éclata de rire :

- Ah oui, c’est vrai, ce sont des légendes ! Et les légendes, il vaut mieux qu’elles restent des légendes, c’est ça ?

Pizzi ne riait pas. Il enfonçait son corps malingre dans la chaise. Portazar continua :

- Et puis mon ordre de mission est suffisamment clair : je dois prendre contact avec les habitants de la jungle, quels qu’ils soient. C’est tout.

- Je te conseille de t’enfuir tant que tu peux encore le faire. Une fois dans la jungle, ce ne sera plus la peine.

- M’enfuir ? M’enfuir où, et pourquoi ?

- Je ne sais pas, rester à Gilliano, te cacher. Ils n’ont pas besoin de toi là-dedans. Ils vont mourir de toute manière. Mais si tu tiens à mourir avec eux…

- Je te prouverais qu’on peut revenir de ta jungle ! Vous autres, on a vraiment l’impression que vous ne supportez pas la jungle, c’est un tabou, un truc interdit. C’est vraiment stupide de votre part !

Pizzi ne répondit pas. Il but le verre qu’il avait commandé.

- Tu as peut-être raison, nous sommes ridicule de craindre la jungle. Mais il n’empêche qu’aucune des expéditions qui y est entrée n’en est ressorti…

- Hé bien moi, je te promets qu’un jour, quelqu’un entrera dans la jungle et en sortira ! Et là, tu verras que j’avais raison, que ce n’était pas si dangereux que ça…

Haussant le ton, il continua :

- Qu’est-ce que je risque ? J’ai mon sabre, une bonne armure de cuir et des réflexes plus affûtés que ceux d’un adolescent ! Alors franchement ?

En parlant, le capitaine avait posé avec violence son sabre sur la table, faisant trembler Manolete. Pizzi l’observait. Il observait le visage qui se cachait derrière la moustache. Et il l’imaginait mort, étendu sur le sol, alors que des vers et des mouches commençaient déjà à s’approprier son cadavre. Il pensait à la belle moustache orange transformée en nid pour les œufs gluants des gros insectes de la jungle, ou encore cette touffe de cheveux broussailleuse servant de fil pour la construction du nid d’un ibis des marais, friands de couleur vives. Et peu à peu, la chair reviendrait à la terre, et se fondrait dans le paysage. La jungle était comme ça, elle s’appropriait tout ce qui pénétrait en elle, à la façon de l’estomac acide d’un monstre gigantesque. Et ce pirate inconscient voulait la braver. Il continuait d’ailleurs de parler, toujours plus éméché :

- Tu vas voir, ta foutue jungle ! C’est rien, de la gnognote ! Tiens, tu verras ! J’ai confié le bateau à mon second, avec cet ordre : si je ne suis pas revenu dans trois mois, il peut repartir sans moi ! Et tu verras, tu verras, froussard, que ce navire, il ne partira pas sans moi ! La jungle… La jungle… C’est quoi la jungle ? Quelques feuilles vertes, des animaux balourds et alourdis par la chaleur, des marais puants ? J’ai combattu dans des mers mille fois plus hostiles !

Pizzi se leva de la chaise, lança une phrase à Malik qui se leva à son tour. Portazar les regarda faire en silence. Manolete, lui, commençait à s’inquiéter, se sentant à l’extérieur de tout ce qui se passait. Les deux hommes sortirent du bar. L’homme de Lupo murmura à nouveau au capitaine :

- Alors, une fille, ce soir ?

Portazar lui lança un regard méchant et renifla d’un air dédaigneux. Sa moustache se souleva lorsqu’il répondit sèchement :

- J’ai autre chose à faire. »

Il se leva et sortit à son tour.

Pizzi et son petit-fils Malik marchaient le long des quais pour rejoindre la capitainerie. Il n’y avait que le bateau de Portazar, La Trinidad, qui était arrimé au port. Un vent puissant et chaud venant du sud se levait, et il produisait des grincements étranges en malmenant les mâts du bateau. Pizzi se tourna vers la grande baie de Gilliano, dont l’onde semblait tourner autour du rocher du serpent comme un manège infini. Au loin, la lumière du phare annonçant la baie aux marins brillait au milieu des étoiles.

« - Tiens… fit Pizzi, Bernardo doit être au phare.

Malik s’était retourné en attendant son grand-père parler dans sa langue. Le vieillard avait les yeux qui pétillaient et souriait.

- Ça me fait du bien de parler arabien, j’ai l’impression de rajeunir.

Malik n’osait pas trop parler. Il se contenta de sourire. Pizzi parla pour lui :

- Evidemment, tu dois être impressionné. Tu arrives dans un endroit que tu ne connais pas, tu te découvres d’un seul coup un grand-père… Mais tu t’habitueras à Gilliano comme je m’y suis habitué.

Ils arrivèrent près du grand grenier où l’on entreposait les marchandises, une bâtisse impressionnante de la taille de deux navires qui recouvrait de son ombre toute une partie du port. Il y avait là deux gros rochers plantés dans le sol.

-Tiens, asseyons-nous là un peu, je fatigue… fit Pizzi, joignant le geste à la parole.

Il appuya son bassin osseux contre le rocher, et se plaça face à l’océan. Là où il était, il ne voyait plus le phare qui était caché par La Trinidad. En revanche, il pouvait apercevoir le rocher du serpent posté là comme le gardien de l’ouverture de la baie. Et après, plus rien, seulement la nuit et le néant.

- Dis-moi, mon garçon… Tu n’as pas beaucoup parlé depuis ton arrivée… Est-ce que tu aimes Gilliano ?

Malik se mit à rire. Un rire dans lequel on pouvait entendre les merveilles de l’Arabie. Et soudain il ouvrit la bouche pour découvrir une voix chaude et profonde, doucement gutturale :

- Oui, j’aime beaucoup cette ville. Mais j’aime surtout l’océan, en face de nous.

- L’océan ?

- Oui. Là où je vivais, il y avait un grand désert qui donnait directement sur une plage, et sur la mer. J’ai toujours voulu savoir ce qu’il y avait de l’autre côté. Et maintenant que je le sais, ça me fascine encore plus.

- Il n’y a pas que Gilliano, tu es loin d’avoir tout vu.

- Je le sais, et je compte bien réparer ce problème. Je serais marin, c’est ce dont je rêve.

Les yeux de Pizzi étincelèrent comme les feux du phare. Il s’écria :

- Et en plus, ma fille me donne un petit-fils qui veut être marin ! Dans mes bras, mon garçon ! »

La fine silhouette de Pizzi se réfugia dans les bras de Malik, lui arrivant à la poitrine et pressa son corps malingre contre les muscles saillants de son petit-fils.

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Rine

Et une petite faute de frappe

un truc interdit

Je dirai plutot: quelque chose.

Donc pour la forme, ca va beaucoup mieux ! Beaucoup moins de faute :P Donc persevere et tape sous word ... La première faute, il l'aurait pas laissé passer. Donc c'est une solution.

Ensuite pour le fond, ca avance assez. L'ambiance taverne est peut etre trop laissé de cote mais l'important est le dialogue qu'ils ont. On se doute que Pizzi sait plus de chose sur les HL qu'il veut le dire ! Donc on vera la suite :P

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-= Inxi =-

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Invité Mr Petch

désolé pour ce petit retard, et bonne lecture :lol:

Le jeune Bernardo nettoyait les différents ustensiles de marin dans la grande capitainerie. Ses yeux de jeune garçon passionné luisaient en voyant tous ces objets fascinants, il attarda un peu le chiffon sur une longue-vue en cuivre dont la lentille avait disparu. Par amusement, il regarda à travers le long tuyau. Le visage de Pizzi apparut à l’autre bout, et le jeune garçon sursauta.

« - Hé bien Bernardo, tu traînes ?

Le vieil homme avait un sourire sur le visage qui monta à Bernardo qu’il le taquinait.

- Vous avez de si belles choses !

- Oui, de si belles choses…

Pizzi se rendit derrière son comptoir et saisit les vêtements accrochés sur deux crochets métalliques. Son uniforme de marin. Bernardo continua de frotter les outils, arrivant à une série de couteaux rouillés.

- Vous vous faites beau, aujourd’hui, commandant ?

- Hé hé… C’est que je suis invité !

Et il rit de nouveau, son petit corps tressautant en même temps que sa glotte.

- Invité ? Par qui ?

- Tu n’es pas au courant, fit Pizzi. Ça m’étonne…

Bernardo le regarda, étonné. Il reposa une des lames sur un petit lutrin, tout en gardant l’autre dans la main. Pizzi s’expliqua :

- Hier, je suis allé me promener avec mon petit-fils au marché. Je voulais absolument lui trouver des vêtements qui lui aillent, tout le monde se retourne à son passage avec sa grande toge bleue ! J’attendais devant l’étal de Luigi Pozzo, j’écoutais d’une oreille distraite son bla-bla habituel… Et puis ta chère sœur nous a accostés !

Bernardo tiqua un peu. Il reposa la seconde lame et s’attaqua à un pistolet à poudre.

- Je lui ai présenté Malik, et elle nous a invité à discuter avec elle et son père dans le château. J’aurais pensé qu’ils t’avaient mis au courant…

- Je ne reste plus beaucoup à château en ce moment, j’ai besoin de respirer…

- Respirer la vieille poussière de ma caverne, par exemple ?

- Entre autres, oui, ça me fait du bien… C’est déjà plus respirable que chez moi…

Une fossette innocente apparut au coin de la lèvre de Bernardo. Il était plutôt petit pour son âge, et faisait bien quatre ou cinq ans de moins que ses treize ans. De plus, contrairement à son exubérante sœur, il savait se montrer discret, et le travail chez Pizzi lui convenait parfaitement. Il annonça fièrement :

- Je prends aussi des cours de sabre chez maître Deligni.

- Tu veux être soldat ?

- Pas vraiment… Mais pour être marin, il faut savoir manier les armes, n’est-ce pas, commandant ?

Disant cela, il se saisit d’un grand sabre d’abordage pendu au plafond, et fit quelques mouvements dans l’air contre un adversaire imaginaire. Pizzi, amusé, sortit son propre sabre de sa ceinture et lui répondit par d’autres passe d’armes, puis, l’engageant, tenta de le désarmer. Le jeune garçon para le coup habilement, mais ne parvint pas à éviter le second coup qui l’obligea à lâcher son arme.

- Tu te débrouilles bien, Bernardo ! A ton âge, je ne maniai pas aussi bien le sabre.

Bernardo sourit. Il avait dans son sourire quelque chose d’éminemment naïf, le sabre n’était pour lui qu’un jeu, il en ignorait la réalité des combats.

- Merci, commandant, mais j’ai encore beaucoup à apprendre !

- C’est ce qu’on dit toujours… Car il y a toujours à apprendre.

Bernardo ramassa le sabre pour le poser sur son emplacement, puis continua son travail.

- Dites-moi, commandant, vous retournerez sur un bateau un jour ?

- Je ne sais pas… Tu sais, ma vie est à quai, je ne sais pas ce que j’aurais à faire sur un bateau… Mais c’est vrai que parfois, quand je regarde tout cela…

Il se tourna vers les innombrables peintures et sculptures maritimes qui l’entouraient.

- Vois-tu, l’arme que tu tenais ? Elle a appartenu à un vieux pirate très célèbre ! Il est mort depuis, pendu par les pieds sur la place principale de Luciano. Mais on raconte qu’il tenait sa force de son arme. Alors sais-tu ce que j’ai fait ?

- Non, commandant…

Le gamin était passionné par le discours du vieillard, qui fronça les sourcils, ce qui accentua ses rides et lui donna l’allure d’une vieille baleine échouée sur la plage.

- Le jour de son exécution, je suis entré par effraction dans le grand palais de Luciano. J’ai du éviter toute la cour, contourner par le portique pour ne pas me faire repérer… Mais c’était indispensable s’il fallait arriver aux geôles, au grand donjon du palais qui abritait les caches d’armes. Devant le gardien, je me suis fait passer pour un garde civil, et j’ai amené une bouteille au cas où. Par chance, il était bien conciliant. Alors une fois dans le donjon, je n’ai eu qu’à trouver où ils entreposaient les armes, et à la subtiliser. C’était une escale que je faisait à Luciano, je repartais le soir même avec entre les mains l’arme du pirate Carlos dent d’or !

Bernardo éclata de rire.

- Par la suite, j’ai vite compris que l’arme n’avait aucun pouvoir et que Carlos n’en tirait sûrement pas sa force… Mais au moins, c’est un beau trophée !

- Vous avez eu une vie si mouvementée !

- Oui… Et tu veux savoir ? Tout ce que j’ai fait à cette époque, tous les dangers que j’ai affronté, si c’était à refaire je ne me gênerai pas !

Il sortit violemment son épée et effectua quelques moulinets. Bernardo riait de bon cœur devant les pitreries du vieux.

- Allez, déclara finalement Pizzi. Je te confie la boutique, je dois y aller. Je passe prendre ma fille et mes petits-enfants chez Onatti, et je file au château.

- Hé bien je n’ai qu’une chose à vous dire, bon courage…

- A toi aussi ! »

Pizzi sortit en saluant son jeune associé d’un large signe de la main.

En longeant les quais, il se retourna machinalement. Il y avait encore, un peu plus loin, La Trinidad qui mouillait à quai. Portazar était parti il y avait maintenant cinq jours. Pizzi n’espérait pas le revoir, et de toute manière, il le savait condamné. Il répéta instinctivement une prière pour le vieux pirate et remonta la rue principale.

Le vieux commandant se sentait fier dans cette tenue glorieuse. Il avait la sensation de prendre de l’importance à cause de ses quelques galons pourtant futiles sur son épaule. Il aimait aussi beaucoup sa casquette et son sabre. Ces vieux vêtements étaient pourtant trop grands pour lui, et il n’y était guère à l’aise, comme noyé par ses habits. Mais au moins avait-il le prestige de l’uniforme. D’une main consciencieuse, il frotta un peu ses manches avant d’arriver chez Onatti.

« - Bien le bonjour, Beppo ! C’est moi !

Pizzi ouvrit grand les bras face à son ami. Il se rassura aussi en lui voyant une face un peu plus sereine.

- Bonjour, Pizzi.

Le commandant entra. Dans la grande pièce principale de la maison régnait une étonnante agitation, qu’elle n’avait sans doute jamais dû connaître. Francesca, assise dans le fauteuil, devisait avec Fatma. Malik, lui, s’occupait dans un coin avec Leïla et les deux jumeaux. Voyant son père entrer, Fatma se leva pour l’accueillir.

- Tu es enfin prêt papa ! Nous allons être en retard chez les Caradras.

Onatti le regarda avec surprise.

- Vous allez chez le marquis ? Tu ne me l’avais pas dit…

- Ah oui… répondit évasivement Pizzi. J’avais oublié de t’en parler. C’est que Angelina ne m’a invitée qu’hier.

Fatma s’approcha des enfants et annonça à Malik qu’ils allaient partir. Il sembla que la petite Leïla préférait rester avec les jumeaux.

- Je suis bien content qu’ils s’entendent, ceux-là, lança Pizzi.

- Ça ne doit pas être drôle pour eux d’être tout le temps enfermé ! réagit Fatma.

Pizzi se tut face au regard froid d’Onatti. Malik était en train de saluer Francesca. Elle le suivit des yeux alors qu’il sortit de la maison avec sa mère et son grand-père.

A peine la porte fut refermé qu’elle se leva pour parler à Onatti.

- Je te remercie de les avoir invités à dormir ici en attendant qu’ils trouvent un logement… Tu n’étais pas obligé, sais-tu.

Onatti s’était rendu dans la cuisine. Il lavait deux grands plats en cuivre.

- Cette Fatma me semble charmante. Et ça change d’avoir du monde ici.

Francesca lui sourit docilement :

- Je dois dire que je m’étais presque habitué au silence et à la tranquillité de cette maison. Et tel changement si radical…

Onatti se retourna brusquement et la fixa :

- Ça ne te plait pas ?

Il n’y avait rien d’agressif dans son ton, mais il restait malgré tout abrupt et nerveux.

- Non, non, c’est… c’est une bonne idée. »

Elle retourna dans le salon, où jouaient les jumeaux et Leïla.

*

Les premiers pans du toit de tuiles de la demeure des Caradras se dessinait déjà derrière la dune. L’entrée principale était masquée par des rangées d’oyats touffus. Ce manoir ancien – sans doute la plus ancienne bâtisse de la ville avec la capitainerie – était situé au sommet d’une des falaises qui surplombaient Gilliano, et faisait fièrement face à l’océan. On pouvait y accéder par un petit sentier qui grimpait à travers de larges fougères arborescentes, et là première chose que l’on voyait du manoir Caradras était la girouette en forme de caravelle qui dominait les faîtes des toits. Elle tournait parfois, lorsque le vent venu du sud la poussait, et elle produisait alors un étrange grincement régulier qui se répercutait dans toute la baie, et que l’écho des falaises amplifiait. Mais ce jour-là, alors que la famille Pizzi escaladait la pente abrupte, la girouette était immobile, et sa silhouette noire donnait l’impression qu’un bateau était en train de naviguer dans le ciel.

Pizzi, malgré son âge élevé, parvint le premier au sommet. Il faisait face à la grande grille qui marquait l’entrée de la propriété, et où était une fois de plus reproduit le motif de la caravelle, avec l’inscription Caradras qui ouvrait ses bras lorsque la grille se déployait. Angelina les attendait, fières maîtresse de maison, sur le seuil de la grille, vêtue d’une simple robe de chambre blanche, portant dans sa main une inutile ombrelle. Mais cette décontraction n’était qu’apparente, car son visage et sa coiffure montraient un maquillage étudié, ses cheveux blonds descendant en cascade sur ses épaules d’après une courbe bien précise, avec une dissymétrie parfaitement orchestrée. Elle souriait, évidemment, dévoilant des dents blanches et papillotait joyeusement des yeux. Lorsque toute la famille Pizzi fut arrivé au sommet, elle s’approcha du commandant, et lui tendit la main, qu’il baisa cordialement :

« - Bienvenu, commandant, ravie de vous recevoir dans mon humble demeure !

- C’est moi qui suis ravi, chère demoiselle.

Puis, il releva la tête pour présenter sa famille.

- Angelina, voici ma fille Fatma, et son fils, Malik.

La fille du marquis fit un petit signe de tête à chacun des deux, et se retourna :

- Allez venez, nous vous attendons.

Les trois invités la suivirent docilement dans la grande allée de sable sur laquelle les pas légers d’Angelina s’imprimaient à peine. Malik regardait les merveilles du château. Un immense parc sauvage les entouraient, comme une enclave apprivoisée de la vaste jungle, avec ses palmiers, ses orchidées et ses papayers. Il y avait même une certaine harmonie dans ce jardin : les plantes ne dépassaient pas l’allée, comme si elles s’étaient laissées dompter et s’étaient pliées aux contraintes de la villa. Si l’on regardait plus loin, on ne pouvait pas voir la fin de ce parc, et l’on se demandait s’il ne se perdait pas dans la véritable jungle, et si ce n’était pas plutôt la villa qui se trouvait être une enclave de civilisation au cœur du danger.

Le manoir en lui même donnait une réelle impression de grandeur. A la fois par sa largeur, ses deux ailes richement décorée de statues et sa hauteur, deux étages avec un immense balcon soutenue par une rangée de caryatides en terre couleur sable. Chacune d’elle formait comme une arche de pierre circulaire, comme un bulbe évasé. Le motif de l’arche était reproduit à l’infini contre les murs, replissant de profondeurs chacune des fenêtres qui se trouvaient tout au centre. De chaque côté des deux ailes, une tour, encerclant l’ensemble, au toit conique – c’était là, sur l’aile est que se trouvait la girouette – comme un donjon. Le toit, bien que relativement plat, en pente douce, paraissait soulever l’ensemble en direction du ciel. La vigne vierge aux teintes rougeâtres, tirant parfois sur le bordeaux grimpait le long des murs ocres, et envahissait même le sommet de la tour ouest. Angelina ouvrit la baie vitrée qui donnait sur le hall et fit entrer ses invités.

Ils parcoururent encore plusieurs couloirs, tous décorées soit de tapisseries, soit de bustes, soit de portraits illustres. Pizzi reconnut un des comtes les plus célèbres de la Tilée. Il y avait aussi beaucoup d’armes, mais également des objets marins. Comme lui, le marquis devait être un nostalgique de la mer. Ce qui ressortait de ces couloirs ornés était tout de même une belle abondance d’or et de pierres précieuses. Malik, qui ne disait mot, semblait émerveillé par les objets qui l’entouraient.

Ils accédèrent à un grand salon qui donnait par de très larges arches sur une grande cour intérieure, visiblement indépendante du grand jardin. Le soleil pénétrait entre les arches et chauffait la pièce, alors que les murs de pierre et le toit faisant office de voûte, avec de nombreuses arches là encore, rafraîchissait un peu l’ambiance. Angelina se dirigea vers une petite malle, et demanda :

« - Que voulez-vous boire, les amis ? Mon père va bientôt nous rejoindre.

Elle sourit de façon espiègle à Pizzi qui lui lança un clin d’œil :

- Je ne sais pas… Vous m’aviez parlé de ce vin, de Tilée…

Malik s’était assis à sa table après avoir regardé les plantes qui arrivaient presque au niveau de la cour de sable. Les pierres ocres de la villa se fondait admirablement dans le décor, et la soleil teintait le tout d’une couleur tamisée. Le balcon se terminait par une tonnelle en pierre fine où grimpait des fougères. Les plantes, visiblement, faisait respirer la maison.

- Le vin… Oui. Mais c’est plutôt commun, répondit Angelina avec une moue boudeuse. Je crois que j’ai mieux pour nos invités.

Elle se pencha, la tête la première dans la malle, et chercha un moment le buste penchée au milieu des alcools dont l’odeur – le bois de la caisse en était sans doute imbibé – parvenait aux narines de Pizzi. Fatma, elle aussi, était bien silencieuse. Elle replaçait sans cesse sa longue robe en voile le long du tabouret de pierre et scrutait les armes disposées le long des murs.

Soudain, Angelina sortit sa tête de la malle, une bouteille à la main. Elle vint s’asseoir aux côtés de Pizzi et posa la bouteille sur la table.

- Qu’est-ce donc ? demanda Pizzi en regardant la bouteille qui ressemblait à un vin blanc.

- Un vin estalien ! Un cadeau précieux d’un ami de mon père ! »

Le regard de Pizzi, en connaisseur, fit le tour de la bouteille. Il se saisit de la bouteille et commença à servir dans les petits verres qu’avait sortis Angelina.

On entendit alors des pas dans le couloir qui menait à la villa. Malik se retourna. Il vit apparaître le marquis, dans une magnifique tenue de soldat vert olive. Il retira son chapeau pour saluer :

« - Bien le bonjour, tout le monde. Il semble que ma fille ait des invités.

- Oui papa. Pizzi m’a présenté à son fils, Malik et sa fille… Je…

- Fatma, corrigea Pizzi.

- Enchanté.

Le marquis fit un baisemain à l’arabienne et serra vigoureusement la main des deux hommes.

- Je vais me joindre à vous, alors, ajouta-t-il. »

Il s’assit à côté de Fatma, qui dut repousser un peu le voile de sa robe.

« - Racontez-moi encore une de vos aventures maritimes, commandant ! lança Angelina, ses yeux pétillant sous l’effet du vin qu’elle venait d’avaler.

- J’en ai beaucoup, vous le savez… s’amusa-t-il, et avec mon grand âge, j’oublie ceux que j’ai pu vous raconter !

- Peu importe ! Je pourrais les écouter cent fois, mille fois !

Elle se mit à rire comme une petite fille, penchant sa tête en arrière et dévoilant ainsi un pan de son décolleté.

- Je pourrais vous parler des évènements qui m’ont conduits à connaître la mère de Fatma.

Il jeta un petit regard vers sa fille qui souriait.

- Allez-y ! trépigna Angelina

- Je devais avoir… Une trentaine d’années sans doute. A l’époque, le commerce entre l’Arabie et la Tilée était florissant. Depuis, c’est malheureux, mais des tensions militaires ont perturbé les échanges. Même si je serais bien surpris qu’aucun marchand tiléen n’aille encore en Arabie. Bref. C’était une mission de routine, transporter du vin de Remas jusqu’à El-Amra. Le salaire aussi été bien modique, mais il fallait bien vivre.

« Le voyage jusqu’à El-Amra s’était bien passé, l’équipage – peu nombreux – était solide et le capitaine talentueux. Mais comme le dit l’adage, rien n’est plus vulnérable qu’un bateau à quai ! Et une fois que l’équipage s’était dispersé dans les tavernes de la ville, et que j’étais resté seul avec le capitaine sur le bord, nous avons entendu du bruit à la cale. Ce ne pouvait pas être les commerçants arabiens, ils arrivaient le soir. Nous sommes descendus et avons surpris quatre voleurs en train de récupérer les bouteilles contenant le vin ! Ni une ni deux, nous avons sortis les armes ! C’était un sacré combat dans cette cale bouillante, nous avions l’impression d’étouffer sous l’effet du manque d’air, et nos chemises étaient aussi trempées que si nous nous étions jetés à l’eau ! Mais le capitaine et moi avions déjà de sacrés rudiments de combat. Alors quand le dernier encore debout s’est enfui, le capitaine m’a envoyé le pister pour leur donner une leçon.

« J’ai ainsi parcouru toutes les rues d’El-Amra, en long, en large et en travers. Nous sommes arrivés dans une espèce de bar qui puait je ne sais quel alcool trop sucré et poisseux. Je suis entré. Dès le début, j’ai senti que tout me regardait. Mais là, d’un œil précis, j’ai pu voir le maudit qui s’enfuyait par une porte dérobée. J’ai sprinté à travers la salle, malgré les cris des clients et les coups du barman qui essayait de me retenir, baragouinant dans sa langue incompréhensible des insultes sûrement désobligeantes. Mais lorsque j’arrivais dans une grand cour, brûlante là encore, mes pieds me faisaient mal malgré les chausses à cause du sable chaud qui s’insinuait à l’intérieur. Il tenait de grimper à une échelle. Je l’ai tiré de toute mes forces par sa djellaba, et il est retombé lourdement sur le sol.

« A cet instant, beaucoup de client et même le barman, que je reconnus sans peine à cause du bleu qu’il avait sur la joue après le coup que j’avais du lui donner en me débattant, ont surgi dans la cour. J’ai brandi mon sabre d’un air menaçant. Je ne sais plus vraiment ce que j’ai dit, et ils n’ont d’ailleurs pas du comprendre. Mais tous se sont poussés pour que je sorte avec mon prisonnier sous le bras. Il s’est retrouvé en prison, et nous avons reçu une jolie somme car il était visiblement recherché. Ça a au moins remboursé les bouteilles cassées lors de la bagarre dans la cale !

Pizzi se tut en but une gorgée.

- Et la mère de Fatma ? fit Angelina en riant.

Pizzi réfléchit un instant, avant d’ajouter :

- Ah oui, j’oubliais ! Après que nous l’ayons emmenés à la police, Une femme est venue me remercier, parce que cet homme la violait et la terrorisait, elle m’a pris pour un véritable héros ! La suite… Vous l’a connaissez !

- Charmant ! fit Angelina. Et vous racontez si bien !

La jeune demoiselle se tourna vers Malik et lui lança :

- Et vous, beau jeune homme, vous devez avoir des histoires à raconter ! J’adore les histoires ! Des histoires orientales, sans doute…

Elle s’était penchée en avant, fixant son regard sur celui de Malik qui restait silencieux sans trop comprendre. Angelina lui souriait de son sourire d'ange, ses cheveux un peu bataille formait une mèche mignonne sur son front, et ses mains ornées de bijoux effleurèrent celles de l’arabien. Pizzi expliqua soudain :

- Il ne comprend pas encore bien notre langue, malheureusement.

Angelina se retira, un peu déçue.

- Tant pis, lança-t-elle. »

Mais elle continuait de le regarder, plus malicieusement cette fois, et par un autre langage que celui des mots.

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Invité Mr Petch

Zoupla, deuxième arrivage de la journée

Le soleil chauffait fort dans la véranda pavée, et malgré l’abondance de végétation, la chaleur imposait sa dure loi de milieu d’après-midi. Le vin estalien, fruité et rafraîchissant ne suffisait pas non plus à calmer l’ardeur des rayons. Pizzi continuait de raconter ses histoires, avec la même verve qu’à son habitude, même si la proximité d’une « jungle » artificielle le mettait un peu mal à l’aise. Le marquis ajoutait parfois ses propres anecdotes pour pimenter les récits passionnants du vieux marin qu’Angelina suivait avec passion. Fatma et Malik écoutaient eux aussi, Pizzi leur adressant la parole en arabien pour donner des précisions. La fille du marquis, quant à elle, adressait parfois à Malik des regards ou des sourires bien singuliers, que l’arabien recevait avec prudence. La marquis avait retiré sa chaude veste et était en chemise, un verre de son propre alcool à la main. Soudain, entendant un bruit de clochette dans la maison, il annonça :

« - Je crois que ma femme est rentrée, je vais l’accueillir… Je vous dis au revoir, donc !

Il salua de son chapeau. Sa fille feignit de l’ignorer en regardant ailleurs. Avant même que son père ne soit sorti, elle lança joyeusement :

- Ne trouvez-vous pas qu’il fait chaud ? Si nous allions nous promener sous les arbres, ça pourrait être fort agréable !

- C’est une excellente idée, ma chère Angelina, répondit Pizzi. Il doit faire plus frais dans le jardin.

- Alors allons-y !

Elle se leva brusquement. Pizzi fit de même, ainsi que sa fille et son petit-fils. Alors Angelina, en quelques enjambées, saisit le bras de ce dernier et le carra sous le sien.

- Madame, messieurs, permettez-moi de vous guider ! »

Elle sortit de la véranda et pénétra dans la cour, toujours accompagnée par Malik qui n’avait pas osé se détacher de son emprise. Il fut pris d’un relent violent de chaleur, juste sous les rayons du soleil, puis ils pénétrèrent sous les arbres, bien plus frais.

Pizzi observait la végétation. Cela ressemblait réellement à celle de la jungle, avec peut-être en moins cette ambiance de danger permanent. On ne craignait pas à chaque instant de voir surgir un jaguar des fourrés, ou l’on ne prenait pas le sifflement inoffensif de cette couleuvre des marais pour celui d’une vipère mortelle, ou d’un varan mangeur d’hommes. Il n’y avait pas non plus cette chape de chaleur étouffante, non, au contraire, la jungle était une rassurante couverture face aux rayons du soleil, et Angelina s’amusait parfois à prendre un fruit pendant d’un arbre et à le croquer à belle dent, puis à le donner de force à Malik qui le reniflait suspicieusement avant de le mordre. Le liquide qui s’écoulait des palmes n’était qu’une simple rosée pure de fin d’après-midi et le parfum des fleurs ne montait pas à la tête, comme celui de certaines espèces odoriférantes. Ce n’était somme toute qu’un simple jardin d’agrément, même si l’abondance de plantes laissait croire à une immense jungle, malgré la rigole de pierre en pente où s’écoulait un filet d’eau limpide issu d’une petite fontaine centrale. Elle formait là comme une clairière dallée avec un banc sur lequel Angelina s’assit.

« - C’est très agréable, n’est-ce pas ? affirma-t-elle.

- Oui, agréable, fit Pizzi.

Il ne paraissait en réalité pas si sûr de lui. Quelque chose, sans doute, le perturbait dans cette jungle artificielle. Angelina continua :

- C’est un de nos ancêtres qui a bâti ce grand jardin. Car vous l’ignoriez peut-être, mais ces terres ont toujours appartenu à la famille, qui était une des premières à débarquer ici. Mon père n’a fait que faire fructifier son héritage, en profitant de ce petit terrain. Il en a fait un endroit magnifique… Vous êtes d’accord, madame…

- Fatma, répondit cette dernière. Oui, c’est vraiment beau. Et si frais.

- N’est-ce pas ! lança Angelina, assise sur le banc aux côtés de Malik.

Elle ajouta ensuite d’une voix languide :

- Je suis un peu fatiguée de marcher mais… Que cela ne vous empêche pas de continuer ! Mon père a fait installe récemment de très beaux magnolias dans cette allée-ci.

Elle désigna du doigt un des sentiers, puis laissa chuter sa tête sur l’épaule de Malik, prenant un air fatigué. Il allait se lever pour suivre ses parents, lorsque Angelina jouta :

- Vous n’allez pas me laisser seul…

Bien qu’il ne comprenait pas le tiléen, le regard suffit à Malik pour saisir le message. Il se rassit et attendit. La jeune fille commença à parler :

- On m’a dit que vous alliez vous installer ici, est-ce vrai ?

Malik la regarda. Il avait vaguement compris et répondit par un hochement de tête.

- Vous allez voir, Gilliano est une ville magnifique. Elle est administrée avec talent par mon père !

Malik fit cette fois une moue plus intriguée. Angelina déclara alors tout en riant :

- J’oubliais, vous ne comprenez pas encore le tiléen ! Mais ce n’est pas grave…

Elle laissa son regard aller dans le vague, la tête toujours appuyée contre l’épaule de Malik. Autour d’eux, quelques oiseaux discutaient sur une branche, et le silence étudié fut traversé par le léger clapotement du filet d’eau de la fontaine, qui se répartissait en quatre rigoles successives. Angelina posa ses mains contre le bras de Malik. Celui-ci commença peu à peu à s’éloigner. Mais Angelina insista en carrant complètement ses épaules contre le buste de l’arabien.

- Vous n’allez pas refusez le repos d’une pauvre jeune femme… »

Elle lui sourit affectueusement, appuyant son regard doux d’une moue presque sensuelle. Elle avait un petit visage à la fois mutin et volontaire, comme les statues de marbres aux fins drapés que l’on croit légers et fragiles, alors qu’ils ne sont que pierre solide et froide. Il y avait un peu de cela dans la silhouette d’Angelina assise sur le banc, dans sa robe blanche descendant jusqu’au cheville, qui laissait apparaître des pieds nus crispés contre le sol. Et ses cheveux n’avaient-ils pas la couleur du blé, lumineux mais cassant ?

Le ruissellement de l’eau se fit plus présent encore, tant le silence était pesant pour Malik qui essayait de prendre ses distances. Les voix de Pizzi et Fatma lui parvinrent à l’oreille. Il tourna la tête et se leva, déséquilibrant Angelina qui ne s’y attendait pas. Elle poussa un petit cri. Pizzi et Fatma arrivèrent et le commandant lui demanda, la voyant titubant sur le banc :

« - Il y a un problème, chère Angelina ?

Elle se remit d’aplomb rapidement, et reprit une voix cristalline :

- Non, aucun, la chaleur sans doute…

Elle se leva, non sans jeter un regard noir à Malik qui baissa les yeux. Elle partit devant cette fois et ajouta :

- Je… Je ne voudrais pas vous prendre plus de temps, mes amis… Et je dois aider mon père pour ses travaux. Si ça ne vous ennuie pas, je vais vous raccompagner jusqu’à la grille.

- Il n’y a pas de problème, au contraire, nous ne voulons pas nous imposer ! précisa courtoisement Pizzi.

- Alors suivez-moi. Et je vais même vous faire don de ce qu’il reste de la bouteille de vin estalien ! »

*

Le marquis de Caradras, du haut de sa fenêtre, regardait sa fille reconduire les invités. Il la vit papillonner autour d’eux, et pouvait imaginer sa voix chantante déclamant des paroles apprises par cœur. Il déboutonna un peu sa chemise à cause de la chaleur toujours plus tyrannique, et caressa sa moustache. Il vit Angelina saluer une dernière fois Pizzi, Fatma et Malik, agitant sa main dans l’air.

Une porte se referma doucement derrière lui. Se retournant, il aperçut sa femme, droite et sévère sur le seuil de la porte. Elle le toisa de haut, élevant un peu son cou, puis fit claquer son éventail d’un seul coup. Son visage ovale s’abaissa un peu, et elle lança non sans malice :

« - Ta fille a fini son cirque ?

Le marquis se détacha de la fenêtre et s’avança un peu, les bras derrière le dos. Il connaissait les excès de voix de sa femme, et prit un ton doux pour lui répondre :

- Tu sais bien que je n’aime pas trop que tu parles d’elle de cette manière. Et c’est aussi ta fille.

- Ça fait plusieurs années que je ne considère plus ça comme ma fille.

Le marquis fronça les sourcils. Pour éviter les éclaboussures, il fallait laisser la cascade s’écouler lentement, ne pas interrompre son cours surtout.

- Ce Pizzi ! On dirait qu’il la considère comme une déesse vivante auquel il faut rendre culte. Mademoiselle Angelina, ma très chère (elle imitait la moue ridée de Pizzi). Ridicule. Et puis quel besoin d’inviter ces étrangers chez nous… On ne les connaît même pas…

Profitant d’un temps mort, le marquis ajouta :

- Ils sont nouveaux, il faut bien faire preuve d’un certain sens de… l’hospitalité…

- Parce tu crois que ta fille fais ça pour être « hospitalière » ? Non, et tu le sais aussi bien que moi. Elle va séduire ce pauvre bougre qui n’a rien demandé à personne et qui serais resté dans son pays s’il avait su les ennuis qu’il allait avoir ici.

La marquise se leva et se rapprocha de son mari, ajoutant sèchement :

- Ce n’est pas la première fois, et tu le sais bien, alors cesse de la protéger, et parle-lui sérieusement une bonne fois pour toute ! Moi, ce n’est pas la peine, tu le sais bien…

Elle déplia de nouveau son éventail pour se rafraîchir. Le marquis répondit toujours aussi calmement :

- Elle est jeune, il faut bien qu’elle vive sa vie. Elle aura assez de temps plus tard pour faire face aux difficultés.

La marquise eut un sourire mesquin :

- Evidemment, toi aussi tu es à ses genoux. Toi aussi, elle te fait la cour ! Et si tu n’étais pas son père, tu aimerais bien la…

Le marquis saisit brusquement le poignet de sa femme et le serra. Elle lâcha son éventail et poussa un petit cri aigu.

- Arrête veux-tu ! murmura-t-il. Arrête, tu deviens complètement folle !

Dignement, la marquise retira son poignet et se détourna pour sortir de la pièce. Sans se retourner, elle termina :

- Elle t’attirera des ennuis plus tard, tu verras que j’avais raison. Tu verras. »

Elle claqua la porte derrière elle.

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je ne maniai
Les premiers pans du toit de tuiles de la demeure des Caradras se dessinait
Angelina les attendait, fières maîtresse de maison
plusieurs couloirs, tous décorées
à la police

Les quatres premières sont des fautes et la dernière, c'est que le mot police me parrait un peu "intrus" au milieu du texte ! Mais sinon, c'est bien, j'ai pas vu de fautes :lol: Y en a moins dans le deuxieme texte ! D'ailleurs ralenti un peu l'allure, je vais avoir du mal à suivre :wink:

Pour le fond, on s'interesse plus a la fille. On la voit à l'oeuvre, on le voit paniquer et on apprend les pensées des parents ! Ca met tout un reseau de probleme et de suite possible que tu peux exploiter !

Allez, suite !

@+

-= Inxi =-

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  • 2 semaines après...
Invité Mr Petch

*

« Je vais me renseigner auprès du marquis pour vous trouver un logement, ne vous inquiétez pas ! »

Le commandant Pizzi saluait sa famille qui attendait sur le seuil de la maison d’Onatti. Fatma tenait à la main un valise en toile, tandis que Malik transportait un gros sac par-dessus son épaule. La petite Leïla, elle, se tenait sagement derrière sa mère et attendait. C’était une journée agréablement chaude, même si l’on sentait la saison caniculaire arriver à grands pas, annoncée par le réveil du vent du sud, et les champs de maïs en bordure de la ville qui se desséchaient, ne laissant que des grappes jaunes au milieu de longues feuilles flétries. Aujourd’hui donc, la famille de Pizzi s’installait pour une durée indéterminée chez Onatti, dans la chambre du troisième étage dont il se servait comme grenier depuis son arrivée. Il avait passé tous les jours précédents à l’aménager, à y monter les couvertures et les draps, à retirer la poussière accumulée et à aérer par les grandes fenêtres donnant sur la jungle. Il y avait donc dans la petite villa une agitation qui ne déplaisait pas à Francesca, qui se réjouissait d’aider Onatti dans les tâches de ménage, sachant qu’elle allait bientôt bénéficier de la compagnie de nouvelles personnes. Cette chambre prenait pour elle de nouvelles colorations, celles chatoyantes et reluisantes de la nouveauté, et lorsqu’elle astiquait au chiffon le rebord des fenêtres, elle attendait que la lumière du soleil se réverbère sur le bois laqué avant d’arrêter de frotter. De même, les rideaux qu’elle suspendait derrière les fenêtres, récemment achetés chez Luigi Pozzo – qui, en raison de problème financier, s’était résigné à rester – donnait un aspect neuf aux vieux murs en bois et aux poutres apparentes qui traversaient les charpentes. Elle les avait camouflés en y appliquant un mastic blanc, pour les faire ressembler aux piliers qui soutenaient certains balcons de la ville. Lorsque Malik venait leur rendre visite à l’occasion, elle lui interdisait d’entrer dans la nouvelle chambre, pour lui laisser la surprise. Comme une enfant enthousiasmé par l’attrait de la nouveauté, elle préparait le théâtre de sa nouvelle maison de poupée. Elle fit même monter une chaise aux bras en cuirs et fit acheter par Onatti une petite table rouge servant d’écritoire. Ainsi, lorsque les invités arrivèrent enfin, tout était prêt et Francesca leur fit faire le tour du propriétaire.

« - Voilà votre chambre. Les draps et les rideaux sont neufs ! Je les ai choisis rouge pour vous rappeler vos contrées – Francesca se faisait l’image d’une Arabie oscillant entre le rouge et le orange, avec de longues tentures écarlates qui filtraient la lumière et des odeurs d'encens à chaque rue, des merveilleux palais décorés de symboles rubiconds, couleurs synonymes, dans son esprit et d’après certains livres illustrés d’Onatti, de délices insensés. J’espère que cela vous plaira, ajouta-t-elle.

- Oui, bien entendu, fit humblement Fatma. C’est très aimable de votre part, tout ce que vous faites.

Onatti se tenait en retrait, sur le seuil de la porte, portant le bagage de l’arabienne. Les deux jumeaux, empreints de curiosité se trouvaient derrière lui, à peine cachés par la rambarde de l’escalier. Toutefois, personne, à l’exception de Leïla qui répondait à leurs grimaces par des hochements de tête, ne semblait les avoir remarqués.

- Si vous avez besoin de quoi que ce soit, appelez-moi, fit enfin Francesca en souriant.

Malik se tourna vers elle et, souriant à pleines dents, épela distinctement :

- Merci beaucoup, mademoiselle !

- Mais… vous parlez notre langue…

- J’apprends avec grand-père, répondit-il simplement. »

Francesca souleva une de ses mèches noires qui formaient comme une frange, laissant apparaître son regard. Puis, avec un dernier salut, sortit de la pièce.

« - Tu as vu, fit-elle à Onatti une fois sur le pas de la porte close, ils se plaisent dans leur chambre !

- Tu deviens une vraie maîtresse de maison, dis-moi ! lança-t-il ironiquement.

Avec un sourire provocant, elle répondit :

- Après tout, depuis que le temps que j’y vis, cette maison, c’est un peu la mienne.

Onatti sourit, comme s’il adhérait à cette remarque, non sans une certaine retenue. Changeant de sujet, il annonça :

- Je prépare du poisson pour ce soir, et je coure en acheter au marché. Nous pourrons nous retrouver pour le dîner. En attendant occupe toi bien d’eux !

- Tu devrais emmener Fatma, lui faire visiter un peu la ville…

Il y avait de l’espièglerie dans son ton de jeune fille.

- Et te laisser seule avec Malik ?

- Pas seule, il y aura Leïla… et les jumeaux.

Surgissant soudain comme si leur nom les avaient fait apparaître, arrivèrent Pietro suivit par un timide Federico un peu plus loin.

- Vous voilà, vous… ça vous dirait de passer l’après-midi avec la petite Leïla.

Pietro partit dans un grand « oui », la bouche bien ouverte, accompagné d’un hochement de tête. Francesca se tourna vers Onatti.

- Tu vois, ils sont tout à fait d’accord avec moi ! »

Onatti se résigna devant la figure réjouie de Pietro. Il remonta les escaliers pendant que Francesca raccompagnait les jumeaux.

L’air chaud de la journée rassura le vieil Onatti. A ses côtés, Fatma, drapée dans une large robe arabienne observait les balcons colorés des maisons de Gilliano, alors qu’ils descendaient la rue menant à la grande place, là où se tenait comme tous les jours le marché. Onatti s’était revêtu de son pourpoint rouge de fête, à l’encolure dorée, et de ses larges bottes à anneaux, qu’il ne mettait que dans les grandes occasions. Il jetait parfois des sourires à Fatma en saluant tel ou tel voisin sur son chemin. « Voici Carola, son mari, un noble et talentueux cordonnier, est mort peu de temps après leur arrivée à Gilliano. Et depuis, elle reprend avec brio son commerce » « Mais voilà les Gellini ! Une des plus anciennes familles de la ville, ce sont leurs ancêtres qui ont bâti la légende des colons de Gilliano ! » « Ah… Les volets de la chambre de Luigi Pozzo le drapier sont encore fermés. Il va une fois de plus être en retard au marché ! ».

Il était enjoué et joyeux, peut-être la première fois depuis son arrivée à Gilliano, depuis la mort tragique de sa femme. Et ce n’était pas, comme à son habitude, un sourire feint cachant ses peines. Non, il paraissait étonnamment sincère, symbole d’un deuil en cours d’accomplissement. Fatma qui ne le connaissait que comme ça s’en réjouissait elle aussi, d’avoir un guide aussi chaleureux. Elle riait avec lui de ses plaisanteries.

« - Vous savez, annonça-t-il alors qu’ils voyaient les premières tentures colorées du marché, Gilliano est vraiment une ville agréable, je ne regrette pas de m’y être installé. C’est un véritable paradis pour un vieux marin comme moi. Pensez ! L’océan à perte de vue, la liberté, le passé qui s’étend jusqu’à l’horizon pour vous rappeler sa présence bienveillante ! Et le charme de ces petites rues sinueuses, de ses balcons ornés de draperies multicolores qui rappellent avec efficacité la belle Tilée et ses teintes chatoyantes - mais il est vrai, chère Fatma que vous ne connaissez pas tout cela autrement qu’en rêve !. Et regardez là les visages des habitants, tous heureux de leur condition. N’est-ce pas un paradis que ce lieu ?

- Est-ce un paradis parce que cela vous rappelle le passé ?

Onatti ne dépara pas de son air joyeux, il tâta un melon avec son index sur l’étal d’un commerçant.

- Peut-être oui…

Il fixa Fatma et ajouta :

- Vous vous demandez pourquoi je vis comme ça toujours dans le souvenir du passé ? Et pourtant j’ai Francesca qui aurait du me changer, me forcer à voir les fruits du présent.

Fatma se taisait. Elle se laissait guider par Onatti dans les allées bruyantes du marché. Bruyantes et odoriférantes, des senteurs fruitières, d’autres plus aigres de vins, des relents acides de fleurs. Tout cela embaumant l’espace large de la place principale. On ne voyait plus les maisons, ni l’océan, plongé au cœur de cette mer de couleurs et d’odeurs.

- Vous avez sans doute raison. Mais étrangement, je n’ai pas encore trouvé chez Francesca ce qui… Ce qui pourrait me faire changer. Qui est-elle pour moi ? Trop jeune pour être ma femme. Et elle n’a rien de ma fille. Je ne sais pas vraiment ce qu’il faudrait pour que je change, et que j’oublie…

- Et la jungle ?

- Quoi la jungle ?

Onatti regarda Fatma, surpris. Il s’arrêta au niveau de l’étal du poissonnier. Puis s’en détourna.

- Qu’est-ce que c’est pour vous la jungle. Vous ne pouvez pas la nier, elle s’amène jusqu’à votre balcon.

- La jungle ? Ici à Gilliano, nous en avons une bien étrange conception. Elle agit comme une haute muraille infranchissable. Nous ne savons pas ce qu’il y a derrière, et elle nous protège de ses propres dangers. Mais on la craint, ne l’oubliez pas. Chez nous en Tilée, nous avons l’habitude de jouer un rôle. De paraître heureux et serein malgré les événements. Alors cette jungle, nous vivons avec et nous paraissons heureux. Faudrait-il que nous vivions sans cesse en la craignant ? Elle nous nourrit, nous l’évitons. La nature et les hommes n’ont jamais fait bon ménage. Ce sont deux mondes à part.

- Pourquoi dites-vous que vous ne savez pas ce qu’il y a derrière ?

- Alors que je le sais… Hé oui. Elle aussi est mon passé. Ici, je suis entouré par mon passé. Je la crains peut-être plus que chacun ici. »

Ils marchèrent encore un moment entre les étalages et ne parlèrent plus ni de l’océan ni de la jungle. Onatti lui montrait les produits en vente, il la présentait à ses nombreux amis commerçants. Comme si rien ne devait venir assombrir cette journée ensoleillée.

*

Federico courait dans le grand couloir de la villa. Ses yeux furetaient un peu partout, il se penchait pour observer sous un meuble ou soulevait une tenture poussiéreuse puis toussait. Il avait toujours ces yeux étrangement inquiets, plus encore aujourd’hui. Il arriva devant les grands escaliers. Jamais il ne les avait descendus seuls, dans l’aide de personne, et rien que de voir l’impressionnante perspective, le précipice qui se dessinait du palier jusqu’au rez-de-chaussée, il sentait ses jambes trembler et se soustraire à sa volonté. Il recula un peu pour souffler et s’appuya contre le pied d’un vieux bahut estalien. Le meuble large arborait des dessins fantasmagoriques, dragons gigantesques, serpent de mer dévorant les bateaux, éclat de tempête sur les quais ou soldats aux armures apocalyptiques. Federico détacha vite son regard de ses effrayants dessins. Et une fois de plus, il risque un regard dans l’escalier.

S’étaient-ils cachés là ? Il savait son frère capable de descendre ces marches, il en avait l’audace. Mais la petite Leïla ? C’était Pietro qui avait proposé la partie de cache-cache, et il savait qu’en se rendant au rez-de-chaussée, son frère ne pourrait pas le suivre. C’était un défi à relever, oui ! Il se concentra et ferma les yeux pour oublier la profondeur des marches. Il transigea longtemps sur le palier, immobile comme une petite statue de cire, mais son esprit fut soudainement attiré par autre chose. Des voix. Des voix chuchotant derrière lui. Une petite voix aiguë. Leïla peut-être. Profitant de cet événement impromptu, il oublia les marches et se retourna pour traverser le couloir dans l’autre sens.

Les voix venaient de la chambre de Francesca, dont la porte était légèrement entrouverte. Il n’arrivait pas à saisir le sens des paroles, il était encore trop loin. Et il y avait une autre voix plus grave, celle d’un homme. Ce ne devait donc pas être Leïla. Pourquoi, dès lors, prendre un risque pour ce qui ne faisait pas parti du jeu. Il regard l’escalier au loin. De là où il était, il n’en voyait pas la fin. Un leurre. Et le meuble aux visions cauchemardesques qui lui barrait à présent le passage. Allez, juste une fois, pousser la porte et laisser la curiosité frémir sous son manteau.

Prenant son courage à deux mains, il poussa la porte. Les voix se firent plus distinctes. C’était Francesca bien sûr, et Malik, le frère de Leïla. Il continua son exploration, se retournant tout de même pour voir si personne ne le regardait. Il put pénétrer en silence dans la chambre d’où provenaient les voix.

« - Je suis si heureuse d’avoir trouvée quelqu’un comme toi…

Federico sursauta. Devant lui, Francesca serrait entre ses bras Malik, qui caressait son dos d’une bien étrange façon. Elle avait dans les yeux un pétillement qu’il ne lui avait jamais vu. Que signifiait ceci ? Malik répondit tout doucement, pesant chacun de ses mots :

- Moi aussi Francesca.

- Cela fait presque quatre ans que je n’avais plus serrée dans mes bras un homme… Je…

Elle eut une voix un peu sanglotante, Federico sur le seuil ne comprenait plus rien. Retenant ses larmes, elle dit enfin :

- Ferme la porte. Si les enfants nous entendent… »

Aussitôt, Federico s’éclipsa, les yeux encore remplis de cette étrange scène qu’il ne comprenait pas. Mais bien vite, il l’oublia pour se mettre en quête de Leïla et Pietro.

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Magnifique !

Je pourrais tout résumer comme ca ! Tu sais, quand j'ai attaqué ce nouveau passage, j'ai bien évidemment du me rappeller de ce qui s'était passé avant ... Généralement, j'y arrive plus ou moins vite en fonction de la qualité de l'histoire. Mais la, tu m'es revenu naturelement ! Donc preuve en est, ton histoire est prenante !

Bon pas de fautes repérées pour la forme, une bonne rigueur de ce côté. C'est peut etre pénible à relire à chaque fois mais j'espere que tu le fais :evilgrin:

Côté forme, c'est juste des remarques sur l'histoire. Tu introduis par les yeux de l'enfant la relation entre Francesca et Malik. Ton histoire se croise et s'entre croise et pour l'instant, tu le gères bien ! J'espere juste que ce sera pareil pour la suite !

Bonne chance et suite !

@+

-= Inxi =-

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Invité Mr Petch

J'ai un soupçon sur cet extrait... certains choses me paraissent peu vraissemblables... :D Qu'en pensez-vous?

*

C’était une nuit chaude et noire, pleine de néant, comme il y en avait souvent à Gilliano. Sur les quais aux briques brûlantes, on entendait la plainte de l’océan, celle des navires échoués et enfouies à jamais dans les eaux boueuses de la baie, qui venaient y mourir par le caprice des courants. Les pêcheurs recueillaient parfois dans leurs nasses de biens étranges trésors, parfois des pièces flottant entre deux eaux, parfois des gréements entortillés qu’ils prenaient d’abord pour des murènes, ou même des bottes, des couvre-chefs, des insignes, des livres de bord en lambeaux ou des tonnelets de vin servant de refuge à quelques anguilles, surnageant entre alcool et eau croupie. La loi était assez vague à ce sujet : les trésors revenaient à celui qui les avait trouvé. La légende parlait d’un pêcheur pauvre des bas quartiers qui, à l’air faveur d’une pêche miraculeuse, était devenu un des plus influents notables de la ville. la baie de Gilliano était comme l’estuaire du fleuve Danger, et les plus faibles ne parvenaient pas à la franchir. Les plus faibles ou les plus infortunés.

Cette nuit-là, donc, l’océan parlait au port, comme si l’obscurité favorisait les dialogues nocturnes, alors que la forêt, elle somnolait dans son lit de verdure. A cause de la violente chaleur qui accablait la cité, les rues étaient vides et les volets fermés, pour ne pas laisser entrer l’air brûlant. Seule une lumière singulière perçait la nuit. Les vitres de la capitainerie laissaient passer un flot de lumière, qui s’éteignait pourtant aussitôt sorti. Quelqu’un, derrière cette porte attendait, bien loin d’écouter le dialogue de l’océan et du port.

Pizzi tournait en rond entre les quatre murs de son bureau. Anxieux, nerveux, il ne cessait pas de se lever de son siège, de marcher en travers de la pièce puis de se rasseoir. Parfois, il cherchait sur son bureau des vieux papiers, en sortait une grande carte qu’il étendait de tout son long sur le sol. Et là, à quatre pattes, tenant à la main un compas et une règle, il calculait en marmonnant entre ses dents quelque incompréhensible dialogue avec lui-même. Enfin, il consultait des grilles accrochées au mur, regardait vers le ciel pour mieux réfléchir et reprenait ses étranges murmures.

« Oui… C’est cela, il devrait bien être là… Mais… C’est incroyable ! »

En de plus rares occasions, il accourait à la fenêtre, longeait les quais du regard et revenait à sa carte.

« Bigre, bigre… Pourvu que… »

Cherchant parmi ses outils, il manqua de renverser la bougie qui l’éclairait, dont la flamme vacilla doucement. Il rétablit le bougeoir de sa main et le plaça en hauteur, puis revint s’accroupir sur la carte qui représentait le grand océan, celui qui séparait Gilliano de sa Tilée natale. De vieilles cartes de navigation établies depuis un ou deux siècles par les premiers explorateurs, durant l’âge d’or, mais des cartes tellement incomplètes qu’elles portaient des biffures et des corrections sur toute leur surface, qu’elles étaient jaunies et que les contours du continent n’étaient pas très nets. Pourtant, elles étaient d’un grand secours aux marins qui devaient affronter les flots.

Ne pouvant plus s’éterniser au milieu de ses vieux bateaux, le commandant se décida à sortir. Il ouvrit la porte et s’élança sur le quai. La nuit l’absorba, il n’était qu’une petite tache dans l’obscurité, à peine visible et immobile. Il ne voyait pas à cent mètres devant lui. Lentement, il s’éloigna de la porte, il voulait être en position pour pouvoir observer l’extrémité est de la baie, là où les signaux du grand phare luisaient, une flamme immortelle emprisonnée dans du cristal, qui se répercutait par un habile jeu de miroirs loin dans l’océan. De là où il se trouvait, c’était la seule lumière qu’il pouvait voir.

Ses yeux s’habituèrent peu à peu. Il découvrit, se détachant du décor, le rocher du serpent et son allure reptilienne. Il le contempla avec dévotion mais retourna vite à ses affaires. Là, du phare, devait arriver quelqu’un. Impatient comme un enfant, il se mit à arpenter les quais, comme si en prenant de l’avance, le temps allait passer plus vite. Pizzi crut entendre un petit cri, mais si étouffé, si lointain, qu’il ne s’arrêta même pas pour scruter l’océan. Ce n’était pour lui que les bribes poussiéreuses d’un théâtre incompréhensible.

Plus il s’éloignait de la capitainerie, plus il s’enfonçait dans le noir, et il regretta bien vite de ne pas avoir pris de bougie avec lui. Il ne pouvait pas trop avancer plus en avant, et ne pouvait pas perdre de vue la faible lumière de son bureau – non qu’il craignait une embuscade nocturne, ou des marins ivres et querelleurs, mais c’était bien la nuit et le noir qui l’effrayait, et rien d’autre.

Tout au coup surgit des profondeurs du néant une petite lumière qui bougeait étrangement, sursautant de haut en bas. Il trépigna et s’arrêta à mi-chemin. La lumière se rapprocha à grande vitesse, grossissant à vue d’œil. Pizzi recula un peu pour retourner à sa capitainerie. Très vite, la lumière le rattrapa en même temps que le cavalier qui la portait, enfermé dans une lanterne. Le cheval suait à grosses gouttes, il paraissait épuisé, sa crinière était collante, et lorsque Pizzi le tira par la bride pour l’amener à l’abreuvoir, il se rua sur l’eau tiède qu’on lui proposait. C’était un grand cheval noir. Il y en avait très peu à Gilliano, ils avaient été amenés par certains riches bourgeois propriétaire de haras en Tilée. Mais malheureusement, ces bêtes s’habituaient mal au climat tropical de Gilliano, et seul les plus résistants survivaient, et donnaient ainsi naissance à une génération de chevaux solides et endurants à la chaleur et à l’humidité.

Le cavalier sauta sur le sol. Il portait une cape fine et un simple gilet, et lui aussi transpirait. Pizzi remarqua des gouttes qui coulaient depuis son front. C’était Bernardo de Caradras, qui dominait malgré sa petite taille la silhouette de Pizzi, tapi contre la porte.

« - Alors, du nouveau ? demanda ce dernier impatiemment.

- Je vous dirais ça à l’intérieur.

Le commandant ouvrit la porte et la referma aussitôt. Le cheval lapait avec force dans la bassine d’eau. Une fois la porte refermée, la silence se fit dans le petit bureau.

Bernardo retira sa cape, et déboutonna son gilet, tout en précisant :

- Excusez-moi, mais il fait horriblement chaud, cette nuit est intenable !

Puis il sortit de sa manche un rouleau de parchemin, ainsi que plusieurs outils, dont un petit sextant qu’il déposa sur la table encombré. Il évita de marcher sur la grande carte. Pizzi ajouta en le voyant faire:

- J’ai calculé les itinéraires possibles, et en fonction du vent. Si le capitaine de La Sperenza nous a dit vrai, La Sainte Dame aurait dû arriver avant la tombée de la nuit.

- J’ai du nouveau, commandant.

- L’as-tu vu ?

Bernardo chercha une chaise des yeux, et Pizzi lui présenta aussitôt un vieux fauteuil en osier. Le jeune homme portait déjà une grande crinière, ses cheveux longs tombaient sur ses épaules. Il avait un visage frais et une peau encore vierge. Bien que petit, il était très vigoureux, et son gilet déboutonné laissait percer des muscles sous le tissu. A sa ceinture se trouvait un petit sabre, comme celui que l’on donne aux mousses sur les bateaux pour qu’ils participent à d’éventuels combats. C’était un cadeau de Pizzi, et le jeune garçon y tenait beaucoup. Fougueux et volontaire, ses yeux d’un bleu profond contenait cette nuit-là une pointe d’inquiétude. Il déroula le parchemin sur la table et commença son discours :

- Je l’ai guetté. Pendant longtemps, comme vous le voyez. J’ai fait des signaux avec le phare comme vous m’avez dit, en bougeant les miroirs. Mes mains étaient rongées de cloques et saignaient presque ! Et puis j’ai fini par voir des lumières, loin, très loin dans l’obscurité. J’étais resté tellement de temps à guetter que je ne savais pas bien si c’était mes sens qui me trompaient, ou bien s’il s’agissait d’un bateau. Je me disais que ce n’était qu’une nouvelle étoile qui venait d’apparaître dans le ciel. Et puis je me suis repris, les étoiles n’apparaissent pas comme ça et surtout elles ne clignent pas. J’ai suivit vos indications à la lettre. J’ai tourné les miroirs, j’ai interrompu le faisceau avec le grille, et il s’est passé ce que vous m’aviez dit : là-bas, dans ce que je pensais être le ciel – hé ! je ne voyais plus la ligne d’horizon, alors comment savoir – on m’a répondu. Deux longs, un bref, comme vous m’aviez dit. Alors j’ai su que c’était bien eux face à moi. Ils ont commencé à émettre de nouvelles lumières. C’était si loin, et ça s’éloignait de plus en plus – je crois bien qu’il y avait du courant, en tout cas, les vagues faisaient comme une rumeur sur l’eau – que je n’ai pas bien su si je captais tout sur la fin. Mais c’était magnifique ! Un vrai ballet d’étoiles ! Me dire qu’il y avait un être humain, là, dans cette immensité, ça m’a… Vous comprenez ?

Pizzi acquiesça, et moulina sa main pour accélérer la verve du jeune garçon :

- Bref… J’ai bien tout noté, jusqu’à ce que la lumière disparaissent définitivement, ou en tout cas, ce n’était pas assez net pour que je puisse savoir si ce n’était pas un simple reflet de l’eau. J’ai enfourché mon cheval et je suis parti aussitôt vous prévenir. J’ai tout inscrit là, sur une feuille.

Pizzi étudia la feuille écrite en pattes de mouche, il lança à Bernardo :

- Lis-moi.

- Alors… Il s’agit bien de La Sainte Dame, et ils ont essayés de m’indiquer leur position, là.

Il posa son doigt sur quelques signes étranges que le commandant décoda, avant de s’écrier :

- C’est bien ce que je pensais… Ils dérivent vers l’est, ils doivent avoir un problème.

Il râla et continua :

- C’est le capitaine de La Sperenza qui m’avait indiqué ce bateau. Eux sont arrivés hier matin, ils avaient croisés un esquif bretonnien. Les bretonniens… Ils ne savent pas naviguer ! Ils doivent avoir comme capitaine un vulgaire paysan qui n’a jamais vu la mer de sa vie ! Quoique… Ils connaissent les signaux maritimes, c’est déjà ça. En tout cas, ils ont pris le mauvais couloirs, et maintenant, qui sait où ils se trouvent !

- Ils m’ont indiqué autre chose avant de s’évanouir. Je n’ai pas très bien compris, mais je crois qu’ils parlaient de montagnes, et qu’ils allaient accoster.

- Montagne ?

Pizzi réfléchit un moment. Puis, il s’accroupit de nouveau contre sa carte, et traîna son doigt le long de la côte.

- Je crois savoir, oui, il doit s’agir de l’île du flambeau. C’est une grande montagne, un volcan en réalité. Il est calme heureusement, et à côté se trouve une petite plage.

- Ils vont pouvoir s’arrêter là-bas alors ! fit Bernardo en souriant.

- On peut dire ça comme ça. Avec un peu de chance, ils vont parvenir à la crique, poser leur petit navire sur le sable. Mais à mon avis, ils devraient plutôt continuer de dériver. Ils sont plus en sécurité en mer que sur terre.

- Pourquoi ?

- A cause des récifs, d’abord, qui entourent cette crypte. Comme les gardiens de pierre d’une porte vers la jungle. Et puis une fois sur la plage… Personne ne peut savoir ce qui peut leur arriver, on dit qu’à cet endroit, la jungle lèche l’océan. Et qui dit jungle dit danger.

- Alors que proposez-vous ?

- Je ne sais pas trop, il faut que j’y réfléchisse. La nuit va être longue, Bernardo. »

Pizzi toussa un peu et replia sa carte. Il la posa sur le bureau. Le jeune homme restait immobile dans son fauteuil. Le commandant le regarda un instant, puis lança :

- File me chercher Onatti. Beppo Onatti. Je mettrais ma main à couper qu’il ne dort pas. D’ailleurs qui pourrait dormir, il fait bien trop chaud ? »

Bernardo reboutonna sa chemise et sortit vivement de la capitainerie. Pizzi le regarda partir. Lui aussi avait les cheveux à cet âge-là. Il avait du se les faire couper pour être engagé dans son premier bateau. Il écarta de son esprit ces souvenirs. Ce n’était pas vraiment le moment.

Pizzi attendait derrière son bureau lorsque Onatti entra dans la capitainerie, suivi de Bernardo. Le jeune garçon alla se cacher dans un coin alors que Beppo prenait place dans le fauteuil d’osier. Il avait en effet l’air parfaitement réveillé, et portait une ample chemise blanche. Le seul détail inhabituel était qu’il ne portait pas de chapeau, et que ce manque laissait apparaître une légère calvitie.

« - Que se passe-t-il Pizzi ?

- En fait, c’est un peu particulier, et j’aurais besoin de ton aide. Au plus vite.

Le commandant sortit une chique d’un tiroir et commença à la mâcher. Onatti s’étonna de la nervosité qui n’était pas d’ordinaire le caractère principal de son ami.

- Je ne t’ai pas réveillé au moins ?

- Non, je lisais. J’ai juste craint pour mes invités, mais il semble que personne d’ait entendu Bernardo arriver. Ton adjoint est bien discret.

Pizzi sourit. Bernardo, qui regardait derrière eux les peintures de bateaux qu’il connaissait par cœur fit semblant de n’avoir rien entendu.

- Alors voilà, c’est très simple… commença Pizzi. Il y a un navire, La Sainte Dame. Un navire bretonnien.

- Bretonnien ?

- Oui, bretonnien. De ceux qu’on voit une fois tous les dix ans. Le capitaine de La Sperenza l’a croisé en mer, bardé de reliques et de coupes en or, si tu vois ce que je veux dire.

- Des sortes de pèlerins ?

- On peut dire ça, oui. Bon. Logiquement, ils auraient du arriver dans la journée d’aujourd’hui, mais rien. Alors j’ai envoyé Bernardo guetter au phare. Et il y a peu de temps, il les a aperçus qui dérivaient vers l’est.

- Des bretonniens… Pas étonnant qu’ils se soient perdus.

- Mais apparemment, ils vont vers l’île du flambeau.

Onatti grinça des dents. Il connaissait cette île, pour l’avoir approché à plusieurs reprises. L’odeur de souffre qui en émanait n’invitait pas à rester dans les parages. Et heureusement, car il y avait là des récifs tranchants que l’on disait être les dents de la mâchoire d’un dragon géant sommeillant sous la mer, et dont le volcan serait la gueule brûlante.

- Ils sont perdus, donc.

- Certes. Mais le problème vient de cette lettre.

Pizzi se baissa. Il fouilla dans son tiroir et sortit une missive, qu’il décrivit rapidement. Elle portait un sceau royal, celui d’un lion rugissant.

- C’est un duc, je ne sais plus trop son nom, qui l’a écrite. Il me l’a fait parvenir il y a plusieurs mois. Elle annonce la venue de La Sainte Dame, un navire transportant des pèlerins, et une importante relique ! Celle d’un héros sanctifié qui a demandé à être enterré sur la terre de Lustrie. Je sais, ça paraît étrange, mais cet individu doit être influent pour que le duc lui-même lui délègue un navire de pèlerin pour allait l’enterrer. Toujours est-il qu’il me semblerait… judicieux… d’aller voir ce qu’est devenu ce bateau.

- Mais il est perdu, tu l’as dit toi-même.

- Ce n’est pas le bateau qui m’inquiète, c’est la relique. Et l’équipage bien sûr.

- Tu voudrais qu’on aille sauver ces hommes.

- Oui. Ce sont des marins, et nous avons un devoir envers eux.

- Je comprends oui. Mais que faire ?

Pizzi garda le silence. Onatti fit de même. Bernardo qui avait suivi toute la conversation, lança :

- Je pourrais aller voir ! Avec mon cheval, ça irait vite !

Pizzi rétorqua :

- C’est trop dangereux ! Il y a une journée à pied. Je ne veux pas que tu y ailles seul.

Onatti murmura vaguement :

- Je pourrais demander à Malik de l’accompagner.

- Malik ? Il n’est pas assez expérimenté lui non plus !

- Alors qui ? On trouverait des hommes qui accepteraient de quitter Gilliano pour aller sauver quelques pèlerins ?

- Je ne sais pas. En tout cas, il faut faire vite. Mais pourquoi me proposes-tu mon petit-fils ?

- Je… Comme ça. Il m’a parut… courageux.

- Il l’est, sans nul doute. Demande-lui, et s’il accepte… »

Le silence s’imposa de nouveau.

Modifié par Mr Petch
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Invité Kouran
Deux courts, un bref, comme vous m’aviez dit.

Pizzi zyeuta la feuille écrite en pattes de mouche, il lança à

"Deux courts, un bref", on ne voit pas bien la différence qu'il y a entre court et bref.

Aussi: "Pizzi zyeuta".

C'est les deux seul qui m'on marqué.

Sinon pour le reste j'aime toujours autant, tous s'enchaîne bien.

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Invité Mr Petch

Le silence s’imposa de nouveau, et cela jusqu’à ce que, sans dire un mot, Onatti se lève de sa chaise et sorte de la capitainerie. Bernardo regarda Pizzi furtivement. Le commandant ajouta simplement :

- J’espère que nous pourrons sauver ces pauvres hommes. »

Onatti arriva chez lui en fermant doucement la porte. La maison était silencieuse, et tout était noir à l’étage. Il monta l’escalier, puis traversa le couloir pour accéder au second étage. Les marches en bois grinçaient toujours. Il s’arrêta en voyant une lumière légère filtrer sous la porte du grenier. Par sureté, il toqua à la porte.

« - Qui est-ce ? lui répondit la voix calme de Fatma.

- C’est Beppo. Je viens voir Malik.

La porte s’ouvrit. Fatma accueillit Onatti et le fit entrer. Il constata alors qu’elle avait placé une bougie comme une veilleuse sur une chaise, et que dans un coin dormaient non seulement Leïla, mais aussi les jumeaux, serrés dans une couverture. Mais de Malik, aucune trace.

- Où est-il ? demanda brusquement Onatti à Fatma qui s’asseyait sur son lit.

- Il… Il est avec Francesca.

Fatma fixa Onatti droit dans les yeux pour capter son regard. Elle put y lire une intense colère, et un bouillonnement inhabituel. Il était comme paralysé et elle tenta de canaliser sa fureur.

- Calme-toi, Beppo. Ils ne font rien de mal. Et ils sont jeunes.

Le capitaine ne répondit rien, il avança de quelques pas maladroits avant de s’accroupir, se passant la main sur son visage figée. Fatma s’assit en tailleur, à même le sol, face à lui pour lui parler.

- Tu ne dois pas leur en vouloir, Beppo. Il n’y aucune raison.

Il releva la tête. L’arabienne put voir que ses yeux étaient comme gonflés, et rougis.

- Je sais que je ne peux pas leur en vouloir, et c’est peut-être ça le pire.

Fatma caressa son crâne chauve par endroit. Il restait silencieux, la tête entre ses mains, et elle restait simplement à ses côtés en répétant :

- Tu ne dois pas leur en vouloir.

Elle ajouta soudainement :

- Mon père m’a raconté comment tu l’avais recueillie, avec ses enfants. Elle est comme une fille pour toi, n’est-ce pas ?

La tête d’Onatti resta baissée alors qu’il parlait, sa voix était grave et monocorde, comme s’il récitait des paroles apprises par cœur, c’était une voix sans âme, mécanique et froide :

- Mon fils. Mon seul fils. Il est mort à la guerre, à dix-neuf ans, en combattant contre une principauté voisine de Remas, en Tilée, dans notre pays. C’est à la suite de cette perte que ma femme et moi avions décidé de partir de Tilée. Ce n’était plus supportable là-bas, de rester dans cette grande maison. Chaque objet, chaque pièce, chaque fenêtre, toutes les plantes de jardin et jusqu’aux tuiles du toit, tout nous rappelait Paolo dans notre villa de Remas. Surtout ma femme, qui ne pouvait pas rester seule à la maison. Et lorsque je devais partir en mer, même si je n’acceptais que les missions les plus courtes et les moins dangereuses, elle dormait chez une amie, à l’autre bout de la ville. C’était une bien belle villa pourtant, mais je sentais bien que me femme n’était plus capable d’y habiter. D’où mon idée de partir ici, à Gilliano, si loin de tout.

« Je me souviens encore de l’amiral Castiglione, qui me proposa – me supplia – cette dernière mission. Veiller sur son fils. Il semblerait que je n’ai pas été à la hauteur. Mais j’ai bien profité de cette escale à Gilliano, car pendant que le jeune Giacomo Castiglione écumait les bars de la ville, je me renseignais pour acheter un terrain, ou une villa. C’est pour fuir le passé que je suis venu ici. Mais il y a eu Francesca.

Il sanglota un peu avant d’ajouter :

- Elle aurait fait une fille si parfaite…

Fatma avait écouté le petit discours d’Onatti avec attention. Il s’affaissa encore jusqu’à enfouir sa tête contre ses genoux. Puis subitement la releva.

- Bon. Je dois parler à Malik.

Il se leva. Fatma fit de même en le retenant par la manche.

- Vous ne préférez pas… attendre ?

- C’est urgent, très urgent, il y a des vies humaines en jeu. »

Sans lui laisser le temps de répondre, il sortit. Elle regarda les couvertures où dormaient les trois enfants. Elle crut un instant voir l’œil de Federico, aux aguets, mais il se referma aussi sec.

Onatti frappa trois coups brusques à la porte de Francesca. N’obtenant pas de réponse, il enchaîna avec trois autres coups tout aussi violents. Il entendit alors la petite vois de sa protégée derrière la porte : « - « Attendez, j’arrive… »

La porte s’entrouvrit, et Francesca apparut dans l’ouverture étroite. Elle sursauta en apercevant Onatti. Elle imita un visage fatigué et déclara :

« - Que fais-tu là ? En plein milieu de la nuit ? Je dormais !

- Je sais que tu es avec Malik. Et peu importe d’ailleurs, c’est lui que je viens voir.

Francesca resta interdite un long moment, ne sachant pas quoi dire. Ses cheveux étaient désordonnés, et son regard un peu vague. Mais Onatti resta intransigeant.

- Alors ? Je peux entrer.

Sans rien dire, Francesca ouvrit complètement la porte. Il faisait noir dans cette chambre, Onatti se saisit d’une bougie pour éclairer la pièce. Il écarta Francesca, résignée, du chemin et se dirigea vers le lit.

Il vit sur une chaise la grande toge de Malik. Prenant un air sévère, il fixa le jeune homme, allongé dans les draps, le torse nu, qui le regardait sans rien dire.

- Désolé de vous déranger dans un moment aussi crucial, commença-t-il ironiquement, mais j’ai besoin de toi Malik. Ton grand-père te confie une mission.

- Grand-père ?

- Oui. Un navire s’est échoué sur une baie, à une journée de marche d’ici, et il faut que tu ailles voir s’il y a des survivants.

Il avait dit ça sèchement. Malik ne comprit pas tout de suite et Onatti dut répéter, non sans un certain énervement dans la voix.

- C’est… urgent… demanda le jeune arabien.

- Il faut que tu sois prêt demain matin pour le départ, donc il faut que tu sois en forme…

La bougie éclairait simplement le visage d’Onatti, laissant Malik dans l’ombre. Soudain, Francesca, qui se tenait pour l’instant silencieuse dans un coin et qui avait du écouter la conversation, fit irruption entre eux deux, et lança à Onatti :

- Je ne comprends pas… Il ne peut pas partir faire une expédition à lui tout seul !

Elle avait joint les mains, comme pour supplier Beppo. Lui gardait la bougie en hauteur, afin que Francesca aussi restât dans l’ombre. Toutefois, il se contenta de balbutier en réponse :

- Il… Non, il ne sera pas seul…

- Alors qui ? insista Francesca, les mains tremblantes.

- Ça n’a pas encore été décidé.

- Dans ce cas, rien ne presse !

Onatti se tut. Il devait admettre les arguments de Francesca, et, contraint, il chercha une chaise pour s’asseoir. Jetant la toge de Malik sur le lit – celui-ci la saisit alors pour se rhabiller, se cachant dans l’ombre près de la fenêtre hors du faisceau de la bougie – il baissa son regard vers Francesca. Il reprit d’une voix plus douce.

- Je crois que le jeune Bernardo de Caradras a annoncé vouloir y aller. Mais le plus important est qu’il faut faire vite, il faut partir dès demain, car ces hommes sont en danger.

- Pourquoi Malik ?

- Il est jeune, fort et vigoureux. Et il n’est pas comme les bourgeois de Gilliano, il n’a pas encore peur de la jungle.

- S’il part, je viens avec lui. Je ne veux pas qu’il lui arrive malheur.

Onatti la regarda. La jeune femme avait l’air si sûre d’elle, alors qu’en réalité, elle n’avait fait que dire la première chose qui lui venait à l’esprit. Elle ajouta d’une voix qui se voulait forte :

- Et je n’ai pas peur de la jungle, moi non plus !

Onatti se leva et posa la bougie sur la chaise. Une fois debout, il précisa :

- De toute manière, vous ne passerez pas par la jungle, il vaut mieux longer les falaises pour accéder à cette crique.

- Alors c’est d’accord ? s’écria Francesca.

- Je viens avec vous. Nous serons donc quatre. Il ne faut pas prévenir d’autres personnes, je ne vois pas que… que l’on puisse te…

Il ne finit pas sa phrase, mais Francesca la comprit très bien. Il lança ensuite dans l’ombre :

- Malik, file prévenir ton grand-père, dis-lui de préparer un attelage avec tout le matériel nécessaire. Nous partirons demain à la première heure du jour. Fatma saura bien s’occuper des enfants. Va donc la prévenir, elle aussi, Francesca.

- D’accord Beppo. »

Onatti eut un sourire indulgent en voyant sortir Malik et Francesca, chacun de leur côté. Il souffla la bougie et resta immobile dans l’obscurité.

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Salut...

J'ai continué la lecture de ton récit, mais vu la vitesse à laquelle tu postes, ça va reporter exponentiellement le moment de ma critique.

Du reste, elle sera bien pauvre, tant je suis pris dans les intrigues et l'histoire.

Malgré tout, je pense qu'elle pourra s'avérer un tant soit peu constructive.

Sur ce, Impe, qui adore...

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Moi ca va aller vite :D

J'ai pas trop de remarques. J'ai pas vu d'incohérence frappante ! L'histoire continue et s'intensifie avec ce navire perdu ce qui permet de faire agir des personnages ! Ben c'est du tout bon !

Pas de fautes visibles, les descriptions sont parfaites, j'arrive pas a trouver defauts ! Il est vraiment bien, c'est tout ! Allez, je veux la suite ! Et qu'on reparle de la fille et Malik ! Pour compliquer tout ca :D !

@+

-= Inxi =-

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Invité Mr Petch

*

Le lendemain, peu de temps après que le soleil se soit levé, on vit arriver à la villa d’Onatti, dans la pénombre relative des rues sinueuses Pizzi conduisant une carriole portée par un cheval. Les roues grinçaient à chaque passage et l’animal s’ébrouait parfois bruyamment, mais la cité restait endormie. Lorsqu’il sonna à la porte d’Onatti, ce dernier ne fut pas long à lui ouvrir.

« - Voilà une carriole. Il y a tout ce qu’il vous faut dedans. Des vivres pour la journée, des couvertures pour la nuit, des cartes, des instruments de mesure, de l’eau potable et quelques onguents médicaux. Je dois avoir mis une ou deux armes à feu et des sabres, également. On ne sait jamais. Bref, tu verras tout cela en temps voulu.

- Très bien, Pizzi. Je te remercie. Nous allons pouvoir partir.

Il se retourna avant d’ajouter :

- Mais d’abord, déplie donc un des couvertures et étend la sur la carriole.

- Pourquoi ?

- Tu vas voir.

Onatti s’écarta un peu de la porte et vérifia à droite et à gauche si personne ne les regardait. Satisfait, il fit un petit signe de la main. Alors sortit de la maison une petite silhouette fantomatique, enroulée dans un grand drap blanc dont il ne ressortait que quelques mèches noires. Malik arriva juste derrière pour la guider. On entendit Francesca murmurer :

- Beppo, crois-tu que cela est nécessaire ?

- Je ne veux pas prendre le risque que l’on puisse te voir ! Alors file dans cette couverture.

Francesca ne répondit rien et se hissa avec l’aide de Malik dans la carriole. Onatti, toujours aussi inquiet, continuait de regarder aux fenêtres de peur de croiser un regard matinal et indiscret. Mais rien ne se présentait, comme si tout Gilliano avait décidé de prolonger son sommeil ce matin. Le cheval rumina une fois, ce qui fit sursauter Onatti. Francesca et Malik se mirent à rire, suivit par Pizzi.

- Vous ne devriez pas prendre cette expédition à la légère, fit doctement Onatti. Nous prenons de grands risques !

Puis, se tournant vers Pizzi, il lui lança :

- Où est Bernardo ?

- Il nous attend à la capitainerie.

Fatma se présenta, et entre ses jupes se serraient les trois enfants.

- Je vous souhaite bonne chance !

- Rentre vite les enfants voyons ! s’écria Onatti. Attention !

Fatma éclata elle aussi de rire et répondit :

- Vous êtes bien trop nerveux Beppo ! Allons.

Il se reprit un peu et, voyant que tout le monde était prêt, en profita pour lancer :

- Allons-y. Il faut se presser. »

Il salua de la main Fatma en s’éloignant dans la rue.

Bernardo, fièrement monté sur son cheval, les vit arriver de loin. Il les attendit patiemment. Il portait une tenue très noble, on aurait dit un uniforme de soldat, surtout avec le sabre pendu à la ceinture. Sa monture lui donnait une allure martiale impressionnante pour un enfant de seize ans. Il ne souriait pas, la bouche tendue en une simple fente close.

« - Nous voilà Bernardo, fit Pizzi en arrivant.

- Nous allons pouvoir partir alors ?

- Oui, lui répondit le commandant. Mais surtout, surtout, prend bien soin de toi ! Je ne voudrais pas qu’il t’arrive malheur, je l’ai promis à tes parents !

- Mes parents ne s’intéressent guère à ce que je fais, alors peu importe. Partons plutôt.

- Laisse-moi souhaiter bonne chance à mes amis !

Pizzi serra Malik entre ses bras, et salua de la même façon son vieil ami Onatti.

- Allez, pas de bêtises les enfants, lança-t-il en signe d’adieu. »

Ils partirent par le chemin qui longeait les falaises. Bernardo juché sur son cheval à leur tête, Malik menant l’attelage et Onatti derrière, regardant une dernière fois si quelqu’un les observait.

Le temps était clément, et en longeant les hautes falaises qui surplombait l’océan, ils pouvaient voir la mer calme s’étendre au loin, soulevé par des infimes vaguelettes. Gilliano, coincée dans une des baies morcelant la côte disparaissait peu à peu à la vue, on n’apercevait plus que la villa des Caradras sur son promontoire, et le phare qui annonçait l’entrée de la baie. Onatti regardait souvent en arrière, mais aussi à sa droite, là où s’étendait la jungle. Elle se trouvait en contrebas par rapport à eux, mais donnait par la suite une perspective impressionnante, et ce jusqu’à une série de grande colline un peu plus dégarnies. Loin, très loin vers l’ouest, il y avait comme de très hautes montagnes enneigées, dont le sommet ressortait comme une dent au cœur de la forêt vierge, et faisait penser à une sorte d’épine dorsale, comme elle était étendue et pointue. C’était si étrange de se dire que si près de la mer pouvait se trouver de si hautes montagnes. Même si elles se trouvaient en réalité bien plus loin qu’elles le paraissaient, il y aurait toute la jungle et ses dangers à traverser avant d’y parvenir. Onatti observait tout cela avec un brin de mélancolie. Ses yeux furetaient parmi la mer d’arbres, comme s’il cherchait quelque chose. Puis, il revinrent se poser sur l’équipage.

Francesca était sortie de la carriole, à la grande surprise de Bernardo.

« - Mais ! Qui êtes-vous, mademoiselle ! s’était-il écrié en la voyant surgir des couvertures.

Il avait de suite voulu descendre de cheval pour l’aider à sortir mais Malik l’avait précédé. A la façon que l’arabien eut de serrer Francesca contre sa poitrine, et le court baiser qu’ils échangèrent par la suite, il comprit de suite la situation. C’était Onatti qui lui avait alors expliqué :

- Mon cher Bernardo, il va falloir te mettre au secret toi aussi. Francesca est une jeune femme que j’ai en quelque sorte adoptée, et qui vit chez moi depuis plus de trois ans. Je sais que cela peut paraître surprenant, mais telle est la vérité. »

Bernardo se contenta d’acquiescer. En réalité, il connaissait déjà l’histoire, comme presque tout le monde en ville. Une pauvre fille des bas quartiers qui avait du accoucher en catastrophe chez Onatti. Depuis, il le gardait cloîtré chez lui. Bernardo était moins surpris d’apprendre son existence que de la voir enfin en chair et en os, ce qu’il considérait d’ailleurs comme un honneur. Il l’observa un peu. C’est vrai qu’elle était belle, avec ses longs cheveux noirs et son joli visage. Et avec les habits qu’elle portait, nul ne pouvait se douter de ses misérables origines. Elle souriait, virevoltait tantôt autour de Malik – leurs regards trahissaient à n’en point douter un amour sincère – et tantôt autour d’Onatti. A regarder ses trois compagnons, souriant et riant, Bernardo en vint à se demander s’il était bien dans une expédition de sauvetage. Et comme la journée était radieuse aujourd’hui, qu’il ne faisait pas aussi chaud que les jours précédents, il était difficile d’imaginer qu’à quelques distances de là venait de s’échouer un navire, et qu’il y avait sans doute des morts – ou pire. Bernardo maudit un peu l’insouciance de cette journée, lui qui avait rêvé à de plus glorieuses aventures. Ce chemin paisible, où les seuls dangers étaient d’écraser sous son pied un lézard ou d’attraper une insolation, ne lui convenait pas vraiment. Il regardait la jungle avec envie, Pizzi lui en avait tant conté sur cette jungle… Il avait imaginé tant de versions différentes des récits qu’il lui racontait – et où bien souvent, les héros mourraient dévorés par d’immondes créatures reptiliennes. D’ici, cette jungle paraissait paisible et innocente. On en voyait parfois sortir des nuées de aras de toutes les couleurs, qui piaillaient dans le ciel, ou bien on apercevait, à une longue distance, quelques bruissements des feuilles, comme des vagues dans la canopée. La seule crainte qui apparaissait parfois étaient les longs cris des aigles, reconnaissables par leur tonalité grinçante et allongée, perçante et forte. Mais si lointaine que l’on ne voyait même pas l’animal, et on imaginait qu’il nichait bien loin dans les montagnes enneigées, alors la peur s’estompait, car le danger n’est effrayant que s’il est proche. Bernardo aurait aimé un peu plus de mouvements aujourd’hui. Pourquoi est-ce qu’une tempête ne se déclarait-elle pas, fracassant d’immenses lames contre les falaises ? Pourquoi cette jungle était-elle si tranquille ? Il se souvint alors d’une des paroles de Pizzi : « Plus la jungle te paraît chatoyante, animée de douce couleurs et de textures reluisantes, plus elle est à craindre. Car le danger est toujours là où on ne s’y attend pas. Comme certaines espèces d’araignée qui paralyse leur proie pour mieux les manger, la jungle endort tes frayeurs pour mieux te dévorer. ». Malgré cela, Bernardo n’était toujours pas persuadé.

« - Ainsi, tu souhaites devenir marin ?

Onatti s’était approché de Malik, profitant de ce que Francesca somnolait dans la carriole.

- Oui, monsieur.

- Tu peux m’appeler Beppo, voyons. Bon… Je suis fier de toi, c’est un noble but que tu poursuis.

Malik lui sourit. Il se disait pouvoir enfin gagner la confiance d’Onatti. Ce dernier continuait son discours :

- L’avenir appartient aux navigateurs, aux explorateurs ! Car il y a tant de choses à découvrir en ce monde que nous n’aurons pas assez de l’éternité ! Et nous marins, œuvrons pour lever le voile d’ignorance qui pèse sur le Vieux Monde. Tous, là-bas, pensent qu’il n’y a pas de salut à coloniser les terres du Nouveau Monde, ou même à en chercher d’autres. Ils se contentent de leurs mornes prairies, de leurs forêts froides et sèches ! Alors qu’ici, il y a tellement de richesses. On prend les aventuriers pour des fous, car pour le moment, nos moyens techniques ne sont pas assez aiguisés pour dompter la nature. Mais crois-moi, le moment viendra où tout cela nous appartiendra !

Il fit un large geste de la main, allant de l’océan jusqu’à la jungle.

- Et ce sera grâce à ceux comme toi qui ont encore la volonté d’explorer, de découvrir. Je suis fier de toi Malik, et que tu veuilles être marin !

- Je vous remercie…

- Car vois-tu, mon expérience en mer m’aura appris quelque chose : on ne peut avancer que si l’on va de l’avant, que si l’on explore de nouvelles pistes et qu’on laisse de côté le passé. Je crois, oui, que c’est ce que j’ai pu apprendre.

Il prit Malik par l’épaule, avec un peu de mal, car sa tête arrivait juste à l’omoplate de l’arabien. Et il ajouta enfin :

- Alors, quand comptes-tu partir en mer ? Car sais-tu, plus on commence tôt, mieux c’est !

- Je ne sais pas trop… Il me faut encore réfléchir. Je vais peut-être rester un peu à Gilliano encore.

- Méfie-toi, tout de même, le goût du large pourrait te quitter, et ta vie serait fichue ! Non, à mon avis, il vaut mieux que tu cherches dès notre retour à Gilliano un moyen de partir. Crois-moi. »

Malik était mal à l’aise, il s’éloigna d’Onatti pour aller conduite l’attelage. Le vieux capitaine resté seul en arrière pesta intérieurement. Il fit défiler dans son esprit les différents bateaux qui étaient à quai ces jours-ci. Une caravelle estalienne, mais qui allait bientôt partir. Une petite frégate tiléenne… Mais c’était une frégate de guerre, et il n’acceptait que des soldats. Et La Trinidad, le bateau qui avait amené Portazar et ses hommes, les derniers à s’être aventurés dans la jungle… Non, le bateau était reparti, avec le seule équipage resté à quai, et cela faisait quatre mois qu’on avait pas de nouvelles de l’expédition. Il y avait bien La Sperenza qui attendait des marchandises. Elle allait sans doute rester encore une bonne semaine…

A midi, ils firent une pause pour se nourrir. Les vivres sélectionnées par Pizzi étaient vraiment très nourrissantes. Ils avaient trouvés une zone en hauteur – la plus haute des falaises, sans doute – où se trouvait une grand totem de pierre démantelé, plaqué contre le sol. Bernardo s’en était servi de banc, ainsi qu’Onatti qui était essoufflé.

« - Vous n’auriez peut-être pas du venir, capitaine Onatti, lui fit Bernardo en mordant dans la cuisse de son poulet.

- Si, il fallait que je vienne mon garçon. Je suis le seul à connaître le chemin.

- Avec les cartes on se serait débrouillé…

Onatti grogna un peu. Il se servit d’un fruit frais et juteux.

- A votre avis, fit Bernardo. Y a-t-il des survivants ?

- Je ne sais guère… Les possibilités sont si nombreuses. Peut-être ont-il bivouaqués sur la plage et que nous allons les retrouve sain et sauf. Peut-être qu’ils sont partis vers le sud, en direction de Mejillon, la cité estalienne.

- Ou peut-être ce sont-ils fait dévorer par les monstres de la jungle ! ajouta Bernardo.

- Espère plutôt qu’ils soient en vie. Tu parles de mort avec une certaine négligence.

- C’est que je n’en ai pas peur, moi, monsieur Onatti ! »

Il frappa contre sa ceinture pour faire bouger son sabre. Onatti ne répondit rien. Il continua son repas en silence.

Lorsque tout le monde fut rassasié, et que les cheveux eurent finis leur ration d’avoine, Onatti relança l’expédition. Malik aida Francesca à se lever. Bernardo enfourcha son cheval et parti une nouvelle fois en tête. La jeune Francesca, assise dans la carriole lança alors :

« - Tu vois, Beppo, ce n’est pas si dangereux de sortir de Gilliano !

- Il est vrai que la route des falaises n’est pas réputé pour sa dangerosité. C’est celle qui conduit de Gilliano à Mejillon, et elle est souvent empruntée par les marchands. Mais ne sois pas trop insouciante, Francesca, je t’en prie.

- Avec toi, il y a peu de chances.

Elle se retourna vers la jungle. A l’orée de la selve, un grand cacatoès s’était posé sur l’herbe et picorait le sol. Il luisait, avec ses grandes plumes blanches et son aigrette jaune d’or au-dessus de sa tête.

- Regardez cela comme c’est joli ! lança Francesca tout en s’approchant de l’animal.

- Francesca ! cria Onatti. Ne quitte pas le sentier !

Francesca s’avançait doucement en direction de la jungle. Elle s’accroupit pour mieux regarder le perroquet qui caquetait dans son langage.

- Francesca !

Cette fois, Malik accourut pour venir la chercher. Le cacatoès s’envola en voyant l’homme courir vers lui et plongea dans la jungle.

- Allons, fit Onatti une fois que la jeune fille eut regagné le sentier. Nous n’avons plus beaucoup de chemin. Une fois là-bas, nous pourrons nous reposer. Mais en attendant, il ne faut pas traîner ! »

En effet, ils arrivèrent bientôt à la crique.

Modifié par Mr Petch
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Je ter remercie. Nous allons pouvoir partir.

Une faute de frappe

- Je ne sais pas trop… Il me faut encore réfléchir. Je vais peut-être rester un peu à Gilliano encore.

- Méfie-toi, tout de même, le goût du large pourrait te quitter, et ta vie serait fichue ! Non, à mon avis, il vaut mieux que tu cherches dès notre retour à Gilliano un moyen de partir. Crois-moi. »

Une retour à la ligne :D

quatre moi qu’on

Héhé :P

Bon, donc quelques détails à revoir sur la forme et tout est bon de ce côté ! On reconnait ton style, c'est indéniable :P

Sinon pas beaucoup de remarques, je vois pas ce que tu pourrais retoucher... J'arrive pas à voir un seul défaut donc suite !

@+

-= Inxi =-

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Invité Mr Petch

En effet, ils arrivèrent bientôt à la crique. La première chose qu’ils virent, et qui d’un seul coup leur glaça le sang, et atténua même l’enthousiasme enfantin de Francesca, ce fut l’île du flambeau. Par rapport au paysage idyllique qu’ils avaient pu constater jusque là, ce large volcan ressemblait à l’antichambre de l’enfer. Etait-ce à cause de sa cheminée en forme de long tuyau, comme le large goulet d’un four à pain ; était-ce sa largeur, qui avait bien l’étendue de toute la ville de Gilliano, et qui n’était que terre de cendres, soufre noirci, poussière de charbon grisâtre formant comme une collerette rocheuse autour du cou de ce géant, et les quelques rares buissons étaient si squelettiques, si échauffés et secs, qu’il ne pouvait symboliser que la mort et la résignation face à la brûlure du volcan ; était-ce encore l’extrémité du goulet qui luisait d’un feu presque surnaturel, on y voyait en effet un rayonnement rouge qui s’échappait comme de la fumée de la cheminée, parfois même on croyait distinguer des flammes jaunes s’échappant de la gueule du monstre, et par endroit, le sol s’était craquelé et laissait apparaître des fissures orangées et brillantes, sans doute comme la lave qui bouillonnait. Et encore, c’était alors plein jour, que devait-ce la nuit, alors que la seule lune ne pouvait pas parvenir à atténuer le toute puissance des lumières fantasques de l’île du flambeau ? Mais plus que tout cela, ce qui créait chez le spectateur une sensation de peur si intense, était la proximité du volcan avec la crique. On aurait pu y accéder facilement à la nage, si la folie y avait conduit. Il était si proche des terres qu’un marin mal avisé pouvait le prendre pour un phare, lorsque la nuit étouffait toutes les côtes. C’était un îlot entouré par une série de récifs, des rochers comme les dents pointues d’un jaguar, qui encadraient presque toute l’étendue de la crique, et qui s’élevaient comme autant de dangers pour les navigateurs attirés par les lumières fatales du volcan. Tout autour des rochers poussaient des réseaux d’algues brunes entremêlées qui ressemblaient à des coulures de sang sur la roche noire. Et derrière ces longs éperons sur lesquels des vagues, aujourd’hui tranquilles, venaient s’écraser, se trouvait la crique sableuse. Comme l’avait dit Pizzi, la jungle léchait les côtes à cet endroit. A l’exception de quelques dunes maintenues par des massifs d’oyats bas et espacés, des lambeaux de jungle parvenait presque jusqu’à l’eau, venant de la jungle située en hauteur et descendant sur le sable comme de longues bandes pointus en forme de triangle, qui faisait penser à celles que les eaux laissent parfois sur le sable après le passage d’une vague, qui sont comme des tissus déchirés par les méandres de la plage. Cette jungle posait incontestablement son empreinte sur cette crique par ses résidus de végétation. Souvent de simples buissons de plantes humides, parfois de plus grand arbres en fleurs qui s’élargissait par l’ombre que le soleil projetait de leur image sur le sable noir.

Oui, car ici, à quelques distances du volcan effrayant, gardien imposant sa présence – des exhalations de soufre parvenaient aux narines des aventuriers sur la falaise voisine, des explosions soudaines accompagnées de quelques nuages de poussière comme des détonations ou des canonnades, et bien entendu, la chaleur s’amplifiait largement à mesure que l’on avançait vers la crique, de telle manière que Bernardo finit par consentir à retirer son beau gilet qui lui donnait tant de prestance car le volcan tyrannique faisait ostensiblement monter la température – le sable était noir, noir comme les plumes des corneilles qui picorent les cadavres laissés au sol – Francesca avait ce genre de souvenir qui lui remonta inévitablement à l’esprit lorsqu’elle vit les récifs noirs, qui lui faisaient penser à ces oiseaux nécrophages qui attendent devant la porte des maisons de tuberculeux ou de cholériques – et il paraissait vide, ridé comme la peau d’un vieillard sur le point de mourir. C’était sans nul doute les traces des plus récentes coulées de lave qui devaient parfois sévir ici. Mais néanmoins, cette solution pragmatique n’atténuait en rien la frayeur de ce sable sombre. De nuit, on ne devait même pas voir la plage, juste la forêt et ses lambeaux qui alors, devaient sembler croquer la mer.

Bernardo était descendu de son cheval pour suivre le pas lent des ses trois compagnons. Ils avaient tous les yeux rivés sur le volcan, alors que la crique se dessinait petit à petit de l’autre côté de la falaise. Malik tenait entre ses bras Francesca, blottit contre son amant avec de petits yeux inquiets. Onatti conduisait l’attelage la bride à la main, et il sentait en tendant la corde une certaine nervosité du cheval qui soufflait parfois. Le capitaine vit que de nombreuses mouches lui volaient entre les oreilles et dans sa crinière, et qu’il essayait de les faire fuir, en vain, par des balancements de sa tête. Bernardo, lui, tenait bien sa monture en main, une fougueuse et jeune jument que ses parents lui avait offert pour ses seize ans. Il marchait à ses côtés et lui caressait le museau pour la calmer. Soudain, comme il marchait en avant, il fut le premier à s’écrier :

« Pizzi avait raison ! Le bateau ! Le bateau ! »

Onatti accourut au niveau de Bernardo, Malik s’avança à pas plus prudent. Francesca n’osait pas trop regarder devant elle mais suivit l’arabien. Elle distingua alors le spectacle que tous observait des hauteurs de la falaise.

Il y avait un premier pan du navire qui flottait piteusement sur l’eau, le grand foc, en lambeaux, était pris dans un des rochers et la proue du bateau cognait sans cesse à cause du remous contre la roche. Le bois devait être complètement détruit, mais il semblait résister, comme pour faire durer plus longtemps ce battement. La coque était éventrée, et de la cale étaient sortis de nombreuses marchandises qui flottaient à présent sur l’eau entre le rocher et la plage, stagnant dans l’eau calme.

L’autre moitié du bateau avait échoué en revanche, elle gisait sur le flanc contre le sable noire, elle aussi éventrée. Les deux mâts principaux étaient couchés au sol, et les voiles n’étaient plus que des filaments déchirés. L’intérieur était tourné vers la mer, et, comme un animal agonisant, la coque rongée par les insectes produisait de longs gémissements stridents, assez rares, mais tellement plaintifs. C’était le bois qui gondolait sous l’effet de la chaleur humide, comme si la silhouette du volcan avait corrompu toute cette plage. Le mât d’artimon, le seul survivant de ce carnage, se tenait encore debout à la poupe sur laquelle on pouvait lire le nom de bateau : La Sainte Dame. Il s’agissait bien du navire bretonnien qui avait été aperçu par La Sperenza, on voyait même les armoiries d’un duc. Coupé en deux de cette manière, le fier navire de bois n’était plus rien, pas plus que quelques planches sur du sable noir. L’une des voiles était prise dans la végétation si proche, et se déchirait dans les branches tranchantes.

Francesca observait ce cadavre avec incrédulité. Les vagues venaient ronger la partie qui flottait encore, maintenu par sa voile contre le récif. La cale était vide, détruite, des morceaux de bois flottaient et venaient s’échouer sur la plage, comme si le navire se décomposait petit à petit. Elle se serra de plus belle contre Malik qui lui caressa le crâne. Onatti cria alors :

« Nous allons descendre. D’ici, je ne vois pas d’hommes, mais sait-on jamais, ils ont pu se réfugier à l’intérieur de l’épave ! »

Et il conduisit l’attelage sur un petit sentier sinueux qui descendait jusqu’à la crique.

Il fallait sans cesse faire attention car le chemin était en pente, et la carriole menaçait de se retourner à chaque pas du cheval. Les marchandises tanguaient dangereusement de droite à gauche comme sur un bateau ivre. Bernardo, descendu de cheval, parvenait à trouver un passage adéquat et servait d’éclaireur à Onatti et l’attelage. Pendant tout le temps que dura cette descente, Francesca , qui se retenait à Malik chaque fois qu’elle croyait trébucher sur un rocher mal placé ou sur une racine surgie du sol, ne pouvait détacher son regard de l’épave sur le sable. Le courant continuait de déposer des langues d’océan qui se déposaient le long de la plage. Tout était si calme maintenant – à part peut-être le volcan qui grondait – alors que cette nuit, tout ici avait du ressembler à l’enfer. C’était cela qui l’effrayait : elle imaginait sans cesse les évènements de la veille, alors même qu’elle n’avait jamais vu de naufrage de sa vie autrement que par les récits d’Onatti. Cette épave lui parlait, elle entendait les cris des marins, les bourrasques de vent, les déchirures de la coque, les détonations du volcan. C’était déjà pour elle horrible d’imaginer, comme si son esprit s’attachait à lui faire peur par cette si belle journée. Si paisible. Et pourtant, pour Francesca, le cacatoès était bien loin maintenant, il s’était perdu dans la jungle.

Bernardo toucha le premier le sol charbonneux de la plage. Il enfourcha son cheval et lança à Onatti :

« - Je pars en éclaireur voir s’il y a des hommes. Mais à première vue, il n’y a rien. Aucune trace de feu de camp.

Onatti l’arrêta de la main.

- Non, Bernardo, nous n’allons pas commencer à nous séparer rassemblons-nous avant de décider de quoi que ce soit.

Onatti arrangeait les affaires dans le chariot lorsqu’il entendit un cri aigu venant de la falaise. Il leva la tête, en même temps que Bernardo, et ils virent tous les deux Francesca qui trébuchait. Malik la retint juste à temps pour qu’elle ne déboule pas toute la falaise. Mais le visage de la jeune fille montrait bien la douleur. Malik la porta jusqu’en bas sur ses épaules. Onatti vit quelques larmes sur le visage de la jeune fille. Il s’approcha d’elle :

- Qu’est-ce qu’il y a Francesca ?

Elle tremblait un peu en répondant. Mais sa voit allait en s’éclaircissant :

- Je… J’ai cru voir un serpent dans les roches, alors j’ai sursauté. Et… Je crois bien que je me suis foulé la cheville. Je n’arrive plus à marcher.

Onatti soupira un peu.

- Ce n’est pas trop grave, Malik te portera au retour.

- Je peux marcher ! fit-elle fièrement.

Et elle se leva pour prouver ses dires, fit quelques mètres en boitant, et manqua de nouveau de tomber en avant. Elle se rattrapa en s’asseyant sur un coffre en bois vermoulu.

- Bon, fit Onatti. Nous verrons pour ça en temps utile. En attendant, nous devons planifier nos recherches. Voyons… Ce qui est étrange, c’est que je ne vois vraiment personne.

Il leva la tête juste à cet instant, et, comme si le hasard lui apportait une réponse, il vit un homme. Suspendu par les pieds du bout d’une corde en haut du mât d’artimon, les deux bras pendant mollement dans le vide, la langue gonflée ressortant de la bouche, les deux yeux exorbités et effrayés. Il était pâle, d’un blanc qui tirait sur le violacé par endroit. Le mort n’avait plus aucune expression, à part celle de terreur dans laquelle la mort l’avait figé. A côté de lui se tenait un grand cormoran noir, au-dessus de l’emplacement de la voile. Il regardait le cadavre pendu, et jetait parfois des coups d’œil aux nouveaux arrivants. Il croassa brusquement, et Francesca se retourna alors. Elle poussa un nouveau cri en voyant le pendu.

- Il… il est mort ?

- Oui, et ça a du être affreux.

Bernardo retira la casquette de marin qu’il portait, comme pour prier. Il y eut un silence. Le cormoran continuait de pousser ses cris, il avait l’air de vouloir chasser le groupe. Finalement, il se lassa le premier et s’envola. Francesca suivit son vol des yeux. Il disparut au détour de la falaise. Il y avait sans doute là de nombreux nids de cormoran, une colonie entière même.

- S’il sont tous dans le même état… fit Bernardo d’une voix désespéré.

Il se prit alors à crier :

- Il y a quelqu’un ? Montrez-vous, nous venons vous aider !

Onatti lui fit signe de la main de se taire.

- S’il y avait quelqu’un, il nous aurait vu arriver par la falaise, notre descendante a été bien assez longue pour ça.

- Mais… continua Bernardo en commença son inspection des lieux, où sont-ils tous s’il n’y plus personne ? Ce n’est pas un navire fantôme !

- Non bien sûr. Mais il y a une multitude de possibilités. La meilleure est qu’ils soient parvenus à regagner Mejillon par les falaises. En descendant vers le sud, il leur faut un peu plus d’une journée. La pire, c’est qu’ils soient tous morts. D’une façon ou d’une autre. »

Bernardo s’interrogea sur le sens à donner aux dernière paroles d’Onatti. Qu’entendait-il par « une façon ou une autre » ? Il n’osa pas lui demander, tant la gravité se peignait sur le visage du capitaine. Tout, dans sa façon de réagir ou de parler indiquait qu’il croyait plutôt à la seconde solution. Le jeune fils du marquis ne compris pas pourquoi. Il regardait encore l’autre côté de la crique, qui partait vers Mejillon. Mais il détourna bien vite son regard car à côté du sentier qui partait au milieu des herbes se trouvait l’ombre du volcan. Sur le sentier, tout là-haut, sans doute pouvait-on même entrevoir l’intérieur du goulet. A cette idée, Bernardo repartit vers d’autres investigations.

C’était une scène véritablement chaotique. Il y avait des objets dans tous les sens, des caisses, des planches de bois, des armes, des pièces de monnaies ou d’autres trésors. Bernardo retrouva le gouvernail planté dans le sable vers la mer. L’intérieur avait du être complètement inondé. On y voyait les couchettes éventrées, toute l’architecture interne complètement désossée, des lits enfoncés dans les hublots. Il y avait un grand canon, le seul sur ce navire apparemment, qui crevait véritablement le bois, formant un trou béant. Sa gueule noire ressortait de l’autre côté, sombre et inquiétante. En revanche, Bernardo fut surpris du petit nombre de cadavres. Certains étaient complètement ensanglantés et méconnaissables, sans doute étaient-ils morts lors du naufrage. L’un avait le crâne éclaté contre un rocher de la plage. Son sang était sombre, presque aussi sombre que le sable. D’autres avaient du être ramenés à terre par les flots. Ils étaient livides, figés dans la même expression que le pendu, étendus les bras en crois sur le sable. L’eau venait encore jusqu’à en, et certains avaient encore les vêtements trempés, qui collait contre leur peau sale. Beaucoup d’entre eux avaient de la barbe ou des cheveux très épais et bouclés. Il y avait alors de l’écume dans cette broussaille, et parfois des bêtes comme des crustacés ou des insectes. Bernardo surprit un cormoran en train d’arracher les cheveux d’un mort. Il s’envola vite vers les falaises.

Ils firent le compte des cadavres. Il y en avait certainement qui flottaient encore dans l’eau. Mais peu ; on les verrait, et ils se retrouveraient bien rapidement sur le sable. Bernardo remarqua que cela faisait bien peu de passagers pour un navire de cette taille. Certes, il n’était pas excessivement grand, mais c’était tout de mêle curieux. D’autant plus qu’il aurait du être bondé de pèlerins.

« - Il m’a semblé voir la trace d’un campement sommaire, fit Onatti. Comme des draps étendus sur le sol et des résidus de cendres, comme pour faire un feu.

- Comme s’il ne faisait pas assez chaud avec ce volcan… remarqua Bernardo.

- Les solutions sont donc simples. Ils ont du repartir par là, vers Mejillon.

Il tendit le bras vers le sud.

- Que faisons-nous, alors ? demanda Bernardo.

- Je ne sais guère. Le mieux serait de faire un bout de chemin par ce sentier pour vérifier s’ils l’ont bien empruntés. Il pourrait y avoir des traces au sol, une troupe ne passe pas inaperçue. Et puis s’il le faut, nous enverrons quelqu’un à Mejillon vérifier s’ils sont bien arrivés. De toute manière, il n’y a pas d’autre issue. Vers le nord, nous les aurions inévitablement croisés. Hors de question qu’il soit reparti par la mer. Et la jungle… espérons que non.

Onatti jeta sur le sol en un tas des objets qu’il avait pu trouver. Il y avait des livres, sans doute des carnets de bord, des vêtements assez riches et un peu d’or. Puis il montra à tous un autre trophée. C’était un crâne de cheval bien conservés, et complètements propres, sans aucune chair. Juste un os. Bernardo l’observa avec curiosité. Francesca détourna le regard. Onatti expliqua d’un air grave :

- Ce crâne m’intrigue. Je sais que les bretonniens emmènent des chevaux avec eux. J’en ai même vu un cadavre encore frais flottant entre les vagues. Mais je ne m’explique pas comment il aurait pu se décomposer aussi vite. Comme si la nature avait brusquement forcée l’allure. Ce crâne est bien trop troublant.

Bernardo ouvrit la bouche pour donner une explication à ce phénomène mais n’en trouva aucune, alors il se tut. Malik fit une grimace de dégoût.

- Ce qui s’est passé ici est bien horrible. Mais il n’y a pas que ça… Il y a quelque chose de pas normal ici. »

Ses yeux se levèrent sur le pendu effrayé. Derrière lui, on voyait gronder le volcan.

Rapidement, Onatti prit les choses en main. Il déballa quelque denrées de la carriole.

« Voilà comment nous allons faire. Malik et Francesca, vous resterez là pour explorer le bateau. Essayez de trouver de grosses caisses pour y mettre ce qui est récupérable. Pendant ce temps, Bernardo et moi, nous irons explorer le seul sentier possible vers le sud. »

Tous comprirent le message. Ils étaient également affectés par le ton résigné d’Onatti. Il n’y avait aucune passion dans sa voix, même pas celle d’un chef qui va sauver ses hommes et prend le commandement. C’était une voix qui savait, et cela les troubla tous, car Malik, Francesca et Bernardo percevaient un mystère qu’ils n’arrivaient pas à identifier et que seul Onatti semblait comprendre. C’était stressant, et ne faisait qu’épaissir l’atmosphère déjà bien sombre, entre les récifs, le sable et le volcan. Ils étaient tous les quatre au milieu de cette cuvette que formait la baie, entre les deux falaises et la jungle comme des explorateurs effrayés face à la crainte de l’inconnu.

Francesca avait encore du mal à marcher. Elle tourna la tête pour voir partir Onatti et Bernardo, qui avait enfourché son cheval pour se donner une certaine prestance.

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Invité Mr Petch

Francesca n’osait pas vraiment tourner la tête, craignant de voir un cadavre, ou une autre horreur encore moins imaginables. Alors elle resta longtemps fixer Malik qui semblait rester là pour lui tenir compagnie, comprenant son affliction. Elle lui dit alors tendrement :

« - Tu n’es pas obligé de rester là, va plutôt fouiller l’épave, je peux me débrouiller seul.

- Je me méfie de cet endroit, fit le jeune arabien. Tu n’aurais pas du venir, c’est trop dangereux.

- Mais non, au contraire ! Je ne vois pas de quel danger tu veux parler !

Elle feignait la gaieté, ne voulant pas avouer sa faiblesse, par fierté. Son enfermement chez Onatti, au milieu de tant de beaux meubles, de peintures de maîtres et de tentures dorés lui avait donné un surcroît d’orgueil. Elle se sentait de ce monde de la bourgeoisie où, pourtant, elle ne vivait que par erreur. Mais Malik, lui, ignorait toute l’importance des milieux sociaux, et Francesca, depuis que leur amour avait débuté, s’attachait à reproduire des gestes précieux, des tournures complexes, des allures affectées, qu’elle imaginait dans certains récits d’Onatti. C’était cela qui, à cet instant même, lui donnait l’envie de paraître sereine. Dissimuler ses faiblesses, n’est-ce pas être déjà fort ? Malik, qui ne voyait en Francesca qu’une charmante jeune femme lui répondit simplement :

- C’est une impression. Ce volcan ne me plait pas. Et ce sable encore moins.

Francesca se baissa pour se saisir de la poussière de cendre. Elle en prit une poignée, et, en écartant les doigts, le laissa s’écouler. Une fumée grisâtre épaisse se forma, s’élevant vers le ciel.

- Ce n’est que du sable, fit-elle.

Et elle sourit. Malik ne savait trop quoi dire, comme toujours. Son tempérament doux le poussait à se laisser entraîner par les caprices de sa jeune amante. Il ne se risquait jamais à la contredire, ou à l’énerver. Et cela ne faisait que grandir l’orgueil de Francesca, qui se considérait comme une princesses d’être aimé de cet arabien auquel, car elle ne l’ignorait pas, une certaine fille de marquis faisait des avances. Alors l’arabien se leva et énonça d’une voix douce :

- As-tu discuté de ma proposition avec ton père ? (Malik disait « ton père » pour parler de Beppo, pour plus de facilité). Après tout, rien ne t’oblige à rester cloîtrée chez lui. Nous pourrions vivre ensemble, dans notre propre maison !

- Il… Je crois qu’il est encore réticent. Et peu importe, d’ailleurs. Car en revanche, j’ai bien trouvé un idée de poids !

Ses yeux s’illuminèrent à cette idée.

- Je n’en ai encore parlé à personne… A presque personne. Mais je garde cachée sous mes robes, dans l’armoire, un grand sac rouge. Il contient de nombreux trésors qui… qui m’appartiennent. Avec, nous pourrions… partir !

Malik sursauta. Il n’avait pas pensé à cela.

- Partir ? Mais partir où ?

- Quitter Gilliano ! J’ai vécu toute ma vie enfermée dans cet endroit ! Il faut que nous partions !

- Mais comment ?

- Il y a tellement de bateaux, et j’ai de l’argent, je te dis !

- Mais d’où te viens cet argent ?

Francesca n’avait jamais parlé de son passé avec Malik. Elle hésita un peu et répondit finalement :

- Il me reviens de droit, c’est le fruit de mon travail.

Malik était pensif. Ce nouveau projet de départ venait tout perturber dans son esprit. Il se plaisait bien à Gilliano, et il lui en fallait partir. Mais les yeux de Francesca était si joyeux… Alors pour ne pas avoir à répondre, et par timidité sans doute, il lança :

- Je dois chercher un coffre, je reviens vite ! »

Il s’éloigna de Francesca vers l’épave.

Le jeune arabien cheminait entre les ruines du bateau rendues noires par la putréfaction. Elles prenaient le même aspect visqueux et écorché que les récifs qui annonçaient la baie. Le bateau retournait au paysage avec une grande docilité. Des pans entiers de la coque étaient plantés dans le sable à la façon de menhirs de bois. Lui qui était habitué aux dorures des palais de son pays, à la lumière chaude du désert, il était écœuré dans ce paysage de mort noire. Ses yeux regardaient dans le labyrinthe des ruines des objets intéressants. Il y avait plusieurs gros coffres, mais lorsqu’il essayait de les saisir, la poignée en fer rouillé se détachait du bois pourri et humide, et la malle retombait sur le sol en formant d’immense nuage de fumée gris. Il continua donc son exploration avec prudence, jusqu’à arriver à ce qui avait du être l’intérieur d’une cabine d’officier, à en juger par la décoration riches et aux écus disposés autour – du moins ceux qui restaient en place sur le bois. Il trouva là, plaqué contre le mur de planches apparemment plus solide un coffre de taille humaine qui semblait avoir résisté aux intempéries. A bien y regarder, cette boîte ressemblait en effet fortement à un cercueil. Il y avait même quelques inscriptions qu’il ne put déchiffrer en lettres d’or, sur le dessus. Mais le jeune arabien ne s’en inquiéta pas plus. On lui avait dit de ramener un coffre, il allait s’exécuter. A l’aide de plusieurs cordes, il tira le coffre sur le sable. Après l’avoir bien dégagé de la cale, il ne lui restait plus qu’à l’amener à Onatti. Il ne pensa même pas à l’ouvrir et commença sa traction vers l’endroit où ils s’étaient établis.

Il s’arrêta en entendant appeler son nom. C’était Francesca. Il ne sut reconnaître dans l’intonation s’il s’agissait d’un cri de détresse, mais son cœur lui inspira que la belle avait besoin d’aide. Il en oublia son coffre et courut.

Une fois sur place, il constata que Francesca était toujours assise sur son siège et qu’elle ne paraissait nullement en danger. Le voyant arriver, elle lui lança :

« - Chut ! Approche doucement et regarde sur cette branche !

Elle tendit son doigt. Il regarda. Il y avait tout près d’eux un grand arbre de la forêt vierge qui étendait ses branches assez loin. Et sur la branche la plus proche, mais aussi la plus fine, se trouvait un petit perroquet, un cacatoès, qui poussait de petits cris stridents en tournant la tête dans tous les sens. Il se hissait parfois sur ses pattes et sa houppette grandissait.

- Regarde comme il est amusant avec ses plus colorés ! fit gaiement Francesca. Tu crois que c’est le même que tout à l’heure ?

- Je ne sais pas, fit Malik qui s’approchait doucement d’elle, et lui souffla sur le coup : peut-être est-ce son amant qui la cherche.

Elle rit.

- Oui, peut-être ! Oh ! Il s’envole.

En effet, l’oiseau battit des ailes et partit vers la jungle. Mais il se posa sur une grande pierre verticale et continua à crier.

- Aide-moi, amène-moi jusqu’à lui ! fit Francesca.

Elle passa son bras autour de l’épaule de Malik qui l’aida à marcher jusqu’à l’oiseau. Ils s’approchaient doucement de la jungle. Le cacatoès ne réagissait pas. Malik, qui le fixait tellement, vit qu’il était en réalité perché sur une sorte de totem. Oui, le rocher formait comme une structure en pierre avec des gravures élimées et moussues. Ce détail l’étonna.

- Avance encore, Malik ! fit Francesca, qui, elle regardait l’oiseau. Tu avait raison ! s’écria-t-elle soudai. Il y a un autre perroquet qui vient le rejoindre. »

Elle s’en réjouissait en agitant les bras. Malik souriait de cette joie puérile.

Son regard, heureusement, se détourna alors vers la jungle. Il en vit sortir, avec une grande et fascinante lenteur une énorme créature reptilienne. Elle marchait sur quatre pattes, comme un varan, mais à l’inverse de ce dernier – qui, de plus, ne se risque pas à approcher l’homme – elle était bien plus grosse et possédait une crête d’écailles le long du dos, qui formait une courbe parfaite. A cause de la couleur verdâtre de sa peau aqueuse, ils ne l’avaient pas vu arriver avant. A la gueule qu’il ouvrit, et qui laissa apparaître une langue rose et une rangée de dents blanches, Malik se douta qu’il ne leur voulait pas du bien. Francesca, qui le vit jaillir de la jungle, fut prise de terreur, elle poussa un grand cri strident et voulut se blottir contre Malik, et se cacher la figure, mais elle ne faisait que gêner ce dernier qui essayait de sortir son sabre. La bête, qui ne poussait que des feulements sourds avec sa langue, avançait vers eux. Elle posa une première patte sur le sable noir. Sa pupille jaune sembla se rétrécir, comme si elle réfléchissait.

Francesca comprit vite qu’elle gênait son amant. Elle se poussa, et essaya d’atteindre un pan de bois un peu plus loin, mais dans sa panique, trébucha et tomba sur le sable. Malik impuissant, voulait d’abord s’occuper de la bête qui les menaçait avec sa langue rose et sa crête qui paraissait s’étendre à la façon des voiles d’un navire. Il s’élança pour donner un premier coup avec son sabre, mais l’arme ricocha contre la peau solide de la bête. Il parvint de justesse à éviter un coup de queue vif que la placidité apparente de la bête n’annonçait en rien. Il lui fallait trouver une autre solution, et vite car la bête montrait des signes d’agacement.

Il se souvint alors du pistolet qu’Onatti lui avait fourni lors de leur départ. Il ne savait pas s’en servir, mais peu importait. Il le dégaina, et comprit vite le mécanisme qu’Onatti lui avait déjà sommairement expliqué. Il le pointa vers la bête et appuya sur la détente. Le coup partit, puissant et sonore, presque autant que les explosions du volcan auxquelles il s’apparentait d’ailleurs. Malik fut projeté en arrière et manqua de tomber. Mais il resta debout pour constater les effets de son tir. La bête déguerpissait dans les fourrés. Il ne savait pas s’il l’avait blessée, ou simplement effrayée, mais le résultat était le même. Rangea l’arme à sa ceinture, il se dirigea vers Francesca, encore troublé de l’aventure qu’il venait de vivre.

« - Francesca ! Elle est partie ! Ne t’en fais pas.

La jeune fille se leva difficilement. Elle se maintenait uniquement grâce aux épaules de Malik, tout le reste de son corps était flasque et amorphe. Son visage était aussi pétrifié de terreur que celui des marins morts. Elle ne dit pas un mot, et Malik se tut aussi, pour l’amener jusqu’au pied de la falaise, qui paraissait plus sûre.

- Détends-toi… Beppo va vite revenir, et nous allons repartir d’ici. Cet endroit est… »

Il ne se retourna pas, et plongea ses yeux dans ceux, vides et terrorisés, de Francesca. Il sentit la main de son amie trembler, et sa peau était terriblement froide. Derrière eux, le volcan gronda comme un avertissement.

Onatti et Bernardo les trouvèrent serrés l’un contre l’autre. Francesca avait repris quelques couleurs. Et Malik s’expliqua tout de suite :

« - J’ai trouvé un coffre assez grand pour contenir ce que nous avons entassés. Il faudrait le tirer jusqu’ici, je l’ai laissé quelque part dans les ruines.

- Bon. Va le chercher avec Bernardo.

Onatti regarda curieusement Francesca, qui était bien silencieuse.

- Il s’est passé quelque chose ?

- Non, fit vivement Malik. Mais je crois bien que cet endroit effraie Francesca… »

Onatti ne répondit pas. Il les laissa partir.

Bernardo suivit Malik à travers les ruines. Il lança alors :

« - Le capitaine était très inquiet de vous avoir laissé seul avec Francesca !

- Pourquoi ? demanda Malik.

- Je ne sais pas. Mais il n’arrêtait pas de me répéter : « j’aurais du rester avec eux, et tant pis pour ce naufrage ! ».

- Ah…

- Et… avez-vous tiré un coup de feu ?

Malik n’y avait pas pensé. La détonation avait pu être entendue. Pourquoi avait-il eu le besoin de mentir ? Mais, trop prudent pour se contredire, il continua :

- Non, pas du tout ! Je ne sais pas me servir d’un pistolet.

- Alors j’avais raison ! C’était bien juste une explosion du volcan. Le capitaine croyait qu’il s’agissait d’un coup de feu !

Bernardo rit de sa plaisanterie. Malik voulut changer de sujet :

- Et vous avez trouvé quelque chose d’intéressant ?

- Et comment ! fit fièrement le jeune Bernardo. Nous avons continua par le chemin en question. Et puis, très rapidement, nous avons découvert, renversé en plein milieu de la route, un grand cercueil en bois. Et juste à côté comme un trou que l’on avait commencé à creuser, peu profond. Il n’y avait pas de cadavres, mais beaucoup de sang sur la route. Il ne faisait aucune doute qu’on s’était battu ici. Le cercueil était vide, mais le capitaine m’expliqua ce qui avait du se passer :

« Ce sont des pèlerins, et ils se sont promis d’enterrer leur seigneur sur cette terre. Alors les survivants au naufrage ont d’abord cherché un endroit, car bien sûr, impossible de creuser une tombe dans la cendre. Leur ferveur est telle qu’ils ont considéré cela comme leur premier devoir, avant de se nourrir ou de se protéger eux-mêmes. Et ça explique le crâne de cheval : les bretonniens enterrent les hommes avec leurs chevaux. Ils commencent donc à creuser un trou, mais ils sont surpris par des agresseurs, qui les massacrent et emportent leurs cadavres. Le combat a du être bref, les naufragés devaient être épuisés. – Quel genre d’agresseurs ai-je demandé au capitaine. – Je ne saurais pas te dire. Ils viennent de la jungle. On peut peut-être imaginé des prédateurs de la jungle… Des varans, ou quelque chose comme ça.

Malik pensa tout de suite à la créature. Bernardo continuait :

- Mais je pense qu’ils devaient être nombreux, ou féroces ces prédateurs, car d’après les traces de pas, les pèlerins étaient plus d’une dizaine ! »

Malik lut de l’émerveillement dans les yeux du jeune homme. Sans doute devait-il imaginer un dragon ou une autre créature fantastique. L’arabien n’avait pas besoin de l’imaginer, la gueule pleine de dents de la bête lui revenait sans cesse.

Ils arrivèrent au lieu où Malik avait laissé la boîte. Bernardo s’écria en la voyant :

« Mais ! C’est le cercueil ! On dirait exactement le même.

Il s’en approcha.

- Il y a juste le nom qui diffère. Celui-là s’appelait… Hyomène de Clermontois. C’était une femme ! Mais oui, bien sûr, la dame de ce seigneur !

Bernardo était tout enthousiaste de ses découvertes. Malik le suivait des yeux, encore étourdis.

- Aide-moi donc à soulever le couvercle.

Ils le poussèrent, et le couvercle bascula contre le sol. Bernardo pencha sa tête à l’intérieur. Il y avait bien un cadavre. Très pâle et habillé, et une dame oui, avec une grande robe noire. Elle portait une coiffe très étrange, tout en dentelle, que Bernardo n’avait jamais vu ailleurs. Mais le reste n’était qu’un squelette qui fascina le jeune garçon. Les deux mains étaient posé en crois sur la poitrine, et à cause des habits, la seule partie osseuse qui ressortait était le crâne, une tête de mort impressionnante.

- C’est incroyable… Il faut l’amener à Onatti ! »

Ils refermèrent le couvercle et se mirent à le tirer.

Lorsqu’ils arrivèrent auprès d’Onatti, Bernardo était encore plus excité qu’avant :

« - Capitaine ! Nous avons trouvé la dame du seigneur.

Onatti observa le cercueil. Il fit lever le couvercle, regarda, impassible, à l’intérieur, et annonça alors :

- Bon… Voilà ce que j’ai décidé. Nous avons jusqu’au coucher du soleil, qui ne devrait trop tarder, pour rassembler ce que nous avons pu trouver dans ce cercueil. Puis, nous rassemblerons les cadavres qui sont transportables, et nous les ensevelirons sous de la terre, en guise de sépulture. S’il faut, nous les enterrerons là où ils se trouvent.

- Et la dame ? fit Bernardo

- Comme tous les autres, nous rassemblerons ses ossements dans une sépulture. Ces gens méritent bien cet honneur. Et je pense même qu’ils ont eu plus de chance que les survivants. Même le pendu.

Il ne prit pas le temps d’expliquer sa phrase, laissant de nouveau un parfum de mystère. Bernardo demanda :

- Alors il n’y a pas de survivants ?

- S’il y en a, ils sont dans la jungle, et là, inutile de les y chercher. »

Bernardo se contenta de cette réponse, même si sa curiosité le poussait à en savoir plus. Puis ils durent se mettre à la pénible besogne.

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soudai. Il y a un autre perroquet qui vient le rejoindre.

C'est la seule faute de frappe que j'ai bien pu voir :P

Bon désolé de poster si tard mais je rentre d'un voyage scolaire !! :D Donc j'ai pas pu poster sur ton texte :D

Enfin bon, passons à l'histoire même. Je trouve que c'est passage se démarque de ton texte pour une seule et bonne raison que tu changes de lieu. En faisant ce changement de décor, tu peux ainsi changer une grande partie de ton style de naration. Comme avec les sentiments de peur, etc ...

Bon c'est tout ce que j'avais à dire de plus que d'habitude donc suite maintenant <_< !!

@+

-= Inxi =-

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Invité Mr Petch

Sur le chemin du retour, il y avait une étrange et bien pénible atmosphère qui contrastait avec le trajet de l’aller. Onatti avait remballé toutes leurs affaires, et ils s’étaient dépêchés de quitter la baie une fois leur tâche accomplie. Le caractère sombre des lieux inspiraient tout sauf la joie, et peu à peu, ils eurent tous quatre des haut-le-cœur à force de voir ces carcasses puantes et ces visages morbides. Ils se hâtaient à creuser, malgré la chaleur du volcan et ses inquiétants grondements, pour avoir fini plus vite. Par chance, tout fut terminé avant le coucher du soleil.

« Nous allons repartir tout de suite pour Gilliano et nous dormirons sur le chemin lorsque le nuit arrivera », avait annoncé Onatti, et tous d’approuver : n’importe quoi sauf rester un instant de plus dans la baie. Malik transporta Francesca sur ses épaules le long du sentier, tandis que Bernardo et Onatti s’occupait de la carriole remplie de richesses et d’instruments divers. Aucun ne souriait, ayant tous en tête le tableau de fin du monde qu’offrait la baie. Bernardo se retourna un instant dans la montée. Le ciel s’était assombri encore par rapport à ce matin, et la mer bleue était tâchée de pigments grisâtres. Quand à la baie sableuses, ils l’avaient transformé en véritable cimetière, avec ce champ de tombes – de simple monticules de terre et une pierre en guise de stèle – et cette carcasse de navire, échouée entre les récifs. La terre noire (cendres ou sable ? comment savoir si près de ce volcan ?) engloutissait ce géant déchu en l’aspirant à elle. A terre, ils ne s’en étaient pas aperçus, mais de loin, on remarquait bien que le bateau s’était enfoncé dans le sable. Il n’y aurait bientôt plus que les mâts ressortant du sable. C’est comme ça que l’on retrouvera la scène : des tombes éparses, certaines à la limite des eaux, et qui seraient recouvertes par la marée haute, des lambeaux de voiles pendus aux arbres et un navire englouti sous un sable aussi angoissant qu’une nuit sans lune.

Ils marchèrent ainsi sans se retourner, dans un silence bien profond qui signifiait que chacun repensait encore à tout ce qu’il avait vu comme un pénible fardeau. Comme la nuit tombait bientôt, le ciel prenait des teintes bien plus sombres et mates, et un léger vent froid fraîchissait l’atmosphère. Bernardo avait prêté son cheval à Francesca qui était montée en amazone. C’était Malik qui guidait l’animal par la bride, marchant au pas. Ce cortège bien singulier qui franchissait le chemin des falaises, qui paraissait marcher au bord d’un précipice entre la jungle et l’océan avait des allures de marcher funèbre, avec cette carriole où était posé le cercueil de Hyomène de Clermontois, qui en réalité servait de simple coffre de transport, mais qui, à cause de toute l’ambiance, le silence, la nuit tombante, l’air grave et concentré de l’escorte, la jungle même qui ne disait mot et l’océan qui accompagnait la marche de son roulement de vague régulier, ressemblait à un véritable sarcophage, une relique que l’on amenait au cimetière, et par des moyens bien misérables car la carriole de Pizzi était branlante et peu stable et l’escorte habillé sommairement, à l’exception sans doute de Bernardo qui avait revêtu son uniforme, mais qui à présent circulait à pied et perdait toute la splendeur d’un cavalier à cause de sa petite taille. Puis la nuit vint les surprendre, surgissant derrière l’océan et envahissant le ciel à une vitesse incroyable. Ils étaient arrivés à une sorte de cuvette en contrebas dans la falaise, une petite plaine assez éloignée du bord. Onatti proposa de lever le camp, et ils installèrent les tentes.

Par chance, la nuit fut relativement calme. Toutefois, Francesca ne parvenait pas à trouver le sommeil. Dans ses cauchemars revenait sans cesse la bête qui l’avait attaqué, ce gros varan hideux aux yeux globuleux et plein d’écailles. Alors elle se leva et grimpa la colline. Elle avait cru entendre, au loin, une sorte de tremblement familier. Au cœur de la nuit, elle s’aventura au bord des falaises, poussée par la curiosité. C’était bien une de ces nuits tranquilles et fraîche que l’on trouve à la belle saison, et qui n’augure rien des tempêtes et des averses diluviennes qui arrivent parfois à l’improviste avec la chaleur accablante de la saison des pluies.

La jeune femme s’était un peu calmée, le calme du soir la rassurant de toutes ses craintes : aucune bête venue de la jungle ne venait investir leur campement. Mais le grondement se réitéra. Elle grimpa la colline jusqu’à être tout au bord de la falaise. Elle regarda en bas par défi, il y avait un à-pic vertigineux, et en contrebas des rochers aussi pointus que les récifs de la baie. Puis elle leva les yeux et s’aperçut que les grondements venaient bel et bien de l’île du flambeau. Loin, très loin, une vive lumière orange illuminait le ciel comme un soleil nocturne et crépitant, animé de flammes vives et débordant de lueurs comme un chaudron de clarté. On voyait même quelques unes de ces fissures qui laissaient apparaître de longues traînées de laves rougeoyantes, mais tout cela était loin, si loin, et si minuscule, si petit au milieu d’une intense obscurité que ces images parurent irréelles à Francesca. Etait-elle vraiment allée là ? Elle commençait à en douter tant il semblait y avoir de magie dans ces effets de lumières. Tout cela n’est pas naturel, s’était-elle dit, et ces mots la rassurèrent étonnamment.

Elle sentit soudain sur son épaule dénudée et froide et masse chaude. Elle sursauta et faillit crier de stupeur. Mais en se retournant, elle vit le visage tranquille de Malik.

« - Ah… C’est toi. J’ai bien eu peur.

- Je t’ai entendu te lever, alors je me demande…

- J’ai juste était réveillée par les explosions du volcan. Regarde, on le voit d’ici.

Malik s’accroupit à ses côtés et regarda à son tour le spectacle.

- C’est presque beau… dit-il.

- Oui, beau. Et pourtant, quand on repense à tout ce qui se trouve au pied de cette montagne. Ces cadavres, ces…

Elle s’arrêta de dégoût pour ne pas laisser les images fatales envahir ses pensées.

- N’y pense plus, lui souffla doucement Malik à l’oreille. Nous sommes loin à présent, en route vers notre demeure.

Francesca le regarda :

- Notre demeure ? Tu veux dire celle d’Onatti. Nous n’avons pas encore de « chez nous ».

Elle souriait en disant ça.

- Tu veux toujours partir, t’établir ailleurs ?

- Ailleurs oui, c’est ça. N’importe où mais ailleurs.

- Lorsque nous avons visité l’Estalie avec ma mère, nous avons traversé de grandes plaines désertes, avec des bosquets tout autour et un temps agréable toute l’année. Il n’y avait que quelques paysans et un fort seigneurial de moindre importance. Je pense que ce serait un endroit idéal pour nous deux.

- L’Estalie ? Pourquoi pas. D’après ce qu’Onatti me lisait, c’est un très joli pays.

- Alors va pour l’Estalie. »

Ils restèrent tous les deux encore à contempler les lueurs du volcan. Puis Francesca s’endormit tout doucement contre l’épaule de Malik, avec des visions de châteaux estaliens plein la tête.

*

Pizzi attendait la capitainerie. Le jour s’était levé sur Gilliano depuis un bon moment, et le quai commençait à s’animer. C’était le jour de la vente de poissons, et tous les pêcheurs avaient installés leur marchandise devant la capitainerie. Le vieux commandant entendait leurs voix criardes et le brouhaha de la foule. C’était un marché très populaire, autant parmi la bourgeoisie que parmi les moins riches, car les prix étaient bien souvent abordables. Et même, il était facile de dérober une anguille ou un crabe sur les étals.

Le visage de Pizzi s’éclaira lorsqu’il vit entrer Onatti et Bernardo. Ils avaient l’air épuisés, et leurs regards étaient lourds.

« - Je vous attendais, fit le commandant… Alors ?

Il était impatient de connaître le résultat de cette expédition.

- La Sainte-Dame s’est bien échouée là où tu avais prévu, et une bonne partie de l’équipage est mort. Quant aux survivants… Dans le meilleur des cas, ils sont réfugiés à Mejillon.

- Je vois. Il y a encore un espoir alors !

Mais le visage tendu d’Onatti perturba l’espérance de Pizzi.

- Et qu’avez-vous rapporté ? demanda ce dernier.

- Une carriole pleine d’objets divers.

- Bernardo, tu n’as qu’à la mettre dans l’écurie, je m’occuperais de ça plus tard.

Le jeune garçon sortit du bureau, laissant les deux hommes seuls. Onatti s’assit face à Pizzi.

- Donc tu n’as pas beaucoup d’espoir ? insista Pizzi, plutôt intrigué.

Onatti raconta alors la mésaventure des reliques, le cercueil abandonné et le champ de bataille.

- Alors ils seraient tous morts… demanda Pizzi.

- Je connais les pèlerins bretonniens, ils mourraient plutôt que d’abandonner leur chevalier. Au moins lui avons nous donné une sépulture comme il le souhaitait.

- Mais si tu me dis qu’il n’y a pas de cadavres, où seraient-ils passés ? »

Onatti était sombre, bien sombre aujourd’hui, alors que dehors les marchands vantaient leurs marchandises, que les enfants jouaient entre les jupes de leur mère, que les clients négociaient ardemment le prix d’un espadon, ou d’un marlin ou que les pêcheurs victorieux se racontaient leurs exploits marins, il y avait ce silence tendu dans le bureau de Pizzi. Onatti regardait son ami gravement, il retrouvait là son visage de marin, et pas celui du bourgeois installés en haut de la colline. Il ne répondit pas et se leva. Pizzi l’accompagna jusqu’à la porte en lui plaquant le même visage entendu. La porte s’ouvrit, laissant pénétrer à l’intérieur les effluves marines du dehors et les voix puissantes, et se referma aussitôt.

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J'ai trouvé une petite faute étonnante :D

sur le chemin lorsque le nuit arrivera
de simple monticules

Une autre d'accord

Pour le fond, j'ai une impression de vitesse sur ce passage. C'est lié au phrases bien sur mais en grande partie aussi sur la brieveté du passage <_<

Bref, sinon la possibilité du départ se raproche et se concretise. On entend plus parler du Lupo, ca pourrait donner du piquant. Tu ouvres plein de portes mais ne prends pas le temps de les refermer. Les personnages auxiliaires disparaissent trop vite en fait :P Enfin, ca empeche pas que se soit un beau texte !

@+

-= Inxi =-

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Invité Mr Petch

Bonne chance à Warzazatt pour sa nomination ! :flowers:

*

Angelina s’étira à la façon d’un félin, tendant tous ses muscles vers le ciel, à moitié assise sur le large lit à baldaquin de sa chambre. Elle ne portait qu’une fine chemise de nuit qui lui descendait tout juste jusqu’aux cuisses, et qui se froissa doucement lorsqu’elle se leva du lit, écartant les lourds draps de soie rouge. Elle arrangea doucement sa chevelure en bataille, la serrant à l’aide d’une pince en forme de diadème. Sur son visage brillait l’éclat de la bonne humeur, et même sans le maquillage complexe dont elle se fardait quotidiennement, il luisait au cœur de ses yeux les prémices d’un charme qui n’était pas les simples attraits de l’enfance, mais quelque chose de beaucoup plus complexe, d’infiniment plus fatal. Elle se retourna et lança joyeusement :

« - Dépêche-toi donc, je n’aimerais pas que mes parents te voient !

L’homme à qui elle parlait était étendu, nu sous les draps pesants, sur le lit de la jeune fille. La tête reposant mollement sur l’oreiller, les bras croisés derrière la nuque, il arborait un air nonchalant et condescendant. Son visage, bien qu’en apparence plus vieux que celui d’Angelina, avait lui aussi une aura assez perturbant. Peut-être à cause de ses yeux d’un vert d’eau profond, ou de ses cheveux en bataille. Ou encore de cet agaçant sourire de composition qui déstabilisait. Il était le fils d’un amiral né à Gilliano, et lui-même était marin. Ses relations avec Angelina tenait plus du plaisir et du jeu que de la passion amoureuse. Il répondit doucement :

- Ne t’inquiète donc pas. Ils savent très bien que je suis là, de toute façon.

Il s’extirpa lentement des draps en cherchant ses habits éparpillés dans la pièce. Angelina se recoiffait dans une petite pièce attenante.

- Tout de même… Moins ils en savent, mieux ça vaut.

Tout en boutonnant sa chemise, le marin regarda par la fenêtre. C’était en plein après-midi, et le soleil tapait dans la cour que l’on apercevait. Un jardinier s’occupait des bosquets qui encadraient l’allée. Puis quelqu’un entra dans la propriété que le jardinier salua.

- Tiens… fit le marin. On dirait que ton frère arrive. Je vais malheureusement devoir le croiser.

Il avait dit ça avec une ironie évidente, et Angelina répondit sur le même ton :

- C’est parfait, vous vous entendez si bien !

Elle marcha elle aussi jusqu’à la fenêtre et ajouta plus sérieusement :

- Il doit sans doute revenir de je-ne-sais-quoi avec le gardien du port, le vieux Pizzi.

Elle précisa avec une moue de dégoût amusé, se laissant tomber sur le lit :

- Un vieux pervers qui me fait la cour ! Il m’amuse tellement !

- Tu as vu que ce vieux croûton a une fille ! Je les ai aperçu au marché.

- Je le sais. Un petit-fils et une petite-fille aussi.

- Tu me sembles bien au courant.

Il vint s’asseoir à ses côtés, délaissant la fenêtre. Il lui passa la main dans le dos et l’embrassa avidement dans le cou pendant qu’elle répondait :

- Un peu, oui… Ils sont venus à la maison il y a quelques mois.

- Un peu ? Dis plutôt que ce sera ton prochain.

Elle se mit à sourire et lança ingénument :

- Mais tu devines tout toi !

Elle se laissa tomber en arrière tandis qu’il continuait de l’embrasser cette fois sur ses épaules. Et puis il arrêta soudainement et se leva, laissant Angelina allongée sur le lit.

- Le problème, c’est qu’il a déjà quelqu’un !

Il termina de s’habiller, enfilant ses chausses. Angelina se redressa d’un coup et lança furieusement :

- Qu’est-ce que tu racontes pour me faire enrager, stupide !

- Ce n’est pas pour te faire enrager, c’est vrai. J’ai discuté avec lui.

- Tu mens.

Le regard d’Angelina était bouillant, le marin ne lui prêtait même pas d’attention, il agissait comme s’il s’apprêtait à partir.

- Je l’ai mis en confiance autour d’un verre et il m’a dit qu’il comptait s’installer à Gilliano… Avec quelqu’un.

Angelina se tut. Elle était comme tétanisée. Lui continuait comme un bourreau achevant sa victime :

- En ce moment, il séjourne chez le capitaine Onatti. C’est pas dans ce perchoir qu’il a pu rencontrer quelqu’un !

Le marin, qui était à Gilliano depuis seulement quelques mois semblait tout ignorer de la présence de Francesca. Angelina, elle faisait lentement le rapprochement. Son esprit se mit à bouillir de façon si intense qu’elle chassa le marin, en criant de sa voix la plus puissante, suraiguë, inhumaine :

- Va-t’en crétin ! Je ne veux même plus te voir, retourne léchez les bottes de tes bourgeoises. »

Il fut si surpris de cette réaction qu’il décampa en vitesse. Angelina resta seule dans sa chambre, et, très doucement, les larmes lui vinrent au visage, faisant couler le fard blanc qu’elle venait juste de s’appliquer. Deux traînées délicates d’un rose pur tracèrent leurs empreintes sur ses joues. Qu’avait-elle ? Que lui arrivait-elle ? C’était la première fois qu’une si amère frustration l’envahissait, un sentiment nouveau qu’elle ne connaissait pas. Elle ne croyait pas elle même que cet arabien l’intéressait autant. Elle mit du temps à comprendre ses larmes, et très vite son orgueil immense repris le dessus. Elle déclara entre ses dents :

« La garce… Je vais la trouver, moi… »

D’un pas décidé, elle ouvrit la porte. Dans le couloir apparut son petit frère, fier dans son uniforme de marin. Il leva le regard à son passage, dédaigneusement. Mais elle le retint violemment par la manche, et le tira jusqu’à elle. Il se plaignit un peu mais elle lui lança aussitôt, d’une voix déjà sèche de ses sanglots :

« - Hé toi, gamin ! Qu’est-ce que tu sais de Malik ?

- Malik ? répondit Bernardo sans la regarder. Je ne sais pas. Je l’ai vu de temps en temps chez Pizzi.

- Et après ?

- Hé bien il m’a dit qu’il te détestait !

Il eut un sourire narquois et mesquin. Elle le gifla, et sa main portant une bague en argent griffa la joue du jeune homme, ouvrant une petite plaie.

- Je me suis pas renseigné, je ne suis pas amoureux de lui, moi !

Angelina lui montra sa main, prête à frapper de nouveau. Bernardo changea de ton en sentant le sang chaud qui lui coulait de la joue.

- Il vit chez le capitaine Onatti… Il sort peu, je ne sais pas ce qu’il y fait, ça ne me regarde pas.

- Et la fille ? La mendiante qui vit chez lui ?

- Oui… peut-être. Je te dis, je ne m’intéresse pas à sa vie privée.

- Tu vas répondre saleté ? Je sais que tu es courant.

Il fixa le regard fou de sa sœur. Il la connaissait assez pour savoir qu’elle n’était pas là dans son état normal. Le sang sur sa joue lui rappelait ce dont elle était capable.

- Bon, voilà. Pizzi m’a dit que son petit-fils filait le parfait amour avec la fille qu’Onatti héberge. Il m’a promis de ne rien dire mais comme je sais à quel point cette nouvelle va te faire plaisir, j’accepte de te l’avouer ! »

Il profita de la stupeur d’Angelina pour filer, montant les escaliers quatre à quatre. Elle ne le retint même pas, restant paralysé sur le seuil de sa chambre.

*

Des cris atroces sortaient de la chambre rose dont l’entrée était occupée par une foule composite : des servantes, des filles, des domestiques , tous employés par Lupo qui observait l’avortement assis sur sa chaise, avec une étonnante placidité. Son visage froid ne laissait même pas transparaître une pointe de dégoût à la vue de ce spectacle. Tout au plus, son sourire au coin exprimait une certaine satisfaction. Face à lui travaillait Miranda, masse imposante camouflée sous un ample tablier sale. L’accoucheuse opérait comme à son habitude avec un doigté exemplaire, maniant ses outils avec précision et lançant parfois des paroles réconfortantes à la jeune femme – même si son ton était rigide et peu avenant. Lupo observait la grosse femme qui faisait son office. Elle avait retroussé ses manches et noués ses cheveux en un chignon, ce qui lui dégageait la nuque. Une nuque parfaitement blanche et assez fine qui contrastait avec le reste de sa physionomie. De même les bras, malgré leurs tâches brunes de vieillissement et les bouts de chair flapie, étaient parfaitement dessinés, et la peau était lisse et fine. Lupo s’y connaissait, cette femme avait du être d’une beauté inégalable pendant sa jeunesse. L’âge ne lui avait pas rendu justice. Au moins lui avait-il donné, en échange de sa beauté, le don d’accoucheuse.

Aujourd’hui, la tâche était particulièrement ardue. La jeune femme avait attendue trop longtemps avant de signaler sa grossesse. Ayant par ailleurs des formes, on y avait guère prêté attention. Elle en était à son septième mois, et Miranda avait beaucoup hésité avant de l’opérer. Mais la fille était orpheline, Lupo pouvait la mettre à la rue si la situation ne s’améliorait pas. Elle avait donc agi par sympathie, en souvenir de sa propre jeunesse. Tout ça lui était revenu sur le chemin, comme si l’âge venant, les souvenirs refaisaient plus vite surface. C’était l’ambiance actuelle du quartier pauvre, qui croupissait sous la chaleur accablante du soleil. Les maisons proches les unes des autres favorisaient le développement des maladies, et partout dans les rues agonisaient de futurs cadavres, qui eux-mêmes répandaient leurs virus dans le reste de la population. Elle en était venu à se demander comment les habitants survivaient dans ce cloaque, comment une assez grande quantité restait en vie pour permettre la naissance d’une nouvelle génération. C’était ici affaire de sélection naturelle : les plus forts subsistaient, car leur organisme savait résister aux fréquentes épidémies, et ils donnaient naissance à des individus toujours mieux adaptés. Avec une dizaine d’enfants par famille, on parvenait donc à avoir assez de survivants. Miranda, pourtant habitué à traverser ces quartiers sordides, avait eu cette fois une horrible impression, celle de retourner cinquante ans en arrière.

C’était elle alors qui traînait dans des quartiers semblables. Certes, ils se trouvaient par delà l’océan, en Tilée, dans un village dont elle avait oublié jusqu’au nom – mais pas les odeurs et les moisissures, pas les pires aspects, ceux que l’on n’oublie pas – mais néanmoins, tout était identique, comme si les hommes reproduisaient sans cesse un fonctionnement identique dans leurs actes. C’était une odeur qui avait fait resurgir ces images ( celles de son expulsion du cabaret par le propriétaire, celui même qui l’avait engrossé), l’odeur de la boue chaude et humide dans laquelle elle avait rampée pour atteindre les quais et s’enfuir définitivement de cette maudit ville. La chaleur qui régnait à Gilliano avait du provoquer cet afflux d’odeurs nauséabondes. Et oui, c’était bien les mêmes pestilences qu’elle respirait il y a cinquante ans, les genoux enfoncés dans la boue, au milieu de rats qui l’observaient comme un gros morceau de viande – des rats énormes, presque aussi gros qu’un crâne humain. L’exil sur les mers, passagère clandestine. A bord du vaisseau se trouvait un savant, spécialiste des soins. Il l’avait fait avorter, et puis lui avait tout appris. Sans doute était-il lui aussi tombé amoureux de la belle Miranda, mais il ne lui avait jamais dit, ce qui, aux yeux de la jeune femme, l’avait élevé à un statut quasi divin. Et puis le savant l’avait à son tour abandonné, il devait revenir à ses études et refusait de l’aider, craignant pour sa réputation. Il l’avait déposé à Gilliano avec une grosse somme, assez pour s’installer confortablement. Etrange impression que tout cela revienne précisément ce soir-là, avec les gémissement suraigus de la jeune femme étendue sur le lit. Et le rire narquois que poussait parfois Lupo derrière elle (l’envie ne lui manquait pas de l’étrangler, mais c’était trop risqué, stupide, impulsif, il fallait attendre, d’abord aider ces jeunes filles ).

L’opération fut enfin terminée. On aida certaines personnes du public qui s’étaient évanouies, puis Miranda se tourna froidement vers Lupo, une moue rogue assombrissant sa face, et avait lancé :

« - Voilà, c’est fait.

Elle s’essuya les mains avec un torchon tandis que Lupo apparaissait derrière elle.

- C’est très bien tout ça. Tu vois, nous sommes fait pour commercer ensemble.

Elle ne répondit pas alors qu’il continuait :

- Tu fais vraiment du bon travail. Tiens, voilà un complément.

Il lui tendit une bourse remplie de pièce, en plus de celle déjà donnée. Miranda la repoussa de la main :

- Il y a une somme convenue, elle ne bouge pas.

- Comme tu veux, fit Lupo, ramassant la bourse dans sa cape, visiblement content de lui. En tout cas, tu avais raison, j’ai bien fait d’oublier cette fille… Francesca… c’était stupide de m’acharner.

Miranda se retourna brusquement. Lupo se cala dans son fauteuil comme un furet apeuré, ouvrant grands ses yeux globuleux. Mais il continua délicatement :

- Finalement, mieux vaut que nous continuions notre petit commerce, Miranda. Je les engrosse, et tu les accouches. Chacun y trouve son compte.

Miranda ne savait pas quoi penser. Etait-ce tout ces souvenirs qui revenaient ? Un étrange sentiment s’emparait d’elle, une sorte de honte étrange en regardant cet homme infâme qui lui souriait. Elle se méfiait aussi de son ton doucereux, volontairement hypocrite. Avait-il réellement abandonné la traque de Francesca ? Elle n’en savait rien, elle n’avait pas vu la fille depuis son accouchement en réalité. Et peu importait. Ce qui l’inquiétait, c’était cet air qui semblait cacher quelque chose. Elle mit un terme à la conversation :

- Laisse-moi seule avec la fille.

Lupo fronça les sourcils, surpris par cette demande dont il n’avait pas l’habitude. Mais il n’était pas d’humeur à se confronter à Miranda, à l’implacable Miranda. Alors il céda assez vite :

- D’accord, je te laisse. Mais pas longtemps, hein.

- Et finalement, je prends l’autre bourse. »

Lupo était un peu mécontent de cette dernière remarque, mais il balança l’argent. Il sortit de la pièce en fermant la porte.

Miranda regarda la pauvre fille, essoufflée, étendue sur le lit à moitié nue, le visage transpirant, dégoulinant de sueur, les cheveux en bataille comme après une bataille. Et surtout, elle avait peur, profondément peur. Tout était terminé, elle était sauvée, et pourtant elle avait peur. Miranda avait souvent lu ce sentiment en allant chez Lupo pour avorter les filles. D’habitude, elle n’y prêtait pas attention. Seul lui importait l’avortement et l’argent. Mais cette fois… Sûrement encore ces fichus souvenirs qui revenaient à toute allure. La fille n’était pas très belle, un nez assez épaté, des joues épaisses, un front assez grand. Mais elle avait des formes, et certains hommes devaient aimer ça. Miranda se souvint d’une phrase toujours plus cynique de Lupo : « Il en faut pour tous les goûts ! ». Mais la laideur relative de cette fille la rendait aux yeux de Miranda encore plus fragile que toutes les autres qu’elle avait faites avorter. Elle était jeune… quinze ans, sans doute. Miranda ne s’était jamais rendu compte de l’âge de ces filles. Pourquoi fallait-il que celle-ci l’air regardé pendant tout l’avortement avec un regard terrorisé, comme si elle avait peur d’elle, qui pourtant venait l’aider ? Et elle avait encore ce regard, elle suivait des yeux l’accoucheuse qui arpentait la pièce. Miranda essaya de sourire. Elle n’y arrivait pas, ça faisait trop longtemps. Elle conserva donc cette expression froide et figée, et son ton sec :

« - J’ai envie de t’aider.

Elle prit la bourse de Lupo, y sélectionna quelques pièces, une poignée, les enroula dans un morceau de tissu et les glissa entre les doigts tremblants de la jeune fille.

- Voilà. Je ne peux pas te donner plus pour l’instant ce serait trop risqué. Maintenant, si tu veux sortir d’ici, subtilise tous les jours une pièce dans ce que tu gagnes. Ça ne se verra pas. Au bout d’un an, tu auras assez pour prendre une bateau et t’établir loin. C’est comme ça que j’ai survécu, moi. »

Miranda ne souriait toujours pas. Elle était la froideur même, et désarçonné parce qu’elle ne savait pas comment réagir. La fille n’avait plus peur, elle était juste médusée. Elle serrait entre ses doigts les pièces, et murmura un très léger remerciement, que Miranda n’entendit sans doute pas, car elle sortit très vite de la chambre.

Elle se fit raccompagner par Manolete, l’homme de main de Lupo. Il la regardait d’un drôle d’air, comme s’il voulait la tuer, et que seul son patron l’en empêchait. Elle n’y fit guère attention, perdue dans ses pensées. Elle se disait qu’elle n’avait même pas demandé son nom à la jeune fille. Peu importait, elle ne la reverrait sans doute jamais.

Il y avait du passage ce soir-là chez Lupo. A peine Manolete eut reconduit Miranda qu’il vit arriver une silhouette sombre au milieu des quais, visiblement féminine, d’après la démarche, dont le visage était cachée par une grande capuche. Elle s’approcha de lui et déclara d’une voix qui était bien celle d’une femme :

« - J’aimerais parler à Lupo.

Manolete essayait de voir les traits de la femme mais sans pouvoir, elle baissait la tête. Il s’amusa de cette visite nocturne.

- Tu sais, ma p’tite, ce sont plutôt des hommes qui viennent ici, d’habitude.

Manolete eut un rire gras qui ne plut pas à la femme. Elle releva aussitôt la tête, foudroyant de son regard de feu le pauvre Manolete qui s’étonna alors en la reconnaissant. Angelina de Caradras. Tous connaissait son visage. Il eut un instant envie de la kidnapper tout de suite, et de faire payer son père. Mais il fallait les ordres de Lupo, et Manolete était profondément loyal (même si ses mains tremblaient de ne pas pouvoir serrer le coup tendre de la jeune fille). D’après l’air autoritaire qu’elle prit, il devina que c’était urgent et important.

- D’accord, entrez.

Il la fit pénétrer dans le hall, où les nombreux domestiques la dévisagèrent, il y eut même des filles qui poussèrent des cris de dégoûts en la voyant ici. Angelina remarqua tout de suite l’hostilité à son égard. Tous affichaient non seulement la surprise, mais surtout l’envie, la jalousie. Cela enorgueillissait la jeune femme, qui releva la tête plus que jamais. Elle eut bientôt face à elle Lupo, petit, vil, et courbé comme à son habitude. Il la fit entrer dans son bureau.

Elle remarqua tout de suite que Manolete était posté à un coin de la pièce. Cela n’était pas pour la rassurer. Mais elle n’avait pas peur de ces pauvres, elle se savait être un bien trop précieux pour eux, et par là intouchable. Elle observa aussi l’intérieur richement décoré, mais sans goût, tout était ici à outrance, des dorures, des draperies, des objets sans doute de valeur mais disposés aléatoirement, plus pour montrer la richesse que pour l’embellir. Angelina se dit qu’elle avait raison de les mépriser, eux qui ne savaient même pas comment agencer leurs maigres richesses. Sans doute aurait-elle été étonnée d’apprendre que Lupo était plus fortuné que son père. Elle retira sa capuche et fixa Lupo. Elle ouvrit la bouche pour commencer mais il la coupa :

« - On ne peut pas dire que vous venez souvent ici. C’est dangereux pour vous, vous savez. Je pourrais vous capturer et vous asservir comme ces toutes celles qui sont ici sous ma botte. Personne n’en saurait rien.

Il souriait d’un plaisir immense en disant cela. Angelina eut l’effronterie d’ajouter :

- Oui, mais vous ne le faites pas, et je…

Elle s’arrêta, se rendant compte au sourire de Lupo qu’il n’était pas dans son intérêt de le provoquer. Elle en vint donc au sujet :

- Voilà, j’aimerais que vous… Que vous me débarrassiez de quelqu’un. Et je vous paie pour ça.

- Combien ? demanda de suite Lupo, retrouvant d’un seul coup son sérieux.

Elle balança sur la table une bourse dont s’échappèrent des diamants. Lupo les étudia pendant un long moment.

- Allez-y, expliquez.

- J’ai fait des recherches, et je sais que vous connaissez une certaine Francesca.

Manolete sursauta.

- En effet, répondit calmement Lupo.

- Hé bien je vous demande de la tuer.

Manolete semblait trépigner. Il se pencha à l’oreille de son maître pour lui murmurer quelque chose. Lupo le repoussa de la main. Il se leva alors de sa chaise et tenta de paraître grand, levant son museau de fouine au-dessus du minois d’Angelina.

- C’est non, cette fille ne m’intéresse pas. Débrouillez-vous autrement.

- Mais ! s’écria Angelina. Elle vous a escroqué, je le sais !

- Ma chère Angelina, vous savez trop de choses.

Manolete, derrière son maître ne comprenait pas trop. Il restait immobile et écoutait Lupo continuer avec un sourire heureux :

- Vous allez partir d’ici tout de suite, sinon je vous garde. Je ne m’occuperais pas de Francesca.

Angelina se leva, dominant de sa haute stature Lupo. Elle fulminait, mais ses regards furieux n’atteignaient que Manolete en retrait. Elle posa la main sur la table pour reprendre ses diamants lorsque Lupo lui serra fermement le poignet.

- Tss… Et ça, ça reste avec moi, c’est un gentil cadeau pour ne pas vous torturer en vous laissant à la merci de toutes les pauvres filles que j’emploie et qui se feraient un plaisir de défigurer votre si beau visage.

Angelina voulut crier mais n’y parvint pas. Elle sortit en trombe, sentant que de nouvelles larmes lui venaient dans les yeux. On entendit plusieurs portes claquer, puis le silence se fit dans le bureau de Lupo.

- Pourquoi vous avez refusé, patron ? Ç’aurait été une belle occasion !

- Rattrape-là si tu veux, elle acceptera peut-être de t’engager. Mais dans ce cas ne remets plus les pieds ici.

Manolete baissa le regard en signe de soumission. Lupo lui lança :

- Et retourne à ta place, devant la porte, les vrais clients ne devraient plus tarder, la nuit est tombée. »

Manolete sortit du bureau dans un silence loyal.

Lupo resté seul ricana. Il adorait regarder ses êtres stupides s’agiter. En ce moment, tous l’amusaient, Miranda, Manolete, ses filles, les domestiques, et maintenant cette Angelina. Ce spectacle de la déchéance humaine était bien plaisant, et Lupo se sentait véritablement heureux. Evidemment, l’histoire de Francesca l’ennuyait un peu, mais elle était si vieille… Autant l’oublier. Et puis il y avait autre chose qu’il n’allait pas révéler à Manolete. La Sperenza, à quai depuis plusieurs mois, faisait des repérages autour des côtes nord, afin de cartographier cette partie du monde. Elle en avait encore pour six mois, après quoi elle repartait en Tilée. Et évidemment, elle emportait des passagers. Lupo comptait bien en être. Exit Gilliano et tous les pantins qui y vivaient. A lui la Tilée et la gloire. Il connaissait du monde là-bas, et du beau monde. Il allait pouvoir être conseiller de quelques princes, il suffisait de choisir le bon. Cette perspective d’avenir le mettait de bonne humeur. Partir d’ici. Il n’y avait plus que quelques mois à supporter. N’en parler à personne, bien sûr. Il ne fallait rien gâcher, tout était prévu et millimétré. Il allait dire au revoir à cette cité qui, d’après lui, puait de plus en plus, entre les querelles internes des bourgeois et les pourritures des quartiers pauvres laissés à l’abandon. Le marquis de Caradras ne valait pas mieux, qu’attendait-il pour changer tout ça ? Gilliano ne serait jamais qu’une pauvre colonie ridicule, une cité bien trop éloignée de la Tilée pour en avoir les bénéfices. Lupo sentait aussi qu’un vent de révolte grondait dans les quartiers pauvres. On commençait à prendre conscience des inégalités. Il fallait donc qu’il parte avant que cela n’éclate, car il ne saurait pas quel parti prendre. Six mois, ça devrait être bon. Souriant une fois de plus de ses pensée, il s’assit dans son large fauteuil et s’endormit d’un sommeil bienheureux.

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Et bien les voila les personnages qui manquaient ! Ca fait plaisir ! Je sais pas si cela à boulversé tes plans ou alors si c'était prévu mais en tout cas, c'est bien de les faire remonter à la surface !!

J'ai pas vu de fautes d'ortho ! Je suis pret a parier que tu utilises par word ( d'ailleurs ca me fait legerement enrager :flowers: )

Sinon pour le fond meme, tu recadres plus ton histoire et fais donc remonter tout ces persos à la surface ! Donc ce n'est que du bon, et comme d'habitude, j'attends la suite ! D'ailleurs je me demande si notre héroine et Lupo vont se retrouver sur le meme bateau ! Enfin c'est juste une question !!

@+

-= Inxi =-

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Invité Mr Petch

Rarf... Quelle est cette légende qui veut que je n'utilise pas Word? Evidemment, je l'utilise, sinon, il y aurait des fautes de frappe à la pelle. Et c'est un conseil à tous les auteurs de la rubrique : utilisez Word!

*

Onatti avait trouvé une cuvette en métal assez grande pour laver les deux jumeaux en même temps. Elle était un peu froide, mais lorsque le soleil l’éclairait, elle se réchauffait subitement et la température de l’eau montait, et de ce fait, le bain était à une température idéale. Francesca s’attelait justement à cette tâche. Pietro et Federico étaient tous les deux assis nus dans la bassine et se laissait nettoyer par leur mère. Parfois Pietro tapait avec ses mains dans l’eau qui éclaboussait alors la petite terrasse. Ils se trouvaient dans la cour intérieure de la villa d’Onatti. C’était un petit jardin avec trois plates-bandes strictement délimitées, sur lesquels le capitaine faisait pousser des tomates ou d’autres légumes. Ici, on se trouvait à l’abri des regards indiscrets, car la cour était ceinte d’un mur de deux mètres de haut qui avait été envahit par la vigne vierge – et la plante grimpante, orangée par cette saison ressemblait à de gros fruits murs et plats dorés au soleil.

Francesca vit arriver par l’entrée principale Fatma, qui portait dans ses bras la petite Leïla. Celle-ci pouffa en voyant les deux garçons, et ses fossettes se creusèrent autour de ses joues. Ses cheveux avaient bien poussés et elle les attachaient en deux nattes qui pendaient sur les côtés. Les deux femmes se mirent à parler :

« - J’ai une excellente nouvelle, Francesca. Nous avons trouvé un terrain où nous installer !

Francesca se leva, s’essuya les mains humides sur son tablier et répondit :

- Mais c’est génial ! Et où est-ce donc ?

- C’est une petite maison à l’extrémité ouest des quais. Une ancienne dépendance du marquis de Caradras, qu’il accepte de nous vendre. Il y a quelques rénovations à faire, mais Malik s’en chargera très bien !

- C’est une bonne nouvelle, en effet.

Elle hésita un peu et se reprit :

- Même si… Même si votre séjour ici a été une vraie délivrance… Vous reviendriez nous voir ?

- Aussi souvent que nous pourrons ! Et Leïla aura sûrement envie de voir ses deux copains.

La petite fille secoua plusieurs fois la tête en signe d’acquiescement, et le rose empourpra un peu ses joues bronzées.

- Et quand partez-vous ?

- Sans doute avant ce soir… Malik t’attend dans la chambre. »

Francesca s’émerveilla. Elle confia la garde des enfants à Fatma et courut à travers la maison.

Elle grimpa les escaliers quatre à quatre jusqu’à arriver au grenier. La porte était entrouverte. Elle la poussa doucement. Malik était en train de ranger ses affaires. Elle lui sauta au coup, et ils manquèrent de tomber par terre.

« - Francesca !

- Malik, pourquoi me quittes-tu comme ça ?

Elle avait dit ça sur le ton de l’espièglerie et le montra en étreignant le jeune arabien. Ils s’embrassèrent un long moment, jusqu’à ce que Malik ajoute :

- Ma mère t’a dit. Nous partons.

- Oui, et c’est bien dommage… Tu ne veux pas rester, toi ?

- Non. Je ne peux pas les abandonner. Et il y a du travail à la maison.

Francesca se résigna et desserra un peu son étreinte. Elle savait qu’il ne pourrait rester mais par jeu, elle avait essayé.

- Tu devrais me faire un cadeau d’adieu… dit-elle d’une voix boudeuse.

Malik l’observa. Son enfermement chez Onatti, au milieu de tant de beaux meubles, de peintures de maîtres et de tentures dorées lui avait donné un surcroît d’orgueil. Elle se sentait de ce monde de la bourgeoisie où, pourtant, elle ne vivait que par erreur. Mais Malik, lui, ignorait toute l’importance des milieux sociaux, et Francesca, depuis que leur amour avait débuté, s’attachait à reproduire des gestes précieux, des tournures complexes, des allures affectées, qu’elle imaginait dans certains récits d’Onatti. Alors le jeune arabien ne sut quoi répondre, et se contenta de l’embrasser à nouveau. Francesca sourit, mais cette fois d’un sourire pessimiste, niant l’espérance. Etait-ce là encore une parcelle du caractère d’Onatti qui retombait sur elle ?

- L’avenir nous en apprendra plus… annonça-t-elle prophétiquement. »

Ils s’embrassèrent une dernière fois avant de se séparer.

Dans le couloir, Francesca croisa Onatti qui transportait des caisses de vêtements. En la voyant, il déclara en souriant :

« - Fatma a du te le dire, ils ont trouvé une maison. Une fois de plus, nous nous retrouvons seuls tous les deux.

Sa réponse fut sèche et pleine de sous-entendus :

- Doit-on s’en réjouir ? »

*

« - Où vas-tu père ?

Angelina arrêta le marquis alors qu’il mettait son manteau dans l’entrée de leur grande maison.

- J’ai promis à la fille de Pizzi de l’aider à s’installer. Et nous ferons le compte des travaux à réaliser. Bernardo s’est déjà proposé pour participer. »

Angelina resta muette et froide. Le marquis la regarda, avec son air guindé, et son haut port de tête. Il se dit qu’à cet instant, elle ressemblait tellement à sa mère… Et cette pensée le fit frissonner. Il se trouvait impuissant face aux frasques amoureuses de sa fille. Il avait déjà entendus certains valets, dans la discrétion de leur cuisine, parier sur le prochain qui se serait séduit par elle. Il en avait honte mais n’y pouvait rien, surtout quand elle prenait cet air si glacial. Le marquis était un homme de guerre, de bataille, il s’épanouissait dans le fureur et les flammes des combats, dans le bouillonnement fougueux des armes qui s’entrechoquent, dans l’odeur de souffre des canons et des arquebuses. Il lui fallait une armée à commander, un sabre, un uniforme, un cheval, pour incarner à lui seul la gloire et la réussite. Tous l’admiraient pour ça. Mais les femmes, il n’avait jamais su les affronter, son mariage avait été un mariage de raison, voulu par ses parents. Il feignait de ne pas entendre les rumeurs d’infidélités qui courait sur le compte de sa femme. On disait qu’elle était volage, elle aussi. « Telle mère, telle fille », pensa-t-il. L’épisode de la tempête, il y a plus d’un an, l’avait élevé au rang de héros, il était alors au sommet de sa gloire. Mais depuis, tout cela déclinait. Il se sentait moins de pouvoir, et il ressentait bel et bien au sein de ses lieutenants des gestes d’insoumission, de laisser-aller. Il n’avait plus la même prestance, depuis que sa femme et sa fille le faisaient par deux fois cocus. Il était abattu, désarçonné. Et on disait que les bourgeois prenaient de l’influence en ville…

Pour éviter un affrontement direct avec sa fille, il saisit sa cape et sortit en vitesse. Angelina resta seule dans l’entrée et le regarda s’enfuir. Elle s’engagea dans l’escalier.

Bernardo les descendait quatre à quatre, et il sourit en voyant sa sœur.

« - Alors, comment vas-tu aujourd’hui.

C’était un sourire narquois, empreint d’ironie.

- Bien. Toi aussi tu abandonnes la villa pour aller aider les autres, en bas.

- Exactement, tu es perspicace, ma vieille.

Angelina l’écarta de la main, comme pour chasser un moustique. Mais alors qu’elle montait, elle entendit sa voix :

- Hé ! Il y a ton marin qui t’attend dans le petit salon.

- Quoi ? Je lui avais dit de ne plus remettre les pieds ici !

- Il est arrivé par la porte de derrière, je l’ai vu, je l’ai fait attendre. Débrouille-toi avec lui. »

Angelina entendit les pas de son frère descendant l’escalier, puis sortant de la maison. Elle souffla avec impatience. Elle n’était pas vraiment d’humeur à le voir… Cette histoire avec Malik l’obnubilait… Elle ne comprenait pas pourquoi. Elle monta très lentement les escaliers, pour mieux faire attendre le marin. Puis elle entra dans le petit salon.

« - Je t’avais dit de ne pas revenir, va-t’en.

Le marin était presque allongé sur un grand canapé, sa calotte à la main. Il portait un baluchon sur l’épaule. Il répondit sur un ton plus jovial, pensant détendre l’atmosphère :

- Je croyais que c’était une blague !

Angelina se saisit subitement d’une petite statuette de Myrmidia sur une table et la balança au visage du marin en criant. Il évita la statuette qui alla se briser sur le sol dallé. Des éclats blancs jaillirent et s’étendirent sur un tapis rouge.

- Et ça c’est une blague ? Barre-toi, je te dis !

Le marin était cette fois surpris. Il fronça les sourcils et se leva, se dirigeant vers la porte. Mais il ajouta :

- J’étais justement venu te faire mes adieux. Ma permission est fini, je reprends le chemin de l’océan. Il Rubino part ce soir.

- C’est ça, bon débarras !

- Tu deviens grossière. Tu n’es pas obligé d’être désagréable parce que l’arabien ne veux pas de toi. Et je t’avais prévenu. »

Elle le poussa avec violence hors de la pièce et claqua la porte. Il trébucha et le contenu de son baluchon s’étendit dans le couloir. Il se pencha pour le ramasser, puis soudain tendit l’oreille. N’entendait-il pas des sanglots derrière cette porte qui venait de se claquer. Il hésita à y entrer de nouveau. Peut-être y avait-il encore une chance… Mais sa raison prit le dessus. Il se leva et sortit de la grande villa des Caradras.

*

Une fois de plus, Angelina avait revêtu son déguisement : une grande cape noire à capuche qui masquait tout son corps. Nul ne pouvait deviner que la fille du marquis se trouvait sous ce déguisement. La journée avait avancée, et déjà, un couple d’inséparables qui avait quitté la jungle venait annoncer la tombée de la nuit sous les fenêtres d’Angelina, là où la large branche d’un hibiscus frappait aux carreaux. Elle rassemblait ses affaires dans une besace. Là, dans le tiroir de sa coiffeuse, un petit couteau à la lame tranchante. Elle fouilla aussi en vain son placard à la recherche d’un pistolet, mais sans doute son père lui avait-il confisqué. Dans son affolement, elle pleurait, son visage pâle était secoué de sanglots à chaque instant, et son teint d’ordinaire crayeux s’empourprait aux joues malgré le maquillage. Ayant rempli sa besace, elle se regarda dans le miroir de la coiffeuse. Ses deux yeux étaient gonflés, des larmes coulaient encore sur sa peau et ses cheveux était en bataille. Elle avait beaucoup pleuré tout l’après-midi, en repensant sans cesse à Malik. Qu’avait-il de si attirant pour la mettre dans des états pareils ? Il fallait qu’elle fasse quelque chose, absolument, et c’est là qu’elle avait pris une décision : cette jeune femme, qui demeurait chez le capitaine Onatti devait être seule aujourd’hui, car tous étaient allés aider à l’installation de Fatma Pizzi. Elle devait agir ce soir… Agir… Ce mot revenait sans cesse dans son esprit sans qu’elle ne sache vraiment quel sens lui donner. Que voulait-elle, en réalité ? Effrayer la jeune femme, lui imposer son point de vue ? Simplement discuter, la voir, comprendre ? Ou irait-elle jusqu’à l’affrontement, pour peut-être la tuer ? Non, lui disait la voix de sa conscience, ce serait absurde. Alors pourquoi avait-elle pris ce poignard, et pourquoi rageait-elle de ne pas trouver le pistolet ? Elle ne préférait pas répondre à ces questions. Elle aviserait sur place, une fois que le visage de la jeune amante de Malik lui apparaîtra…

Elle se contrôla et, avec un calme étonnant, elle se remaquilla et attacha ses cheveux en un chignon, pour redevenir Angelina de Caradras.

Elle n’eut pas trop de mal à circuler discrètement en ville, les rues étaient paisibles et désertes. Elle fureta doucement entre les habitations, l’œil aux aguets. Elle se rappelait du chemin qui menait chez Onatti, car c'était une des dernières maisons avant les limites de la jungle. Et elle avait été bâtie récemment, à la place d’anciennes ruines. Elle se glissa dans l’ombre qui s’étendait sur le sable des rues et qui marquait déjà l’avènement du jour. C’était un soleil doux et orangé qui disparaissait derrière les toits et qui accompagnait Angelina dans son parcours. A pas feutrés, elle arriva bientôt à la villa. Elle sentit son cœur battre et tenta de le contrôler. Cet affolement était stupide, il fallait réagir froidement, toujours. Elle serra contre sa poitrine la besace et respira un grand coup. Son cœur battait toujours aussi vite. Elle se rapprocha de l’entrée et eu le réflexe de regarder en l’air. Il y avait une fenêtre au premier étage qui attira son attention, car elle venait de s’éteindre, comme si la personne qui s’y trouvait quittait la pièce. Un instant, elle hésita : il lui vint à l’esprit que la jeune fille n’était peut-être pas seule. Peut-être même était-elle avec Malik ! Que ferait-elle dès lors ? Elle sentit tout contre sa peau le manche du poignard qui lui rentrait un peu dans le ventre. Elle était crispée, bien trop crispée. Il y avait un petit banc juste en face de la villa. Elle s’y assit un instant pour souffler et reprendre ses esprits. Il ne fallait pas se hâter. Elle resta bien droite face à la faible lumière d’un soleil déclinant. Ses forces revenaient, grâce à ces rayons puissants, elle se souvenait de ce qu’elle était : Angelina de Caradras, fille du marquis qui dirige cette cité. Elle se dit qu’elle n’était pas n’importe qui, et qu’elle surmonterait cette épreuve d’une façon ou d’une autre. Elle parlerait à l’amante de Malik et l’enjoindrait de quitter Gilliano. Elle avait même emmené de l’argent… et le couteau pouvait servir. Peu à peu, des certitudes lui venaient, elle avait capté la force du soleil.

Elle s’apprêta à se lever lorsqu’en face d’elle, la porte de la villa s’ouvrit. Le capitaine Onatti en sortit. Rapidement, elle se camoufla dans sa capuche et détourna son regard, écoutant attentivement. Le capitaine fermait la porte de sa villa à clef, mais en même temps, il parlait à quelqu’un à l’intérieur : « Je reviens avant le coucher du soleil, ne t’en fais pas. Juste quelques détails à régler. ». Angelina ne se retourna pas. Une voix répondit à Onatti, qu’elle ne comprit pas. Une voix de femme. Puis le vieux capitaine s’en alla, laissant derrière lui sa villa et une femme à l’intérieur.

Angelina s’assura qu’il n’y avait bien personne d’autre autour d’elle. Elle ne disposait que de quelques instants. Comment s’y prendre ? Elle s’avança lentement vers la porte, gardant son calme. Puis, tout doucement elle frappa avec son poing. Fort, comme pour signifier qu’elle savait qu’il y avait quelqu’un à l’intérieur. Il y avait une fenêtre à sa droite. Elle guetta au cas où quelqu’un regarderait le visiteur. Mais personne ne vint à la fenêtre et personne n’ouvrit. C’était à prévoir. Elle frappa de nouveau, plus fort encore cette fois, ostensiblement. Elle imaginait que sa rivale se trouvait là, juste derrière, à attendre que l’intrus s’en aille, ne sachant pas quoi faire à part attendre. Elle la voyait tapie dans son fauteuil, fixant la porte. Une idée lui vint alors : elle murmura doucement après avoir frappé une troisième fois :

« - Je sais que vous êtes là, ouvrez.

Elle pensa judicieux d’ajouter :

- Je ne vous veux aucun mal.

Un silence, mais cette fois un léger bruit, comme si quelqu’un bougeait de l’autre côté.

- Je viens vous parler de Malik.

Angelina ne cherchait même pas à masquer sa voix. Ce n’était pas son but, bien au contraire. Elle alla frapper une quatrième fois lorsqu’une voix lui répondit de l’autre côté :

- Qui êtes vous ?

- Une amie.

Un silence, comme une hésitation des deux cotés.

- Pourquoi venez-vous ?

- Je vous l’ai dit. Pour vous parler de Malik. »

Angelina avait le visage collé contre la porte. Elle sentait des respirations saccadées. Etait-ce les siennes ou celle de son interlocutrice ? Dans tout les cas, son cœur battait puissamment. Il accéléra lorsqu’elle entendit le loquet s’ouvrir et la porte s’entrebaîllée. Une main lui fit signe d’entrer – une main pâle et fine, de femme, bien sûr, qu’elle observa avec intérêt.

Angelina pénétra dans le salon d’Onatti. Elle contempla la grande pièce et remarqua sur le dossier d’un fauteuil un voile blanc qui ne pouvait appartenir qu’à une femme. Elle vit soudain Francesca. La jeune femme était debout contre la porte, comme si elle voulait lui bloquer la sortie. Elle portait une simple robe ocre plutôt courte, qui mettait en valeur ses chevilles dénudées, car elle était pieds nus. Sa peau était un peu mate, mais pourtant étrangement pâle, comme la peau de quelqu’un qui n’aurait pas vu le jour depuis longtemps. Son visage était nerveux, un regard noir encadré par des mèches sombres, une bouche fine et plate, les bras croisés sur sa poitrine. Francesca lança d’une voix injonctive qui n’avait rien d’amical :

« - Enlevez votre capuche.

Angelina s’exécuta avec fierté, dévoilant son visage ovale et ses grands yeux bleus. Elle afficha aussi un sourire ravie et sûre d’elle.

- Vous devait être Angelina, la fille du marquis ?

- En effet ! déclara-t-elle en fixant Francesca.

Elles se jaugèrent un instant, comme deux combattantes sur un champ de bataille.

- Beppo m’a parlé de vous. Et Malik aussi.

- C’est justement de lui que je voudrais vous parler, commença Angelina en tournant autour de Francesca qui ne bougeait pas, sur la défensive. Il va falloir l’oublier.

Francesca eut un sourire amusé.

- Et pourquoi donc ? demanda-t-elle.

- Voilà. Si vous le souhaitez, je vous donne de l’argent avec votre assurance de partir. Il Rubino part ce soir, j’ai un ami à bord qui pourra vous aider.

Elle sortit de sa besace une bourse d’or qu’elle hissa près du visage de Francesca. Cette dernière avait une forte envie de rire.

- Je ne comprends rien, qu’est-ce que vous voulez ?

- C’est très simple : vous partez ce soir, avec l’argent, vous vous établissez quelque part, en Tilée, en Estalie, en Arabie si vous voulez.

- Mais je n’ai aucune envie de quitter Gilliano.

Francesca ricana un peu, et Angelina traita ce rire par le mépris :

- Et si je vous y contraint… Ne riez pas !

Francesca avait du mal à garder son sérieux, elle ne comprenait pas vraiment la situation. Alors, elle expliqua :

- Angelina. Malik et moi nous aimons, nous allons sans doute vivre ensemble, et je n’ai donc aucune envie de quitter Gilliano. Et si c’était un problème d’argent, ne vous en faites pas, j’en ai !

La fille du marquis se mit à bouillir intérieurement. Sa main était crispée à l’intérieur du sac, contre le couteau. Elle voulait le sortir, car elle avait le sentiment de ne pas maîtriser la situation. Ses lèvres se pincèrent, et Francesca continua :

- Vous l’aimez, n’est-ce pas ? Et vous pensez que parce que vous êtes une aristocrate vous le méritez plus que moi ? Mais vous rêvez complètement !

Angelina perdit un peu de sa prestance, tout en conservant un certain maintien. Elle garda le silence.

- Sortez tout de suite d’ici, mademoiselle. Vous savez bien que vous n’y pouvez rien.

Francesca s’apprêta à ouvrir la porte. Angelina serrait le manche du couteau. Son visage était impassible, mais sa main dans le sac semblait se débattre. Soudain, Angelina se retourna :

- De toute manière, il ne vous aime pas. Vous l’amusez simplement, comme vous m’amusez moi, comme vous amusez les vieux jours du commandant Pizzi. Vous n’êtes rien de plus que ça, un bouffon. »

Il y avait dans le regard de Francesca en cet instant quelque chose de cruel, une émotion nouvelle qu’elle n’avait jamais ressenti : celle de faire du mal. Elle qui avait tellement souffert des autres, qui avait été tellement maltraitée ressentait le plaisir intense qu’il y avait à blesser quelqu’un. Son regard resta longuement figé dans cette expression de haine, un visage dénué de toute innocence, alors qu’elle ouvrait la porte lentement, et qu’Angelina se laissait conduire à l’extérieur. Sa main avait lâché le couteau qui était retombé dans la besace. Elle ne comprenait pas encore. Simplement elle marchait droit devant elle. Elle jeta un coup d’œil à Francesca qui lui parut être un démon, et s’en détourna comme apeurée. Tout cela était intérieur, elle tentait de garder un certain port de tête et regardait toujours sa rivale de haut. Mais c’était le regard déçu d’un prédateur qui sait sa fin arriver, et qui observe les hyènes qui se partageront bientôt son corps. Elle avait en elle encore cette fierté, mais son bouclier s’était brisé face à l’arme tranchante que constituait le nouvel orgueil de Francesca.

La porte se referma définitivement, et Angelina se retrouva seule dans la rue. Elle replaça en hâte sa capuche sur la tête et partit en courant vers son manoir. Le soleil était bientôt couché, il avait disparu derrière les toits et tout n’était plus qu’ombre sur son chemin. Elle repensa alors à son marin, qu’elle avait expulsé peu de temps avant, et elle regarda vers les quais. Elle eut une envie folle de courir vers ce bateau, celui-là même qu’elle avait indiqué à Francesca. Mais elle n’en fit rien, trop heurté dans sa vanité pour dévoiler plus de faiblesses. Elle disparut dans la montée qui menait à la villa Caradras. Le soleil nappa la cité pour une nouvelle nuit de tranquillité.

Modifié par Mr Petch
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« - Alors, comment vas-tu aujourd’hui.

Voila les deux problemes selon moi sur la forme :clap: Alors, la première, j'aurai la question en un peu plus developpé. Du genre en commençant par : Est-ce que. C'est plus lisible je trouve. Et l'autre, c'est juste une erreur de ponctuation, il manque le point d'interogation.

Sinon, j'ai toujours que des compliments. Je suis juste surpris par la réaction qu'a Angelina car on s'attend vraiment à un affrontement. Mais c'est pas choquant en outre mesure. Sinon, j'ai pas d'autre remarque, c'est un passage centré sur Angelina donc on l'a suit bien avec une très bonne gestion des sentiments :innocent:

Allez, suite !

@+

-= Inxi =-

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