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Grèves


Petimuel

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^_^ Le texte complet et corrigé se trouve

Coucou les gens! Voici le début d'une courte nouvelle idiote qui j'espère ne donnera pas trop le sentiment de s'éparpiller... Je suis avide d'avis!

Grèves

____Je ne saurais vous dire comment la chose fut rendue possible. Sans doute par des conversations olfactives –les pifs devaient être dans le coup- ; certainement pendant que nous nous croisions et discutions ; une affaire d’opportunisme et un travail de longue haleine. C’est encore le plus probable. Il a dû en falloir, de la patience, de l’obstination et de la détermination pour accomplir une tâche pareille ! Que de ressources dans de si petites choses! Quelle que soit l’échelle, la règle voulant que les populations confrontées à une crise existentielle savent tirer le meilleur d’elles-mêmes demeure vérifiée. Aujourd’hui encore, j’en reste scié !

____Comment ça c’est passé, ça je peux vous le raconter. Très simplement, en vérité -jusqu’à ce que ça se complique, comme pour toutes les choses simples. C’était un Novembre, le premier trimestre de l’année scolaire ressemblait à un long tapis élastique dont le terme, quoiqu’à portée de main, ne cessait de se dérober au pauvre qui le voulait atteindre en déroulant derrière lui d’autres semaines, d’autres journées, d’autres heures. Novembre. C’a commencé un matin avec le murmure strident et militaire de mon réveil m’annonçant qu’il en restait un bout, d’année à dérouler, et que c’était plus le temps de se reposer, et de me déverser dans l’oreille son lot de reproches habituel. Je ronchonnai, débattis en moi-même pour savoir si m’autorisais à rester encore dix minutes au lit; jusqu’à ce qu’à force de réflexion j’arrivai au terme de ces dix minutes. Il fallut bien me résigner. Je hissai mon dos jusqu’à la verticale, puis me fis glisser le long de mon lit.

____Et voilà que je m’étalais de tout mon long sur mon linge sale, mes cahiers, mes disques et les quelques bouquins qui d’un commun accord vallonnaient le plancher de ma chambre -lequel sans eux eût été d’une platitude désespérante, donc ne nous plaignons pas, sinon du mal terrible que je ressentis à l’aine, au ventre et à l’amour-propre. Moi, digne représentant de la jeunesse d’alors, me vautrer de la sorte tel un gamin de deux mois ; dès potron-minet, tout frais et dispos, en pleine possession de mes capacités physiques, même pas bourré, rien… Je tentai de me lever, mais sitôt debout, mes pieds ne tirent pas mieux et je retombai mollement au sol. Nouvelle tentative, nouvel échec. Qu’est-ce qui m’arrivait, bordel ? Mon cerveau à peine émergé des brumes de la nuit s’emballait, m’attirant sur toutes les voies à la fois. Maladie ? Peut-être. Fatigue ? Est-ce que j’avais été particulièrement fatigué ces derniers temps ? Si j’étais malade, était-ce grave ? Ca n’était pas impossible. Je me serais foulé la cheville ? Dans la nuit, peu probable. Si je suis malade, je pourrais rater les cours !

____Les cours ! Il était vraiment l’heure de me lever et mes pieds ne me portaient toujours pas. Là encore, mon esprit bondit un peu partout comme un chiot découvrant un nouvel environnement. Passées les réflexions sur la tronche qu’auraient pu tirer mes profs à l’écoute du récit de ma mésaventure, j’avisai mon portable reposant mollement sur un vêtement roulé en boule. Je pouvais m’excuser, c’était toujours ça. Un coup de fil au lycée étant toujours apprécié, quelle que fût la situation. Je tendis mon bras vers l’appareil, m’en saisit, et, devant l’écran lumineux –je ne l’éteins jamais- un éclair me vint. Je ne connaissais pas le numéro du lycée. Merde, merde, merde… Il y avait l’annuaire dans le salon, haha, certes, mais bougre d’andouille, comment j’aurais fait pour l’atteindre, incapable que j’étais de me tenir debout ? Changement de tactique, je décidai d’envoyer un texto à mon copain Louis afin qu’il m’excusât auprès des profs. C’était toujours ça.

____« slt lulu jpeu pa me levé jsé pa se ke jé kom maladi tu m’excs pr lé prof ? »

____Et voilà, mon capitaine. Message transmis au poste de commandement. Bon travail, soldat. Vous pouvez disposer ; l’état-major a besoin de réfléchir à quelques questions de prime importance.

____Je me retournai afin d’être allongé sur le dos et ma pile d’affaires, passai mes bras sur mes yeux et inspirai profondément. Qu’est-ce qui m’arrivait, putain ?... J’étais en train de rater les cours à cause d’une obscure connerie à laquelle je n’entendais goutte… C’était pas un cauchemar, des fois ? Non, trop tordu. Et puis l’heure. L’heure qui avançait inexorablement sur le cadran de mon réveil. Goutte à goutte, c’étaient mes chances de sauver ma journée qui se voyaient réduites à néant. Plus aucun espoir. Rien. Niet. Nada. Estimation des chances de victoires : nulles. Je propose un repli, mon commandant, ou nous allons nous faire tailler en pièces. Faites, mon bon, faites, mais arrêtez de me déranger pour que dalle, vous ne voyez pas que je suis occupé à me lamenter sur mon sort, non?

____J’aurais pu en profiter pour me recoucher mais, face à cette situation étrange, mon esprit avait pris le parti de mobiliser toute son énergie afin, sans doute, de me laisser apprécier plus nettement l’étendue des dégâts à mesure qu’ils promettaient de se révéler. Trop gentil, fallait pas. Mon téléphone miaula. Un nouveau message venait d’arriver. Réponse de Louis. Je le lus.

____Il me scia aussi net des jambes qui avaient bien besoin de ça.

____« putin il marriv la mem choz c koi se bordel »

____Là, ça frisait le délire. Avant de m’abandonner à une folie démentielle, j’envoyai deux autres textos à Julie et Constantin afin de m’assurer de l’ampleur du phénomène. La réponse de Julie confirma mes craintes. Celle de Constantin n’arriva jamais – il était bien capable de dormir, cet ahuri. Alors, on peut sombrer ? Oui… non. Un capitaine n’abandonne jamais son navire, me dis-je. Une nouvelle tentative, certes désespérée, s’imposait – comment il disait, dans la pièce en cours de Français, déjà ? Ah, oui : « mais on ne se bat pas dans l’espoir du succès ! Non ! Non, c’est bien plus beau lorsque c’est inutile ! ». Je me retournai sur le ventre, appuyai mes paumes contre un plancher au préalable vaguement débarrassé des affaires qui l’encombraient et bandai mes bras pour soulever mon tronc. Jusque-là, tout allait bien. Avec maintes précautions, je ramenai mes jambes en avant et réussis à m’installer sur les genoux. Profitant de ma position, je lançai une prière à Dieu – sait-on jamais ? – puis avançai doucement une jambe afin qu’elle s’appuyât sur son pied et non son genou. Je tenais. Plus ou moins, mais je tenais. A peine entrepris-je de faire de même avec l’autre jambe –ce qui impliquait de déporter tout mon poids sur le pied- que je basculai sur le flanc d’une manière aussi ridicule que les fois précédentes. Sic transit gloriam, cette fois j’étais cuit. Je me préparais à me noyer dans le désespoir quand la sonnerie de mon portable m’offrit un contretemps. Texto. Benjamin.

____« o secours je peux pas tenir debout jpeux pas aller en cours ! »

____« ouai sa fai sa a tt le mond moi osi ché pa ski spass »

____Ca n’avait pas intérêt à continuer ainsi ou tout mon forfait allait y passer. Matinée de merde, décidément… Le forfait qui faisait naufrage, mes pieds qui ne répondaient pas… Je m’allongeai, en proie à un cafard noir. Mon regard glissait sur un peu tout et beaucoup rien : les persiennes, un coin du bureau, le plafond, le réveil qui indiquait sept heures quarante huit minutes et quarante six ; quarante-sept secondes, un CD qui traînait là, mon bras qui traînait aussi, un bout de drap, mes pieds…

Mes pieds qui étaient bien peu coopératifs. Y zauraient au moins pu compatir un peu, je sais pas, merde ! Depuis le début, ils ne faisaient rien que… rien. Rien du tout. Je m’en rendis soudain compte : le problème venait d’eux. Tout le reste du corps fonctionnait parfaitement, cinq sur cinq, mon capitaine, et eux jouaient les déserteurs, les insurgés. Ils me faisaient le coup de la désobéissance civile. Et sans eux, impossible de faire quoi que ce soit. C’est vraiment con, un pied, mais alors surtout dans ces moments-là ! Un grand désespoir se tapit dans ma gorge, mon esprit s’embrouillait, merde, merde, j’étais réduit à moins que rien, totalement incapable, et tout ça à cause de ces putains de pieds ; c’était toute mon humanité qui restait vissée au sol entre ces orteils écoeurants… Des larmes gonflaient mes yeux, un sentiment d’immense injustice m’envahissait, je me sentais seul, immensément seul, coupé même de mon propre corps, coupé de ces saloperies de pieds qui n’en faisaient qu’à leur tête – si tant était qu’ils en eussent une…

____« Mais qu’est-ce que je vous ai fait ? »

____La phrase avait été lancée sans réfléchir, à la cantonade ; je dis ça comme j’eusse lancé une supplique à Dieu ou une invective au Grand Manitou. Mais dans mon désespoir, ce furent bel et bien mes pieds que je hélai de la sorte. Soit qu’ils fussent offensés, soit que ce fût un signal quelconque que je leur avais inconsciemment jeté ; en tous les cas ils ne restèrent pas sans réactions : eux qui jusqu’alors pendaient mollement de part et d’autre de leurs talons semblèrent investis d’une détermination nouvelle et se plaquèrent violemment au plancher, profitant de l’occasion pour me causer une vive douleur aux jambes, que je fus contraint de plier immédiatement. Ils étaient animés d’une neuve force, et je sentis que, pour un temps du moins, je pouvais m’y appuyer. Je me relevai donc. Dieu que ça fit du bien !

____Mais je faillis retomber aussitôt car mon pied droit s’était soulevé tout seul. Doucement, certes, mais seul quand même. La sensation était extrêmement désagréable et la surprise si totale que je manquai de tomber à la renverse, je ne dus mon salut qu’à ma main droite –enfin quelqu’un qui obéit ! – qui eut la bonne idée de se cramponner à une chaise avoisinante.

____Après quelques instants et que j’avais retrouvé mon équilibre, ce fut au pied gauche de faire un mouvement, puis le droit prit le relais ; enfin tous deux ensemble me menèrent tant bien que mal à mon bureau, tandis que je me démenais pour conserver un semblant d’équilibre. Là, mes pieds me firent grimper sur ma sauveuse la chaise, puis, avec une peine infinie, sur le bureau. Debout là-dessus, j’avais un petit vertige et une grande frayeur ; et il me fallut d’ailleurs toute mon adresse pour maintenir mon équilibre lorsque mon pied gauche envoya voltiger un carnet de feuilles blanches. Tel était le but de cette opération, car mes pieds d’un commun accord sautèrent alors du bureau au parquet, m’offrant une magnifique occasion de tomber pour la énième fois, de renverser la chaise et de fendre un boîtier de cd que je ne pus m’empêcher de saisir. Question d’honneur. Un fois à terre, mon pied droit remua brièvement l’amoncellement d’affaire qui soutenait le flanc de mon lit afin d’en extraire un stylo.

____« Eh, mais qu’est-ce que vous faites ? » lançai-je enfin, complètement affolé.

____Le plus calmement du monde, du moins le supposé-je, mon pied droit revint au-dessus du bloc de feuilles que mon pied gauche maintenait fixe au sol, et, à l’aide du stylo, écrivit dans une calligraphie nette et sans hésitation : « nous faisons grève ».

____Ah. Donc mes pieds écrivaient, et mes pieds avaient une conscience civile. En plus de ça mes pieds avaient étés capables de coordonner une action avec d’autres pieds. Toute mon excitation fut purgée par une sorte de douche froide qui aurait coulé de bas en haut.

____« Ah bon » Demandai-je seulement.

____« Si fait » me répondirent-ils par écrit. Et là ça n’alla plus du tout. Non seulement mes pieds écrivaient, mais en plus ils écrivaient bien ! « Si fait », je veux dire, c’est pas une expression très courante, je ne l’employais pas régulièrement en parlant à mes amis ! Ca se lit, ça, ça s’écrit à la limite! Tout ce que je lisais était donc connu de mes pieds ? Mes yeux leurs transmettaient des informations, mes oreilles aussi à coup sûr, sans quoi les mots n’eurent été pour eux que des glyphes abscons ; mon corps entier me semblait tout d’un coup lointain, distant ; je compris un instant les rois dont la cour complotait pour se soulever. Mes pieds m’apparaissaient comme de cruels instigateurs, et tous mes membres leur avaient prêté main forte. Oreilles fourbes, traîtres yeux, bras pendables… et toi, mon pauvre cerveau ? Dans quel camp étais-tu ? Etais-tu toujours avec moi ; ces sales membres auraient-ils réussi leur volonté de décentralisation du pouvoir de raison ? Ou avais-tu organisé tout ce joli monde, en cachette, dans un inconscient que aurais maîtrisé sans me le dire, sans que je m’en rende compte ? Et si tu avais été contre moi… qui pouvait bien être ce « moi », sinon un agrégat informe ; un galimatias d’organes qui ne me désiraient plus comme entité directrice ?

____Qu'est-ce qui restait du moi? Ma pensée? Un partie de ma pensée? Quelle part de mon cerveau avait bien pu pactiser avec l'ennemi, engendrant une hideuse collaboration permettant à mes pieds de faire comme s'ils pouvaient penser… et se mettre en grève?

____Il me fallait du repos. Dans l’incapacité de me déplacer, je laissai mollement tomber mes fesses en arrière, espérant qu’elles rencontrassent la chaise, avant de me rappeler que j’avais renversé celle-ci trente seconde auparavant.

____Et j'eus mal.

____Il me fallut quelques instants avant d'envisager enfin la seule vraie issue possible face à une grève : les négociations. J'étais avachi au sol, le dos contre la chaise renversée, avec une vue directe sur cette paire de pieds immobiles, qui pourtant n'avaient jamais autant regorgé de vie. Ils me narguaient, les salauds, prêts à me bondir dessus à la moindre incartade de ma part. En fait c'étaient eux qui dominaient la situation. Il me fallait impérativement donner l'impression d'en demeurer le maître si je voulais obtenir quelque-chose d'eux.

____"Très bien", dis-je avec lassitude,"je consens à vous entendre. Enfin, à vous lire."

____La plaisanterie pas plus que le reste de la phrase ne leur arracha la moindre réaction. Ces pieds n'avaient aucun humour.

____"Qu'est-ce que vous avez prévu?" demandai-je, tout en pliant les jambes afin de leur permettre d'écrire.

____"Qu'entendez-vous par là?" Demanda mon pied droit par feuille de papier interposée.

____"Eh bien, je ne sais pas; vous semblez avoir minutieusement préparé ce coup de force avec tous vos petits copains, puisque les pied de mes amis ont également fait sécession avec le reste de mes amis, je suppose donc que vous devez avoir prévu une conférence générale, une réunion syndicale, une assemblée pédestre, une soirée-dansante, enfin un machin quelconque où l'on pourrait discuter de vos revendications afin de mettre fin à une situation aussi embarrassante pour vous que pour moi."

____Mes deux pieds se tournèrent l'un vers l'autre, donnant l'impression de se dévisager. Apparemment ils n'avaient pas pensé à ça. D'ailleurs, le pied droit finit par écrire : "Nous n'avions pas pensé à ça."

____Ouais. Ils avaient peut-être pris possession d'une partie du cerveau m'enfin il leur manquait quand même une case, quoi. J'avais toujours su que la région de la véritable intelligence eut résisté jusqu'au bout, devinant que le centralisme cérébral était la seule voie de la légitimité! Enfin; non je ne m'en étais absolument pas douté, mais ça faisait vraiment plaisir! Merci, cher cerveau! Si nous nous en sortions je t'offrais du Nietzsche, ou des séries américaines à la con, selon ton désir!

____Mais pour l'heure il me fallait organiser moi-même ce sommet inter-pédestre, puisque mes crétins de représentants n'y avaient pas songé eux-mêmes, pas plus d'ailleurs que leurs petits camarades. Je proposai à mes pieds de me rendre quelques temps le pouvoir qu'ils m'avaient confisqué –comme ils semblaient se braquer je parlai bien vite de "me déléguer leur pouvoir de déplacement "- et, après bien des palabres, je parvins à les convaincre de m'emmener chez mon copain Louis afin qu'on discute de ça à nous six. Dès que je me sentis réinvesti de ma fonction motrice inférieure – Ah! Que ça fit du bien! -, je commençai à descendre les escaliers en courant et en atteignis le bas en glissant sur les fesses. L'habitude de marcher se perd plus vite que celle de faire du vélo. Allez trouver une quelconque nature humaine, après cela…

____Je me relevai avec hâte et une douleur à l'arrière-train, enfilai un manteau, empoignai mes clés et pris enfin le chemin de la maison de Louis, bordé par le spectacle affligeant d'une humanité exsangue, composée d'employés en costume-cravate qui se traînaient comme des vers pour aller travailler, une valise à la main, faisant passer leur état de salarié au-dessus de celui d'être humain. Cette poignée d'hommes rampant après leur argent me donna la nausée… Maintenant que j'y pense, il devait bien y avoir dans le tas quelque braves types qui se démenaient pour apporter à quelqu'un une aide qu'ils jugeaient indispensable. Allez savoir. Sur le moment, je me souviens m'être demandé s'il n'aurait pas été mieux de laisser chacun se débrouiller avec sa paire de pinces, afin de laisser les gens obtuses et intéressées patauger dans leur fange, et ne laisser revenir au jour qu'une humanité intelligente et pondérée. Et puis finalement non. C'eut été faire le jeu des manipulateurs de tout poil. Autant aider les plus démunis!

C'est finalement investi d'une sensation d'altruisme et d'une détermination à tout épreuve que j'atteignis le seuil de la porte de mon ami Louis, m'y cognant le pied gauche dans ma précipitation.

____Je frappai trois coups du poing. Un mugissement sourd parvint à peine à se hisser jusqu'à mes oreilles, écrasé par les obstacles qui me séparaient de son émetteur, tels qu'une porte, un mur, des choses du genre. Bien. Combien de temps avant que Louis ne parvînt à atteindre la poignée? Je pris les paris. Cinq minutes, pensai-je. A ma grande surprise, mon pied droit releva le défi et étira autant qu'il le put trois de ses orteils. Santa madonna, m'écriai-je sous le traître coup de la surprise, cet ahuri avait réussi à savoir ce que j'avais pensé! Puis je me rendis compte que je devais avoir machinalement murmuré cette histoire de pari, ça m'arrivait souvent. Oui. A voir. Bon, bon, bon… qui des deux allait avoir raison?

____Des râles pénibles agitèrent l'intérieur de la maison. La poignée glissa. La porte s'ouvrit.

____Trois minutes.

____Humilié.

____"Salut Lulu!

____- Comment t'as fait pour refaire marcher tes pieds toi?

____- Laisse-moi entrer, je t'explique ça!"

____Il s'aplatit contre le mur afin de me laisser pénétrer dans le couloir. Je fis un pas puis laissai à dessein mes pieds près des siens, ayant déjà l'intuition de la théorie que j'ai exposée tout à l'heure, et selon laquelle ils communiquaient entre eux. J'attendis un peu, histoire que la béchamel prenne, puis je contemplai le spectacle de mon éblouissante victoire : Louis sentit ses pieds rentrer sous son contrôle, puis, timidement, se releva. J'éructai. Il éructa. Nous éructâmes.

____"C'est toi qui as fait ça?

____- Eh, que veux-tu, j'ai de nombreuses ressources.

____- Merde alors! T'es vraiment le roi, toi!"

____Je dois avouer qu'à ce moment je me sentais en effet un peu comme un roi, pour la puissance sur ses sujets et pour le don de guérison. Hosanna! Sonnez, angelots! Résonnez, alouettes! C'est Dieu qui m'envoyait pour vous délivrer tous! J'étais en quelque-sorte couronné par la main des pieds. Je dus hélas expliquer à ce curieux de Louis que la limite à cette guérison était ceci qu'elle avait pour fonction unique de nous permettre de convenir d'un lieu de réunion et de nous y rendre afin d'y entendre les exigences des grévistes.

____"Je sais pas; pas très loin de chez nous il y aurait le lycée…

____- Le lycée? Mais t'es pas sérieux?

____- Ben...

____- C'est un truc grave, merde! Il faut de l'officiel, du grandiose, du pampre, du tricolore! La mairie à tout le moins!

____- Holà, tu dérailles, l'ami! Parce que tu as dit "bonjour" à tes pieds tu penses que tu deviens un officiel? Depuis quand le gouvernement t'a-t-il délégué un quelconque pouvoir? Tu crois sérieusement que tu vas à toi seul rassembler toute la ville à toi pour occuper la mairie? Tu te prends pour Gandhi? C'est quoi, c 'est la marche du talc?

____- Tes blagues sont nulles, Lulu.

____- Peut-être, mais moi je ne prétends pas me transformer en orateur de la trempe d'Hitler! Le lycée suffira amplement pour une première petite réunion, on laissera les choses se répandre après.

____- Mais bordel tu n'as pas confiance en moi?

____- Allez, fais pas ton mariolle.

____- Bien, t'as gagné. Je ne bouge plus. Démerde-toi."

____Mes pieds n'apprécièrent pas cet abandon. Alors que je me préparais à garder une posture droite et digne ils me rappelèrent à mes impératifs en me laissant bêtement choir de mon piédestal et sur le carrelage. Une fois sa surprise passée, Louis me tendit une main amicale pour m'aider à me relever.

____"Pas trop de casse?

____- Oh, toi, ça va, hein! Tu voulais m'humilier et t'as réussi, mais maintenant t'as plus besoin d'en rajouter une couche, c'est bon! Basta!"

____Louis se tut, et me regarda avec de yeux ronds. Je réalisai. Je laissai quelques minutes s'écouler afin de mieux sombrer dedans et dans la conscience de son propre ridicule.

____"Désolé, Louis… Quand je n'ais plus mes pieds je perds les pédales…

____- …

____- Oui, oublie ça, tu veux. "

____Je me relevai.

____"Bon. Va pour le lycée.

____- C'est juste un début, tu sais. Après ça on laissera l'affaire à des gens plus compétents. Je veux dire… pas forcément en podologie, mais bon… même après le bac, on est toujours des étudiants, hein.

____- Oui, oui…

____- Tu es déçu?

____- Mais non.

____- Tu es déçu.

____- Laisse."

____Il laissa. Il enfila son manteau, puis nous sortîmes. Nous accaparâmes sur le chemin tout ce qui se trouvait d'inaptes rampants, nous leur expliquâmes le problème, nous les relevâmes, venez, rejoignez-nous, nous frappâmes aux portes, nous envoyâmes des textos à nos connaissances, bref, nous sonnâmes l'heure de la contre-révolution.

____Nous étions partis deux, mais par ce prompt renfort, nous nous vîmes beaucoup aux portes du lycée. Jeunes, moins jeunes, hommes, femmes, une importante foule nous entourait tandis que je me rengorgeais en vu d'un discours d'une éloquence que j'imaginais rare. "Vas-y, harangue!" me souffla Louis au creux de l'oreille.

____"Camarades!" commençai-je donc à haranguer.

____Louis semblait désapprobateur. Une partie de l'auditoire aussi.

____"Euh, oui… messieurs-dames! Comme vous devez plus ou moins le savoir, nous sommes tous ici pour décider ensemble de la façon d'agir afin de réguler cette grève de nos pieds. Oui, parce que nos pieds font grève, sisi, demandez-leur, vous verrez. J'ignore pourquoi, sans doute tout autant que vous, enfin je suppose; mais nous sommes justement rassemblés ici pour entendre leurs exigences. Enfin, non, on est plutôt ici pour décider de ce qu'on fait, donc, euh, si on décide d'écouter leurs exigences ben c'est ce qu'on fera, mais si on décide de rassembler toute la ville pour le faire, alors, voilà, on ne le fera pas tout de suite. Ni ici. Plutôt à la mairie, quoi. Et plus tard… Bref, tout cela pour vous dire, mes chers concitoyens, qu'il va falloir choisir la façon de communiquer avec nos pieds. Enfin si on décide, de… enfin… bon, alors, on fait quoi?"

____Mes yeux, qui n'avaient cessé de papillonner timidement pendant cette déclame osèrent se poser sur mon auditoire. Je fus aussitôt convaincu de leur profond scepticisme. Eussé-je mal parlé? Quelques secondes s'égouttèrent. Des raclements de gorges et des murmures de conversation commencèrent à gagner le fond de l'auditoire, puis petit à petit le filet des paroles enserra la foule de plus en plus fort, jusqu'à la cacher derrière un brouhaha général. Les points de vue s'échangeaient, les propositions se noyaient, la panique s'épaississait, l'incompréhension s'affirmait, et moi-même je restais au milieu de ce bazar, sans mot dire. J'allais rappeler tout le monde à l'ordre, mais Louis me dit que c'était inutile - "si encore tu avais de réels talents d'orateur", ben voyons…

____Finalement je me rendis compte que la foule s'éclatait en groupuscules qui débattaient entre eux. Bof, tant mieux. Il allait peut-être ressortir quelque-chose de tout ça. Je m'approchai de l'un de ces groupes, histoire de prendre la température. Un homme expliquait à deux comparses qu'à son sens il fallait déléguer une paire de pieds afin qu'elle allât parler au nom de toutes devant l'assemblée. Un femme lui rétorqua que cela aurait impliqué une vaste discussion entre les pieds avant de donner lieu à ce sommet. L'idée fut soulevée d'opérer conjointement les deux tendances, en envoyant des délégués discuter et en permettant à des paires de pieds ou à des humains complets d'intervenir pour ajouter ou discuter une proposition. La chose sembla ingérable. Louis intervint pour proposer l'établissement par des représentants de chaque camp d'une liste de propositions écrites qui aurait ensuite été distribuée à tout le monde, puis étudiée chez soi par chacun, puis rapportée annotée, et étudiée par les mêmes représentants jusqu'à en arriver enfin à la mouture finale, signée par les mains et les pieds des représentants et approuvée par tous. Là encore, le système semblait indigeste.

____Je me promenai dans les courants d'idées de cette foule balbutiante à l'angoisse assourdissante. Partout, c'était la peur qui parlait dans la voix de ces gens, qui échafaudaient d'abracadabrantesques solutions comme on discute politique pour faire oublier que devant eux s'ouvrait le néant.

____Je croisai avec surprise mon professeur de philosophie, à qui je vouais une secrète admiration. Trapu, serein, une courte barbe grisonnante soulignant son demi-sourire, je ne pouvais m'empêcher de l'imaginer fumer la pipe comme le fit Sartre.

____"Bonjour monsieur!" le hélai-je. "Je ne vous avais pas vu!

____- Non, je viens d'arriver, me répondit-il.

____- Tiens? Mais, qui vous a donc prévenu, pour vos pieds?

____- Personne, pourquoi donc? Il n'est besoin de personne pour savoir calmer les ardeur révolutionnaire d'une paire de pieds, que je sache. Ca n'est d'ailleurs pas exceptionnel puisque toute cette foule y est parvenue.

____- Non, monsieur, c'est moi qui ai réussi à retrouver ma chère position d'homo sapiens sapiens, et j'ai révélé l'astuce aux autres et réuni tout le monde ici.

____- Ah, bien! Je te félicite!

____- Merci.

____

____Bon; il me fallait très vite trouver quelque-chose à dire; pour une fois que j'avais l'occasion de briller aux yeux de ce prof je comptais bien exploiter la situation à mon avantage! Parler, parler! Oui, mais de quoi? Bof, du premier truc venu.

____"Ils ont du mal à s'organiser, hein.

____- Oui, ça me rappelle le gouvernement de la Commune de Paris, en 1871. Un bazar pas possible.

____- Eh oui… les grands desseins sont toujours freinés par l'incapacité des hommes.

____- Ceci dit c'était quand même tout Paris, à administrer, pas Changchun.

____- Ha ha! Euh… c'est quoi, ça, Changchun?

____- La capitale de la Mandchourie.

____- Ah…

____- Renommée Xinjing du temps de la domination japonaise sur le Manzhouguo."

____Quoi dire? Quoi dire?

____"Et… c'est joli, ça, comme coin, la Mandchourie?

____- J'imagine. "

____Ouais. Question crétine. Je décidai de recentrer la discussion.

____"Mais sinon, vous, vous n'auriez pas une idée sur la façon d'intervenir au sujet de ces grèves?

____- De ces grèves?

____- De pieds.

____- Ah oui! Ma foi, il suffirait que chacun se retrouve en tant qu'être humain."

____Je répondis machinalement quelque-chose comme "en effet" alors que je n'y avais absolument rien compris, puis mon professeur prit congé, me laissant sur ce cuisant échec au beau milieu d'une foule qui s'agitait comme une volière à l'approche du chat. Je me rappelai l'histoire de Daniel Pennac, qui raconte qu'une dame recueillant un oisillon le laisse à portée d'un lapin, lequel, croyant voir des carottes ou un quelconque autre aliment, lui bouffe les pattes. Ici c'étaient les pattes elles-mêmes qui bouffaient le reste des oiseaux. Mmmh…

____"Il suffirait que chacun se retrouve en tant qu'être humain."

____Quel échec, Dieu, quel échec! Maman, ton fils était nul! Infoutu de faire une harangue correcte! Incapable de concrétiser son ascendant sur les autres –tout nul qu'il était, il avait réussi à dompter ses pieds, mais, bof, il n'était plus le seul. Complètement dérouté par la moindre conversation avec un prof. La situation lui échappait complètement, lui qui tout à l'heure se voyait déjà comme le Grand Timonier, le "petit père des pieds" qui aurait su émanciper à la fois l'homme du coup de force de ses pieds et les pieds du totalitarisme cérébral, du centralisme de la pensée, de que savais-je encore…

____Ce n'est qu'alors que je me rendis compte de la douleur. La douleur au pied gauche qui n'avait pas diminué depuis que je me l'étais embouti contre la porte de Louis. Je n'y avais plus guère prêté attention quand il s'était agi de diriger les foules, mais alors que je me retrouvais seul avec moi-même je ne pouvais plus ignorer les furieux élancements qui parcouraient toujours ce représentant d'une minorité en colère, et avec autant de virulence que s'il se fût agi d'un événement qui eusse été daté d'il y avait cinq minutes, pas plus. Une douleur aiguë. Je me serais presque attendu à voir la marque écarlate du coin de la porte sur ma peau.

____Bon. Qu'est-ce que c'était encore que ce machin? Mes pieds pouvaient-ils volontairement prolonger l'effet d'un coup, dans le but de -un exemple prit tout-à-fait au hasard- me contraindre à achever que qu'ils avaient entrepris de me faire faire? Un moyen de pression pour m'empêcher de rentrer chez moi en me frottant les mains. Si vous n'obéissez pas, tchak tchak! Tazer! Un coup de cravache sur la croupe du cheval et le voici qui galope. Oui. Il était facile de vérifier: voilà que quelques propositions étaient émises au centre de l'assemblée par quelqu'un qui avait du papier et un stylo et dont les pieds avaient fini par adopter le même système que les miens. J'y assistai. La foule parlementait. D'autres pieds venaient ajouter des propositions, d'autres encore les rayaient, raturaient, corrigeaient. Les chaussures abandonnées étaient rassemblées contre le mur du lycée; on eût dit l'entrée d'une Mosquée. Marrant. Je reportai mon attention sur la liste des propositions. Des banalités, essentiellement.

____"Pouvoir mieux respirer, et plus souvent"

____"Etre lavés avec des soins particuliers" Un autre pied –les calligraphies étaient dissemblables- avait ajouté "et des produits spéciaux". J'étais curieux de savoir lesquels.

____Tiens! "Etre traités avec plus d'humanité", le mot "humanité" avait été rayé et remplacé par celui de "dignité", dans un souci de cohérence, voire de peur du ridicule. Plaît-il, messieurs? La liste des comportements "dignes" figurait du reste sur une feuille annexe; on pouvait y lire, entre autres, l'abandon des expressions péjoratives concernant les intéressés. Tout ça me faisait plutôt rire qu'autre chose.

____Quelques propositions intéressantes, tout de même, telles que celle des exercices d'assouplissement des orteils afin de ne plus envisager les pieds que comme un socle mais un membre à part entière, ou, très alléchant aussi, la réclamation d'un rôle plus actif lors de l'acte sexuel. Mais tout ceci demeurait très superficiel, et m'offrit donc la confirmation de ce que je pensais, à savoir que pour intelligents qu'ils pussent être, les pieds restaient tout de même sensiblement limités. Tant mieux, ceci dit.

La douleur disparut dans mon pied gauche –je décidai de l'appeler Pendule, c'était plus pratique pour s'y retrouver et puis Pendule me semblait pas mal, comme nom de pied. Je baptisai sur-le-champ le pied droit Soucoupe pour la seul raison que ce fut le premier mot qui me vint à l'esprit-. J'en déduisis que Pendule considérait mon devoir comme accompli, et je pris le risque de rentrer à la maison. Les pieds se laissèrent faire. Ils avaient visiblement été satisfaits par cette petite réunion; j'étais toutefois bien conscient qu'une autre, au moins, suivrait. M'enfin pour l'instant, mission accomplie.

____Cette première moitié de la journée avait été plutôt positive, finalement. J'avais réussi à me servir de mes pieds, à aider une bonne partie de la ville, à entamer des négociations… sans être Solon je me sentis tout de même être un petit héros, dans mon genre…

____Le soleil d'Hiver, le plus beau, rasait la terre dans sa candeur doucereuse. Le retour au bercail fut léger et agréable; la maison accueillante. Sitôt rentré, je bondis sur le canapé. "Alors", demandai-je à mon cerveau tandis que mes doigts cherchaient déjà la télécommande, "livre de philosophie ou séries télé? Mh? C'est ton dernier mot?" J'allumai. La télévision débitait ses âneries habituelles à cette heure. Des jeux idiot. De la bouillie décérébrée. Ca me convenait.

____Je me laissai ainsi bercer un certain temps par la voix des présentateurs. Au bout d'un moment je sentis à nouveau une vive douleur dans les pieds. Encore? Et les deux en sus de ça! Ben tiens! Ces enflures étaient capables de créer de la douleur ex nihilo, comme ça, au débotté. Chienne de vie, tiens… d'accord, les cocos, d'accord! On arrête le massacre et on passe à de plus sérieuses occupations! J'éteignis la télé puis me levai du canapé sans but précis, mais, tout d'un coup, mes pieds reprirent leur propre contrôle et me menèrent droit à ma chambre, d'un pas qui se voulait sans doute déterminé même s'il faisait plutôt penser aux déambulations d'un ivrogne en fin de course. La chambre était dans l'état où je l'avais laissée, à savoir un bazar pas possible avec vue sur le bloc de feuilles qui, une fois de plus, semblait être la cible de Pendule et Soucoupe. De fait ce dernier s'empara de nouveau du stylo, et se mit à écrire.

____"Merci pour avoir organisé cette réunion, elle devrait porter ses fruits."

____Mais de rien, mes p'tits lapins, de rien…

____"Les propositions qui y ont été faites nous semblent importantes. L'essentiel de ce qui pouvait y être dit a, nous le pensons, été dit. Cependant…"

____Cependant?…

____"Cependant il y a quelque-chose d'essentiel dont nous ne pouvions pas parler là-bas. Nous ne devons le demander qu'à toi personnellement."

____Ca se compliquait. J'étais en quelque-sorte ramené de plain-pied à une dure et peu digeste réalité qui était qu'il me faudrait faire des efforts, et non simplement organiser une réunion pour faire dresser des tableaux de doléances sans conséquences. Pas de ça, mon p'tit gars, tu feras tourner tes pieds à l'huile de coude, crois-moi!

____"Bon, allez-y"

____Mis au pied du mur, ils semblaient hésiter. Soucoupe gardait l'orteil en l'air, immobile, dans le doute et l'expectative. S'il avait eu des yeux, ils eussent sans doute été fixés droit sur la feuille, emplis d'inquiétude. Ou alors papillonnant de droit de gauche, sans savoir que faire. Ou alors dérivant dans le vague. Ou alors fermés, en proie à la réflexion. Oui, enfin en l'occurrence la question ne se posait pas et c'était très bien comme ça, et revenons à nos extrémités distales du corps humain. Pendule, donc, était pétrifié d'angoisse, et Soucoupe esquissait de légers mouvement vers lui.

____La lumière de la chambre était éteinte, aussi régnait-il dans cette pièce une demi-pénombre bleutée que brisait la marque, sur le plancher, de la fenêtre dont les volets n'étaient pas fermés, et qui laissait entrer la lumière douce et froide de cette journée d'hiver. Rien ne se laissait entendre alentour, sinon quelques sourds chants d'oiseaux ou, bien plus lointains encore, les échos feutrés dérivant dans les sillons aériens que creusait sans doute un RER de passage. Le moment semblait grave, et l'hésitation des pieds, cruciale. Je décidai de ne pas rompre ce silence sérieux pour leur signaler que je risquais de tomber avec leurs clowneries affligeantes de saltimbanques écervelés, mais j'eus de plus en plus de mal à me maintenir debout, jusqu'à être obligé de tirer brusquement sur mon genou gauche pour rétablir l'équilibre. Pendule fut arraché du sol et de la discussion, soucoupe se retourna sous la surprise et je chus sur le côté. Je ne dus m'on salut qu'à mon lit que j'empoignai du bras gauche.

____Cette cascade eut au moins pour effet de précipiter les choses, et sitôt que l'on eut convenu que je pourrai avoir au moins une position assise quand il leur prendrait des envies de littérature, et que l'on se fut exécuté, Soucoupe se décida à écrire :

____"Nous voudrions que tu nous écoutes mieux."

____"Quoi!? Non mais ça va pas, vous?" m'énervai-je, car j'étais énervé, soudain. "Ca vous va bien, à vous de dire ça! Depuis ce matin je suis aux petits oignons avec vous, je me donne corps et âme à votre cause pour finir la journée en cloque, et voilà! Je suis précautionneux et attentionné, je me donne la peine de fédérer votre mouvement, de rassembler, de vous offrir d'édicter des lignes de conduite, je rassemble la ville, je vous permet d'aller vous plaindre en toute liberté et sur la place publique afin qu'on puisse remédier à vos problèmes et je ne suis pas à votre écoute? Mais il vous faut quoi, encore, que je vous cire les pompes?"

____"Non, tu n'as pas compris ce que nous voulions dire." écrivait pendant ce temps Soucoupe, à tout vitesse

____"Ah ben voyons, je ne vous comprends pas! Je suis un être humain complet doté d'un cerveau en excellent état de marche et je suis incapable de comprendre une paire de zouaves incapables de maintenir debout celui dont ils ont la charge! Allons-y! Non mais dites moi que je suis con, ça ira plus vite!"

____"Eh bien…"

____"Attention!" Les mis-je en garde avant qu'ils n'écrivissent le reste. "Je vous préviens! Un mot, un seul petit mot de plus et cette histoire va finir en bain de sang de pieds. Alors gaffe."

Je me rendais bien compte que c'était parfaitement idiot : jamais je n'aurais osé me mutiler moi-même. Mais c'est tout ce que j'avais trouvé pour éviter d'entrer dans une spirale de moutarde montant aux narines. Le visage cramoisi, l'œil sombre, la respiration violente, je fixais mes pieds avec une fureur difficilement contenue.

____J'attendis la réponse un long moment. Elle ne vint pas.

____Peu à peu, je repris mes esprits. Mon souffle s'apaisa. Je gardai ma position quelques minutes, de plus en plus détendu, calme, tranquille, à savourer le silence. Ma conscience ordonnait à mon ego d'oublier cette histoire, lequel résistait farouchement. Je laissai à la lutte le temps de s'achever sur la victoire de la première. Je restai encore un peu, par gourmandise, savourant le repos du guerrier.

____"Allons, leur dis-je enfin, j'ai besoin de vous pour aller manger."

____Je tentai de me relever mais c'était impossible. Ces ordures étaient vexées.

Je dus descendre l'escalier en rampant et priai pour avoir assez de dents à l'arrivée pour ne pas devoir me contenter d'un bol de soupe.

____Nous ne reprîmes cette discussion que bien plus tard dans l'après-midi. J'ai bien dû manger quelque-chose mais je ne me souviens plus exactement de quoi. Je n'ai pas non plus de souvenirs quant à la manière dont j'ai bien pu occuper les instants qui ont suivi. Tout ça étant follement inintéressant, éludons d'un air guilleret et partons nous esbaudir dans les vertes prairies des environs de quatre heures, quatre heures et demie, si vous le voulez bien.

____"Tu n'as pas compris", écrivait alors Soucoupe, "il ne s'agit pas d'être plus à l'écoute.

Enfin, si.

Mais pas vraiment."

____Comme nous voilà bien avancés!

____"Disons que nous sommes séparés, tous les trois"

____Séparés? Ce n'était hélas pas l'impression que j'en avais, mais admettons.

____"Il y a comme une distance entre nous, alors que nous sommes le même corps. Il n'est pas normal que j'aie à écrire pour pouvoir communiquer"

____Non, et cela d'autant moins qu'il arrivait au bas de la page et qu'il eut toutes les peines du monde à la tourner. Je trouvai cela extrêmement drôle et partis d'un rire sarcastique qui sembla le blesser et le mettre mal à l'aise, car ses mouvements par la suite furent moins précis, mais il alla jusqu'au bout de sa maigre pensée.

____"Nous voudrions que tu réussisses à être en osmose avec nous, et que tu puisses sentir et prendre pour tien ce que nous désirons, comme si tu le désirais toi-même. Il te suffit de nous comprendre. Nous voudrions être enfin un corps uni."

____J'eus la désagréable impression d'être dans une de ces séries américaines nauséeuses lorsqu'il parla de "corps uni", mais soit. L'idée était complètement farfelue et, quoiqu'en mon for intérieur, je jurai de ne jamais m'abaisser au point de penser, littéralement, comme mes pieds, je fis semblant d'acquiescer, espérant qu'ils fussent dans la même situation que moi et qu'ils ne pussent donc deviner mes pensées.

____Ils semblaient heureux, cela avait l'air de marcher. Jusqu'à ce que cette cloche de Pendule aille mettre ses pieds dans le plat. Il s'empara brusquement du stylo et écrivit – très mal :

"Nous serons convaincus de la réussite de l'expérience lorsque tu auras su deviner quelle est l'envie impérieuse que nous avons en ce moment, laquelle qui ne fait pas partie des bouffonneries qui ont été proposées lors de la mascarade de ce matin."

____Ah ben v'la autre chose! Une partie de moi était parfaitement sceptique quant à la première partie de la phrase, quoique l'autre ne put s'empêcher d'être fière de la seconde. Ainsi donc mes pieds étaient au-dessus de cette masse stupide qui s'échinait à demander des émulsions lavantes spéciales ou l'occasion de prendre son pied plus souvent. Eux demandaient autre chose. Je ne savais pas quoi mais autre chose. De bien. De grand. De pensé. Quelque-chose qui faisait sens. Mes pieds! C'étaient mes pieds à moi, ça, mais oui madame! Qu'ils étaient beaux mes pieds madame ! Mais oui qu'ils étaient beaux et intelligents, mes pieds, hein, mais oui!

____Et ils me demandaient de trouver ce qu'ils voulaient. Ah! Les cons.

____Je tentai bien d'inventer quelques dérivatifs.

____"Voyons, j'essaie d'être en totale fusion avec vous. Voyons… Vous voulez… vous voulez me laisser tranquille."

____"Non".

____Diantre, comment avais-je pu oublier que leur humour se situait quelque-part dans les méandres de quelqu'abyssale profondeur?

____"Vous voulez prendre un bain."

____"Non."

____"Vous voulez que je vous vernisse les ongles."

____"Non."

____"Nous voulez écouter de la musique pour pieds. Non, attendez! Vous voulez un massage pour pieds!"

____"Non."

____"Vous voulez dormir?"

____"Non."

____"Vous voulez du gâteau?"

____"Non."

____"Vous voulez sortir?"

____"Mais encore?…"

____Ah! J'avais une piste!

____Je n'obtins rien de plus ce soir-là. Après avoir fait la liste des cabarets et dancings du coin et avoir essuyé un refus systématique de leur part, je reçus un appel de Louis, venu prendre de mes nouvelles. Ce fut moi qui commençai par en glaner.

[Pour la suite, aller au message numéro 23, le système d'édition est récalcitrant]

Modifié par Petimuel
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N'importe quoi.... :lol::clap:

J'était écroulé de rire devant mon ordinateur. Assassin ! en plus de venir à bout de tes pieds tu essaye de tuer les gentils z-hobbyiste en les faisants mourir de rire ? <_<:blushing::D:lol:

Vraiment génial! la suite la suite ! :wink:

(n'a tu pas ressenti un grand moment de solitude quand tu as relu ton texte ? :wink: )

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<_<

....

....

C'est ce que m'arrive tout les matins! :blushing: ...

Sinon, puisqu'il faut être constructif

qualité: yabon+

style : yabon++

humour : yabon

Petit machin qui bouge de fin : yabon- (trop lent peu être...Manque quelque chose en tout cas...)

Globale : bah...Yabon quoi!J'aime bien le djeuns, si réaliste et bizar à la fois....

Pasiphaé, je me suis fait une entorse il y a quelque temps.... :wink:

P.S : cé tro dla balle!

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Sympa!

Je ne viens pas trop dans cette section pour cause de confort de lecture ( j'ai vite mal au yeux ) mais là j'apprécie. L'absurde n'est pas évident à maitriser, il ne suffit pas juste d'écrire une situation irréelle, il faut ancré celle ci dans un environnement on ne peut plus terre à terre, par force de détails. chose que tu fait avec brio.

Jukurpa - Le Nez de Gogol, quel classique.

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Merci bien, camarades! <_<

(n'a tu pas ressenti un grand moment de solitude quand tu as relu ton texte ? :-x )

Je ne suis jamais seul; en toute chose mes pieds me secondent... ahem...

Petit machin qui bouge de fin : yabon- (trop lent peu être...Manque quelque chose en tout cas...)

'verrai à arranger ça pour la prochain!

la suite la suite !

Elle est en préparation...

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Et bien et bien, cela faisait longtemps (très longtemps <_< ) que je n'étais plus venu sur ce forum, et ça fait bien plaisir d'y retrouver un texte de Petimuel (qui a pris du galon pendant ce temps, il me semble :P )

En ce qui concerne cette nouvelle (remarque, qui sait, peut-être que ça va devenir un roman, si les pieds se rebellent devant les mauvais traitements, les chaussettes sales :-x , les chaussures vieilles... bref, tout ce qui fait la vie d'un pied en fait), j'ai vraiment apprécié! Comme a dit Jukurpa, l'absurde est dur à maîtriser... et d'habitude je n'aime vraiment pas, mais là, c'est vraiment réussi! (je vais être jaloux, tu réussis dans tous les genres, je me souviens bien de la veine tragique de tes premiers écrits, aussi très réussis!)

Bon, histoire de chipoter

débatis en moi-même pour savoir si m’autorisais à rester encore dix minutes au lit

Il manque quelque chose :P

Bon bon bon, essayons de faire une critique constructive (dur quand on ne voit pas de défauts, et comme ça fait longtemps que je n'ai plus rien écrit ni lu des courtes nouvelles en français...).

Pour l'atmosphère, vraiment rien à redire! C'est réussi au point que je m'imaginais parfaitement être le "héros" qui cherche à comprendre ce qui se passe, avec ses considérations bien matérielles ("mais c'est pas possible quoi! je vais plus avoir de forfait" alors qu'il n'est même pas sûr de pas être paralysé) et ses raisonnements douteux (mes pieds font mutinerie! fusillons-les!)

Par contre, j'avoue qu'à le lecture de l'intro, je n'ai pas compris grand chose... En fait, ce n'est qu'une fois que j'ai fini cette première partie que j'ai pu la comprendre. D'un certain point de vue, c'est pas mal, au moins ça ménage le suspense; mais j'aurais préféré que, par exemple, je crois que tu parles des populations opprimées, alors que tu parles des pieds. Bref, que tu me lance sur une fausse piste, tout en me laissant quelques indices pour me montrer que ça ne correspond pas vraiment (style, les conversations olfactives)

Je ne saurais vous dire comment la chose fut rendue possible. Sans doute par des conversations olfactives –les pifs devaient être dans le coup- ; certainement pendant que nous nous croisions et discutions ; une affaire d’opportunisme et un travail de longue haleine. C’est encore le plus probable. Il a dû en falloir, de la patience, de l’obstination et de la détermination pour accomplir une tâche pareille ! Que de ressources dans de si petites choses ! Quelle que soit l’échelle, la règle voulant que les populations confrontées à une crise existentielle savent tirer le meilleur d’elles-mêmes demeure vérifiée. Aujourd’hui encore, j’en reste scié !

En fait, ce qui m'a posé le plus problème a été le nous nous: je me demandais qui c'étaient... Et le en, je ne voyais pas trop à quoi il faisait référence. Pour le nous, je ne sais pas vraiment, mais j'aurai plus volontiers mis la première personne du singulier, comme tu démarres avec elle, et que plus jamais on a du "nous" ensuite. Pour le "en", je ne peux pas dire grand chose, c'est très conversation orale, mais ça suit vraiment le ton de ton texte (ton qui est d'ailleurs très réussi, et qui a participé à mon sentiment d'être ce pauvre lycéen!)

Bon, ce ne sont que des menus détails. C'est quand même un excellent texte :P !

Je vais essayer de suivre son évolution (bon, je ne te promets rien, comme j'ai des accès très restreints à internet sauf pendant les vacances (quel bonheur, ces études supérieures... si mes pieds pouvaient faire grêve, ça me donnerait une excuse :P ))

Iliaron

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Ouuuh! Un commentaire d'Iliaron que j'en suis tout ému passque ça faisait longtemps! :)

Merci beaucoup pour tes remarques.

Pour ce qui est de l'intro; c'est ene ffet voulu, mais à la réflexion tu dois avoir raison. Une fois la nouvelle achevée il se peut que je me penche là-dessus.

débatis en moi-même pour savoir si m’autorisais à rester encore dix minutes au lit

Il manque quelque chose

Euh... euh... oh, regarde, une chaussette qui vole!

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  • 5 semaines après...

Hop hop, je n'ai absolument pas eu le temps d'écrire ces derniers temps mais je me suis libéré quelques minutes aujourd'hui et puis donc vous proposer la seconde partie que voilà! Je l'ajoute également au premier message. Bonne lecture!

____Ah. Donc mes pieds écrivaient, et mes pieds avaient une conscience civile. En plus de ça mes pieds avaient étés capables de coordonner une action avec d’autres pieds. Toute mon excitation fut purgée par une sorte de douche froide qui aurait coulé de bas en haut.

____« Ah bon » Demandai-je seulement.

____« Si fait » me répondirent-ils par écrit. Et là ça n’alla plus du tout. Non seulement mes pieds écrivaient, mais en plus ils écrivaient bien ! « Si fait », je veux dire, c’est pas une expression très courante, je ne l’employais pas régulièrement en parlant à mes amis ! Ca se lit, ça, ça s’écrit à la limite! Tout ce que je lisais était donc connu de mes pieds ? Mes yeux leurs transmettaient des informations, mes oreilles aussi à coup sûr, sans quoi les mots n’eurent été pour eux que des glyphes abscons ; mon corps entier mes semblait tout d’un coup lointain, distant ; je compris un instant les rois dont la cour complotait pour se soulever. Mes pieds m’apparaissaient comme de cruels instigateurs, et tous mes membres leur avaient prêté main forte. Oreilles fourbes, traîtres yeux, bras pendables… et toi, mon pauvre cerveau ? Dans quel camp étais-tu ? Etais-tu toujours avec moi ; ces sales membres auraient-ils réussi leur volonté de décentralisation du pouvoir de raison ? Ou avais-tu organisé tout ce joli monde, en cachette, dans un inconscient que aurais maîtrisé sans me le dire, sans que je m’en rende compte ? Et si tu avais été contre moi… qui pouvait bien être ce « moi », sinon un agrégat informe ; un galimatias d’organes qui ne me désiraient plus comme entité directrice ?

____Qu'est-ce qui restait du moi? Ma pensée? Une partie de ma pensée? Quelle part de mon cerveau avait bien pu pactiser avec l'ennemi, engendrant une hideuse collaboration permettant à mes pieds de faire comme s'ils pouvaient penser… et se mettre en grève?

____Il me fallait du repos. Dans l’incapacité de me déplacer, je laissai mollement tomber mes fesses en arrière, espérant qu’elles rencontrassent la chaise, avant de me rappeler que j’avais renversé celle-ci trente seconde auparavant.

____Et j'eus mal.

____Il me fallut quelques instants avant d'envisager enfin la seule vraie issue possible face à une grève : les négociations. J'étais avachi au sol, le dos contre la chaise renversée, avec une vue directe sur cette paire de pieds immobiles, qui pourtant n'avaient jamais autant regorgé de vie. Ils me narguaient, les salauds, prêts à me bondir dessus à la moindre incartade de ma part. En fait c'étaient eux qui dominaient la situation. Il me fallait impérativement donner l'impression d'en demeurer le maître si je voulais obtenir quelque-chose d'eux.

____"Très bien", dis-je avec lassitude,"je consens à vous entendre. Enfin, à vous lire."

____La plaisanterie pas plus que le reste de la phrase ne leur arracha la moindre réaction. Ces pieds n'avaient aucun humour.

____"Qu'est-ce que vous avez prévu?" demandai-je, tout en pliant les jambes afin de leur permettre d'écrire.

____"Qu'entendez-vous par là?" Demanda mon pied droit par feuille de papier interposée.

____"Eh bien, je ne sais pas; vous semblez avoir minutieusement préparé ce coup de force avec tous vos petits copains, puisque les pied de mes amis ont également fait sécession avec le reste de mes amis, je suppose donc que vous devez avoir prévu une conférence générale, une réunion syndicale, une assemblée pédestre, une soirée-dansante, enfin un machin quelconque où l'on pourrait discuter de vos revendications afin de mettre fin à une situation aussi embarrassante pour vous que pour moi."

____Mes deux pieds se tournèrent l'un vers l'autre, donnant l'impression de se dévisager. Apparemment ils n'avaient pas pensé à ça. D'ailleurs, le pied droit finit par écrire : "Nous n'avions pas pensé à ça."

____Ouais. Ils avaient peut-être pris possession d'une partie du cerveau m'enfin il leur manquait quand même une case, quoi. J'avais toujours su que la région de la véritable intelligence eut résisté jusqu'au bout, devinant que le centralisme cérébral était la seule voie de la légitimité! Enfin; non je ne m'en étais absolument pas douté, mais ça faisait vraiment plaisir! Merci, cher cerveau! Si nous nous en sortions je t'offrais du Nietzsche, ou des séries américaines à la con, selon ton désir!

____Mais pour l'heure il me fallait organiser moi-même ce sommet inter-pédestre, puisque mes crétins de représentants n'y avaient pas songé eux-mêmes, pas plus d'ailleurs que leurs petits camarades. Je proposai à mes pieds de me rendre quelques temps le pouvoir qu'ils m'avaient confisqué –comme ils semblaient se braquer je parlai bien vite de "me déléguer leur pouvoir de déplacement "- et, après bien des palabres, je parvins à les convaincre de m'emmener chez mon copain Louis afin qu'on discute de ça à nous six. Dès que je me sentis réinvesti de ma fonction motrice inférieure – Ah! Que ça fit du bien! -, je commençai à descendre les escaliers en courant et en atteignis le bas en glissant sur les fesses. L'habitude de marcher se perd plus vite que celle de faire du vélo. Allez trouver une quelconque nature humaine, après cela…

____Je me relevai avec hâte et une douleur à l'arrière-train, enfilai un manteau, empoignai mes clés et pris enfin le chemin de la maison de Louis, bordé par le spectacle affligeant d'une humanité exsangue, composée d'employés en costume-cravate qui se traînaient comme des vers pour aller travailler, une valise à la main, faisant passer leur état de salarié au-dessus de celui d'être humain. Cette poignée d'hommes rampant après leur argent me donna la nausée… Maintenant que j'y pense, il devait bien y avoir dans le tas quelque braves types qui se démenaient pour apporter à quelqu'un une aide qu'ils jugeaient indispensable. Allez savoir. Sur le moment, je me souviens m'être demandé s'il n'aurait pas été mieux de laisser chacun se débrouiller avec sa paire de pinces, afin de laisser les gens obtuses et intéressées patauger dans leur fange, et ne laisser revenir au jour qu'une humanité intelligente et pondérée. Et puis finalement non. C'eut été faire le jeu des manipulateurs de tout poil.

____Autant aider les plus démunis! C'est finalement investi d'une sensation d'altruisme et d'une détermination à tout épreuve que j'atteignis le seuil de la porte de mon ami Louis, m'y cognant le pied gauche dans ma précipitation.

Modifié par Petimuel
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Encore et toujours excellent :(

J'aime beaucoup ton style, assez agréable à lire. Et franchement, il y a de ces passages :

Apparemment ils n'avaient pas pensé à ça. D'ailleurs, le pied droit finit par écrire : "Nous n'avions pas pensé à ça."

:wink:

Non vraiment très bon, j'attends la suite de la révolte avec impatience.

ps : on connait toujours pas la capitale de la mandchourie heing ! Namého è_é

Modifié par Briareos powa !
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You are the master('fin sauf de tes pieds)! The best! Le meilleur des meilleurs parmis les plus mieux :-x !

C'est énorme... La première partie était aussi très bien...Mais là j'ai particulièrement aimé, d'autant que là :

et toi, mon pauvre cerveau ? Dans quel camp étais-tu ? Etais-tu toujours avec moi ; ces sales membres auraient-ils réussi leur volonté de décentralisation du pouvoir de raison ? Ou avais-tu organisé tout ce joli monde, en cachette, dans un inconscient que aurais maîtrisé sans me le dire, sans que je m’en rende compte ? Et si tu avais été contre moi… qui pouvait bien être ce « moi », sinon un agrégat informe ; un galimatias d’organes qui ne me désiraient plus comme entité directrice ?

Yahaa! De la philo! Au vue du texte d'avant, j'ai l'impression que il fallait que sa arrive!Mais quand même :

Deux textes en si peu de temps avec une reflexion derrière...J'avoue que j'aime beaucoup sa!(en plus sa permet de mettre le miens à coté du tient...héhéhé...)

C'est d'ailleur d'autant plus fin que sa passe comme une lettre à la poste, rien de lourd...Et pourtant il ne s'agit rien moin que de la thèse Kantienne du sujet transcendentale...(Heuuu... :( ...Je crois...Je suis pas sure...Quelqu'un peu confirmer? ).

Pasiphaé, je suis l'un des multiple lecteurs "invisibles" de la partie récit futuriste/fantastique...Et celui-ci est mon favorie! :):lol: (même si les textes plus long telle que le médaillon comporte le charme de ne pas s'arréter aussi vite que celui là... :wink: )

Modifié par Pasiphaé
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Merci à vous! :)

ps : on connait toujours pas la capitale de la mandchourie heing ! Namého è_é

La suite, compain, tout est dans la suite... :(

You are the master('fin sauf de tes pieds)! The best! Le meilleur des meilleurs parmis les plus mieux !

Oui enfin... n'exagérons rien... (c'est pourtant si vrai! snif! :wink: )

(en plus sa permet de mettre le miens à coté du tient...héhéhé...)

Tiens; j'irai lire ça, camarade! (entre autres choses)

même si les textes plus long telle que le médaillon comporte le charme de ne pas s'arréter aussi vite que celui là... )

Eh là, eh là, ne nous emballons-pas, celui-ci est loin d'être achevé -même s'il ne sera pas extraordinairement long.

Encore merci à vous et à bientôt pour de nouvelles aventures!

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Moi ékrir koi envie avoir moi! Kioul!

Hum hum.

Bong. Ben pour une fois que l'on te voit autre part que dans Poésie, ben c'est avec un texte euh... peu banal.

On sent que certains aléas de l'automne t'ont marqué. Donc, si fait, je m'en vais commenter ce texte qui m'a fait passer un agréable moment.

Bon, le cynisme sous-jacent fait bien ressortir l'autisme de certains, et le dialogue de sourds d'autres personnes, mais bon, on ne va pas rentrer dans les détails (apolitique, toussa toussa).

Sinon, on sent aussi que tu n'aimes toujours pas les chaussures, et que marcher pieds nus est encore d'actualité. (Mais bon encore une fois, vie privée, private joke toussa toussa.)

Ainsi donc, pendant tout le texte j'ai eu le sourire au lèvre, et la suite est dans la droite lignée de la première partie : un bon gros délire.

J'attends donc la suite avec troispatience (Impatience, Deuxpatience, Troispatiente, etc...).La négociation risque d'être marrante à souhait, attention à ne pas écrire comme un pied et avoir tes fans qui te feront finir les pieds devant (->[]).

Sinon, à quand le : "réci de t vacs, re7 de kuisin, ou n'1portkoi" ??

Monsieur, allongez-vous, voilà.

Racontez moi tout depuis le début.

Et ne vous inquiétez pas pour les deux messieurs en blanc, ce sont mes secrétaires de confiance :wink: .

Modifié par Crilest
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Bizarre ou a vraiment l'impression que tu te rends compte toi-même que le socialisme n'a pas que des bons côtés... On le vois dans la douleur poignante du pauvre "esprit-cerveau" séquestré...

Discussion apolitique à part (bah entre modos on a le droit non ??? Non ? ah bon, dommage...) c'est assez sympathique... Moi il me manque ma dose de bolts explosant dans les xenos, mais bon, c'est bien écrit, un peu précieux, et somme toute, revigorant.

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Bizarre ou a vraiment l'impression que tu te rends compte toi-même que le socialisme n'a pas que des bons côtés... On le vois dans la douleur poignante du pauvre "esprit-cerveau" séquestré...

Je vais zessayer de te répondre de façon la plus objective possible, afin de ne pas troubler la charte sans pour autant laisser ta remarque sans réponse.

Passque nan mais.

Donc! Donc déjà ça dépend de ce que tu entends par socialisme. Tu parles de quoi; du "parti socialiste" actuel (sur lequel je ne ferai aucun commentaire), du marxisme, du blanquisme, de l'anarchisme -qui se réclame du socialisme originel et qui n'a pas tort-, du blanquisme, du socialisme utopique?

Autant de conceptions différentes du pouvoir; on va en dégager deux : d'un côté le marxisme, dont tu sembles parler, de l'autre le couple anarchisme et socialisme utopique.

Les seconds prônent l'abolition de tout pouvoir étatique; les systèmes idéaux tels qu'ils les envisagent sont fondés sur un agrégat de petites communautés strictement autonomes, fondées sur l'entraide et la solidarité, et appliquant presque à outrance les principes démocratiques dans le cas du socialisme utopique.

Il suffit d'étudier la Commune de Paris pour voir cela.

Je suppose donc que ce n'est absolument pas de ce socialisme-ci que tu parles, puisque c'est le centralisme du pouvoir que tu trouves ici mis en cause.

Il reste donc le marxisme. Oui mais pas seulement! Parce que, toujours sans faire de commentaire, aujourd'hui même en France je connais certain pouvoir hyper-centralisé qui ne se réclame pas exactement du socialisme, même s'il se pique de citer Jean Jaurès.

Voià, ceci était une petite parenthèse à la fois politique et apolitique puis théorique; je me suis efforcé de ne pas ouvertement prendre parti -puis d'tout façon qui c'est les modos, ici, mh? :innocent: - mais il fallait bien que je te réponde.

Merci à toi pour le commentaire, sinon!

Et à Crilest aussi, "b1 entandu". :wink:

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Et moi qui croyait que c'était du tact de ne pas voir ce genre d'idée...

M'enfin tant que le texte et bon, osef des remarques à coté^^(dans tout les sens de l'idée d'ailleur...Chacun juge l'autre comme il veut!).

C'était en fait surtout pour savoir si tu avais en tête une idée de l'éventuelle date (pas précise heing ^_^ ) du moment ou sera posté la suite? :innocent:

Nan parce que comme sa je pourrait la lire tout de suite (et quand je serais en vacance je n'aurais pas tout le temps un ordi pour surveiller l'avancement du chmilblique :clap: ).

Pasiphaé, les réflexions s'oublient tant que le texte reste...Oui je sais c'est pourri, je sors :wink:

Modifié par Pasiphaé
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  • 3 semaines après...

Toujours aussi bon!

Rapidement sur l'orthographe:

mon corps entier mes semblait tout d’un coup lointain,

Sinon, au niveau du texte, j'ai vraiment apprécié. On sent vraiment la touche "Petimuel", tu as vraiment un style à toi qui est dans chacun de tes récits! Tes récits ne sont pas communs, et ils se démarquent bien! La future main d'un écrivain :D

Et puis, à force d'écrire comme cela, tu commences à maîtriser ton style :wink: ! Par exemple, cette manière de mélanger un langage très soutenu à un autre plus... léger.

J'ai en plus beaucoup aimé le début, avec le questionnement existentialiste du héros, qui est parfaitement dans le ton du texte; tu as évité l'écueil de soit négliger entièrement cette partie, soit en faire une discussion philosophique au ton trop sérieux. Là c'est vraiment bien!

Et la tentative de négociation, avec quelques passages du genre "par feuille interposée" sont vraiment bien trouvés! Je ne sais pas en combien de temps tu l'as écrit, mais au moins l'on peut dire que tu as les idées claires et organisées, tu vois parfaitement ce qu'il faut écrire pour prolonger ton ambiance absurde.

Seul petit bémol dans le dernier paragraphe, où ça part un peu en question politique... L'espace d'un instant on sort de ton monde et de ton héros pour revenir dans le notre, et l'on devine que là c'est plus Petimuel qui parle que ton héros.

Je me relevai avec hâte et une douleur à l'arrière-train, enfilai un manteau, empoignai mes clés et pris enfin le chemin de la maison de Louis, bordé par le spectacle affligeant d'une humanité exsangue, composée d'employés en costume-cravate qui se traînaient comme des vers pour aller travailler, une valise à la main, faisant passer leur état de salarié au-dessus de celui d'être humain. (jusque là, ça me va parfaitement; après tout tu décris ce qu'il voit. Puis ça donne une bonne image de ce qu'il se passe dans la rue; on "voit" l'ampleur de la grêve!) Cette poignée d'hommes rampant après leur argent me donna la nausée… (là, c'est l'intrusion de l'argent dans ton récit qui me fait bizarre... Remarque, ton monde est après tout le même que le notre jusqu'à ce que les pieds se mettent en grève... Mais ça me fait bizarre quand même que ton héros pense à ça à cet instant... Un homme a beau être en costard cravate, si ses pieds ne "fonctionnent" plus, il me paraît plus logique qu'il va essayer de ramper plutôt que rester là, se disant "chouette, je vais faire une petite sieste". Et puis, en tant que héros gorgé d'humanité (vu ce qu'il dit juste après), il ne s'arrête même pas pour leur dire "ce sont vos pieds qui font grêve; essayez de parlementer avec eux" (si jamais je n'arrive pas à marcher, mon premier réflexe est pas vraiment de donner un stylo à mes pieds et d'arriver à un accord commun avec eux :wink: ) Maintenant que j'y pense, il devait bien y avoir dans le tas quelque braves types qui se démenaient pour apporter à quelqu'un une aide qu'ils jugeaient indispensable. Allez savoir. Sur le moment, je me souviens m'être demandé s'il n'aurait pas été mieux de laisser chacun se débrouiller avec sa paire de pinces, afin de laisser les gens obtuses et intéressées patauger dans leur fange (petite intrusion de l'auteur un peu trop voyante... Et d'ailleurs, ces travailleurs peuvent trouver d'eux-mêmes la solution au problème :wink: ), et ne laisser revenir au jour qu'une humanité intelligente et pondérée. Et puis finalement non. (pourtant, c'est exactement ce que le héros fait, il ne s'arrête pas pour les aider. A la limite, cela aurait été compréhensible si ses pieds l'avaient menacé de reprendre leur grêve dès qu'il essaierait de parler avec un être humain!) C'eut été faire le jeu des manipulateurs de tout poil. (idem pour l'intrusion de l'auteur... Je ne vois d'ailleurs pas trop le lien direct avec les manipulateurs. Et encore une fois, ça me fait sortir de l'ambiance de ton texte

J'ai mis pas mal de commentaires entre parenthèses

Pour résumer, ce qui me gêne n'est pas tant le discours politique que tu tiens, ni même le fait qu'il y en ait un; mais c'est surtout que ce discours arrive un peu comme un cheveu sur la soupe, sans lien direct avec ce qu'il se passe. Il voit juste des gens se traîner par terre, et comme ils ont des sacs, il imagine tout un contexte... J'aurais trouvé beaucoup plus logique qu'il soit horrifié par l'ampleur de la grêve, qu'il se demande si tout seul il parviendra à résoudre cette crise internationale, si d'autres ont réussi comme lui à comprendre le fonctionnement des pieds; ou bien même une touche de fierté et de toute-puissance à l'idée que, pendant quelques minutes, il est peut-être le seul sur terre à avoir le contrôle de ses pieds. Tout cela m'apparaît plus logique (et beaucoup plus dans l'ambiance de ton texte) que la discussion sur le fait que les salariés sont des méchantes gens qui ne sont intéressées que par l'argent :D .

Bon, après, ce n'est que mon avis, et rassure-toi ton texte est déjà très bien comme ça, ce passage m'a juste moins plu.

Iliaron

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Ah! Merci beaucoup pour cette critique, Iliaron, ce passage me gênait un peu mais je ne savais pas pourquoi, heureusement que tu es là pour cerner le problème, j'en étais incapable! Je modifierai tout ça à coup sûr, mais quand j'atteidnrai le bout; pour l'isntant je me contente de progresser.

A ce propos, donc, j'ai été plus pris que prévu par ce début de vacances et la suite sera sans doute pire mais j'ai tout de même pris ma soirée pour vous donner de quoi, je l'espère, clore dignement cette année 2007.

Comme d'habitude, j'ai ajouté ça au premier message également.

Bonne lecture à vous!

____Je frappai trois coups du poing. Un mugissement sourd parvint à peine à se hisser jusqu'à mes oreilles, écrasé par les obstacles qui me séparaient de son émetteur, tels qu'une porte, un mur, des choses du genre. Bien. Combien de temps avant que Louis ne parvînt à atteindre la poignée? Je pris les paris. Cinq minutes, pensai-je. A ma grande surprise, mon pied droit releva le défi et étira autant qu'il le put trois de ses orteils. Santa madonna, m'écriai-je sous le traître coup de la surprise, cet ahuri avait réussi à savoir ce que j'avais pensé! Puis je me rendis compte que je devais avoir machinalement murmuré cette histoire de pari, ça m'arrivait souvent. Oui. A voir. Bon, bon, bon… qui des deux allait avoir raison?

____Des râles pénibles agitèrent l'intérieur de la maison. La poignée glissa. La porte s'ouvrit.

____Trois minutes.

____Humilié.

____"Salut Lulu!

____- Comment t'as fait pour refaire marcher tes pieds toi?

____- Laisse-moi entrer, je t'explique ça!"

____Il s'aplatit contre le mur afin de me laisser pénétrer dans le couloir. Je fis un pas puis laissai à dessein mes pieds près des siens, ayant déjà l'intuition de la théorie que j'ai exposée tout à l'heure, et selon laquelle ils communiquaient entre eux. J'attendis un peu, histoire que la béchamel prenne, puis je contemplai le spectacle de mon éblouissante victoire : Louis sentit ses pieds rentrer sous son contrôle, puis, timidement, se releva. J'éructai. Il éructa. Nous éructâmes.

____"C'est toi qui as fait ça?

____- Eh, que veux-tu, j'ai de nombreuses ressources.

____- Merde alors! T'es vraiment le roi, toi!"

____Je dois avouer qu'à ce moment je me sentais en effet un peu comme un roi, pour la puissance sur ses sujets et pour le don de guérison. Hosanna! Sonnez, angelots! Résonnez, alouettes! C'est Dieu qui m'envoyait pour vous délivrer tous! J'étais en quelque-sorte couronné par la main des pieds. Je dus hélas expliquer à ce curieux de Louis que la limite à cette guérison était ceci qu'elle avait pour fonction unique de nous permettre de convenir d'un lieu de réunion et de nous y rendre afin d'y entendre les exigences des grévistes.

____"Je sais pas; pas très loin de chez nous il y aurait le lycée…

____- Le lycée? Mais t'es pas sérieux?

____- Ben...

____- C'est un truc grave, merde! Il faut de l'officiel, du grandiose, du pampre, du tricolore! La mairie à tout le moins!

____- Holà, tu dérailles, l'ami! Parce que tu as dit "bonjour" à tes pieds tu penses que tu deviens un officiel? Depuis quand le gouvernement t'a-t-il délégué un quelconque pouvoir? Tu crois sérieusement que tu vas à toi seul rassembler toute la ville à toi pour occuper la mairie? Tu te prends pour Gandhi? C'est quoi, c 'est la marche du talc?

____- Tes blagues sont nulles, Lulu.

____- Peut-être, mais moi je ne prétends pas me transformer en orateur de la trempe d'Hitler! Le lycée suffira amplement pour une première petite réunion, on laissera les choses se répandre après.

____- Mais bordel tu n'as pas confiance en moi?

____- Allez, fais pas ton mariolle.

____- Bien, t'as gagné. Je ne bouge plus. Démerde-toi."

____Mes pieds n'apprécièrent pas cet abandon. Alors que je me préparais à garder une posture droite et digne ils me rappelèrent à mes impératifs en me laissant bêtement choir de mon piédestal et sur le carrelage. Une fois sa surprise passée, Louis me tendit une main amicale pour m'aider à me relever.

____"Pas trop de casse?

____- Oh, toi, ça va, hein! Tu voulais m'humilier et t'as réussi, mais maintenant t'as plus besoin d'en rajouter une couche, c'est bon! Basta!"

____Louis se tut, et me regarda avec de yeux ronds. Je réalisai. Je laissai quelques minutes s'écouler afin de mieux sombrer dedans et dans la conscience de son propre ridicule.

____"Désolé, Louis… Quand je n'ais plus mes pieds je perds les pédales…

____- …

____- Oui, oublie ça, tu veux. "

____Je me relevai.

____"Bon. Va pour le lycée.

____- C'est juste un début, tu sais. Après ça on laissera l'affaire à des gens plus compétents. Je veux dire… pas forcément en podologie, mais bon… même après le bac, on est toujours des étudiants, hein.

____- Oui, oui…

____- Tu es déçu?

____- Mais non.

____- Tu es déçu.

____- Laisse."

____Il laissa. Il enfila son manteau, puis nous sortîmes. Nous accaparâmes sur le chemin tout ce qui se trouvait d'inaptes rampants, nous leur expliquâmes le problème, nous les relevâmes, venez, rejoignez-nous, nous frappâmes aux portes, nous envoyâmes des textos à nos connaissances, bref, nous sonnâmes l'heure de la contre-révolution.

____Nous étions partis deux, mais par ce prompt renfort, nous nous vîmes beaucoup aux portes du lycée. Jeunes, moins jeunes, hommes, femmes, une importante foule nous entourait tandis que je me rengorgeais en vu d'un discours d'une éloquence que j'imaginais rare. "Vas-y, harangue!" me souffla Louis au creux de l'oreille.

____"Camarades!" commençai-je donc à haranguer.

____Louis semblait désapprobateur. Une partie de l'auditoire aussi.

____"Euh, oui… messieurs-dames! Comme vous devez plus ou moins le savoir, nous sommes tous ici pour décider ensemble de la façon d'agir afin de réguler cette grève de nos pieds. Oui, parce que nos pieds font grève, sisi, demandez-leur, vous verrez. J'ignore pourquoi, sans doute tout autant que vous, enfin je suppose; mais nous sommes justement rassemblés ici pour entendre leurs exigences. Enfin, non, on est plutôt ici pour décider de ce qu'on fait, donc, euh, si on décide d'écouter leurs exigences ben c'est ce qu'on fera, mais si on décide de rassembler toute la ville pour le faire, alors, voilà, on ne le fera pas tout de suite. Ni ici. Plutôt à la mairie, quoi. Et plus tard… Bref, tout cela pour vous dire, mes chers concitoyens, qu'il va falloir choisir la façon de communiquer avec nos pieds. Enfin si on décide, de… enfin… bon, alors, on fait quoi?"

____Mes yeux, qui n'avaient cessé de papillonner timidement pendant cette déclame osèrent se poser sur mon auditoire. Je fus aussitôt convaincu de leur profond scepticisme. Eussé-je mal parlé? Quelques secondes s'égouttèrent. Des raclements de gorges et des murmures de conversation commencèrent à gagner le fond de l'auditoire, puis petit à petit le filet des paroles enserra la foule de plus en plus fort, jusqu'à la cacher derrière un brouhaha général. Les points de vue s'échangeaient, les propositions se noyaient, la panique s'épaississait, l'incompréhension s'affirmait, et moi-même je restais au milieu de ce bazar, sans mot dire. J'allais rappeler tout le monde à l'ordre, mais Louis me dit que c'était inutile - "si encore tu avais de réels talents d'orateur", ben voyons…

____Finalement je me rendis compte que la foule s'éclatait en groupuscules qui débattaient entre eux. Bof, tant mieux. Il allait peut-être ressortir quelque-chose de tout ça. Je m'approchai de l'un de ces groupes, histoire de prendre la température. Un homme expliquait à deux comparses qu'à son sens il fallait déléguer une paire de pieds afin qu'elle allât parler au nom de toutes devant l'assemblée. Un femme lui rétorqua que cela aurait impliqué une vaste discussion entre les pieds avant de donner lieu à ce sommet. L'idée fut soulevée d'opérer conjointement les deux tendances, en envoyant des délégués discuter et en permettant à des paires de pieds ou à des humains complets d'intervenir pour ajouter ou discuter une proposition. La chose sembla ingérable. Louis intervint pour proposer l'établissement par des représentants de chaque camp d'une liste de propositions écrites qui aurait ensuite été distribuée à tout le monde, puis étudiée chez soi par chacun, puis rapportée annotée, et étudiée par les mêmes représentants jusqu'à en arriver enfin à la mouture finale, signée par les mains et les pieds des représentants et approuvée par tous. Là encore, le système semblait indigeste.

____Je me promenai dans les courants d'idées de cette foule balbutiante à l'angoisse assourdissante. Partout, c'était la peur qui parlait dans la voix de ces gens, qui échafaudaient d'abracadabrantesques solutions comme on discute politique pour faire oublier que devant eux s'ouvrait le néant.

____Je croisai avec surprise mon professeur de philosophie, à qui je vouais une secrète admiration. Trapu, serein, une courte barbe grisonnante soulignant son demi-sourire, je ne pouvais m'empêcher de l'imaginer fumer la pipe comme le fit Sartre.

____"Bonjour monsieur!" le hélai-je. "Je ne vous avais pas vu!

____- Non, je viens d'arriver, me répondit-il.

____- Tiens? Mais, qui vous a donc prévenu, pour vos pieds?

____- Personne, pourquoi donc? Il n'est besoin de personne pour savoir calmer les ardeur révolutionnaire d'une paire de pieds, que je sache. Ca n'est d'ailleurs pas exceptionnel puisque toute cette foule y est parvenue.

____- Non, monsieur, c'est moi qui ai réussi à retrouver ma chère position d'homo sapiens sapiens, et j'ai révélé l'astuce aux autres et réuni tout le monde ici.

____- Ah, bien! Je te félicite!

____- Merci.

____

____Bon; il me fallait très vite trouver quelque-chose à dire; pour une fois que j'avais l'occasion de briller aux yeux de ce prof je comptais bien exploiter la situation à mon avantage! Parler, parler! Oui, mais de quoi? Bof, du premier truc venu.

____"Ils ont du mal à s'organiser, hein.

____- Oui, ça me rappelle le gouvernement de la Commune de Paris, en 1871. Un bazar pas possible.

____- Eh oui… les grands desseins sont toujours freinés par l'incapacité des hommes.

____- Ceci dit c'était quand même tout Paris, à administrer, pas Changchun.

____- Ha ha! Euh… c'est quoi, ça, Changchun?

____- La capitale de la Mandchourie.

____- Ah…

____- Renommée Xinjing du temps de la domination japonaise sur le Manzhouguo."

____Quoi dire? Quoi dire?

____"Et… c'est joli, ça, comme coin, la Mandchourie?

____- J'imagine. "

____Ouais. Question crétine. Je décidai de recentrer la discussion.

____"Mais sinon, vous, vous n'auriez pas une idée sur la façon d'intervenir au sujet de ces grèves?

____- De ces grèves?

____- De pieds.

____- Ah oui! Ma foi, il suffirait que chacun se retrouve en tant qu'être humain."

____Je répondis machinalement quelque-chose comme "en effet" alors que je n'y avais absolument rien compris, puis mon professeur prit congé, me laissant sur ce cuisant échec au beau milieu d'une foule qui s'agitait comme une volière à l'approche du chat. Je me rappelai l'histoire de Daniel Pennac, qui raconte qu'une dame recueillant un oisillon le laisse à portée d'un lapin, lequel, croyant voir des carottes ou un quelconque autre aliment, lui bouffe les pattes. Ici c'étaient les pattes elles-mêmes qui bouffaient le reste des oiseaux. Mmmh…

____"Il suffirait que chacun se retrouve en tant qu'être humain."

____Quel échec, Dieu, quel échec! Maman, ton fils était nul! Infoutu de faire une harangue correcte! Incapable de concrétiser son ascendant sur les autres –tout nul qu'il était, il avait réussi à dompter ses pieds, mais, bof, il n'était plus le seul. Complètement dérouté par la moindre conversation avec un prof. La situation lui échappait complètement, lui qui tout à l'heure se voyait déjà comme le Grand Timonier, le "petit père des pieds" qui aurait su émanciper à la fois l'homme du coup de force de ses pieds et les pieds du totalitarisme cérébral, du centralisme de la pensée, de que savais-je encore…

____Ce n'est qu'alors que je me rendis compte de la douleur. La douleur au pied gauche qui n'avait pas diminué depuis que je me l'étais embouti contre la porte de Louis. Je n'y avais plus guère prêté attention quand il s'était agi de diriger les foules, mais alors que je me retrouvais seul avec moi-même je ne pouvais plus ignorer les furieux élancements qui parcouraient toujours ce représentant d'une minorité en colère, et avec autant de virulence que s'il se fût agi d'un événement qui eusse été daté d'il y avait cinq minutes, pas plus. Une douleur aiguë. Je me serais presque attendu à voir la marque écarlate du coin de la porte sur ma peau.

____Bon. Qu'est-ce que c'était encore que ce machin? Mes pieds pouvaient-ils volontairement prolonger l'effet d'un coup, dans le but de -un exemple prit tout-à-fait au hasard- me contraindre à achever que qu'ils avaient entrepris de me faire faire? Un moyen de pression pour m'empêcher de rentrer chez moi en me frottant les mains. Si vous n'obéissez pas, tchak tchak! Tazer! Un coup de cravache sur la croupe du cheval et le voici qui galope. Oui. Il était facile de vérifier: voilà que quelques propositions étaient émises au centre de l'assemblée par quelqu'un qui avait du papier et un stylo et dont les pieds avaient fini par adopter le même système que les miens. J'y assistai. La foule parlementait. D'autres pieds venaient ajouter des propositions, d'autres encore les rayaient, raturaient, corrigeaient. Les chaussures abandonnées étaient rassemblées contre le mur du lycée; on eût dit l'entrée d'une Mosquée. Marrant. Je reportai mon attention sur la liste des propositions. Des banalités, essentiellement.

____"Pouvoir mieux respirer, et plus souvent"

____"Etre lavés avec des soins particuliers" Un autre pied –les calligraphies étaient dissemblables- avait ajouté "et des produits spéciaux". J'étais curieux de savoir lesquels.

____Tiens! "Etre traités avec plus d'humanité", le mot "humanité" avait été rayé et remplacé par celui de "dignité", dans un souci de cohérence, voire de peur du ridicule. Plaît-il, messieurs? La liste des comportements "dignes" figurait du reste sur une feuille annexe; on pouvait y lire, entre autres, l'abandon des expressions péjoratives concernant les intéressés. Tout ça me faisait plutôt rire qu'autre chose.

____Quelques propositions intéressantes, tout de même, telles que celle des exercices d'assouplissement des orteils afin de ne plus envisager les pieds que comme un socle mais un membre à part entière, ou, très alléchant aussi, la réclamation d'un rôle plus actif lors de l'acte sexuel. Mais tout ceci demeurait très superficiel, et m'offrit donc la confirmation de ce que je pensais, à savoir que pour intelligents qu'ils pussent être, les pieds restaient tout de même sensiblement limités. Tant mieux, ceci dit.

La douleur disparut dans mon pied gauche –je décidai de l'appeler Pendule, c'était plus pratique pour s'y retrouver et puis Pendule me semblait pas mal, comme nom de pied. Je baptisai sur-le-champ le pied droit Soucoupe pour la seul raison que ce fut le premier mot qui me vint à l'esprit-. J'en déduisis que Pendule considérait mon devoir comme accompli, et je pris le risque de rentrer à la maison. Les pieds se laissèrent faire. Ils avaient visiblement été satisfaits par cette petite réunion; j'étais toutefois bien conscient qu'une autre, au moins, suivrait. M'enfin pour l'instant, mission accomplie.

____Cette première moitié de la journée avait été plutôt positive, finalement. J'avais réussi à me servir de mes pieds, à aider une bonne partie de la ville, à entamer des négociations… sans être Solon je me sentis tout de même être un petit héros, dans mon genre…

____Le soleil d'Hiver, le plus beau, rasait la terre dans sa candeur doucereuse. Le retour au bercail fut léger et agréable; la maison accueillante. Sitôt rentré, je bondis sur le canapé. "Alors", demandai-je à mon cerveau tandis que mes doigts cherchaient déjà la télécommande, "livre de philosophie ou séries télé? Mh? C'est ton dernier mot?" J'allumai. La télévision débitait ses âneries habituelles à cette heure. Des jeux idiots. De la bouillie décérébrée. Ca me convenait.

____Je me laissai ainsi bercer un certain temps par la voix des présentateurs. Au bout d'un moment je sentis à nouveau une vive douleur dans les pieds. Encore? Et les deux en sus de ça! Ben tiens! Ces enflures étaient capables de créer de la douleur ex nihilo, comme ça, au débotté. Chienne de vie, tiens… d'accord, les cocos, d'accord! On arrête le massacre et on passe à de plus sérieuses occupations! J'éteignis la télé puis me levai du canapé sans but précis, mais, tout d'un coup, mes pieds reprirent leur propre contrôle et me menèrent droit à ma chambre, d'un pas qui se voulait sans doute déterminé même s'il faisait plutôt penser aux déambulations d'un ivrogne en fin de course. La chambre était dans l'état où je l'avais laissée, à savoir un bazar pas possible avec vue sur le bloc de feuilles qui, une fois de plus, semblait être la cible de Pendule et Soucoupe. De fait ce dernier s'empara de nouveau du stylo, et se mit à écrire.

____"Merci pour avoir organisé cette réunion, elle devrait porter ses fruits."

____Mais de rien, mes p'tits lapins, de rien…

____"Les propositions qui y ont été faites nous semblent importantes. L'essentiel de ce qui pouvait y être dit a, nous le pensons, été dit. Cependant…"

____Cependant?…

____"Cependant il y a quelque-chose d'essentiel dont nous ne pouvions pas parler là-bas. Nous ne devons le demander qu'à toi personnellement."

Modifié par Petimuel
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Salut :wink:

Bon, j'avais relevé deux fautes, je crois, mais mon ordi a planté, et une relecture en diagonale ne m'a permis d'en retrouver qu'une:

e laissai quelques minutes s'écouler afin de mieux sombrer dedans et dans la conscience de son propre ridicule.
mon (m'est avis)

Sinon, j'aime toujours autant, en plus, il n'y a aucun paragraphe qui ne me déplaît :D ! Et puis, il y a l'idée de maître du monde, et aussi l'aide donnée à tous ceux qu'il croise qui me plaisent bien :wink: . Et comme toujours, les expressions toujours autant 'petimuelienne', genre "petit père des pieds"...

Résultat, me voilà entiché d'un commentaire bien court, mais quand on aime, on ne va pas chercher non plus à lire le texte jusqu'à trouver la petite bête qui se trouvera déguisé en terrible solécisme et j'en passe.

Donc vivement la suite, que l'on sache donc ce que tes pieds ont prévu de manigancer avec ton héros sans nom, au mépris de tous leurs autres confrères!

Suite! (et dire que je ne pourrai la lire certainement qu'en février :D )

Iliaron

PS: je viens de voir l'heure à laquelle tu as envoyé le texte ce matin... il faut croire que tu as l'inspiration tardive :D !

PPS waouh, deux messages en deux jours!! mais c'est que je redeviens actif! allez, si tu envoies une suite avant demain, je te promets d'en faire une troisième dès demain :wink: !

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  • 4 semaines après...

Que dire? C'est magnifique et Cyrano lui même n'aurait pu discourir aussi bien d'un tel sujet.

Le style est parfois un peu lourd, avec beaucoup de grands mots, mais passe tres bien dans le cadre de cette nouvelle, surtout après la révélation de l'admiration profonde du narrateur pour son professeur de philo.

Ca me fait beaucoup penser au style des Fourmis et surtout à l'absurde qu'on peut y trouver.

Bonne continuation!

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  • 4 semaines après...

Ouf! Deux mois de passés et c'est seulement maintenant que je me trouve du temps pour donner une suite à cette histoire! Mais j'ai bon espoir d'arriver à son terme au cours des vacances -qui, pour moi, viennent de commencer.

Encore une fois, merci à tous mes lecteurs, et plus encore à ceux qui répondent et me donnent l'envie et la motivation nécéssaires pour continuer ce projet et chercher d'autres sujets de nouvelles.

Mais enfin trève de palabres, la voici la voilà : la suite!

____Ca se compliquait. J'étais en quelque-sorte ramené de plain-pied à une dure et peu digeste réalité qui était qu'il me faudrait faire des efforts, et non simplement organiser une réunion pour faire dresser des tableaux de doléances sans conséquences. Pas de ça, mon p'tit gars, tu feras tourner tes pieds à l'huile de coude, crois-moi!

____"Bon, allez-y"

____Mis au pied du mur, ils semblaient hésiter. Soucoupe gardait l'orteil en l'air, immobile, dans le doute et l'expectative. S'il avait eu des yeux, ils eussent sans doute été fixés droit sur la feuille, emplis d'inquiétude. Ou alors papillonnant de droit de gauche, sans savoir que faire. Ou alors dérivant dans le vague. Ou alors fermés, en proie à la réflexion. Oui, enfin en l'occurrence la question ne se posait pas et c'était très bien comme ça, et revenons à nos extrémités distales du corps humain. Pendule, donc, était pétrifié d'angoisse, et Soucoupe esquissait de légers mouvement vers lui.

____La lumière de la chambre était éteinte, aussi régnait-il dans cette pièce une demi-pénombre bleutée que brisait la marque, sur le plancher, de la fenêtre dont les volets n'étaient pas fermés, et qui laissait entrer la lumière douce et froide de cette journée d'hiver. Rien ne se laissait entendre alentour, sinon quelques sourds chants d'oiseaux ou, bien plus lointains encore, les échos feutrés dérivant dans les sillons aériens que creusait sans doute un RER de passage. Le moment semblait grave, et l'hésitation des pieds, cruciale. Je décidai de ne pas rompre ce silence sérieux pour leur signaler que je risquais de tomber avec leurs clowneries affligeantes de saltimbanques écervelés, mais j'eus de plus en plus de mal à me maintenir debout, jusqu'à être obligé de tirer brusquement sur mon genou gauche pour rétablir l'équilibre. Pendule fut arraché du sol et de la discussion, soucoupe se retourna sous la surprise et je chus sur le côté. Je ne dus m'on salut qu'à mon lit que j'empoignai du bras gauche.

____Cette cascade eut au moins pour effet de précipiter les choses, et sitôt que l'on eut convenu que je pourrai avoir au moins une position assise quand il leur prendrait des envies de littérature, et que l'on se fut exécuté, Soucoupe se décida à écrire :

____"Nous voudrions que tu nous écoutes mieux."

____"Quoi!? Non mais ça va pas, vous?" m'énervai-je, car j'étais énervé, soudain. "Ca vous va bien, à vous de dire ça! Depuis ce matin je suis aux petits oignons avec vous, je me donne corps et âme à votre cause pour finir la journée en cloque, et voilà! Je suis précautionneux et attentionné, je me donne la peine de fédérer votre mouvement, de rassembler, de vous offrir d'édicter des lignes de conduite, je rassemble la ville, je vous permet d'aller vous plaindre en toute liberté et sur la place publique afin qu'on puisse remédier à vos problèmes et je ne suis pas à votre écoute? Mais il vous faut quoi, encore, que je vous cire les pompes?"

____"Non, tu n'as pas compris ce que nous voulions dire." écrivait pendant ce temps Soucoupe, à tout vitesse

____"Ah ben voyons, je ne vous comprends pas! Je suis un être humain complet doté d'un cerveau en excellent état de marche et je suis incapable de comprendre une paire de zouaves incapables de maintenir debout celui dont ils ont la charge! Allons-y! Non mais dites moi que je suis con, ça ira plus vite!"

____"Eh bien…"

____"Attention!" Les mis-je en garde avant qu'ils n'écrivissent le reste. "Je vous préviens! Un mot, un seul petit mot de plus et cette histoire va finir en bain de sang de pieds. Alors gaffe."

Je me rendais bien compte que c'était parfaitement idiot : jamais je n'aurais osé me mutiler moi-même. Mais c'est tout ce que j'avais trouvé pour éviter d'entrer dans une spirale de moutarde montant aux narines. Le visage cramoisi, l'œil sombre, la respiration violente, je fixais mes pieds avec une fureur difficilement contenue.

____J'attendis la réponse un long moment. Elle ne vint pas.

____Peu à peu, je repris mes esprits. Mon souffle s'apaisa. Je gardai ma position quelques minutes, de plus en plus détendu, calme, tranquille, à savourer le silence. Ma conscience ordonnait à mon ego d'oublier cette histoire, lequel résistait farouchement. Je laissai à la lutte le temps de s'achever sur la victoire de la première. Je restai encore un peu, par gourmandise, savourant le repos du guerrier.

____"Allons, leur dis-je enfin, j'ai besoin de vous pour aller manger."

____Je tentai de me relever mais c'était impossible. Ces ordures étaient vexées.

Je dus descendre l'escalier en rampant et priai pour avoir assez de dents à l'arrivée pour ne pas devoir me contenter d'un bol de soupe.

____Nous ne reprîmes cette discussion que bien plus tard dans l'après-midi. J'ai bien dû manger quelque-chose mais je ne me souviens plus exactement de quoi. Je n'ai pas non plus de souvenirs quant à la manière dont j'ai bien pu occuper les instants qui ont suivi. Tout ça étant follement inintéressant, éludons d'un air guilleret et partons nous esbaudir dans les vertes prairies des environs de quatre heures, quatre heures et demie, si vous le voulez bien.

____"Tu n'as pas compris", écrivait alors Soucoupe, "il ne s'agit pas d'être plus à l'écoute.

Enfin, si.

Mais pas vraiment."

____Comme nous voilà bien avancés!

____"Disons que nous sommes séparés, tous les trois"

____Séparés? Ce n'était hélas pas l'impression que j'en avais, mais admettons.

____"Il y a comme une distance entre nous, alors que nous sommes le même corps. Il n'est pas normal que j'aie à écrire pour pouvoir communiquer"

____Non, et cela d'autant moins qu'il arrivait au bas de la page et qu'il eut toutes les peines du monde à la tourner. Je trouvai cela extrêmement drôle et partis d'un rire sarcastique qui sembla le blesser et le mettre mal à l'aise, car ses mouvements par la suite furent moins précis, mais il alla jusqu'au bout de sa maigre pensée.

____"Nous voudrions que tu réussisses à être en osmose avec nous, et que tu puisses sentir et prendre pour tien ce que nous désirons, comme si tu le désirais toi-même. Il te suffit de nous comprendre. Nous voudrions être enfin un corps uni."

____J'eus la désagréable impression d'être dans une de ces séries américaines nauséeuses lorsqu'il parla de "corps uni", mais soit. L'idée était complètement farfelue et, quoiqu'en mon for intérieur, je jurai de ne jamais m'abaisser au point de penser, littéralement, comme mes pieds, je fis semblant d'acquiescer, espérant qu'ils fussent dans la même situation que moi et qu'ils ne pussent donc deviner mes pensées.

____Ils semblaient heureux, cela avait l'air de marcher. Jusqu'à ce que cette cloche de Pendule aille mettre ses pieds dans le plat. Il s'empara brusquement du stylo et écrivit – très mal :

"Nous serons convaincus de la réussite de l'expérience lorsque tu auras su deviner quelle est l'envie impérieuse que nous avons en ce moment, laquelle qui ne fait pas partie des bouffonneries qui ont été proposées lors de la mascarade de ce matin."

____Ah ben v'la autre chose! Une partie de moi était parfaitement sceptique quant à la première partie de la phrase, quoique l'autre ne put s'empêcher d'être fière de la seconde. Ainsi donc mes pieds étaient au-dessus de cette masse stupide qui s'échinait à demander des émulsions lavantes spéciales ou l'occasion de prendre son pied plus souvent. Eux demandaient autre chose. Je ne savais pas quoi mais autre chose. De bien. De grand. De pensé. Quelque-chose qui faisait sens. Mes pieds! C'étaient mes pieds à moi, ça, mais oui madame! Qu'ils étaient beaux mes pieds madame ! Mais oui qu'ils étaient beaux et intelligents, mes pieds, hein, mais oui!

____Et ils me demandaient de trouver ce qu'ils voulaient. Ah! Les cons.

____Je tentai bien d'inventer quelques dérivatifs.

____"Voyons, j'essaie d'être en totale fusion avec vous. Voyons… Vous voulez… vous voulez me laisser tranquille."

____"Non".

____Diantre, comment avais-je pu oublier que leur humour se situait quelque-part dans les méandres de quelqu'abyssale profondeur?

____"Vous voulez prendre un bain."

____"Non."

____"Vous voulez que je vous vernisse les ongles."

____"Non."

____"Nous voulez écouter de la musique pour pieds. Non, attendez! Vous voulez un massage pour pieds!"

____"Non."

____"Vous voulez dormir?"

____"Non."

____"Vous voulez du gâteau?"

____"Non."

____"Vous voulez sortir?"

____"Mais encore?…"

____Ah! J'avais une piste!

____Je n'obtins rien de plus ce soir-là. Après avoir fait la liste des cabarets et dancings du coin et avoir essuyé un refus systématique de leur part, je reçus un appel de Louis, venu prendre de mes nouvelles. Ce fut moi qui commençai par en glaner.

____"Alors, comment s'est déroulé cet après-midi de tribune?

____- Moyennement. Des dissidences ont éclaté au sein des pieds. Divers groupes sont en train de se former. Tout le monde est désespéré; les négociations vont se poursuivre. Prochaine réunion : demain, à la mairie.

____- C'est tout?

____- Non; tant qu'à être là, on avait décidé de régler clairement le problème des salaires et des journées de travail – pour ceux qui ont la chance de travailler dans cette ville. Ca ne me concernait pas, je suis parti plus ou moins à ce moment.

____- Tu veux dire que les villes voisines ne connaissent pas de problème?

____- Apparemment non, le phénomène semble très restreint. J'en sais pas plus.

____- Bon. Dis-moi, le prof de philo a dit quelque-chose?

____- Le prof de philo? Pas vu.

____- Bon, bon, bon.

____- Et toi, alors? Tu nous as quittés tôt, enflure.

____- Vers midi, mes pieds semblaient estimer que j'avais rempli ma mission. J'ai pas insisté, écoute, j'avais faim, je suis rentré.

____- Chanceux. Tout va bien depuis ce moment?

____- Euh… Oui. Oui, oui. Tout va bien. Enfin, bon. Je contrôle la situation. Bref, oui. Ca va.

____- Tu n'as pas l'air d'être très convaincu, dis-moi. Il y a un problème?

____- Non, non, rien de particulier. Ah tiens, au fait! Dis-moi! Tu ne saurais pas, toi, ce que des pieds pourraient vouloir vraiment? Du fond du cœur?

____-Ben, pas vraiment, mais si tu veux je peux te lire une photocopie de la liste de propositions qu'on a établie…

____- Non, non, ça ira, merci. Je me débrouillerai. A demain!

____- Ciao."

____Pour la suite, je me souvenais seulement avoir dormi. D'un sommeil profond. Je n'ai pas dû rêver beaucoup. Tant mieux, j'aurais rêvé de pieds. Horrible.

____Quand je me réveillai, le temps était clair. Le soleil s'agitait sur mon lit avec l'envie manifeste de me voir me lever pour profiter de ses rayons. L'hiver ventilait la chambre d'un souffle frais et vivifiant.

____Mon premier réflexe fut de faire remuer mes pieds, au fond de ma couette. Ils répondirent parfaitement à mes injonctions. Fonction "pieds" opérationnelle, mon capitaine. Tout est OK. Je sortis du lit sans aucune difficulté. Je bâillai, m'étirai avec plaisir, et descendis d'un bond jusque dans la cuisine pour me servir un petit déjeuner.

____Tout semblait facile, tout se passait à merveille. J'avais, de plus en plus, l'impression que la journée de la veille n'avait pas existé. Impression qui se transforma bien vite en doute. Je fis quelques pas de danse, pour voir. Je me cognai volontairement le pied droit contre le chambranle de la porte. La douleur s'estompa normalement.

____De doute devint presque angoissant lorsque, revenu dans ma chambre, je découvris mon carnet refermé, et au pied de mon lit.

____Mes fesses churent lourdement sur ce dernier. Je restai assis quelques minutes, les mains jointes sur mes cuisses, l'œil perdu dans le vide. Alors tout cela n'avait été qu'un rêve. Rêve, cette agitation extrême. Rêves, ces acrobaties pour se tenir droit. Cette réunion, cette polémique, cette dispute d'avec une partie de mon propre corps. Rêves. Mascarade fantasmagorique, ce spectacle d'une humanité rampante et enchaînée à ses propres chevilles. J'avais tout simplement rêvé. Tout simplement.

____Mon téléphone miaula. Je laissai encore mon esprit battre la campagne quelques instants et savourer cette délivrance inespérée avant de consulter le message.

____"Slt c Louis. Ct pr savoir si tété tjs OK pr alé a la reunion aujd"

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Comme on pourrait s'y attendre j'aime beaucoup (mais est-se surprenant? :huh: )

Par contre je poste surtout pour poser une question : à quoi sert l'épisode du "j'ai l'impression de faire un rêve", à part fournire une belle fin?

Pasiphaé, c'est du trait bon sur le fond et la forme...Beaucoup mieux qu beaucoup d'écrivains semi-amateurs!

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A souligner le fait que les pieds ont un comportement bizarre puisque normal à son réveil, mais tu as raison c'est tout-à-fait secondaire et moi-même ça me laisse dubitatif.

Je statuerai sur le sort de ce passage quand j'aurai fini et que je recorrigerai le tout.

Merci à toi :huh:

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