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L'Ennemi intérieur


Monthy3

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Bonsoir

Je vous présente donc ce récit, que j'ai bien envie de poursuivre un bon bout de temps. Il ne se déroule pas dans l'univers de Warhammer, mais dans un monde au moins aussi sombre.

J'ai pour le moment écrit le prologue et cinq chapitres. Comme j'attendrai avant de poster le début d'un chapitre de l'avoir entièrement fini, il y aura peut-être des périodes d'accalmie... Ne vous en inquiétez pas !

Voilà désormais le récit proprement dit ; bonne lecture.

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L'Ennemi intérieur

Prologue : Juste une halte

Eh, voyageur ! Pourquoi poursuis-tu ton chemin alors que la route est gelée et glissante, alors que la nuit tombe ? Tu n´as donc pas peur de mourir de froid, les doigts gourds et les lèvres gercées ? Si, bien sûr que tu as peur, tout le monde a peur de la mort, tout le monde, oui… Mais tu n’aspires plus qu’à cela, n’est-ce pas ? Allons, cela ne peut-il pas attendre quelque temps ? Entends-moi, arrête-toi : je peux peut-être quelque chose pour toi, qui sait ? Tu crois être le plus malheureux des hommes ; orgueil ! Entre, entre contempler le malheur du monde, ose observer la souffrance des autres, et ose encore te lamenter sur ton sort après cette vision d’horreur ; ou reste à méditer dans cette auberge chaleureuse, celle qui accueille les accablés, ceux qui se sont égaré sur le chemin de la vie, ceux qui ont pris un sentier de traverse menant tout droit au trépas.

Pour cela, voyageur, il te faut du courage : t’en reste-t-il ? Es-tu encore assez brave pour affronter ce que je veux te montrer ? L’as-tu jamais été ? Ah, j’aperçois une lueur farouche se réveiller brusquement et se mettre, volontaire et indignée, à danser dans tes yeux ; bien, tu m’as l’air déterminé : serait-ce la vie qui reprend le dessus ? Pour combien de temps, toi seul pourras nous le dire, toi seul pourras le décider. Un pas, lent, un autre, lourd : tu as dû réaliser un bien long voyage ; enfin, tu en atteinds le terme, quel que soit ton choix. Arrivé ici, tu n’aspires plus à rien ; parvenu ici, la vie ne t’apporte plus rien ; elle ne fait que t’éroder, te déliter, te désintégrer.

Ah, ignore ces derniers propos ! Ce ne sont que les fariboles d’un être qui n’a fait que rêver sa vie plutôt que de vivre ses rêves ; oublie-les, leur vérité est trop douloureuse pour les hommes contraints de l’entendre. Elle les détruit un petit peu plus en soufflant sur la maigre flamme de l’espoir, qui tente de subister tant bien que mal ; parfois avec succès. Je ne suis pas là pour te juger ou te tester, oh non – de quel droit le ferais-je ? Je ne peux guère faire plus qu’apporter un peu de chaleur dans tes membres, un peu de réconfort dans ton cœur, un peu d’apaisement à ton âme.

Je parle, je parle, et toi tu attends sur le pas de la porte pour entrer – entre, je t’en prie. Laisse-toi inonder par la douce chaleur du feu de cheminée, par l’alléchante odeur du faisan à la broche. Prends place, n’hésite pas ; comme tu peux le constater, il y a encore des tables libres, malgré tous les autres convives. Comment ? Tu ne les entends pas ? Ah, ne t’en étonne pas : ils appartiennent à d’autres mondes, à d’autres époques. Qu’importe ? Je te tiendrai compagnie dans ce lieu immortel. Mon âge ? Question indiscrète, voyageur ; et puis, cela ne t’avancerait à rien de le savoir. Sache juste que j’ai toujours existé, comme l’humanité a toujours existé. Qui se serait occupé des errants en mon absence ?

Je lis dans tes yeux que tu ne me crois pas ; tant pis, il ne pouvait finalement pas en être autrement. Mais je vois aussi que tu demeures méfiant ; allons, ôte ton manteau et dévoile la lourde épée à double tranchant qui te bat le flanc. De quoi as-tu peur ? Allez, prends cette chope de bière et trinquons ensemble ! Non ? Alors, ton courage n’a tenu que quelques minutes ? Réveille ta fierté, guerrier ! Redeviens un homme ! Chasse l’animal craintif qui a pris le dessus, traque-le jusqu’aux tréfonds de ton âme s’il le faut, mais vaincs-le, définitivement ! Trinque !

Enfin ! Parlé-je à un homme, désormais ? A une loque humaine, me dis-tu ? Peut-être… ou peut-être pas. Car, des lambeaux de ton âme, je te donne la possibilité de faire un habit soyeux ; es-tu intéressé ? Une raison ? Pourquoi te faut-il une raison ? Pourquoi faut-il toujours à l’homme une raison pour faire quelque chose ? Mais mes questions t’ennuient et te lassent, et déjà je te vois disposé à repartir dans l’obscurité enneigée de la mort. Soit, je ne te poserai donc qu’une dernière question ; de toi, j’attends une réponse sincère ou pas, honnête ou malhonnête, pourvu qu’elle vienne du plus profond de toi. Clôs l’ouverture de ton âme, ouvre la porte fermée de ton cœur, écoute-moi et réponds-moi.

Es-tu prêt ?

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Première partie : la fin d'un ordre

Chapitre I : Hasard ?

Vois-tu cette ville, voyageur ? On l’appelle la Cité des Seigneurs, ou encore la Cité des Merveilles. Ah, quelles terribles merveilles cet endroit nous fait admirer ! Mais tu as l’air estomaqué de découvrir ce monde, un monde qui n’est pas le tien ; rassure-toi, très vite il te sera familier ; laisse-moi te renseigner pour l’instant.

Vois-tu ce château fortifié qui se dresse, imposant et majestueux, au centre de la ville ? On l’appelle la Lumière de cendres ; ce nom en dit long sur les événements qui s’y déroulent, et sur son aspect extérieur : ce château qui dispense, de ses plus hautes tours, la lumière sur le reste de la ville, est quant à lui noir comme la suie, comme le plumage d’un corbeau de malheur. Tu crois que je vois des ténèbres là où il n’y en a pas ? Naïf ! Partout où le noir domine, domine aussi le mal ; tu comprendras, par la suite, lorsque tu auras vécu ce monde.

Je t’invite désormais à t’intéresser au reste de la ville. As-tu remarqué ce petit quartier éblouissant au nord de la Lumière de cendres ? C’est là que résident les marchands les plus riches, les notables ou les nobles ayant perdu la faveur du roi ; car nous sommes en monarchie. Etrange régime qui favorise si peu d’individus au détriment d’un si grand nombre tout en permettant les plus fantastiques réalisations, pourvu que le roi soit digne de l’être ; mais nous ne sommes que d’humbles spectateurs, contentons-nous donc de contempler plutôt que de commenter.

Remarque, tout autour du quartier riche, à l’est, au sud et à l’ouest du château, la misère qui règne, une misère sombre, sale et sordide, où se soumettent les pauvres – et quels pauvres ! Même de si loin, tu peux apercevoir les ruines et les taudis dans lesquels ils vivent ; même de si loin, tu peux les deviner se résignant, forcément, à leur sort tragique. Tends bien l’oreille : tu arriveras peut-être à entendre leur désespoir silencieux, leurs suppliques muettes.

Ah ! Je parle trop, je te l’ai déjà dit. Maintenant, je me tais. Laisse-toi immerger dans ce monde, dans le monde ; je t’y abandonne, seul. Sois fort.

Dans une ruelle similaire à tant d’autres ruelles des quartiers pauvres, c’est-à-dire obscure, humide, boueuse, puante – et tellement triste – deux hommes faisaient face à un troisième. Les vêtements misérables portés par les premiers étaient ridicules sur eux tant leur maintien et leur allure dénonçaient clairement leur appartenance à l’aristocratie ; à l’inverse, l’autre paraissait vraiment dans son élément. Son visage, exposé, se révélait relativement commun ; ses yeux, marron foncé, étaient au diapason d’une chevelure sombre et désordonnée, quoique pas très longue ; même le teint mat de sa peau ne parvenait pas à éclairer sa face relativement propre. Bien qu’il ne fût pas plus grand que les autres et malgré son origine sociale modeste, il semblait dominer par sa prestance ses interlocuteurs. Il était équipé du strict minimum pour le lieu à risques où il se trouvait ; de toute façon, ici, le risque, c’était lui. Ainsi, une dague effilée et parfaitement aiguisée se réchauffait dans un fourreau noir, fourreau qui frottait contre le long manteau de l’assassin. La seule autre chose qui frappait l’observateur au premier aperçu de l’homme était son pendentif : une pièce de cuivre, attachée par une petite chaîne de fer, qui reposait sur sa poitrine et s’agitait au moindre mouvement, émettant alors un léger grincement. C’est cette silhouette, un visage sombre engoncé dans des vêtements plus sombres encore, qui était en train de parler.

“Gardez votre salive, je n’ai pas besoin de raison pour tuer. C’est mon métier.

– Très bien, j’apprécie cette discrétion.

Celui qui venait de prendre la parole avait à peu près la même taille que l’assassin, mais était nettement plus pâle. Malgré ses paroles sûres, ses doigts crispés et son visage, presque blanc, révélaient un malaise constant, un profond tourment. Son compagnon, très grand, plus beau avec ses cheveux blonds et son visage bronzé, plus musclé et tout aussi raffiné, arborait au contraire un sourire serein. C’est lui qui poursuivit.

– Vous serez couvert de richesses une fois que vous aurez servi mon ami, et…

– Je ne sers qu’un seul maître : le Hasard. Lui seul décidera du sort de celui que vous m’avez désigné. Quant aux richesses, je veux cent pièces d’or.

– Vous êtes cher, mais on m’a dit que vous êtes le meilleur. Voilà un accompte de dix pièces ; vous aurez le reste lorsque nous apprendrons la mort de votre proie.

– De votre proie.

Au moment ou l’assassin s’apprêtait à partir, le premier noble, tendu, reprit la parole.

– Puisque nous en sommes aux rumeurs, assassin, j’ai cru comprendre que l’on vous surnommait Lametrouble. Pourquoi ?

– Je vous l’ai déjà dit.”

Sans laisser à ses interlocuteurs le temps de réagir, Lametrouble disparut dans l’une des nombreuses ruines alentour dessinant les ruelles.

Mederick T’Nataus, puisque tel était le nom de l’homme tourmenté, se sentait coupable d’avoir accompli un tel acte, atroce mais nécessaire. La présence de son ami d’enfance, Thorlof L’Fyls, ajoutait à sa honte plutôt qu’elle ne le soulageait, car il lui faisait l’effet d’être le témoin de l’inhumanité de son geste, de sa propre cruauté. Non, ce n’était pas de la cruauté, mais de la nécessité. Le sort du royaume en dépendait ; mais méritait-il les sacrifices qu’on lui offrait ?

“Eh bien, ami, à quoi songes-tu comme cela ? Doutes-tu de cet homme ?

– Non, Thorlof, bien sûr que non, tu sais que tu as toute ma confiance. Cet homme-là sera parfait. Non, en fait, je réfléchissais juste à ce surnom, Lametrouble, et à ce qu’il a affirmé avant son départ : avoir pour seul maître le Hasard. Est-ce un pseudonyme ?

– Ah, tu te tortures trop l’esprit, comme à ton habitude ! Oublie cela et rentrons : il serait déplacé et suspect de ne pas se présenter au dîner.”

“Suspect”, encore un mot qui résonnait dans la tête de Mederick. Et son ami qui l’avait prononcé avec tant d’insousciance ! Alors qu’ils marchaient côte à côte, échangeant des propos légers au sujet de tir à l’arc, de tapisseries ou de jeunes filles, malgré le remords qui le grignotait de l’intérieur, le “Vampire”, comme on surnommait Mederick à la Cour en raison de son teint livide, élaborait déjà ses prochaines manœuvres, en même temps horrifié de sa capacité à faire le mal.

L’assassin, leste et aérien, semblait planer dans les rues et, éthéré, traverser les murs plutôt que de prendre les portes. S’orientant avec une facilité déconcertante dans l’incroyable entremêlement de passages, d’impasses, de palissades et de personnes, ces dernières semblant faire corps avec l’environnement, il ne mit qu’une quinzaine de minutes à quitter le quartier est, appelé par dérision le “quartier nobiliaire”, puisque c’est là que les nobles venaient le plus volontiers pour recruter des mercenaires.

La limite entre ce quartier et celui du sud, nommé le “palace des pauvres”, était marquée : les habitations disposées pêle-mêle comme si on avait renversé un jeu de construction sans y faire attention tranchaient avec la relative organisation de la zone sud. En effet, autrefois, ce lieu avait été occupé par des nobles ; nul pauvre ne connaissait la raison de leur départ, mais quoi qu’il en soit, aucune incertitude n’avait participé aux constructions : les rues – car c’étaient bien des rues et non plus des ruelles – étaient parallèles ou perpendiculaires les unes par rapport aux autres, et certaines étaient même pavées. Les maisons, plus grandes, bien plus vastes, encadraient les passages de façon à peu près régulière. Là, on pouvait même apercevoir le soleil, chose quasiment impossible à l’est et à l’ouest, où l’obscurité omniprésente repoussait la lumière. Plus d’espace signifiait également moins d’odeurs ; odeurs de cuisson, de déjections, de sueur, de sang, de mort enfin, qui pouvaient rendre, combinées au resserrement des bâtisses et à la chaleur latente, même pendant l’hiver, l’air étouffant ou simplement irrespirable ; certains en mouraient. Bien sûr, malgré ces indéniables avantages sur les autres quartiers, le luxe n’était pas de mise : les fantastiques habitations étaient délabrées et surpeuplées, les rues creusées, ce qui formait parfois des marécages miniatures, et couvertes d’immondices, les vols ou meurtres légion, la loi du plus fort évidemment la seule règle ; mais tout de même, ce quartier demeurait plus “vivable” que les autres. Surtout, c’est là que Lametrouble avait ses fournisseurs.

Evitant comme à son habitude l’artère centrale, la Voie magique, pour prendre des rues parallèles, ne cherchant pas outre mesure à se dissimuler aux regards des autres mais ne saluant personne, l’assassin parvint finalement à une boutique dont l’enseigne représentait deux feuilles, l’une noire et l’autre blanche, dont les pointes étaient opposées les unes aux autres : herbes cordiales ou mortelles. Sans la moindre hésitation, il entra.

“Triste sire que voilà ! Bienvenue, Fadamar !

Celui qui venait de prononcer ces mots était en train de cueillir délicatement quelques feuilles d’un tout petit arbuste au tronc gluant et mauve. Il n’avait même pas eu besoin de lever la tête pour reconnaître le nouvel arrivant ; d’ailleurs, il ne la redressait pas souvent, une délicate attention envers ses clients, car elle était effrayante de laideur : des années de recherches acharnées et d’éprouvants voyages lui avaient apporté de nombreuses cicatrices, et tous les tests qu’il avait pu réaliser sur lui-même pour découvrir les propriétés de différentes plantes lui avaient laissé le visage couvert de toutes sortes de bubons, parfois percés et ruisselant de pus. Mais Fadamar Lametrouble n’en avait cure.

– Que me proposes-tu ?

– Allons, tu ne salues même pas ton vieil ami Nathan ?

– Je n’ai d’ami…

– Que le hasard, oui, je sais, je connais la rengaine. Tu ne changeras jamais, n’est-ce pas ? Toujours seul, et détaché du monde. Au moins, tu ne feras pleurer personne lorsque tu mourras… Comme tout le monde, finalement, n’est-ce pas ? Bon, est-ce que le rapport mort/herbes s’est révélé avantageux cette fois-ci ?

– Tu as déjà fait mieux.

– Hmmm… Si ma vieille mémoire ne me trahit pas, chose qui ne saurait durer bien longtemps encore, je t’avais donné cinq Larmes gelées et deux feuilles de Somnimort, c’est exact ?

Pendant qu’il parlait, l’herboriste longeait des étagères sur lesquelles étaient disposées toutes sortes d’herbes, de champignons ou de potions multicolores, et parfois bouillonnantes malgré la température pas particulièrement élevée de la boutique. Un coin entier, le plus éclairé et le moins poussiéreux, accueillait une dizaine de petits arbustes, certains épineux, d’autres, plus rares, vénéneux. L’éclairage était dispensé par une lucarne qui permettait au soleil de prodiguer sa lumière aux plantes en question, une lampe à huile surplombant le comptoir, et un chandelier finement sculpté posé sur une petite bibliothèque à peu près vide, dont les rares ouvrages portaient tous sur l’herborisme. Tout en analysant d’un œil exercé chacune de ses marchandises, Nathan continuait à marmonner.

– Alors, où sont-elles ? J’étais sûr de les avoir mises ici… Leur efficacité me semblait élevée, je suis surpris qu’elles ne t’aient pas plus enthousiasmé, Fadamar. Combien en as-tu eu ?

– Sept.

Le petit homme stoppa ses recherches, puis redressa la tête.

– Eh bien, eh bien, où est le problème ? Sept feuilles pour sept morts, le compte y est.

– Faux : deux feuilles pour sept morts. Tes Larmes gelées se sont montrées sans effet. Pour le prix qu’elles m’ont coûté… Je suis déçu.

L’assassin avait pénétré plus profondément dans l’échoppe, observant ce qui constituerait peut-être ses prochaines achats ; toutefois, s’il étudiait rapidement le contenu des étagères, c’était plus pour donner le change que pour véritablement faire un choix, sa connaissance des plantes étant assez approximative. Nathan se taisait, attendant patiemment que son client prenne sa décision. Finalement, Fadamar leva les yeux, se rapprocha de l’herboriste et, croisant son regard, fit d’une voix surprenamment basse :

– En fait, je recherche pour une fois quelque chose de vraiment spécial. Ecoute-moi…”

Nathan tendit l’oreille puis, avec un hochement de tête, se dirigea vers le coin de verdure.

Sortant de la boutique délesté de la totalité de l’accompte qu’il avait reçu, mais plus riche de deux petits fruits jaunes à l’air appétissant, Lametrouble prit la direction de son deuxième fournisseur habituel, dont la forge donnait malheureusement directement sur la Voie magique, c’est-à-dire sur une rue régulièrement empruntée par presque tous les habitants du quartier. Son tenant, un certain Soran, justifiait son emplacement par le fait qu’il attirait plus de clients et qu’il se sentait protégé des dangers du quartier par, justement, la forte fréquentation. Même s’il n’aimait pas la foule, Fadamar savait que Soran était le meilleur armurier de la zone pauvre ; il lui avait acheté une dague voilà déjà plusieurs mois et sa lame était encore tout à fait intacte. Il faut dire que l’assassin l’entretenait amoureusement et ne croisait que rarement le fer avec ses cibles, préférant frapper de dos ou pendant le sommeil, quand il ne se contentait pas d’empoisonner leurs aliments. Comme il arrivait quasiment à l’échoppe, un bruit inhabituel le poussa à ralentir ; discret, il avança prudemment jusqu’au coin de la rue du Chien errant, perpendiculaire à la Voie magique, puis jeta un regard.

Toute une foule se pressait à la devanture de la forge, s’agitant, piaillant, s’excitant. Pas besoin de se rapprocher davantage pour en connaître la raison : soit Soran avait péri, soit il avait disparu. Mais le tourbillonnement des flux de magie et leur couleur rouge intense ne laissaient planer aucun doute sur le funeste sort du forgeron.

Tiens, c’est seulement maintenant que tu le remarques ? Eh bien, voyageur, ton sens de l’observation est étonnamment peu développé, pour le baroudeur que tu parais être ! Bah ! Après tout, il est normal que cela te surprenne : as-tu déjà entendu parler de magie dans ton monde ? Dans les contes pour enfants, dans les propos incohérents de vieilles femmes à demi folles ? Ne sois pas si méprisant ; sache que les fables et les récits énigmatiques des anciens recèlent souvent plus de sagesse que les paroles des rois, des devins ou des prétendues élites. Oui, la magie existe, pour le meilleur, parfois, pour le pire, toujours ; elle modèle le monde et anime le coeur humain, elle détruit la vie pour la créer autre part, elle détermine l’avenir mais préserve le passé. Elle est en tout, elle est tout ; elle est, tout simplement.

Tu viens d’en avoir la preuve, avec ces rubans rouges voletant frénétiquement dans toutes les directions. Vois-tu, dans le monde, la magie est visible par tous ; mais ces flux que tu as pu contempler apparaissent la plupart du temps incolores, car ils ne sont que rarement manipulés. Ce mot t’étonne, n’est-ce pas ? Les grands magiciens du monde sont de grands manipulateurs : ils jouent avec ces bandes comme un marionnettiste tirerait les ficelles de ses pantins. Voilà l’explication générale ; le procédé est bien plus complexe, je te laisse le découvrir par toi-même. Sache juste que la couleur que prennent ces énergies – il s’agit du mot dédié – dépend du type de sortilège utilisé ; le rouge, symbolisant le sang, est par exemple la manifestation d’une magie mortelle…

“Tiens donc, quelle surprise ! Votre dernière visite remonte à bien longtemps, maître assassin ; mais je vois que vous avez gardé votre désagréable habitude d’arriver quelques minutes avant la disparition du soleil.

– Certes ; et puis, pour ta première remarque : je viens ici seulement quand je n’ai pas d’autre choix. Soran est mort.

– La tristesse me submerge.

– Je veux des informations, petit marchand. Demain, je serai là à la même heure ; sois présent : tu sais que sinon, je te traquerai jusqu’au bout du monde pour te briser.”

Sur ces mots, l’assassin quitta l’étal d’Ohran Thrixx, vendeur d’épices en tout genre de son état.

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Chapitre 2 : Menaçant, menacés

La nuit avait dévoré le soleil ; les ténèbres recouvraient désormais toute la cité, noyant les dérisoires tentatives des rares lampes de se frayer un chemin dans leur trop dense noirceur. La vie s’était presque totalement éteinte ; elle ne reprendrait qu’au lever du soleil. Seule, la Lumière de cendres semblait pouvoir lutter contre la nuit, tout comme elle luttait constamment contre le jour. En effet, à l’intérieur, le dîner allait commencer.

La salle à manger était d’une immensité presque déplacée, tant le nombre des convives était généralement limité. Tous les soirs, ils étaient onze à s’asseoir à sa table, le roi et dix nobles qu’il choisissait selon les circonstances ; or, chaque invité avait une place bien définie, dont il ne pouvait jamais changer. Ainsi, la salle comportait une chaise pour chaque nom noble du royaume, ce qui la rendait bien vide, finalement, et en général l’ambiance était glaciale… Oui, il ne faisait pas forcément bon être invité à ces repas.

Ce soir semblait spécial. Les convives venaient des quatre coins du royaume ; ils étaient les nobles les plus puissants, aussi riches qu’influents, aussi éloquents que perfides. Tous se demandaient le but d’une telle réunion – car il y en avait forcément un. Il faudrait probablement attendre le discours du roi pour le savoir, et pourtant ce dernier restait désespérément muet, un simple sourire se détachant sur son visage. Mederick échangea un regard avec Thorlof, situé à une vingtaine de places à sa droite : ce dernier, comme toujours, semblait sûr de lui, tandis que le Vampire se sentait oppressé dans le silence qui recouvrait toute la pièce. Il balaya cette dernière du regard, dans un soudain accès de panique ; il vit des ombres danser sur les murs, celles des nobles. Cela ne le fut pas pour le rassurer. N’étaient-ils que des spectres, sans la moindre substance, étrangers à la vie ? Il tenta de chasser ces funestes pensées, en vain ; tout était fait pour qu’il y songe.

Le silence dura encore quelques minutes ; enfin, le roi brandit sa coupe de saïs, un alcool fort. Mais il ne parlait toujours pas, prenant apparemment du plaisir à l’atmosphère angoissante qu’il créait à dessein. Ce manège continua pendant plusieurs secondes, une éternité pour Mederick. Finalement, alors que les bras des nobles fatiguaient et se mettaient à trembler, le roi parla.

« Amis, aux périls qui nous menacent tous !

Cette phrase, qui aurait dû mettre fin à cette longue attente, ne fit que la prolonger. Plus inquiets qu’intrigués, les invités se lançaient des regards inquisiteurs, comme si chacun se croyait empêtré dans les rets d’un complot. Malgré cela, désireux de pouvoir enfin reposer leurs bras épuisés, tous clamèrent en même temps.

– Aux périls qui nous menacent tous !

Le roi s’assit, puis tous firent de même. Les serviteurs commencèrent alors à apporter des plats, aussi bien chauds que froids, qu’ils semblaient déposer au hasard devant les invités. Mederick, habitué à noter les moindres détails, remarqua que Thorlof et lui avaient de la nourriture chaude ; il le garda à l’esprit. Avant même de commencer à dîner, le roi reprit.

– Savourez cette nourriture, appréciez ces plats délicieux, comme s’il s’agissait de votre dernier repas !

Pour la deuxième fois, les nobles se regardèrent, ne comprenant pas le but de telles allusions. Etait-ce un avertissement, ou un projet ? Peut-être une opération déjà entamée ? Quoi qu’il en était, il allait se passer quelque chose ce soir, Mederick en était persuadé. Malgré cela, les autres nobles avaient entamé les plats, voyant que le roi dînait sans ressentir les effets d’un quelconque poison, de même que Thorlof, toujours le premier à prendre des risques. Le saïs faisant son effet, la conversation entre les nobles finit par débuter, et devint de plus en plus animée. Les nobles parlaient de mariages, de conquêtes, essayaient de régler leurs différends à l’amiable avant d’être poussés à la dernière extrémité ; le roi se taisait et écoutait, souriant toujours. Comme les convives marquaient une pause dans leurs discussions, une voix s’éleva.

– Votre majesté, je m’en voudrais de ne pas porter un toast en votre honneur. M’en laisserez-vous l’honneur ?

– Fais donc,Todrick, fais donc.

Le Todrick en question était petit sans vraiment l’être, tant il prenait de l’envergure lorsqu’il avait la parole. Son visage allongé, ses cheveux noirs très courts, ses yeux perçants toujours en quête de renseignements, ses ongles plutôt longs pour un aristocrate, tout en lui faisait penser à un rapace. On le soupçonnait d’avoir commis les nombreux coups bas dont on n’avait jamais ou découvrir l’instigateur. Il n’y avait personne d’assez fou pour lui faire confiance et, par conséquent, il n’avait pas d’ami. Bref, dans cette mer en furie qu’était le monde, il représentait l’îlot solitaire, immobile et arrogant.

– Je vous remercie, votre majesté.

Puis, d’une voix plus forte :

– Mon roi et maître, mes camarades et frères, je lève mon verre à la nouveauté !

Consternation parmi les convives : quelle audace ! Ce mot banni de la cour, ce mot qui pouvait mener un imprudent à la pendaison, il le prononçait à voix haute, devant le roi lui-même, dans un dîner aussi étrange ! « Peut-être est-ce finalement le bon moment pour le faire », se surprit à penser Mederick, qui tourna son regard, comme tous les autres nobles, vers le monarque. Qui se leva, puis brandit sa coupe.

– A la nouveauté, cher sire K’Rahsco !

En même temps qu’il prononçait ces mots, le Vampire crut discerner une lueur fugitive de folie dans ses yeux ; mais il était sûr d’une chose : un sourire au mieux ironique, au pire franchement sardonique, trônait à présent sur son visage. Mederick étudia soigneusement les nobles attablés : aucun ne semblait véritablement serein hormis, encore une fois, Thorlof. Lequel parla.

– J’ai appris que votre père était récemment mort dans de mystérieuses circonstances, sire K’Rahsco. Je vous présente mes plus sincères condoléances.

– Je vous remercie. Mais je suis parvenu à prendre sur moi pour ne pas me laisser aller au désespoir.

– Je n’en doute pas. J’aimerais tellement vous soulager d’une si brûlante douleur… Celle d’avoir ainsi hérité des terres contiguës aux miennes.

– Vraiment ? Je suis touché de votre sollicitude. Malheureusement, cela n’est pas possible. Mais je serais ravi de vous faire ressentir la même souffrance, celle de la perte d’un être cher.

Ce faisant, il fixait, un rictus aux lèvres, Mederick, qui ne sourcilla même pas. Il savait que son sort dans cette joute verbale était entre de bonnes mains. C’est alors qu’un autre convive, du nom de Jari B’Rauts, intervint.

– Ah, vos insinuations sont répugnantes, Vautour. Je bénis le jour où vous serez éliminez !

– Votre impudence est quant à elle détestable, sire B’Rauts. Je suis curieux de connaître la raison de votre présence ici : cette assemblée est normalement composée de gens subtils.

Tout le monde attendait une réponse du roi à cette question qui lui était indirectement adressée, mais celui-ci se contentait toujours de sourire, savourant les discordes entre ses invités. Comprenant qu’il ne parlerait pas, Mederick le fit.

– Allons, sire K’Rahsco, si tel était le cas, vous n’en seriez pas. Car perfidie n’est pas subtilité.

– Et, de même, perfidie n’est pas survie.

Cette dernière phrase était évidemment de Jari. Comme à son habitude, il dérangeait par sa sincérité et son insistance ; les yeux bleu clair de son visage anguleux plongeaient toujours dans ceux des autres franchement ; jamais une seule mèche de ses cheveux roux ne venait dissimuler une partie de sa face. Bref, il était un cas unique dans l’aristocratie.

– Ah, les querelles des nobliaux… Comme c’est ennuyeux !

– Il est vrai, sire N’Maiz, que vous êtes fort bien placé pour parler de petitesse.

Olaf N’Maiz tourna alors son regard vers Mederick, qui venait de lui répondre, puis le posa sur Thorlof.

– Dites-moi, sire L’Fyls, comment avez-vous réussi à dompter aussi bien cet animal ? Votre méthode m’intéresse, tant elle apparaît d’une efficacité sans égale.

– Cette méthode s’appelle l’amitié.

– Vraiment ? J’ignorais qu’un maître et son dogue de chasse pouvaient développer une telle relation.

– Je n’ai aucunement besoin d’un dogue pour chasser.

– Et pour vous défendre ?

– De même. Voulez-vous que je vous en fasse une démonstration ?

– Est-ce un défi ? Ma foi, j’accepte.

Thorlof se leva alors de table, sous le regard inquiet de Mederick. Qu’avait-il accepté ? Il savait son ami sans peur, mais le fait qu’Olaf n’ait pas bougé ne présageait rien de bon. Son ami n’avait rien remarqué.

– Je m’excuse de cette interruption, je vous laisse juger si elle est de mon fait ou non. Votre majesté, messires, Mederick : bonne soirée.»

Comme il quittait la salle, le Vampire vit N’Maiz faire un signe de la tête à deux nobles, qui se levèrent à leur tour et emboîtèrent le pas à Thorlof. Le remarquant, un sourire sans joie sur le visage, ce dernier s’évanouit dans l’ombre du château.

Son départ entraîna le silence. Chacun, les yeux rivés sur les plats qu’on lui apportait, mâchait la nourriture, sans bruit. Olaf avait habilement manœuvré, faisant en sorte d’être celui qui relève le défi plutôt que celui qui le lance. Mederick savait que Thorlof aurait aisément pu éviter de se battre, s’il l’avait voulu ; ce n’avait pas été le cas. Il était sûr de lui et aimait se battre ; personne n’avait jamais pu résister à ses lames toujours étrangement propres et luisantes. Maintenant qu’il était parti, le Vampire se sentait bien seul, au milieu de tous ces serpents, dont le roi n’était pas le moins effrayant ; néanmoins, il honorerait la confiance que Thorlof avait placée en lui. C’est celui qu’il appréciait le moins, à savoir Todrick, qui brisa le silence.

« Sire N’Maiz, maintenant que vous nous avez enfin débarrassé de ce parasite, pourquoi ne pas nous dévoiler ce qui vous taraudait ? Car cette disparition n’était pas gratuite, n’est-ce pas ?

– Elle l’était et ne l’était pas, puisque vous savez bien que la raison m’empêche de faire des révélations en votre présence, sire K’Rahsco.

– Eh quoi, Olaf ? Comptez-vous l’éliminer lui aussi, après ceux du mois dernier ? Où vous arrêterez-vous dans cette hécatombe ?

Jari, une nouvelle fois, s’amusait à envenimer la situation, à expliciter à voix haute ce que tout le monde avait compris. Quel rôle jouait-il dans cette mascarade ? Il était bien trop fourbe pour faire cela par pur plaisir. Gardant cette pensée en tête, Mederick lui répondit.

– Ah, laissez, sire B’Rauts. Notre ami est incapable de cesser ses agissements : il lui faudra de l’aide !

Le ton de Mederick avait été celui de la plaisanterie ; pourtant, Olaf le fixait désormais d’un œil acéré. Celui-ci devait reprendre le dessus ; c’est pourquoi il joua une nouvelle carte.

– Halvor, notre invité est-il arrivé ?

– Bien sûr ; veux-tu que je l’introduise ?

– Eh bien, qu’en pense notre seigneur et maître ?

– Faites-le appeler, je serais charmé de faire sa connaissance.

Personne n’omit de remarquer qu’une étincelle de curiosité – ou était-ce de l’amusement ? – s’était allumée dans les yeux du roi, auparavant moqueurs. Le noble auquel s’était adressé N’Maiz, répondant au nom de L’Gellaus, haussa alors la voix.

– Voici venue la fin de votre attente, Arme de chair ! »

Les regards des nobles se vissèrent dans un bel ensemble sur la forme qui venait de se détacher des

ténèbres du couloir. Pourtant, elle n’était pas bien grande : sa taille avoisinait celle de trois épées courtes disposées les unes sur les autres ; qui plus est, elle avançait courbée, ce qui n’arrangeait rien. Mais il émanait de cette énigme comme une puissance effrayante, une aura de terreur ; ses pas rapides, bruyants, à la fois secs et glaciaux, troublaient le silence et fascinaient les convives. De son visage, dissimulé dans l’ombre d’un capuchon au marron délavé, on ne pouvait voir, et encore uniquement en l’observant attentivement, que deux yeux d’un bleu pâle, terne, sans saveur. Son manteau, la cape reposant sur ses épaules, ses chaussures, tout était usé sur elle et en elle. Car elle avait vu ou commis les pires horreurs, assisté ou participé aux plans les plus machiavéliques ; comme sa peau se cachait derrière ses vêtements, son âme se dissimulait derrière la carapace mentale dont elle avait été forcée de se doter afin de ne pas perdre la raison. Le roi lui-même tressaillit lorsqu’il se rendit compte que l’apparition, presque fantomatique, se trouvait maintenant juste à côté de lui, immobile. Elle avait semblé se téléporter, bien qu’il ait pu contempler chacun de ses pas ; du moins, il le lui semblait. Reprenant contenance, il s’adressa à Olaf.

« Eh bien, très cher, qu’attends-tu pour faire les présentations ?

– Ce ne sera pas nécessaire, votre majesté, car cet homme n’a pas de nom et les nôtres lui importent peu. Sachez juste qu’il est un des assassins les plus redoutés de la ville.

Jari sauta sur l’occasion.

– Tiens, un de plus à cette table ? Soyez le bienvenu parmi les vôtres, Sans-nom !

L’ignorant superbement, Olaf poursuivit.

– Si je l’ai convoqué ici, c’est parce qu’il rapporte que des événements particulièrement inquiétants se déroulent en ce moment. Selon lui, une tempête approche.

A ces mots, toute l’assemblée redevint sérieuse et concentrée ; en effet, ils signifiaient, comme à leur habitude, que le royaume lui-même était en péril. Tous les convives se mirent à examiner l’assassin en quête d’un renseignement supplémentaire, en vain, pendant que celui-ci restait impassible. Alors, une voix désagréablement mielleuse s’éleva, celle d’un noble resté jusqu’ici silencieux du nom d’Alrick N’Drof.

– Votre ‘invité’ n’est pas bien loquace, sire N’Maiz. Ce qui m’amène à la question suivante : est-il là pour autre chose qu’un meurtre ? Car, depuis le début, toutes vos manœuvres n’ont pas d’autre objectif ; quelle est donc sa cible ?

– Cet homme est muet.

Par cette phrase sèche, Olaf avait coupé court à la discussion, mais aussi habilement éludé toutes les questions gênantes. Cependant, Mederick savait que chaque intervention d’Alrick était pertinente, car cet homme, pratiquant la magie perceptive, de couleur blanche, possédait une lucidité parfaite des propos de chacun. Le Vampire reprit la parole.

– Alors, pourquoi l’avoir fait venir ?

– Certes, il ne parle pas. Mais il existe d’autres moyens de s’exprimer, que vous semblez ne pas maîtriser puisque vous allez jusqu’à les oublier. Je pense en particulier à l’écriture. »

C’est Halvor qui avait répondu à la question, prenant le relais de son ami ; il brandissait en même temps une feuille sur laquelle on décelait un texte, écrit proprement et sans fioritures, mais composé de phrases dénuées de toute élégance. Il le lut.

« Soran est mort cet après-midi : c’est le onzième forgeron à être tombé cette semaine. Près de trois cadavres, on a retrouvé des signes de magie mortelle. Sur sept autres, des marques de lames, dagues ou épées. Près du dernier, les énergies étaient jaunes : je ne connais pas ce type de magie.

De plus en plus de marchands sont assassinés. Des assemblées se réunissent, des confréries se forment. Le peuple a peur.

Une tempête approche. »

C’est le seul homme qui n’était pas encore intervenu qui rompit le silence établi par les autres, plongés dans leurs réflexions.

« Il s’agit de la première magie du monde, plus ancienne encore que celle que je pratique. Le jaune, plus précisément le doré, est la couleur de l’invocation.

Kjeld V’Fohs était probablement le magicien le plus puissant, le plus expérimenté et le plus érudit de toues les nobles. Son domaine, la nécromancie, dont la couleur était le bleu, imposait le respect par son ancienneté. Quant à son âge, nécessairement avancé pour avoir acquis une telle maîtrise de la magie, il entraînait de la déférence même de la part de ses semblables, et son désintéressement affirmé pour la politique n’était pas pour leur déplaire. Alors, on considérait chacune de ses remarques avec attention ; celle-ci plus encore, étant donné son aspect profondément inquiétant. Mederick exprima à voix haute ce à quoi tout le monde songeait.

– Plus ancienne encore que la nécromancie, est-ce à dire plus puissante également ?

– Exact. Plus destructrice notamment, mais particulièrement difficile à contrôler.

– Alors, celui qui la pratique…

– Son contrôle lui échappera tôt ou tard, c’est certain. En tant que première magie apparue au monde, pas créée par l’homme et donc peu connue de lui, elle est la plus instable, et la plus mutatrice.

– Qu’entendez-vous pas ce terme ?

Toute l’assemblée était suspendue aux lèvres de Kjeld, captivée par ses propos, attendant la suite avec avidité.

– C’est l’histoire du monde que vous me demandez là. Soit, je peux tenter de la retrouver. Cependant, je me tairai à la première interruption, car je dois me perdre dans les souvenirs des défunts, un sortilège particulièrement douloureux lorsqu’il faut remonter à une époque aussi lointaine. »

Le sorcier se tut, puis se concentra. Les yeux plissés, il fit des mouvements dans l’air, saisissant des énergies invisibles aux yeux des profanes, de plus en plus rapidement, de façon toujours plus régulière. Un souffle parcourut la salle tandis que les flux se mettaient à trembler, puis à s’agiter tout en se teintant de bleu, un bleu presque transparent. Alors, le corps de Kjeld scintilla et tremblota cependant qu’il perdait toute consistance ; ses doigts se fondaient dans les énergies tout en même temps qu’il les manipulait et modelait. Petit à petit, la forme d’un crâne se dessina, un crâne de magie pure, de cette même couleur bleue pâle. Les yeux du nécromancien s’écarquillèrent soudain ; il remua les lèvres, mais c’est de la bouche du mort-vivant que sortirent ses paroles.

« Je me souviens du monde, un monde entièrement créé par la magie ; ou plutôt, un monde déformé par la magie. Si compacts étaient ses flux qu’ils s’aggloméraient, formant terre et mer, faune et flore… Enfin, ce n’est pas tout à fait exact, cela me revient. Les créations se tordaient dans tous les sens, semblant agoniser. La terre pleurait et la mer tremblait, les cieux s’écrasaient sur des créatures difformes et terrifiées. Les formes magiques changeaient sans cesse d’aspect, passant du loup à l’arbre, du rocher au nuage, en un rien de temps. Cela s’appliquait aussi à l’homme : quelle horreur de voir ces humains muter, leurs visages se tordant de douleur comme ils perdaient un membre, s’encastraient dans un tronc ou, incapables de s’accrocher aux énergies, disparaissaient parfois tout simplement dans un tourbillon de lumière. Oui, c’est vrai, je m’en souviens, maintenant : une lumière d’un jaune éblouissant, brûlant les yeux, asséchant ou remplissant indifféremment les cours d’eau, aveuglant même les aveugles. Tout mutait là où elle passait, et elle passait partout. Elle était inévitable, oh, tellement inévitable que l’humanité semblait ne pas pouvoir advenir… »

« Qu’importent ces événements révolus !

Le ton sec de Jari interrompit brutalement la transe du magicien, qui poussa un hurlement de douleur. Son corps s’agita dans tous les sens, en proie à d’horribles convulsions. Ce n’est que lorsque la forme immatérielle de Kjeld revint dans sa forme physique que cela stoppa. Cette intervention déplut fortement au roi, comme tous les autres passionné par le récit.

– Sortez, sire B’Rauts. Vous n’êtes plus le bienvenu à cette table.

– Je vous ouvre les yeux et vous, vous me chassez d’un mot ? Bien, très bien ; mais vous le regretterez.

Il se leva brusquement, toisa les autres convives avec mépris, l’assassin avec suspicion, puis se dirigea d’un pas rapide vers la porte. Après avoir lancé un dernier regard circulaire, comme pour graver cette scène dans son esprit, il sortit. Mederick, lui, choisit de poursuivre l’idée de Jari.

– Messire B’Rauts est intervenu mal à propos, il est vrai. Il n’empêche que la supposée extraordinaire puissance de l’invocation ne doit pas nous faire oublier que sept sont morts par les armes, et trois par une magie plus commune.

– La ‘supposée’ extraordinaire puissance de l’invocation ? Je ne vous pensais pas capable d’une telle négligence, sire T’Nataus. Non, vous ne réalisez pas la gravité de la situation : la magie peut s’introduire partout où son manipulateur le désire, et vaincre tout ce qu’on peut lui opposer.

– Pourquoi nous inquiéter ? Seuls les gens du peuple sont attaqués ; je ne serais pas surpris que le coupable soit l’un des habitants du quartier riche, c’est-à-dire quelqu’un n’ayant aucune raison de nous en vouloir.

Certains hochèrent la tête suite à cette remarque de Todrick, mais les autres demeurèrent songeurs ; seul, le roi souriait toujours. « Il a perdu l’esprit, c’est évident maintenant », pensa Mederick. Alors, pour la deuxième fois, Alrick N’Drof intervint.

– Quels rideaux se sont abattus sur vos yeux, confrères, pour que vous ne vissiez pas dans ces meurtres une menace nous étant directement adressée ? Exactement onze forgerons sont morts, c’est bien cela, assassin ?

La forme opina du chef.

– Onze ont péri, onze nous étions à table : troublante coïncidence, vous me l’accorderez. Trop troublante pour n’en être qu’une.

Todrick reprit.

– Vous êtes, sire N’Drof, l’homme qui occulte des informations. Certes, onze forgerons ont été assassinés ; mais de nombreux petits marchands également. Votre interprétation me semble, par conséquent, trop libre.

– Libre ou pas, elle tient debout. Et, si l’on en croit messire V’Fohs, l’ennemi a les moyens de nous atteindre.

Mederick se rendit compte qu’Olaf venait finalement de résumer toute la première partie du message. Il prit sa suite.

– De plus, le peuple, aussi misérable soit-il, semble représenter désormais un véritable danger.

– Inepties que tout cela ! Nous avons les fortifications, les meilleures armes, la magie, l’habileté… Non, il n’osera pas nous attaquer.

– Messire K’Rahsco est dans le vrai. Jamais il ne s’en prendra à nous.

Ces derniers propos venaient d’Halvor, qui était pour Olaf N’Maiz ce que Mederick était pour Thorlof. Le Vampire les trouva beaucoup trop tranchés, beaucoup trop rassurants. C’est pourquoi il prit la parole.

– Du moins directement… Votre invité, sire N’Maiz, nous informe que les gens se regroupent ; or, il ne sort jamais rien de bon de ces réunions. Posons-nous une seule question : que peut-il s’y passer ? Une soudaine avalanche de crimes s’abat sur les pauvres : la faute, à leurs yeux – et peut-être est-ce vrai – nous incombe. Logiquement, ils devraient réagir. Comment, je ne le sais pas davantage qu’eux ; mais ils finiront bien par trouver un moyen de nous nuire.

– C’est pourquoi il nous faut anticiper leur réaction.

– Bien sûr ! Rien de plus facile que de prévoir la réaction de personnes désespérées ! Une idée lumineuse, sire V’Fohs !

– Je vous remercie, sire K’Rahsco ; après tout, c’est en vous contemplant qu'elle m'est venue à l'esprit. Vous tous qui êtes attablés ici, mettez votre intelligence et votre intuition à contribution. Réfléchissez ; si vous êtes dignes de votre position sociale, vous trouverez.

Tous se sentirent rabroués, rabaissés par les mots de Kjeld. Certains, comme Olaf ou Todrick, s’apprêtaient à exprimer à haute voix leur ressentiment, quand le roi intervint.

– Paroles de sagesse, maître mage. Je suis sûr que tous mes invités en tiendront compte ; bien évidemment, il serait bon d’en informer ceux qui ne sont plus des nôtres… si c’est encore possible. Eh bien, Todrick, tu parlais de changement : le voilà qui approche, sous la forme d’une tempête ! Je vous parlais de la mort : elle aussi approche, à grands pas ! Messires, ce dîner, qui s’est révélé particulièrement amusant, arrive à son terme : bonsoir ! Quant à toi, assassin, reste là un moment, que je te récompense pour le divertissement que nous a prodigué ton message. »

Seuls demeurèrent dans la salle le roi et l’Arme de chair. La lumière s’éteignit.

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Chapitre 3 : Les cartes s’abattent

“Messire ? Messire ?

Mederick se réveilla brusquement sur les mots du serviteur. Tout de suite, il s’inquiéta : où était Thorlof ? Habituellement, c’était lui qui venait le réveiller. Il regarda par la grande vitre : le soleil était déjà haut dans le ciel, mais il demeurait froid. Ses rayons ne réchauffaient personne, surtout pas Mederick ; pourtant, ce dernier ruisselait de sueur. Comme chaque nuit, les visages de ses victimes l’avaient hanté, les cauchemards l’avaient submergé.

– Messire, j’ai de graves…

– Il suffit ! Laisse-moi seul.

– Mais…

– Me forceras-tu à renouveler mon ordre ?

– Jamais, messire !”

Tremblant, le serviteur se hâta de sortir de la chambre. Mederick se leva puis, las, s’assit sur son lit ; il se prit la tête entre les mains.

Au même moment, Fadamar Lametrouble atteignait la demeure de sa cible, située dans le quartier riche. Elle était immense, mais son jardin l’était encore plus, un véritable parc, où les plantes les plus exotiques côtoyaient les statues les plus exquises, où les chemins parfaitement pavés sinuaient parmi la végétation luxuriante, où l’air pur ne faisait que répondre à la vivifiante fraîcheur installée par la verdure. Finalement, la villa, plus banale avec ses murs de marbre blanc, ses balcons décorés avec goût et ses grands vitraux quasiment transparents, passait presque inaperçue à côté de cette merveilleuse nature. Cependant, cette dernière n’émut pas le moins du monde l’assassin, qui n’était là que pour une seule chose : tuer. Il disposait de renseignements très précis, Thorlof L’Fyls s’étant refusé à laisser planer le moindre doute sur la mort du noble. C’était mal connaître Fadamar, qui laissait toujours une chance à sa cible de survivre.

Il s’introduisit facilement dans le parc, cinq gardes seulement protégeant ce lieu immense. Oh, l’un d’entre eux crut bien entendre un léger grincement mais, après deux minutes de recherches, il l’oublia. Lametrouble s’orienta dans le jardin grâce au plan qui lui avait été fourni ; bientôt, il arriva à son objectif : une petite place encadrée par quatre arbres identiques, des melletiers, croûlant sous de petits fruits jaunes. L’assassin, après un bref examen des environs, sortit de son manteau ses récents achats, soit deux Soleils noirs, deux imitations seulement. Se plaçant à égale distance des quatre troncs, il détacha délicatement la pièce de son pendentif ; c’est en la lançant à deux reprises qu’il détermina les deux arbres qui accueilleraient chacun un fruit mortel. Ce rituel terminé, il remit la pièce à sa place, puis s’approcha du premier choisi. A ses pieds, le sol était jonché de melles ; dans ce tas de fruits, il laissa tomber un Soleil noir. Il fit de même avec le deuxième arbre déterminé.

Puis il repartit aussi furtivement qu’il était venu. Seul le Hasard déciderait du sort de sa cible, comme Fadamar l’avait annoncé à ses employeurs.

Thorlof gisait sur le sol de marbre noir de sa chambre, mort. Son torse et son visage étaient couverts de blessures causées de façon évidente par une épée ; le sang qui maculait le sol était sec : sa mort datait d’au moins une dizaine d’heures. Il avait vraisemblablement succombé aux coups des nobles envoyés par Olaf N’Maiz ; cependant, un détail pouvait surprendre qui avait connu Thorlof : les yeux de ce dernier marquaient un affolement, une certaine panique, expression à mille lieues de la sérénité habituelle de Thorlof, ou de ses sarcasmes réguliers. Qu’avaient pu lui faire subir les deux nobles ? Pour y répondre, il fallait déjà retrouver ceux-ci… Cela ne devrait pas être bien difficile, puisque les deux épées de L’Fyls, elles aussi couvertes de sang, indiquaient qu’ils étaient au moins blessés.

Mederick marchait rapidement dans les ruelles du quartier nobiliaire ; il n’avait pas pris la peine de dissimuler ses riches vêtements tant le temps pressait. Egaré dans les méandres de ses pensées, le Vampire avançait presque au hasard ; certes, Olaf avait attenté à la vie de Thorlof, mais ce n’était définitivement pas lui qui l’avait tué. Jamais son ami n’aurait montré le moindre signe de peur, jamais ; il ne craignait rien de ce qu’il pouvait combattre par l’épée. Restaient les hypothèses de l’empoisonnement, peu crédible, et celle du sortilège ; malheureusement, la mort n’était pas assez récente pour que des énergies soient toujours visibles. La magie utilisée demeurait un mystère, un mystère qu’il fallait impérativement élucider. Pour venger Thorlof.

Il tomba au détour d’une ruelle sans nom sur une des quatre tavernes majeures du quartier, la Hache brisée. Parfait, tout ce qu’il cherchait ; il poussa ce qu’il restait de la porte et entra. Le lieu était bondé : à l’heure du déjeuner, tous les habitants se retrouvaient dans ce genre de taverne, dans ce qui constituait le rare rayon de soleil d’une vie de misère, d’un vide miséreux. La chaleur collante, le bruit assommant, mais aussi les délicieuses odeurs des plats cuisinés heurtaient de plein fouet celui qui entrait, en l’occurrence Mederick. Ce dernier, désorienté un bref instant, se fraya ensuite tant bien que mal un chemin vers le tenancier.

“Vous v’lez quoi… messire ?

– Je cherche des mercenaires, de préférence assez fins.

– J’vous trouve ça pour dix pièces d’argent.

– Tu en auras deux.

– Marché conclu, messire !”

Sur ce, le tavernier disparut dans la foule. Mederick se trouva une chaise puis attendit, s’occupant en regardant les pauvres jouer aux dés ou cracher sur telle ou telle mesure prise par le roi. Ah, qu’il aurait aimé leur acheter ne serait-ce qu’une partie de leur insousciance ! Mais ce serait les déposséder de leur dernière richesse, du dernier lien, peut-être, qui les rattachait encore à la vie. Il était plongé dans ces pensées quand le tenancier réapparut.

“J’ai trouvé. Si vous v’lez bien m’suivre…”

Deux minutes plus tard, il l’abandonna, non sans avoir réclamé l’argent promis, à une table occupée par trois individus à l’apparence très différente.

Le plus robuste d’entre eux avait un visage barbu couvert de cicatrices, de même que ses bras ; ses cheveux étaient châtains et courts, ses yeux verts, son regard inquisiteur. Il portait des vêtements usés, faisant penser à un mendiant, mais ceux-ci révélaient en même temps une armure de cuir, et le fléau d’armes fixé à son dos par des courroies imposait le respect. De toute évidence, cet homme était un vétéran.

Le deuxième individu était en réalité une fille aux cheveux bruns noués en une queue de cheval, aux grands yeux marrons, à la peau claire ; bref, une jeune fille magnifique. Le sourire qui illuminait son visage aurait suffi à faire céder le cœur de tout homme, quel qu’il fût. On en oubliait presque l’arbalète et le carquois de carreaux qui pendaient dans son dos, sa dague, mais aussi la petite bourse attachée sur son côté droit.

Enfin, le dernier attisait plus la curiosité. Certes, son aspect pouvait être considéré comme banal : un visage pâle, des cheveux roux, des vêtements sans histoire, une rapière comme il en existe tant d’autres, révélant comme seul fait légèrement inhabituel que l’homme était un gaucher. Non, ce qui intriguait, c’était plutôt son rôle : il ne ressemblait ni à un guerrier, ni à un assassin, ni même à un voleur. Alors quoi, un mage ? Lorsque celui-ci prit la parole, Mederick comprit son erreur.

“Bienvenue, noble sire !

Nous achevons nos rires,

Attendons le plaisir

De vos mots découvrir !

– Je veux, mercenaires, que vous meniez une enquête.

– C’est au sujet de la mort du roi ?

– Pardon ?

– Eh bien, vous savez, l’assassinat.

Les propos du guerrier désarçonnèrent Mederick. Quoi ? Le roi aussi, le roi lui-même, avait succombé ? “Olaf, tu paieras pour tes crimes.” Si ce n’était pas déjà fait. Mais, pour l’instant, Thorlof primait sur le roi.

– Peu importe ; ce sont les circonstances de la mort d’un ami que je cherche à élucider.

– Qu’en dis-tu, Annah ?

La voix qui s’éleva alors planait doucement dans l’air, tel le goéland au-dessus de l’océan.

– Cela pourrait nous changer des chasses à l’homme habituelles ou des lassantes missions de protection.

– Nous acceptons la quête.

Le temps que l’on s’apprête,

Nous mènerons l’enquête

Et trouverons la tête !

– Bien. Le mort se nomme Thorlof L’Fyls ; vous trouverez son cadavre chez un noble du nom de Kjeld V’Fohs, actuellement logé à la Lumière de cendres.

– Le nécromancien ?

– Exact. Prenez ce médaillon et dites en le montrant que vous venez de la part de Mederick T’Nataus ; les gardes vous laisseront passer. Votre solde sera à la hauteur de votre peine.

– Nous y comptons bien.”

Se détournant, Mederick partit pour le château.

On avait enfin retrouvé les nobles. Ou plutôt leurs cadavres, car tous les deux avaient le cœur percé. De toute évidence, leur bourreau avait été Thorlof, avant que lui-même ne succombe. Olaf l’avait sous-estimé : sans un événement encore inexpliqué, il aurait survécu à la tentative de meurtre.

Le roi avait péri d’une façon similaire. Son corps avait été retrouvé à l’endroit-même où il se trouvait lorsqu’il avaient tous quitté la salle à manger, la veille. Avec l’assassin. Il n’avait qu’une seule blessure, très nette : sa gorge avait été tranchée d’un geste de toute évidence vif et précis. Aucun doute ne pouvait demeurer. Et pourtant, il était difficile de ne pas rechercher une raison précise à ce meurtre, suffisante pour pousser un homme de la qualité d’Olaf N’Maiz à un tel acte.

L’Arme de chair glissait silencieusement dans les rues du palace des pauvres, se rétractant sous les regards de tous alors même qu’elle s’y trouvait exposée. En un instant, elle fut dans la ruelle du Pendu. Personne. Etonnant : le soleil allait pourtant bientôt se coucher. Soudain, une voix venue de nulle part s’éleva.

“Retrouvez-moi à la boutique du mort.”

De plus en plus étrange : pourquoi lui demander de venir en un lieu désormais évité de tous ? Qui plus est, en un lieu que l’assassin détestait, car situé du côté de la Voie magique. Tant pis, il irait.

La silhouette s’évapora.

C’est dans l’échoppe du décédé Soran qu’elle réapparut, une ombre comme tant d’autres dans le bâtiment abandonné. Ohran Thrixx n’était pas là. Ah, si, voilà un bruit. Non, plusieurs bruits… provenant de différents endroits : cinq personnes l’encerclent. Un piège. Un sourire naquit sur le visage de l’Arme de chair. Cela faisait bien longtemps que personne n’avait commis une telle erreur ; cela faisait trop longtemps qu’elle n’avait pas pu s’amuser autant.

C’est le petit marchand qui sortit de l’obscurité le premier, apparemment satisfait.

« Bonsoir, maître assassin. Excusez-moi pour ce désagrément, mais j’ai été suivi ; mes recherches ont mis ma vie en danger.

– As-tu des informations à me livrer ?

Ohran prit un air contrit.

– Hélas, hélas ! J’ai reçu l’ordre de ne pas vous renseigner.

– Qui t’a donné cet ordre ?

– Ah ! Que vous importe, puisque vous allez périr. »

Il brandit une arbalète, tire ; déjà l’Arme de chair a disparu. C’est alors qu’il ressent la douleur, atroce : un poignard est enfoncé dans son pied ! « Comment… Comment a-t-elle fait ça ? Si vite ? Impossible ! » Ohran arrache la lame avec des cris de douleur, puis dégaine une rapière. L’assassin réapparaît à sa droite, seul un réflexe sauve la vie du marchand : une dague tombe par terre. Il sourit. Avant de se rendre compte que l’autre a une nouvelle fois disparu ; soudain, un couteau de lancer se fiche dans son bras. Il hurle, se tourne vers l’origine de l’arme ; une dague s’enfonce dans son dos.

« Il me semble, petit marchand, que ton employeur a préféré te laisser périr ; je devrai donc me passer de ton aide pour découvrir son identité… Adieu. »

Non, cela ne se peut ! Pourquoi ? Pourquoi ses hommes ne sont-ils pas intervenus ? Ohran s’écroula, percé d’un poignard, d’un couteau et d’une dague, mais avant tout victime de ses illusions.

L’Arme de chair se lança à la poursuite des hommes qui avaient laissé le marchand mourir. Ils étaient pour l’instant sa seule piste.

La traque se révélait particulièrement ardue, même pour un assassin tel que l’Arme de chair : ces hommes n’étaient pas de jeunes voleurs inexpérimentés, mais bien des professionnels. Cependant, ombre parmi les ombres, elle était devenue la leur. Ils ne pouvaient tout simplement pas lui échapper, même s’ils savaient pertinemment qu’ils étaient suivis. Alors, ils firent ce qu’il faut faire dans ces moments-là : ils se séparèrent en trois groupes, mais la forme ne put distinguer leur nombre. Elle ne marqua pas le moindre moment d’hésitation devant cette stratégie et prit en chasse un groupe au hasard, qui se dirigeait vers le quartier est. Bien sûr, elle aurait pu mettre fin à leur course effrénée ; cependant, cela aurait été se priver d’une chance de découvrir l’instigateur de tous ces meurtres : une belle prime serait probablement à la clef. Tous ses espoirs s’envolèrent lorsque ses proies stoppèrent leur fuite dans une petite place du palace des pauvres ; décidément, ces hommes avaient bénéficié d’un entraînement aussi exceptionnel que l’était leur fidélité. Tant pis, elle pourrait tout de même tenter de leur arracher des renseignements.

Trois hommes l’attendaient. L’assassin avança tranquillement et d’un air assuré vers eux.

« Enfin, vous avez compris qu’il était vain de fuir.

La lueur d’étonnement qui brilla un bref instant dans les yeux de deux d’entre eux ne lui échappa pas. Un détail particulièrement intéressant…

– Effectivement ; nous nous sommes dit qu’éliminer notre chasseur serait plus simple.

Ils dégainèrent chacun une petite épée courte, ainsi qu’une targe, un équipement plutôt luxueux.

– Vous vous avancez, il me semble… Ignorez-vous que vous êtes déjà morts ? »

L’Arme de chair s’évada de leur vue dans les ténèbres de la place.

Olaf N’Maiz sortit comme d’habitude à la tombée de la nuit, escorté par pas moins de six gardes du corps. Comme d’habitude, il alla faire un tour dans son immense jardin, empruntant tel ou tel sentier selon son humeur. Comme d’habitude, il termina sa promenade en passant dans l’allée des melletiers, se penchant pour ramasser un fruit bien mûr, qu’il goûta. Satisfait, il rentra en emportant le Soleil noir.

Le Hasard avait rendu son verdict.

Eh bien, voyageur ? Pourquoi détournes-tu les yeux ? Je t’avais prévenu : ce monde est impitoyable. Ces nobles, ces marchands, ces mercenaires, ces pauvres, tous ne sont que des pions sur l’échiquier de la vie. Un mauvais coup et ils sont balayés, emportés par le souffle glacé de la mort. Alors, tu penses bien que chaque acte est le fruit d’une mûre réflexion ; mais seuls les plus habiles parviennent à survivre – je n’ai pas dit vivre. Comprends-tu désormais le pourquoi de ce jeu de massacres ?

Maintenant, réponds-moi, ami : était-ce réellement différent dans ton monde ? Ah, n’esquive pas mon regard ! Car tu viens de réaliser : ce monde est ton monde, ce monde est le monde. Tu ne veux pas t’y résoudre ; comme je te comprends ! Allez, poursuis ta contemplation ; pourquoi ne pas observer quelque chose de moins macabre ?

Les trois mercenaires marchaient dans les ruelles du quartier nobiliaire, en silence. Le guerrier, du nom de Therk Poingtonnerre, prenait la tête, pendant que les deux autres avançaient côte à côte. Ils avaient passé l’après-midi à questionner les pauvres dans les trois autres tavernes majeures de la zone, sans beaucoup de succès. Tout juste avaient-ils appris qu’il arrivait à une mystérieuse personne encapuchonnée de venir recruter des pauvres sans le moindre talent. Le lendemain, il faudrait changer de quartier.

En attendant, ils parcouraient les lieux, espérant croiser un individu louche ou assister à un événement inhabituel. En vain. Rien de louche, rien d’inhabituel ne s’offrait à leurs yeux. Alors, ils retournèrent à la Hache brisée où ils avaient une chambre, payée grâce aux chansons et aux poèmes du barde. Lorsqu’ils entrèrent dans le bâtiment, l’atmosphère était à la fois morose et pesante : les pauvres le désertaient désormais dès la tombée de la nuit, effrayés par la vague d’assassinats qui sévissait dans leurs quartiers. Tant pis, il allait falloir déclamer devant quelques individus seulement. Ah, qu’elle était loin, l’époque où Arandir le Fabuleux bénéficiait d’un public conséquent !

« Oyez, gens courageux !

Oyez le Fabuleux

Mettre à vos cœurs le feu,

Faire pleurer vos yeux !

– Eh, barde, quelle arrogance ! Nos cœurs sont secs et sinistres, comment comptes-tu les faire pleurer ?

– Bah, n’écoute pas ce ménestrel de pacotille, il n’en vaut pas la peine…

Arandir fut abasourdi par ces réactions agressives : pourquoi une telle hostilité ? Il y avait anguille sous roche, forcément. Il fallait éclaircir ce nouveau mystère : peut-être était-ce leur premier semblant de piste ? Pour cela, une seule chose à faire. Sautant avec agilité sur une table, il chantonna un poème où transparaissait toute son amertume.

– La vie est un théâtre où des pions s’animent

Et recherchent sans cesse et un but et un cœur,

Ballottés par l’amour mais aussi la rancœur,

Sans cesse illusionnés par un dessein qu’ils miment.

Parfois un fil se rompt et la personne heureuse

Vit mais rêve sa vie, pas plus vraie que les autres,

Perdue mais retrouvée au milieu des apôtres,

Sœur de toutes ses sœurs et copie malheureuse.

Ce ne sont plus des gens, ce sont des marionnettes

Manipulées, trompées par un destin perfide

Qui s’amuse de voir ces grains de sable avides

Parler de liberté, du sens voulu et net

De leur vie. Quelle ironie ! Quelle vantardise !

C’est un mirage qui les guide, une chimère !

Courez, courez après, pauvres pantins amers

S’il vous reste de l’espoir pour la convoitise ! »

Lorsqu’il s’arrêta, le silence régnait dans la salle. Arandir promena son regard autour de lui : certains se mordaient les lèvres, d’autres baissaient la tête, d’autres encore le fixaient intensément, d’autres enfin l’observaient d’un air noir ; un léger sourire planait sur le visage de Therk, alors que celui d’Annah resplendissait comme elle regardait le barde. De manière générale, le poème avait provoqué un certain malaise dans la taverne. Brisant l’immobilité générale, le guerrier se dirigea vers le comptoir et demanda trois bières. Le tenancier les lui offrit.

Sans un son supplémentaire, les trois mercenaires gagnèrent leur chambre, à l’étage.

Dans une certaine maison d’un certain quartier, huit hommes s’agenouillèrent devant un trône occupé par une personne portant des vêtements noirs comme la nuit, ainsi qu’une longue cape et un capuchon de la même couleur.

« Racontez-moi, les enfants, racontez-moi votre journée, je vous prie. Et n’omettez aucun détail…

– Oui, père ! »

La réponse avait fusé de huit bouches en même temps, fière, farouche, folle.

Qu’attends-tu ? Qu’attends-tu pour observer le visage de cet homme ? Eh, je te parle, étranger ! Ne reste pas hypnotisé ainsi, ose regarder ! Je vois, il est sans doute encore trop tôt … Dommage, tu te forces à attendre, tu te forces à regarder plus longtemps ce monde. Libre à toi ! Mais, s’il te plaît, écoute cette mise en garde : n’y prends pas goût.

Modifié par Monthy3
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^_^ Franchement, c'est excellent :P

J'espère de tout coeur que tu parviendra à maintenir ce niveau tout au long de ton récit... B)

Pour l'instant c'est vraiment très prenant, on veut vraiment savoir qui est ce guerrier et son mystérieux interlocuteur pas vraiment rassurant ni inspirant une confiance immodérée...

Et l'ambiance est au petit poil :)

Bref, j'adore, vivement la suite :)

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qui ??? quoi ??? où ???

vite, la suite !!!

ah oui, une faute, je crois:

Chasse l’animal craintif qui a pris le dessus, traque-le jusqu’aux tréfonds de ton âme s’il le faut, mais vainc-le, définitivement !
manque pas un "s" ???
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Comme tout le monde : C'est bien écris !

Par contre, je suis pas très partisan des passages ou il y a une interrogation toute les deux phrases ^_^ C'est extremement personnel mais ca a tendance à m'exaspérer car ca rend pour moi le texte plus lourd !

La, ce n'est qu'une intro donc ca me derange pas mais j'espere que ca ne sera pas pareil pour la suite :) Et pas en italique aussi :P

Allez, suite !

@+

-= Inxi =-

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Bonjour

Déjà, merci de toutes ces critiques positives :) Inxi, rassure-toi, l'italique et les questions incessantes viendront de temps à autre interrompre le récit, mais ce dernier est plus "normal" ^_^

Bon, je pensais attendre une cinquaine de jours avant de poster le début du chapitre 1, mais je me rends compte que ça ne rime pas à grand chose car le prologue ne dévoile à peu près rien :P

_____________________________________

Chapitre 4 : Indices

Mederick marchait bruyamment dans les couloirs de la Lumière de cendres, manquant de glisser plusieurs fois sur le marbre lisse. Quel temps de pauvre ! La pluie tombait dru depuis déjà plusieurs heures ; comme par hasard, le jour où il était le plus pressé ! Pestant contre les serviteurs qui faisaient trop bien leur travail, il parvint finalement à son objectif. Il donna deux coups secs sur la porte.

« Qui me dérange ?

– Mederick T’Nataus.

– Ah ? Eh bien, sois le bienvenu, Mederick.

Le prenant au mot, le Vampire poussa la porte. La chambre de Kjeld V’Fohs était étonnamment peu décorée. Hormis une petite bibliothèque pleine à craquer située contre la fenêtre, ce qui étouffait par ailleurs la lumière, elle ne comprenait qu’un bureau sur lequel était posé un paquet de parchemins jaunis par le temps, et deux grands lits ; sur l’un d’entre eux reposait le corps de Thorlof. Quelques énergies bleutées voletaient paresseusement au-dessus : leur rôle était d’empêcher la décomposition du cadavre. L’unique lampe à huile éclairant la pièce ajoutée au son régulier de la pluie battante, rendaient l’atmosphère agréable, reposante.

Mederick faisait confiance au puissant mage pour découvrir ce qui avait tué son ami ; pour l’instant, Kjeld n’avait pas réussi à déterminer la magie utilisée, mais cela ne saurait tarder, il en était convaincu. Cependant, il craignait les motivations du nécromancien : ce dernier avait toujours fait preuve d’une extrême avidité et d’une soif de savoir allant jusqu’à la noyade, même s’il s’en était toujours sorti. C’est pourquoi Mederick venait le surveiller régulièrement, prétextant qu’il aimait observer celui qui avait été son ami depuis sa petite enfance. Bien sûr, Kjeld n’était pas dupe, mais cela lui importait peu ; au contraire, cela lui permettait de se distraire en cherchant à mettre mal à l’aise Mederick. Cela allait être le cas aujourd’hui.

« Et bien, quelle idée de sortir par un temps pareil ! Surtout pour aller dans un quartier pauvre…

Le Vampire tressaillit presque imperceptiblement. Il avait touché un point sensible.

– Je suis parfaitement d’accord avec vous. C’est pourquoi j’ai préféré aller me promener non loin de la demeure de feu sire N’Maiz ; son meurtre m’intrigue. Je me demande…

– Oui ?

– Je me demande si ce n’est pas Thorlof qui a commandité cela. Après tout, c’est entre eux qu’existait la plus grande animosité.

– Mais quand aurait-il fait cela ? Le jour du macabre dîner ? C’est relativement peu probable : il lui aurait fallu une raison, car il faut toujours à l’homme une raison pour faire quelque chose.

Mederick sourit tristement ; pendant plusieurs minutes, le silence régna, l’un étant plongé dans ses souvenirs, l’autre attendant sa réaction. Finalement, le Vampire reprit la parole.

– Vous ne le connaissez pas, sire V’Fohs, vraiment pas. Thorlof était quelqu’un de…spécial. D’unique. Oh oui, vous avez raison : il faut toujours à l’homme une raison pour faire quelque chose. Mais Thorlof n’était pas un homme.

– Je ne comprends pas.

– Oh, mais je ne vous demande pas de comprendre ; pensez-y juste. »

Sur ces mots, Mederick jeta un dernier regard empli d’affection sur le cadavre, puis sortit de la chambre du nécromancien, encore interdit.

« Etait-ce vraiment nécessaire de commencer sérieusement l’enquête aujourd’hui ?

Therk n’aimait pas la pluie ; en fait, il l’abhorrait. Les combats sont rendus bien trop hasardeux : on glisse sur la pierre ou la boue alourdit les jambes, les lames glissent et quittent les mains… Quelle importance d’être un grand combattant dans ces conditions ?

– Comme si nous allions devoir nous battre. Allons, calme-toi. Dis-toi que c’est une des rares missions distrayantes qui nous aient été confiées.

– Mouais. Je ne suis pas vraiment convaincu, mais bon, cela devrait être bien payé.

– Si nous parvenons à élucider le meurtre. »

Annah prit la tête du groupe, devant Arandir et Therk, qui fermait la marche. Ils se dirigeaient tant bien que mal vers la Lumière de cendres, peinant contre le vent qu’ils avaient de face.

La prestation d’Arandir de la nuit dernière s’était révélée particulièrement instructive : elle avait mis en évidence l’hostilité latente qui pesait sur les agents du roi, et qui commençait à se manifester au grand jour depuis la mort de ce dernier. Plusieurs personnes qui logeaient à l’auberge leur avaient apporté quelques informations en venant les voir dans leur chambre même ; ils leur avaient révélé que les crimes commis sur les pauvres par la magie jaune avaient cessé, tandis que la magie mortelle et les armes continuaient à faire des ravages. Un indice maigre, certes, mais c’était déjà un immense pas en avant, qui ouvrait au moins deux possibilités aux mercenaires : il semblait y avoir deux coupables, indépendants les uns des autres. Et la magie jaune n’avait pas pour objectif la mort des pauvres. Du moins, elle n’en avait pas l’air. Alors, les nobles ? Ce qui pourrait éventuellement expliquer l’énigmatique trépas de Thorlof. C’est pour approfondir cette piste qu’ils traçaient leur chemin vers le château.

Ils arrivèrent en fin de matinée à l’entrée principale, une immense porte d’à peu près dix bons mètres de haut, protégée par deux robustes herses de fer, et accessible uniquement par un pont-levis de bois renforcé par des plaques de fer, qui permettait d’enjamber des douves verdâtres à la profondeur inconnue. Therk sortit de son manteau le médaillon qui lui avait été donné, puis le brandit sous le nez de celui qui semblait être le chef des gardes, lesquels regardaient le petit groupe débraillé avec mépris.

« Nous sommes envoyés par messire Mederick T’Nataus. Nous venons enquêter sur une mort.

– L’enquêteur officiel est déjà à l’intérieur. Vous pouvez partir : bientôt, nous saurons qui a assassiné notre monarque.

– Peu importe le roi

Car il ne nous échoît.

Nous cherchons un coupable,

Meurtrier lamentable.

– En paroles intelligibles, de quoi parles-tu ?

– Excusez notre compagnon, c’est un barde. En fait, nous venons pour la mort de messire Thorlof L’Fyls.

– Ah, lui ? Bah, ce n’était qu’un noble sans importance. Mais bon, si vous y tenez… Allez-y. »

Annah eut le temps de voir que les gardes se jetaient des regards tristes, voire un peu angoissés, avant de pénétrer dans l’enceinte principale.

La Lumière de cendres était encore plus impressionnante observée de l’intérieur de ses sombres remparts. Le donjon se révélait semblable à un soleil doré, se reflétant dans la boue omniprésente – sur le sol, sur les murs, obstruant même certaines meurtrières – qui, paradoxalement, rendait la vision encore plus merveilleuse par le contraste des couleurs. Après être demeurés pétrifiés, éblouis par la beauté peu banale du lieu, les trois mercenaires entrèrent dans le donjon, bien plus enthousiastes qu’auparavant.

Ils étaient perdus. Cela faisait probablement plus d’une heure qu’ils erraient dans les couloirs grandioses du château, un peu honteux de tous les souiller de la boue maculant leurs chaussures, mais surtout passablement énervés par ce lieu pour le moins labyrinthique et, plus surprenant, désert. C’est donc totalement par hasard qu’ils arrivèrent à la salle où s’était déroulé le macabre repas, deux nuits auparavant. Au point où ils en étaient, et intrigués, ils y pénétrèrent. Alors, Arandir se figea.

« Impossible… Incroyable !

La magie que je sens…

Seul, j’en étais capable,

Oui, jusqu’à maintenant !

– Tu veux dire que… Quelqu’un d’autre connaîtrait cette magie ?

– Quelqu’un d’autre qui aurait été à l’origine de la mort du roi ?

Annah foudroya Therk du regard ; décidément, il ne changerait jamais. De l’argent à la clef, et il occultait toute la dimension mystérieuse des propos du barde. Puisque ceci ne l’intéressait pas, elle ne partagerait pas la cupidité du guerrier.

– De toute façon, nous ne sommes pas payés pour lui. Partons. »

Rebroussant chemin, elle entraîna ses deux compagnons à sa suite, à leur grand dam. Le pénible voyage reprit, les mercenaires ne prenant même plus la peine d’admirer les grandes fresques peintes le long des corridors ou les statues des nobles les plus renommés. Car ils frissonnaient dans ce lieu majestueux qui tombait en ruines, sinon physiquement, du moins dans l’esprit de tous. Ils tremblaient de froid, gelés par les nombreux courants d’air, mais aussi de peur, une peur sourde et invisible qui les prenait à la gorge, la peur que l’on ressent avant de périr, glacé d’effroi. Une peur inexplicable. Les violents soubresauts précédant la mort. N’en pouvant plus de cette ambiance oppressante, Therk eut l’idée de maugréer.

« Tu sais, nous serions sûrement grassement payés si nous trouvions la cause de la mort du roi.

– Ah oui ? Rappelle-moi ce que nous a dit le sergent, à l’entrée du château ?

– Tu te laisserais arrêter par l’enquêteur soi-disant officiel ? Tout le monde dit de lui que c’est un imbécile, obnubilé par la gloire de résoudre des énigmes – ce qu’il fait fort mal, soit dit en passant.

– Peut-être que, pour sa profession, il est mauvais. Mais nous-mêmes ne sommes que des combattants…

– Fadaises ! On ne trouve pas plus perspicaces que vous deux dans toute la ville ! »

Annah et Arandir se regardèrent, puis sourirent, gênés par la confiance de leur ami. Ils poursuivirent leur périple, cette fois réchauffés par les paroles échangées.

Ah, l’amitié ! Y a-t-il quelque chose de plus précieux dans ce monde ? Pour l’instant, il semble que non, tant cette dernière resplendit dans les cœurs en proie aux ténèbres. Admire leur complicité, leur assurance, leur joie : peux-tu en dire autant ? Non, pas vraiment, n’est-ce pas ? Mais quelle beauté ! Qu’elle semble déplacée dans ce monde où ne semble régner que la laideur ! Si déplacée que ce dernier ne peut la tolérer…

Mais regarde ! Ils ont enfin trouvé l’endroit qu’ils cherchaient ! Est-ce par cette nouvelle chaleur qui animait leur cœur ? Qui sait, ce château est tellement étrange…

Presque aucune lumière ne filtrait sous la porte ; pourtant c’était bien elle, ils le sentaient. Ils frappèrent. La voix qui s’était déjà élevée tout à l’heure leur répondit. Ils entrèrent discrètement.

Kjeld était penché au-dessus du cadavre, le tournant, le retournant, le palpant partout pour la énième fois. Quelques grommellements se faisaient de temps en temps entendre comme son impuissance l’horripilait. Il ne comprenait pas deux choses, or il détestait ne pas comprendre quelque chose. L’arrivée des trois compagnons lui permit de déchaîner sa frustration.

« Alors, messire T’Nataus m’envoie des détectives de pacotille censés réussir là où même moi, le plus puissant sorcier du royaume, j’échoue pour le moment ! Quelle confiance ! Allez, partez avant de vous ridiculiser devant moi !

– Cela risque d’être difficile de faire pire que vous…

Annah n’avait pu s’empêcher de laisser siffler ces mots de sa bouche.

– Vous croyez ? Un guerrier, une fille et… et quoi, d’ailleurs ? Bah, qu’importe ! Si cela vous plaît de jouer les enquêteurs, parfait. Mais laissez-moi faire ce que j’ai à faire, et restez derrière. Je dirai à Mederick que vous avez fait votre travail et il vous paiera, si c’est ce qui vous inquiète.

– Pour qui nous prenez-vous ? Nous sommes des mercenaires, pas des voleurs. On nous a engagés pour une enquête, et nous avons bien l’intention de la mener.

– Vermine arrogante ! Que croyez-vous pouvoir faire ?

– Nous comptons étudier

Un cadavre étonnant,

Pour ensuite y trouver

Une piste de sang

Que nous pourrons suivre,

Ce, jusqu’à en être ivres.

– De toute façon, je n’ai pas le choix… Très bien, je vous laisse une dizaine de minutes. Puis je vous congédierai, par la force s’il le faut.

– Essaie voir…

– Merci bien, cela nous suffira amplement. Arandir ? »

Le barde s’approcha du lit funéraire. Il repéra tout de suite les yeux exorbités de Thorlof, ses traits figés en une sarabande de convulsions, sa bouche ouverte en un cri muet ; bref, ce que le magicien n’avait pas pu laisser échapper lors de son étude. Il était mort de terreur, cela semblait évident ; mais qu’est ce qui avait pu l’effrayer au point de le tuer ? Arandir se remémora leurs pérégrinations dans les couloirs lumineux du bâtiment ; il se souvint du froid qui les avait étreints, de la peur qui s’était insidieusement glissée en eux, et que seules leurs paroles avaient pu chasser. Il ne put s’empêcher de rapprocher les deux faits, quand bien même ce qu’ils avaient ressenti n’était peut-être qu’une illusion trop réelle de leurs esprits impressionnés. Le coupable se trouvait peut-être dans le château ; ou bien alors, c’était le château lui-même ? Arandir secoua la tête, chassant cette dernière ineptie de ses hypothèses, lesquelles demeuraient dramatiquement peu nombreuses. Il savait que l’invocation avait récemment frappé ; cette mort était-elle son œuvre également ? Mais il pouvait tout aussi bien s’agir d’une autre magie, comme la magie verte, l’illusion, ou encore la… nécromancie. Cependant, l’apparente frustration de V’Fohs permettait d’écarter cette dernière possibilité, du moins pour l’instant. Ces idée en tête, renonçant à une étude plus approfondie du cadavre, qui d’une part aurait pris énormément de temps, d’autre part se serait révélée vaine – il en était persuadé –, il se redressa et, faisant un signe à ses deux amis, sortit de la salle. Annah remercia le nécromancien de sa patience, puis elle quitta la chambre, Therk sur ses talons.

Elle s’éleva rapidement dans l’air froid, aucunement ralentie par les trombes d’eau qui se déversaient dans la cour de la Lumière de cendres, jusqu’à la fenêtre qu’elle cherchait. Une bibliothèque l’obstruait en grande partie, mais qu’importe ? Elle pouvait quand même se faufiler dans la pièce, sans un son. Devant elle, deux corps, le vivant étant penché sur le mort. Le vivant, sa proie. Riant d’un rire sans joie, elle fondit sur lui.

A quelques lieues du château, l’Arme de chair se laissait guider par ses pas dans le quartier est, perdue dans un songe. Elle rêvait de la vie et de la mort ; d’ailleurs, elle venait de prodiguer cette dernière à ses trois malheureux adversaires. Puis elle se prit à penser à sa vie, une vie dénuée de saveur. Une survie. Qu’elle luttait pour conserver, tout comme ceux qu’elle avait abattus. Puis c’est à sa mort qu’elle songea ; jusqu’ici, elle avait toujours été la plus forte, et elle le serait encore longtemps. Son trépas n’était pas imaginable à cet instant. Pourtant, n’était-elle pas déjà morte ? En prenant la vie de tant de gens, en participant à des complots meurtriers, n’avait-elle pas plongé dans sa tombe, une tombe où étaient déjà enfouis tous ses sentiments ? Pour la première fois depuis son enfance, ses yeux reprirent une teinte vive, pour mieux laisser couler ses larmes.

Quelques secondes plus tard, elle avait repris ses esprits, et se remémora les événements de la nuit précédente. Le décès incompréhensible d’Ohran Thrixx – qu’avait-il bien pu apprendre ? –, les trois hommes parfaitement entraînés et d’une loyauté sans faille, leur équipement luxueux. Et puis, cette cicatrice sur le front, représentant un soleil. Un soleil… Etait-ce une référence à la magie dorée dont avait parlé ce nécromancien, deux nuits auparavant ? Comme si cela ne suffisait pas, l’un d’entre eux saignait encore de cette blessure ; elle devait être récente, très récente. Elle datait d’un jour ou deux, trois tout au plus. Qu’est-ce que cela signifiait ? Ah, si seulement elle avait pu déterminer le nombre de ces guerriers de l’ombre ! Restait encore un indice, infime mais bien réel : deux d’entre eux ignoraient qu’elle pouvait parler, et elle soupçonnait le troisième de ne l’avoir su que dans l’échoppe de Soran, lorsqu’elle avait rencontré Thrixx. Cela ne pouvait signifier qu’une seule chose : celui qui avait laissé périr le marchand d’épices était présent à ce dîner maudit, le soir où l’Arme de chair avait été présentée comme étant muette.

N’ayant aucune autre piste claire, l’ombre se dirigea vers la seule qu’on avait bien voulu lui proposer : l’échoppe d’un certain forgeron, assassiné magiquement deux jours plus tôt.

La surprise de Kjeld s’effaça bien vite devant son expérience : immédiatement, il entra en transe. S’élevant de son corps, il appela à lui les énergies qu’il maintenait au-dessus du cadavre de Thorlof afin d’en modeler une barrière d’ossements grinçants et caquetants, fragile mais provisoire. La bourrasque d’invocation avait pris la forme d’un essaim d’insectes ; elle heurta de plein fouet le mur, s’insinua dans ses failles, à peine affectée par ses morsures, et la fit rapidement éclater. V’Fohs était déjà prêt à répondre à l’attaque, des plus pernicieuses contre un nécromancien ; il rassembla les flux bleutés autour de sa bouche, puis souffla puissamment. Les insectes furent balayés sans même avoir eu le temps de grignoter son corps. Se regroupant, les énergies jaunes tourbillonnèrent sur un espace très limité ; il fallut bien plusieurs secondes à Kjeld pour comprendre où son agresseur voulait en venir. Un élémental ! Angoissé devant une forme aussi puissante, malgré son habitude des duels magiques, il ne sut dans l’instant quelle riposte choisir. Alors que la créature commençait à frapper son corps physique, le nécromancien choisit son sort le plus puissant : modelant à une vitesse ahurissante, pourtant encore trop lente à son goût, il organisa les énergies selon une forme humanoïde, livide, sans squelette. Profitant de l’inattention de l’élémental, occupé à réduire en charpie son corps, il hurla de toutes ses forces ; le son discordant qui déchira la bouche de sa création, une banshee, délita littéralement la créature jaune en filaments de magie amorphe, vaincue. L’invocation se retira mollement ; Kjeld aurait dû la poursuivre, mais, effondré par les efforts fournis, il ne le put. Sentant sa forme immatérielle être peu à peu écartelée, il s’empressa de regagner son corps mutilé. Il s’évanouit.

Lorqu’il se réveilla, la nuit était tombée. Il tenta de bouger, mais cela ne fit que lui faire ressentir la souffrance de tout son être ; il gémit doucement.

« Eh bien, maître mage, qu’a-t-il bien pu vous arriver ? Je vous ai trouvé étendu sur le sol nu de votre chambre, blessé de façon critique.

– Ah ! Que ce soit toi, Mederick, qui m’ait retrouvé, est une heureuse circonstance. D’autres auraient pu profiter de mon état de faiblesse.

– Vraiment ? Quoi qu’il en soit, je n’ai pas pu vous soigner. Vous en sentez-vous capable ?

– Oui. Mentalement, je suis en parfaite santé.

Devenant une nouvelle fois éthéré, Kjeld appela à lui les énergies encore présentes dans l’air ; délicatement, il les manipula pour créer un nouveau-né magique. Puis il tira avec une surprenante violence sur les fils qui le formaient, déroulant toute une vie. La création devint un enfant, l’enfant devint homme, l’homme devint vieillard, le vieillard devint squelette ; en même temps, le corps du nécromancien profitait de cette vitalité perdue. A la fin du sortilège, il était indemne. Kjeld le regagna.

– Impressionnant. Et maintenant, pouvez-vous répondre à ma question ?

– Oui, par un reproche. Ce sont ces mercenaires vénaux que tu as employés, contre mon avis. Alors que j’étais occupé à rechercher le moindre indice sur le corps de ton défunt ami – qui, soit dit en passant, est bien un homme, quoique tu puisses en penser –, ils sont entrés furtivement dans ma chambre et m’ont agressé. Je n’ai même pas eu l’opportunité de me défendre.

– Vraiment ? Ce que vous dites m’étonne, sire V’Fohs. Ces hommes m’ont fait très bonne impression. Ce ne sont pas des brutes sanguinaires.

– Peut-être pas sanguinaires, je te l’accorde. Mais ils m’ont volé quelques parchemins précieux pour ma propre enquête. Qui est aussi la tienne.

– Je vais remédier à cela, dès demain. Vous ne serez plus dérangé.

– Je t’en serais gré. »

Scrutant une dernière fois le nécromancien, Mederick sortit de sa chambre. Kjeld put enfin réfléchir à la confrontation de l’après-midi. Il était parvenu à vaincre l’invocateur ! Or, selon tous ses livres, c’était tout bonnement impossible. Un autre détail l’avait marqué : la magie dont il avait été la cible. Elle était jaune. Jaune, pas dorée. Quelque chose clochait. Soit cet invocateur n’en était pas vraiment un, et pratiquait une magie encore inconnue ; soit il ne maîtrisait l’invocation que partiellement, ce qui serait une nouvelle rassurante. Et plus il y pensait, plus Kjeld tendait vers cette hypothèse : en effet, il avait été attaqué par des formes typiques de l’ancienne magie, bien que moins puissantes. Désormais, il restait une seule chose à faire : localiser et capturer le mystérieux sorcier, tout en entretenant une atmosphère de crainte parmi les autres nobles afin qu’ils accèdent à ses désirs.

En tout cas, le nécromancien était désormais sûr d’une chose : Thorlof n’avait pas péri par l’invocation.

Eh quoi ? Pensais-tu que ce magicien était un sage ? Allons, il aurait bien trop détonné au milieu des autres ! Avant de poursuivre, débarrasse toi de ta naïveté : chacun poursuit un but, jamais identique. Crois-tu pouvoir dire d’un individu qu’il est bon, d’un autre qu’il est mauvais ? Et tu le sais, oh oui, je le lis dans tes yeux… Tu es passé par là, aussi, n’est-ce pas ? Tu te croyais uniquement capable de faire le mal, alors que tu as peut-être sauvé ton monde… Ah, ne sois pas surpris si je donne l’impression de te connaître ; après tout, malgré leurs incommensurables différences, les hommes sont tous les mêmes. Est-ce malheureux ? Je ne le sais, mais cela permet de prévoir leurs actions ; avec plus ou moins de succès, comme tu le découvriras tôt ou tard en poursuivant ta contemplation…

L’Arme de chair pénétra une nouvelle fois dans l’échoppe de Soran, alors qu’une nuit sans lune régnait dehors. Elle aurait dû ne rien voir, mais sa vie d’assassin lui avait permis de développer une sorte de nyctalopie, encore imparfaite. Cela suffisait à se repérer ou à trouver les éléments pas trop petits, tels que les dagues ou les parchemins. Au rez-de-chaussée, le cadavre avait disparu, ainsi que les armes qui l’avaient percé ; seules demeuraient les traces de sang, que l’Arme de chair put sentir sous ses pieds. Balayant la large pièce du regard, elle ne trouva rien de particulier. Il n’y avait pas de traces de lutte, ni de panique, pas le moindre objet intéressant ; de toute façon, les pseudo enquêteurs devaient déjà s’en être saisis. Il lui faudrait être plus maligne ; mais cela, elle en avait désormais l’habitude.

Elle se retrouva à l’étage. Là aussi, rien de spécial, comme elle s’y attendait. C’est en entrant dans la chambre qu’elle découvrit l’enveloppe, délicatement laissée sur le lit du forgeron à son attention. Elle datait forcément de cette nuit. S’en emparant nonchalamment, en remarquant tout de même au passage qu’elle était marquée d’un sceau représentant un soleil, l’Arme de chair sortit du bâtiment.

« Ainsi, je conclus naturellement que notre roi bien-aimé a péri des mains de l’assassin connu sous le pseudonyme de l’Arme de chair. Je demande donc de procéder à l’arrestation de cet individu, afin de le faire passer en jugement. »

L’assemblée des nobles se leva de table suite à ces paroles de Ghendes Jhan, l’enquêteur officiel de la cour. Sa démonstration avait été d’une extrême simplicité, convaincante pour la plupart, mais justement trop simple pour quelques-uns. Selon Mederick, il y avait une contradiction dans l’acte supposé de l’Arme de chair : elle allait être payée, probablement grassement, par le roi lui-même. Pourquoi aurait-elle voulu l’assassiner à ce moment ? Cela n’avait pas de sens ; alors, l’aurait-elle fait par folie ? Certains, comme Jari B’Rauts, Todrick K’Rahsco et – de façon plus surprenante – Kjeld V’Fohs, avaient témoigné en ce sens. Mais s’il y avait quelqu’un de fou dans cette salle, ce soir-là, c’était bien le roi, pas l’assassin.

« Eh bien, messire T’Nataus, je vous sens songeur. Pensiez-vous à m’engager pour élucider le meurtre de votre ami ?

– Il va de soi que non, considérée la tendance que vous avez à suivre toutes les chimères que l’on vous propose.

– Que me reprochez-vous, au juste ? De ne pas m’étendre sur les causes somme toute évidentes de la mort du roi ?

– Non. Plutôt de justement considérer comme évidentes ces causes. Mais peu importe, j’ai à réfléchir. Laissez-moi.

Comme Mederick faisait mine de s’en aller, Ghendes reprit.

– Combien me paierez-vous ?

– Je vous demande pardon ?

L’enquêteur esquissa un sourire, un sourire carnassier.

– Allons, ne faites pas l’innocent. Vous savez bien que messire Halvor L’Gellaus m’a chargé de trouver l’assassin de son ami, comment s’appelle-t-il, déjà ? Ah, oui ! Olaf N’Maiz.

– Je ne vois pas en quoi cela me concerne.

– En êtes-vous sûr ? Très bien ; je vais effectivement vous laisser, maintenant. Profitez-en pour réfléchir, et apportez-moi votre réponse demain. Bonne nuit, mon cher. »

Ghendes s’inclina puis, sur un clin d’œil perfide, se détourna. Mederick, désormais seul dans la salle à manger, laissa son corps chuter sur une chaise, épuisé.

Il fallait qu’il retrouve Lametrouble.

Modifié par Monthy3
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Invité Snikch, le maître de la nuit

Euh...

C'est génial...

Même si la première partie est un peu rebutante à lire, ton récit est vraiment superbe...

J'ai pas grand chose d'autre à dire, je n'ai pas été à la pêche aux fautes meme si je doute qu'il y en ai beaucoup.

Voilà j'attends la suite et le plus tôt sera le mieux.

@+

-=Snikch=-

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désordonnée, quoique pas très longue

Le quoique ne va pas trop, j'aurai mis un bien que plutot :)

Bon c'est pas trop mal ! On comprend pas tout dans ce premier passage mis à part que quelqu'un va mourir ! Qui ? Pourquoi ? On ne sait pas ! Et ca demange de savoir .... Je te l'assure ! :lol:

Suite !

@+

-= Inxi =-

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Bonsoir, merci de vos réponses :lol:

J'ai pas grand chose d'autre à dire, je n'ai pas été à la pêche aux fautes meme si je doute qu'il y en ai beaucoup.

Après l'avoir écrit à la main, relu, tapé sur l'ordi, imprimé, corrigé, réimprimé et relu une deuxième fois, j'ose espérer qu'il n'en subsiste pas :lol: (le "vainc-le" relevé par Gemini me fait douter, mais je n'ai pas les moyens de vérifier, donc si quelqu'un pouvait apporter une réponse :) ).

Encore que dans la partie non en italique, le niveau baisse d'un tout petit cran

Pourrais-tu expliquer pourquoi ? J'ai une petite idée, mais je n'en suis pas sûr : sont-ce les dialogues qui donnent cette impression ? Sachant qu'il y en aura énormément... :lol:

Le quoique ne va pas trop, j'aurai mis un bien que

Moi, j'aime bien le "quoique" -_-

Qui ? Pourquoi ? On ne sait pas ! Et ca demange de savoir .... Je te l'assure !

Et bien, il va falloir attendre, au minimum le chapitre 2, et peut-être même plus loin encore !

En fait, je pose ça comme un roman, et forcément il faut le temps de placer le décor, surtout que ce monde n'est pas une création que vous connaissez tous comme le monde de Warhammer. D'où l'attente forcée, avec tout de même quelques éléments intéressants pour capter l'attention du lecteur -_-

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Pourrais-tu expliquer pourquoi ? J'ai une petite idée, mais je n'en suis pas sûr : sont-ce les dialogues qui donnent cette impression ? Sachant qu'il y en aura énormément...

Non, au contraire les dialogues passent bien; mais j'ai l'impression que les descriptions sont parfois un poil à paufiner, alors qu'il n'y a rien à redire de la partie en italique.

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Non, au contraire les dialogues passent bien; mais j'ai l'impression que les descriptions sont parfois un poil à paufiner

D'un côté tu me soulages, car les dialogues seront extrêmement nombreux ; de l'autre, tu m'inquiètes puisque je m'applique tout particulièrement sur les descriptions :crying:

Qu'est ce qui te gêne, concrètement, pour voir si je peux y remédier ?

NB : la suite arrive demain B)

Modifié par Monthy3
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mais j'ai l'impression que les descriptions sont parfois un poil à paufiner, alors qu'il n'y a rien à redire de la partie en italique.

Je ne vois pas trop ce que veut dire Kadra parce que moi, tes descriptions je te les envies, le niveau entre la partie en italique et la partie "normale" reste le même.

Justement, en parlant du niveau d'écriture, je ne peux que te féliciter. J'espère juste que tu le garderas jusqu'au bout.

J'attends donc la suite prévue pour demain.

Kroxigor.

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Qu'est ce qui te gêne, concrètement, pour voir si je peux y remédier ?

Arf je vais passer pour le plus gros chieur/pinailleur de la section :D

Bon, puisqu'on me le demande...

Et voui mesdames et messieurs, voici venu l'heure des bonnes analyses du professeur Kadra ! :P

« Ho nan pas lui! »

Et si niak niak niak :crying:

C'est surtout cette partie qui me pose (un peu) problème:

Dans une ruelle similaire à tant d’autres ruelles des quartiers pauvres, c’est-à-dire obscure, humide, boueuse, puante – et tellement triste – deux hommes faisaient face à un troisième. Les vêtements misérables portés par les premiers étaient ridicules sur eux tant leur maintien et leur allure dénonçaient clairement leur appartenance à l’aristocratie ; à l’inverse, l’autre paraissait vraiment dans son élément. Son visage, exposé, se révélait relativement commun ; ses yeux, marron foncé, étaient au diapason d’une chevelure sombre et désordonnée, quoique pas très longue ; même le teint mat de sa peau ne parvenait pas à éclairer sa face relativement propre. Bien qu’il ne fût pas plus grand que les autres et malgré son origine sociale modeste, il semblait dominer par sa prestance ses interlocuteurs. Il était équipé du strict minimum pour le lieu à risques où il se trouvait ; de toute façon, ici, le risque, c’était lui. Ainsi, une dague effilée et parfaitement aiguisée se réchauffait dans un fourreau noir, fourreau qui frottait contre le long manteau de l’assassin. La seule autre chose qui frappait l’observateur au premier aperçu de l’homme était son pendentif : une pièce de cuivre, attachée par une petite chaîne de fer, qui reposait sur sa poitrine et s’agitait au moindre mouvement, émettant alors un léger grincement. C’est cette silhouette, un visage sombre engoncé dans des vêtements plus sombres encore, qui était en train de parler.
Dans une ruelle similaire à tant d’autres ruelles des quartiers pauvres

Répétition de ruelle (vous l'avez dis que je suis un casse co**lle ^_^ ), et similaire qui me parais un peu déplacé :crying:

Les vêtements misérables portés par les premiers étaient ridicules sur eux tant leur maintien et leur allure dénonçaient clairement leur appartenance à l’aristocratie

Le début de la phrase me semble un peu lourd, un peu chargé... Personnellement je l'aurais un peu allégé (j'sais chui chiant ^_^ ); quand au dénonçaient il me semble un peu exagéré...

d’une chevelure sombre et désordonnée, quoique pas très longue

Pourquoi opposer le fait que la chevelure soit sombre et désordonnée au fait qu'elle soit longue?

Bien qu’il ne fût pas plus grand que les autres

Le seul truc qui m'a vraiment gêné; le « fût » gagnerait beaucoup à être remplacé par un « était » (action qui dure dans le temps).

Il était équipé du strict minimum pour le lieu à risques où il se trouvait

Le lieu à risque? Y'a mieux comme formulation... (nann pas taper pas taper! :lol: )

La seule autre chose qui frappait l’observateur au premier aperçu de l’homme était son pendentif : une pièce de cuivre, attachée par une petite chaîne de fer, qui reposait sur sa poitrine et s’agitait au moindre mouvement, émettant alors un léger grincement. 

Comment elle peut grincer ^_^ ?

Pièce à charnière? :P

Et allez, un petit dernier pour la route, le seul petit truc qui me semble corrigeable dans le dialogue...

Quant aux richesses, je veux cent pièces d’or.

D'une part utiliser le mot « pièce d'or » au lieu du nom d'une monnaie locale me fait un peu trop penser à Naheulbeuk (je sais j'ai de ces référence littéraires c'est impressionnant...) mais en plus il me semblerais que c'est un peu court comme négociations, et qu'un assassin d'une telle classe dirait plutôt quelque chose comme « ce serait 100 pièces d'or »... Ou un truc dans le genre :P

Voilà, j'ai fini, en même tant que gagné une réputation de pinailleur et de raseur professionnel :D

Mais j'ai une excuse monsieur le juge, il me l'avais demandé...

Attention, ça reste très bon hein! La plupart des critiques ci-haut sont des points de détail...

Bon, maintenant j'attend toujours la suite... :P

Et pi moi, je glande, je glande, je fait semblant de commenter des texte, et j'écris pas le mien... Allez, au boulot!

Kadra, parti en quête d'inspiration

Modifié par Kadra
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Franchement, c'est pinaillé ce que tu fais là.

D'accord, d'accord, certaines erreurs sont à corrigées et je le lui conseille mais quand même, tu vas chercher loin.

Et pi moi, je glande, je glande, je fait semblant de commenter des texte, et j'écris pas le mien... Allez, au boulot!

Et oui, allez au boulot :crying: . Je l'attends ta suite :lol: .

Kroxigor.

P.S: Ne prends pas mal mes remarques Kadra :crying: , il n'y a aucune envie de te blesser.

P.P.S:

D'une part utiliser le mot « pièce d'or » au lieu du nom d'une monnaie locale me fait un peu trop penser à Naheulbeuk (je sais j'ai de ces référence littéraires c'est impressionnant...)

Moi j'aime bien tes références littéraires ^_^ , en plus il y a une BD maintenant.

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Ben voilà, c'est ça que j'aime comme réponse :D

J'en appelle à mon droit de réponse ("accordé", fait la foule en délire :P )

QUOTE

Dans une ruelle similaire à tant d’autres ruelles des quartiers pauvres

Répétition de ruelle (vous l'avez dis que je suis un casse co**lle laugh.gif ), et similaire qui me parais un peu déplacé innocent.gif

Répétition volontaire, pour montrer la monotonie et la banalité du lieu.

QUOTE

Les vêtements misérables portés par les premiers étaient ridicules sur eux tant leur maintien et leur allure dénonçaient clairement leur appartenance à l’aristocratie

Le début de la phrase me semble un peu lourd, un peu chargé... Personnellement je l'aurais un peu allégé (j'sais chui chiant sleep.gif ); quand au dénonçaient il me semble un peu exagéré...

C'est vrai, c'est un peu lourd ; d'ailleurs, j'ai hésité à rajouter le "sur eux". Quant au "dénonçaient", je pense que ça convient : car c'est bien grâce à leur allure qu'on remarque instantanément qu'il s'agit de nobles. :lol:

QUOTE

d’une chevelure sombre et désordonnée, quoique pas très longue

Pourquoi opposer le fait que la chevelure soit sombre et désordonnée au fait qu'elle soit longue?

Simple : la chevelure étant désordonnée, on s'imagine qu'elle est longue (après tout, une chevelure courte est plus susceptible d'être mieux coiffée), d'où la concession ^_^

QUOTE

Bien qu’il ne fût pas plus grand que les autres

Le seul truc qui m'a vraiment gêné; le « fût » gagnerait beaucoup à être remplacé par un « était » (action qui dure dans le temps).

Tu sais, le "fût" est du subjonctif imparfait, ça représente donc bien une action qui dure dans le temps :D

QUOTE

Il était équipé du strict minimum pour le lieu à risques où il se trouvait

Le lieu à risque? Y'a mieux comme formulation... (nann pas taper pas taper! shifty.gif

*Prépare le fouet* je t'écoute :crying:

QUOTE

La seule autre chose qui frappait l’observateur au premier aperçu de l’homme était son pendentif : une pièce de cuivre, attachée par une petite chaîne de fer, qui reposait sur sa poitrine et s’agitait au moindre mouvement, émettant alors un léger grincement.

Comment elle peut grincer blink.gif ?

Bah, si les maillons de la chaîne de fer sont un peu rouillés, ça me semble relativement normal.

*Sort son petit Larousse* grincement : bruit désagréable produit par certains frottements :P

(oui, Feurnard, je sais, tu n'aimes pas le petit Larousse :crying: )

QUOTE

Quant aux richesses, je veux cent pièces d’or.

D'une part utiliser le mot « pièce d'or » au lieu du nom d'une monnaie locale me fait un peu trop penser à Naheulbeuk

Disons que c'est pratique, puisque ça parle tout de suite au lecteur et qu'on peut établir une hiérarchie de métaux précieux.

mais en plus il me semblerais que c'est un peu court comme négociations, et qu'un assassin d'une telle classe dirait plutôt quelque chose comme « ce serait 100 pièces d'or »... Ou un truc dans le genre tongue.gif

Pourtant, tu as bien dû te rendre compte du laconisme de l'assassin. Il fait le plus court, le plus direct possible B)

Voilà, j'ai fini, en même tant que gagné une réputation de pinailleur et de raseur professionnel biggrin.gif

Mais non, tu as gagné une réputation de commentateur professionel (maintenant, tout le monde t'attendra au tournant :P ) !

En tout cas, merci beaucoup, parce que je sais que ça prend pas mal de temps de faire une critique aussi constructive, et ça me permet d'éclairer en même temps mes choix ^_^

PS : je n'ai lu que les deux premières parties de ton récit, et c'est du très bon ^_^

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Bonjour

Chose promise, chose due, voici la suite :crying: En revanche, j'espère que vous ne vous ennuierez pas, parce qu'il ne se passe pas grand chose...

___________________________________________________

L’assassin, leste et aérien, semblait planer dans les rues et, éthéré, traverser les murs plutôt que de prendre les portes. S’orientant avec une facilité déconcertante dans l’incroyable entremêlement de passages, d’impasses, de palissades et de personnes, ces dernières semblant faire corps avec l’environnement, il ne mit qu’une quinzaine de minutes à quitter le quartier est, appelé par dérision le “quartier nobiliaire”, puisque c’est là que les nobles venaient le plus volontiers pour recruter des mercenaires.

La limite entre ce quartier et celui du sud, nommé le “palace des pauvres”, était marquée : les habitations disposées pêle-mêle comme si on avait renversé un jeu de construction sans y faire attention tranchaient avec la relative organisation de la zone sud. En effet, autrefois, ce lieu avait été occupé par des nobles ; nul pauvre ne connaissait la raison de leur départ, mais quoi qu’il en soit, aucune incertitude n’avait participé aux constructions : les rues – car c’étaient bien des rues et non plus des ruelles – étaient parallèles ou perpendiculaires les unes par rapport aux autres, et certaines étaient même pavées. Les maisons, plus grandes, bien plus vastes, encadraient les passages de façon à peu près régulière. Là, on pouvait même apercevoir le soleil, chose quasiment impossible à l’est et à l’ouest, où l’obscurité omniprésente repoussait la lumière. Plus d’espace signifiait également moins d’odeurs ; odeurs de cuisson, de déjections, de sueur, de sang, de mort enfin, qui pouvaient rendre, combinées au resserrement des bâtisses et à la chaleur latente, même pendant l’hiver, l’air étouffant ou simplement irrespirable ; certains en mouraient. Bien sûr, malgré ces indéniables avantages sur les autres quartiers, le luxe n’était pas de mise : les fantastiques habitations étaient délabrées et surpeuplées, les rues creusées, ce qui formait parfois des marécages miniatures, et couvertes d’immondices, les vols ou meurtres légion, la loi du plus fort évidemment la seule règle ; mais tout de même, ce quartier demeurait plus “vivable” que les autres. Surtout, c’est là que Lametrouble avait ses fournisseurs.

Evitant comme à son habitude l’artère centrale, la Voie magique, pour prendre des rues parallèles, ne cherchant pas outre mesure à se dissimuler aux regards des autres mais ne saluant personne, l’assassin parvint finalement à une boutique dont l’enseigne représentait deux feuilles, l’une noire et l’autre blanche, dont les pointes étaient opposées les unes aux autres : herbes cordiales ou mortelles. Sans la moindre hésitation, il entra.

“Triste sire que voilà ! Bienvenue, Fadamar !

Celui qui venait de prononcer ces mots était en train de cueillir délicatement quelques feuilles d’un tout petit arbuste au tronc gluant et mauve. Il n’avait même pas eu besoin de lever la tête pour reconnaître le nouvel arrivant ; d’ailleurs, il ne la redressait pas souvent, une délicate attention envers ses clients, car elle était effrayante de laideur : des années de recherches acharnées et d’éprouvants voyages lui avaient apporté de nombreuses cicatrices, et tous les tests qu’il avait pu réaliser sur lui-même pour découvrir les propriétés de différentes plantes lui avaient laissé le visage couvert de toutes sortes de bubons, parfois percés et ruisselant de pus. Mais Fadamar Lametrouble n’en avait cure.

– Que me proposes-tu ?

– Allons, tu ne salues même pas ton vieil ami Nathan ?

– Je n’ai d’ami…

– Que le hasard, oui, je sais, je connais la rengaine. Tu ne changeras jamais, n’est-ce pas ? Toujours seul, et détaché du monde. Au moins, tu ne feras pleurer personne lorsque tu mourras… Comme tout le monde, finalement, n’est-ce pas ? Bon, est-ce que le rapport mort/herbes s’est révélé avantageux cette fois-ci ?

– Tu as déjà fait mieux.

– Hmmm… Si ma vieille mémoire ne me trahit pas, chose qui ne saurait durer bien longtemps encore, je t’avais donné cinq Larmes gelées et deux feuilles de Somnimort, c’est exact ?

Pendant qu’il parlait, l’herboriste longeait des étagères sur lesquelles étaient disposées toutes sortes d’herbes, de champignons ou de potions multicolores, et parfois bouillonnantes malgré la température pas particulièrement élevée de la boutique. Un coin entier, le plus éclairé et le moins poussiéreux, accueillait une dizaine de petits arbustes, certains épineux, d’autres, plus rares, vénéneux. L’éclairage était dispensé par une lucarne qui permettait au soleil de prodiguer sa lumière aux plantes en question, une lampe à huile surplombant le comptoir, et un chandelier finement sculpté posé sur une petite bibliothèque à peu près vide, dont les rares ouvrages portaient tous sur l’herborisme. Tout en analysant d’un œil exercé chacune de ses marchandises, Nathan continuait à marmonner.

– Alors, où sont-elles ? J’étais sûr de les avoir mises ici… Leur efficacité me semblait élevée, je suis surpris qu’elles ne t’aient pas plus enthousiasmé, Fadamar. Combien en as-tu eu ?

– Sept.

Le petit homme stoppa ses recherches, puis redressa la tête.

– Eh bien, eh bien, où est le problème ? Sept feuilles pour sept morts, le compte y est.

– Faux : deux feuilles pour sept morts. Tes Larmes gelées se sont montrées sans effet. Pour le prix qu’elles m’ont coûté… Je suis déçu.

L’assassin avait pénétré plus profondément dans l’échoppe, observant ce qui constituerait peut-être ses prochaines achats ; toutefois, s’il étudiait rapidement le contenu des étagères, c’était plus pour donner le change que pour véritablement faire un choix, sa connaissance des plantes étant assez approximative. Nathan se taisait, attendant patiemment que son client prenne sa décision. Finalement, Fadamar leva les yeux, se rapprocha de l’herboriste et, croisant son regard, fit d’une voix surprenamment basse :

– En fait, je recherche pour une fois quelque chose de vraiment spécial. Ecoute-moi…”

Nathan tendit l’oreille puis, avec un hochement de tête, se dirigea vers le coin de verdure.

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C'est lu :lol:

Un peu cliché, l'assassin/voleur qui va se fournir chez le receleur/vendeur d'armes à la gueule brulée, mais c'est quand même très bon ^_^

Bon, allez, on veut savoir le genre de trux exotque qu'il cherche on veut savoir! :crying:

La suite? :crying:

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L’assassin, leste et aérien, semblait planer dans les rues et, éthéré, traverser les murs plutôt que de prendre les portes.

En coupant en deux la phrase, ca aurait bien rendu :crying: Un point après "les rues" Et reconstruire une nouvelle phrase après

S’orientant avec une facilité déconcertante dans l’incroyable entremêlement de passages, d’impasses, de palissades et de personnes, ces dernières semblant faire corps avec l’environnement, il ne mit qu’une quinzaine de minutes à quitter le quartier est, appelé par dérision le “quartier nobiliaire”, puisque c’est là que les nobles venaient le plus volontiers pour recruter des mercenaires.

Bon là, même probleme ! Tu pourrais la découper en trois tellement qu'elle est longue !

Bon, est-ce que le rapport mort/herbes s’est révélé avantageux cette fois-ci ?

Le slash gene un 'tit peu :crying: C'est troublant ! Tu pourrais mettre un "et"

Sinon c'est vraiment pas mal ! T'a passé pas mal de temps à décrire ce qui fait que ca a pas franchement avancé mais c'est vraiment bien ! On cerne pas encore ton personnage mais ce n'est pas l'important pour l'instant... J'attends donc une suite dans les plus brefs délais !

@+

-= Inxi =-

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Merci de vos critiques :lol:

Bon, allez, on veut savoir le genre de trux exotque qu'il cherche on veut savoir! rolleyes.gif

Patience, il va falloir attendre... un temps certain ^_^

@Inxi

En fait, j'aime bien les phrases longues, c'est mon péché mignon on va dire :crying: L'avantage, c'est que ça permet de ne pas répéter les tournures de phrases ou ajouter un paquet de "celui-ci", "en effet", etc.

Mais j'y ferai plus attention désormais ^_^

QUOTE

Bon, est-ce que le rapport mort/herbes s’est révélé avantageux cette fois-ci ?

Le slash gene un 'tit peu tongue.gif C'est troublant ! Tu pourrais mettre un "et"

Le "et" est malvenu ; peut-être un "sur" ?

Sinon c'est vraiment pas mal ! T'a passé pas mal de temps à décrire ce qui fait que ca a pas franchement avancé mais c'est vraiment bien ! On cerne pas encore ton personnage mais ce n'est pas l'important pour l'instant... J'attends donc une suite dans les plus brefs délais !

Oui, c'est vrai, comme je l'ai dit plus haut, il me faut poser le décor, donc c'est un peu lent. Quant au personnage... Non, je ne dirai rien, mais tu t'en rendras compte une fois que j'aurai bien avancé (ou l'art et la manière de fidéliser le lecteur :crying: ).

La suite viendra samedi, elle sera un peu plus courte et mettra un terme au premier chapitre ^_^

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non, pas morts sur herbes, le gars ne voit pas dans sa tête le quotient avec le trait de fractions, d'autant qu'à l'époque (argument peu valable) les mathématiques n'avaient que très très peu de symboles.

à mon avis, mets un tiret, moi le slash ne me gêne que peu mais il fait peut-être un peu anachronique :crying:

moi j'aime vraiment beaucoup. on s'imagine bien en lisant, bravo.

"la suite"

loup_bleu

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Bon, bon...

La prochaine fois je me tairais avant de dire que Kadra est un pinailleur :angry: .

Sinon, je me demande combien de temps tu passes par partie parce que c'est vraiment bien réussi même si je note une légère diminution de la qualité. Mais vraiment légère, du moins, de mon point de vue.

En fait, j'aime bien les phrases longues, c'est mon péché mignon on va dire  L'avantage, c'est que ça permet de ne pas répéter les tournures de phrases ou ajouter un paquet de "celui-ci", "en effet", etc.

C'est vrai qu'il y a l'avantage de la non-répétition de certaines tournures de phrase mais avec des phrases trop longues, j'en perd parfois le sens.

Kroxigor, qui adore ton texte :blushing: et qui veut une suite.

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Bonsoir

à mon avis, mets un tiret, moi le slash ne me gêne que peu mais il fait peut-être un peu anachronique tongue.gif

Bon, je vais peut-être laisser le slash en attendant ; si vraiment, on me le reproche beaucoup, je suivrai ton conseil et mettrai un tiret :'(

Bon, bon...

La prochaine fois je me tairais avant de dire que Kadra est un pinailleur tongue.gif

Tu sais, on a tendance à dire que l'on préfère les critiques bien construites, mais à bas l'hypocrisie : c'est vrai que des posts de compliments font rudement plaisir :blushing::angry:

Sinon, je me demande combien de temps tu passes par partie parce que c'est vraiment bien réussi

Comme je l'ai dit plus haut, c'est vraiment du "travail fini" que je poste : en fait, voilà les étapes :

-- Je commence par écrire sur papier ; je fais une première relecture, éliminant surtout les fautes d'ortho et les répétitions les plus visibles ;

-- Puis je le tape sur mon pc ; ce faisant, je supprime les dernières fautes d'ortho qui m'ont échappé, et j'en profite pour modifier quelques tournures ;

-- Ensuite, je l'imprime, car je suis à peu près incapable de me relire sur un ordi ; nouvelle relecture, surtout axée sur la "beauté" des phrases : modification de certaines phrases pour les rendre plus fluides, remplacement dans la mesure du possible du verbe "être" et des "et", élimination des dernières répétitions ;

-- Enfin, je montre ça à mon frère/un ami, ce qui permet de modifier ce qui gêne le lecteur >>> une faute de français pour le chapitre 1 ; cette étape est facultative, mais quand j'ai la chance d'avoir un "cobaye" sous la main, j'en profite :-x

C'est ainsi que le récit parvient finalement à vous :ermm:

J'espère t'avoir éclairé !

Dernière info : je viens de terminer le chapitre 2, bien qu'il ne soit pas encore passé par l'ultime étape B)

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Bien bien bien !!!

On a hâte d'avoir la suite; cependant, une question: on retrouve les personnages du prologue bientôt ???

Bon, je vais peut-être laisser le slash en attendant ; si vraiment, on me le reproche beaucoup, je suivrai ton conseil et mettrai un tiret :angry:
Personnellement, pour ce que ça vaut: même si le mot "rapport" me fait de suite penser au signe "/", les deux me vont très bien, autant l'un que l'autre.
Après l'avoir écrit à la main, relu, tapé sur l'ordi, imprimé, corrigé, réimprimé et relu une deuxième fois, j'ose espérer qu'il n'en subsiste pas :'(  (le "vainc-le" relevé par Gemini me fait douter, mais je n'ai pas les moyens de vérifier, donc si quelqu'un pouvait apporter une réponse :blushing: ).
D'après mon dico: vraincre, à la seconde singulier de l'impératif = vaincs.
On l’appelle la Lumière de cendres ; ce nom en dit long sur les événements qui s’y déroulent, et sur son aspect extérieur : ce château qui dispense, de ses plus hautes tours, la lumière sur le reste de la ville, est quant à lui noir comme la suie, comme le plumage d’un corbeau de malheur. Tu crois que je vois des ténèbres là où il n’y en a pas ? Naïf ! Partout où le noir domine, domine aussi le mal ; tu comprendras, par la suite, lorsque tu auras vécu ce monde.

Je t’invite désormais à t’intéresser au reste de la ville. As-tu remarqué ce petit quartier éblouissant au nord de la Lumière des cendres ?

Détail insignifiant: "de" ou "des" ?
Lametrouble disparut dans l’une des nombreuses ruines alentours dessinant les ruelles.
"alentour" est un adverbe invariable; ou alors on trouve "aux alentours".
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Bonjour

Voilà la suite et fin du chapitre 1. Bonne lecture !

_____________________________________

Sortant de la boutique délesté de la totalité de l’accompte qu’il avait reçu, mais plus riche de deux petits fruits jaunes à l’air appétissant, Lametrouble prit la direction de son deuxième fournisseur habituel, dont la forge donnait malheureusement directement sur la Voie magique, c’est-à-dire sur une rue régulièrement empruntée par presque tous les habitants du quartier. Son tenant, un certain Soran, justifiait son emplacement par le fait qu’il attirait plus de clients et qu’il se sentait protégé des dangers du quartier par, justement, la forte fréquentation. Même s’il n’aimait pas la foule, Fadamar savait que Soran était le meilleur armurier de la zone pauvre ; il lui avait acheté une dague voilà déjà plusieurs mois et sa lame était encore tout à fait intacte. Il faut dire que l’assassin l’entretenait amoureusement et ne croisait que rarement le fer avec ses cibles, préférant frapper de dos ou pendant le sommeil, quand il ne se contentait pas d’empoisonner leurs aliments. Comme il arrivait quasiment à l’échoppe, un bruit inhabituel le poussa à ralentir ; discret, il avança prudemment jusqu’au coin de la rue du Chien errant, perpendiculaire à la Voie magique, puis jeta un regard.

Toute une foule se pressait à la devanture de la forge, s’agitant, piaillant, s’excitant. Pas besoin de se rapprocher davantage pour en connaître la raison : soit Soran avait péri, soit il avait disparu. Mais le tourbillonnement des flux de magie et leur couleur rouge intense ne laissaient planer aucun doute sur le funeste sort du forgeron.

Tiens, c’est seulement maintenant que tu le remarques ? Eh bien, voyageur, ton sens de l’observation est étonnamment peu développé, pour le baroudeur que tu parais être ! Bah ! Après tout, il est normal que cela te surprenne : as-tu déjà entendu parler de magie dans ton monde ? Dans les contes pour enfants, dans les propos incohérents de vieilles femmes à demi folles ? Ne sois pas si méprisant ; sache que les fables et les récits énigmatiques des anciens recèlent souvent plus de sagesse que les paroles des rois, des devins ou des prétendues élites. Oui, la magie existe, pour le meilleur, parfois, pour le pire, toujours ; elle modèle le monde et anime le coeur humain, elle détruit la vie pour la créer autre part, elle détermine l’avenir mais préserve le passé. Elle est en tout, elle est tout ; elle est, tout simplement.

Tu viens d’en avoir la preuve, avec ces rubans rouges voletant frénétiquement dans toutes les directions. Vois-tu, dans le monde, la magie est visible par tous ; mais ces flux que tu as pu contempler apparaissent la plupart du temps incolores, car ils ne sont que rarement manipulés. Ce mot t’étonne, n’est-ce pas ? Les grands magiciens du monde sont de grands manipulateurs : ils jouent avec ces bandes comme un marionnettiste tirerait les ficelles de ses pantins. Voilà l’explication générale ; le procédé est bien plus complexe, je te laisse le découvrir par toi-même. Sache juste que la couleur que prennent ces énergies – il s’agit du mot dédié – dépend du type de sortilège utilisé ; le rouge, symbolisant le sang, est par exemple la manifestation d’une magie mortelle…

“Tiens donc, quelle surprise ! Votre dernière visite remonte à bien longtemps, maître assassin ; mais je vois que vous avez gardé votre désagréable habitude d’arriver quelques minutes avant la disparition du soleil.

– Certes ; et puis, pour ta première remarque : je viens ici seulement quand je n’ai pas d’autre choix. Soran est mort.

– La tristesse me submerge.

– Je veux des informations, petit marchand. Demain, je serai là à la même heure ; sois présent : tu sais que sinon, je te traquerai jusqu’au bout du monde pour te briser.”

Sur ces mots, l’assassin quitta l’étal d’Ohran Thrixx, vendeur d’épices en tout genre de son état.

_____________________________________

PS: le premier message est édité, tout le chapitre 1 y est désormais :whistling:

Modifié par Monthy3
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