Aller au contenu
Warhammer Forum

Navregen


Shas'o Benoît

Messages recommandés

Cela faisait longtemps que je n'avais pas laissé de commentaire, mais je suis assidument les aventures de Navragen et Cie.

Je trouves que ton récit s'améliore et que le style devient plus recherché. On voit que tu as fait pas mal de boulot sur le BG du monde ou se déroule l'histoire, mais c'est parfois un peu déconcertant les bouts où tu fais des références historiques, et je me retrouve assez largué... Peut-être un petit post ou tu expose un peu les historiques, ou du moins les factions, j'ai un peu l'impression de me perdre.

Continue, j'attends la suite avec impatience!

Ecthelion

Lien vers le commentaire
Partager sur d’autres sites

  • 3 semaines après...

Tiens, plus de com que d'habitude !

Merci pour vos critiques, pour une fois pas une seule négative en plus ( non j'en réclame pas :innocent: ).

Voilà une suite, où vous devrez aussi vous accrocher, le problème ne vient pas cette fois du background, disons qu'il va se passer des choses... Pas naturelles.

Et aussi, je change l'apparence des paroles des orques, ça me gave de faire des fautes d'orthographes.

La suite :

Contre toute attente, ce fut un petit matin ensoleillé qui salua le réveil de la horde. Le soleil finissait de chasser les menaçants nuages du Septentrion, et les plaques de glace fondaient à vue d’œil sur les franges de terre détrempées. La cohorte secoua les toiles de tente imbibées de pluie, rassembla ses lignes et se prépara à repartir vers l’Est, vers la ville d’Holorion. Trop heureux de bénéficier d’un traitement de faveur de la part de l’astre solaire, les guerriers entonnèrent l’un ou l’autre chant martial.

Ces vociférations étaient bien plus destinées à faire vibrer leurs cordes vocales qu’à charmer les oreilles d’un elfe, se lamenta Ezelduin en reprenant sa place en tête de formation. Lui et ses six frères, rassemblés dans le fer de lance, menaient la marche des Plakdefer et s’occupaient des messagers que le capitaine Alme Aleam ne manquait pas d’envoyer pour faire presser le mouvement : il fallait profiter du bon temps tant qu’il durerait. Oroferr, le frère puiné, sourit :

« -Tu entends ça Nalluin ? Ce prétentieux d’Aleam veut tirer profit du climat clément…

-Je pense qu’il se doute de quelque chose, sursauta le benjamin, non sans garder ses mains serrées en étau sur son bâton de marche.

-Combien d’heures pourras-tu tenir ? s’enquit Ezelduin, à mi-voix.

-Avec l’aide de Salucare et Praestane, peut-être encore un jour entier…

-Restez près de lui, enjoignit l’aîné à ses deux frères. Et veillez à ce que rien ne perturbe sa maîtrise.

-Sois-en assuré, répondirent les deux acolytes, en inclinant la tête.

-Bien, bien… »

Il reporta son attention sur l’humaine à laquelle il avait accordé sa protection. Elle se tenait en retrait, sur leur droite, le front bas. Elle avait sans doute entendu quelques bribes de leur conversation, mais qu’avait-elle pu comprendre ? Elle faisait vraiment pitié à voir, malgré la tunique qu’ils lui avaient offerte en guise de vêtement. Elle portait encore les marques des fers à ses poignets et à ses chevilles, en dépit des soins que lui avait appliqués Oroferr. Elle portait plusieurs bleus, et des bandages en lin entouraient ses membres et ses épaules, là où le wolfen l’avait marquée. Si personne ne s’était occupé de ses plaies, elle serait morte dans la nuit, c’était évident.

Il n’empêche. Ezelduin s’était engagé aurpès du roi, auprès de sa famille, auprès des Plakdefer, et maintenant auprès de cette humaine. A force de jouer jeu serré, il risquait bien de se retrouver pris dans son propre filet. Il lui faudrait faire appel à tout son art de la diplomatie pour tirer son épingle du jeu… Mais cela en valait la peine, oui vraiment.

« -Approche humaine, l’encouragea t-il. Quel est ton nom ? »

La femme sursauta, et fronça les sourcils.

« -Elle ne parle pas l’elfe, s’amusa Taselurn, le frère cadet. Il t’a demandé ton nom.

-Liviane, répondit-elle, en relevant la tête.

-Très bien Liviane, tu es libre d’aller où bon te semble, lui dit Ezelduin. Mais je ne saurais trop te recommander de rester en notre compagnie, au moins pour l’instant.

-Cela va de soi, railla t-elle.

-Une fois à Holorion, nous ferons en sorte que tu puisses regagner ton village saine et sauve.

-Mon village ! Tous les autres habitants sont esclaves ici…

-Plus pour longtemps, l’assura l’elfe.

-Mais ces orques ont tué ma famille ! Je n’ai aucune raison de retourner là-bas… Tout ce que je veux, c’est trancher la gorge de ce monstre ! »

Ezelduin eut un rictus de désapprobation, une sorte de sourire pincé et faux. Cela lui donnait vraiment un air inquiétant, nota l’humaine.

« -Ce ne saurait rentrer dans nos plans, articula t-il. Nous avons besoin de ce demi-orque. Souvenez-vous qu’il reste le plus modéré parmi toute cette bande de va-nu-pieds.

-Il n’en reste pas moins une brute !

-Peut-être bien, mais il faut aussi des butors à notre époque tourmentée. S’il hérite finalement d’un de nos fiefs, son tempérament d’orque ne sera pas de trop pour défendre nos intérêts !

-Je me moque de ces calculs spécieux, balaya t-elle d’un haussement d’épaules.

-Il faudra pourtant bien que tu fasses avec, humaine ! s’emporta Oroferr.

-Du calme mon frère, s’interposa Taselurn, conciliant. Liviane, il faut que tu comprennes notre point de vue. Nous sommes des elfes, nous avons vécu bien plus longtemps que toi et il est normal que notre vue porte sur plusieurs décennies.

-Quand bien même… maugra t-elle.

-En voilà assez, trancha Ezelduin. Ecoutez-moi tous, nous sommes dans le même camp pour l’instant. Notre objectif, c’est de préserver les vies des prisonniers jusqu’à Holorion, de s’assurer qu’aucun village ne sera plus pillé sur la route, et de conduire ces bandits de grand chemin à tuer le maudit dragon Laurion. Donc Liviane, tant que tu resteras avec nous, je te demanderai de ne plus réitérer tes tentatives de meurtre.

-J’aurais pu réussir ! protesta t-elle.

-Je n’en doute pas, mais…

-Ce mécréant serait mort à l’heure qu’il est si cette fille avait réagi ! Pourquoi n’a t-elle rien fait ?

-Je l’ignore mais là n’est pas la question.

-Elle doit être ensorcelée, je ne vois pas d’autre explication ! » s’écria l’humaine.

Les elfes se turent, surpris, et elle même se mordit les lèvres. Quelques orques qui stationnaient à portée de voix se retournèrent, interloqués, mais ils reprirent bientôt leurs discussions animées. Le soleil apparaissait à l’est, au-delà des linceuls de brouillard, et le chef de la horde n’allait pas tarder à arriver à la tête du convoi.

« -Assez parlé, grogna Taselurn, nous reverrons cela ce soir.

-Mais c’est une possibilité, commenta Oroferr, l’air sombre.

-J’ai dit ça comme ça…

-J’ai dit silence ! menaça Ezelduin. Navregen doit garder le peu de confiance qu’il a en nous, et nos conciliabules ne l’encourageraient pas à le faire. »

Le semi-orque observa les uns après les autres les chefs de file placés en tête du convoi : les elfes mystérieux, qui s’étaient entichés de cette esclave, Podfair vautrée sur sa cariole et entourée de ses fidèles ; Nédacié en retrait, environné d’une ribambelle de petits gobelins qu’il avait déguisés avec des morceaux de tissu colorés. Quand on lui confirma que tout était prêt, il ordonna la mise en branle de la horde.

Marchant sans maugréer toute la journée, les Plakdefer avalèrent une bonne partie de la distance qui les séparait d’Holorion. Contre toute attente, le beau temps perdura, et c’est sous les auspices d’un soleil singulièrement clément que la petite armée traversa les plaines froides. Loin en avant, on pouvait voir la cavalerie elfique reconnaître le terrain, parfois s’approcher, puis repartir en avant.

La journée s’écoula dans un silence relatif, Navregen se passant de commentaires. Autour de lui, Loup, Swegnine, Deuzelle imitaient son mutisme. Plus la tribu s’approchait de la cité elfe, plus l’atmosphère lui semblait étrange, irréelle. Ils avaient tous conscience de pénétrer un pays normalement interdit aux mortels. Les chants des oiseaux étaient tamisés par le murmure du vent dans les brins d’herbe, brins dépassant d’un tapis de neige aussi doux que du coton. C’était comme si le pays… Etait imprégné de la présence des immortels.

Navregen se sentait de plus en plus mal à l’aise. L’air qu’il respirait lui semblait trop froid, trop glacé. Sa fraîcheur en venait presque à l’étrangler. Ce n’était pas à vrai dire une sensation désagréable, mais plutôt une démangeaison. Il ne savait pas à quoi était dû ce phénomène, mais tout cela ne lui disait rien qui vaille. Il fallait au moins reconnaître que ces désagréments étouffaient dans l’œuf les sentiments combattifs des orques. Impressionnés par cet environnement surprenant, ils gardaient le silence.

Le temps semblait s’écouler au ralenti, au rythme des foulées des marcheurs. Navregen était descendu de sa charrette, et regardait ses bottes s’enfoncer dans la poudreuse immaculée. Chaque nouveau pas égrénait les secondes, résonnant dans ses oreilles tels les tintements des cloches. Son regard s’attarda sur la poignée de son sabre, dont le pommeau crépitait de petites étincelles depuis le matin. Il avait appris à faire avec, tout comme il avait compris qu’il ne pourrait rien y faire. C’était encore un autre prodige, qu’il ne parvenait pas à s’expliquer. Mais tout était si bizarre, dans ce pays…

Il en était encore là dans ses réflexions, quand la horde monta les tentes pour la nuit. Il faisait exceptionnellement chaud, et le ciel restait toujours aussi épuré, bienveillant. Il n’y avait toujours pas de bois sec, mais au moins les petits feux que les pisteurs parvinrent à allumer ne furent pas étouffés par la pluie ou la neige.

Bjorgkuln, en sa qualité d’infirme, ne pouvait guère plus se risquer au jeu de la chasse, mais ses éclaireurs lui rapportèrent du petit gibier qu’ils avaient capturé aux abords de la horde. Quatre ou cinq d’entre eux s’étaient éloignés, traquant le lièvre variable ou les poules d’eau, au risque de s’attirer le courroux des sentinelles elfes. Ils lui avaient rapporté un civet bien gras, qu’il dévora avec reconnaissance :

« -C’est toujours ça que ce demi-sang n’aura pas ! ricana t-il, en dévorant la viande à moitié cuite ; et sinon, vous avez vu les oreilles en pointe ?

-Non chef, lui apprit l’un des chasseurs. Aucun signe.

-Ils doivent nous surveiller. J’aime pas ça…

-C’pays est pas normal, sentença l’un de ses sbires, l’air pensif.

-Vrai, mais tant qu’j’aurai à manger, je me plaindrai pas. Cesse de réfléchir et sers-toi. »

Ezelduin passa à côté de leur bivouac, drapé dans sa grande cape. Il sembla outré par les manières peu ragoutantes des peaux-vertes, qui se servaient de leurs doigts pour attraper les charognes et déchirer les chairs crues. Bjorgkuln se remit à glousser en voyant la mine renfrognée de l’elfe, puis retourna à son repas.

De vrais barbares, songea l’immortel, en traversant le campement. Il savait que tous ces combattants étaient des brutes plus ou moins obtues, mais ce qui l’inquiétait était cette phrase prononcée par l’humaine, cette Liviane. Foi de prince, il allait en avoir le cœur net ! Il s’avança jusqu’à l’entrée de la tente de Navregen, et s’annonça d’une voix claire :

« -Bonne soirée, chef Navregen. Puis-je m’inviter à votre table ? »

La face méfiante du wolfen sortit d’entre les draperies, grondante :

« -Que veux-tu, toi elfe ?

-Laisse-le entrer, résonna la voix de son maître. Nous allons bien le savoir.

-Merci, chef, répondit l’elfe en écartant la toile. Je viens partager votre repas, et le rehausser autant que je le pourrai. »

Il sortit des replis de sa cape une fiasque en verre, qui renfermait un liquide d’un rouge noirci, et la posa sur la table bancale. Deuzelle se balança en arrière, tout en curant ses dents avec son couteau, et railla l’elfe :

« -Qu’est-ce que c’est que cette mixture ? Et qu’est-ce qui te fais croire qu’on a besoin que tu rehausses quoi que ce soit ?

-Pour une fois vos intentions sont claires, ironisa Navregen, en jetant un regard désapprobateur à son second.

-J’ai toujours été franc avec vous, chef Navregen, protesta Ezelduin.

-C’est à voir… Et que renferme cette bouteille ?

-Un des meilleurs crus d’Holorion, figurez-vous. Des terrasses nord, cuvée 12011. Vous m’en direz des nouvelles.

-Je refuse de boire ce poison ! cracha Deuzelle, irrité.

-Croyez-vous vraiment que si je voulais en finir avec vous, j’emploierais de telles méthodes ? lui demanda l’elfe, vexé.

-Cela ne me surprendrait pas, rétorqua son adversaire.

-Allons, protesta Swegnine, il serait ridicule de vouloir assassiner Navregen. Vous avez besoin de lui, n’est-ce pas ? »

Deuzelle se rassit de manière convenable, mais garda son couteau à la main. Il avait bien envie de la remettre à sa place, cette mijaurée, mais Navregen l’observait en même temps qu’elle, et lui avait sa main sur son sabre.

« -C’est exact mademoiselle, répondit l’elfe, en lui jetant un regard en coin.

-Il est cependant normal que l’on se montre prudent, dit Navregen, en continuant de surveiller son subalterne.

-Tout à fait. Du reste, il existe un moyen simple pour moi de vous prouver ma bonne foi. Nous allons trinquer ensemble.

-Ça, c’est envisageable, approuva Navregen. »

Deuzelle accepta à contre-cœur de se joindre à la compagnie, et tendit son gobelet comme les autres. Ezelduin remplit généreusement les quatre verres en terre cuite dispersés sur la table, et s’empara du sien tout en déclarant :

« -A la santé du Monarque d’Holorion ! et il avala une gorgée.

-A la santé des Plakdefer, répondit à Navregen, en trempant ses lèvres dans sa tasse.

-A la santé des guerriers, renchérit Deuzelle en vidant sa coupe.

-A la santé des justes, dit Swegnine, en goutant au breuvage.

-Vous voyez, cela n’avait rien de bien méchant, sourit l’elfe.

-Au contraire, c’est très bon, reconnut Navregen, à peine rassuré. C’est un vin à la fois sucré et épicé, fort agréable à boire.

-Je veux bien vous croire ! aquiesça l’immortel. On ne fait rien de mieux à des milles à la ronde, je vous le garantis.

-J’en prendrais bien deux lampées de plus ! ajouta Deuzelle, en se reservant.

-Moi-même, je ne cracherais pas sur un second verre, reconnut l’elfe. A la santé de nos peuples ! Puissent-ils prospérer ensemble ! »

( Ils avalent ça comme du petit lait, s’amusa t-il intérieurement. Dans quelques instants, ce sera chose faite. )

( Certes, mais qu’en est-il du dernier ? )

( Il faudra régler cette question autant que faire se pourra. Peut-être pourrai-je le convaincre. )

(Ezelduin, tu tentes l’impossible ! )

( Et si tel est mon destin, mes frères ? )

Après deux tournées, Swegnine vit des étoiles danser devant ses yeux. Sa tête devint lourde, et tout tournait autour d’elle. Le vin lui montait à la tête, l’envahissant d’une chaleur brûlante. Elle se sentit basculer, chavirer, et tenta de se raccrocher à Navregen, qui était déjà affalé sur la table, inconscient.

( Ils sont au pays des rêves, annonça Ezelduin. Vous pouvez venir. )

Il s’écarta de la table, l’air détaché. Loup s’était attablé et renifflait les verres, inquiet :

« -Quoi as-tu fait toi elfe ? Versé drogue dans leurs boissons ?

-Nenni, le vin elfe est tout simplement trop fort pour eux… Ils auraient dû boire avec plus de modération, voilà tout.

-Trois verres suffisent ? s’étonna le wolfen. Toi le savais. Tu fais preuve de beaucoup d’esprit tordu. Pourquoi ? aboya t-il.

-Allons du calme, tu ignores tout de cette affaire. Tu vois cette jeune femme ? Pourquoi crois-tu qu’elle ne se rebelle pas ?

-Le Maître lui a défendu.

-Mais elle aurait pu transgresser ces commandements, ne crois-tu pas ?

-Elle a essayé déjà. Et ça n’a rien à voir avec toi les énivrant. Que veux-tu ?

-Découvrir si oui ou non c’est une sorcière.

-Si… Quoi ?

-Ce ne serait pas le premier cas d’une intriguante Slaqhor, prenant l’apparence d’une mortelle pour se servir d’innocentes marionnettes.

-Tu délires, elfe.

-Je soupçonne, nuance. Je vais tirer cette affaire au clair maintenant. Il est dans ton intérêt de nous aider à lutter contre les serviteurs de la Cité Blanche.

-Oui, mais qu’allez-vous lui faire ?

-La questionner, rien de plus.

-Oui je vois, mais la question peut-être bien cruelle.

-Ce n’est pas mon but.

-Egal. Je dois la défendre.

-Réfléchis, tu protèges une espionne du…

-Juré sur ma vie, alors tu ne l’auras pas.

-Tu as tort de t’entêter, wolfen.

-Sors d’ici, toi elfe. »

A ce moment, Oroferr entra dans la tente derrière le wolfen et lui assena un grand coup de sabre dans la nuque. Sans pousser le moindre jappement, le monstre s’effondra sur le ventre.

« -Tu as mis juste le temps qu’il fallait, commenta Ezelduin.

-Alors c’est parfait, répondit l’autre. Où est-elle ?

-Comme tu le vois. »

Taselurn, le cadet, entra à son tour et regarda ses deux confrères d’un air partagé :

« -Cette histoire commence à vraiment me déplaire.

-Ce n’est pas mon problème, lui renvoya Ezelduin. Dépêchons-nous. »

Taselurn souleva l’humaine, la tenant à bout de bras, et sortit de la tente en catimini, escorté par ses compagnons. La nuit était déjà tombée, et aucune veilleur ne remarqua leur manège. Courant plus que marchant, ils atteignirent leur propre pavillon. Leurs autres frères les y attendaient avec appréhension.

Nalluin, assis en tailleur au fond de la tente, remarqua à peine leur arrivée. Dodelinant légèrement de la tête, il continua d’égréner les boules d’un collier, tout en chuchotant des mots de pouvoir. A ses côtés, les deux frères Salucare et Praestane restaient les bras croisés, enroulés dans leurs longs manteaux. Ils accueillirent leurs aînés d’un hochement de tête. Darcaluin l’impétueux se leva de sa place, et les questionna :

« -Eh bien ? Tout s’est-il bien déroulé ?

-Pousse-toi, ordonna Ezelduin, personne ne doit nous voir avec elle.

-Je sais, tout doit être conclu jusqu’à l’aube. Et le loup monstrueux ?

-Il a fait des difficultés, révéla Taselurn en étendant son fardeau sur un drap épais étendu au sol. Oroferr l’a frappé à mort.

-J’ai une tâche pour toi maintenant que tu en parles, dit Ezelduin. Darcaluin, tu vas retourner là-bas, et faire disparaître ce cadavre compromettant.

-Tu te rends compte de ce que tu me demandes ? répondit son jeune frère. Les vigiles n’ont peut-être pas fait attention à votre passage, mais ces allées et venues vont leur mettre la puce à l’oreille. Ce n’était pas prévu !

-Il faut improviser, répondit son aîné. Sois discret et efficace. Tu pourras le faire ? »

Darcaluin ramassa son baudrier qu’il avait posé sur son paquetage, boucla sa cape et rétorqua :

« -Bien sûr que je peux, mais j’aurais aimé éviter prendre de tels risques.

-Fais vite. »

Oroferr s’assit en tailleur en face de leurs trois jeunes frères, tout en remarquant :

« -Tu pourrais l’épargner un peu. Il est encore impulsif.

-Il serait temps qu’il grandisse un peu, dit Ezelduin. A sept cents cinquante ans, il serait vraiment temps. Nous jouons un jeu serré, et je vais avoir besoin de vous tous. Gardez la tête froide, c’est trop demander ?

-Pas trop, répondit Nalluin à mi-voix. Mais faites silence, et soyez discrets pendant votre interrogatoire. Les Vents sont ténus, ici. Fragiles. »

Ezelduin opina et reporta son attention sur l’humaine.

« -A nous deux ma belle…

-Où est Liviane ? demanda soudain Taselurn, intrigué.

-Je l’ai mise à l’abri, lui assura Oroferr. Nul danger de ce côté. Elle est à deux cents mètres d’ici, au pied du vieux peuplier. Je lui ai laissé un pendentif pour la retrouver si besoin était.

-C’est stupide, elle peut nous être d’une grande aide, fit valoir Taselurn.

-Elle peut aussi nous causer des complications, répondit Ezelduin.

-On aura besoin d’elle pour tirer le fin mot de cette histoire. C’est elle qui a eu cette intuition.

-Soit ! concéda Ezelduin. Tu iras la chercher si le besoin s’en fait sentir. »

Swegnine se réveilla avec le sentiment désagréable de s’être fait duper. Elle essaya de se lever, mais retomba aussitôt au sol. Elle reprit tout à fait conscience, et réalisa que ses mains étaient liées. Elle était ligotées à un poteau, le poteau central d’une tente. Elle releva la tête et croisa le regard inquisiteur du prince elfe :

« -Bien dormi, humaine ?

-Que me voulez-vous ? Et moi qui croyais les elfes de nobles créatures…

-C’est là une opinion que je partage, s’amusa une voix derrière elle.

-Qui est là ? s’inquiéta t-elle, essayant de voir par-dessus son épaule.

-Mes frères, répondit Ezelduin. Tu es dans notre pavillon. Nous avons quelques questions à te poser, en toute amitié.

-Je suppose que je suis obligée d’accepter d’y répondre.

-Je te le conseille en effet, admit Ezelduin.

-Comprends bien que nous voulons simplement… commença Taselurn.

-Mon frère, le coupa son aîné, quand j’aurai besoin de tes interventions, je t’appelerai. Dis-moi, Swegnine, tu connais Asslanquo ?

-Non. Qui est-ce ?

-Aucune importance. Tu as entendu parler de la Cité Blanche ?

-Quoi, le repaire des adorateurs de Ros ?

-Tu veux dire d’Asslanquo.

-J’ignore qui est cet Asslanquo !

-Admettons. Que sais-tu d’autre sur ces adorateurs ?

-Assez pour m’en défier. Ce sont des elfes, tout comme vous.

-Ils n’ont rien à voir avec nous ! s’emporta Oroferr, en plaquant une main sur sa nuque. Ce sont des parjures, des monstres d’ignominie, des bourreaux sans âmes, des débauchés !

-Que crois-tu que je pense de vous en ce moment ? articula Swegnine.

-Je ne me laisserai pas calomnier plsu longtemps par une mortelle ! s’emporta l’elfe.

-De son point de vue… hasarda Taselurn.

-Sortez tous les deux, ordonna Ezelduin. Maintenant. »

Sa voix était calme, mais glacée, et cette injonction fit frissonner la jeune femme. Derrière ses manières affables se cachait un cœur dur et calculateur, réalisa t-elle. Un caractère bien sombre qu’il valait mieux ne pas réveiller.

Le prince attendit que ses deux compagnons d’armes soient partis pour reprendre son interrogatoire :

« -Quel est ton vrai nom ?

-Swegnine. Et vous, quel est votre vrai nom, prince ?

-Ainsi tu prétends n’être qu’une pauvre humaine prisonnière des orques, une fille du pays.

-Une svedingar.

-Vraiment ? Et noble de surcroit, à en juger par ton arrogance.

-C’est bien possible.

-Une malheureuse femme de haute lignée réduite à la conviction d’esclave, comme c’est triste. Je verserais presque une larme !

-C’est plaisant de railler le malheur d’autrui ? »

Il s’accroupit devant elle, et posa une main sur sa joue :

« -Pas vraiment. Mais vois-tu Swegnine, je m’interroge. Captive de ces barbares, tu ne saisis pourtant pas ta chance de poignarder ton tortionnaire. D’un autre côté, il semble faire preuve de beaucoup de bienveillance pour toi, te laissant parler à sa place en plein conseil…

-Il fait peut-être preuve de plus de franchise que vous ! » rétorqua t-elle, en essayant d’échapper à sa poigne. Mais la main de l’elfe revint se poser dans ses cheveux soyeux.

« -Ou bien est-ce toi qui est reine de duplicité, conclut Ezelduin. Montre-toi sous ton vrai jour tant qu’il en est encore temps.

-Je n’ai rien à vous montrer, frissonna t-elle.

-j’aurais pu encore faire preuve de clémence » regretta l’immortel.

Ses doigts se crispèrent à peine, un soupçon de nervosité. Swegnine bascula la tête en arrière :

« -Aaaah !

-Montre ton vrai visage… » grinça Ezelduin.

( Mon frère, nous en avions conclu. )

Ezelduin eut une moue de gêne.

( Du calme, Nalluin. Tout se passera bien. )

( Je n’ai pas le temps de discuter. C’est toi le maître. )

( Nalluin a raison, mon frère. Tu ne devais pas utiliser la magie pour la faire parler. Tu menaces l’équilibre de nos incantations. )

Ezelduin tourna la tête vers eux, irrité.

( Praestane, ta tâche est d’aider notre benjamin dans ses manœuvres, et non de remettre en cause mes décisions. )

( Je t’aurai prévenu. )

Ezelduin haussa les épaules et posa son autre main sur la tête de sa proie, redoublant d’efforts.

« -Aaaah… Arrêtez ça ! » gémit-elle.

Mais le prince n’écoutait plus ses protestations. Tout son esprit était plongé dans la recherche de cette racine du mal qu’il s’attendait à percevoir, entre les replis de l’âme de l’humaine. Il déchira aisément le peu de conscience qu’elle avait pour plonger au plus profond de ses pensées, sondant ses rêves les plus secrets, recherchant la preuve. Il balaya sans pitié les souvenirs du passé, les événements marquants de sa jeune vie pour aller à l’essentiel.

Qu’elle avoue être une envoyée des Slaqhors. Envoyée là pour faire échouer leurs plans. Bien sûr, une alliance entre elfes et orques était une menace à prendre au sérieux. Et la mort du dragon, ce mercenaire versatile installé au cœur du pays Dimhor, n’était sûrement pas un événement que les Elfes Noirs appelaient de leurs vœux ! Il était évident qu’elle avait été mandatée pour faire échouer ses projets, à lui Ezelduin, prince de lignée royale. Il aurait dû se douter que ses actes ne pourraient pas passer inaperçu, malgré toutes ses précautions.

Quelque chose le dérangeait dans ses investigations. Quelqu’un dans les alentours s’opposait à ses recherches. Il s’écarta de l’humaine, inquiété :

« -Quelqu’un te protège… Il a établi une barrière psychique. Ose nier à présent ! »

Mais Swegnine retomba telle une poupée de chiffon, inanimée. Il eut un tic nerveux qui le fit grimacer. Il lui fallait trouver au plus vite ce fauteur de troubles… Il ferma les yeux et scruta les environs. Il ne tarda pas à reconnaître une aura vive et bouillonnante, non loin de là…

« -Il s’approche… Il va nous voir ! » gémit Nédacié, angoissé.

Il se tourna vers ses gobelins, cherchant une idée pour se tirer de ce mauvais pas. Il s’était réveillé au beau milieu de la nuit, avec un violent mal de crâne. Son bâton, crépitant d’énergie, en ce moment même, avait encore ses nervures parcourues par des larmes de feu. Il avait donc décidé de remplir son chaudron, pour essayer de lire les Vents Magiques et comprendre d’où venait son malaise.

Il avait vite compris que quelqu’un de très proche –et de très puissant- était en train de faire usage de la sorcellerie, et il avait supposé que sa douleur venait de là. Curieusement, dès qu’il avait commencé de s’opposer au sortilège adverse, son mal de tête s’était estompé. Après avoir rassemblé la dizaine de gobelins qui lui servaient d’acolytes, il avait lu les quelques parchemins qu’il conservait encore, et improvisé une contre-attaque.

A présent, le duel mental s’achevait, et il allait le perdre, il en était certain. Chaque seconde, il sentait la conscience de son ennemi s’approcher, tel un loup affamé. Dans un geste de désespoir, il s’empara d’un des gobelins et le tint devant lui :

« -Qu’est-ce qu’il y a ? Chef ? On fait plus de magie ?

-Chhht, on joue à un nouveau jeu maintenant. Ouais, un nouveau jeu.

-Ooooh, dites chef, je sens plein de bizarreries dedans ma tête… Y’a des jolies couleurs et… Regardez chef c’est beau hein ? »

Le petit être avait les yeux grands ouverts et agitait ses mains, tout heureux. Nédacié faisait de son mieux pour camoufler sa présence, et amplifier la résonnance psychique de son esclave. Après quelques instants qui lui parurent des heures, le gobelin cessa de bouger, et devint aussi flasque qu’une éponge.

Nédacié poussa un soupir de soulagement et le laissa tomber par terre. Son plan avait marché.

« -Qu’est-ce qui lui est arrivé, chef ? demanda l’un des apprentis.

-Il dort ! répondit le chaman, exaspéré, tout en se grattant la tête. Laisse-moi réfléchir. »

Il n’avait pas compris pourquoi ni comment, mais il était vivant, c’était l’essentiel. C’était bon à savoir ça. Fallait tenir un gobelin devant soi, et penser qu’on existait pas. On qu’on était le gobelin. Ou les deux.

Aïe ! Ce mal de tête recommençait. Nédacié ne savait pas non plus comment il en avait conscience, mais il se doutait que cette souffrance n’était pas totalement fictive.

« -Y’a un gars qui fait souffrir un autre gars par magie.

-Comment il fait, chef ? piailla un de ses aides.

-Aucune idée Zigba, et ça me rend curieux.

-Oh voui, moi aussi !

-Non Zigba ! Vous restez ici et vous… »

Il réfléchit une seconde, et décida :

« -Ok Zigba, tu viens avec moi. Allez, dépêche-toi ! »

Lien vers le commentaire
Partager sur d’autres sites

Alors premièrement, les passages en noir bof bof :) ( Tiens la critique négative :innocent: ) Limite, tu peux laisser le dialogue au même titre que les autres, ça gênera pas ! Mais en noir, ça fait vraiment trop bizarre.

nier plsu longtemps par une mortelle ! s’em

Oh my god, même une faute :P !!!!

Bon pour le fond, effectivement ça bouge. alors dans l'ordre ( ou pas )

Les elfes qui agissent contre l'humaine. De là, plusieurs points. Ils disent avoir besoin de lui et pourtant l'assomment, tuent le wolfen ( je pense pas qu'il est mort et même en le faisant disparaitre s'il est, l'orc se doutera que c'est eux ) et enlève la fille. Moi, meme si c'est pour mon bien je les tue tous.

Ensuite, nédacié qui rox :clap: Je l'aime avec ses gobs lui. Je voterai pour une présence plus importante dans le récit de ce perso.

Ensuite le mutin, on entend plus parler de lui! Que fait il ?

Ah oui, et l'humaine qui a des pouvoirs magiques, j'y crois pas trop. Je pense que c'est la gentillesse mais si y a pouvoir en jeu, je dirai que c'est ceux du semi orc ! Pas les siens!

@+

-= Inxi, presque constructif pour une fois =-

Lien vers le commentaire
Partager sur d’autres sites

  • 1 mois après...

Argh, après une trop longue pause, voilà donc la suite :

Les deux silhouettes, l’une courtaude et massive, l’autre petite et fluette, s’engagèrent dans le dédale de tentes, de corps emmitoufflés et de paquetages entâssés. Nédacié avait enfoncé aussi profondément que possible son casque sur son crâne, et son acolyte gambadait devant lui, traînant les franges de son costume ridicule dans la boue.

Ezelduin détourna complètement sa pensée de sa captive ; il avait reconnu dans son adversaire le chaman orque qui traînait dans la suite du jeune Navregen. Il fallait couper court à sa curiosité avant qu’il découvre toute l’affaire.

( Darcaluin, tu m’entends ? )

( Très clairement, mon frère. )

( Le chaman orque, là, que nous avons vu tantôt, tu vas l’intercepter. Il vient vers toi. Tu as fini ta tâche ? )

( J’ai jeté la dépouille dans un fossé. On ne la retrouvera pas. Et que veux-tu que je fasse de ce mortel ? )

( Retiens-le, tue-le, débrouille-toi. )

Darcaluin essuya dans l’herbe ses mains salies par la terre et renfila ses gants en cuir. Ses yeux aiguisés n’eurent aucune peine à repérer le duo en mouvement, qui s’approchait dangereusement de la colline où la tente des elfes siégait. Il avala donc en quelques foulées la distance qui les séparait, et apostropha le magicien orque :

« -Salutions, messire. Que venez-vous faire par ici en pleine nuit ?

-Hein, koi ? sursauta Nédacié, se crispant sur son bâton. Ah, je pourré vous retourner la kestion elfe !

-S’é un ga majik aussi, boss ? couina le gobelin.

-Tou lé z’elfes sont majik, grogna le chaman.

-Cela dépend de ce que l’on appelle la magie, corrigea le prince.

-A dir vré, je suis konvinku k’y’a d’la maji dans l’air s’soir. Et j’veux savoir pourkoi.

-Qu’entendez-vous exactement par « de la magie dans l’air » ?

-Vou pouvé pa l’avoir pa senti, y’a un truk pa naturel. J’dirékom un komba, y’a un truk ki souffre…

-Et pis un sorcié ki s’amuz tou plin, s’excita le gobelin.

-Ah oui je vois, assura Darcaluin. C’est moi en fait.

-Vous ? se méfia Nédacié.

-Oui, vous voyez, je m’entraîne à user des arcanes, je crée des projectiles d’énergie que j’envoie sur des cibles inoffensives… Ce genre de choses.

-Kom sur cet arbre ? » demanda le gobelin.

Il tendait son petit doigt crochu vers un vieux tronc noirci qui poussait sur la pente de la colline à moins de dix mètres. Darcaluin observa la plante morte, hésitant.

« -J’voudré bien voir ça, s’amusa Nédacié.

C’est-à-dire, tiqua l’elfe, je ne faisais que m’entraîner, c’était sans importance… Retournez vous coucher, vraiment.

-J’veux voir la maji ki brûle l’arbr’ ! s’énerva l’acolyte peau-verte, en trépignant sur place. Je veux je veux je… »

Il récolta une taloche bien sentie de la part de son maître, qui ajouta pourtant :

« -Fé ta maji, elfe.

-Soit, vous allez voir. »

Darcaluin se plaça face à l’arbre mort, et tendit une paume vers le tronc rabougri. Il aurait pu faire semblant bien sûr, mais si cet orque avait vraiment quelques connaissances mystiques, il s’en rendrait compte. Peut-être qu’avec quelque chose de simple, ce butor serait satisfait ? L’elfe prononça donc quelques mots à mi-voix, et de petits faisceaux de lumière bleue dansèrent autour de ses phalanges…

( Bon sang, Darcaluin, qu’est-ce que tu fabriques ? )

( Je rattrape vos dérapages, frère aîné. Laisse-moi faire. )

Trois rayons couleur de nuit crépitèrent et frappèrent en plein la vieille souche, laissant derrière eux une traînée dont l’odeur rappelait le poisson fris. Le chaman renifla, surpris, puis se gaussa à pleine voix :

« -Ah, c’é tout c’ke tu peux fère, elfe ?

-Je vous ai dit qu’il ne s’agissait que d’un exercice pour garder la forme, rétorqua Darcaluin piqué au vif.

-Mé je peux fère bokou mieux, moi ! Ahr ahr ! »

Il pointa l’extrémité de son long bâton vers la cible, à la grande satisfaction émerveillée de son domestique.

« -Non ! cria Darcaluin, se précipitant pour arrêter son geste. Ne faites pas… »

Dans un cri triomphal, Nédacié se fendit vers l’arbre. Avant que la main de l’elfe ait pu attraper la canne géante, celle-ci avait généré une boule de feu de grande taille, qui se jeta avec violence contre le tronc sec. Ils furent tous les trois projetés en arrière par l’onde de choc, couverts d’une pluie de cendres et d’étincelles.

Darcaluin se relevait, quand il réalisa qu’il était sourd et aveugle. Quelque chose le frappait à la tête et aux épaules. Il se secoua, chassant la poussière de ses yeux. Il recouvra peu à peu ses sens, les formes et les couleurs reprirent cohérence.

« -Haï ! Haï ! J’é mal, boss ! se lamenta le gobelin.

-Fichu temps d’bouz de vache ! protesta Nédacié. K’est-ce ki s’passe ? D’où sort toute c’te flotte ? »

Darcaluin cligna des yeux, et gémit :

« -Oh, par Atthur, non… »

Le ciel était d’un gris anthracite, véritable chappe de plomb recouvrant l’horizon. A deux pas de lui, la forme écrasée de l’arbre finissait de mourir sous les assauts du feu ronflant. Quelque chose tambourinait à ses oreilles, sur sa nuque, son dos. C’était la grêle.

Une grêle froide et dure, une véritable averse de glaçons gros comme des cerises, certains de la taille d’un poing. Ils tombaient à la verticale, serrés les uns des autres, recouvrant le sol d’une épaisse couche de glace pillée. Ses pieds glissèrent sur la poudre verglacée, et il s’effondra de tout son long. Il se redressa avec la souplesse d’un chat, s’accrocha aux rares brins d’herbe qui émergeaient de la boue givrée. En contrebas, il entendait les orques se réveiller en beuglant de rage, de colère, de surprise. Il laissa derrière lui le gobelin à moitié assommé par le blizzard, le chaman déboussolé et tout le reste de la horde sens dessus-dessous. Après de longues minutes de lutte pour ne pas tomber à la renverse, il arriva devant la tente de ses frères.

Une boule d’angoisse lui nouait la gorge. Il n’y avait plus dans l’air le moindre souffle de vent. Les grelons tombaient tels des enclumes, se fracassant sur les toiles éventrées, les coffres, la table. Il chercha dans la pénombre une lueur d’espoir, et reconnut enfin ses frères.

Ezelduin et Oroferr étaient accroupis, et le déluge de neige glacée leur arrivait déjà à la taille. Couverts de boue, ils essayaient de relever leurs trois jeunes frères. Salucare, Praestane et Nalluin gisaient dans le froid, leurs visages hâves, inanimés. Leurs yeux étaient aussi vides et absents que la dimension des Vents autour d’eux. Du sang coulait de leurs oreilles et de leur nez, et des hématomes bleus marquaient leur peau là où des blocs de glace avaient chu.

Taselurn releva la tête à son entrée, et croisa son regard. Il avait dénoué la prisonnière et l’avait enroulée dans sa propre cape, la protégeant du froid. Elle semblait tout aussi morte que leurs trois benjamins, ses cheveux en bataille, les yeux révulsés. Il y avait beaucoup de tristesse et de regrets dans le face-à-face des deux frères, mais ils se turent. Ezelduin ne tarda pas à prendre la parole :

« -Il faut parer au plus pressé. Ramène l’humaine dans sa tente. »

Taselurn ne lui répondit même pas, et sortit affronter l’averse, serrant son paquet contre lui pour le protéger du déluge.

« -Ils sont saufs ? demanda Darcaluin.

-Ils vivront, lui répondit Oroferr, la mine sombre.

-Ce qui s’est passé… bredouilla Darcaluin.

-C’est une catastrophe, opina Oroferr.

-Merci, je l’avais remarqué, cracha Ezelduin. Bien, il ne nous reste plus qu’à attendre que les choses s’améliorent. Cela ne peut plus que s’améliorer !

-Espérons, souffla Darcaluin. Espérons. »

Lien vers le commentaire
Partager sur d’autres sites

  • 5 semaines après...

yop encore un nouveau (et oui) pour ma part je pense que les elfes étaient en train de controller le climat et le fait que le chaman ait lancé un sort à perturbé leur concentration et à engendré ce cataclysme...

A au fait bravo pour l'histoire j'ai trouvé sa géniale

(étant un joueur de wow je m'excuse pour l'orthographe) :D

Lien vers le commentaire
Partager sur d’autres sites

  • 2 mois après...

Après près de trois mois d'absence, je viens rajouter un bout de texte. j'avoue avoir eu, outre une vie IRL très chargée, bien du mal à boucler ce passage, et en général à appréhender la suite immédiate de l'histoire.

La suite :

Quand Navregen releva la tête pour la centième fois, espérant distinguer quelque chose à travers le rideau de pluie, il eut la grande surprise de voir ses espoirs se réaliser : malgré la bourrasque qui rabattait sur son visage les échardes glacées du blizzard, malgré la grêle et l’eau qui se déversaient du ciel noir, malgré tous ces éléments déchaînés, il pouvait enfin voir Holorion.

Holorion, la cité du fleuve, la plus grande ville établie sur le Flot-Vif ; ancienne capitale de tout le Svedingarland, elle était devenue le refuge des Elfes Dimhors. C’étaient entre ses murs que leur peuple s’était rassemblé pour former le plus solide de leurs royaumes, mais aussi le plus menacé.

Ce fut en 11389 que les premiers Elfes vinrent en cette ville Fenri, cherchant un lieu où s’établir ; mais il leur fallut attendre plusieurs décennies pour posséder leur propre terre. En l’an 11957, le royaume Fenri de Lorplace était relégué dans les archives de l’histoire, parmi les très nombreux états détruits que le monde avait connus. C’était cette même année que les Dimhors avaient proclamé l’indépendance de leur cité, et avaient entrepris de restaurer autant que possible une nation vigilante.

Le premier roi d’Holorion, le majestueux Halverion, était issu d’une des plus nobles lignées elfiques. Aesteruial Courbaile Doucimier, son grand père paternel, avait compté parmi les Premiers-Nés, et fut l’un des plus grands capitaines que son peuple ait connu. Halverion avait hérité de sa prestance, de son courage et de son sens de la discipline. Il possédait aussi en lui, au plus profond de son cœur, la fierté et les blessures de son peuple, et cette flamme l’animait avec une énergie que tous admiraient. C’est tout naturellement qu’il fut élu roi d’Holorion.

Un de ses lointains cousins par alliance était à cette époque roi des Havres, dans ces lointaines provinces du Sud de l’Empire. Il entretint avec sa parenté des relations cordiales, et bientôt sa renommée grandit. La nouvelle parcourut le monde, qu’un nouveau royaume elfique était né aux marches des terres habitées, qu’il était le rempart de la civilisation, et que son monarque, le brûlant Halverion, n’avait qu’un seul désir : rétablir la gloire de jadis. De tout l’empire, des Elfes vinrent, eux qui n’étaient plus que des voyageurs sans foyer trouvèrent une nation à aimer et à défendre.

Le royaume Dimhor s’accrut en quelques décennies, si bien que l’impétueux Halverion entreprit bientôt sa première campagne militaire de conquête. Navregen connaissait bien tous ces récits, pour les avoir entendus chaque hiver, à la veillée. Les vieux des clans racontaient toujours les faits et gestes du passé, toutes ces haines et ces amitiés qui déterminaient celles de l’avenir.

A cette époque, le chaif supraime de toutes les Hordes, Grugg Mass’kitu, était un véritable parangon de vertu pour tous les orques. Il avait vaincu le royaume décadent de Lorplace et mis à sac sa capitale, Vergador. Il avait rasé le plus puissant obstacle à la barbarie des peaux-vertes, et ses plans de bataille, c’était une évidence, prévoyaient à court terme de rayer de la carte la glorieuse cité d’Holorion. Mais Mass’kitu mourut, épuisé par ses combats et les blessures terribles qu’il avait reçues au cours du siège final.

Quand la nouvelle de la mort du chef fédérateur des orques parvint jusqu’aux oreilles d’Halverion, il ceignit son heaume de guerre, brandit son épée et courut sus aux tribus orques, encore en pleine discussion pour trouver un successeur au conquerrant. La charge des Dimhors fut aussi soudaine qu’efficace, et leur assaut brutal dispersa les divers clans. Ils en tuèrent un grand nombre, massacrant guerriers, femmes et enfants, et saccageant leurs campements. Par l’épée, ils libérèrent une foule innombrable de prisonniers, Fenris pour la plupart, et leur octroyèrent le droit de traverser leurs terres pour se réfugier plus au sud.

Halverion avait abattu la plus grande menace qui pesait sur son tout récent royaume, mais il avait de l’ambition. Il souhaitait donner plus à son fils en héritage qu’une principauté clairsemée. Dans sa vision, le royaume d’Holorion devait rivaliser de puissance avec le Nord et la Cité des Neiges Eternelles elle-même. C’est pourquoi, sans attendre, il élança ses légions à l’assaut des montagnes de la Grande Barrière.

Les clans orques et leurs anciens donnent des histoires plutôt lacunaires sur cette partie de l’histoire. Les orques n’ont pas pu assister à ce qui se passait dans les Cols Interdits, ni n’ont pu savoir si l’armée elfique avait pu les franchir. Sans doute y parvinrent-ils, car ils restèrent de longs mois loin de tout regard ; pendant cet intervalle de temps, les orques étaient trop occupés à lécher leurs blessures pour saisir l’occasion de contre-attaquer. D’ailleurs, ils redoutaient qu’une armée redescende des montagnes, et cela les effrayait, quelle que soit l’allégeance d’une telle force.

Les Dimhors revinrent en effet, mais ce fut sans leur roi. Halverion était mort au combat, et avec lui la moitié de ses lances ; dirigés par son fils, les Elfes regagnèrent en hâte leur capitale, et ne parlèrent jamais des combats qu’ils endurèrent lors de cette guerre. Des émissaires et espions Slaqhors, de tous leurs contacts avec les Elfes Noirs, les orques n’en apprirent pas plus. Certes, les Immortels sont peu enclins à raconter leurs échecs aux mortels.

Depuis ce temps-là, Madron régnait sur Holorion, avec plus de circonspection et de prudence que son père. Il avait vu ce que la témérité pouvait apporter comme lot d’amertume, aussi restait-il en général réservé et peu audacieux. Son royaume était resté sur la défensive, et avait échappé à la plupart des catastrophes qu’il aurait pu connaître – jusqu’à ce jour.

Navregen considérait que l’épreuve que lui et sa tribu venaient de subir constituait un des plus durs coups du sort de son histoire. Après la grêle de glace, des paquets de neige entiers s’étaient abattus, et ce qui était déjà un sol boueux se changea en un vaste étang glauque, submergeant basses terres, herbes et arbustes, rochers et buissons. Seuls les arbres les plus hauts portaient encore leurs feuilles au-dessus de la ligne de flottaison, et les collines, ça et là, étaient devenues des îlots battus par la pluie. Mais ce n’était pas qu’une inondation. La neige qui dégringolait du ciel par quintaux prenait des couleurs aussi vives que changeantes : elle se colorait d’un rouge rosé, puis passait à un bleu outremer, avait de se changer en un vert émeraude. Tout cela, une fois touché le sol, se changeait en une boue noirâtre poisseuse, qui collait aux vêtements comme du goudron.

En désespoir de cause, la colonne des Plakdefer avait abandonné tout son paquetage, ce qui restait de ses chariots et de ses bêtes de somme, et s’était mise en marche vers Holorion, espérant y trouver un abri sûr. Mais le vent avait forci, et sous le ciel de plomb un blizzard s’était levé. Les rafales renversaient les hommes, projetaient au ciel arbres, pierres et objets, arrachant des mains l’épée ou le bouclier. C’était au prix d’un effort surhumain que leur groupe avait progressé, traversant les vastes étendues submergées, à gué, ou bien à la nage quand cela était possible. En se rapprochant du cours du Flot-Vif, la scène avait pris des allures d’apocalypse. Des milliers de débris étaient charriés par la rivière en crue, dont les eaux claires se mêlaient aux ondes visqueuses du marais géant.

Au-dessus de la complainte lancinante du vent glacé, et du fracas des glaçons se précipitant dans les eaux boueuses de la plaine, un cri montait de tout le pays : le chant de douleur et de désespoir de tout un peuple. Chaque fois qu’ils approchèrent d’un nouveau village, les mêmes chants tristes les accueillirent, et les mélopées couvraient même le rugissement de la pluie. Il était impossible de creuser de nouvelles tombes dans le sol détrempé, qui se transformait en pataugeoire ; et encore moins d’élever des bûchers funéraires. Aussi les Elfes avaient rassemblé leurs morts dans les rares maisons à tenir encore debout, et vivaient recroquevillés sous les porches, dans les étables ou les entrepôts branlants. A en juger par les rangées innombrables de corps emmaillotés de lin, leur nation avait dû subir des pertes considérables. Même Tressolid ou Novlam, certains des Hoborques au cœur le plus insensible, ne purent réprimer un frisson désagréable en passant devant ces bourgades transformées en nécropole. Parmi les Elfes survivants, bien peu semblaient en état de porter des armes. Les guets des cités étaient décimés, certaines avaient les yeux brûlés ou les mains secouées de spasmes. La plupart portaient de profondes zébrures bleues sur leur peau rougie. Chaque fois qu’un nouvel éclair frappait la terre désossée, ils levaient les yeux vers les cieux et se lamentaient.

Pourtant tout cela n’était rien comparé au sort qui était échu à la ville elfique. Toute cette tempête était surnaturelle, bien sûr. Navregen ne savait pas qui avait provoqué cette abomination, mais il savait quoi. La magie, évidemment. Et pour le malheur des Elfes, leur ville avait été bâtie sur des fondations enchantées. Les murs avaient été édifiés par des incantations anciennes, et sur les assises de l’ancienne ville Fenri, les paroles mélodieuses des Immortels avaient dressé des tours élancées. Ils en payaient le prix désormais, et leurs bâtiments glorieux s’effondraient tels des châteaux de cartes.

Navregen vit de ses yeux des lézardes larges comme des fleuves creuser les flancs des remparts et les faire tomber en poussière. Il vit des tours tomber en poussière, des parapets flamber d’un feu bleu intense, et des corps encore gesticulant basculer dans le vide. Il vit des enfers de soufre et de vapeur naître spontanément dans les embrasures des fenêtres, et consumer des quartiers entiers, avant de s’éteindre brusquement. Il semblait que bientôt il ne resterait plus pierre sur pierre de la ville sinistrée.

Seul au milieu du désastre, le palais royal semblait tenir. Parcouru d’éclairs purs d’énergie dorée, foudroyé chaque seconde par des colonnes de feu et de glace, il tenait bon, sa face glorieuse de marbre levée en signe de défi. Une pellicule de lumière parcourait sa surface branlante, mais il résistait à la fureur des éléments, orgueilleux et superbe.

En dépit du grand désastre où ils se trouvaient, les Dimhors remarquèrent bientôt la petite armée en guenilles qui se pressait vers leurs portes, et dépêchèrent ce qui leur restait de sentinelles pour leur barrer la route. Ils ne tenaient certes pas à ce que les peaux-vertes profitent du désarroi général pour investir leurs murs.

Alme Aleam se porta au-devant d’eux, avec sa petite chevauchée. Il ne lui restait guère que la moitié des cavaliers qu’il avait dirigés quelques jours plus tôt. Tous ceux manquant à l’appel étaient morts en l’espace de quelques heures, en hurlant de souffrance. La plupart des chevaux avaient succombé également, ou bien s’étaient enfuis malgré l’amitié qu’ils éprouvaient pour leurs maîtres. Tous étaient certains que les cabales en fuite s’étaient noyées dans le fleuve. Ainsi, le fier capitaine ne commandait plus qu’un détachement d’une vingtaine de combattants à pied. Pour survivre, il avait fallu se résoudre à manger les derniers chevaux encore vivants, en effet la plupart des provisions étaient tombées en charpie sous le torrent qui dévalait du ciel. L’officier lui-même avait pâle figure, secoué qu’il avait été par la tourmente. Son œil droit refusait de s’ouvrir, et il avait perdu le contrôle de sa main gauche, dont l’index et le majeur se croisaient et se décroisaient sans relâche. Il avait dû les bander ensemble pour les tenir en place. Quand à son armure, elle était parcourue régulièrement de décharges électriques, et lui irritait la peau. Il se faisait un devoir de la garder malgré tout.

« -Capitaine Aleam ! s’étonna l’un des miliciens, en baissant son arc ruisselant de pluie. Nous n’espérions plus vous voir.

-Je viens de l’Ouest avec d’accablantes nouvelles, répondit-il en secouant la tête, provoquant une giclée d’eau. L’arrière-pays est terriblement touché par ce mal.

-Comme vous le voyez, dit un autre citadin, Holorion elle-même souffre beaucoup de la tempête. Qui sont ces gens avec vous ?

-Une tribu d’orques que j’escorte. Ils veulent, en tout cas c’est ce qu’ils avancent, faire allégeance à notre monarque.

-Quoi ? C’est folie, capitaine ! Ou quelque piège ourdi par leurs véritables maîtres…

-Je ne crois pas qu’ils servent les Elfes Noirs » estima le capitaine, en grimaçant pour essayer d’ouvrir son œil gauche. Il soupira et renonça à y parvenir.

« -De toute manière, ajouta t-il, ils ne sont pas plus en état de combattre que nous. Et il s’agit aussi de mettre à l’abri non seulement eux, mais toute leur caravane, qui compte nombre d’Humains, de Fenris, de Nains.

-Qu’avons-nous à faire de ces gens là ? » cracha l’un des gardes, en brandissant sa lance. Il le regretta aussitôt, car un éclair la frappa et le projeta à terre, couvert de boue et de brûlures mineures. Alme répondit :

« -Laissez-nous passer. Le prince Ezelduin est avec nous, et le Monarque nous attend. »

Il n’attendit pas la réponse, certain qu’il était que les vigiles s’inclineraient devant de tels arguments. C’est d’ailleurs ce qu’ils firent, et ils se contentèrent de l’escorter jusqu’aux portes de la ville, en jetant de temps à autre un regard méfiant vers les rangs boueux qui se traînaient à leur suite. Ce n’étaient plus vraiment des portes bien sûr, mais plutôt une large brèche dans les murailles branlantes. C’est malgré tout par là que la caravane entra dans la cité.

Modifié par Shas'o Benoît
Lien vers le commentaire
Partager sur d’autres sites

YYeeaaah !

Elle claque la fin ! Et pas seulement parce qu'il y en a un qui se prend un éclair :( Bon alors une bonne partie background qui a le mérite de presenter les elfes. Ca me donne dans l'idée qu'ils vont devenir à leur manière personnages principaux de l'histoire ! Bon je t'"encourage à la suite parce que des orcs en ville, ça donne plein plein d'idées !!! Suite !

@+

-= Inxi =-

Lien vers le commentaire
Partager sur d’autres sites

  • 2 semaines après...

Des orques dans la ville ? Ma foi... Certes j'ai des idées, mais vu l'état des orques et celui de la ville, ils ne vont pas pouvoir faire tout le bazar qu'ils auraient pu souhaiter faire !^^

Voilà la suite :

Navregen ne pensait pas être traité avec tous les égards dus à un chef de clan orque en mission diplomatique, et de toutes les nations auprès desquelles il aurait détesté quémander de l’aide, c’était bien le royaume Elfe de Holorion qui remportait la palme. Il eut néanmoins l’agréable surprise de constater que, malgré une forte réticence, ses hôtes accordèrent à lui et à sa troupe une partie des bas-quartiers de la cité en ruines.

Dans la cohue de la traversée des terres inondées, esclaves et guerriers s’étaient retrouvés plus proches que jamais, ayant eu à affronter les mêmes épreuves. Pour leur éviter de se noyer ou de ralentir la colonne déjà trop alourdie, les tortionnaires avaient brisé les chaînes des prisonniers, et les avaient laissés progresser sans entraves. C’était à ce prix seul que la horde avait pu continuer de marcher, ou plutôt de barboter dans les bourbiers gelés. Le jeune semi-orque n’était pas sans savoir que cela allait poser de nouveaux problèmes.

Couverts de crasse et trempés jusqu’aux os, orques et captifs se trainaient dans les rues, en une longue procession grelottante. Certains éternuaient, d’autres frissonnaient de la tête aux pieds. La plupart se recroquevillèrent dans les vestiges des demeures Elfes, chechant un abri sous un toît effondré, à l’ombre d’une arche brisée ou bien sous un auvent fabriqué à la hâte avec de la toile récupérée. La plupart des peaux-vertes avaient perdu la trace de leurs esclaves, et ne les retrouveraient pas, à moins de déclencher une rixe. Abattus et glacés comme ils l’étaient, il était peu probable qu’ils s’y risquent, encerclés dans une ville ennemie, mais tôt ou tard, ils réclameraient leur dû. Sans compter qu’ils avaient déjà été forcés d’abandonner une grande partie du butin derrière eux, un butin qui avait fini englouti par les eaux.

Navregen passa une main fébrile dans ses cheveux graisseux, préoccupé. Il n’y avait pas que cela, il y avait aussi le problème du temps. Le ciel semblait se dégager peu à peu, en dépit des bouffées de foudre et des boules de feu qui continuaient de se fracasser sur la surface lisse du donjon royal. Il espérait que toute cette débauche d’énergie se calmerait bientôt. Et il y avait encore la question du dragon à régler…

Il vérifia une dernière fois que la sangle de son sabre était bien en place. Pour rien au monde il n’aurait voulu évoluer dans une ville Elfique sans une arme à portée de main. Satisfait, il se tourna vers Swegnine. La jeune femme attendait en silence, assise à l’abri d’une grande couverture tendue au bord d’une hôtellerie en ruines. C’était là que le jeune chef avait établi ses quartiers.

Elle avait le visage blanc et les lèvres violacées, les cheveux démêlés et les épaules abattues. Sa robe déchirée et détrempée témoignait des épreuves que la tribu avait eues à franchir ces derniers jours. Enroulée dans la cape en fourrure d’ours de son maître, elle regardait distraitement la pluie ruisseler sur les pieds disloquées. Malgré sa déchéance et la misère dans laquelle elle vivait, elle semblait garder sa fierté et son orgueil. Il est vrai qu’elle avait du sang Svedingar, et que les Hommes du Nord ne se laissent guère abattre, se rappela Navregen. Il lui fit signe de la main, et elle se leva, docile. La fatigue avait tout de même rabattu un peu de sa superbe, nota le jeune chef.

« -Il est temps d’y aller, lui dit-il, en jetant un regard vers les lanciers Elfes qui marchaient à leur rencontre, serpentant dans la rue entre les flaques. Le Monarque nous attend. »

Elle ne répondit pas mais lui emboîta le pas. Il gardait un œil sur elle, prêt à la rattraper si elle trébuchait, tandis qu’ils progressaient dans le quartier ravagé. Il demanda :

« -Tu te sens prête à une entrevue royale ?

-Après ce que j’ai déjà vécu, je suis prête à tout, murmura t-elle, en gardant le front baissé.

-Ah, vraiment ? »

Elle avait dit cela avec un soupçon de résignation qui le surprenait. A quoi faisait-elle allusion ? Se plaignait-elle des conditions du voyage ? Tout le monde en avait souffert, elle autant que quiconque, songea t-il, renfrogné. Non, elle devait parler d’autre chose, son arrogance lui aurait interdit de se plaindre de problèmes aussi communs.

Des morceaux de maçonnerie se détâchaient des murs des maisons sinistrées, et des morceaux de charpente semblaient glisser lentement vers le sol, dans un sifflement rauque. Des briques et des tuiles s’écrasaient dans les mares brunâtres, projetant des éclaboussures. Des fissures zébraient les façades encore debout, et des cascades d’eau fraîche lavaient les fenêtres brisées, les poutres apparentes, les portes en éclats jetées au milieu de la chaussée. Les égoûts refluaient et l’eau envahissait le moindre espace libre, tandis que les rats et les grenouilles, sautant d’une pierre à l’autre, couraient entre les jambes des marcheurs.

Navregen était guidé par quatre lanciers Elfes de la Garde du Roy. Leur tenue réglementaire semblait être prête à se disloquer, leurs cottes de mailles grinçant à chaque mouvement. Ils portaient de longues lances au fer ouvragé, qu’ils tenaient pointées par prudence vers le sol boueux de la ville. Leurs casques effilés étaient décorés d’une unique rune, symbolisant le pouvoir de leur suzerain. Malheureusement, Navregen ne pouvait la lire.

Ils traversèrent le quartier que les orques avaient investi. Avec toutes les victimes de la catastrophe, nombre de maisons étaient inoccupées, et malgré les dégâts causés à la cité, quelques bâtiments restaient encore debout. C’est là, dans les rares pièces encore au sec, que les peaux-vertes avaient entreposé ce qui leur restait de vivres, ainsi que leurs blessés ou leurs malades. Plusieurs cas de pneumonie s’étaient déclarés, et les blessés souffraient maintenant de gangrène ou d’engelures. D’après les derniers rapports de Deuzelle, une trentaine de membres du clan avaient disparu au cours de la marche forcée, et près de deux cents autres étaient hors de combat suite à leurs meurtrissures.

Du reste, il suffisait de marcher au milieu d’eux pour constater que les Plakdefer n’étaient pas en mesure de mener une expédition d’envergure. Prostrés sous les portiques, à l’abri dans des taudis confectionnés à la hâte en posant des planches sur des murs à moitié éboulés, ils mâchaient des morceaux de pain sec, pansaient leurs jambes contusionnées ou bien attendaient simplement que le temps passe, le regard perdu dans le vague. Sur son passage, quelques-uns jetèrent un regard plein de crainte, de défiance et d’interrogation vers Navregen. Ils attendaient de lui qu’il les sorte de là, bien sûr. C’était son rôle.

Il s’arrêta devant une masure en piteux état, devant laquelle quelques gobelins jouaient avec des microcéphales. Il observa les petites créatures, intrigué.

« -Peau-verte, intervint l’un des lanciers en se retournant, si vous voulez-bien continuer…

-Un instant, je vous prie, lui répondit le demi-sang. Et appelez-moi chef de Clan.

-Très bien, chef de Clan, le Monarque vous a convié en audience, et vous êtes tenu de vous y rendre ; à moins que vous ne préféreriez qu’on vous renvoie hors de…

-Je vais m’y présenter, mais j’ai cru comprendre que rien ne pressait. Votre Monarque a bien des problèmes à régler, et le nôtre peut attendre encore quelques minutes. »

Il tendit le bras vers Swegnine et l’aida à sauter au-dessus d’une mare assez profonde, qui s’était formée dans le dallage inégal de la rue. Après quoi, sa captive à ses côtés, il s’approcha des petites créatures.

Le malheur général ne semblait pas les avoir atteintes, et elles continuaient à jeter des cailloux dans les flaques avec un amusement manifeste. Les microcéphales surtout avaient les yeux pétillants de malice, et ils sautaient autour des gobelins en couinant de joie. Ceux-ci, qui faisaient une tête de plus, s’amusaient à les talocher au passage ou à les pousser dans l’eau froide. Tout ce petit monde se chamaillait dans le bonheur le plus parfait.

« -Que dites-vous de cette marmaille turbulente ? demanda Navregen, un sourire en coin.

-Ils ont bien de la chance de s’amuser, dit Swegnine, lasse.

-Vous avez vu leurs habits ? poursuivit le semi-orque. C’est du tissu fin… »

Voilà ce qui intriguait davantage le chef des Plakdefer : trois des gobelins portaient de longues tuniques rapiécées, cousues grossièrement avec du fil rouge. L’étoffe était épaisse et lourde, et le moindre de leurs mouvements rabattait sur leur tête le capuchon trop grand. Ils gambadaient en piaffant de plaisir, remontant le bas de leurs robes pour éviter de les salir.

« -Ki vous a donné ces accoutrements ridikules ? s’enquit-il.

-Hééé l’autre ! C’é pa dé truk ridikul par le kroc ! Dé bo z’habi d’majik-gob, voilà s’ke s’é !

-Allons, réponds-moi, majik-gob, ki t’as remis ces « beaux z’habits » ?

-Bah c’é l’chaif Nédacié, pardi ! Il en don’plin pour ceusse k’arriv à trouvé l’kaillou ! »

Le petit gobelin avait l’air trop excité pour pouvoir en dire plus, il fit deux galipettes et se cogna la tête sur une pierre ; aussitôt il s’assit par terre en se frottant le crâne et se répandit en jurons et en grommellement chouinards.

Navregen eut un mouvement de désespoir feint et s’approcha de l’entrée de la masure. La porte était arrachée de ses gonds et la lumière changeante du jour éclairait la moitié de la salle. Swegnine se haussa derrière lui et jeta un regard par-dessus son épaule.

Un orque était assis en tailleur au fond de la pièce assombrie, les mains posées sur ses genoux, le buste penché en avant. Il portait des loques épaisses et multicolores, rappelant un arlequin grotesque. Navregen se demanda de qui il s’agissait, quand il reconnut le casque à nasal placé à côté du penseur, ainsi que la longue perche en bois couverte d’inscriptions et d’entailles, posée dans un coin.

Il s’agissait de Nédacié, bien sûr, bien que son visage soit caché derrière un masque de tissu rouge, noué derrière sa tête. Pourquoi il portait ce voile, Navregen l’ignorait. Le chaman leva la tête vers les nouveaux venus, et posa un doigt rugueux devant sa bouche, leur intimant le sinlence. Seuls ses yeux vitreux brillaient derrière son masque effiloché. Il reporta son attention sur le sol devant lui.

Trois bols renversés étaient disposés en ligne devant lui, et un gobelin, accroupi, se grattait furieusement la tête, en poussant de temps à autre un couinement pensif. Navregen observait avec attention la scène. Le petit être était si concentré qu’il ne les avait pas remarqué. Le visage ridé par l’effort de réflexion, il laissa sa main flotter au-dessus des trois récipients, effleurant les coupelles. Il hésita, la posa sur la première, se ravisa en se mordant les lèvres. Finalement, il se décida pour la deuxième, et chuchota :

« -Oh, voui pourvu k’ce soi là, pourvu k’ce soi là… »

Il souleva le bol, son bras tremblant comme une feuille, et écarquilla les yeux de surprise : un caillou blanc brillait sur le sol poussiéreux. Un sourire béat s’étala sur le petit visage anguleux de la créature, qui ne put s’empêcher de s’exclamer :

« -J’é réussi, j’lé fait, yahou ! Vou z’avé vu chaif ? J’l’é fé, j’l’é fé ! »

Il sauta sur place, effectua un salto arrière et commença à courir en rond à quatre pattes dans la salle, poussant des « youpi » et des « hourrah » aigüs. Il finit par se cogner contre la jambe de Navregen et tomba les quatre fers en l’air, déboussolé. Nédacié se redressa en faisant craquer ses articulations, et concéda :

« -C’é vré, tu l’a fé, félicitations. Viens prendre té bo z’habits. »

Le gobelin se releva et courut ventre à terre vers le sorcier, qui ôta de son bras gauche une défroque d’un brun délavé, une vêture rudimentaire qu’il avait cousue maladroitement.

« -C’koi ton nom, apprenti ?

-Krapo Ver, chaif chaman !

-Eh bien, Krapo Ver, tu peux z’être fier de toi par le croc ! »

Le gobelin enfila la robe grossière, s’admira sous toutes les coutures et partit danser dans les flaques, se faufilant sous les jupes de Swegnine qui sursauta, ulcérée :

« -Quel horrible… Diablotin ! » grogna t-elle, en le regardant s’amuser à courir après les grenouilles. Navregen esquissa un sourire, puis vint s’asseoir devant le chaman :

« -On diré k’tu t’amuses bien Nédacié ?

-Bonjour, chaif du klan. Cela n’a rien d’un jeu. Je cherch’dé z’apprentis.

-Tu as en bezoin ?

-Si j’en avais pas eu, j’serais mort à l’heur’ qu’il é. »

La voix du chaman sifflait lourdement, à travers son long masque pantelant. De son oreille gauche à son oreille droite, il cachait tous les traits de son visage, et tout ce qu’on arrivait à distinguer, c’était l’arcade de son nez écrasé, sa machoire inférieure prohéminente et ses yeux, luisant à travers les deux trous déchirés.

« -Tous mé vieu son d’jà mouru, annonça t-il, en tendant la main vers son bâton. Y son tous tombé l’aut’jour. M’en faut d’nouvo.

-Je vois. Et ce masque, c’est nouveau ? demanda le semi-orque. Simple curiosité.

-Jl’enlèverai pas, chaif. Vou konnaissé mon visaj ?

-Hé ! Je t’ai déjà vu sans ton caske, Nédacié.

-Alor j’voi pa en koi c’truk vou jène.

-Non, non, bien sûr… »

Le chaman avait sorti son couteau et traçait des symboles sur son bâton géant. Les dessins sculptés s’entrecroisaient, et par endroits, trois ou quatre dessins se chevauchaient. Comment pouvait-il s’y retrouver ? Après une pause, Navregen grogna :

« -Je vais devoir partir, Nédacié.

-Vous allez voir le Monarque ?

-Ouais, faut tirer des choses au klair.

-Vous z’allez lui parlé du fichu dragon k’a tué vot’père ? »

Navregen acquiesça.

« -Alor, vou voulé toujour le tué ? demanda le chaman.

-Tu me le dékonseillerais ?

-Beaukoup dé Hoborks pensent k’cé fichu d’avance, commenta Nédacié, s’interrompant dans son travail. Qu’en dis c’t’humaine ? »

Swegnine sursauta, surprise qu’on lui demande son avis. Elle observa les deux orques assis par terre, face à face, qui se tournaient vers elle. Elle pensa à Deuzelle, qui avait à maintes reprises hurlé que les esclaves n’avaient pas à donner leur avis. Sans doute lurent-ils dans ses pensées :

« -Tu as le droit de t’exprimer, lui assura Navregen. C’est ta vie aussi dont il est kestion, si on va chasser le ver géant.

-Je… pense que peu de gens sont capables de tuer un dragon.

-Elle n’a pas tort, opina le chaman, en caressant du pouce les fentes dans son bâton.

-Le Klan rassemblé aurait peut-être pu le tuer, supposa Navregen. Mais dans l’état où la tribu est aujourd’hui, j’en doute. »

Nédacié hocha de la tête.

« -Mais toi, chaman, tu ne m’as pas donné ton avis. K’est-ce ke tu en dis ?

-Vous z’avez vu l’jeu ke ce gob’ a gagné ? demanda l’autre à brûle-poupoint.

-Oui, il a trouvé l’kaillou, mais k’est-ce ke ça a à voir avek…

-Retournez lé deux derniers bols. »

Navregen s’exécuta, et renversa les deux récipients. Celui tout à droite cachait un autre caillou blanc. Il ricana :

« -Tu t’es bien moké d’ce petit idiot, vieux renard.

-Pourkoi donk, chaif du Klan ?

-Il y avait deux pierres, il avait plus de chances de gagner ke de perdre ! C’était trop facile.

-Pas vraiment, sourit à son tour Nédacié, en ramassant le caillou. Il n’y en avait k’un kand j’ai fait tourner les koupes.

-C’est impossible, on a tous les trois vu le gobelin en trouver un autre, protesta Navregen.

-Je ne l’y avais pas mis, chaif.

-Alors, tu t’es fait avoir à ton propre jeu ?

-Presk. J’ai moi-même été surpris, puis impressionné, sur ma tête, je ne m’attendé pas à ce genre de tour ! Vous réalizé c’ke ça veut dire ? J’ai bien surveillé sé mins. Il n’a pas pu triché. D’ailleurs, il étai tré stressé, concentré, il n’aurai jamé ozé. Il été persuadé ke d’ce jeu dépendai son destin, il aurai pa pu pensé, il a l’espri tro simplé.

-Où veux-tu en venir ?

-Il voulé tellement trouvé le bon kaillou, chaif, il le souhaitai si ardemment, k’il pouvait pas échoué. Maim en choisissant l’mové bol, vou komprené ? Son n’éspri étai si tendu k’il a créé un kaillou là où il le voulai.

-Mais… C’est impossible ! Un gobelin ?

-Oui, stupéfiant s’pas ? J’ai trouvé un bon apprenti, j’krois bien.

-Heu ! Sans doute… »

Navregen jeta un regard interrogateur vers Swegnine, qui partageait son scepticisme. Qui fallait-il croire dans cette histoire ? Nédacié ne sembla pas percevoir leur incrédulité, et poursuivit :

« -Allé voir le Monark, chaif, mé souvené vou k’un gobelin a réussi l’épreuv, parsk’il le voulai tro pour pouvoir échoué. Si vou voulé tué c’dragon, réklamé sa tête sans z’hésité, ça n’tient k’a vou d’lavoir. Kan on veu, on peu.

-Ce genre de choses marche peut-être pour les passes-passes ou pour les tours de magie, grogna Navregen, je veux même bien croire k’on puisse créer des kailloux par la pensée. Mais de là à tuer un Grand Ver, y’a un pas ke je franchirai pas.

-C’é vou ki voyé. Bonne chansse, chaif. »

Navregen le salua et poussa Swegnine vers la sortie de la baraque. Vraiment, Nédacié n’était plus le même. Le semi-orque regarda une dernière fois le chaman qui recommençait de sculpter sa perche ; le chef des Plakdefer secoua la tête et fit signe aux lanciers impatients. Ils reprirent leur route dans la ville inondée.

Lien vers le commentaire
Partager sur d’autres sites

  • 4 semaines après...

Salut !

J'ai eu un peu de mal au départ parce que passer d'un texte à l'autre, ça m'a donné l'impression que j'avais raté un paragraphe. On dirait que des mois se sont écoulés. Ils passent d'un statut normal à dans la galère ! Bon, sinon, tu prends beaucoup de temps pour commenter ce qu'il s'est passé mais tu as pas beaucoup le choix. Le seul évènement important est que tu as fait une morale qui va peut être redonner confiance à Navregen !

Le chaman leva la tête vers les nouveaux venus, et posa un doigt rugueux devant sa bouche, leur intimant le sinlence.

allez encore !

@+

-= Inxi =-

Lien vers le commentaire
Partager sur d’autres sites

Salut,

je me suis inscrit sur ce forum dans le seul but de pouvoir poster pour te demander la suite de ton histoire ! Eh ouais, un fan de plus ^_^ !

Je joue les orques et gobelins et j'ai vraiment du plaisir à lire l'évolution de toute cette petite armée au fil des mois, vivement la suite :clap: !!!!

Lien vers le commentaire
Partager sur d’autres sites

Merci à tous pour votre soutien moral ! Je ne désespère pas d'en finir avec ce récit, qui promet encore quelques moments forts avant d'entamer la dernière marche vers la conclusion...

Voici une courte suite :

L’état du palais royal contrastait fortement avec le reste de la cité, traumatisée par les événéments récents. Les murs étaient intacts, quoique couverts d’énergie dorée et sifflante ; cela ne donnait pas envie de s’y frotter. Mais en faisant abstraction des nombreux éclairs qui tentaient de fracasser les tuiles courbes, et des grondements omniprésents, la vie à l’intérieure semblait agréable.

Au moins, il y serait au sec, constata le chef des orques en passant les vantaux de la porte principale, toujours escorté du petit bataillon de gardes Custodes Elfes. Il n’essaya pas de retenir le trajet qu’ils enmpruntèrent, le long de couloirs chatoyants décorés de tableaux à l’huile, de grandes tentures en tissu inconnu ou de tapisseries surchargées de couleurs et de symboles. La plupart de ces illustrations racontaient les hauts faits et les étapes de la vie du royaume de Holorion, une saga plutôt courte à l’échelle des Immortels, mais qui s’étalait tout de même sur quelques siècles.

Toutes ces scènes de batailles ou d’entrevues entre rois évoquaient des histoires colportées par les anciens au bivouac, car elles racontaient l’histoire de tout le Svedingarland, à travers le prisme biaisé du point de vue Elfe. Fondation du pacte de Vergador, siège de Teregel par les Corsaires Noirs, désastre du Bois des Murmures… Désastre pour les orques, victoire pour les Elfes, d’ailleurs. Le fils de Karman laissa son regard flotter sur ces scènes glorieuses – ou insultantes pour son peuple – en essayant de deviner à quoi elles correspondaient, tout en prenant garde à ne pas ralentir ses guides. Ils avaient le chic pour se vexer, ces gringalets.

D’autres tapis, suspendus à de grandes tringles en cuivre, ornaient les allées principales du donjon, éclairés par de grands lustres de cristal ou les larges fenêtres ouvertes sur le ciel torturé. Ces tentures-là accusaient un âge bien supérieur, croulant sous le poids des ans. Ce n’était pas qu’elles étaient usées ou décolorées, non, bien que les teintes aient perdu un peu de leur luminosité. Les mailles de la texture s’étaient emmêlées en certains endroits, ou bien effilochées aux coins, mais l’ensemble paraissait bien conservé vu leur ancienneté. Le semi-orque n’était pas un expert tisserand, pour évaluer la date de confection de ces ouvrages, mais il pouvait lire les dates brodées à la main dans le décor, et il en eut le souffle coupé. Si les noms des événements représentés étaient écrits en Elfique, et donc intraduisibles, les chiffres sont universels, et les époques de création de ces œuvres étaient révolues depuis des lustres !

Il entrèrent dans un large hall, à travers lequel allaient et venaient des courtisans en longues toges, des dames en robes à dentelle ou des domestiques en grande livrée ; la plupart s’arrêtaient et le dévisageaient avec méfiance. Navregen ne leur prêta pas attention et tomba en arrêt, frappé à l’estomac par ce qu’il voyait. Au-dessus d’une porte basse en sapin ciré, la plus grande tapisserie qu’il ait jamais vue recouvrait la muraille.

Les couleurs brillaient de l’ocre au bleu marine, en passant par toutes les nances de jaune vif, de vert primaire et de rouge vermillon. Des fils d’argent et d’or parcouraient le dessin et auréolaient les figures principales.

Navregen ne fut pas surpris, en pénétrant dans l’antichambre, de retrouver le prince Ezelduin et trois de ses frères ; ils étaient adossés aux grands murs, ou bien assis sur des bancs sculptés avec art dans du bois blanc. L’orque fut cependant plus étonné de constater que cette humaine, cette ancienne esclave qui avait attenté à ses jours, les accompagnait. Le meneur des Elfes sembla remarquer son regard interrogateur et lança à la cantonade :

« -Nous venons présenter nos hommages au Monarque, et nous emmenons avec nous la suite que nous désirons, rien de plus.

-On va attendre longtemps ? s’enquit le chef des Plakdefer, à brûle-pourpoint.

-Un certain temps en tout cas, évalua Oroferr en dépliant ses jambes. L’étiquette exige au moins deux heures, avant que de pouvoir passer en audience.

-Ridikule ! Après tout le chemin ke nous avons fait, nous allons patienter juste pour la… bienséance ?

-Exactement, répondit sèchement Ezelduin. C’est une marque d’honneur que nous témoigne le Monarque en daignant nous recevoir ; la moindre des choses que nous puissions faire, c’est d’attendre son bon vouloir.

-Ces salamaleks sont plus ke malvenus, déclara Navregen en se laissant basculer contre le mur, les bras croisés.

-On ne s’attendait pas à ce que vous compreniez, dit Darcaluin.

-Allons, pas besoin de se montrer désagréable, intervint Taselurn. A la vérité, Navregen, nous ne sommes pas loin de penser comme vous. En temps de crise, la rapidité d’action est nécessaire, mais nous ne pouvons rien changer à la coutume, tout princes que nous soyons ; du reste le Monarque n’est pas assez fou pour nous faire patienter beaucoup plus avant. Il sait que nous lui apportons des nouvelles de la plus haute importance.

-Ah, vraiment ? s’étonna Navregen. Et de quel genre ?

-Cela, vous le verrez en même temps que lui si vous ne l’avez pas deviné, répondit Oroferr. Elles vous concerne de près et vous le savez très bien.

-Cette histoire de vassalité entre Orks et Elfes ? sourit Navregen, amusé. J’ai peine à kroire un tel projet viable.

-Votre clan et notre royaume ont des antécédents peu encourageants, concéda Taselurn, mais il n’est rien qu’un ennemi commun ne puisse fédérer contre lui. Y compris les plus irréconciliables des partis.

-Puisse la reine t’entendre » ricana Darcaluin.

Ezelduin sursauta à cette remarque, et lança à son benjamin un regard furibond. Ce-dernier prit un air gêné :

« -Oui bon, autant les mettre au courant non ? Pour leur éviter un mauvais pas, ou pire, de se faire mener par le bout du nez.

-K’est-ce enkore ke ces manigances ? gronda Navregen, tout-à-fait méfiant. Je vous préviens, je ne suis pas un pion facile à jouer. De koi s’agit-il vraiment dans cette affaire ? »

Ezelduin tripota le fermoir de sa cape usée, et desserra les dents :

« -La politique est une affaire délicate, et je serais assez heureux si vous me laissiez mener les débats en notre nom à tous, suis-je clair ?

-Très klair, répondit Navregen, en restant à distance de Liviane, soupçonneux. Cependant, cela ne veut pas dire ke je vous obéirai. Répondez à ma kestion !

-Les Elfes n’ont pas tous la même opinion sur ce qu’il convient de faire ou non pour sauver Holorion… commença Oroferr.

-Est-ce vraiment nécessaire ? s’exaspéra Ezelduin.

-Je crois que oui, frère. Maintenant que nous avons évoqué ces difficultés, il serait malvenu de les passer sous silence. »

Ezelduin eut un geste d’impuissance et se rassit, perdu dans ses sombres pensées. Taselurn l’ignora et reprit les explications là où son frère s’était arrêté :

« -Le roi actuel, Madron, a perdu son père autrefois dans une guerre insensée contre les Elfes Noirs. Notre armée s’était alors avancée jusqu’au cœur des terres de la Cité Eternelle.

-Cette histoire, je la konnais, avoua Navregen. Vous faisiez partie de cette ekspédition ? »

Taselurn hocha de la tête :

« -Nous nous en sortîmes saufs sinon indemnes. Ce ne fut pas le cas de nombre de nos compagnons d’armes, et cela porta un rude coup à nos espoirs de conquête. Le monarque Madron, disai-je, est dévenu réservé, prudent, pour ne pas dire timoré. Il répugne à engager nos lances dans des combats incertains, surtout aux côtés des races mortelles, si changeantes et si peu dignes de confiance –oui je sais, cela peut choquer mais il le pense, comme nombre de mes frères de sang.

-Au sens propre comme au figuré, ricana Darcaluin.

-Peu à peu, poursuivit Oroferr, la cour royale s’est scindée en deux partis opposés. Le premier, le parti du monarque, préconisait le retrait du monde, le repli sur soi, et la garde vigilante des frontières. Une politique neutre absolue était leur ligne de conduite.

-Face à ce premier mouvement, développa Taselurn, une seconde branche naquit, et rassembla bientôt de nombreux partisans. D’ordinaire, personne ne se dresse face à l’autorité monarchique, mais ce parti avait une meneuse de poids : la reine.

-La reine ? s’étonna Swegnine.

-Oui, insista Taselurn, en se tournant vers elle. Caelinne au Front Opalin, la Reine d’Holorion, ne partageait pas les vues de son époux. Pour elle, notre peuple exsangue n’aurait aucun profit à se recroqueviller sur ses maigres forces, et encore moins à se couper d’alliés potentiels. Des alliés ou plutôt des pions, facile à déplacer sur l’échiquier du monde.

-Je vois… murmura Navregen.

-Au départ, son point de vue était partagé par peu des conseillers royaux, mais quelques uns des courtisans et des nobles de haute lignée la soutinrent au Grand Conseil. Ce mouvement subversif eut bientôt un bras armé, revigoré par le recrutement d’un certain nombre de jeunes représentants de notre peuple : aventuriers et jeunes Elfes impatients de venger les affronts subis par leurs pères.

-Et vous… Vous avez opté pour le parti de la Reine ? conclut Liviane.

-Ezelduin sourit, de ce genre de sourire désagréable dont il avait le secret :

« -Que pouvions-nous faire d’autre ? ironisa t-il. Nous avons opté pour la meilleure solution, la seuls susceptible de laisser une chance de survie pour notre peuple.

-Notre soutien évident pour les actions de la reine se fit remarquer, renchérit Darcaluin. Et cela permit de gagner la sympathie d’une partie de la cour. Car la reine avait bien besoin d’un bras-droit efficace, qui puisse organiser les entretiens avc nos auxiliaires potentiels, et négocier les traités. C’est ce que nous fîmes. Avec une organisation montée en quelques années, nous tissâmes un réseau d’informateurs, d’émissaires et d’éclaireurs. Nos Elfes, dispersés dans tout le pays, nous permirent d’avoir une place de choix dans les débats de toutes les cités de la région : l’île de Teregel et toutes ses entreprises dépendirent bientôt de notre bon-vouloir, tandis que les villes humaines de la côte réclamèrent bientôt nos avis et nos conseils.

-Evidemment, cette politique ouverte finit par exaspérer le monarque Madron, expliqua Oroferr. Il ne pouvait pas faire grand chose, avec le prestige de notre famille ; notre père n’avait-il pas été Capitaine du Nord, Porteur de l’Etoile d’Aube, du temps où les empires Elfes régnaient sur le vaste monde ? Il toléra donc un temps nos activités parallèles. Nous agissions en notre propre nom, mais tous les gouverneurs et princes mortels considéraient nos paroles comme provenant du roi de Holorion.

Tout cela prit fin peu après, avec la venue du dragon. Il s’appelle Laurion, et c’est un ver très puissant, aux écailles de bronze et au souffle de flammes ardentes. Il a une taille impressionnante, n’est-ce pas ?

-Je m’en souviens très bien, grinça Navregen.

-Oui, vous l’avez déjà vu… Je suppose que votre dernière rencontre n’a pas du être agréable, constata Ezelduin. Parfait, vous le haïssez autant que nous.

-Vous savez d’où vient ma rankœur, mais pourrais-je savoir les raisons de la vôtre ?

-Question légitime, accorda Taselurn. Ce serpent monstrueux a été l’instrument de notre déchéance à Holorion.

-Notre déchéance ! cracha Darcaluin, irrité à nouveau.

-Je m’explique : ce dragon est arrivé, venu tout droit des Terres Draconiques, perdues aux confins sud du monde. Les vents l’ont porté jusqu’ici, à travers tant d’empires et de provinces, et il décida de faire son nid au cœur de notre royaume. Bien sûr, c’était un rude coup pour nous tous. Il commença à dévorer les villages voisins, et finit par opter pour une vieille forteresse Fenri abandonnée depuis des lustres. Il fallait régler ce délicat problème, et finalement, le roi décida de livrer la guerre au dragon.

-Mais la reine prévint ces plans de bataille, le coupa Ezelduin. Elle décida, sur un coup de tête, d’aller au –devant de la créature, et de lui mander de se retirer. Personne ne put faire plier sa décision, dont elle ne fit part qu’à ses plus fidèles collaborateurs, sous le pli du secret. Ne pouvant arriver à la dissuader, je me résolus à l’escorter, et je partis avec mes frères et quelques Elfes de confiance, en sa compagnie.

Nous ne tardâmes pas à retrouver la piste de Laurion, et finalement, à le retrouver. Il était assez majestueux, à la vérité, mais les Elfes peuvent parler aux dragons d’égal à égal. La reine conversa avec lui en nous laissant à l’écart des négociations, chose qu’elle n’avait jamais faite auparavant.

Et elle plia !

-C’est-à-dire ? interrogea Navregen, captivé.

-Entendez par là qu’elle autorisa le serpent à rester sur nos terres, explicita Taselurn. En échange toutefois, de la promesse expresse qu’il ne ferait plus trépasser d’Immortels.

-La belle affaire ! glapit Ezelduin, les poings serrés. C’était une trahison ! »

Il revivait uen fois de plus le souvenir de ces instants d’humiliation, la journée funeste où toute l’influence et le pouvoir qu’il avait réussi, longuement, patiemment, à accumuler à force d’efforts, de chevauchées à travers les plaines, d’explorations hasardeuses, de discussions âpres avec des chefs de village, des maîtres de guilde, des roitelets, des combats menés sabre à la main, des duels de magie relevés et emportés, des complots déjoués, des traversées maritimes entreprises, jusqu’à des îles lointaines, et tant de bons élèves et d’amis fidèles sacrifiés sur la route pour aboutir à ça…

Au triomphe du dragon.

« -Oui, ajouta t-il, livide, la reine, depuis ce jour, est sous la coupe de la bête…

-Vous en faites un peu trop, mon frère, tempéra Taselurn. Elle avait ses raisons.

-Depuis ce jour, ajouta Oroferr, elle délaissa totalement nos efforts et nos entreprises, pour fonder toutes ces espérances sur le dragon Laurion. Elle avait conclu un pacte avec lui, et le ver avait promis de venir défendre Holorion en cas de conflit. Dès lors, nos ambassades et nos voyages n’avaient plus de sens. Nous étions sensés nous incliner, et même nous excuser devant Holorion pour les démarches effectuées, parfois en dépit de sa volonté.

-Le fait est que le dragon combattit effectivement avec nous contre la Horde des peaux-vertes, fit noter Taselurn. Mais les monstres de cette espèce ont un orgueil assez démesuré, et ils constituent de ce fait une lame à double tranchant, frappant aisément ses ennemis comme ses amis, pour peu que cela serve son propre intérêt. En outre, le ver exigeait de grandes quantités d’or en paiement pour ses services. Pas vraiment un salaire, pas vraiment un tribut. Un gage.

-Il faudra bien tuer ce mercenaire à écailles, conclut Darcaluin.

-Pour le salut de Holorion » finit Ezelduin.

A ce moment, les portes de la salle du trône s’ouvrirent à la volée, et tous se levèrent.

Modifié par Shas'o Benoît
Lien vers le commentaire
Partager sur d’autres sites

Arrrrrrgh !

pourquoi nous laisser encore une fois sur notre faim ??!!?? :wink:

J'attends avec impatience la suite pour voir un peu se déméler les complots :wink: de ces chers elfes qui, soit dit en passant, doivent être bien plus complexes et fourbes :) que décrits ci-dessus !!!

Vivement la suite et bonne soirée à tous !

PS: vivement que les orques remettent un peu d'action dans tout ça ^^ :wink:

Lien vers le commentaire
Partager sur d’autres sites

« -Nous nous en sortîmes sauf sinon indemnes.

Et ben ! Il était temps d'une suite !!

Je commence tout de suite par le point négatif : dans la discussion, le fait que certains ponctuent de remarques, même si c'est pas toujours les mêmes, donne l'impression qu'il y a un perroquet. Ca m'a donné l'impression deux fois ! :whistling:

Pour ce qui est du bien, c'est qu'on a une bonne explication d'où en sont les elfes et de la relation avec le dragon. On apprend le deal et un peu de leur histoire sans que ça soit long donc bravo !

Suite !

@+

-= Inxi =-

Lien vers le commentaire
Partager sur d’autres sites

  • 3 semaines après...

Après pas mal de retard, une suite qui m'a donné du fil à retordre. Un passage difficile à écrire, mais j'espère pas trop à lire...^^

Bonne lecture !

Le petit groupe entra dans la haute chambre de la cour, à peine remarqué. Des dizaines de dignitaires avaient déjà pris place, tournés vers l’estrade de marbre où s’étalait le trône royal, sous un baldaquin aux couleurs baroques. Les nobles de toute la province portaient leurs grands habits, brodés d’or et de fils d’argent, et coiffés de diadèmes simples ou de bandeaux de soie. La plupart des Elfes portaient les cheveux longs et libres, à la mode du Nord, mais certains se démarquaient par leurs robes d’un blanc cassé, et leurs armoiries d’or et de pourpre. Leurs coiffures étaient taillées courtes, et agrémentées de longues mèches torsadées passées derrière leurs fines oreilles. Ils venaient du royaume des Trois Ports, ces cités elfiques établies sur la côte loin au Sud.

On comptait aussi des représentants des bastions humains de ces contrées septentrionales, qui avoisinaient Holorion, ou bien qui cherchaient les faveurs de la petite mais puissante enclave Elfique : un ambassadeur impérial, dans sa grande tenue, son chapeau décoré de plumes d’autruche calé sous son bras, restait aussi près que possible du trône, dans la mesure où l’étiquette le permettait à un mortel ; quelques émissaires venus tout droit de l’île de Teregel se serraient les uns contre les autres, essayait de se frayer un chemin avec courtoisie jusqu’aux premiers rangs de l’assistance ; on pouvait remarquer aussi trois Fenris, portant de profondes cicatrices sur leurs visages d’un bleu sombre, et vêtus d’accoutrements confectionnés à l’aide de peaux de loups ou d’ours polaire. Navregen se demandait ce qui justifiait leur présence à la cour royale. Certes, une part non négligeable de la population de Holorion descendait de ce peuple –c’était d’ailleurs la seule terre de la région où leur présence s’était à peu prs maintenue- mais cela ne justifiait en rien leur représentation dans la salle des Audiences, parmi les plus dignes représentants du peuple Elfe Dimhor.

Comme le voulait la coutume, les nouveaux arrivants étaient entrés alors que le monarque écoutait le discours d’un autre représentant. Leur entrée passait pour ainsi dire inaperçue, toute l’attention des courtisans et du roi lui-même étant tournés vers l’orateur. Il était ainsi évident que personne ne comptait vraiment, hormis ceux à qui le suzerain accordait son attention.

En dépit de cela, Navregen nota tout de même un imperceptible changement dans l’assemblée ; quelques personnes présentes tournèrent la tête vers les derniers arrivés, ou bien leur jetèrent un regard en coin. Certains pivotèrent le buste et esqusissèrent un salut ou une révérence effacée. En outre, un certain nombre s’écartèrent sur leur passage, pour aussitôt reprendre leur place, alors que d’autres emboîtaient le pas à Ezelduin, et le suivaient dans sa marche lente mais calculée vers le trône.

Ils arrivaient à vingt mètres du piédestal, et l’orateur achevait sa dissertation. C’était un Elfe d’un certain âge, que les temps difficiles avaient usé plus que le temps ne l’aurait fait. Il portait de discrètes rides aux coins des yeux, qui brillaient toujours d’un éclat brûlant. Ses cheveux d’un noir profond, étaientrehaussés de quelques mèches d’un gris argenté. Sa peau blanchâtre contrastait avec son manteau d’un ocre sombre, tirait sur le rouge vermillon, et son baudrier ouvragé resserrait ses robes autour de sa taille, lui donnant un air guindé. Il parlait d’une voix clair et ferme, et discourait sur les nécessités pour le royaume d’envoyer incontinent des régiments renforcés les positions défensives sur la frontière ouest. Il acheva sa plaidoirie en désignant de la main Ezelduin et sa clique, ce qui eut le don d’irriter un peu plus le prince Elfe :

« -Voyez-le vous-même, Grand Monarque, le prince Ezelduin nous ramène sous cape une tribu déguenillée d’orques en maraude, et Dieu seul sait quels crimes ils ont commis… Mais combien d’autres, autrement prêts et autrement dangereux, peuvent s’ammener à nos frontières ? Je vous ai déjà décrit la triste pitié en laquelle gisent nos armées brisées, il faut remédier à cela, avant que le danger ne se fasse plus pressant ! Je vous en conjure, Grand Monarque, écoutez mon conseil avec bienveillance. »

Darcaluin avait presque envie de rire à gorge déployée. Ce beau parleur était l’un des plus fidèles valets de la Reine, et cela ne le surprenait pas plus que de raison, toute cette mascarade. La noble Caelinne avait appris leur audience, et avait eu tout le temps de faire intervenir le plus éloquent de ses séides, au moment même de leur introduction. Il jeta un regard interrogateur à son aîné, qui haussa les épaules et leur fit signe de rester là. Seul, il s’avança de quelques enjambées, exécuta trois révérences de suite et ignora royalement le discoureur, pour se tourner vers le roi Madron.

Le Monarque était assis sur son trône massif en bois précieux, de biais, dans une posture décontractée, que démentaient les doigts parfaits de sa main gauche qui pianotaient avec impatience sur son accoudoir gauche. Il portait des chausses en feutre couleur or, et des bas de la même couleur, que venaient rehausser les plis de sa longue tunique confectionnée dans le plus fin des tissus.

Il n’y avait pas le moindre espace libre dans ses habits somptueux, sur lesquels s’étalaient ici et là des glyphes mystiques, des symboles royaux tels des disques solaires couronnés de flammes, des mains de justice ou des couronnes de lauriers ; entre tous ces emblêmes étaient martelées les armoiries de sa dynastie, composées de quatre quartiers écartelés de gueules et d’or, sur lesquels venaient s’apposer des Vyverns aux couleurs inversées.

Seul de toutes les personnalités présentes, il portait une arme, une longue épée finement ciselée qu’il tenait par le pommeau de sa main droite, pointe vers le bas. Le fer mesurait plus d’un mètre de long, et portait une double rainure qui serpentait entre plusieurs petites gemmes colorées, enchâssées dans l’âme même de l’arme. Le pommeau perpendiculaire était zébré de spirales creuses et se terminait de chaque côté par une tête de Vyvern, bouche bée, referment ses mâchoires sur une pierre précieuse couleur sang ; le pommeau lui même n’était qu’un diamant étincellant. Contrairement aux apparences, ce n’était pas une simple arme de cérémonie, c’était également le symbole du pouvoir du souverain, et en cas de nécessité, un puissant catalyseur magique.

Madron était redressé et s’appuyait sur le dossier de son siège monumental, le front relevé, l’air hautain, avec une sorte de bienveillance paternelle et de paix intérieure qui stupéfiait. Ses yeux intelligents plongaient dans ceux qui le contemplaient, et l’expression de profonde empathie qui en découlait rassurait. Il était intéressé, appliqué, patient, et écoutait avec application tous les murmures, les bruits, les paroles qu’on prononçait devant lui, qu’on chuchotait à mi-voix ou qu’on n’osait pas proférer en sa présence, mais qu’il devinait malgré tout par sa grande perspicacité, et cette sorte de don qu’il avait pour lire la physionomie de ceux qu’il observait. Son tempérament prudent, pour ne pas dire hésitant, et tant décrié dans comme hors de son royaume, n’était en fait qu’une facette de sa personnalité calme et résolue, qui pesait le pour et le contre de chaque geste, chaque mot, pour obtenir encore et toujours le salut de son peuple.

Après ses révérences, Ezelduin esquissa une génuflexion, sa jambe pliée frôla l’espace d’une seconde et il se releva avec souplesse, pour garder les yeux posés respectueusement sur le menton du roi, évitant ainsi de croiser son regard :

« -Grand Monarque, moi Ezelduin Eanei-Mastalcar, je m’incline devant votre noblesse et votre générosité, et espère que mes salutations vous agréeront. »

Il attendit que le roi lui fasse signe de poursuivre, d’une très légère ouverture de la main droite, et déglutit :

« -Vous n’êtes pas sans savoir que moi et mes frères, vos plus fidèles et dévoués sujets, n’avons cessé de voyager au cours de ces derniers mois pour asseoir le prestige et la puissance de Votre couronne dans tout le pays et ses environs. Quand nous sommes partis de Holorion, nous ne nous doutions pourtant pas qu’en travaillant ainsi aux intérêts de Votre Altesse, nous reviendrions en de si tragiques circonstances ; nous ne soupçonnions pas non plus quels caprices du destin nous guettaient, pour nous amener au curieux équipage où Vous nous trouvez aujourd’hui, à Vos pieds, et prêts à Vous servir comme par le passé. »

Après ce préambule plein de réserve et de déférence, il se décida à entamer le récit de ses nombreuses aventures :

« -J’emmenais donc avec moi mes six frères, parmi les meilleurs de Vos fidèles sujets, dans le but avoué de rejoindre les cours de Teregel, de Vergador et, nous en nourrission l’espoir peut-être même de Cramdlillvord, pour attirer l’attention des Hommes sur les dangers croissants pesants sur les épaules de Votre pays. En particulier… »

Navregen essayait d’écouter le discours de l’Elfe, car il avait soif de connaître ce qu’il avait réalisé et accompli avant qu’ils ne se rencontrent. Le semi-orque partait du postulat qu’Ezelduin ne raconteraitque la vérité, ou du moins presque la vérité, devant un tel auditoire : il n’y avait ici que des personnes qui le cotoyaient depusi longtemps, et à qui il aurait eu bien de la peine de cacher les faits, et puis il parlait à son suzerain. On disait que les Elfes respectaient encore plus leurs supérieurs que les autres races… !

Pourtant, quelque chose déconcentrait le chef des Plakdefer. Il y avait un élément qui lui échappait dans cette scène impériale, où tant de hauts visages et de costumes délicats lui donnaient le tournis. Par-delà ces apparences de soie et de broderie, quelque chose, quelqu’un attirait son attention, si bien qu’il n’entendait même plus la voix du prince Elfe relater ses exploits passés.

Navregen tourna la tête et chercha dans l’assistance la source de son trouble. La contrariété l’envahit, puis se changea en nervosité, en dépit, en exaspération. Il tenta de calmer sa respiration, d’apaiser son esprit, rien à faire. Il sentait le cours de ses pensées s’emballer. Tous ces individus, plus splendides les uns que les autres dans leurs grandes tenues d’apparat, étaient le symbole même de la civilisation raffinée mais méprisante des Elfes. C’étaient eux qui avaient été l’âme de la résistance du Svedingarland, pendant toutes ces années, ces siècles même. Plus encore, c’étaient des Elfes également qui avaient poussé les chefs des clans à se ruer sur les armées de l’Empire Fenri.

Les Slaqhors, les Elfes Noirs, avaient toujours su profiter des conquêtes ou des défaites des chefs Orques, et les rivalités entre tribus faisaient le jeu de la Cité des Neiges Eternelles. D’un autre côté, les revers de fortune des peaux-vertes avaient toujours abreuvé les moqueries et les ambitions des Dimhors, qui avaient ainsi bâti un royaume sur les berges du Flot-Vif. C’étaient eux qui avaient causé la chute de sa propre tribu, et la mort de son père ! Il sentait la rage monter en lui, et le sang aveugler sa vision. Ses poings serrés tremblaient de colère contenue, et il fit un pas, un simple pas en avant.

Ce geste ne passa pas inaperçu, et nombre des courtisans et des dames de la cour se tournèrent vers lui, intrigués, surpris, outrés par son attitude irrespectueuse. Ne venait-il pas d’interrompre un discours que le Monarque écoutait ? Oroferr se mordit les lèvres, désespéré, tandis que Taselurn posait la main sur l’épaule du chef Orque, essayant de le retenir en arrière, et soufflant à mi-voix :

« -Que faites-vous, malheureux ? »

Des murmures de désapprobation fusaient à droite et à gauche, et déjà des rictus de dégoût apparraissaient ; les Gardes Custodes s’approchèrent lentement, prêts à intervenir, et les fers aiguisés de leurs longs fauchards n’auguraient rien de bon.

Mais Navregen n’en avait cure. Il avait trouvé la source de son tourment intérieur, et ne faisait plus attention qu’à elle.

Elle se tenait en retrait derrière le trône royal, presque cachée par le gigantesque fauteuil sculpté en bois précieux. Elle portait une longue robe de tissu fin et lumineux, bordée de dentelles et décorée de longs flots de tissu chatoyant. Ses escarpins dorés répondaient aux bracelets d’or et aux reflets étincellants de ses doigts couverts de pierreries, bagues et autres bijoux de haut prix. Un collier serti de diamants du plus bel éclat rehaussait la beauté de son buste fier, et son visage à la fois sévère et délicat transpirait la superbe. Elle avait de longs cheveux blonds coiffés en tresses, et couronnés d’un diadème évoquant une couronne de lauriers recouverte de glace. Ses yeux plissés et sanguins, d’une pureté surnaturelle, brillaient d’une tendresse feinte, mais son nez droit, sa bouche ferme, sèche, témoignaient d’une force de caractère indomptable.

La reine lui renvoyait son air de défi, avec une assurance qui le confondait, mais ne faisait qu’accroitre sa rage. Il lui semblait qu’elle se riait d’elle, et qu’elle se disait en pensée : voilà une bien curieuse bête, qui vient se présenter ici au lieu de rester à l’écurie. Il gronda, déouvrant ses dents carnassières. Il saurait lui faire rendre gorge !

Oroferr et Taselurn suivirent son regard, et remarquèrent la Reine. Ils saisirent ausitôt ce qui était en train de se produire. Il la contemplèrent en silence, la mine consternée. Elle tourna la tête, et fit mine de parler à un haut dignitaire qui se tenait à sa gauche. Le sort se rompit, et Navregen secoua la tête. Il venait de prendre une douche froide, et des échos de rires et de sifflements résonnaient encore dans sa cervelle fatiguée. Il observa avec surprise ses poings crispés, mais se laissa attirer en arrière par les deux Elfes.

Tout cela s’était passé très vite, et il ne sut que répondre, quand Swegnine lui chuchota :

« -Mais enfin qu’est-ce qui vous a pris ?

-Ce n’est rien, répondit pour lui Taselurn, énigmatique. C’est passé. »

Il posa un doigt sur ses lèvres, leur intimant de faire silence.

Ezelduin, quoique un instant troublé par la résonnance psychique du duel mental qui avait eu lieu à quelques pas de lui, n’avait pas interrompu son flot de paroles ; il aurait fallu bien plus pour perturber la déclamation d’un prince Dimhor de son envergure ! Il mena donc son exposé jusqu’à sa conclusion, puis rejoignit sa place à reculon, évitant toujours de croiser les yeux de son suzerain. Il se passa de commentaire, mais jeta un regard entendu à ses frères.

« -Alme Aleam » poursuivit le monarque.

Il venait de repérer ledit seigneur, qui cilla, honoré d’être appelé à parler en seconde place. Le capitaine s’avança et mit genoux à terre, lui aussi :

« -Grand Monarque.

-Vous avez escorté ces voyageurs depuis Fort-la-Hire ?

-Pas tout à fait, Votre Altesse. Je me suis porté au-devant d’eux pour prévenir leurs déprédations. J’ai cru bien faire.

-C’était une excellente initiative, capitaine.

-Merci, Votre Altesse. A présent, je demande Votre assentiment pour me laisser retourner à mon poste.

-Vous vous inquiétez pour vos hommes ? demanda Madron.

-Pour ma femme également.

-Je comprends cela, mais je ne peux pas vous laisser repartir. Les défenses de la ville sont en ruines et nombre de nos soldats sont tombés en une nuit. Il est vital pour Holorion que vous demeuriez ici, avec ce qu’il reste de votre cavalerie. Le royaume compte sur vos efforts pour l’aider à se tirer de cette mauvaise passe.

-Je comprends, Grand Monarque, et je suis très honoré par la confiance que Vous daignez me porter. J’espère m’en montrer digne. »

Il rejoignit son rang dans l’assemblée, cachant au mieux son dépit. Le roi ne bougea plus, mais Navregen comprit que c’était à lui de s’avancer. Madron n’allait pas s’abaisser à réclamer l’intervention d’un Orque, mais il lui laissait l’occasion de s’exprimer. Le chef des Plakdefer ravala son irritation et s’approcha, gauche du trône.

« -Pas si près » susurra Taselurn, plus blanc qu’un cierge.

Navregen s’arrêta à dix mètres et ploya la jambe gauche, s’agenouillant avec respect. Puis gardant les yeux rivés sur le dallage polychrome, il nota de sa voix bourrue :

« -Roi Madron, c’est un grand respect ke je Vous témoigne en venant ainsi me présenter devant vous, humblement, malgré le mal ke vous avez fait à mon peuple et à ma tribu, Vous et vos guerriers. »

Ezelduin se mordit la langue et étouffa un juron. C’était un fort mauvais compliment, et un préambule peu indiqué à vrai dire. Le Monarque haussa un sourcil interrogateur, mais ne répondit rien et le semi-orque continua :

« -Je suis venu avek les miens dans l’espoir ke nous trouvions en Vos états des dispositions plus amikales ke par le passé, Altesse. On m’a laissé entrevoir la possibilité d’un établissement sur vos terres du nord, en échange de nos services. Je suis prêt à devenir votre vassal, pour servir Votre honneur et le mien.

-Vraiment ? demanda Madron, ne cachant plus son amusement. Quel est votre nom, illustre intercesseur ?

-Navregen des Plakdefer.

-Et peut-on savoir qui vous a fait une telle promesse ?

-Le prince Ezelduin lui-même » répondit Navregen, toujours courbé.

Le roi sourit et porta son regard pénétrant sur l’intéressé.

« -Grand Monarque, intervint celui-ci, ces mortels sont…

-Ezelduin Eanei-Mastalcar, le coupa le Monarque. Laissez-les se justifier eux-mêmes, car c’est à eux que je parle, et non à vous. »

Ezelduin s’inclina profondément et recula en arrière, se mordant la langue. Il avait détesté ça, et ce freluquet bouffi par son propre orgueil le lui paierait. Le rabrouer en présence de toute la cour aussi vertement… Il l’avait mérité, mais il ne l’oublierait pas.

Navregen reporta son attention sur le souverain, et s’éclaircit la voix :

« -Avec votre permission, Sire…

-Grand Monarque, corrigea le chambellan placé à la droite du roi.

-Grand monarque, je suis venu vous rapporter un oriflamme, trouvé sur un champ de bataille le long du Flot-Vif. Voici l’étoffe. »

Il entr’ouvrit son pourpoint et en sortit un petit paquet de cuir, qu’il tendit en direction du monarque. Un de ses écuyers s’empara du colis et le montra à Madron, qui le défit. En frôlant le colis, il avait aussitôt senti que rien de malveillant ne l’y attendait. De tels examens étaient une fatigue pour l’esprit, mais une nécessité en ces temps troublés. Une longue bandelette de tissu se déroula sur ses genoux. Elle était salie en plusieurs endroits de taches de sang, mais le symbole royale était bien visible, brodé à la main en fil d’or. Il garda le silence un long moment, faisant glisser ses doigts sur l’étoffe. L’écho de la guerre était encore palpable, prisonnier entre les mailles usées.

« -Dans quelle circonstances l’avez-vous acquise ?

-A l’orée d’un bosket d’arbres. »

L’assistance sembla sursauter à l’accent bourru orque qui refaisait surface, mais le monarque l’encouragea :

« -Pouvez-vous nous en dire plus long ?

-Nous avons trouvé un champ de morts, votre majesté. Ce n’étaient pas des Elfes, mais plutôt des Fenris, à ce qu’il m’a semblé. Malheureusement les corps étaient méconnaissables. Certains étaient décapités, mais la plupart avaient encore les traits figés par leur lente agonie. Ils étaient déchiquetés, démembrés ; leurs articulations étaient broyées, leurs poitrines en lambeaux…

-Majesté ! s’emporta le chambellan. Faut-il vraiment des détails aussi crus ?

-Allez au fait, ordonna le roi.

-Bien, Votre majesté. A l’ékart, nous avons retrouvé ce ki avait dû être le dernier karré des défenseurs. C’est là ke nous avons dékouvert cet oriflamme.

-Qui avait tué ces tragiques défunts ?

-Des Belluaires, à n’en point douter.

-Vous semblez en être certain ?

-Une bande de ces bêtes impies rôdait dans la région, nous avons eu affaire à eux. Et j’ai pensé k’ils étaient certainement les responsables de ce charnier. C’est dans leurs manières.

-Oui, c’est un raisonnement sensé… »

Le roi tendit d’un geste las l’étoffe à sa femme, la Reine, qui la prit dans ses mains d’ivoire. Toutes les oriflammes étaient cousues sur son métier à tisser, et elle se souvenait de chacune d’elles. Elle reconnut celle-là sans difficultés :

« -Nous l’avions donné au général Cœur-sans-Gris, Grand Monarque. Il est parti depuis trois semaines seulement, dire qu’il a déjà quitté la vie d’ici-bas… »

Swegnine observa avec attention la souveraine, et fut surprise de constater qu’elle-même vouvoyait le roi, et ne lui parlait qu’avec déférence. Même si elle n’était pas contrainte à tout ce cérémoniel pompeux pour prendre la parole, courbettes et autres génuflexions, elle tenait un rang nettement inférieur à celui de son mari. Elle s’attendait à mieux de la part de la femme décidée qu’Ezelduin leur avait décrit. D’un autre côté, elle pouvait comprendre qu’un esprit combattif, contraint à la discrétion en public, puisse ourdir de vastes machinations dans les coulisses.

Mais c’était tout ce qu’elle pouvait discerner du personnage fascinant et inquiétant de la reine Caelinne. Elle avait évoqué la mort de ce général Fenri avec une tristesse ostensible, mais chacun ici avait compris que la vie de mortel ne comptait pas vraiment à ses yeux. Elle avait récupéré un bout de tissu, voilà tout. Quel détachement, quel manque de pitié ! Etait-ce du à son statut de reine, à son état d’immortelle ? A son caractère intransigeant, ou à ce prétendu maléfice que le dragon lui avait jeté, d’après le prince Ezelduin ? Swegnine nota que, malgré sa beauté subjuguante, la souveraine Elfe était sans doute plus dangereuse pour eux que les sept princes réunis ! Et elle se surprit à vouloir se rapprocher d’Oroferr et Taselurn, malgré cette fameuse nuit…

« -Vous dites avoir eu affaire à ces Belluaires, reprit Madron de sa voix théâtrale, qui vibrait d’accents chaleureux et encourageants. Pouvez-vous nous en dire plus ?

-Nous avons renkontré ces kréatures kelkes jours plus tard, Grand Monarque, expliqua Navregen en se rappelant ces instants si proches et pourtant si lointains à la fois.

-J’imagine que l’affaire fut peu engageante, le poussa Madron en se penchant légèrement en avant, de manière à observer de plus près son interlocuteur.

-Ce fut un kombat d’une rare intensité, se remémora Navregen. Mais j’ai fini par tuer leur chef, et la kestion fut réglée. »

Madron avait peine à croire que la situation se soit déroulée de manière aussi simple, mais il ne décelait pas de fausseté dans les paroles du semi-orque. Il rabroua le peu d’estime que ces révélations faisaient naître dans son esprit et aborda un autre sujet :

« -Il me semble que vous n’êtes pas tout à fait Orque, chef Navregen. C’est bien de ce genre de titre que vous usez parmi ceux de « votre » race ?

-En effet, grogna Navregen. Je suis semi-homme, et chef du Klan des Plakdefer.

-En d’autres termes, vous êtes la croisée de deux mondes, résuma le roi. Et vous représentez donc votre tribu, les Plakdefer, c’est bien cela ?

-Je les dirige, corrigea Navregen. Exaktement komme Vous dirigez Elfes et Fenris dans cette ville. J’ai amené mon Klan ici pour trouver un akkord entre nos deux peuples.

-Et je vais donc traiter d’égal à égal avek vous ? railla Madron.

-Si vous le souhaitez, répondit l’autre avec insolence. Nous Vous demandons des terres en échange de la paix. Nous kombattrons pour vous au lieu de nous battre kontre vous.

-Ainsi donc vous daignez vous mettre à mon service, ironisa Madron en s’adossant à son trône. Et qu’exigez-vous en échange ?

-La tête du dragon.

-Je suppose que… Vous voulez parler de Laurion, devina le Monarque. Et pourquoi accepterais-je un tel marché ?

-Rien ne vous y oblige, concéda l’Orque.

-Dans ce cas, notre conversation est terminée. »

Navregen releva la tête, exaspéré, les machoires crispées ; Madron conclut :

« -Nous agirons dans l’intérêt de notre royaume, chef Navregen des Plakdefer. Nous aurons l’occasion de vous aviser des décisions que nous aurons prises. »

Navregen hocha de la tête, et se retourna pour revenir se poster entre Ezelduin et Swegnine. Ce-dernier, surpris que Madron ait tolérer tant de mauvaise tenue, ne put réprimer un dernier reproche :

« -Ne jamais tourner le dos à son Altesse, bon sang ! »

Navregen haussa les épaules et demanda sur le même ton :

« -On reste ici à attendre la fin de ces salamaleks ? »

Oroferr secoua la tête, dépassé par l’irrespect du semi-orque, et décida que dans l’intérêt de tous, ils feraient mieux de quitter les lieux rapidement. N’importe lequel des courtisans pouvait décider de leur jeter un défi pour venger les nombreux affronts faits à leur suzerain, et ils n’avaient malheureusement pas de temps à perdre à ce genre d’occupations. Ils s’esquivèrent donc par une porte discrète sur un côté de la Haute Salle, et rejoignirent les couloirs ornementés du palais.

« -Ce n’est pas plus mal d’avoir quitté les audiences plus tôt que prévu, supputa Taselurn, optimiste. Nous allons avoir plus de temps pour préparer notre prochain voyage.

-Ki vous mènera… ? s’enquit Navregen.

-Qui NOUS conduira à l’antre du dragon, corrigea Darcaluin. Oui, vous m’avez compris.

-Vous êtes donc certains de pouvoir arriver à fléchir les décisions du roi ? demanda Swegnine, surprise par tant d’applomb.

-Ce n’est pas tant le Grand Monarque qu’il faudra convaincre, mais sa diable de femme, expliqua Oroferr.

-Je ne goûte guère ce langage, protesta Taselurn. C’est notre reine.

-Est-ce encore elle ? s’interrogea Ezelduin à haute voix, tout en guidant leur marche dans le dédale de corridors du vaste donjon.

-Tu sais bien que oui, riposta Taselurn. Quels qu’aient été discours du Ver, elle n’est pas hypnotisée que je sache !

-Nul ne sait dans quelle mesure. Mais peu importe ; pour répondre à votre question, messire Navregen, oui, je suis persuadé que nous obtiendrons l’autorisation royale d’aller pourfendre ce serpent monstrueux.

-Je ne demande ke cela, répondit Navregen.

-Dans ce cas... Nous arrivons dans le hall d’entrée, messire. Nous allons donc vous laisser ici. Nous vous tiendrons au courant. »

Navregen jeta un regard plein de défiance au prince Elfe, mais hocha de la tête et entraîna Swegnine vers la sortie, passant en trombe devant les lanciers de faction. Liviane les regarda franchir la herse et doubler les portes bardées de fer, puis emboita le pas des quatre Elfes. Dans cette vaste demeure regorgeant de conseillers flatteurs, de gardes en armes et de sorciers mystérieux, c’étaient les seuls à qui elle estimait pouvoir faire confiance ; parce qu’ils avaient témoigné devant elle d’autant de dégoût pour les orques qu’elle. Cette alliance qu’Ezelduin avait promise au chef des peaux-vertes, elle savait que même lui n’y croyait pas. Dans son esprit, la tribu des Plakdefer était un pion à jouer. Elle se demanda quel rôle elle était sensée jouer dans les machinations du prince Dimhor, mais repoussa cette idée désagréable. Elle leur faisait confiance, jusqu’à un certain point. Elle vérifia avec discrétion qu’elle pouvait bien toujours sentir le manche du poignard glissé sous sa robe.

Modifié par Shas'o Benoît
Lien vers le commentaire
Partager sur d’autres sites

Bien ! Vraiment !

J'ai eu un peu de mal à la reprise surtout qu'on arrive directement au passage où ils négocient. Il y a plein de monde et hésite pas à rappeler qui sont les personnages plus que par leur nom uniquement. Ca permettra de bien remettre les choses en ordre et de ne pas oublier qui est dans quel camp.

Ou il est le loup ? je le reveux !

@+

-= Inxi =-

Lien vers le commentaire
Partager sur d’autres sites

Ahhhhhh !

Voilà la suite tant attendue !

Le début est un peu bizarre, j'ai eu un peu de mal à suivre mais après, tout redevient clair ! Génial ! J'aime bien l'attidude du semi-orque qui, malgré tout, conserve bien ses manières "orquestes" :crying: , même face aux gracieux elfes. Bref, vraiment agréable à lire !

Petite question : A quand une nouvelle baston X-/ ? (encore quelques-unes avant le dragon j'espère) et vivement que le mage et ses apprentis gobelins viennent nous montrer leurs progrès ! :P

Encore bravo :P et . . . vivement la suite !

Lien vers le commentaire
Partager sur d’autres sites

  • 4 semaines après...

Oulah presque un mois ! Voilà une suite avec encore pas mal de discours pour peu d'action ( ça reprendra un peu après, on arrive lentement vers la dernière partie de l'histoire ).

Voilou la suite :

Une journée entière avait passé depuis leur retour à leur capitale. Depuis tout ce temps, le climat commençait seulement à présenter de discrètes éclaircies. Il jeta un œil par la fenêtre grillagée et observa la pluie ruisseler sur les barreaux grossiers. Il avait connu des abris bien pires au cours de ses voyages, mais il espérait trouver mieux à son retour à Holorion qu’une bicoque des bas-quartiers :

« -Je ne comprends toujours pas comment tout cela a pu se produire.

-Tu le soupçonnes autant que moi, lui répondit Taselurn, d’un air entendu.

-Qu’est-ce que tu veux dire ? vitupéra Ezelduin.

-Nous avons concouru à cette explosion de dérèglements, si nous ne l’avons pas provoquée, dit son cadet.

-Que sous-entends-tu, grand génie ? Eh bien vas-y, parle, nous t’écoutons ! Nous avons précipité notre royaume dans la ruine, et sciemment en plus. C’est cela ta pensée ?

-Pas exactement…

-Il n’a pas tort, renchérit Oroferr, en se raclant la gorge, mal à l’aise. Si nous n’avions pas tenté de contrôler le climat, nous n’en serions pas à…

-Nous avons fait ce qui nous semblait indiqué à ce moment, rétorqua leur aîné. Vous saviez très bien comme moi que le temps pressait et que les Hordes des Orques se rassemblaient à nouveau pour une revanche. Il fallait absolument que le sort du Grand Ver soit réglé, avant que les Peaux-Vertes puissent monnayer ses services.

-Nous n’étions pas obligés de recommander à la moitié de nos partisans de se lancer dans ce genre d’incantation. Ce sort était beaucoup trop complexe…

-Si nos frères pouvaient parler, ils ne seraient pas de cet avis. Ils parlaient de ce projet avec une telle ferveur. Nous l’avions préparé pendant près d’un an, en nous appuyant sur les travaux de nos prédécesseurs. Nous avions mémorisé avec soin des écrits poussiéreux, et fait ressusciter des parchemins qui étaient tombés dans l’oubli depuis des lustres. Chacun de nous avait appris les passages les plus importants, les phrases charnières, pour prendre le relais si besoin était. Tout était orchestré avec soin. Et quand nous sommes partis, près de cinq cents mages canalisaient leurs pouvoirs pour repousser le mauvais temps. Imaginez ce que la guerre serait devenue si nous avions réussi à contrôler les nuages et la neige. Nos chers frères étaient enthousiasmés par ces glorieux espoirs. Ils seraient prêts à recommencer l’expérience !

-Pour l’instant, ils gisent entre la vie et la mort, répondit Oroferr, en tournant la tête vers leurs couches. Nul ne peut parler en leur nom.

-Moi je peux, corrigea Ezelduin, sur un ton sans appel. D’ailleurs, nous ne sommes pas les seuls à avoir provoqué ce cataclysme. Les Vents de Magie étaient saturés depuis des années. Tout le monde en parlait à l’Académie.

-C’est vrai, reconnut Darcaluin. Les mages ne parlaient plus que de cela, ces temps-ci. D’ailleurs, la plupart des Dimhors ne se privaient plus de la magie. Autrefois, c’était un don du ciel. Mais dans notre royaume, c’était devenu un outil quotidien.

-Tout ceux qui ont été frappés, poursuivit leur aîné, ils utilisaient les Vents au moment crucial. Ils ont concouru autant que nous à ce phénomène, et ceux qui en sont morts étaient responsables. Ils avaient eux-mêmes abusé de leurs pouvoirs.

-C’est très réducteur, protesta Oroferr.

-Mais pas totalement erroné, avoua Darcaluin.

-Assez perdu de temps à tergiverser, trancha Ezelduin, à bout de nerfs. Nous avons tout intérêt à nous reposer l’esprit d’ici à ce que nous reprenions la route. Il nous reste encore quelques tâches à accomplir avant de pouvoir souffler, et j’entends que nous menions notre dessein à terme, sans accroc.

-J’ai prévu ce qu’il nous faudrait pour supporter la dure nécessité qui nous envahira au cours du voyage de reconnaissance dans le Nord, annonça Darcaluin. J’ai été voir l’Académie, et ils m’ont remis le nécessaire. Tu n’as plus à t’en faire pour cela, mon frère.

-Excellente initiative, opina son aîné. As-tu réussi à obtenir de leur part quelques garanties d’aide pour le reste de nos réalisations ?

-Il faut le demander à notre frère Oroferr, c’est lui le Mage Ensorceleur, pas moi.

-Oroferr ?

-Hélas, répondit ce-dernier, ils sont tout occupés à la consolidation du passage des Vents.

-Il fonctionne très bien, ce passage ! Nous avons vu des ambassadeurs des Trois Ports pendant notre audience.

-Les chemins à travers les dimensions de magie ne sont pas sûrs, et presque tout le réapprovisionnement de la cité transite par ces sentiers versatiles. Les mages ne prendront pas le risque d’épuiser leurs forces dans quelque autre tâche.

-Si je comprends bien, nous sommes désormais seuls, conclut Ezelduin.

-En tout cas, privés de ce soutien.

-Dans ce cas il ne nous reste plus qu’à apaiser nos âmes fatiguées. Nous avons une nuit pour recouvrer nos forces. Ce ne sera pas de trop. »

Taselurn resta quelques minutes supplémentaires à méditer devant le feu fatigué. Il se demandait comment la soirée se passait pour Navregen et Swegnine, dans quelque autre maison égarée dans les bas-quartiers de la cité inondée.

Swegnine pensa tout haut :

« -Comment des Fenris ont pu se retrouver en possession de cette bannière ?

-Cela m’est bien égal, déclara Navregen. L’important est k’en la rapportant, j’a pu m’attirer les bonnes faveurs du vieil elfe. »

Il se versa un nouveau verre et observa renfrogné le vin frelaté avant d’en boire quelques gorgées. Il reposa la cruche en terre cuite sur la table grinçante et grimaça :

« -Une vraie demeure de luxe, pas vrai ?

-Je suppose que pas mal de vos orques nous envieraient notre place, fit Swegnine, en portant à sa bouche un crouton de pain frais et humide.

-Pour ça… »

La pluie tombait toujours au-dehors, chargée d’une bruine froide avec la tombée de la nuit. Loup les avait rejoints et somnolait d’un œil, allongé devant la cheminée qui fumait plus qu’elle ne brûlait, alimentée de quelques bûches humides. L’atmosphère était tiède et humide, oppressante, mais un vent frais soufflant par les fenêtres brisées allégeait quelque peu le poids sur leurs épaules.

Ces dernières heures, le froid commençait à reprendre le dessus sur les éléments. Après la débauche d’énergie et de chaleur qui avait embrasé la région et fait fondre les glaces, l’hiver, lentement mais sûrement, reprenait le dessus.

Swegnine repoussa son écuelle vide et laissa son regard fatigué flotter jusqu’à l’étoffe en lambeaux que Navregen avait jeté de rage sur le sol inégal de la pièce. Elle se pencha pour la ramasser, et l’étendit sur la table devant elle, essayant d’identifier ses couleurs originelles des tâches de boue et de poussière qui la constellaient :

« -Et donc, c’est un emblème des Trémajiks qui est brodé la-dessus ? »

Navregen, qui avait fini son repas, reposa son verre avec amertume et répondit d’un ton sans appel :

« -Oui, c’est bel et bien un symbole de cette tribu maudite ! »

Il se leva et contourna la table pour se placer derrière la fille, qui tombant de fatigue se laissait somnoler sur la table. Il montra du doigt un demi cercle jaune sale qu’on distinguait à peine dans le tissu élimé :

« -Voici l’arc d’éclairs, et on peut encore deviner le bâton magique qui fait office de flèche. C’est leur symbole de reconnaissance, tous les Hoborks savent ça. Que la mort étouffe cette engeance exékrable !

-D’où te viens cette haine tenace ? demanda t-elle, en posant sa tête sur son bras plié.

-C’est une longue histoire » répondit-il, le ton grave.

Il s’éloigna d’elle et se posta devant le foyer crachotant.

Il restait immobile devant la cheminée, à regarder les bûches crépiter et se consumer. De belles flammes jaunes léchaient maintenant le bois, projetant leur lumière sur sa silhouette immobile ; les bras croisés, il laissait leur chaleur réchauffer sa chair et ses os. Les yeux à demi-fermé, il savourait ces instants précieux de paix et de calme. Il était de bonne humeur ce soir-là, malgré les vexations qu’il avait subies à la cour du monarque. Il se tourna à moitié vers la jeune femme et commença son récit :

« -Mon grand-oncle était un grand conquerrant. Il se nommait Mardak Plak’eud’Bronz, et je suppose que ce nom ne vous est pas inconnu. »

Swegnine hocha de la tête. Soixante-Quinze ans plus tôt, ce seigneur de tous les Clans, ce Chef Suprême des Orques, avait commencé à faire parler de lui jusqu’à bien au-delà des frontières du Svedingarland. Son règne avait été court, mais sanglant. Il avait dévasté toute la contrée, profitant de la faiblesse où se trouvaient ses habitants depuis que l’Empire Fenri avait sombré dans la ruine.

Navregen poursuivit son récit :

« -Mardak était un chef ambitieux mais pas stupide. Il avait fédéré preske tous les Klans sous ses enseignes, mais il savait pertinement que la plus puissante armée est toujours menacée d’une scission interne. Il redoutait plus ke tout d’éventuelles trahisons, et avant d’entreprendre une aktion militaire d’envergure, il exigeait invariablement des grands chefs des tribus des preuves indiskutables de leur loyauté.

Or il finit par se rendre kompte k’un klan en partikulier présentait des signes de rébellion. C’étaient les Trémajiks, du Klan des Leuil’Persan. Il décida donk de faire un exemple, et entreprit d’anéantir cette faktion, afin que tous sachent ke l’on ne pouvait pas défier impunément son autorité. Malheureusement, les chamans de cette tribu félone eurent vent de ses plans de répression, et ils prévinrent leurs chefs. Les Trémajiks s’enfuirent sans tarder avec les quelques tribus ki les avaient suivi dans leur cabale. Plak’eud’Bronz se résigna alors à envoyer sur leur piste son plus fidèle exécuteur : son propre fils, Karman.

Quand mon père est parti sur leurs traces, il emmenait avec lui sa propre tribu de Dur’komtou, des orques en armure : les Kass’anno ; ils lui avaient été donnés comme tribu personnelle dès qu’il avait été en âge de se battre, et jamais ils n’avaient tenté de se rebeller. En auxiliaire, d’autres Durkomtou l’accompagnaient : cink cents guerriers des Briz’lézo et huit cents des Libr’akraz. Il emmenait aussi derrière son emblème d’autres tribus, issues d’autres Klans.

Il y avait notamment des Vrénorkz : les Mart’leurs réputés pour leur sauvagerie, les Brulvil ki vénéraient les esprits du feu, les Crachrankune, les Fui-la-brut.

Il y avait des Trémajiks aussi. Les Trémajiks sont les klans orks respektant et vénérant leurs armes plus ke n’importe kel autre ; ils raffolent des ékipements enchantés, et pillent les tombeaux, les katakombes ou les akadémies de magie pour en obtenir. Il ne faut donk pas les konfondre avek la tribu « les Trémajiks » du Klan des Leuil’Persan !

Je disais donk, des clans Trémajiks, à savoir deux : les Recuplam qui marchaient au son de cors de guerre couverts de runes naines, et les Rutilzarbi qui portaient tous au moins une épée volée au défunt royaume Fenri. Leurs armes portaient des dessins alambiqués et crépitaient d’une énergie d’un bleu hivernal.

A la tête d’une telle koalition, mon père ne doutait pas k’il vinsse à bout de la rébellion des katre tribus rebelles. Kar on komptait en tout et pour tout katre bandes de guerre à s’être enfuies vers le Nord.

Effectivement, des Leuil’persan ki avaient trahi, il y avait bien peu de peur à avoir, semblait-il. La tribu Jet’dézor fut rattrapée après une semaine de poursuite et fut massacrée en une seule bataille. Les survivants s’enfuirent vers l’Est et un détachement de chevaucheurs les rattrapa sans peine, pour tous les exterminer. Karman avait reçu des ordres clairs de son père : il ne fallait pas faire de merci, sinon n’importe quelle autre tribu aurait pu avoir l’idée de se rebeller. En outre, Karman accomplissait là sa première mission en tant que meneur de tribus issues de plusieurs clans ; c’était son apprentissage de Chaif Supraim, et il était déterminé à ne pas prendre les choses à la légère.

La seconde tribu, les Pleurzéri, tentèrent une guerre d’eskarmouche, et lancèrent plusieurs sortilèges sur leur route, pour ralentir leurs poursuivants. Karman mit deux mois à échapper à leurs illusions, et à les akkuler dans les collines. Enfin, à force d’efforts, et malgré des pertes sévères dans son avant-garde, il ordonna une battue générale. La plupart des Fui-la-brut furent tués en ouvrant la voie, mais enfin les sorciers furent vainkus, okcis sur place alors qu’ils lançaient leurs dernières invokations. Kelkes fuyards tentèrent de passer les cols de la Grande Barrière, plutôt ke d’être pris vivants, et on n’entendit plus jamais parler d’eux. Peut-être espéraient-ils trouver de l’aide auprès des Elfes Noirs. En tout kas aujourd’hui, cela fait preske soixante ans jour pour jour, et ils sont toujours portés disparus.

Restaient les deux dernières tribus : les Tiss’grimaz k’on estimait kompter mille âmes, et les Trémajiks bien sûr, l’âme de la révolte, soit mille deux cents individus, hommes, femmes et enfants. Le tout représentait ainsi une faible menace ; Karman n’avait reçu k’un détachement de chakune des tribus k’il guidait, et il avait déjà subi des pertes ; mais enfin, il possédait sept groupes de guerriers, ki encerclaient un peu plus chake jour ses proies. Il avait aussi réussi à négocier avec les autochtones de la région, kelkes villages humains dont il avait enrôlé les paysans de force, et en komptant les mercenaires de tout poils : Gnolls, Gobelins et Kobolds, dont il avait monnayé les services, il pouvait compter sur plus de katre mille kombattants. Il avait mis tous les atouts de son côté, sauf un.

Les deux tribus rebelles étaient passées expertes dans l’art de la magie et de la sorcellerie. Leurs talents démesurés avaient fait gonfler leur orgueil, c’était même à kause d’eux k’ils avaient refusé d’obéir au Chaif Supraim Plak’eud’Bronz. Il allait falloir kompter avek leurs pouvoirs surnaturels.

Néanmoins, les chamans des Tiss’grimaz n’en menaient pas large. Ils savaient que les Trémajiks étaient retranchés au Fort Farchalg, aussi se dirigèrent-ils en hâte là-bas, et demandèrent-ils à leur kompagnons d’infortune de leur akkorder l’asile. Les Trémajiks acceptèrent bien volontiers ce renfort inattendu, car aucune des tribus révoltées n’avait pris la peine de les prévenir k’ils avaient encore des adeptes !

Le chef des Trémajiks sauta d’ailleurs sur l’occasion pour akkuser les meneurs de ses alliés de trahison. Il klama haut et fort –et il continue aujourd’hui encore-, ke si l’on l’avait informé du soutien dont il disposait auprès des autres klans Leuil’persan, il n’aurait jamais fui, mais au kontraire aurait livré bataille. Il ajouta k’avec ne serait-ce que cinq ou six tribus de son côté, il aurait pris l’avantage et aurait pu diriger les peaux-vertes vers une ère de savoir chamanique et de puissance jamais vue à ce jour.

Bref, après avoir kraché sa rankœur, il orchestra le massakre rituel de tous les Tiss’grimaz qui étaient venus trouver refuge entre ses murs ; et les mains teintées du sang frais de ses kompatriotes, il se prépara à des sorcelleries toujours plus noires, dans le seul but de sauver ses rêves de domination. Pas un de ses alliés n’échappa à sa colère et à ses lieutenants obéissants, ses « chiens d’gard ». Nous en avons rencontré un il y a peu encore : Curg Bihax Kidnac, le chef des Plin’d’fureur. C’était déjà son bras droit à l’époque, bien qu’il ne dirigeât pas encore ce klan ; c’était seulement un sorcier Trémajik doué, en ce temps-là. Ce n’est que bien plus tard que le maître des Trémajiks en personne détacha une partie de sa tribu, pour la donner en pleine souveraineté à son protégé.

Mais on n’en était pas encore là. Pour lors, assiégés, les Trémajiks hésitaient sur la konduite à tenir. Karman de son kôté, ki n’était pas un imbécile, ne tenta k’un assaut kontre leur forteresse : après avoir vu la première vague de ses soldats se faire transformer en cendres à koups de boules de feu ou d’éclairs, il ordonna à sa koalition de planter les tentes, et d’attendre. Un siège en règle aurait pu facilement venir à bout des mages retranchés, et de fait, ils auraient fini par tous mourir de faim, si la nouvelle n’était pas venue interrompre le kours des choses.

Un messager vint prévenir Karman k’une fédération venait d’unir les derniers royaumes libres du Svedingarland, et ke leurs armées conjointes marchaient déjà à la renkontre de son oncle. Plak’eud’Bronz lui demandait de revenir en hâte avec toutes ses forces, de laisser tomber pour un temps son devoir de vengeance et de venir lui apporter tout son appui. De toutes parts, le Chaif Supraim rappelait ses armées, tel un aigle repliant ses ailes ; une bataille décisive allait être livrée, et il ne fallait pas la perdre.

Karman leva donc le kamp sans s’attarder, entraîna avec lui ses mercenaires, ses troupes enrôlées et ses tribus, et ne laissa en arrière-garde ke kelkes Kavaliers rapides, pour surveiller les allées et venues des traîtres. Mais malgré une marche-forcée, il ne parvint pas à rejoindre le gros des troupes à temps. Deux jours plus tard, un guerrier épuisé vint lui apprendre que toutes les tribus issues du Klan de Morlépointe avaient été défaites dans les plaines de Valonie, et k’elles s’étaient rendues au roi de Brisantine ; jamais ils ne rejoindraient l’armée. Un jour enkore, et on lui apprit que l’avant-garde, komposée de cink tribus, s’était heurtée aux forces des Elfes Dimhors, alliés aux relikats des régiments Fenris ; les Immortels et les hommes à peau bleue avaient repoussé les orques avek des pertes sévères, et Plak’eud’Bronz s’était vu obligé d’arrêter son avancée à kelkes kilomètres seulement de la ville de Croluvir.

Karman changea son itinéraire et courut à la rescousse. Il fit sa jonction avec l’arrière-garde sur la rive Est de la Morgel, et c’est en essayant de descendre vers le sud que l’armée orque livra la bataille décisive. Là, Elfes, Humains et Fenris vainkirent les peaux-vertes, en noyèrent un grand nombre et les rejetèrent de l’autre côté du Flot-Vif. Les tribus désorganisées se regroupèrent dans la Forêt des Murmures, et c’est là ke leur hégémonie fut brisée. A la défaite succédèrent la déroute et la dissolution de la Grande Horde.

Aucun meneur de Klan n’avait jamais vraiment accepté qu’un autre puisse diriger l’ensemble des tribus, et la récente débâkle fut prétexte à la rébellion. Les Trémajiks n’avaient pas été châtiés, et malgré le sort réservé aux autres dissidents, plus d’un chef orque se déklara alors indépendant. Les disputes allèrent bon train avec les représentants des Dur’komtou, et ils en vinrent bien vite aux mains.

L’ennemi s’approchait tel une forêt de lance, et déjà il traversait la rivière pour anéantir ce qui restait des Orques. Plak’eud’bronz pressentit le désastre qui se préparait, et rassembla les principaux chefs de Klan en un grand conseil de guerre. La réunion eut lieu dans une klairière boueuse au fond de la forêt, au cœur du campement improvisé de la Grande Horde. Les rankœurs éclatèrent ce soir-là, et les grands chefs s’insultèrent et se kerellèrent plus ke jamais. Plak’eud’Bronz essaya de les haranguer, leur kriant que s’ils ne se taisaient pas, ils seraient tous bientôt morts.

C’est à ce moment ke le maître de la tribu des Trémajiks arriva. Nul n’a su komment il avait fait pour redescendre des montagnes aussi vite, ni komment il avait appris la nouvelle. Il ne fait aucun doute k’au sein des autres tribus de sorciers, les Leuil’Persan, il avait enkore plus d’un allié, et on lui laissa ainsi un libre-passage jusqu’au konseil de guerre, à lui ki avait été banni ! Il fustigea Plak’eud’Bronz et le dénonça, affirmant k’il avait trahi la cause des Peaux-Vertes, k’il avait arraché aux chefs de tribu leur liberté et k’il avait précipité les guerriers dans une guerre perdue d’avance à seule fin de satisfaire sa gloire personnelle. Kurieuse nuit où l’akkusé se fit akkusateur… Elektrisés par la virulente diatribe du sorcier, les chefs de Klan laissèrent parler leur fureur. Les uns se jetèrent sur le Grand Chef, pour le trucider ; les autres se ruèrent sur le mage afin de lui faire rendre gorge ; de vieux ennemis profitèrent de l’occasion pour assassiner ceux k’ils n’avaient jamais pu supporter, ou ceux ki leur avaient fait subir des affronts des années plus tôt.

La mêlée se répandit au reste du campement, et les haches parlèrent. Kand la koalition du pacte de Vergador arriva dans la Forêt des Murmures, ils durent se frayer un chemin dans le charnier ombragé. Le roi des Elfes en personne, pataugeant dans du sang ork jusqu’aux mollets, retrouva la dépouille de celui qui avait fait trembler tout le pays. Plak’eud’Bronz avait rendu l’âme, meurtri par au moins katorze blessures profondes. Il était défiguré et démembré, et on ne le rekonnut k’à la chevalière k’il portait à la main. Une chevalière qui avait appartenu à l’onkle du roi Madron, Hictarion. »

Navregen eut conscience d’avoir noyé la jeune femme sous cette avalanche de détails, et sourit avec compassion :

« -C’est une histoire assez kompliquée, komme tu peux le voir.

-Je suppose oui, mais toute histoire est complexe, reconnut-elle.

-C’est vrai, le monde est en marche et la vie n’est jamais simple.

-Que veux-tu faire maintenant ? Marcher sur les traces de tes prédécesseurs ?

-Bah ! Je ne peux plus à présent… Regretta Navregen. Je ne sais pas ce k’ils auraient décidé à ma place. Tout ce ke je désire, c’est le bien de mon klan.

-Le bonheur de ta tribu avant tout, répéta t-elle.

-Ouais, je pense ke tu peux le komprendre ? Vous aussi, les z’humains du Nord, vous vivez en klan je krois bien ?

-C’est exact, opina t-elle, prise par un élan de tristesse. Le mien était celui du Dragon.

-J’avais remarké vos armoiries, dit le semi-orque. Je les ai prises pour un signe du Destin, dès le premier instant. J’ai sentis ke cela n’était pas anodin.

-Ma foi, je n’en sais rien ! Tu crois vraiment devoir te mesurer à ce monstre ?

-Il le faudra bien, si les Elfes me le demandent. Mes ancêtres ont kombattu les Immortels, parfois pour leur propre kompte, parfois pour celui des Elfes Noirs. Mais aujourd’hui, Holorion semble le seul garant de sûreté. »

Il regarda les éclairs foudroyer les pentes du donjon, en contre-bas, et la pluie s’écraser sur les grandes fenêtres en vitrail.

« -Le Svedingarland n’est plus ce k’il était. Les kamps et les allégeances évoluent. »

Swegnine hocha de la tête, et nota :

« -Je le constate… Puisque tu en viens à t’allier à tes pires ennemis. Partant de là, tout est possible. Cela me fait aussi penser à tous ces malheureux esclaves que tu as ramenés…

-Ils ne le sont plus vraiment, lui fit remarker le semi-ork. Avec le kaos ki a suivi notre arrivée, tout le monde s’est installé dans le désordre le plus total. Il n’y a plus un ork ki pourrait remettre la main sur ses anciens kaptifs. Néanmoins…

-Oui ?

-Je mettrai les choses au clair demain, je parlerai au klan. Notre nouvelle allégeance va nous obliger à renoncer à nos droits sur nos prises de guerre, en échange d’une promesse d’un fief à okkuper. Nous ne sommes pas forcément perdants, nous mankons cruellement d’une terre, notre tribu ne pourra pas survivre sans un lieu de repli. Mais il va falloir le faire komprendre à la troupe, ce ki n’est pas gagné.

-Je l’imagine sans peine.

-Ma destinée est liée à celle de ma tribu, soupira Navregen. Tous mes objektifs visent le bien des Plakdefer. Mais il m’arrive kelkes fois de souhaiter suivre mes propres buts. J’aimerais pouvoir de temps à autre penser à moi, et akkomplir des choses ki me feraient vraiment plaisir.

-Comme tuer ce dragon ? C’est justement ce que tu essaies de réaliser.

-Cela n’a rien à voir avek mes aspirations. Certes, ce sera une satisfaktion, mais c’est une promesse à tenir, un devoir aukel je dois souskrire. Il y a bien d’autres choses ke je préférerais faire si j’en avais le loisir…

-J’ai du mal à voir lesquelles ?

-Oublie ce que je viens de dire, se reprit Navregen. Parlons plutôt de ce voyage. Tu es sûre de vouloir être de la partie ?

-Peut-être voudrais-tu que je reste ici ? demanda t-elle.

-En toute honnêteté, je n’en sais rien. Une part de moi l’espère peut-être. Mais je n’aimerais pas te savoir loin de moi. Je redoute d’ailleurs autant les autres orks ke les Elfes. Mais ce sera une expédition dangereuse.

-J’ai cru comprendre qu’elle ne durera pas si longtemps, dédramatisa t-elle. Nous pouvons être revenu dans quelques jours.

-C’est ce ki se passera entretemps ki m’inkiète… Bah ! Nous verrons bien. Et puis Loup est là pour veiller sur nous. »

Le wolfen releva aussitôt la tête, tournant ses grands yeux d’ambre vers son maître ; rasséréné par l’allure calme du semi-orque, il se remit à somnoler, essayant d’oublier le sifflement continu du vent à travers les vitres fissurées des fenêtres.

Lien vers le commentaire
Partager sur d’autres sites

Oué le loulou :lol:

Par contre j'ai raté un épisode c'est d'où vient-il ? Parce que je m'en étais arrêté ou ca s'excite avec les elfes et finalement il a réapparu ! je sais pas où j'ai raté le détail de son retour !

Alors pour le fond génial comme d'habitude ! Deux passages où on développe la société elfe d'abord, enfin l'actuel et les problèmes qu'ils ont mais aussi la jeunesse orque et l'origine de tout. Je suppose que si tu nous parles de ça c'est que les très magiques ( :shifty: ) vont faire parler d'eux de nouveau !

@+

-= Inxi =-

Lien vers le commentaire
Partager sur d’autres sites

  • 1 mois après...

Après un mois et demi de coupure, voilà la suite...

Effectivement, le Loup semblait mort. Eh bien non en fait ! Procédé hautement facile et malhonnête, que j'ai la sale habitude de pratiquer dans la plupart de mes textes ( la preuve avec la Renaissance du Faucon (avec le personnage de Lamenoire) et la Guerre de Toregordabis (Exploz Massakr)... Oui c'est de la pub... )

Le wolfen n'était pas mort, il en faut davantage pour abattre une bête de sa robustesse. Comme vous le verrez ultérieurement...

Bonne lecture après une trop longue attente :

Dès le lendemain matin, Navregen avait fait rassembler ce qui ressemblait encore à quelque chose de présentable parmi la multitude qui lui obéissait. Il avait de grandes décisions à leur faire partager, aussi la plupart des Hoborques encore en vie, des représentants des bandes et autres dignitaires de la tribu se présentèrent peu après le lever du soleil devant la maison où était hébergé leur « demi-sang d’chef ». Tressolid était là au premier rang, enjambant les flaques miroitantes et les débris flottants épars. Il avait revêtu ce qui lui restait de sa lourde armure de guerre et faisait porter son heaume intégral par deux gobelins chétifs, qui essayaient de garder la tête hors de l’eau, entre ses jambes.

Les autres meneurs des Plakdefer avaient aussi répondu présent, escortés par quelques uns de leurs plus proches collaborateurs ou compagnons de pillage : Podfair, plus vieille que jamais, soutenue tant bien que mal par quatre orques vigoureux ; Nédacié, le chaman officiel de la horde, flanqué d’une ribambelle de gobelins affublés de lambeaux de tissus déchirés, multicolores ; Bjorgkuln l’éclaireur, boitillant avec une béquille de fortune, accompagné de trois pisteurs aux yeux chafouins ; sans compter le reste des représentants les plus dignes de la race des peaux-vertes : les chefs de bandes Grakg, Snordul et Kragaz, un vigoureux guerrier aux penchants de plus en plus berserker nommé Kirong…

Navregen sortit de la bicoque en ruine avec l’air soucieux de celui qui ne sait pas comment avouer à ses enfants qu’il n’a plus rien à leur donner à manger, mais qui voudrait les rassurer. Sa mine grave imposa le silence à l’assemblée, qui cessa de bavarder et discutailler sur les tenants et les aboutissants de cette convocation. A la suite du semi-orque, son éminence grise, Deuzelle, gardait un mutisme froid. On voyait bien que vivre en pleine ville Elfe était pour lui un rude calvaire. A ses talons trottait Loup, le wolfen tout dévoué à la vie du chef des Plakdefer. Les capacités de récupération et la vigueur de ce monstre tenaient du prodige ; après avoir été retrouvé agonisant dans un fossé, puis avoir reçu plusieurs nouvelles blessures, il n’avait jamais cessé de respirer. Accroché à la vie, bien décidé à protéger celle de celui qu’il appelait son « maître », il semblait inépuisable. N’avait-il pas connu quelques jours plus tôt une nouvelle mésaventure ? On l’avait retrouvé à moitié mort, transpercé par un coup qui aurait tué net n’importe qui ; n’importe qui, mais pas un wolfen apparemment, puisque lui y avait survécu. Les cicatrices profondes qui zébraient sa peau, sous sa fourrure en bataille, étaient autant de preuve de sa volonté implacable de rester sinon sain, sauf, pour veiller sur les jours de son « sauveur ». Quand Loup s’avança pour se poster devant Navregen, entre lui et la foule, tous reculèrent d’un pas.

Navregen jeta un regard circulaire et analysa la situation. Il fut satisfait de voir que la plupart de ses subordonnés avaient répondu à sa convocation –ceux qui n’avaient pu le faire étaient les plus gravement blessés, ou ceux déjà arrêtés par la milice urbaine sous des chefs d’accusation mineurs tels que brigandage, tentative de vol, violences sur citoyens de la ville…

« -Plakdefer, commença le jeune chef, je ne suis pas sans konnaître toutes les épreuves ke nous sommes obligés de vivre, pour pouvoir trouver notre place dans ce monde. Notre route a déjà été dure, et cela ne va pas en s’arrangeant. Je sais kombien la promiskuité avek les Oreilles Pointues vous pèse, elle n’est pas pour me plaire énormément non plus ! »

Il avait appuyé tout spécialement sur l’expression « Oreilles Pointues », car il savait qu’Ezelduin, ou en tout cas un de ses frères, devait probablement observer la scène, installé dans un recoin d’une ruelle voisine, en toute discrétion. Il était évident que ses alliés d’aujourd’hui allaient observer avec attention le moindre de ses faits et gestes, mais il poursuivit son bref exposé :

« -Ils sont disposés à nous laisser nous installer dans une terre k’ils n’arrivent plus à défendre eux-même avek effikacité : la Solavorie. C’est à peu de distance au Nord, mais avant de nous envoyer là-bas, et ke de nous faire konfiance, ils veulent s’assurer de notre fidélité tout komme de la sûreté des routes. Rien de surprenant à cela, je n’en exigerais pas moins à leur place. Cependant… »

Il laissa sa phrase en suspens, pour capter l’attention :

« -Il ne sera pas nécessaire de remettre toute la horde en branle. Un simple groupe d’éklaireurs peut se charger de cette mission de rekonnaissance, et puiske bjorgkuln est trop gravement blessé pour la diriger, je m’en okkuperai personnellement. »

Cette révélation provoqua un certain remous dans l’assistance, qui commença à bourdonner, chaque Hoborque jurant, exultant, commentant la nouvelle. Navregen haussa le ton pour terminer son exposé malgré le vakarme :

« -Le reste des Plakdefer restera ici, pendant que j’emmènerai un petit détachement ! Je dois donk konfier la direktion à l’un d’entre vous pendant mon absence ! »

Le calme revint aussitôt, et tous écoutèrent avec curiosité. Qui serait le favori du demi-sang ? Les Hoborques ricanaient déjà, car ils étaient prêts à se rebeller, tuer le représentant désigné et provoquer une révolte en pleine ville ; quand aux guerriers, la plupart nourrissaient l’ardent espoir d’être désignés, espérant avoir su se distinguer aux yeux du « chaif ». Tressolid, de son côté, était certain d’avoir là l’occasion de prendre sa revanche, et de récupérer les rênes de la tribu ; même s’il suspectait fort Navregen de nommer Deuzelle, cet intriguant semi-orque au tempérament aussi discret que farouche.

« -C’est à Podfair ke reviendra la tenue des Plakdefer pendant mon absence, décréta Navregen. Fratrissid, Bjorgkuln, j’ai à vous parler. »

Ayant dit, il retourna en sa demeure avec Swegnine et Loup à ses côtés.

La surprise laissa place à des ovations et des hurlements de colère dans son dos, et plusieurs bagarres éclatèrent, vivement réprimées par les quelques Hoborques, les Berserkers ou les partisans de Podfair. De toute manière, les guerriers étaient si épuisés qu’ils n’avaient pas la force de se disputer plus longtemps, aussi se contentèrent-ils de s’invectiver avant de regagner leurs abris de fortune. Podfair prononça quelques paroles, déclarant qu’elle veillerait aux intérêts de la horde en l’absence du « chaif ». Dans l’ensemble, l’affaire s’était plutôt bien passée, et les patrouilles des Elfes Dimhors, accourues pour veiller au grain, n’eurent qu’à observer avec méfiance la dispersion de l’assemblée.

Tressolid retint Fratrissid par le bras :

« -Laisse cet impotent d’Bjorgkuln parler en premier au Demi-sang. Faut k’on kause.

-De koi donk, chaif ?

-Il va vouloir t’emmner avek toi. Je veux ke tu surveilles ses faits et gestes, et rapporte-moi tout ça à votre retour.

-Komment… Vous kroyez chaif ?

-J’en suis certain, opina Tressolid. Il veut emmener un ork de ma bande, pour montrer k’il veut me garder sous kontrôle. Tu me feras un rapport détaillé, kompris ?

-A vos z’ordres, chaif. »

Ils regardèrent le chef des éclaireurs boitiller, à l’aide de sa béquille, et entrer dans la maison en ruines. Tressolid renifla de mépris :

« -Cet imbécile n’est plus bon à rien.

-Sûr, chaif, reconnut Fratrissid. J’suis même surpris k’il soit enkore vivant.

-Les faibles ont de la chance, sentença Tressolid. Et ça vaut aussi pour le Demi-sang…

-Vous savez, chaif, une flèche bien placée peu maittre fin à la meilleur’ destiné, remarqua Fratrissid en pinçant la corde de son arc.

-Vrai, mais malgré son arrogance, Navregen peu nous z’être utile, concéda Tressolid.

-La vérité, gloussa Fratrissid, c’est que sans lui, on auré d’jà été tués par ces Elfes ! »

Tressolid lui expédia un coup de pied en plein estomac, suivi d’un poing en pleine gorge. Si la première frappe n’avait fait que vaciller son subordonné, la seconde l’envoya à la renverse, le souffle court. Fratrissid lâcha son arc et palpa son cou, les larmes aux yeux. Le vieil Hoborque le dominait de toute sa hauteur, prêt à l’écraser de tout son poids :

« -J’ai beau avoir konnu plus k’ma part de kombats, j’suis enkore le meilleur Plakdefer de toute la tribu, l’oublie pas, semonça t-il. Maintenant relève-toi, et va voir c’ke l’Demi-sang veut te dire au juste. »

Fratrissid referma sa main nerveuse autour de son arme et se releva péniblement, hochant de la tête. Il n’y avait pas à discuter les ordres.

« -Kroyé bien, insista Bjorgkuln, l’air vraiment désolé, si j’avé enkore toute ma vigueur d’ma jeunaisse, j’auré été l’premié à rel’ver l’défi. Vré, chaif Navregen… Vous voulez des éklaireurs ? J’en konnais deux ki feront l’affaire ; j’vou lé z’enverré à la premièr’eure demin.

-Entendu, Bjorgkuln. »

Navregen tendit un gobelet de vin amer à son maître de chevauchée, en signe d’accord. Bjorgkuln, qui s’était assis en tailleur au pied de la table, se releva avec difficulté, en évitant de prendre appui sur le moignon qui terminait sa jambe gauche, et accepta le verre avec gaucherie. Navregen profita de ce bref instant de silence pour mettre au clair ses idées, quant à ce servant dévoué, fidèle des fidèles, qui lui avait jadis juré allégeance, la nuit où il avait été promu meneur des Kavaliers.

Bjorgkuln était l’incarnation même de ce que la vie d’un Orque pouvait être, dans son ascension comme dans sa déchéance. Le pouvoir, les richesses et les craintes des Orques n’avaient qu’une seule source : l’ambition, qui ne se traduit chez eux que par une rage de combattre insoutenable, en tout âge et en tous lieux. Bjorgkuln avait d’abord servi sous les ordres de son père, en tant que guerrier du rang, puis avait incorporé les équipes de Renifleurs, ces pisteurs hors pair qui marchaient en avant de la troupe, et s’assuraient de repérer pour elle les mouvements ennemis, les sites stratégiques à conquérir, les villes à piller… Bjorgkuln était devenu peu à peu le meilleur d’entre eux. Pour finir, Navregen l’avait promu au rang de chef des Kavaliers, un poste prestigieux et jalousé. Tout cela s’était terminé de manière pathétique, avec l’épisode lamentable de la rivière en crue. Bjorgkuln en était sorti amoindri à jamais, avec une jambe en piteux état. Il avait fallu la lui couper juste en-dessous du genou, car gangrène et engelures l’avaient condamnée. Dès lors, l’ancien meneur de guerre était devenu une épave pitoyable, tout juste bonne à suivre l’allure de la marche avec peine, en arrière-garde. Tout cela était le fruit de l’ambition des uns ou des autres…

Rares étaient les peaux-vertes à pouvoir se détacher de ce désir sourd et irrésistible, qui coulait en leur veine et excitait leurs pensées. Mais les Humains n’étaient-ils pas eux-mêmes sujets à cette envie, cet espoir inavouable de laisser leur marque dans l’Histoire ? Navregen ne pouvait pas cacher que lui aussi, tout soucieux qu’il était de vouloir assurer la survie de sa tribu, recherchait avant tout sa gloire personnelle. Il n’allait pas simplement tenir la promesse qu’il avait faite à son père. Il allait prouver à tous qu’il était digne de diriger la Horde des Plakdefer. Voilà ce qu’il voulait faire, et tous ces calculs ne tendaient qu’à cela : rabattre une bonne fois pour toutes les réticences de tous ces ambitieux qui menaçaient à tout instant de comploter dans son dos : Tressolid d’abord, le plus dangereux de tous. Mais il n’y avait pas que lui bien sûr : Navregen connaissait la plupart des Hoborques des Plakdefer, pour avoir longtemps servi comme un de leurs subalternes. Oui, il les connaissait par leurs noms, et pouvait énumérer leur triste litanie.

Podfair, la vieille et redoutable doyenne de la tribu, celle qu’il avait nommée pour le remplacer pendant son voyage de reconnaissance. Il n’avait pas eu le choix d’ailleurs, puisqu’elle était celle dont il se défiait le moins. Il ne la croyait pas assez stupide pour fomenter une insurrection au cœur du pays Dimhor, entre les murs de leur capitale ; c’eût été du suicide, suicide que d’autres auraient tenté sans sourciller.

A commencer par Tressolid, l’impétueux, le téméraire Tressolid, qui représentait de son côté le plus ancien chef hoborque encore en vie. Il avait sous ses ordres une bonne part de guerriers « nostalgiques », de ceux qui rêvaient de faire briller à nouveau la gloire des Plakdefer, même si certains d’entre eux commençaient à prendre leurs distances vis-à-vis de leur meneur. Tressolid avait une force herculéenne et un tempérament bagarreur, alliés à un entêtement incroyable. Mais tout cela faisait de lui un politicien médiocre, et incapable de comprendre les réels enjeux de leur situation actuelle. Il aurait été le premier à essayer de « klarifier la situation à grands koups d’épée, juste pour y voir plus klair ». Hélas, si les Plakdefer se retournaient contre les Elfes Dimhors, Navregen était bien certain qu’ils en mouraient tous sans causer plus d’embarras aux immortels.

Il y avait bien d’autres personnages hauts en couleur, prêts à défendre leurs propres intérêts. Frakass Lémindsang, était l’un d’entre eux, et s’il fallait étudier le cas de Frakass, il fallait aussi peser celui d’une de ses nièces, la dénommée Rakka Plindkou qui était aussi sa compagne. Ces deux-là avaient rassemblé tout ce qu’il y avait de Vociférants et de Berserkers dans la tribu, si bien qu’il représentaient une bande aussi peu nombreuse que violente et dangereuse. N’importe quel complot aurait à compter avec eux, aussi bien mieux aurait valu s’assurer de leur soutien avant d’entreprendre quoi que ce soit. Navregen regrettait de ne pas avoir pris le temps de se les concilier, mais c’étaient de faux regrets, car il n’avait tout simplement pas eu le temps. D’ailleurs, il n’avait pas eu envie non plus, car il présumait qu’un entretien en tête à tête avec Frakass Lémindsang n’aurait pu se terminer qu’avec l’un d’eux décapité.

Il y avait aussi Torlébra Bavolaivr, un hoborque particulièrement retors et rusé. Celui-ci possédait quelques jours plus tôt une esclave Elfe de premier choix, avec laquelle il trouvait de quoi se distraire. La malheureuse s’était noyée dans la débauche de cataclysmes qui avait frappé la horde, et d’une certaine manière, c’était mieux ainsi. Qu’auraient dit les Elfes Dimhors en découvrant certains de leurs semblables parmi les prisonniers des Plakdefer ? Avec la succession de catastrophes, bon nombre des enchaînés étaient morts, et si les Immortels n’étaient déjà pas nombreux à avoir été capturés au cours des vagabondages de la tribu, il n’en restait plus un seul parmi les captifs. Mais cela ne rassurait pas plus Navregen, qui ignorait comment Torlébra Bavolaivr avait surmonté la perte de ses amours ancillaires : il y avait autant à redouter de lui désormais.

Enfin, Navregen n’avait pas oublié Fauchlamor, dernier des Hoborques à la fois encore vivants et figurant sur la liste de ses détracteurs. Fauchlamor avait mérité son surnom en survivant à la plupart des batailles sans écoper la moindre égratignure. Maniant un long vouge acéré, il s’était fait une spécialité de démembrer ses adversaires, si bien qu’on l’appelait parfois, chez les autres clans, le « Boucher des Plakdefer ». Il ne s’intéressait pas à la gloire et au prestige que ses prouesses au combat auraient pu lui rapporter, se contentant de satisfaire son désir de tuer à chaque nouvel affrontement. C’est pourquoi, silencieux et effacé, il restait dans l’ombre de la gloire des autres, et peu de personnes avaient entendu parler de lui. Il avait vécu du simple plaisir de tuer, il s’en était contenté jusqu’à présent, mais rien n’était moins sûr. Les dispositions d’un meneur orque pouvaient changer du tout au tout, surtout au vu d’une situation difficile comme celle que vivant la tribu en ces heures. Fauchlamor, comme n’importe quel autre vrai peau-verte, avait bien du mal à accepter la cohabitation avec les « Oreilles Pointues ».

Fort heureusement, la liste des rebelles potentiels s’était amenuisée ces derniers temps, car les Hoborques, tout comme le reste de la troupe, avaient connu les terribles dangers du voyage. Navregen se rappelait chacun des vaniteux qu’il avait dû tuer –Lokhtar, Kilnig…– sans compter tous ceux qui étaient morts au combat, qui avaient succombé aux explosions de magie ou bien s’étaient noyés dans les eaux boueuses : Marchfor Surlédoi le Taciturne, Hurikk Pasadik le Cruel…

Restaient ceux que Navregen ne savait pas analyser, parce que leurs caractères, leurs opinions lui restaient cachées. Ceux-là lui causaient plus de soucis encore, et il regrettait amèrement de ne pas pouvoir les garder sous les yeux. Ces individus-là pouvaient basculer dans un camp comme dans l’autre, et l’équilibre de la situation reposait en grande partie sur la prudence qu’ils avaient eue de ne pas s’impliquer d’avantage dans les disputes claniques.

Le premier des indécis était Nédacié, bien sûr. Nédacié, chaman autoproclamé de la tribu, qui avait d’abord paru soutenir les Hoborques rebelles à l’autorité du Demi-sang, pour ensuite adopter une position plus neutre. Ces derniers temps, l’apprenti sorcier avait semblé gagner peu à peu en pouvoir. Les récents événements l’avaient blessé dans son esprit et dans sa chair, mais malgré ces meurtrissures, Nédacié avait su décupler sa puissance. L’aura de magie qui se dégageait de sa personne ne passait plus inaperçue ; Navregen avait même remarqué des froncements de sourcils de la part de la fratrie d’Ezelduin, cet intriguant Elfe. Oui, Nédacié devenait peu à peu un sorcier digne de ce nom. Que fallait-il en conclure ?

Après Nédacié venait le cas de Deuzelle. C’était son bras droit, bien sûr, et son seul appui pendant les premiers jours de son commandement. Navregen et Deuzelle avaient combattu côte à côte pendant des années, en servant dans les unités auxiliaires de semi-orques, ces formations de tirailleurs légers qui avaient aidé le regretté chef Karman à organiser ses campagnes de pillage. Deuzelle était en quelque sorte un frère, mais il ne laissait jamais transparaître ses émotions. De plus, il détestait ouvertement Swegnine ; or Navregen repoussait la seule idée de voir Swegnine être maltraitée plus qu’elle ne l’avait déjà été. Deuzelle était son second, et les semi-orques de la tribu lui obéissaient au moins autant qu’à Navregen. Ils le vénéraient, comme celui qui les avait tirés de leur condition de bâtards et leur avait permis de se faire une place au sein de la horde. Deuzelle avait toujours été son plus sûr ami, mais la direction des opérations reviendrait à Podfair plutôt qu’à lui, tout simplement parce que Navregen craignait que cette amitié n’aie aveuglé son jugement. Qui aurait su dire ce que Deuzelle pensait vraiment, sous son casque ailé ?

Evidemment, tout cela reposait entre les mains d’Ezelduin, ce prince Elfe qui avait prétendu les « recruter » pour mener « sa » guerre et « sa » conquête du pouvoir. Ezelduin briguait la couronne de Holorion, même s’il ne s’attendait probablement pas à la recevoir avant plusieurs années, voir plusieurs siècles. Il avait clairement laissé entendre que ses planifications s’étalaient sur le long terme, et que les Plakdefer n’étaient qu’un pion sur son échiquier. Navregen s’était bien juré de détrompé cet ambitieux, et de lui montrer combien il était inutile de vouloir manipuler les peaux-vertes à sa guise, mais il fallait reconnaître que pour l’instant, Ezelduin oeuvrait en faveur de la tribu. Il fallait donc temporiser ; il aurait suffi d’un ordre de sa bouche pour condamner tout le clan.

Navregen laissa là ses réflexions et reporta toute son attention sur les derniers préparatifs du départ, congédiant Bjorgkuln, échangeant quelques mots avec les deux éclaireurs que celui-ci lui avait envoyé, puis donnant ses instructions à Fratrissid pour le voyage à accomplir. Après quoi, il eut tout juste le temps de terminer ses préparatifs pour le long voyage qui l’attendait. Il boucla donc son maigre paquetage, endossa les pièces d’armure qui lui restaient, à savoir un haubert lâche, son casque à cornes de taureau et deux brassières, et enfila sa lourde cape en peau d’ours. Il n’avait rien oublié d’important : il avait toujours son sabre elfique au côté. La pensée lui avait effleuré l’esprit, qu’un des habitants de Holorion ait pu identifier cette arme et le prendre à parti. Mais aucun n’avait paru la reconnaître, il en remercia sa bonne étoile. C’était tout ce qu’il trouvait de chance dans les récents événements de sa vie, mais il s’en réjouit néanmoins.

Sur le point de quitter la maison délabrée, il se trouva face à un problème bien plus concret : l’obstination inflexible du wolfen apprivoisé, cette bête à moitié morte, mais qui refusait pourtant de le laisser partir :

« -Navregen est mon maître, siffla la bête, en essayant de se relever sur ses pattes arrière, en prenant appui sur la table. Je ne le laisserai pas partir.

-Ekoute Loup, grogna Navregen, tu tiens à peine sur katre pattes, et tu voudrais m’eskorter dans ce nouveau périple ? C’est inutile, tu es à bout de forces, tu ne ferais ke me ralentir. D’ailleurs, nous serons bientôt de retour.

-Nous ? s’étonna Loup. Qui part avec Navregen ?

-Eh bien, répondit son maître, il y aura ces deux pisteurs ke tu as vu, et puis Fratrissid, en sa kalité de kombattant.

-Un mauvais orque, mauvais fond, mauvais cœur, cracha le wolfen. Je veux protéger mon maître. Je lui dois une vie.

-Inutile. Nous voyagerons aussi avek des Elfes, ils s’assureront eux-mêmes très bien ke rien de fâcheux ne m’arrivera.

-Des Elfes ? sursauta le wolfen, en retroussant les babines. Quels Elfes ?

-Darcaluin et Oroferr, deux des jeunes frères du prince Ezelduin. Ils ont abattu des Belluaires, rappelle-toi. Je doute ke koi ke ce soit leur face peur.

-Navregen non plus ne leur fait pas peur. Ils ne sont pas plus sûrs que l’autre orque. Loup doit accompagner son maître. Et qui encore ?

-nous avons fait le tour, à peu près, éluda Navregen. Puisque je te dis que je ne risque… »

Swegnine descendit sur ces entrefaites, serrant autour d’elle une tenue de voyage plus chaude que sa vieille robe déchirée. L’hospitalité elfe avait de bons côtés, et l’un d’eux était qu’on lui avait fait livrer quelques menus effets : chausses en laine épaisse, robe de voyage et manteau doublé en fourrure. Le temps pouvait revenir au froid sans prévenir, après les effusions d’énergie dégagées par la tempête ; et l’on était désormais au cœur de la saison hivernale.

Loup l’observa dans ses nouveaux atours et réprima un frisson de colère :

« -Et la fille ?

-Elle vient avec moi, déclara Navregen.

-Ahah ! ricana le wolfen avec amertume. Loup ne peut pas rester avec excuse de garder la fille comme la dernière fois. Alors Loup venir avec vous.

-Tu vas rester ici pour rester en vie. Les Elfes ne s’embarrasseront pas d’un être aussi épuisé et moribond que toi ; on dit k’ils voyagent à vive allure. Ils t’achèveront avant la fin de la journée si tu nous akkompagnes.

-M’est égal ! Aboya Loup, têtu.

-Pas pour moi, riposta Navregen. D’ailleurs, tu auras fort à faire ici. Observe et ékoute le reste du klan. Ils te prennent tous pour une bête idiote et sans intelligence, mais toi et moi savons k’il n’en est rien. Sois mes yeux et mes oreilles, voilà une mission à ta hauteur en attendant ton rétablissement. »

Loup glapit de frustration, jeta un dernier regard furieux vers le semi-orque et s’esquiva vers la sortie, moitié-boitillant, moitié-traînant. Navregen soupira, puis observa Swegnine et se retint de soupirer à nouveau :

« -Mettons-nous en route… Tu es prête ?

-Je le suis, répondit-elle, d’un ton neutre.

-Tu es bien certaine de vouloir m’accompagner ?

-Absolument sûre. »

Le semi-orque haussa les épaules. C’était pure folie d’emmener avec lui une femme fatiguée par un long voyage, et sans aucune habitude de ce genre de mission. C’était un risque grave, tant pour elle que pour ceux qui l’escorteraient. Mais tous comptes faits, Navregen n’avait aucune envie de la laisser en arrière, loin de ses yeux. Il voulait être sûr de pouvoir veiller sur elle, aussi s’était-il contenté de réclamer en son nom des vêtements chauds et des chaussures solides auprès des Elfes.

Ils se hâtèrent de rejoindre leurs compagnons de route, qui devaient les attendre à la sortie Nord de la ville ; aussi traversèrent-ils sans perdre de temps les bas quartiers où étaient parqués les orques de la tribu des Plakdefer. Au passage, ils attendirent que les deux pisteurs et Fratrissid se présentent à eux ; les trois orques les suivirent sans faire de commentaires. Tous avaient le sentiment qu’ils n’étaient pas partis pour une promenade de santé. Ils allaient quitter les limites des baraquements des peaux-vertes, quand ils rencontrèrent le chaman Nédacié ; l’apprenti-sorcier les attendait avec impatience, en équilibre sur une pierre affleurant de l’eau froide et vaseuse qui inondait la rue. Dès qu’il eut reconnu le chef de la tribu, il sauta de son perchoir et marcha vers lui, projetant de grandes éclaboussures autour de lui et chassant les débris flottants du manche de son gros bâton :

« -Alor vou parté ? demanda t-il, curieux.

-Oui, répondit Navregen, j’espère être de retour d’ici kelkes jours ; pas de stupidités pendant mon absence, hein ?

-Elle part avek vou ? s’étonna Nédacié, en désignant la femme Svedingar de la main.

-Exaktement, rétorqua l’autre. Cela te pose un problème ?

-Non, non… Bon kouraj, chaif.

-Merci. »

Navregen et sa compagne le dépassèrent sans plus attendre, mais Nédacié les apostropha une dernière fois :

« -Chaif, lança le sorcier dans son dos, j’voulé vous dir, pourkoi j’vouz’ai aidé autant k’j’ai pu depuis k’vous avez pris l’kommand’ment…

-Oui, eh bien koi ?

-S’parske j’le sentai, chaif, vous z’aussi vous z’êtes un maj… Vou pouvé vou aussi capté lé truk majik, é c’est unik’ment pour ça ke j’vou ai soutenu, ke j’vou faisai konfiance. »

Navregen pesa chacun de ces mots et haussa les épaules :

« -Je suppoze ke c’est un kompliment ?

-J’voulai juste vous dire de pas négligé c’pouvoir. Si vous êtes kapable de sentir lé vents, servé-vou d’ce truk. Y pourrai vous sauvé la vie.

-Jusqu’à présent, la magie s’est plutôt montrée destructrice, ironisa le semi-orque.

-Toutes les chozes ont un revers, chaif, répondit l’autre. Bonne chance kand maime. »

Navregen hocha de la tête et reprit sa route, talonné par Swegnine. Cette-dernière restait pensive, se demandant encore si elle avait fait le bon choix. Il était évident que de nombreux dangers pourraient les guetter, au cours de cette chevauchée en solitaire, au cœur d’un territoire hostile. Mais elle était bien placée pour savoir qu’elle n’aurait pas été plus en sécurité en compagnie d’Ezelduin…

Elle fut toutefois tirée de ses réflexions, car ils entraient dans un nouveau quartier de la ville, quartier qui avait de tout temps abrité les populations Fenris, et qui abritait alors en outre de nombreux réfugiés, que ce soient des sinistrés des autres bourgs de la cité elfique, ou bien des réfugiés des villages alentours. Il s’y trouvait donc de nombreux hommes et femmes du peuple Fenri, et les êtres à peau bleue la regardaient passer avec tant d’insistance qu’elle finit par le remarquer.

Les Fenris étaient établis sur ces terres depuis de nombreuses générations ; en fait, à en croire les plus érudits, depuis que leur race existait. De mémoire d’homme, ils avaient toujours vécu dans les terres boréales du monde, aux pieds des montagnes relevées de la Grande Barrière. Depuis ce temps-la, ils avaient eu maille à partir avec plusieurs autres nations : les Nains des monts Merin-Duriaz, qui cependant renoncèrent bientôt à leurs prétentions, les Hommes de l’empire du Fordaur, qui n’avaient jamais renoncé à leurs droits sur les terres de la côte, les innombrables clans Orques déferlant de l’Ouest par vagues successives…

Mais tous ces adversaires n’avaient pas laissé un profond sillon dans la mémoire des Fenris, plus sanglant que celui infligé par les Svedingars. Ces intrépides explorateurs et pillards des mers arctiques avaient négligé leurs terres désolées du Grand Nord pour venir piller, puis coloniser tout le pays. Leur rapide invasion avait d’ailleurs fini, comme on le sait, à donner leur nom à toute la région : le Svedingarland. Si les Nains s’étaient montrés rancuniers, les Orques brutaux et les Humains du Fordaur vaniteux, les Svedingars à eux seuls avaient su combiner la sauvagerie des uns à l’ambition des autres. En quelques décennies, l’hégémonie et la puissance Fenris avaient été sapées sans espoir de remède, par les incursions, les raids, les conquêtes des barbares chevelus, bourrus et assoiffés de victoire.

Swegnine tenta de soutenir comme elle le put les regards haineux que les habitants déguenillés des quartiers populaires de la ville lui adressaient. Les parents la fusillaient des yeux, les enfants la montraient du doigt ou murmuraient dans son dos. Tous reconnaissaient sans peine ses origines, au flamboiement de sa longue chevelure. Mal à l’aise, elle se rapprocha de Navregen et veilla à ne pas s’écarter de lui d’une semelle ; non, vraiment, rester à Holorion, cette ancienne ville Fenri, n’aurait pas été une bonne idée.

Le demi-sang, pour sa part, n’y prêtait pas la moindre attention. Il avait bien la tête ailleurs ! Le cas Nédacié l’intriguait au plus au point mais son cœur inclinait à lui faire confiance. Le chaman n’avait pas le caractère bouillant et ambitieux de tous les autres personnages emblématiques de la tribu, et le semi-orque était enclin à voir dans le calme et la prudence de l’apprenti-sorcier une sorte de sagesse. Pourtant, ne s’était-il pas juré de tuer tout orque commençant à présenter des talents de sorcellerie développés ? Il décida de reporter l’exécution à plus tard…

Ils rejoignirent enfin le reste de la petite expédition. Darcaluin et Oroferr avaient fait ouvrir les portes de la ville, et discutaient avec les sentinelles en faction, autour d’un brasero crachotant. Les deux princes portaient leurs longues capes de voyage, sous lesquelles ils semblaient dissimuler des besaces rebondies. Chose curieuse, ils avaient renoncé à leurs sabres et leurs arcs, pour se munir de longs bâtons. Les bourdons de ces cannes étaient très étranges, ornés de fioritures et d’excroissances curieuses. C’étaient là leurs seules armes apparentes.

Dès qu’il eut aperçu les nouveaux venus, Darcaluin marcha à leur rencontre. Il haussa un sourcil en direction d’un petit groupe de Fenris silencieux, les poings serrés, qui les suivait à une vingtaine de mètres, mais ceux-ci retournèrent rejoindre leurs foyers branlants, en maugréant des malédictions.

« -Les « Oreilles Pointues » sont prêtes à partir, ironisa t-il à l’adresse de Navregen.

-Ah, vous avez entendu mon petit discours ? sourit le semi-orque. Si vous avez fini de fourbir vos armes, alors allons-y. Nous n’avons pas de temps à perdre n’est-ce pas ? »

Darcaluin se contenta d’arborer un sourire forcé, et rejoignit son frère. Les plaines dévastées du Svedingarland les attendaient.

Lien vers le commentaire
Partager sur d’autres sites

Procédé hautement facile et malhonnête, que j'ai la sale habitude de pratiquer dans la plupart de mes textes

Fais attention parce que ça donne vraiment l'impression que tu fais ce que tu veux avec qui tu veux sans donner d'explication ! Ca fait facile et pas du tout crédible ! La tu mets une bonne explication mais faut pas trop la laisser éloignée du moment où la personne réapparait dans l'avenir (là ça va) !

Pour le fond petit départ pour des contrées lointaines, va y avoir obligatoirement du grabuge au retour (parole d'orc !!) Je pense que pendant le voyage il va en profiter pour travailler ses pouvoirs ! Une bonne suite et un bon retour sur les personnages qui permet de se rappeler qui fait quoi !

@+

-= Inxi =-

Lien vers le commentaire
Partager sur d’autres sites

Rejoindre la conversation

Vous pouvez publier maintenant et vous inscrire plus tard. Si vous avez un compte, connectez-vous maintenant pour publier avec votre compte.
Remarque : votre message nécessitera l’approbation d’un modérateur avant de pouvoir être visible.

Invité
Répondre à ce sujet…

×   Collé en tant que texte enrichi.   Coller en tant que texte brut à la place

  Seulement 75 émoticônes maximum sont autorisées.

×   Votre lien a été automatiquement intégré.   Afficher plutôt comme un lien

×   Votre contenu précédent a été rétabli.   Vider l’éditeur

×   Vous ne pouvez pas directement coller des images. Envoyez-les depuis votre ordinateur ou insérez-les depuis une URL.

×
×
  • Créer...

Information importante

By using this site, you agree to our Conditions d’utilisation.