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Navregen


Shas'o Benoît

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Bon ben j'ai terminé la courte nouvelle "Epreuve du froid" ( pub en passant ) donc je passe à celle-ci, tout en laissant la priorité à mes deux oeuvres majeures du moment : la Renaissance du Faucon ( fantastique ) et la Guerre de Toregordabis ( W40k ). Je ne sais pas encore si cette histoire-ci prendra vraiment de l'ampleur, mais bon à priori il y a une suite :) :

Navregen

Histoire de peaux-vertes en l’ère de Vermeil

Karman allait mourir, il le sentait dans ses veines. Même si le chaman Fruk-tragzuk était mort deux jours plus tôt, il savait qu’il n’aurait pas pu le sauver, de toute façon. Il essaya d’ouvrir ses yeux, en vain. Il resterait aveugle pour le peu de temps qu’il lui restait à vivre. Il passa un doigt crasseux sur les croûtes de sang qui s’étaient formés sur son front lacéré, et réprima un frisson de douleur. Maudits soient les elfes !

Il entendait les pans de tissu déchiré de sa tente claquer au vent. Les odeurs qui lui venaient du dehors confirmaient les rapports de ses lieutenants : ils étaient arrivés dans la plaine des Fleur’jaun. Le parfum des buissons de bruyère et des fleurs des champs lui parvenait encore, malgré l’abîme de souffrance où il gisait.

Il était étendu sur sa paillasse, les deux mains crispées sur les peaux de loup qui faisaient office de couverture. Il refréna un grognement de douleur, et cracha quelques caillots de sang. Non, il n’en avait plus pour longtemps. Zigno ferait bien de se dépêcher…

Quelqu’un entra dans la pièce, il le sentait maintenant, son odeur de sueur et d’orque. Karman huma l’air, essayant d’identifier le nouveau venu, et finalement, tenta sa chance :

« -Kilnig ?

-Non, chef, c’est Bjorgkuln. A vozordr, chef.

-Kelles nouvelles des Zordes, Bjorg… »

Il ne parvint pas à achever sa phrase, interrompu par une quinte de toux.

Bjorgkuln était un renifleur, un des meilleurs de la horde des Plakdefer. Il portait toujours sa tunique élimée, un peu plus sale et crasseuse qu’autrefois, voilà tout. Un long couteau de boucher était passé dans sa ceinture, et il s’amusa à le planter machinalement dans le matelas de son supérieur, tout en répondant :

« -L’chef supraime ‘ssaye d’lé rassemblé kek’part du kôté d’soleil kouchant. L’konvok’tion est pour dans deuzours.

-On d’vré prendr’plus d’large avant qu’les longu’zoreilles nou r’trapent !

-J’sé bin, chef, mé kes’k’vou voulé, s’lé zordres !

-Chef, j’suis d’retour ! lança la voix flûtée de Zigno, comme il passait l’entrée de la tente.

-Laiss’nous, Bjor… Renifleur ! »

Bjorgkuln attendit quelques secondes, récupéra son couteau et quitta la tente avec nonchalance, croisant au passage un autre peau-verte qui accompagnait le gobelin :

« -L’chef en a pu pour lontan, Navregen, à ta place, j’s’rai sur mes gard’. »

Navregen ne répondit pas et suivit le gobelin. Zigno était en quelque sorte le serviteur attitré de Karman, son homme à tout faire, son cuisinier et son porte-enseigne. C’était une créature frêle, même pour son espèce, presque de la taille d’un microcéphale. Il était vêtu d’une longue capeline rapiécée cachant ses habits en lambeaux. Un minuscule poignard disparaissait dans sa chausse droite.

Navregen secoua la tête en passant sous les tentures, sentant déjà la chaleur l’oppresser, et il retira le collier de mailles qui lui protégeait les épaules. Il avait, comme à son habitude, enfilé une simple tunique, sur laquelle étaient cousus des anneaux de fer qui s’entrechoquaient à chaque pas. A sa ceinture en peau de lézard, il avait fixé sa dernière prise de guerre, une sorte de long sabre recourbé, au fer plus blanc que la neige des montagnes du Nord. Malheureusement, dans la cohue de la bataille, il n’avait pas réussi à récupérer le fourreau sur le corps de son ancien propriétaire.

« -Ahhh, exsuda Karman entre deux hoquets, mon fils, assieds-toi… »

Navregen s’assit sur un billot noirci, à côté de la paillasse, et observa son père, avec un mélange de pitié et de respect. Il repéra la moindre griffure, la moindre marque des crocs du dragon sur son visage figé par la douleur. Toutes ces stries, ces fissures, ces crevasses, étaient le fruit de la morsure du ver. Des bruits couraient dans les hordes, au sujet de la bave des dragons. Il savait maintenant que tout ce qu’on avait pu dire était bien en dessous de la vérité. Pourtant Karman se battait encore pour vivre, avec toute la vigueur de ses aïeux. C’était un hoborque, un vrai, pas un simple peau-verte monté en grade.

« -Dommage d’en arriver… là, Navregen…

-C’est vrai, père.

-C’est kom ça, faut s’y faire. Mais, j’voudrais… »

Karman s’interrompit, libérant sa gorge d’un nouveau flot de sang noir. Il fut obligé d’attendre plusieurs longues minutes avant de retrouver assez de souffle, et reprit :

« -C’te satané ver m’a eu… Alors j’veux k’tu m’jures…

-C’ke vous voulez, père.

-Tu m’jures de lui prendr’sa peau et d’la r’mettre sur ma tombe.

-Mais la Horde voudra jamais r’tourner là-bas, père !

-Tu m’jures !

-J’pourrais pas l’faire tout seul !

-T’es mon fils, Navregen, t’as mon sang ! Ta mère ne compte pas là-d’dans ! T’es un orque, un vrai… »

Une nouvelle crise le terrassa, le réduisant à se tordre de douleur. I l n’y avait bientôt plus une touffe de poils des peaux de loup qui ne soit maculée de sang. Navregen secoua la tête et finit par lâcher :

« -Bien, d’akord, père. Je jure de lui prend’sa peau et d’la r’met’sur ta tombe. »

Il releva la tête vers Karman, chef de la Horde des Plakdefer, qui venait de rendre l’âme dans son dernier combat. Navregen serra les dents et ressortit de la tente, le pas lourd. Zigno gambadait derrière lui, la langue pendante :

« -Héééé, fils-chef, qu’est-ce j’dois dire aux zorks ?

-Dis-leur k’leur chef est mort, et k’il faut ke j’leur parle c’soir.

-Kom le veut la koutum, koi !

-Pas ekzaktement, Zigno. Mais fait c’ke j’te dis. »

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Chaud le dialogue des orcs sur la longue durée ! Heureusement que tu as plutôt bien organisé le dialogue ! Sinon, on imagine qu'il y a une suite, de toute, tu n'as pas le choix ! Tu m'as assez frustré pour aujourd'hui :) Et encore, j'ai pas lu La renaissance ( chose que je ferai un petit peu plus tard :lol: ) Bon soit, je pense qu'il va avoir la peau de la bestiole ! Je sais pas encore comment mais il va l'avoir et ca va lui rapporter plus que ce qu'il pensait à la base !

@+

-= Inxi =-

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Aha, pour l'instant, la peau de la bestiole est encore une toison d'or pour lui, si tu vois ce que je veux dire...

BOn, contraint et forcé, je poste donc une suite :

La nuit ne tarda pas à tomber, lourde et sombre, épaissie par les ombres écrasantes des montagnes du nord qui barraient l’horizon au septentrion. Avant que la première étoile n’apparaisse, de grands brasiers s’allumèrent dans le campement, dévorant la noirceur du ciel dans de grandes traînées de flammes. Dans le camp des Plakdefer, le désordre régnait, plus encore qu’à l’habitude. Maintenant que le chef était mort, il n’y avait plus vraiment d’autorité, et les têtes brûlées étaient bien décidées à saisir leur chance.

Toute l’après-midi, les disputes et bagarres n’avaient pas cessé d’éclater, et déjà une dizaine de membres de la horde avaient été tués ou blessés. Les vainqueurs des duels, enhardis par leurs succès, se pavanaient dans le campement, haranguant les guerriers et prenant à parti ceux qui faisaient mine de les ignorer.

Navregen se dirigea vers le plus grand foyer, le regard tourmenté. Il avait revêtu pour l’occasion la cape en peau d’ours de son père, et son casque décoré de cornes d’auroch sauvage. Son sabre de guerre restait passé dans sa ceinture, à portée de main. En approchant du cercle des peaux-vertes, il reconnut une voix qui montait plus haut que les autres.

Lokhtar.

C’était sans doute le plus dangereux de tous. Un hoborque à part entière, lui. Une montagne de muscles verts de deux mètres de haut, bardée de plaques de fer, de cuirasses et de mailles. Il tenait une masse d’arme terrifiante dans sa main droite, une sorte de gros gourdin en acier d’où sortaient des pointes dans toutes les directions. Mais le plus effrayant dans sa silhouette, c’était ses yeux hallucinés qui allaient à droite et à gauche, dans un va-et-vient effréné. C’était un vociférant, un de ces orques barbares qui s’était fait un art de charger l’ennemi en hurlant et en massacrant. En retrait derrière lui, trois autres adeptes de son approche de la guerre l’écoutaient, les yeux exorbités, jouant avec impatience avec leurs sabres, marteaux et haches.

Navregen s’arrêta en face de lui, de l’autre côté du brasier, et s’assit dans l’herbe entre deux autres orques. Il fit un rapide tour des personnes présentes. Quelques guerriers sans intérêt, juste là pour boire les paroles des meneurs de groupe. Mais il reconnut certains des participants comme digne d’intérêt.

Deuzelle, pour commencer. Ce grand gaillard efflanqué, un demi-sang, comme lui, mais qui avait reçu le respect de la horde en tuant plus que son compte de trolls des forêts, deux saisons plus tôt. Il se coiffait toujours d’un vieux casque rouillé décoré de deux ailes de chauve-souris, qui lui avait donné son nom. Il n’y avait pas beaucoup de demi-sang dans la horde. Une quinzaine grand maximum. Il faut dire qu’ils étaient mal vus par la société orquoïde, et que dans la majorité des cas, leurs parents ne restaient pas ensemble très longtemps, ce qui ne facilitait pas leur assimilation…

Nédacié, pour sa part, s’était revêtu d’une broigne épaisse et d’un casque à nasal. De tous les individus présents, c’était bien le seul qui avait une affinité avec les Vents. Le chaman Fruk-tragzuk l’avait repéré quelques mois plus tôt, mais n’avait pas eu le temps de lui transmettre grand chose, en dépit de quelques coups de poing pour l’aider à faire rentrer les formules dans son crâne. Cependant, Depuis la mort de son mentor, Nédacié s’était bombardé chaman de la horde, et personne n’y avait trouvé à redire. Cependant, Navregen se rendait bien compte que si les espoirs de la horde devaient reposer sur lui, il faudrait plus compter sur ses talents guerriers que divinatoires.

Tressolid était un orque qui se démarquait du gros de la troupe, par son ambition et sa soif de pouvoir. Comme la plupart des piliers de la horde, il était recouvert de fer des pieds à la tête, et plus que tous les autres, il méprisait ouvertement les autres tribus orques. A l’entendre, les Plakdefer auraient pu remporter la victoire, si les Trémajiks ou les autres n’avaient pas gêné leur combat. En outre, reporter la faute de la défaite sur karman était désormais sans danger, et il ne s’en était pas privé tout au long de l’après-midi.

Podefair était la doyenne de la horde, et à ce titre recevait déjà le respect de tous. Mais une grande partie de son prestige venait de ce qu’elle était la compagne de l’ancien chef de la horde –celui d’avant Karman- et avait hérité de lui sa très précieuse hache à deux mains. Une arme qu’un géant n’aurait pas reniée, mais qu’elle maniait avec une facilité déconcertante.

Navregen se râcla la gorge puis ordonna :

« -Faites vos pakés, lé gars. On r’part demain à l’aube.

-Et pourkoi devrait-on suivre tes ordres, demi-sang ? »

Lokhtar, évidemment. A cette remarque, plusieurs orques sourirent. Deuzelle s’offusqua et montra les crocs, car le seul fait d’entendre cette insulte lui rappelait son propre statut. Plusieurs semi-orques protestèrent, vite rabroués par le gros de la bande. La cohue régnait déjà autour du feu de camp. Un orque poussé par son voisin roula dans le feu et s’éloigna en hurlant, cherchant un seau d’eau pour éteindre les flammes qui parcouraient son dos. D’autres se frappaient déjà à coups de poing. Nédacié restait silencieux, à observer comment les choses tourneraient. Il ne voulait pas s’engager avant d’être sûr de soutenir celui qui gagnerait. Tressolid et Podefair s’invectivaient en montrant les canines, brassant l’air de leurs armes.

« -J’suis l’fils de Karman, cria Navregen pour se faire entendre.

-La belle affair’, grogna Tressolid. On est pas aux ordres d’un demi-sang.

-D’un blanc-zork, renchérit Podefair.

-Très bien, qui veut revendique la place de chef de la horde ? répondit le semi-orque.

-Moi ! » triompha Lohktar. Ses trois compagnons vociférants scandèrent son nom, bientôt repris par une bonne moité des orques, l’autre protestant ou bien massant ses machoires.

« -Pas kestion k’on t’obéisses ! ricana Tressolid. Té plus débil ke n’importe ki d’autre !

-Vou préféré c’demi-portion ?

-Fau voir… »

Avant qu’ils se soient décidés, Navregen fendit la foule, repoussa un gobelin qui tombait à la renverse, matraqua deux orques qui lui barraient le chemin et sabra avec violence l’épaule droite de Lokhtar. Ce-dernier sursauta, plaqua sa main sur sa balafre, porta ses doigts à sa bouche. Le goût du sang frais exacerba sa colère, et il hurla :

« -T’é mort, demi-sang ! »

Aussitôt, un cercle se forma autour d’eux. Les guerriers s’écartèrent, soudain intéressés par la tournure des événements. Tressolid gloussa en voyant Le vociférant s’approcher du jeune demi-sang, avec ses trois sbires. Les bras croisés, il attendait la boucherie avec jubilation. Voilà qui pimenterait un peu cette soirée maussade, se délecta t-il.

Podefair posa le pied de sa hache au sol, et reposa ses deux mains calleuses sur le fer, en observant les deux combattants. Malgré toute la défiance qu’elle éprouvait pour lui, elle se devait de reconnaître qu’en dépit de la masse de plus de deux cents kilogrammes de muscle et d’acier qui se dressait devant lui, le jeune prétentieux n’avait pas affiché la moindre crainte.

Les deux adversaires tournèrent lentement, se jaugeant avant l’assaut ; Navregen avait dégainé son long sabre, et le faisait osciller dans sa poigne, tandis que son opposant serrait sa massue dans l’étau de ses doigts. Il avait un avantage, à savoir que son adversaire n’estimait pas à sa juste valeur le sabre : pour lui, ce n’était rien de plus qu’un coupe-chou fragile, une arme d’elfe, indigne d’un vrai peau-verte. Mais Navregen, pour s’être battu à l’épée pendant toute sa jeunesse, savait mieux trancher que frapper ; il avait rapidement découvert les principales différences d’escrime avec une telle arme, au cours de son entraînement durant tout l’après-midi. Il s’était prépara au combat, il savait à quoi s’attendre avec ses camarades de pillage. Maintenant il était prêt : il suffisait de frapper l’ennemi de taille, ne jamais chercher à le transpercer, simplement l’écorcher vif.

Nédacié s’était posté devant les deux combattants, le plus près de l’assemblée à les observer. Les deux mains posées sur le madrier qui lui faisait office de bâton de magicien, il décréta :

« -Ce s’ra un komba dan lé règl, le vainkeur d’viendra l’chef de la hord, on est d’akord ? »

Les deux duellistes acceptèrent, et la foule, déjà obnubilée par l’affrontement à venir, salua cette proposition par une ovation. Presque tous les Plakdefer étaient là maintenant, à attendre que le sang coule ; il ne manquait que les esclaves gobelins, les otages, et les sentinelles.

Lokhtar attaqua en premier, abattant son gourdin de toutes ses forces. Navregen, plus rapide que lui, n’eut aucun mal à éviter le coup. Il ne portait que sa broigne d’anneaux, son casque à cornes, un bouclier rond en bois et son arme acérée, tandis que son adversaire avait la moindre parcelle de peau recouverte par plusieurs couches de plaques de fer. L’hoborque grogna, relevant sa masse pour frapper à nouveau. Le semi-orque n’attendit pas et le sabra au genou gauche, au défaut de l’armure. Le fer crissa sur les anneaux de la cotte de maille, mais les brisa sans peine pour lézarder la peau épaisse. Lokhtar ricana, sentant à peine la douleur. Derrière sa visière à trous, ses yeux injectés de sang dardaient des éclairs.

Kilnig, le chef des kavaliers de la horde, et Bjorgkuln le renifleur, pariaient sur le vainqueur et surenchérissaient avec fièvre, misant leurs armes, leurs quelques pièces de monnaie, leurs rations et leurs prises de guerre.

Lokhtar frappa à nouveau dans un grand moulinet que son ennemi esquiva, mais le gourdin acheva son cercle en retombant soudain, avec toute la vitesse accumulée. Navregen n’eut que le temps de lever son bouclier qui vola en éclat, et tout son bras gauche fut engourdi par le choc. Alarmé, il recula de trois pas. L’hoborque ricanait, la foule huait avec force. Il était temps d’en finir.

Navregen se mit à courir tout autour de son adversaire, qui, bien trop massif, n’arrivait pas à le garder en face de lui. Aveuglé sur ses côtés, Lokhtar était obligé de frapper à l’aveuglette, creusant des sillons dans le sol, pivotant sur lui-même en poussant force jurons ; la poussière soulevée par le fracas du gourdin sur la terre commençait à lu irendre la respiration difficile, et ce ballet infernal l’échauffait trop. Par Asslanquo, il avait plus l’habitude des batailles rangées où il pouvait courir en ligne droite, massacrant tout sur son passage !

Navregen porta un coup à l’aisselle droite, un autre à la jointure du plastron avec le pectoral, encore un au coude gauche. Un liquide rouge perlait sur les plaques d’armure et long du tranchant du sabre elfe. Le semi-orque se surprit à penser que cette arme pouvait enfin venger sur un orque la mort de son légitime propriétaire.

Il lui semblait que sa longue rapière anticipait ses mouvements, plutôt qu’elle les épousait de par sa volonté propre, et qu’elle frappait avec une vitesse accrue. La lame dansait dans ses mains, tailladant, fauchant, découpant les mailles comme s’il s’agissait d’un filet de cordes.

La foule commença à scander son nom. Ils avaient compris que le vent avait tourné. Les semi-orques étaient les plus enthousiastes, heureux de voir un des leurs sauver leur honneur. Au mileu de cette cacophonie, Lokhtar était à bout de souffle. Il avait trop chaud sous son casque, la poussière lui aveuglait les yeux et encrassait sa gorge. Il fit décrire à sa masse d’armes un grand cercle, pour maintenir son ennemi à distance, puis de la main gauche, releva sa visière, pour avaler un peu d’air frais.

C’était l’occasion que Navregen attendait. Il chargea droit, le sabre levé. Lokhtar releva son bras, prêt à écrabouiller ce freluquet. Mais il avait présumé de ses forces. Navregen sauta sur son adversaire, le renversant sur le dos, tandis que sa main gauche retenait le bras droit. Lokhtar, encore le souffle rauque, cloué au sol par son armure, comprit que sa seule chance était d’en finir le plus vite possible. Il soutint son gourdin à deux mains, mais Navregen se saisit de l’arme au-dessus du poignet, l’arrêtant dans sa course. Un sourire satisfait apparut sur son visage ruisselant de sueur : d’un seul bras, il pouvait retenir la masse. Ainsi, l’hoborque était essoufflé à ce point ?

« -Ne t’en fait pas, cher Lokhtar, ta mort sera rapide ! » lui cracha t-il au visage.

De la dextre, il brandit son sabre et zébra le visage découvert de son adversaire, qui serra les dents de douleur. Navregen recommença, encore et encore, jusqu’à ce que la face grimaçante ne soit plus qu’un puzzle vert et rouge, d’où s’exhalait des gémissements étouffés.

Les deux bras tombèrent en croix, vaincus par la souffrance. Navregen en profita pour ramasser la massue à pointes, et pour l’abattre de toutes les forces qui lui restaient sur la tête de Lokhtar.

Il y eut plusieurs minutes de silence, puis l’assistance explosa. Des félicitations fusaient de toutes parts, des protestations jaillissaient, en particulier de la part des trois vociférants bien décidés à massacrer l’assassin de leur chef. Nédacié s’interposa, déclarant que le combat était terminé et avait été mené loyalement.

Tressolid cracha par terre, et s’éloigna sans attendre pour casser quelque chose dans sa tente, ou bien tordre le bras à une de ses esclaves. Podfair ne dit rien, mais salua d’un bref hochement de tête le nouveau chef de la horde, Navregen fils de Karman, que les semi-orques avaient soulevé sur leurs épaules pour le porter triomphalement dans tout le campement.

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Argh je vais peut-être briser la poésie mais est-ce-que les orcs se reproduisent comme dans le codex 40k? C'est-à dire mi animal mi végétale, leur cellules se toute seul à partir d'un morceau de peau et dans les condition nécéssaires. Ou comme le disent les chamans gobelins:

"Lé orcs c komm lé champignon, sa pouss' tou seul!"

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Donc pas de fautes et une première étape d'accomplie ! :D Il devient chef de la horde après un bref combat mais assez intense :unsure: Quand il dit ' on repart' je me demande 'il veut partir qu'avec ça chercher la toison ou alors il part chercher le reste de la horde :wink:

Bon pas grand chose à dire, sauf exprimer la volonté de lire une suite :lol:

@+

-= Inxi =-

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Dans cette courte suite, les réponses partielles à tes questions bien légitimes !

Une petite pluie automnale tombait le lendemain matin, avec un clapotis sur les toiles de tente. Une légère brise poussait les quelques plaques de brouillard qui s’attardaient encore sur la plaine, entre les foyers à moitié éteints et les chariots dételés. Ici et là, les premiers attroupements se rassemblaient autour de vieilles marmites cabossées, d’où sortaient quelques volutes de vapeur. Les sentinelles se secouaient pour chasser le froid et la rosée accumulée sur leurs capes rapiécées, les cuisiniers aidés de leurs aides gobelins s’échinaient à ranimer les feux mourants, malgré l’humidité et l’absence de bois sec.

Navregen s’était levé plus tôt que de coutume. A dire vrai, il n’avait pas beaucoup dormi. Il savait qu’un chef de horde se devait de rester sur ses gardes chaque instant. C’était d’autant plus vrai pour un leader récemment choisi, et encore plus pour un gringalet dans son genre. Cette nuit, deux tentatives d’assassinat avaient avorté : trois orques avaient essayé de le surprendre pendant son sommeil, et leurs têtes décapitées ornaient maintenant les pieux plantés devant l’entrée de son pavillon ; puis un peu plus, tard, deux flèches tirées à travers les tentures avaient bien failli lui régler son compte ; c’était un de ses esclaves gobelins qui les avait reçues, alors qu’il l’aidait à retirer son armure pour la nuit.

A peine reposé, il s’était posté au sommet d’une petite colline, surplombant le camp. De cette hauteur, il pouvait embrasser du regard toute la horde Plakdefer sous ses ordres, à savoir quatre ou cinq cents vrais guerriers, plus deux centaines de gobelins et de microcéphales, une soixantaine de chevaux, dix carrioles avec leur attelage et une centaine d’esclaves de toutes sortes : humains et humaines, elfes en plus petit nombre, quelques hommes-bêtes, dix ou vingt nains, des fenris à la peau bleue…

Il s’agissait de déterminer lequel de ses rivaux avait commandité ces deux meurtres. Il pouvait s’agir de n’importe lequel d’entre eux : Tressolid, bien qu’il préférât régler lui-même ses affaires, avait très bien pu le juger indigne de mourir de sa main ; Podfair se faisait vieille et aurait sans doute préférer confier une mission pareille à quelques uns de ses sbires ; Nédacié, enfin, pour parfaire son emprise sur la horde, avait très bien pu faire courir le bruit de sa mort prochaine, puis tenté de réaliser sa prophétie. Il fallait enquêter avec discrétion.

« -Zigno ! »

Le gobelin, qui manifestait un sens de la fidélité assez surprenant pour quelqu’un de son espèce, avait décidé de rester au service du fils de son ancien maître. Il accourut, langue pendante, et le salua bien bas :

« -Vi, chef, koi k’y a pour votre service ?

-Tache de savoir si Nédacié ou un autre est pas derrière les komplots d’cette nuit. Quand t’auras trouvé, préviens-moi ke je fasse payé les koupables.

-A vos ordres, chef ! »

Navregen hocha de la tête, puis lui fit signe de s’éloigner. Une délégation des fortes têtes de la horde s’avançait dans leur direction, la tête haute. Tressolid dirigeait le groupe, la démarche conquérante. Derrière lui, Nédacié et Bjorgkuln marchaient, en se chamaillant à voix haute. Podfair, soutenue par deux membres de sa famille, deux petits-neveux peut-être, suivait avec difficulté, se servant de sa hache comme d’une canne. En tout dernier venait Kilnig, le front baissé, drapé dans sa cape en fourrure de mastodonte. Le soleil n’était pas encore très haut, et le fond de l’air était frais.

Tressolid se campa devant son nouveau supérieur, qu’il dépassait de deux bonnes têtes, et demanda sur un ton méprisant :

« -Ke fait-on aujourd’hui, demi-sang ?

-Je suis l’chef de la horde, répondit Navregen. Utilise le titre adékat.

-Si j’en éprouv’le b’soin. Et c’est pas l’kas pour l’instant, demi-sang.

-C’est pour me dire ça k’t’es venu ? Tu veux suivre Lokhtar ?

-J’veux savoir kelles sont tes décisions, demi-sang. Et t’avises pas d’me menacé, ça prendra pas. J’krains personne sur c’monde.

-Nous allons au sud, Tressolid, c’est tout c’ke vous zavez besoin d’savoir.

-J’kroyé qu’le chef supraîme des hordes avait konvoké toutes lé zordes pour d’main soir.

-J’m’en balance éperdument. Tout c’ki m’intéresses c’est d’rend’à not’klan sa dignité.

-Avec toi komme chef, grogna Bjorgkuln, c’est pas gagné. »

Navregen le foudroya du regard, jusqu’à ce qu’il baisse la tête, puis ignora le sourire goguenard de Tressolid, qui semblait vraiment s’amuser de voir un semi-orque à la tête de plusieurs centaines de peaux-vertes.

« - J’ai fé une promesse à mon père, vot’ancien chef de hord, et j’komptes bien la t’nir.

-Kel genre de promesse ? s’enquit Podfair, en secouant la tête.

-J’vous en f’rai par ten temps et en heure. Pour l’instant, faut k’on r’trouve du prestige après la dernière défaite.

-Z’avez une idée pour ça ? demanda Kilnig, intéressé.

-On pourré kommencé par allé à la konvok’, proposa Bjorgkuln à mi-voix.

-J’n’ai aukune envie d’revoir l’chef supraîme et ses remarkes désobligeantes. Il n’a jamé eu ke mépris pour lé Plakdefer.

-C’ki te fé l’plus peur, se s’rait k’il te renlève ton komman,d’ment. Il a l’autorité pour, s’esclaffa Tressolid. T’auré l’air malin.

-Kache té kanines, abruti, cracha Navregen. On voit tes dents kand tu souris, et c’est pas beau à voir, parole.

-Attends, morveux ! »

Navregen leva le bras, et aussitôt deux bandes apparurent sur les flancs de la colline. Deuzelle et les treize autres semi-orques du clan, qui étaient restés cachés derrière la hauteur pendant la première partie de l’entretien, s’étaient dévoilés, armés jusqu’aux dents de haches, épées ébréchées, massues, couteaux et arcs rustiques. Après un premier instant de surprise, l’hoborque éclata de rire :

« -C’est ça tes gardes du korps ! Laisse-moi rire, demi-sang !

-Viens t-y frotter, si tu l’oses.

-Cela ne serviré à rien, intervint Podfair.

-La ferme ! cria Tressolid. Komprend-moi bien, demi-sang. J’trouve ça drôle et distrayant d’avoir une râclure à la tête du klan. Mais kan j’en aurai assez, et k’j’auré ri mon saoul, j’te réglerai ton kompte. Et ça dur’ra pas longtemps. Rest’ra pas d’toi d’koi faire une descente de lit. Et souviens-toi k’j’suis pas un imbécile comme Lokhtar. Alors si tu veux faire d’vieux os, j’te konseille de pas m’énervé, de kontinué à faire le pitre, et surtout d’bien t’entraîner avec tou couteau d’elfe. Parce ke moi j’seré pré.

-Maintenant toi aussi ékoute, rétorqua Navregen, si on r’tourne à la konvok du chef supraîme, et k’il ne r’tire le kommand’ment, y’aura pas d’nouveau chef de klan ; les Plakdefer s’ront dissous, et disparaîtront.

-Y’a d’autres bandes de Plakdefer dans les environs, hasarda Tressolid, un peu moins à l’aise.

-C’est vré, mais si tu veux cherché pendant des lunes cé zautres tribus, pour te r’trouvé avec des zorks ke t’auras jamé vu, j’pense pas k’cé l’cas d’tout l’monde. Not’unike chance, c’est d’nous r’faire une gloire avant k’le reste des hordes nous tombe dessous pour nous faire payé not’retard. Kompris ? »

Les meneurs du clan acquiescèrent, l’air sombre. Il fallait reconnaître que le demi-sang avait vu juste, au moins sur ce point. Navregen soupira de soulagement, puis se tourna vers Kilnig, qui tenait toujours le rang de chef des éclaireurs :

« -Rassemble té kavalié et r’père la route du sud, jusk’au fleuve des zumains ; puis r’vient m’faire ton rapport. Et lambine pas en route. »

Kilnig fronça du nez, manifestant ainsi son accord, puis s’éloigna vers le corral où les robustes chevaux de la horde étaient parqués. C’étaient des créatures massives, aux muscles saillants et aux têtes lourdes, dures à la fatigue et à sale caractère. Plus petites que les chevaux employés par les hommes, elles étaient capables de galoper bien plus longtemps. Les autres capitaines du klan le regardèrent se diriger vers le reste du camp, puis Nédacié, tout en faisant décrire des cercles à son « bâton » de magicien, demanda à leur nouveau chef :

« -Vous zavez un objektif précis en vue pour r’dorer not’blazon, chef ?

-Devine, puiske t’es chaman, répondit Navregen en quittant la colline, escorté de Deuzelle et de ses gardes.

-Sale gosse gâté, cracha le soi-disant prophête, à mi-voix.

-Il a un truk en vue, c’est sûr, déclara Podfair, qui faisait signe à ses aides de la remmener.

-Ke j’te r’prenne pas à appeler « chef » ce demi-sang », gronda Tressolid en partant à grandes foulées du sommet du mamelon.

Navregen, une fois hors de portée de voix des autres meneurs, se détendit un peu et tapa dans le dos Deuzelle, en s’esclaffant :

« -Du bon boulot, Deuzelle mon kompagnon ! Kontinuons komme ça, et tu s’ras le bras droit du chef du plus illustre klan d’tout l’pays, j’t’en mets ma main au feu ! »

Modifié par Shas'o Benoît
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Kache té kanines, abruti, cracha navregen. On voit tes dents

Hop un 'tit problème de majuscule ! C'est tout ! Une bonne suite avec tes tensions inhérentes à la nature des orcs. Je sens que ça va se fritter violent ! Et avant qu'ils choppent la grosse bête ! Voir après 8-s Bon bah suite ! Je suis en panne d'inspiration ! :angry:

@+

-= Inxi =-

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  • 4 semaines après...

Voilà la suite, attention l'intrigue avance un peu :

Pour l’instant, le « plus illustre klan d’tout l’pays » faisait pâle figure. Du millier de créatures massées dans le camp temporaire, à peine la moitié était au mieux de sa forme et en état de se battre : si l’on ne comptait pas les nombreux guerriers blessés par la précédente guerre ou les échauffourées quotidiennes, il fallait aussi songer aux nombreux esclaves. Chaque petit chefaillon possédait au moins une dizaine de serviteurs attitrés, et de nombreux orques utilisaient les gobelins comme garde-chiourmes pour leurs captifs.

Il fallut plusieurs heures et force coups de poing pour amener la horde à rassembler ses paquetages, ses tentures et ses armes. Peu avant midi, enfin, les Plakdefer, dans leurs armures brillantes, étaient rassemblés au pied de la colline. Navregen avait permis à la plupart des hoborques de siéger à ses côtés. C’était une mesure nécessaire pour s’assurer qu’ils ne tramaient pas quelque guet-apens, mais aussi obligatoire pour se les concilier. Bien sûr, les semi-orques commandés par Deuzelle restaient autour de lui, prêts à faire rempart de leurs corps en cas de rebellion.

Nédacié pensa quelques instants à son nouveau statut ; la plupart de ses compagnons demi-sang le voyaient désormais comme l’incarnation de leurs espoirs les plus fous. Ils auraient sans doute tous donné jusqu’à leur dernière goutte de sang pour qu’il puisse vivre ; sauf peut-être Deuzelle. De lui aussi, il devrait se méfier, s’il ne voulait pas se faire renverser. Après tout, Deuzelle aurait mérité autant que lui de devenir le chef de la tribu : la gloire valait bien les droits du sang. Mais qu’étaient la gloire ou les droits du sang pour un demi-sang, comparé à l’ambition d’un hoborque sans scrupule ? Au moins pour l’instant, tous deux étaient liés par les mêmes intérêts.

Ecartant les bras en un salut péremptoire, le jeune semi-orque commença son premier discours en tant que chef de clan :

« -Koutez tous, lé zorks. Fau k’on r’fasse not’gloire au plus’tôt ! Il est tan d’montré ozotr zork dézautr’klans k’lé Plakdefer sont toujours dé vré zorks ! J’vé vou m’né à la viktoir, j’en fé l’serment par tou lé zekonds ! L’sang va koulé pour la joie dé Plakdefer !

-Pour la joie é l’bon plaizir dé Plakdefer ! » répéta la foule, scandant les mots et martelant le sol des manches des piques.

Un nuage de poussière majestueux s’éleva sur la plaine, à mesure que les nombreuses chausses transformaient la prairie en plaine terreuse. Les chariots crasseux avançaient pesamment, les chaînes de forçats et d’esclaves avançaient entre les rangs des guerriers, tandis que gobelins et tortionnaires harcelaient les malheureux. Les hautes silhouettes des hoborques invectivaient les retardataires, les traînards et les tire-au-flanc. Beaucoup de bruit et de bagarres, pour finalement mettre en branle la machine de guerre qu’était la tribu orque. Navregen respira à pleins poumons, assez satisfait de lui. Puis il reprit la marche, en tête de colonne. Il était bien décidé à imposer un rythme soutenu, histoire de fatiguer les prisonniers et casser toute velléité d’évasion.

Le chemin serpentait le long de la rivière, se transformant parfois en bourbier sur quelques mètres. D’un côté, les roseaux et le fleuve tortueux, où résonnaient les cris des poules d’eau et les claquement de bec des hérons cendrés, de l’autre, des bosquets de pins, des forêts denses et de petites trouées où l’on apercevait parfois une petite harde de chevreuils passer au loin, comme des images d’un monde irréel.

Swegnine montait en amazone un palefroi bai dont le harnachement portait les armoiries de sa famille : de gueules au dragon d’argent lampassé d’azur. Sa longue robe de vathmal, teinte elle aussi d’un rouge profond tirant sur le pourpre, lui donnait un air noble et distingué, qui cachait son naturel amical. Ses deux tresses couleur or s’échappaient de sa coiffe blanche pour retomber de par et d’autre de son cou décoré d’un torque précieux. A sa taille était serré un simple cordon retenant un trousseau de clefs, symbole de son autorité, ainsi qu’un sac de cuir et une petite dague glissée dans un fourreau orné d’émail.

A ses côtés, montés sur des destriers nerveux, quatre hommes d’arme bavardaient joyeusement. Chacun portait un bouclier rond, assez large, ainsi que casque, broigne et lance, sans compter la hache passée dans la ceinture. Leurs chevelures hirsutes étaient complétées par des moustaches tombantes ou des barbes fournies. La demoiselle se mêlait parfois de leurs conversations, riant de bon cœur au récit de leurs exploits des saisons passées, plus ou moins enjolivés ; mais la plupart du temps qu’avait duré la chevauchée, elle avait gardé le silence, ou bien écouté les déclamations de sire Lognobard.

Lognobard n’était pas un noble impérial, pas plus qu’elle ou son père, d’ailleurs. Mais Sire Orinkard avait mérité l’estime des grands du royaume, et avait été reconnu comme légitime propriétaire de la seigneurie, au nom de l’empereur de l’ouest, ce qui lui donnait une légitimité incontestable. Cependant, cette reconnaissance officielle ne lui avait pas toujours valu les faveurs de ses égaux svedingars, ses anciens compagnons de pillage.

Depuis les nombreux siècles passés à remonter les fleuves en vue de commerce ou de coup d’éclat, les svedingars, peuple aventureux de marins et de guerriers, s’était peu à peu établi dans l’arrière-pays, bâtissant des avant-postes et des cités commerciales aux points stratégiques, occupant parfois un site déjà aménagé par les autochtones. La menace svedingar, comme on l’appelait dans le sud, leur avait valu plusieurs campagnes de répression, mais l’autorité impériale, lointaine, à peine écoutée, n’avait pas suffit à enrayer l’établissement des hommes du nord.

Déjà les arrière grands-parents d’Orikard, le père de Swegnine, étaient les maîtres de Tailleroc, et l’autorité de leur famille, bien ancrée dans les villages.

Sire Lognobard, puisqu’il fallait l’appeler ainsi selon les us et coutumes des hommes du sud, était pour sa part un bondi, c’est-à-dire un homme libre, un membre de la classe la plus représentative du peuple du nord. Les bondis, hommes indépendants, le gros des troupes expéditionnaires, étaient propriétaires de fermes, et possédaient le plus souvent de nombreux serfs et domestiques pour entretenir leurs terres. Lognobard était installé à quelques lieues de la forteresse de Tailleroc, dans une vallée isolée, où il se devait de garder une milice d’huskarls en guise de défense, contre les seigneurs voisins ou les tribus de trolls, de gobelins ou de kobolds en maraude.

Mais la guerre n’était pas son point fort. Comme tout bondi, Lognobard était aussi marchand, poète et sculpteur à ses heures, capable même de danser et de tisser en ses heures perdues. Il égaya les quelques heures du voyage par des récitations des plus grands poèmes svedingars, comme l’Edda de Stronggi le Clairvoyant, ou la Saga de Frundjson Pied-de-porc. Il était capable de déclamer les vers sans s’arrêter, les yeux mi-clos, marquant les intonations et le rythme avec adresse. Il était clair qu’il aurait été digne de devenir scalde.

Swignine se rappela l’accueil qu’il fit à elle et à sa troupe, quand elle arriva à l’entrée de son domaine. Les champs couverts d’épis dorés ondulaient sous la brise, et les premiers paysans s’avançaient pour faucher le blé mûr. Après avoir traversé les terres grasses, les cinq cavaliers s’étaient arrêtés devant la longue maison en bois et en tourbe, où la première épouse du bondi les avait fait entrer avec courtoisie. Lognobard n’avait pas tardé à apparaître, la hache à la main. Rappelé alors qu’il organisait une nouvelle coupe dans la forêt, il était venu aussitôt, et s’était enthousiasmé à l’annonce de l’appel du seigneur Orinkard : tous ses vassaux étaient convoqués au château, en vue de la mise sur pied d’une nouvelle expédition aux sources du fleuve, et chacun était invité au banquet qui ouvrirait les préparatifs.

Bien sûr, Lognobard avait assuré la messagère de sa fidélité à son père, et avait sellé sa monture, sans plus attendre. Après avoir embrassé ses trois femmes et confié à ses intendants et son épouse la tenue de son domaine, il avait pris la route. Maintenant, il s’était tu, songeant à son départ précipité. Il avait toujours eu beaucoup d’estime pour son seigneur et maître, qu’il considérait comme son père, et son souhait le plus cher était d’arriver parmi les premiers à Tailleroc. Il sourit en songeant aux porteurs du message : Swignine, qui pourtant avait la garde de sa maisonnée, avait porté en personne la nouvelle. Il est vrai qu’Orinkard avait à plusieurs reprises témoigné à Lognobard, et à son père avant lui, plus d’amitié que pour n’importe qui d’autre. Et puis, sa fille était douée d’un fort tempérament, qu’il était difficile de contenir ; confinée dans les taches domestiques de la demeure seigneuriale, elle devait parfois étouffer, aussi avait-elle dû décider, d’un commun accord avec son père, de porter en personne la missive.

Une couvée de passereaux s’envola des branchages, à quelques mètres de la troupe, en poussant force piaillements. Instantanément, Lognobard retrouva tout son sérieux. Un silence était tombé sur les bosquets et les sous-bois, troublé seulement par les plaisanteries des quatre cavaliers d’escorte.

Un cri bestial à vous glacer le sang retentit dans la forêt. Surgissant des buissons, près de dix kavaliers orques s’avancèrent à bride abattue, divisant les voyageurs en deux. Terrifié par les hurlements sauvages et les hennissements des montures, le destrier du bondi partit à fond de train, terrorisé. Tirant su les rênes, jouant des étriers, Lognobard essaya tant bien que mal de rappeler à l’ordre son cheval. Quant il put enfin tourner bride, la bataille faisait rage. L’un des svedingar était tombé dans la rivière avec son cheval, et tous deux étaient emportés par le courant. Deux chevaucheurs orques s’avançaient vers lui, tandis que les autres fracassaient les boucliers levés.

Lognobard tira sa hache, une petite cognée bien aiguisée, une francisque lourde et taillée avec soin, dont le fer était marqué d’une rune de vitesse. Poussant un cri de colère, il la lança avec expertise. L’arme de lancer voltigea, tel un bourdon effarouché, et fracassa le crâne du premier opposant malgré son casque en fer. Brandissant sa javeline, il la projeta vers le second belligérant ; la pointe se ficha dans le cou du cheval orque, qui s’effondra sur le sol en gémissant. Il ne lui restait plus que sa courte épée. Dépassant le kavalier qui essayait de se relever malgré son armure, il fonça droit sur le gros de la troupe ennemie.

Deux des hommes de garde étaient gravement blessés, leurs boucliers en miette pendant le long de leurs sangles. Le troisième repoussait de son mieux les assauts des peaux-vertes, qui tournaient autour de lui comme des loups d’acier affamés. Trois orques étaient à terre, morts ou mourants, et leurs montures avaient dû s’enfuir. Les cinq survivants invectivaient leurs bêtes et redoublaient de coups. Swegnine, ne pouvant rien tenter avec sa dague dans un duel monté, restait en retrait sous la protection du dernier garde du corps.

Lognobard chargea droit devant lui, accueilli par deux des kavaliers. Son épée traversa la cotte de mailles du premier et ripa sur les plaques de fer du second. Le fer d’une hache résonna avec violence contre son écu, et le tranchant d’un sabre entailla son bras droit tandis qu’il paraît un nouvel assaut.

Un nouveau cri de guerre retentit, poussé par de nombreuses poitrines. Un à un, de nouveaux kavaliers surgissaient des buissons, la bave aux lèvres. L’un d’entre eux brandissait une longue perche décorée par un crâne d’ours, et une tapisserie déchiquetée représentant vaguement un chef orque tenant une double-hache plus haute que lui. Lognobard sentit l’espoir l’abandonner. Repoussant encore les attaques de ses deux adversaires, il s’époumona :

« -Il faut battre en retraite ! Nous allons tomber sous leur nombre ! »

Le garde du corps encore valide bouscula ses trois ennemis par un galop soudain, entraînant derrière lui Swegnine et deux autres svedingar. Le quatrième homme tenta d’écarter les kavaliers par des moulinets de sa hache, et il fut abattu par deux pointes de lance.

Maintenant les quatre survivants chevauchaient à bride abattue le long du sentier, la masse de kavaliers criant et hurlant sur leurs talons. Lognobard risqua un coup d’œil derrière lui : il y en avait bien encore trente ou quarante !

Après quelques centaines de mètres, ils aperçurent au bord du chemin une silhouette fatiguée et trempée jusqu’aux os : c’était le quatrième garde d’escorte, qui avait réussi à rejoindre la berge. La barbe dégoulinante et les habits poisseux, couverts de vase, il leur fit signe de la main. Lognobard ralentit son allure, puis s’arrêta à son niveau :

« -Il faut dégager, huskarl ! Les peaux-vertes sont à nos trousses !

-Je n’ai plus de monture… Continuez sans moi !

-Ne peux t-on le prendre en plus ? demanda Swegnine.

-La charge serait trop lourde pour un destrier, protesta le garde. Fuyez ! »

Déjà l’haleine fétide des poursuivants les rattrapait. Les quatre cavaliers relancèrent leurs chevaux, laissant derrière eux leur camarade imbibé d’eau. Celui-ci leva le bras, et lança sa hache de lancer, mais rata son but. Quatre des orques montés s’arrêtèrent devant lui, laissant le reste de leur bande terminer la poursuite. L’un des chevaux orques chargea, manquant de renverser le naufragé. Celui-ci riposta par un coup de taille, cisaillant les jambes de la créature qui s’effondra sur ses genoux, pitoyable. Le monteur se redressa, encore pris dans le harnais. Le svedingar bondit devant lui et frappa d’estoc en plein visage, transperçant la visière du heaume. Il n’eut pas le temps de s’en féliciter, car un même moment un coup de lance le frappait à l’épaule, l’envoyant chuter à terre où l’un des destriers le piétina sans merci.

Kilnig reniffla de mécontentement, puis il éleva sa main griffue gantée de fer :

« -Inutil de kontinué, lé zorks ! Leurs ch’vo vont plu vitt keu lé notr !

-Fo pa léssé cé zumin s’en sortir ! protesta l’un des kavaliers.

-No ch’vo son tro fatiké, grogna le chef des kavaliers. Fau gardé leurs forz pour r’tourné au kan. On fé d’mi-tour.

-Mé chaif… »

Excédé, Kilnig baissa sa visière et chargea l’impudent, lui transperçant l’épaule au défaut de la cuirasse. Le malheureux grogna de douleur et essaya de riposter, mais son chef le frappa du manche de sa lance, l’envoyant tomber de sa selle. Quelques cris et plusieurs coups de poing griffu sur la croupe du cheval suffirent pour le lancer au triple galop, droit dans la forêt. Accroché par son harnais, cloué au sol dans son armure, le kavalier était traîné sur la terre rugueuse, tiré par son propre cheval. Kilnig reprit la tête de la chevauchée en direction du nord, sans même jeter un regard à l’orque hurlant de peur, et aux deux autres kavaliers essayant d’arrêter la monture folle.

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Tirant su les rênes, jouant des étriers

Hop !

Bon bah pas mal ! Je me demande si le texte va passer à deux points de vue. Une fois humain, une fois orc où alors ca sera juste de facon ponctuelle ^^ Sinon, ces orcs, je les adore et on en apprend encore un peu sachant qu'à priori, meme devenu leader des orcs, les ennuis sont pas finis ^^

@+

-= Inxi =-

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  • 2 semaines après...

Pour les points de vue, j'hésite encore. Mais je me limiterai à deux points de vue en tout cas ( pas comme dans la guerre de Toregordabis où j'en ai mis tellement qu'on s'y perd... ).

La suite :

Comme à leur habitude, les Plakdefer marchaient dans un vacarme assourdissant. En règle générale, les hordes de peaux-vertes ne font pas preuve de discrétion, mais le klan de Navregen, depuis des temps immémoriaux, s’était glorifié d’être un des plus brillants à fouler le sol des Terres Anciennes. Chacun laissait, ses chausses d’acier marteler le sol en cadence, et cognait son arme sur son plastron ou son bouclier avec le plus de force possible. Les gobelins turbulents se roulaient dans la poussière, en poussant force cris dans leurs jeux innocents. Les roues des chariots grinçaient sous le poids des victuailles, des armes, des rares machines de guerre que le klan continuait d’emmener partout où il allait, bien que tous les ingénieurs aient été tués lors de la dernière guerre.

D’autres carrioles s’avançaient au milieu des rangs serrés des combattants. Les conducteurs fouettaient les chevaux ou les bœufs attelés, proférant des jurons grossiers –même pour un ork. Derrière les charrettes, une procession d’esclaves, serviteurs et prisonniers de guerre se lamentait, les oreilles usées par la cacophonie, houspillés par leurs gardes. Maigres, les fers aux pieds, ils se traînaient la tête baissée, redoutant le prochain coup de poing.

Mais surtout il y avait les discussions, ou plutôt les disputes, les bagarres et les invectives. Chaque membre de la tribu ne passait pas une seconde sans cracher sur son voisin, ou sans se battre avec ceux de devant, ou bien encore à rire à gorge déployée de la dernière trouvaille d’un gobelin facétieux.

Navregen, tout comme les autres semi-orques, ne participait presque jamais à cette joyeuse compagnie pleine d’entrain. Il restait déjà à l’écart, du temps de l’ancien chef de klan. Maintenant qu’il était devenu le meneur de tout ce peuple, il gardait ses distances, à l’avant garde. Il conservait tous les hoborques autour de lui. De toute façon, aucun d’entre eux n’aurait accepté de rester dans la poussière soulevée par un demi-sang. Il s’en félicitait. Il avait sa garde personnelle, et en cas de problème, Deuzelle et les autres n’étaient pas loin. Et puis, il pouvait surveiller leurs moindres gestes.

Podfair était vautrée sur des draps et des tissus incolores, étendue à l’arrière d’une charrette menée par deux de ses gardes du corps. Malgré son âge avancé, elle se considérait toujours comme un des chefs de la tribu. La plupart des plus proches guerriers de son défunt mari s’étaient vite retrouvés à son service, les uns par fidélité, les autres convaincus par sa dextérité à la hache. Pour les longs trajets, elle se faisait conduire dans sa carriole d’apparat, mais au combat, elle restait une adversaire terrifiante.

Tressolid marchait au premier rang de l’armée, la mine réjouie. Il avait déjà oublié la dispute du matin ? Plutôt voulait-il le faire croire. Il avait tout de même sorti sa longue épée de son fourreau de cuir, et il la balançait dans sa poigne droite, regardant les reflets des rayons sur la lame de près d’un mètre cinquante de long. La lumière traversait les épaisses frondaisons, caressant le fil de la pointe jusqu’à la garde ornée de quelques éclats de rubis. C’était une arme exceptionnelle, qu’il avait prise au dernier comte électeur à être venu dans le nord de l’Empire de l’Ouest. C’était au cours d’une grande bataille, bien des années auparavant. Navregen n’était qu’un tout jeune orque, à l’époque, mais se rappelait très bien : en ces temps immémoriaux, le Chef Suprême des Klans avait rassemblé la totalité des Plakdefer, pour affronter l’ost impérial. Cela en faisait, des peaux-vertes ! En ces jours glorieux, les Plakdefer étaient un menace plus grande que la Peste ou la Mort Rouge.

Nédacié avait revêtu les derniers oripaux de son mentor regretté, se pavanant dans une longue cape à moitié déchiquetée, décorée de plusieurs os de corbeaux, et s’était coiffé de son éternel casque à nasal, sur lequel il avait fait peindre les initiales C et N pour « Chaman Nédacié ». Son « bâton de magicien », une longue poutre qu’il soulevait avec peine, mais qu’il conservait jalousement, était calée entre son bras gauche et son aisselle. Tout cet accoutrement lui donnait vaguement une allure chevaleresque. A tout point de vue, il avait plus l’air d’un fanfaron que d’un sorcier. Sait-on jamais… Si ses pouvoirs venaient à s’affirmer, il faudrait s’assurer qu’il n’en profite pas pour échaffauder des plans néfastes…

La troupe avançait droit vers le fleuve, traversant une forêt épaisse. Ils suivaient une très ancienne route, datant sans doute de l’époque où toute cette région était sous la férule des nains. La chaussée rongée par le lierre et les racines présentait encore ça et là de grandes dalles à moitié brisées, couvertes par l’humus pourrissant. Les arbres avaient poussé dru, étendant leurs branches au-dessus de buissons touffus, mais l’on retrouvait encore les vestiges de la voie large et plane, où les convois passaient jadis. A intervalles réguliers, des bornes s’élevaient sur les côtés, représentant des héros ancestraux. La plupart étaient décapitées par le temps, les autres érodées à un tel point qu’on ne pouvait plus que deviner un visage sur leurs faces lisses.

Les orques ne manquaient pas de rire à chaque nouvelle effigie défigurée, certains s’amusant à les morceler à coups de marteaux, d’autres à les ébranler du pied. Des bandes de gobelins improvisaient des concours de lancers, chacun balançant le plus de déchets possibles sur les stèles des nains.

Navregen secouait la tête, résigné. Il avait gagné la plus haute place réservée à un peau-verte, mais tout comme son père avant lui, cela ne lui suffisait pas. Il voulait laisser une trace après sa vie. Quelque chose de plus durable que ces statues abandonnées le long de sentiers perdus. Son père avait échoué, bien sûr. Mais il se jura de laisser de lui un souvenir impérissable, ou au moins de mourir en essayant.

Un grognement retentit à droite, tout droit jailli des bosquets. Le cri d’agonie, assez fort pour surmonter le vacarme de la troupe, mit aussitôt fin aux bavardages de l’avant-garde. Deuzelle leva la tête, les mâchoires crispées. Podfair se releva de sa couche, surprise mais les mains déjà posées sur sa hache géante. Nédacié ferma les yeux et marmonna quelques bribes à mi-voix, puis sortit de sa ceinture un petit couteau et donna quelques entailles dans son madrier, un rituel qu’il avait répété à chaque nouvel événement, aussi anodin soit-il.

Le cri recommença, plus plaintif encore, mais plus violent. C’était une sorte de vagissement étouffé, un feulement interrompu par une respiration haletante. Navregen se sentait mal à l’aise, mais son côté orque le poussa à aller voir de plus près de quoi il retournait. A moins que ce ne soit son côté humain, car lorsqu’il fit un pas vers les fourrés, Nédacié protesta énergiquement :

« -C’é pa bon, s’mi-ork. J’le san pa, l’truk la !

-Faut ke j’en ai le koeur net, répondit Navregen. J’veux savoir c’ke c’est. »

Aucun des autres ne pipa mot. Le cri s’éleva à nouveau, encore plus déchirant, marqué cette fois par une tristesse accrue, mais aussi par une colère sourde, et une défiance à peine voilée. La « chose » avait senti leur présence.

« -Moi, j’n’ai pas peur, déclara Navregen.

-Moi non plu ! » cracha Tressolid, le dépassant même pour écarter les premiers arbustes. Les sous-bois étaient denses, et escarpés. Les pierres des bords de la chaussée se dérobaient sous leurs pieds, les obligeant à se raccrocher aux ronces et aux épines. Un fossé longeait le chemin, une sorte de long sillon envahi par les hautes herbes, les orties et les feuilles mortes. Deuzelle hésita une seconde, puis s’élança dans la direction que les deux rivaux avaient suivie. Une odeur flottait dans l’air. Il ne l’avait jamais oubliée.

« -Sa san l’troll », murmura t-il, quand il les rejoignit au bord de la fosse.

Une créature terrifiante gisait là, blessée à mort. Son corps musclé, couvert d’une épaisse fourrure d’un noir de jais semblable aux plumes d’un corbeau ébouriffé, était strié de quatre profondes déchirures dans le flanc. Sa longue queue hirsute fouettait la terre et les branches mortes, impuissante. La créature se tourna vers eux, effrayé, meurtrie, exaspérée par la venue de ces inconnus, sans doute pour sa mise à mort. Elle montra ses crocs blancs et tranchants, sa gueule rouge haletante exhalant des bouffées de vapeur. Ses deux yeux chassieux, roulant d’un côté et de l’autre, cherchaient lequel attaquer en premier. Elle essaya de se relever, mais la douleur surmonta sa volonté. Elle retomba sur ses trois pattes, car la quatrième avait été sectionnée, et il n’en restait plus qu’un moignon sanguinolent. Son bras gauche portait toujours des griffes noires, couvertes de sang séché, et une patte comme celle-ci suffisait encore pour expédier n’importe quel orque dans l’autre monde. En-dessous du pelage baigné de sueur, des muscles puissants se mettaient en mouvement, essayant toujours de soulever la carcasse épuisée.

« -Un wolfen, fit Navregen, en fronçant les sourcils.

-En saléta, commenta Tressolid. Pa d’chanss pour lui.

-C’é du travail de troll chniar, remarqua Deuzelle. R’gardé ces markes sur son do.

-P’t’êt’bien, dit Navregen. Paraît k’les wolfen s’battent souvent kontre les trolls.

-Arrh, ça s’mange pas cé truks la. Aukun intérêt » décida Tressolid.

Il commença à retourner vers la troupe, mais Navregen, après un instant d’hésitation, descendit dans le fossé. Deuzelle retint un cri de surprise, épouvanté. Le wolfen poussa un nouveau cri bestial, essayant d’atteindre les jambes de l’orque avec ses mâchoires. Tressolid se retourna, une expression de stupeur sur le visage :

« -K’s’tu fous, d’mi-sang ? »

Navregen s’arrêta, se posa lui aussi la question. Il regarda ses compagnons d’armes, puis le wolfen. Surtout les yeux durs et cruels, et pourtant larmoyants. Le monstre souffrait horriblement, bien au-delà de ce que pourrait endurer n’importe quelle autre créature. A en juger par son abattement, il avait dû se traîner pendant des jours dans ces bois, avant de finir par s’effondrer dans ce sillon. Il n’attendait plus que la mort. Le semi-orque décrit un demi-cercle, évitant les claquements de dents du moribond.

Que lui voulait ce peau-verte ? S’amuser de son malheur, bien sûr. Prolonger ses souffrances, ou s’amuser à le découper en quartiers de viande vivant ? Une nouvelle fois, le wolfen essaya de se redresser, en vain, et poussa un hurlement plaintif.

« -Du kalme, ami loup, j’suis pas v’nu t’faire de mal. »

Deuzelle réfléchissait à toute allure, tiraillé entre le désir de descendre protéger son camarade, la peur de se faire réduire en pièce, l’occasion de laisser Navregen mourir pour qu’il lui cède la place de chef.

Navregen était maintenant à côté du wolfen, en retrait. La pauvre bête semblait vraiment à bout de force, à tel point qu’elle n’était même plus capable de se retourner. Soudain, le carnassier se tut, immobile. Il attendait le coup de grâce. Le chef semi-orque s’accroupit, contemplant la pelisse dont les poils étaient collés par endroit par les traînées de sang épais. Lavée et tannée, elle ferait une cape splendide, un trophée de choix, se surprit t-il à penser. Digne d’un chef des Plakdefer. Pourtant, Navregen n’était pas certain de vouloir voir mourir cette créature. C’était un paria, tout comme lui. Un orphelin du monde. Il retira son gant droit, et passa sa main dans la fourrure épaisse, secouée de frissons.

« -Du kalme ami loup… J’vais m’okuper d’toi. »

Sa main remonta jusqu’au cou de la bête, un cou puissant et robuste, puis caressa le sommet du crâne, passa au-dessus des yeux embués. Le wolfen épuisé sombra dans l’inconscience. Navregen attendit quelques minutes, puis se releva en époussetant sa cape en peau d’ours :

« -Deuzelle, choisit katre orks robustes pour transporter c’wolfen sur un des chariots d’la tribu. K’ils s’dépèchent.

-Mé, chaif…

-Fé c’ke j’dis, Deuzelle. »

Quelques instants plus tard, l’agonisant était vautré à l’arrière d’une charrette, sur plusieurs draps roulés en boule en guise de matelas. Navregen, assis à côté, les deux mains posées sur le pommeau de sa vivelame, regarda Nédacié avec un air grave :

« -Chaman Nédacié ?

-Oui, chaif…

-Sais-tu pourkoi j’ai fait ramasser ce wolfen ?

-Je ne le voi pa bien enkor, chaif.

-En tout kas, j’vais voir une chose. T’as intérêt à l’guérir de ses blessures, si tu veux rester l’chaman des Plakdefer.

-Pardon ? C’t’une blague ?

-Tu m’as kompris, ork.

-Mé c’é ridikul, chaif, je… »

Le sabre se retrouva en moins de deux secondes plaqué contre la gorge de l’apprenti-sorcier. Le moindre cahot de l’attelage enfonçait un peu plus la lame dans la peau, et la route était vraiment très mal entretenue. Navregen lui susurra à l’oreille :

« -Moi-même, j’sais pas pourkoi, mé j’veux k’il vive. J’l’ai pris en pitié. C’est p’têt une faiblesse d’humain, mais c’est komme ça. Maintenant j’veux aussi êt’sûr ke tu sais faire ton boulot. Si j’me fais blesser au kombat, est-ce ke tu saurais m’soigner, ou est-ce ke tu m’laisserais mourir komme mon père ?

-Votre… Karman était foutu d’toute façon, gargouilla Nédacié.

-C’est vrai. Mais on verra bien si tu peux sauver cui-là. Si jamais y meurt, tu le suivras dans la tombe. C’est klair ? »

Le sabre elfique s’éloigna, laissant le jeune chaman plaquer sa main sur sa balafre, se demandant avec inquiétude si le semi-orque n’était pas devenu fou. Mais mieux valait faire ce qu’il disait, vu le regard meurtrier qu’il avait.

Modifié par Shas'o Benoît
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Hop là ! Un petit loup dans la troupe :clap: ? Ca sera son pote et son garde du corps je sens. Donc un bon passage. Reprise de tous les personnages avec des petits compléments. Comme le coup de l'épée... Ensuite, affirmation de la menace qui pèse sur lui et remise à sa place du shaman ! Ca lui fera pas de mal tiens, mais il va réussir :wink:

Sinon pas de faute ni de mauvaises phrases ! Je suis sur que c'est un calvaire d'écrire orc pour toi :D Allez, suite et plus vite que ça :D

@+

-= Inxi =-

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Salut l'orquinou, merci à tous deux mes lecteurs, pour daigner lire mes misérables brouillons ! :clap:

Voilà la suite :

La troupe reprit sa route, à peine rassurée. Les discussions s’étaient un peu apaisées, mais la plupart des guerriers ne parvenaient pas à retenir le trop plein d’énergie qu’ils éprouvaient. Il ne fallut pas plus de quelques minutes pour que les bagarres reprennent. Le prétexte était, cette fois, de savoir d’où pouvait venir le wolfen, et surtout, où était le reste de sa bande. Navregen, comme les autres, se rappelait très bien que les wolfen ne voyageaient jamais seuls. Ils restaient toujours en meutes, obéissant aux ordres du mâle dominant. Celui-ci avait peut-être été chassé de sa troupe. Ou alors le reste de sa famille avait été anéanti.

Les wolfen comptaient parmi les créatures les plus dangereuses à vivre ; ensemble, ils chassaient les trolls, leur proie favorite. Ils s’arrogeaient leurs tanières, tuaient les occupants et les dévoraient. On avait même vu des wolfens affamés attaquer de jeunes dragons –et en sortir vainqueur. Oui, il n’y avait guère que les dragons plusieurs fois millénaires, ou des armées en grande supériorité numérique, qui pourraient rivaliser avec une meute assoiffée de sang de wolfens.

Le chef des Plakdefer se livra à un rapide calcul : si vingt ou trente wolfen rôdaient dans les parages, il ne faisait aucun doute qu’ils se retrouvaient dans une situation très périlleuse. Etirés le long de la route, les orques constituaient un gibier facile. Obligés de rester près du lent convoi des charrettes et des esclaves, ils seraient à la merci d’une embuscade. L’ennemi pouvait attaquer n’importe où, n’importe quand.

Fort Heureusement, aucune attaque ne survint, du moins le premier jour. La horde quitta bientôt la forêt épaisse, pour arriver dans une région plus clairsemée. Là, les bosquets d’arbres se raréfiaient, espacés par des bandes d’herbes hautes, des étangs entourés de saules, des prairies en fleurs. Bientôt, le lit du fleuve apparut, une rivière rapide et froide, aux eaux déjà profondes. Les flancs encaissés disparaissaient sous les roseaux traîtres, empêchant de bien discerner berge molle et hauts-fonds.

Le soleil déclinait dans le ciel, annonçant le soir approchant. Il ne fallut pas attendre beaucoup plus longtemps pour voir le retour de Kilnig. Navregen attendait le retour des éclaireurs pour envisager une halte, aussi demanda t-il aux orques de continuer à marcher, le long du chemin qui suivait désormais la rivière. Les roues grinçaient, les essieux gémissaient, et la colonne avançait sur le sentier poudreux.

Kilnig s’était posté sur une petite colline, à faible distance. La main plaquée sur le front en guise de visière, il observait le nuage de poussière s’avançant peu à peu dans sa direction. En-dessous de lui, son cheval piaffa d’impatience, réduisant une motte de terre en boue piétinée. A dix mètres à peine, son porte-emblème attendait en silence, appuyé sur sa perche décorée du crâne d’ours. La bannière dépenaillée claquait au vent, arborant fièrement son dessin grotesque – la caricature de l’ancien chef de la horde. Bjorgkuln restait les bras croisés, regardant son supérieur avec désapprobation. C’était un renifleur, détaché dans les groupes de kavaliers pour ses talents de pisteur, mais il n’appréciait pas beaucoup ses camarades. A ses yeux, ils étaient tout juste bon à « chargé dan l’ta » selon l’antique adage orque.

Une vingtaine de kavaliers les entouraient certains faisant des bras de fer, d’autres passant le temps en frappant à coups redoublés l’écorce des arbres voisins. Ils portaient un équipement plus léger que le reste de la tribu, bien sûr. Mais leur harnachement s’était enrichi des récentes prises de guerre : épées, haches, et surtout larges boucliers :

« -Y fon dé joli kouleur, cé zom ! remarqua un des éclaireurs.

-Ça c’é sur, approuva l’un des guerriers, en crachant sur l’ambon pour l’astiquer. Ai mêm pa abîmé, r’gard !

-Silanss, voudeu, grogna Kilnig. On s’remé en routt. V’là la hord ki s’amèn ! »

Tous les éclaireurs bondirent sur leurs pieds, rassemblèrent leurs armes et enfourchèrent leurs montures sans discuter. Kilnig se tourna vers son porte-emblème, puis vers Bjorgkuln qui lui rendit son regard haineux. Le chef des kavaliers haussa des épaules :

« -T’é toujour du même avi ?

-Oui-da, j’kroi k’c’é pa l’moman. D’ici une semain, tout’lé zotr hord s’ron sur nos trass.

-Just’man, j’veu k’à c’moman là on é in vré Plakdefr kom général. »

Il soupesa sa lance, caressant la pointe barbelée encore tachée du sang du dernier contestataire :

« -En touka, t’aviz pa d’te metr’sur mon ch’min, Bjorgkuln ! »

Sur ce, il frappa son destrier des étriers, entraînant toute la troupe derrière lui. Le renifleur attendit quelques secondes, puis lança à son tour sa monture, restant en retrait. Il n’avait aucune envie de soutenir cette action, pour le moment. L’heure viendrait, mais ce n’était pas pour tout de suite.

Electrisés par les cris de leur chef, par les branches basses leur fouettant le visage, par la cavalcade haletante de leurs chevaux, les kavaliers élevaient leurs lances, faisaient tourner leurs épées et balançaient leurs haches d’arme. Les buissons et bosquets défilaient à côté d’eux, à mesure qu’ils dévalaient la pente. Certains fonçaient droit sur des troncs d’arbres morts, et leurs chevaux maladroits ne parvenaient que rarement à sauter l’obstacle. Laissant derrière eux les blessés, les orques hurlaient leur joie à l’idée de la bataille à venir.

« Ekouté, grogna Deuzelle, v’là du mond. »

L’avant-garde s’arrêta, tous sens en alerte. Une clameur venue de l’avant résonnait, de plsu en plus forte. Navregen prêta l’oreille :

« -K’es’ke c’é ?

-P’tête dé wolfen ? proposa Tressolid.

-Préparé-vou, cria Podfair. Posé-moi au sol, ma hach’, vitt ! »

Avant que les premiers archers orques aient pu encocher leurs flèches, les kavaliers étaient sur eux. Emportés par leur élan et leur hystérie, les chevaucheurs frappaient au hasard dans la masse de combattants. Un cheval s’embrocha sur une pique, au moment même où Deuzelle sectionnait une patte avant de son voisin. Tressolid, à la pointe de la formation, brassait l’air à grands coups d’épée, blessant ou lacérant chaque nouveau venu. Navregen tira son sabre et bondit sur le kavalier le plus proche, l’envoyant rouler à terre. Il égorgea le monteur de chevaux tout en se relevant, juste à temps pour voir une lance transpercer les airs droit sur lui. Il plongea de côté, laissant le projectile s’enfoncer dans la terre avec un son mat.

Kilnig était sur lui, une hache de lancer dans sa main, et encourageant sa monture à le piétiner. Navregen évita la première charge, mais il n’y en eut pas de seconde. Une double-hache géante siffla avec hargne, décapitant net le chef des éclaireurs. Podfair grognait sous l’effort, fauchant autour d’elle les kavaliers enragés. Navregen secoua la tête et bondit sa la charrette où Nédacié, consterné, observait le déroulement de la bataille. Repousant l’apprenti chaman, le chef des Plakdefer étendit les bras et hurla de toutes ses forces :

« -Stoppez l’kombat, les ork ! »

L’assaut s’arrêta aussi soudainement qu’il avait commencé. Les kavaliers s’écartèrent des hoborques, un brin inquiets. La tentative de renversement de Kilnig avait échoué, et ils ne savaient plus trop quelle était la suite du plan. Navregen lorgna ses seconds, frappant du poing le banc de la carriole :

« -Il m’faut un responsable ! »

Podfair ricana et souleva la tête de Kilnig, d’où s’écoulait un filet de sang. En-dessous du casque luisant, on voyait encore le visage du rebelle, figé dans une expression de colère et de surprise, la bouche ouverte et l’œil éteint.

« -Lui par égzampl ! » supposa t-elle, en envoyant rouler le trophée dans le fossé.

Le bilan de la journée montait à quinze morts, sept blessés et douze chevaux abattus ou agonisants. Navregen secoua de nouveau la tête, en regardant la horde s’installer sur les rives de la rivière. La nuit n’allait plus tarder, et l’odeur de la viande de cheval grillée montait dans l’air humide. Des nuées de moustiques vrombissaient au-dessus des tentes de fortune et des bivouacs. Il avisa Zigno, qui essayait de chaparder un morceau de viande grillée tombée dans le feu de bois le plus proche :

« -Va m’chercher Bjorgkuln, gob.

-A vozordr, chaif ! »

Le gobelin s’éloigna en courant, non sans avoir retiré des braises son précieux repas. Le semi-orque déposa son casque à cornes d’auroch sur le siège pliant qui constituait l’essentiel de son mobilier, avec une paillasse et une grosse malle en bois vermoulu. Il avait été obligé d’abandonner la plupart des décorations de la tente familiale, lors du départ précipité de la tribu. Son père n’aurait jamais voyagé dans des conditions pareilles, se surprit t-il à penser. Il avait un certain goût pour les objets d’art. L’intérieur du pavillon était pour le moins spartiate, les seules décorations étant maintenant les taches de saleté et de boue sur les pans de toile.

Bjorgkuln s’arrêta devant l’entrée, puis passa la bâche relevée faisant office de porte. Tout était sombre, à l’intérieur. Il ne voyait pour ainsi dire que le contour de son chef, à peine esquissé par les rares étincelles des feux arrivant jusque là. On devinait ses yeux brillants et sa longue rapière aiguisée, posée sur ses genoux.

« -Tu n’a pas participé au kombat, remarqua Navregen.

-Non, chaif.

-Pourkoi ?

-Parc’ke j’vou sui fidail, chaif. »

Cette affirmation sonnait faux, bien sûr, mais le semi-orque s’en contenta.

« -Vu k’ce traître de Kilnig est mort, j’ai pas eu d’rapport de votre ekspédition. C’est toi ki va m’le faire.

-Faudrait p’têt’demandé à un des kavaliers…

-Non, j’veux l’avis d’un r’nifleur sur lekel j’peux kompter. »

Bjorgkuln opina, plutôt flatté, et commença :

« -On a r’monté l’fleuve jusk’à c’ke j’sente l’odeur d’zom, alor Kilnig nouz’a fé attaké cé ga. Y s’son pa tro défendu, mé y’en a ki s’son échapé.

-Ce sont eux ki portaient ces boukliers rouges avek un dessin d’dragon ?

-Ouais, c’é kom ça k’ça s’é passé, chaif. »

Navregen réfléchit avec intensité, ses doigts caressant les runes efliques gravées sur le manche de son sabre. Il s’était longtemps demandé, pendant les heures qui avaient précédé, si tout cela n’était pas un signe du destin. Son plan original, bien sûr, était d’accomplir quelque action d’éclat dans le sud. Il n’avait jamais bien déterminé quoi, en dépit de son assurance devant le reste de la horde.

Une ville humaine à piller, ou une cité souterraine des nains, peut-être. Il aurait fallu traverser la rivière, pour réaliser ces plans. Sinon, il fallait se rabattre sur les villages à l’est, plus en aval. Et comme aucun pont ne se présentait…

Et voilà que survenaient ces blasons décorés d’un dragon ! Un dragon d’argent à langue bleue. Il ne s’agissait pas du dragon qui avait tué son père, par hasard ? Sans doute pas, puisqu’il s’agissait là d’héraldique humaine. Mais il n’en restait pas que cet indice était fort troublant. Digne d’un rêve de chaman.

A propos de chaman…

« -Tu peux disposer, Bjorgkuln. »

L’orque se leva, esquissa un salut avec gaucherie et s’en alla.

« -Au fait… le retint Navregen. Le poste de chef des kavaliers est libre, n’s’pas ?

-Heu… Ouais, chaif.

-Te voilà donk promu, Bjorgkuln. Montre t-en digne.

-Hein, heu, ah ouais ; merssi, chaif ! Salu, é bonsoar, chaif ! »

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résonnait, de plsu en plus forte

Donc deux choses importantes encore dans ce chapitre, enfin pour moi. Cette rencontre avec les ommes et la déduction qu'en fait le chef. Et la rebellion. Y en a un qui annonce la suite de l'histoire et l'autre qui va nous montrer que tout n'est pas encore sous controle ! Donc... la suite :)

@+

-= Inxi =-

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  • 1 mois après...

Voilà la suite, après ce résumé clair et avisé...

Navregen attendit quelques secondes, réfléchissant encore aux décisions à prendre. Cela finit par l’exaspérer, et il décida de se changer les idées. Ecartant avec violence les pans de toile à l’entrée de sa tente, il se dirigea d’un pas leste vers la charrette où Nédacié s’affairait. Deuzelle et cinq semi-orques, qui attendaient de part et d’autre des poteaux, escortèrent leur supérieur en silence.

La horde s’était installée pour la nuit, érigeant son camp à la hâte sur les berges traîtresses. Les feux craquaient déjà sous les nuages sombres du soir, projetant les ombres des derniers batailleurs. Des odeurs de grillades et de fritures montaient aux narines, révélant les diverses proies capturées dans les heures précédentes. Quelques soldats chanceux avaient réussi à attraper une poignée de poissons, mais le gros du gibier était constitué de poules d’eau, de pigeons, et d’oiseaux des bois.

Le vacarme habituel se résumait à un murmure, un bourdonnement diffus. Tous savaient que désormais, le grand chef des Hordes était au courant de leur défection. Le grand rassemblement avait eu lieu, et la tribu des Plakdefer de Karman ne s’était pas présentée au campement. Les autres chefs de clan devaient déjà se frotter les mains. La disgrâce des Plakdefer ne pouvait que leur profiter.

Combien de tribus du même clan restait t-il ? Navregen savait que deux frères de son père, prénommés Lugzur et Kax-gâr, dirigeaient leurs propres bandes, dans les collines du nord. Il y avait aussi la tribu de Freygga, et la troupe de Kurmandul. A conditions que tous ces groupes aient eux aussi survécu à la grande bataille. Cinq tribu Plakdefer, en tout et pour tout, et il ne fallait de toute façon pas trop compter sur l’amitié des autres.

En face d’eux, il pouvait y avoir bien plus. Les autres clans s’empresseraient de se porter volontaires pour massacrer la colonne manquante, en guise d’avertissement à tout autre chef de bande souhaitant faire cavalier seul. Les Jteurdesors, les Achmandiskrés, les Dkocheurdmors, les Snieurdchvo, les Vilrnars. Et chacun de ces clans comptait de nombreuses tribus de plusieurs centaines de guerriers…

Nédacié releva la tête, grognant de dépit :

« -C’pas mon boulot, chef ! »

Navregen hocha de la tête : cette impertinence signifiait sans doute qu’il avait réussi à soigner le wolfen –rien d’autre n’aurait pu lui garantir assez d’assurance. Le chaman était sali par plusieurs taches de sang sur ses avant-bras, et il puait encore plus la sueur que d’habitude. Il essuya ses mains poisseuses sur son tabard et ajouta :

« -D’maj ke l’chirur’ork soit mort.

-C’est sur ke c’est dommage, approuva Navregen. C’t’imbécile s’est fait tuer à la fin d’la bataile kontre les elfes, là où on aurait kommencé à avoir besoin de lui ! »

Il s’intéressa aux pansements grossiers appliqués sur les flancs de la créature encore assoupie. Le monstre était ligoté fermement par des cordes solides, arrimé à la carriole. Les yeux à demi-ouverts, encore épuisé par ses blessures, le wolfen écoutait les deux peaux-vertes parler. L’apprenti sorcier avait appliqué un emplâtre sommaire sur les plaies, à l’aide de boue, de quelques herbes ramassées et de racines écrabouillées. Le tout était maintenu par des bandes de laine rêche, enroulées autour de la taille et de la cage thoracique.

« -On dirait ke lui n’est pas enkore mort, commenta Navregen. Kontinue komme ça, Nédacié. J’veux l’voir sur pied l’plus tôt possible.

-A vozordr’chef. »

Nédacié attendit que le semi-orque se soit éloigné, après quoi il sauta à bas de la charrette et se dirigea vers le foyer le plus proche, en faisant des moulinets avec son gros bâton.

Un gobelin, deux ou trois microcéphales et une bande de râclures ne tardèrent pas à se précipiter sur lui, piaffant et suppliant. Les microcéphales dansèrent entre ses pattes, heureux de trouver un compagnon de jeu, mais il les chassa à grands coups de pied. Les râclures grouillaient dans son sillage, essayant de lécher le sang encore frais sur ses vêtements, ou réclamant par des petits cris quelque morceau de nourriture. Nédacié en attrapant une par une patte arrière, la renifla, et la rejeta par-dessus son épaule, écœuré. Il fallait vraiment être un rustre pour se nourrir de ça !

« -Maître, maître ! Vous aviez promis ! gémit le gobelin. Pour mon aide… »

Le chaman se gratta la tête. Il n’était pas sûr que cette petite créature était bien la même que celle qui l’avait assisté dans son travail de boucher. Il avait en effet fait appel aux quelques connaissances d’un des apprentis de l’ancien chirur’ork. Mais après coup, difficile de reconnaître l’aid-gob’ en question. Il haussa les épaules : un sous-vert en valait bien un autre.

« -Ok mon ga, a toa d’joué. »

Il planta son long bâton dans le sol, devant le gobelin tout excité qui battait des mains. Le chaman leva un doigt menaçant :

« -Un’seule enkoch, on é bin d’akor ?

-Oui oui, chaif chaman ! »

Le gobelin chercha fébrilement de quoi entailler le pilier de bois : il trouva avec une immense satisfaction un galet effilé, traînant au milieu des roseaux. Il plongea la main, agrippa la petite pierre de toutes ses forces et, tremblant d’excitation, approcha le caillou du madrier. D’un geste précis et rapide, il stria le bois, laissant une entaille nette, pas trop profonde mais suffisamment marquée.

« -Ça sufi ! décréta Nédacié ; mint’nan, dégaj ! »

Le gobelin déguerpit à quatre pattes, gloussant de joie, laissant l’apprenti magicien interpréter la marque, et manipuler avec un esprit soucieux son instrument.

Débarrassé de cette valetaille, Nédacié se redirigea vers le tas de bûches enflammées le plus proche, entouré de quelques orques endormis. Là, tombant comme une masse sur l’herbe humide, il sortit de sa ceinture son petit couteau et l’enfonça à plusieurs reprises dans le bois, réalisant plusieurs nouvelles encoches. Le sommet de l’instrument était déjà couvert de stries et de raies, qu’il avait gravées tout au long du jour. Tout occupé qu’il l’était par son ouvrage, il ne prêta pas attention à la grande silhouette qui s’arrêta derrière lui :

« -K’es’tu fait, Nédacié ? »

Le chaman tressauta, se retournant d’un bloc. Tressolid le regardait avec un air de curiosité mêlée de méfiance. Il avait retiré une partie de son armure, en prévision de la nuit, mais avait conservé sur ses épaules une solide pièce d’armure, et des brassières en cuir doublé de mailles de fer. Son épée démesurée était toujours glissée dans sa ceinture, prête à servir. Le reste de son corps disparaissait sous un pantalon court et rapiécé, une tunique déchirée et une sorte de chemise en toile grossière, sur laquelle étaient cousues plusieurs rangées d’anneaux cliquetants. Il avait vraiment une apparence dépenaillée –comme tous les autres membres du clan, d’ailleurs.

« -J’attan toujour la réponss, chaman !

-Tu risk de l’attandr’lontan. J’é pa d’rézon d’te l’dir.

-Attension, povairt’, je… »

Tressolid inspira profondément, puis sembla maîtriser sa colère. Laissant sa carcasse s’effondrer sur le sol dans un bruit sourd, il s’assit en tailleur, et jeta un regard alentour, pour s’assurer que personne ne les écoutait :

« -Fo k’on parl, chaman.

-De koi donk ? »

L’attitude de Nédacié l’horripilait. Il n’avait même pas tourné la tête, et au contraire, restait plongé dans son occupation insolite. Ses doigts maladroits caressaient le bois marqué par les coups de couteau, et suivaient les lignes emmêlées. Un mouvement imperceptible de ses lèvres suivait chaque déplacement de ses phalanges hésitantes.

« -Y’a des z’hoborks ki prépar un mové kou. I veul’ramplassé l’chaif d’la tribu.

-Ssa, ssa arriv’ tou lé jour, commenta Nédacié, sans laisser tomber son ouvrage.

-S’te foa, s’é du sérieu.

-K’es’tu veu k’ssa m’fas ? Ss’pa mé z’affère.

-Tu peu voir si ça va marché ?

-J’préfère pa z’essayé.

-Pourkoa ?

-Paske j’sui pa zenkor ssertain d’mé pouvoir. J’veu pa m’avanssé é donné d’fauss z’illuzion. Just un konseil : s’demi-sang, s’t’un dur. T’a vu avec l’wolfen. Il en a pa peur. A vot’plas, j’m’en méfirai.

-En tout ka t’a pa intéré à nou trahir. C’pa mon plan, mé si l’morveu est renvairsé, sa peu k’me rend’serviss. Pijé ?

-Pijé, cap’tain. »

Navregen observa les rangs mal dégrossis de sa tribu. Au milieu de la masse de guerriers, on voyait les chaînes d’esclaves, les chariots de provisions ou de machines de siège. Sur le flanc à sa gauche, les kavaliers étaient réunis en un petit attroupement, montés sur leurs chevaux orques hennissants. Bjorgkuln, à leur tête, se pavanait avec fierté, juché sur l’ancienne monture du précédent chef des chevaucheurs. En première file, les hoborques attendaient la première occasion pour agir. Tressolid observait ses voisins, un sourire mauvais aux lèvres. Nédacié s’appuyait avec nonchalance sur son bâton, en tripotant son collier de dents de mammouth. Podfair, soutenue par deux orques de sa famille, balançait mollement sa hache, impatiente.

« -J’ai un truk à vous montrer avant k’on s’remette en route, déclara Navregen. Zigno, apporte le et place le là, bien d’vant tout le monde. »

Le gobelin acquiesça, et courut jusqu’à la tente de son maître. Il en revint bientôt, traînant un long paquet emmailloté dans un drap sale. Bientôt, une bande joyeuse de microcéphales se joignit à lui. Certains, par jeu, tirèrent dans le sens contraire, mais la plupart se proposèrent spontanément pour l’aider à tirer sa charge. C’était une joie inexprimable pour eux que de faire enfin quelque chose sous le nez de leurs supérieurs ; il y avait là de quoi se sentir important. Enfin, le paquet s’arrêta au milieu de l’assistance, juste devant le semi-orque. Ce-dernier s’approcha du colis, qui était plus long et large qui lui, même couché dans la poussière. Il rabattit un pan du drap, en plissant les narines de dégoût : il révélait la face tuméfiée d’un hoborque dans la force de l’âge.

Passé le premier instant de stupeur, des murmures de protestations, d’étonnements et de gloussements s’élevèrent de la tribu. Navregen reprit la parole :

« -C’t’imbécile a essayé d’me surprendre pendant mon sommeil. Il a pas réussi, et j’préfère pas vous montrer l’reste de son korps, c’pas beau à voir. C’est l’sort ke j’réserve et ke j’réserverai toujours aux traîtres. »

Il regarda droit dans les yeux Tressolid, puis chacun des autres hoborques, dont certains commençaient déjà à présenter un peu de crainte, si ce n’était du respect.

« -On dirait k’vous avez tous envie d’vous battre, pas vrai ? Ben c’est pas l’moment de s’entretuer. Parske j’vous mijote une grosse bagarre. Une p’tite bataille pour nous tout seul, rien k’à nous. Une viktoire à la mesure des Plakdefer, avek un bon gros butin à la klef, pour peu k’vous vous comportiez komme de vrais orks ! Kompris ? Alors à partir de maint’nant, j’veux plus d’incidents d’ce genre ! »

Navregen laissa la horde méditer ses paroles, puis se tourna vers Bjorgkuln :

« -Toi. Tu krois k’tu pourras r’trouver la trace de ces hommes ? »

Le renifleur fut surpris par la question. Il se gratta l’oreille droite d’un ongle crasseux en bégayant :

« -C’t’à dire ke… J’suppoze ke oui, chaif. C’t’à voir.

-Alors en route. J’veux pas k’on perde leur piste. Si ça devait arriver… Tu m’komprends ?

-Sur de sur, chaif. »

Bjorgkuln esquissa un salut de la tête, et aboya après les chevaucheurs. Tandis que leur petite cavalerie s’éloignait, il songeait que, pour affermir son autorité, il faudrait probablement qu’il en rosse un ou deux d’ici leur retour.

« -Ekoutez bien, braves Plakdefer ! On va suivre le fleuve, ordonna Navregen. On va descendre son kours, jusk’au premier gué, ou jusk’à la mer s’il le faut. Mais on va r’trouver ces humains, et leur montrer d’kel bois on s’chauffe ! »

Un brouhaha hystérique lui répondit. Entraîné dans la marche, les hoborques gardèrent le silence, méditant la mort du dernier rebelle. Aucun d’entre eux ne voulait plus sortir du rang, en cet instant ; mais ils n’avaient plus le cœur à faire du bruit comme à leur habitude. La mine sombre, chacun ruminait ses pensées.

Navregen marchait toujours en tête, le front haut. Il avait tenu un petit raisonnement : qui disait cavaliers humains disait familles, et organisation sur de grandes distances. Cela impliquait beaucoup de monde, donc une structure organisée, pour le ravitaillement, la protection, les impôts. Il y avait donc un château, pas loin. Cela promettait bien du plaisir. Une goutte d’eau s’écrasa sur son nez écrasé. En fait, du point de vue humain, c’était vraiment un nez écrasé. Du point de vue orque, c’était plutôt une excroissance entourant ses narines. De la pluie, pensa t-il. Voilà qui ne ferait pas son affaire.

Des nuages noirs, sombres, roulant le tonnerre, se précipitaient du nord-ouest. Bigre. Une vraie tempête du grand nord, à en juger par les vols frénétiques des oiseaux forestiers. Ils s’en allaient à tire d’ailes, piaillant de peur.

« -Tressolid, tu tiens toujours à la grandeur des Plakdefer ?

-Sur, demi-san. K’e’s’ke sa peu t’foutr’ ?

-Si tu veux k’on garde nos machines de siège, t’as intérêt à t’assurer k’el son bien arrimées. »

Tressolid pila net, se demandant s’il se moquait de lui. Une goutte s’écrasa sur son casque et dégoulina sur le fer, tombant juste devant son œil droit. Puis une autre. Il leva les yeux, esquissa un grognement et s’éloigna vers l’arrière du convoi.

« Il n’est pas si lent à comprendre » songea Navregen en le regardant s’éloigner.

« Ou je me trompe, ou il s’est arrangé pour me déguiser un ordre » pensa Tressolid, en regardant le chef de la horde par-dessus son épaule. Il doutait que le semi-orque soit aussi futé. Cependant, la seule idée d’avoir obéi à une de ses injonctions le mettait hors de ses gonds. En remontant la file, il croisa du regard un guerrier à l’air particulièrement ahuri, et en profita pour lui casser deux dents de son poing ferré.

Cela ne l’avait pas assez calmé, aussi trotta t-il en direction des chariots à machines, pour perdre un peu d’énergie. Quand il arriva devant le premier, il était en sueur, et les premières gouttes de l’averse se mêlaient à la vapeur qui sortait de son armure. Un éclair illumina les dessous des cumulo-nimbus, loin à l’ouest. Tressolid retira son casque, exhala trois jets de fumée, et lorgna les gobelins assis nonchalamment sur les paquets emballés. Tous les manipules orques étaient morts au cours de la guerre contre les elfes, et seuls trois engins avaient été sauvés du tumulte, par pure chance. Deux rondebosses, une sorte de bélier sur roues. Pour lors, ils étaient démontés, et rangés soigneusement sous de grands draps troués.

« -Bande de…de larv ! »

Il avait cherché une excuse appropriée, gob’ ne convenait pas pour des gob’, justement.

« -Ataché bin tousa. Fo pa k’sa bouj d’in pouss, pijé ?

-Hep hep granchaif ! » lancèrent-ils.

En l’espace de quelques secondes, de gros câbles dansèrent dans le ciel, les draps furent un peu plus déchirés, et l’ensemble un peu plus dérangé. Ils manipulaient les pièces détachées, se renversaient dans les bâches, se balançaient les cordes.

Ne pas s’attendre à des merveilles, se raisonna Tressolid. Puis il s’intéressa à ses pieds chaussés d’acier, et qui disparaissaient déjà sous trois centimètres de boue. Une lueur d’inquiétude passa dans ses yeux : la journée serait longue, mais longue…

La colonne s’avançait, accablée par les vagues de pluie dense. Chaque goutte de la taille d’un poing tombait avec force, contribuant à transformer le sentier en ravin glaiseux. Les rives disparaissaient sous les eaux du fleuve en crue. Seules les tiges de roseau dépassaient des remous. Les microcéphales, les raclures et autres racailles fuyaient vers les sous-bois et les bosquets, essayant d’échapper à la noyade. Les esclaves gémissaient, dérapaient sur la boue et s’accrochaient avec désespoir à leurs chaînes pour ne pas être piétinées. Ils ne craignaient pas de se faire rabrouer pour leurs lamentations, dans le vacarme de l’orage.

Les pauvres Plakdefer n’étaient pas beaucoup mieux lotis. Comment continuer à marcher à un rythme soutenu sur un chemin pentu, boueux, transformé en torrent, sous une pluie battante, à moitié renversé par le vent, qui plus est quand on porte un grand bouclier de bois, une armure, un casque, et divers autres pièces d’équipements de différents métaux. La seule raison qui poussa les peau-vertes à retirer leur attirail, c’est bien que la mort les aurait privés de leur avenir glorieux. Leurs armes sous le bras, certains s’échinaient à crapahuter. La plupart se déchargeaient de leurs fardeaux et les empilaient sur les charrettes grinçantes. A la lueur des éclairs, on voyait leurs corps musclés ramper, trébucher, grimper ; certains se soutenaient mutuellement, d’autres s’agrippaient à des racines révélées par la terre délavée. Quelques uns bien avisés poussaient de toutes leurs forces les attelages, tentant de soulager quelque peu la peine des bêtes de trait.

Les hoborques continuaient en première ligne, stoïques. L’air grave, le pied lourd et usé, ils titubaient de leur mieux, s’appuyant sur leurs lances, les manches de leurs armes, ou des fidèles compatissants. Ils ne pouvaient vraiment pas simplement enlever leurs armures et les empiler dans les bagages, au milieu de celles des guerriers. Non, ces armes étaient de première qualité, de la meilleure facture. Elles étaient non seulement inestimables, mais aussi l’insigne de leur fonction, et la preuve qu’ils étaient des vrais Plakdefer. Ils devaient supporter leur martyr, sans broncher. Navregen esquissa un sourire narquois, en pensant en particulier à la vieille Podfair, ou à Tressolid. Il s’en tirait mieux, quoique sa cape en fourrure d’ours commençait à peser sous ses épaules. Son poids avait triplé, pour le moins.

La tempête atteignit son paroxysme vers trois heures de l’après-midi. Les éclairs se déchaînaient de tous côtés, crevant des murailles noires dans le ciel bouchonné ; l’averse s’était muée en déluge écrasant, et plusieurs charrettes glissèrent dangereusement vers le fleuve, manquant de basculer. Retenues par un mur de muscles et de chair, elles évitèrent de peu le grand saut.

Peu avant le soir, une éclaircie survint, chassant la première vague de giboulée. Puis un rideau de grêlons tomba dru, tintant et tambourinant sur les heaumes. Enfin, un vent du nord souffla avec une violence croissante, chassant les mauvais signes. Nédacié accueillit les nouveaux rayons du soleil avec un sourire béat :

« -R’gardé, ô orks, l’soleil ki nou salu ! Il é bon avek lé zenfan d’la ter. »

Seuls quelques grognements dubitatifs lui répondirent. Si la pluie avait cessé, la boue restait, et les roues des carrioles avaient bien du mal à s’en sortir. Quand ils s’arrêtèrent, à la tombée de la nuit, ils avaient parcouru bien moins de distance que prévu. Ils établirent leurs tentes assez loin du fleuve, qu’ils avaient pris momentanément en aversion. Les crapauds coassaient déjà dans des concerts champêtres, quelques grues péchaient sur les bords des berges effondrées. Des bandes de gobelins se roulaient dans les flaques d’eau et les ornières gluantes, riant et gesticulant. Quelques foyers misérables s’élevaient au milieu du cercle des charrettes, à l’ombre de quelques saules effeuillés. Les orques s’étaient rassemblés en vastes cercles, se serrant les uns contre les autres pour lutter contre le froid. Les esclaves, eux, se serraient dans un coin, sous la surveillance de quelques sentinelles maussades.

Les éclaireurs ne tardèrent pas à revenir, couvertes de boue et de glaise. Leurs chevaux ne ressemblaient plus qu’à des créatures usées jusqu’à la corde, bouffies artificiellement par les couches de feuilles arrachées et de boue mêlées à leurs poils. Les monteurs ne valaient guère mieux : après une course continue toute la journée, sous la pluie battante, leurs têtes faisaient peur à voir. Ils sautèrent de selle, et rejoignirent les feux les plus proches. Navregen, à l’entrée de sa tente, ne songea même pas à questionner leur chef : il était évident qu’avec un temps pareil, ils n’avaient pas du relever beaucoup d’indices…

Bjorgkuln, les épaules abattues, était l’image même de la déception. Arrivant devant un foyer, il poussa un orque d’un coup de pied. Le jeune peau-verte se retourna, mais trop las pour discuter, se poussa d’un mètre. Le vétéran prit la place libre et serra sa tunique élimée sur son dos, reniflant bruyamment.

Nédacié s’approcha de lui avec précaution, évitant les buissons dégoulinants de pluie, et s’appuyant sur son long bâton pour s’assurer une prise solide dans le terreau ramolli :

« -Bjorgkuln ! T’a rin d’intéressan, pour moi ?

-K’es t’entan par la, chaman ?

-Tu t’rapèl pa ? Du tan d’mon mètr, l’vieu chaman Fruk-tragzuk. Il allè toujour voir lé zorks pour leur d’mandé dé zobjé. L’chaif dé zéklaireur lui konfié toujour lé truk lé plu zintéressan k’il ram’nai d’sé zekslplorazion.

-Ah, vréman ? Tu veu k’jt’e donne mon butin, é pis koi enkor !

-J’te d’mand just dé zobjé k’t’auré trouvé. Pour un konnaisseur d’la magji, y z’auron p’têt’ d’l’intéré la ou t’en voi pa.

-Bah… L’seul truk ke j’veu bien t’cédé, c’é c’bou d’tissu. »

Il sortit de sa poche un long voile qui devait être blanc à l’origine, mais qui portait maintenant plusieurs taches disgracieuses, dues à un séjour prolongé dans un milieu comprimé, avec quelques morceaux de viande crue, du pain moisi et plusieurs babioles telles que dents, morceaux de peau de lézard et autres trouvailles. Nédacié attrapa l’étoffe et l’étira délicatement, observant la texture :

« -C’é du bo tissu… T’auré du m’lapporté plu to !

-Rien à fiche ! » répondit Bjorgkuln, en haussant les épaules, et il se concentra sur le dépiautage de son poisson.

Nédacié marmonna quelques remontrances, et s’appuyant sur son bâton, il s’éloigna de la rive. C’était vraiment une belle étoffe, et il se demandait à qui elle avait pu appartenir. Il allait en avoir le cœur net.

Nédacié n’avait pas vraiment de tente à lui. Il avait réussi à sauver du pillage quelques affaires de son mentor regretté, dont une vieille toile de tente en peau tannée. Il l’étendait d’ordinaire contre une des charrettes de la tribu, ce qui lui donnait un abri sommaire. Il se dirigea vers ce qu’il appelait « sa hutte », en hélant les quelques gob’ avec lesquels il entretenait des relations durables.

Arrivant sous l’abri grossier, il reposa délicatement son bâton contre le chariot, rejeta sa cape en morceaux sur le sol, qui tomba en faisant résonner ses os de corbeau, et s’effondra sur sa paillasse miteuse. Un peu d’air frais agitait les pans de la toile, laissant la lumière s’infiltrer elle aussi jusqu’à ses yeux. Il lança le tissu en l’air, le rattrapant de sa main droite repliée. La pièce de laine retomba comme un linceul tout autour de son poing refermé. Laissant échapper un soupir, il la rangea momentanément sous son oreiller rempli de paille.

« -Guk ! Lok ! Tachez de me récupérer un chaudron, et plus vite que ça ! »

Une dizaine de gobelins l’écoutaient avec plus ou moins d’attention, sur le seuil. A cet appel, deux d’entre eux se reconnurent et s’éloignèrent en se claquant mutuellement. L’apprenti chaman pouffa, se disant que décidément, il préférait la compagnie des gobelins à celle des orques. Se dirigeant vers un vieux coffre sans serrure, la dernière pièce de son mobilier, il en profita pour donner un coup de pied à l’esclave le plus proche, ce qui déclencha un sourire parmi les autres.

Dans son coffre, il rangeait précautionneusement ses trésors : quelques pièces en divers métaux plus ou moins précieux, les anciens sacs d’herbes magiques de son maître, du moins ceux qui ne s’étaient pas encore renversés, ou que les gobelins n’avaient pas encore fouillé pour « trouvé dé truk avek koi joué ». Il y avait aussi un masque de bois en préparation, deux couteaux, son casque à nasal sur lequel il fallait appliquer une nouvelle couche de peinture, les deux lettres commençaient à déteindre… Et surtout, plusieurs tablettes d’écorce, sur lesquelles Fruk-Tragzuk avait écrit les quelques formules magiques qu’il n’arrivait pas à retenir. Un simple coup d’œil sur les lignes de caractères marqués au charbon de bois suffit à remplir Nédacié de la certitude qu’il était un grand virtuose des Vents de Magie.

« -Alaur sse chaudron, sa vien ? Tené vou deu, r’peigné moi mon kask. »

Enfin les deux envoyés revinrent, traînant derrière eux une marmite plus lourde qu’eux. Les autres serviteurs battirent des mains et sautèrent sur place, amusés par ce curieux spectacle de deux petites choses essayant de hâler une si vaste boule noire. Nédacié exaspéré attrapa l’ustensile par son hanse et souleva le tout, marmite et gobelins, jusqu’au milieu de sa cabane. Il jeta un coup d’œil dans le récipient : il restait un fond de soupe de poisson. Frappant la main du premier curieux qui voulait y goûter un doigt, il gronda :

« -Pa touch ! Sa peu m’servir. »

Les gobelins étaient maintenant en cercle autour de lui, assis, accroupis, certains sur les épaules de leurs congénères, et deux autres juchés sur le couvercle du coffre ouvert. Le plus intelligent de tous, ou peut-être le plus impatient, demanda de sa voix fluette :

« - On va l’fèr, grandikteur ? »

Nédacié ne répondit pas, il avait sa main gauche cramponnée à l’extrémité de son bâton. Il venait de tomber sur une note de son maître, qu’il n’avait jamais pris la peine de lire, et lisait avec avidité les quelques mots :

« -Pour in baton, fo un bou spessial. »

Qu’entendait son maître par « spessial » ? Nédacié était perplexe. Il jeta un coup d’œil à son bâton, dont un dixième de la hauteur était déjà recouverte d’encoches. Il ne savait pas exactement à quoi elles servaient. Mais puisqu’il fallait un truc « spessial », eh bien, il s’arrêterait de graver. Voilà tout. Et il y aurait bel et bien un embout « spessial ». Satisfait de son raisonnement, il laissa retomber la feuille d’écorce dans le coffre.

Autour de lui, les gobelins étaient encore plus agités. Certains faisaient des galipettes, les autres se battaient entre eux ; plusieurs scandaient à tue-tête :

« On va l’fèr ? On va l’fèr ? Grandikteur ? »

Nédacié se caressa le menton, d’un air pensif. Il huma le fond de soupe, passa un doigt tordu sur le bord de la marmite, qui semblait coulée d’une seule pièce. Bronze ou cuivre. Il se demandait si cela aurait une influence, si jamais il essayait de…

Le gobelin le plus téméraire s’était accroché dans son dos, agrippé à son tabard. Quatre ou cinq montaient sur ses pieds, tiraient sur sa tunique ou se suspendaient à ses jambes, pendant que les autres couraient dans toute la tente. Leurs cris aigus et leur excitation finirent par l’exaspérer :

« -Arrété, band’de vairmin ! Ou je l’fé pa !

Il en attrapa deux et les envoya bouler sur sa paillasse, puis à force de coups de pied, en expédia deux autres à côté d’eux. Les six restants glapirent de peur et se rangèrent derrière le coffre, terrifiés. Nédacié n’était pas vraiment en colère, plutôt exaspéré. Il jaugea les quatre boucs émissaires, en criant :

« -Vou ne bougé plu, kompri ? Jusk’a s’ke j’le diz ! »

Figés par la peur, et peut-être encore par l’espoir de « le voir fèr », ils se tinrent bien sages, assis les uns à côtés des autres, les yeux grands ouverts. Le chaman hocha de la tête, et récupéra l’étoffe blanche en dessous de son oreiller. Une longue exclamation admirative retentit, jaillissant de derrière le coffre, et de petites pupilles émerveillées sortirent de l’ombre. Nédacié profita de ce répit pour réquisitionner un nouveau gobelin. Le soulevant de terre en le tenant par le poignet, il lui ordonna :

« -Tu m’tiendra mon baton, kompri ? Ai kan j’te l’diré, tu l’remura. »

Le gobelin hocha frénétiquement de la tête, la bouche fermée. Nédacié ramassa un des sachets d’herbe, prit une poignée de racines et de feuilles séchées et les jeta dans la marmite. L’ensemble faisait une bouillie infâme, d’où se dégageait encore l’odeur de poisson à moitié bouilli. Le chaman respira avec satisfaction, puis referma le coffre dans un grand claquement. Les deux peaux-vertes qui s’y étaient déjà réinstallées basculèrent dans des couinements de terreur, dans l’indifférence générale. L’heure n’était plus à la pitrerie.

« -Mé toi la » ordonna Nédacié, à son aide. Le gobelin obéit, et se jucha sur le couvercle rabattu du coffre, juste en face de lui, avec le chaudron entre eux.

« -Il m’fau du boi é d’l’o, ordonna Nédacié. Sinon, pa d’maji. »

Les cinq gobelins encore libres se carapatèrent aussi vite que possible pour chercher les fournitures demandées. Nédacié mit ce laps de temps à profit pour vérifier que ceux restés ne broncheraient pas. Il les foudroya tous du regard, puis regarda à nouveau le tissu blanc :

« -Drôl de tissu, tu va tou m’dir, hein ? »

Nédacié laissa ses aides mettre le chaudron en place. A présent, ils avaient l’habitude, puisqu’il les avait entraînés au cours des soirs précédents. Il fallait juste, au début, les remettre à leur place. Bientôt, la marmite reposait sur un fagot de bois sec, remplie à ras-bord d’eau plus ou moins propre. La mixture restait collée au fond. Le chaman affichait un sourire satisfait, puis soudain se figea :

« -Le feu ! Sombr’krétin, y m’fo du feu ! Allé m’en cherché, ta d’inkapabl ! »

Les cinq gobelins s’enfuirent en gémissant, poussant des « ah ouiii, c’é vrai ! » ou des « pa tapé, grandikteur ! » Ils revinrent en tenant chacun une petite brindille enflammée, rapportée des feux de camp. Mieux valait trop que pas assez, ils les jetèrent toutes dans le fagot, qui commença à crépiter.

Pas trop tôt. Nédacié voyait les petites flammèches lécher le métal, le fond du récipient, et remonter le long des branches du fagot. L’eau fumait doucement, réchauffée peu à peu par le foyer naissant. A la gauche du chaman, les quatre aides alignés sur la paillasse ne bronchaient pas. Son « remueur » attendait, les bras ballants. Les cinq derniers s’étaient assis en demi cercle et regardaient avec assiduité. Nédacié emplit ses poumons de la fumée du feu, et des très légères odores venant de la boisson trouble. Peu à peu, les herbes se diluaient dans le mélange. Il attrapa son bâton et le planta dans la marmite, envoyant quelques éclaboussures autour de lui, mais enfonçant du même coup le chaudron dans le feu de bois. Les étincelles volèrent, les cinq spectateurs gémirent de peur. Nédacié n’en avait cure. Il tendit le manche à son remueur, qui l’attrapa de ses petites mains, et tira dessus de toute la force de ses muscles pour essayer de le faire pivoter.

Il était impossible qu’une si petite créature parvienne à ne serait-ce qu’ébranler une si lourde poutre. Pourtant le madrier se mit à tourner, d’abord lentement, puis à un rythme appréciable, écrasant et dispersant la boue au fond du liquide. Ce-dernier prit une teinte d’un jaune sale, et la fumée s’intensifia. Nédacié n’avait qu’un seul regret : que son masque n’ait pas été achevé. Il faudrait faire sans. Agrippant le récipient de métal de ses deux mains, il respira aussi profondément que possible, au risque de faire éclater ses poumons. Sa main droite cramponnait encore l’étoffe. Il la suspendit au-dessus du mélange, en fredonnant :

« -Peti bou d’tissu, kel é ton sekret ? Va tu me le dir ? »

Ses yeux étaient déjà voilés par les vapeurs entêtantes. Derrière lui, les quatre gobelins alignés restaient immobiles, de vraies statues. Le remueur toussa, mais continua à agiter le bâton, dont les encoches brillaient d’une lumière interne, d’un bleu argenté. Les cinq spectateurs en avaient le souffle coupé, et machinalement, répétaient les paroles de leur maître, scandant chaque syllabe. Nédacié ne s’en rendait même pas compte. Il agita le foulard, et le laissa tomber dans la potion. Le petit morceau de drap resta un moment à la surface, puis s’enfonça dans les eaux troubles. La fumée âcre lui piquait les yeux. Le remueur essayait de retenir sa respiration. Les cinq spectateurs reculèrent de quelques bonds, par précaution.

Navregen accusa le coup. C’était la première fois qu’il essayait. Vraiment. Seul. Il avait fermé les yeux, et pourtant, il voyait toujours, tout autour de lui, peut-être plus clairement encore. Il voyait ce qui était normalement invisible, tout en ayant vaguement conscience du visible. Il vit les quatre aides alignés, gémir de douleur, tenir leur tête à deux mains, et se faisant, l’aider à surmonter sa propre douleur qui vrillait ses tempes. Leurs cris aiguisaient son esprit. Ils partageaient une partie de son épreuve, le soulageant d’autant. Et leur présence l’aidait à se repérer. Il vit le remueur, les poumons prêts à éclater, tenant ce qui ressemblait maintenant à une barre de feu vivant, tournant de plus en plus vite dans…

Dans un bouillon incroyable, un ouragan de sensation, une mer de pensées, une écume fumante et crépitante, transformée en vapeur qui agressait ses narines, ses yeux, ses oreilles. C’était une formidable explosion de couleurs, de paroles et d’images, de sons, d’odeurs, de goûts et de sensations successives de chaud et de froid.

Tissu. Léger. Finement tissé. Riche. Noble. Laine. Moutons. Bergers. Villages. Seigneurs.

Blanc. Pureté. Propre. Sali. Qui ? Orques. Déjà su. Plus loin.

Palper. Odeur. Reste d’odeur. Parfum. Elégance. Fleurs. Humaine. Noble aussi. Retenir.

Loin. Venir de loin. Usé. Pas loin en espace. Proche. Loin en temps. Héritage. Noble.

Tiens. Cheveu. Cheveu Blond. Coiffure. Porter. Retenir.

Des images. Des sons. Tiens. Des bruits d’orques. Chevaux. Cavalcade. Poursuite. Que ???

Lognobard sentit l’espoir l’abandonner. Repoussant encore les attaques de ses deux adversaires, il s’époumona :

« -Il faut battre en retraite ! Nous allons tomber sous leur nombre ! »

Le garde du corps encore valide bouscula ses trois ennemis par un galop soudain.

Combats. Cris. Morts. Course. Derrière. Plus proche. Frappe. Tue. Sang. Tumulte. Tombe.

Swegnine filait sur le sentier, décoiffée, fourbue, encadrée par les vikingars épuisés. Leurs chevaux à bout de souffle avaient chevauché de longues journées, sans prendre suffisamment de repos, et soufflaient avec peine. Pourtant, il fallait continuer sans perdre un instant, car…

La douleur. Mal. Insupportable. Arrêter. Vite. Maintenant.

Nédacié releva la tête, ouvrant grand ses yeux. La vapeur se dissipait lentement, bien que ses pupilles soient encore irritées. Les dernières braises du foyer s’éteignaient avec douceur, comme si le bois s’était consumé avec acharnement dans les dernières minutes, pour ne laisser qu’un tas de braises. Il récupéra son bâton, et le posa contre le chariot. Craintifs, respectueux, les gobelins s’en allèrent à quatre pattes, sauf deux. Ils étaient encore sur la paillasse, les yeux exorbités, la bouche ouverte dans un sourire béat. Nédacié frissonna, mais se dit qu’il valait mieux eux que lui. Tant pis. Il en prendrait d’autres la prochaine fois. Hum ! Les deux autres avaient tenu le coup. Il faudrait essayer de les réutiliser, de préférence… Il ramassa les deux petits corps sans vie, avec un air paternel. Non, ce ne serait pas pour les jeter aux microcéphales. Il préféra les laisser tomber dans la rivière. C’était tout de même préférable. Les deux pieds dans l’eau, il regarda le courant défiler, appuyé sur son bâton, se balançant d’arrière en avant. Et se demandant à quoi sa vision pourrait bien lui servir.

Modifié par Shas'o Benoît
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et manipuler avec un esprit soucieux son isntrument
Ses doigts maaldroits carressaient le bois marqué
s’remette en route, déclara navregen. Zigno, apporte
Nédacié n’était as vraiment en colère,

Manque de lettre :crying: Et même d'une majuscule !

Pour le fond, quelque chose d'une bien bonne intensité :devil: Autant ton autre texte avance doucement, autant celui là nous fait découvrir des trucs à chaque paragraphe hihi ! Donc on apprend qu'une rebellion a foiré, que le shaman sait faire de la magie et qu'il a des indices sur la poursuite. Le gros point fort de ton histoire je trouve, c'est le réalisme de tes orcs... Bien plus réalistes que ceux des histoires de GW ! Donc gros bravo :shifty:

@+

-= Inxi =-

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Merci à vous deux pour votre fidélité, et pour vos remarques. Les fautes sont corrigées. Content que le style et les moeurs orkoïdes vous plaisent :shifty:

Une courte suite :

L’avantage d’être couvert de boue, songea Podfair, était d’être enfin débarrassé des moustiques, tiques et autres puces qui harcelaient d’ordinaire les orques. Disparaissant sous une seconde peau de glaise plus ou moins sèche, les guerriers de la tribu se rassemblaient pour un nouveau départ. Un peu à l’écart, Navregen s’entretenait avec Deuzelle et Bjorgkuln. La vieille matriarche n’en avait cure : les intrigues de ces petits rejetons ne l’intéressaient pas, dans la mesure où son rôle dans la horde n’était pas menacé. Personne n’aurait songé à renverser le peu de prestige qu’elle conservait, cela n’aurait eu aucun intérêt.

Les préoccupations de Podfair portaient sur l’avenir à long terme de la tribu. Elle avait confiance en la débrouillardise du sang jeune, mais en revanche, elle les savait assez stupide pour ne rien prévoir plusieurs saisons à l’avance. La tribu pouvait très bien survivre dans les mois à venir, mais le problème viendrait quand il faudrait hiverner. Si le clan voulait survivre, il devait trouver un refuge sûr pour l’hiver, où la nouvelle génération pourrait voir le jour. Podfair avait déjà compté cinq ou six mères orques avec un nouveau-né porté en bandoulière, dans une sacoche. Si la horde ne trouvait pas de repaire adéquat, tous ces jeunes peaux-vertes mouraient de faim, de froid ou de maladies avant l’âge de porter les armes.

Ce n’était pas que les nouveau-nés orks soient fragiles, non. Comme leurs aînés, leur robustesse dépassait largement celle des autres races. Mais comment élever sa progéniture, si l’on est occupé à guerroyer ? Les loups dans les bois, les aigles, ours ou gargouilles représentaient autant de dangers non négligeables, sans parler que des nourrissons pouvaient se perdre, se faire piétiner ou blesser dans la cohue d’une horde en marche. Il y avait aussi la question de l’approvisionnement : sevrés dès le sixième mois, ils représenteraient autant de bouches à nourrir.

Podfair compta mentalement les hoborques qui avaient une épouse, ou à défaut, une esclave. Facile : il y avait Frakass Lémindsang, qui avait convolé en justes noces avec une de ses nièces, la dénommée Rakka Plindkou. Marchfor Surlédoi, un autre hoborque taciturne, toujours prompt à frapper, s’était entiché d’une autre guerrière. Torlébra Bavolaivr possédait une esclave elfe de premier choix qui ne le laissait sûrement pas indifférent. Hurikk Pasadik ne cachait pas son goût pour une jeune humaine qu’il avait arrachée des mains d’un autre hoborque, Fauchlamor, qui s’était consolé dans les bras d’une autre captive. Il était difficile d’en trouver d’autres. En fait, la matriarche était certaine qu’au moins la moitié des hoborques était susceptible de se retrouver père de famille d’ici quelques mois. Comme tous ceux de sa race, elle appréhendait assez bien les grandes quantités, à l’instinct. Mais réfléchir à froid, pour compter un par un, représentait plus qu’elle ne pouvait faire. Un, deux, trois, quatre et cinq. Elle pouvait compter sur une demi-douzaine d’appuis, le moment venu. Il faudrait alors forcer la main de cette jeune bouture, Navregen, pour obtenir une retraite honorable.

Ce n’était pas encore l’heure du retour, du moins pas dans l’esprit de la plupart des chefs du clan. Pour l’heure, les susnommés Frakass, Rakka, Marchfor, Torlébra et autres Hurikk se rangeaient en bon ordre à la tête de la colonne, équipés de pied en cap. Ils écoutaient la discussion animée entre leurs supérieurs, ou plutôt essayaient en dépit d’un bruit de fond grandissant : la horde exaspérée attendait le signal du départ.

« -Il s’agit de rattraper le temps perdu, décréta le chef de la horde. Retrouve la piste.

-Ça va aitr dur avek toute sait flotte. J’sais pa si…

-J’te demande pas d’essayer, mais de réussir, ork.

-Oui, chaif.

-Maintenant, va rejoindre tes gars, et ne me déçois pas, pigé ? »

L’éclaireur s’éloigna en traînant des pieds, le front bas. Deuzelle l’observa, les lèvres pincées, mais ne put réprimer une remarque :

« -Tu sais, Navregen, j’sé pas si c’était une si bonne idée ke de le naumé à ce poste.

-Ke veux tu dire ?

-Il était l’chef des renifleurs, peut-être bien ke de l’avoir koupé d’ses gars lui a pas plu.

-Peut-être. Mais je ne peux pas agir en fonction d’hypothèses. Et il fait du bon boulot.

-Ça, on l’saura kand on s’ra arrivé. »

Navregen haussa des épaules et se dirigea vers la charrette de tête, rangée à côté de la première ligne des chefs orques.

« -On arrivera, t’inquiète pas.

-Mais où ? demanda Deuzelle, sur un ton où le respect et l’impatience se mélangeaient.

-Sur le site de ma première viktoire, évidemment, répondit Navregen. Allez ! Orks des Plakdefer, en avant ! J’vous promets du butin avant l’hiver ! Et y’en aura assez pour pas r’gretter d’avoir… Dû subir une défaite par la faute des z’autres tribus. »

Les cavaliers s’élancèrent en premier, gagnant vite une avance suffisante pour éclairer la route de la horde. Derrière eux, les premiers attelages arrachaient leurs roues boueuses des sillons qu’elles avaient creusés la veille. Les chevaux piaffaient, hennissaient de plaisir et soufflaient avec force, martelant le sol de leurs sabots massifs. Il s’agissait de bêtes robustes au pelage épais, dont la crinière et la queue d’une égale noirceur flottaient dans le vent frais. Chaque cavalier portait dans son dos son paquetage et un bouclier, dont la forme, la taille et la solidité variaient selon la chance du propriétaire. Bjorgkuln menait la bande, un sourire mitigé sur ses lèvres fendues par une vieille cicatrice. Il écoutait de ses deux oreilles les rares discussions entre ses subordonnés, et constata qu’ils ne médisaient plus dans son dos. Les moqueries et quolibets portaient sur l’un ou l’autre des hoborques, mais les éclaireurs se gardaient bien à présent de dire du mal de leur supérieur hiérarchique.

Il avait enfin réussi à prendre en main sa bande d’éclaireurs, et cela lui procurait de la fierté. On aurait pu croire qu’il avait toujours été à leur tête, les envoyant vers les collines risquées, dans les taillis suspects ou le long des hauts-fonds dangereux, essayant de repérer la moindre embûche. Les chevaucheurs allaient et venaient, repérant les abords du fleuve. Il ne fallait pas que la horde tombe dans une embuscade en pleine marche, ou ce serait la débandade. Impossible de mener un combat avec efficacité, perdu dans une foule de chariots, de gobelins et d’esclaves enchaînés. Surtout pris entre une forêt et un fleuve.

Il était un orque assez âgé, comparé aux autres. Pas autant que Podfair, évidemment. Mais sa longue existence lui avait laissé bien des souvenirs désagréables. Du coup, il était plus prudent et réservé que la plupart des autres peau-vertes. Au cours des dernières années, il avait du renoncer à sa brillante carrière. Dans sa jeunesse, il avait vécu comme eux, enthousiaste, insouciant. A force d’efforts et de bagarres, il avait obtenu le poste de « chaif dé renifleur ». Mais à partir de là, tout avait changé. Il avait mené les opérations de reconnaissances, s’éloignant parfois des jours entiers du bivouac. La vie du clan s’écoulait, trop loin de lui. Jamais il n’avait pu suivre comme avant les discussions entre chefaillons, les disputes et les passations de pouvoir.

Il avait raté le train. Raté sa chance. Manqué l’occasion. Il aurait pu devenir un hoborque, ou tout du moins, un second respecté, un lieutenant du grand « chaif de hord ». Mais il n’avait jamais réussi à obtenir assez de prestige auprès des autres guerriers, pour tenter une promotion forcée. Loin du camp, détaché du reste de la bande, il menait une vie à part.

Oh, bien entendu, il aimait son boulot. Humer les sentiers, les feuilles mortes étalées dans la boue un soir d’automne. Lire comme dans un livre des humains, les traces laissées dans la neige par des chevaux légers. Sentir dans le vent les giboulées du printemps. Relever dans le ciel les indices d’un climat capricieux. Repérer dans la poussière d’été les pas d’un fuyard. Toutes ces sensations qui lui apprenaient tant et tant. Il avait l’âme d’un pisteur. Il n’y avait rien de plus plaisant que de sentir ses oripeaux collés à la peau, par la rosée du matin, parce qu’on a dormi dans une ornière. Rien de plus amusant que de traquer ses proies dans les sous-bois, le pas vif et silencieux.

Mais c’était peut-être ça qui l’avait trahi. Ça et sa prudence. Sa discrétion combinée à sa réserve avaient fait de lui une exception. « cui ki komba pa kom un vrai ork », était la manière dont les autres Plakdefer le qualifiaient le plus souvent. Bjorgkuln, bien qu’il fasse mine de les ignorer, n’oubliait jamais les regards de biais que les peau-vertes lui réservaient, au coin du feu, les soirs de retour.

Dans ces grands moments de solitude, il se consolait en regardant les récompenses et le butin qu’il récoltait au cours de ses raids. La jalousie était peut-être une autre raison dans son isolement, et il se plaisait à le croire.

Une odeur bizarre dans l’air le tira de ses pensées. Quelque chose clochait. Il leva le bras, et comme deux imbéciles ne s’arrêtaient pas, il haussa le ton :

« -Vou deu, pa un pa d’plus ou j’vou étrip ! »

Ils étaient sous le couvert d’un petit bosquet d’arbres épineux, dont les branches couvertes d’aiguilles se balançaient dans la brise. Le sentier avait disparu pour de bon, cédant la place à un terrain bourbeux et traître, envahi par les roseaux et les nids de poule. Plusieurs kavaliers mirent pied à terre, observant les alentours avec méfiance. Bjorgkuln se dirigea vers un coin particulier du sous-bois. Les épines avaient été dérangées. Elles n’étaient plus en désordre, justement, mais leurs pointes alignées parfois dans un sens, parfois dans l’autre. Pas en pagaille. Quelqu’un avait balayé les lieux, peut-être avec une branche. Il s’accroupit sur le sol, et écarta les aiguilles sèches. On voyait encore de la cendre mêlée à la terre, et il reconnut l’odeur qui l’avait interpellé. Pas de doute, on avait fait du feu par ici.

Il allait relever la tête, quand son regard s’arrêta sur une petite feuille de chêne, posée au milieu des taillis. Il la ramassa avec précaution, et la contempla un moment, pensif. Voilà presque un jour entier qu’ils avaient quitté la dernière région où l’on pouvait voir des chênes. Ici, il ne poussait que des saules ou des pins. Son visage s’éclaira d’un sourire : cette feuille avait dû tomber, d’une façon ou d’une autre, dans les affaires d’un des humains. La chance était avec lui. Il la rangea machinalement dans sa poche et cria :

« -Ouvré vo zieu é vo zoreilles, band’de gob’ ! On r’pren la rout, é j’veu pa d’plint ! »

La route en question réapparaissait moins d’un kilomètre plus loin, pour grimper dans les talus de schiste poudreux. Au terme d’une ascension rapide, l’itinéraire se poursuivait entre les bosquets de saules courbés par le vent. La brise se levait, mordante. Bjorgkuln observa quelques secondes le ciel, aux quatre points cardinaux. Les nuages effilochés qui dansaient devant la voûte grise et blafarde le rassurèrent sans peine : il s’écoulerait encore plusieurs jours avant la prochaine tempête. Il n’empêche : pour la première fois depuis des jours, ils avaient connu une véritable pluie nordique. Le retour de l’hiver s’accélérait plus vite qu’il ne l’aurait escompté.

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Bon c'est pas mal ! J'ai rien vu de très important à la signalisation. On va parler de la reproduction chez les orcs et aussi du chef éclaireur qui a repéré une baston en vue ! Je t'encourge dès mainetnatn à pas oublier ton fil conducteur hien ! Ca t'evitera quelques menues problèmes

Allez chouite

@+

-= Inxi =-

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  • 2 semaines après...

T'inquiètes pas la aston en vue va dans le sens du fil rouge. :P

Voilà la suite, avec encore un bref passage didacticiel, lol :

Il lança sa monture au galop, entraînant dans son sillage sa petite cohorte. Les chevaux orques hennissaient de plaisir, heureux de quitter pour un temps les flancs bourbeux de la rivière. Leurs sabots martelaient l’herbe drue des collines, écrasant les mottes et les fougères. Ils atteignirent sans problème le sommet d’un petit monticule, qui surplombait les bosquets épars à ses pieds. On y voyait un large panorama, un décor vaste et enivrant. Les vents se levaient de tous les côtés pour balayer les hauteurs, ramenant avec eux toutes les odeurs et les parfums de la prairie en contrebas. La courbe de la rivière s’infléchissait vers leur gauche, canalisant ses flots vers l’est. Par-delà les remous du petit fleuve, on apercevait déjà les contreforts d’une petite chaîne de montagnes, dont les pics transperçaient une brume persistante.

Bjorgkuln repéra sans problème l’édifice sombre et austère qui s’arc-boutait, courageux, au fait d’un des monts les plus septentrionaux. Ils n’en étaient plus très loin, à peine quelques jours de marche. Si c’était là le but de leur gibier, la chasse s’arrêterait bientôt. Et le vieux renifleur ne voyait pas vers où ses proies auraient pu se diriger, si ce n’était là.

« -Vi, j’voi pa d’aut’refuj à dé lieu à la rond’. Ça doi aitr’sa. »

Les chevaucheurs n’osèrent pas l’interrompre dans son monologue. Laissant les rênes reposer sur l’encolure de leurs bêtes, ils s’égayèrent autour du tertre, chassant du petit gibier, ou bien flânant entre les arbres secs.

« -C’t’une belle struktur, commenta le pisteur. Un vré bo chato. Maim si lé zom k’on poursui ne sav pa ki y abitt, ils se son sur’men dirijé par la. Moi, c’é c’ke j’auré fé à leur plass. »

Il avait l’habitude de parler à lui-même. Il mettait ça sur le compte de ses années de traque dans la forêt. Bien sûr, quand il partait en mission, il n’était jamais seul. Mais les boulots d’infiltration requerraient la plus haute discretion. Il avait toujours communiqué avec sa troupe par gestes, y compris quand ils étaient au sein de la horde. Il lui avait fallu quelques efforts d’adaptation pour réussir à appuyer ses arguments par les mots plus que par les gestes.

« -Hum, c’t’une vré gross barak. J’kroi pa k’ce demi-sang de Navregen aura l’kran d’s’attaké à un truk de saitt taille. L’é sur une krête eskarpée, avek des précipiss sur troi kôtés. Lé mur sont ho, y’a bien kat’, cink tours de gué. Pa fassil ! »

Pendant que la troupe d’éclaireurs remplissait sa tache, la horde s’était remise en route à son rythme. La marche dans les sentiers de l’arrière-pays s’avérait de plus en plus difficile, en cet automne moribond. La dernière tempête avait laissé le fleuve à un niveau bien supérieur à la normale, et les hauts-fonds débordaient sur la route effondrée. En fait, l’itinéraire qu’ils suivaient alors ressemblait à une profonde tranchée, une ornière dans un champ inondé. Les flaques dans lesquelles leurs chausses cloutées atterrissaient projetaient de grandes éclaboussures autour d’eux. Les roues des chariots grinçaient en protestation, épuisées de supporter leur charge dans ce fossé boueux. Les quelques chevaux de trait renâclaient, réticents, et les bœufs attelés mugissaient à chaque dérapage. Une foule de gobelins insouciants s’empressait tantôt de les pousser, tantôt de les tirer en avant. Ils encombraient plus la marche qu’ils ne la facilitaient, mais les chefs de bande avaient d’autres chats à fouetter à ce moment.

Dans ce climat humide, lourd et fatiguant, les murmures allaient bon train. Il y avait bien quelques voix pour rejeter la faute sur Navregen, mais la plupart n’étaient pas assez tordus pour cela. La grande majorité des peaux-vertes déchargeait plutôt sa mauvaise humeur sur le maillon de la chaîne de commandement le plus proche d’eux : les chefs de bande, les hoborques et autres caïds du clan. Plus qu’à l’accoutumée, les bagarres et disputes étaient le lot des guerriers. Il ne s’écoulait pas moins de cinq minutes avant que Navregen, tournant la tête en arrière, ne voie deux adversaires lutter dans la boue, renversés par terre.

Il haussa les épaules, indifférent. Il était rassuré de voir que pour l’instant, la troupaille se trouvait d’autres souffre-douleurs que les semi-orques. Mais cela ne l’intéressait pas vraiment. Il avait hâte de donner à son clan une véritable action de guerre. Il marchait à côté de la première carriole, dans laquelle Nédacié et Deuzelle avaient pris place, escortés par trois autres demi-sang. Etalé au milieu des paquetages, le wolfen semblait dormir, dans un état de semi-conscience. Parfois, il se mettait à délirer à voix haute, ses mâchoires claquant dans un bruit sinistre. Il fallait alors s’y mettre à quatre pour le maîtriser.

Deuzelle n’était pas très heureux de sa nouvelle condition. Depuis plusieurs jours, il se chargeait de la conduite de l’attelage de tête. Il en avait assez de cette marche sans défi, et par-dessus le marché, il devait s’occuper d’un wolfen blessé. Une créature qui n’hésiterait sûrement pas, sitôt rétablie, à les massacrer tous. Il avait du mal à suivre la pensée de son supérieur, et se demandait même s’il y avait un intérêt à le faire. Il secoua la tête, tirant avec violence sur les rênes pour écarter les deux bœufs d’une ornière traîtresse qui éventrait la chaussée déformée.

Nédacié, entre deux crises de fièvre du monstre, restait plus silencieux que jamais. Il réfléchissait à diverses choses, mais une en particulier l’inquiétait. Il se faisait du soucis, en pensant aux autres clans d’orques. Le chef suprême de toutes les hordes s’était sûrement rendu compte depuis un bon moment que les Plakdefer ne répondraient jamais à sa convocation. Cette rébellion ouverte se devait d’être combattue. Il ne pouvait pas se permettre de perdre la face devant toutes les tribus.

Les Plakdefer appartenaient au peuple orque des Durkomtou, un peuple qui s’était réduit à une peau de chagrin au cours des dernières décennies. La lutte constante contre les elfes noirs dans les contreforts, les défaites successives face à la reconquête du seigneur nain Frikkal Versevin, et les raids des svedingars avaient contribué à la chute de cette peuplade. La défaite face aux elfes de l’est n’avait fait qu’entériner leur lent déclin.

Le chef suprême était du peuple des Trémajiks. Ces orques-là ne pouvaient pas se battre sans s’affubler de trophées ridicules. Ils portaient des robes multicolores, et des armes aussi étranges que leurs accoutrements. Mais leurs grands sachems étaient les plus redoutables, parmi tous les mages peaux-vertes. Si ses devins ne l’en avaient pas averti, le temps aurait désormais suffi à lui apprendre la défection des Plakdefer.

Parmi les plus fidèles serviteurs du leader actuel, on comptait Gologg, le chef suprême de la tribu de la Mind’noir. Ceux-ci comptaient dans leurs rangs de nombreux renifleurs et autres éclaireurs, plus que dans toutes les autres hordes. Si quelqu’un avait été envoyé à leurs trousses, il s’agissait sûrement d’un des lieutenants de Gologg. On comptait encore de nombreux autres peuples inféodés au chef suprême de tous les clans : les Leuil’persan, les Zurleurz, les Mordépoint’. Les hordes étaient innombrables…

A midi, la marche s’arrêta dans une anse encaissée de la rivière. S’éparpillant sur les bancs de sable vaseux, les orques cherchèrent le rare gibier d’eau qui ne s’était pas encore enfui. Le convoi se plaça en demi-cercle, réchauffé de la bruine persistante par quelques feux allumés tant bien que mal. Marchant entre les rangs de gobelins et de microcéphales affamés, les guerriers arpentaient le camp, plus vindicatifs que jamais. Où que Navregen s’avance, escorté de ses orques de main, il observait des disputes, des coups de poing échangés.

Le climat s’était brusquement rafraîchi, porté par des rafales du Nord-Ouest. Le vent n’était pas fort, mais continu. Les nuages d’un gris anthracite se promenaient avec la pesanteur d’un troupeau de mastodontes, traînant derrière eux des filets de brouillard en basse altitude. Il suffisait d’un regard en direction de la Grande Barrière pour constater que les hauts pics disparaissaient sous les tempêtes de neige. Tous savaient que le temps évoluait vite, dans ces contrées nordiques. Mais décidément, beaucoup trop rapidement pour eux. Le chef des Plakdefer resserra les pans de sa cape de fourrure, qui commençait déjà à s’imprégner de l’eau en suspension dans l’air.

« -Retournons en tête de la troupe, ordonna t-il à ses suivants. Il faut partir le plus tôt possible.

-Ce s’ra trop tard, chef, répondit Deuzelle.

-Komment cela trop tard ?

-On aura droit à d’la bagarre avant.

-Je f’rai tout pour l’éviter. »

Deuzelle haussa les épaules, plus que sceptiques. Il était évident pour lui qu’un semi-orque n’avait pas la carrure nécessaire pour diriger un millier de créatures. Cependant, si un des hoborques parvenait à renverser la situation en sa faveur, lui et les autres demi-sang seraient les premiers à subir sa colère vengeresse. Il était donc décidé, tout comme les autres, à défendre Navregen jusqu’à la dernière goutte de son sang mêlé.

Il s’attablèrent, assis en tailleur, autour d’un petit tas de brindilles crépitantes. Le bois humide dégageait plus de fumée que de chaleur. Au moins, cette fumée ne révélerait pas leur présence à un éventuel ennemi, vu la couverture de brume qui dévorait peu à peu le ciel. La pitance laissait à désirer : quelques crapauds grillés, un canard famélique et du pemmican desséché.

Le pemmican était préparé par les esclaves, les gobelins ou, encore les orques blessés par les précédents combats, et qui ne pouvaient plus porter les armes. Chaque fois que les éclaireurs ramenaient du gibier, ils en donnaient toujours une bonne proportion aux cuisiniers de la troupe. Il fallait réduire en bouillie la chair, la mêler à toutes les herbes et racines comestibles que l’on pouvait trouver sur la route. Cette mixture était pilée avec soin, puis cuite dans des grands chaudrons. Une fois séché correctement, le pemmican pouvait se conserver longtemps, dans une poche, un sac ou un casque. Chaque peau-verte avait toujours une petite réserve sur lui, en cas de coup dur. La part qui était réservée aux chefs était préparée avec plus de soins que les autres : on y incluait les viandes les moins dures, les racines les plus farineuses. Malgré ces quelques efforts, Navregen était certain que cette pâte exécrable aurait retourné l’estomac du premier elfe venu, au même titre que l’ordinaire de ses soldats. D’ailleurs, en dépit de ses piètres qualités de gourmet, il trouvait lui-même ces rations peu ragoûtantes.

Deuzelle avait raison, bien sûr. Ils n’avaient pas fini de manger qu’un hoborque s’avança dans leur cercle, armé d’une grande hache à long manche, une arme remarquable qu’il avait récupérée au cours d’un pillage l’année précédente. Le fer était gravé de quelques runes svedingar, et le manche était orné d’une queue de renard polaire. Le nouveau-venu s’appelait Grung l’Etouffeur, un jeune chef promu trois saisons plus tôt. Il alla droit au but, et se planta devant son supérieur hiérarchique en beuglant :

« -Y’en a mar de tréné dan la bou ! J’vé t’réglé ton kont, d’mi-sang !

-Tu m’importunes en plein repas, rétorqua l’autre. Dégage !

-Lèv-toi, râklur, debou ! »

Navregen poussa un soupir, se frotta les mains l’une contre l’autre pour en chasser les miettes et bondit en arrière, hors de portée de la « bolöx » redoutable. La lame effilée de son sabre déchira les brumes, reflétant les quelques flammes du foyer :

« -Je suis prêt, imbécile, viens mourir ! »

Il comprit soudain, en desserrant les dents pour crier son défi, que lui aussi avait besoin de tuer. Il devait décharger ses craintes des derniers jours sur quelqu’un, exorciser son impatience sur un bouc émissaire.

L’orque à la hache chargea, frappant un grand coup dans le vide, mais il para de son manche un revers de la rapière qui glissa sur le bois. Déjà, une vingtaine de peau-vertes s’étaient rassemblés pour voir le duel. Deuzelle et ses compagnons essayaient de les refouler, pour les empêcher d’intervenir. Par-dessus la foule, la silhouette massive de Tressolid apparut :

« -Va-z’y l’Etouffeur, tranch’lui la gorj ! »

Navregen entailla la main gauche de son adversaire, puis évita de justesse un nouveau moulinet de la cognée géante. Autour d’eux, l’excitation grandissait, les cris et les grondements fusaient. Des rixes éclataient entre spectateurs, Tressolid poussait de toutes ses forces la marée verte pour atteindre le premier rang.

Le challenger frappa et frappa, dessinant des entailles dans le sable meuble. Navregen dérapa sur le gravier, se rétablit, arrêta un nouveau coup en plaquant sa main sur le manche de la longue hache et sabra l’air pour faire reculer son adversaire. Ce-dernier esquiva le coup et fit deux pas en arrière. Il ne fallait pas le laisser profiter de son avantage, sa grande portée. Le semi-orque courut dans la terre meuble, et frappa vers l’épaule en empoignant à deux mains son sabre elfique. La lame dérapa sur la broigne de la cible, mais racla sur la clavicule de l’hoborque qui gronda. Navregen se retrouva avec deux mains graisseuses serrées autour de son cou : son ennemi avait laissé tomber sa hache, et s’apprêtait à le finir à mains-nues, méritant une fois de plus son titre d’« Etouffeur ». Il avait commis une erreur stratégique impardonnable, il en eut conscience, quand il commença à manquer d’oxygène. Deux fois, le sabre frappa à l’aveugle, dans une tentative désespérée de défense.

Autour d’eux, les bagarres allaient bon train : Tressolid projeta au-dessus des rangs un spectateur récalcitrant qui ne voulait pas le laisser s’avancer. Deuzelle frappait dans la masse en leur hurlant d’arrêter, tandis que les autres semi-orques ployaient sous le nombre et se faisaient piétiner par la cohue.

Un hurlement terrifiant, primitif, bestial, déchira le vacarme de la bataille. Tous se figèrent aussitôt, atterrés. Ils s’entreregardaient, inquiets. Un dragon premier-né aurait pu surgir devant eux, ils n’en auraient pas été plus surpris. Grung avait lâché sa victime et écoutait, les yeux écarquillés. Bientôt, un nouveau cri retentit, encore plus proche, et la foule se fendit dans une cacophonie de gémissements et de cris. Navregen, étendu sur le dos dans le sable, profita du répit qui lui était accordé, il ramassa la bolöx et frappa son adversaire en pleine poitrine, d’un coup net et précis. Grung l’Etouffeur, qui allait de surprise en surprise, referma ses deux mains sur le manche de son arme, pour essayer de l’arracher, mais il expira avant et tomba en avant, manquant d’écraser son adversaire. Le chef des Plakdefer avait encore un genou en terre quand il vit s’approcher la bête. Surgissant du brouillard glacé, la créature boitait et lâchait un nouveau hurlement à chaque pas. Elle était à moitié recouverte de bandages sales, qui pendaient de son cou, de ses épaules et de ses flancs comme des ribambelles. Bien qu’à quatre pattes et gravement blessée, elle avançait rapidement, balançant sa gueule de droite et de gauche. Toute la horde s’était écartée, terrifiée, à l’exception de quelques gobelins incrédules et de deux berserckers qui l’observaient en silence, à l’avant de la foule. A quelques pas derrière le wolfen moribond, Nédacié apparut, appuyé sur son bâton géant :

« -Chaif, haleta t-il, j’é essayé d’le ret’nir… »

Le wolfen aboya, l’œil enflammé. Il s’avança de quatre foulées, arrivant à portée de mâchoires de Navregen. Des gouttes de salive et de sang tombèrent sur le gravier.

« -Toi, chuinta le monstre, c’est toi qui m’a sauvé…

-C’est moi, répondit Navregen, restant accroupi. Que veux-tu ?

-Dis-lui d’plus me toucher… Les wolfen ont pas besoin d’médecine…

-Il s’occupe de toi pour ton bien, l’assura Navregen. Fais-moi confiance.

-Ça je peux, approuva le wolfen en hochant de la tête, ce qui fit craquer son cou. Je peux. »

Il se retourna vers Nédacié, la langue pendante :

« -Mais toi… T’avises pas d’me trahir… »

Et il s’effondra, vaincu par la fatigue.

Un silence respectueux planait sur le campement. Navregen se remit debout, et rengaina son sabre, puis se tourna vers l’assistance médusée :

« -Le klimat a pas l’air de vous plaire ici. On s’remet en route, orks ! J’veux katre volontaires pour porter l’wolfen jusk’à sa charrette. Nédacié ! L’laisse plus s’échapper jusk’à c’k’il soit guéri, kompris ? C’est la dernière fois ke j’te l’dis. Tressolid, Podfair ! Rassemblez les bandes, on a enkore une longue route à faire avant d’trouver notre prochaine bataille ! »

Modifié par Shas'o Benoît
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Bon, j'adore ton texte.

Ca c'est fait. Qu'est ce que je peux dire d'autre? Si, j'aime beaucoup le contraste entre tes dialogues orkoides et tes descriptions. J'aime beaucoup aussi le fait que, pour le moment, l'action ne représente que des disputes orque. Mais je suis comme Nédacié, je pense qu'il leur faut vite "une gross'baston".

Voila. Shas'o'da'lyth'mor'tyr'kar'tyes'ukos. Tu as le droit à ma signature complète parceque ton texte est super.

p.s.: J'ai oublié un truc: LA SUITE!

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Les wolfen on pas besoin d’médecine

Hop la seule faute !

Ah ! Elle parle la bèbête ! Bah ça pour une surprise ! On aurait pas dit comme ça. A croire que tout ce qui vit chez toi sait parler :P Quelques disputes, le chateau en vue ainsi qu'un siège ? Je pense que c'est pas pour tout de suite mais au moins, on sait où on va ! :innocent:

Suite !

@+

-= Inxi =-

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  • 2 semaines après...

Merci O'mortyr pour ta signature :D

Eh oui elle parle cette bestiole ! Comme beaucoup d'autres, c'est vrai. Quand on y pense, à peu près n'importe quoi peut parler ( sauf les crapauds primitifs, les poissons... )

Après correction de la faute, voici la suite :

Tandis que les rangs se reformaient dans un semblant d’ordre, Nédacié s’approcha avec précautions du jeune semi-orque courroucé.

« -Chaif, j’dois vous parlé d’un sujé grav. J’ai.. J’crin dé truks pa tré réjouissan.

-Ke me chantes-tu, chaman la manque ? Tu rêves à présent ?

-J’é pensé aux aut’tribus d’orks. Si jamé elles sont sur no trass, on é…

-En mauvaise posture, je l’sais bien imbécile ! Mais ne va pas le chanter sur tous les toits.

-Faudré surveillé nos arrières, si j’puis me permettre… »

Navregen l’attrapa par le col et lui cracha au visage :

« -Evidemment, face de crapaud ! A quoi crois-tu qu’j’ai songé toute cette damnée journée ? »

Il le repoussa avec violence, et ajouta :

« -Fait relever ce wolfen ! Et surveille sa guérison, komme je t’en ai chargé. »

Nédacié était abasourdi. Il mesurait presque deux mètres de haut, et malgré le peu d’exercice qu’il pratiquait, il était robuste et fort, en vrai orque. Pourtant, ce freluquet lui en avait remontré. Il venait de tuer son dernier rival, et ce n’était pas le premier. L’apprenti-sorcier rassembla quelques dizaines de gobelins à coups de pieds, et les fit traîner le corps poilu du monstre, tout en remuant ses craintes dans sa cervelle. Une chose au moins le rassurait. Il savait que Navregen était aussi inquiet que lui. Savoir son chef tourmenté par des soupçons ne pouvait que le rassurer, et le faire rire intérieurement.

« -Dites-voir, chef magik, on r’fé bientôt d’la sortilègerie ? »

Le chaman jeta un coup d’œil au gobelin enjoué qui crapahutait entre ses jambes : c’était celui qui avait tenu son bâton, la nuit dernière. Il déchira une bande dans le bas de sa robe et le noua autour du cou de la petite créature en répliquant :

« -Oué mon gars, c’soir-mêm à kondition k’tu garde ça toujours sur toi. »

Le petit peau-verte dansait de joie, tripotant son nouveau foulard avec dévotion. Il se battrait bec et ongles pour le garder. Nédacié voulait être sûr de le reconnaître, à présent. Il avait décidé d’entraîner ses aides-magie, à commencer par lui.

L’après-midi fut aussi froid et triste que peut l’être une journée d’automne dans les terres nordiques. Les orques marchaient désormais dans le calme, bavardant entre eux de la bataille tant promise. Ils l’attendaient avec impatience, mais n’osaient plus s’en vanter à voix haute. Les bavardages allaient bon train au sujet du wolfen. Pourquoi ce parvenu de Navregen s’était t-il aguiché d’une telle bête ? Parmi tous les Orques, Tressolid croyait soupçonner la vérité. Il était là le jour où le semi-orque avait ramené le moribond dans la horde. Il avait croisé le regard du demi-sang.

A présent il savait que ce geste avait été motivé par la prudence. Navregen était certain qu’avec un allié de ce poids, rares seraient les rebelles. Le wolfen n’était pas encore remis qu’il semait déjà l’effroi. Pourtant, rien ne garantissait sa fidélité.

Podfair se moquait éperdument des verbiages autour de sa charrette. Vautrée sur des ballots et des draps usés, elle laissait deux de ses acolytes guider l’attelage de bœufs. Son dos lui faisait mal, ses douleurs s’étaient réveillées. Quand le temps s’usait, ses courbatures la faisaient souffrir. Cela signifiait que l’humidité resterait pour longtemps. Elle renifla bruyamment et ramassa la hache titanesque qui avait appartenu à son mari. Son pouce caressa le tranchant, éprouvant sa finesse.

« -L’hiver é bien là, grommela t-elle. Maudi klima ! »

Elle était de mauvaise humeur, mais savait d’expérience que le ciel s’était montré clément. Elle avait connu des années de blizzard, des mois de tourmente. Certaines années, tous les cours d’eau étaient gelés, et les champs eux-mêmes disparaissaient sous une croute épaisse de givre. D’autres fois, la pluie s’était mise à tomber sans interruption depuis, l’époque de la chute des feuilles jusqu’aux premiers bourgeons. Elle avait vu des hivers secs et mordants, au cours desquels les clans sauvages des montagnes étaient descendus par dizaines ravager les collines ; les gnols, les glores et les gargouilles avaient pillé et massacré orques comme fenris.

Parlons-en, des fenris. Une race opiniâtre, dont les ancêtres avaient dirigé toutes ces régions pendant des siècles. Les plus anciens contes orques des clans du nord, transmis oralement au cours des veillées, remontaient à des âges lointains. Ils disaient que, il y a fort longtemps, une guerre avait eu lieu entre elfes et fenris. A l’issue de ce conflit, la royauté des hommes à peau bleue avait été renversée, leur empire morcelé. Depuis que le clan des Plakdefer existait, il n’y avait plus eu d’état fenri organisé. La plus grande entité du nord, de ce côté des montagnes, était donc la monarchie elfique de la côte. Les humains n’étaient venus que récemment, en comparaison, pour s’arroger quelques terres dans les alentours. Quant aux nains, personne ne savait plus à quelle époque ils abandonnèrent leurs cités éparpillées dans les hauts-lieux.

Podfair savait bien des choses sur les terres du nord. Elle avait même été de l’autre côté des montagnes, traversant le col du Charognard. C’était une passe étroite, encaissée, taillée entre deux pics des plus majestueux de la Grande Barrière : le Col-de-feu, et l’Epine Blanche. Pour réussir à passer la trouée, il fallait surmonter le froid terrifiant, la faim dans ces régions désolées, le vertige des précipices. Mais il y avait surtout le Charognard. Ce Grand Ver, Podfair ne l’avait vu qu’une seule fois, comme une ombre dans la tempête. A peine visible entre les paquets de neige tombant en continu à ces altitudes, la créature cliquetait dans sa peau écailleuse. Cela se passait bien des saisons plus tôt. En ce temps-là, son mari conduisait les Plakdefer, et ils étaient entrés au service des Elfes Noirs le temps de quelques expéditions.

La vieille orque à la peau ridée se rendit compte qu’elle avait entaillé son pouce. Elle reposa sa hache et lécha sa plaie, passant sa langue râpeuse sur sa peau fripée. Elle s’était longtemps demandé si ceux que l’on appelait les Slaqhors, les « Elfes du Soleil », ou Elfes Noirs, étaient véritablement des « Elfes ». Se pouvait-il que le même sang princier coulât dans leurs veines ? Elle n’en avait pas examiné beaucoup au cours de son existence. Pour ce qu’elle en savait, il s’agissait d’individus taciturne, drapé dans de grands vêtements d’un noir corbeau. Ils portaient toujours des sabres et des couteaux, qu’ils tiraient comme par magie de leurs accoutrements tombants. Ils ne parlaient jamais en langue vulgaire, et se faisaient donc accompagner de mages lugubres. Les sorciers Elfes Noirs servaient d’interprètes, bien que s’exprimer dans le parler des mortels leur coûte visiblement beaucoup. Les paroles quittaient leurs lèvres, teintées de dédain. Ils portaient des robes plus ténébreuses encore que celles de leurs confrères, et s’appuyaient sur des bâtons tout aussi sinistres, recouverts de glyphes, d’arabesques et de pointes. Une désagréable sensation de pesanteur et de mal-être les accompagnait partout. Il suffisait de croiser leurs regards pour sentir ses poils se hérisser, et son cœur bondir.

Pour faire la guerre, ils s’attiraient les services des tribus des collines, des gargouilles et des trolls sauvages. Mais tout cela n’était que de la piétaille, de la chair à canon. Le gros des armées, ou « Légions » comme ils les appelaient, était constitué de glores bien équipés, et entraînés toute leur vie. Ces bataillons pesants étaient encadrés par quelques chefs triés sur le volet. L’ancienne cheftaine orque supposait que les Slaqhors n’étaient plus assez nombreux pour faire eux-mêmes la guerre. Ils se contentaient de diriger et de convoyer les armées, et il en allait ainsi depuis longtemps. Elle avait prit part à deux batailles à leurs côtés, et n’en avait compté en tout et pour tout qu’un millier, la plupart formant une garde d’honneur autour de leur seigneur. Quand ils revenaient dans leur royaume, ils entraînaient toujours des esclaves en nombres et un butin phénoménal. Elle se rappelait encore la dernière tractation, à la Passe du Charognard. Un mage noir payait alors son mari des services de leur clan, en leur cédant une pleine charrette d’or fin et de pierreries. Autour d’eux, la menace grondante du dragon planaît dans l’atmosphère surchargé de flocons cotonneux. Podfair avait plongé son regard vers la route en lacets, et la plaine blanche au-delà de la Grande Barrière. Elle avait vu la colonne gémissante des captifs s’étirer sur la blancheur immaculée, et entendu leurs cris résonner malgré le vent épouvantable. Elle avait deviné leur marche cruelle, le long de corniches déchiquetées, sur un pays sans bornes, dans le vide de la glace, jusqu’à ce but ultime qu’on ne pouvait voir, tout là-bas, aux extrémités de la terre : la Cité Blanche, où les attendait leur destin.

Podfair secoua ces pensées peu réconfortantes. Les Elfes Noirs n’étaient plus descendus des montagnes boréales depuis des décennies. Et elle souhaitait de toute son âme que cela ne se reproduise plus. La guerre appartient aux orques.

« -Et c’est bien suffisant » commenta t-elle.

Le conducteur du chariot se retourna, amusé, puis renonça à comprendre et relança les deux bêtes de somme. Quelle folle, songea t-il.

Modifié par Shas'o Benoît
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